ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
13 novembre 2008 ( *1 )
«Marchés publics — Procédures de passation — Concessions de services publics — Concession relative à l’exploitation d’un réseau communal de télédistribution — Attribution par une commune à une société coopérative intercommunale — Obligation de transparence — Conditions — Exercice, par l’autorité concédante sur l’entité concessionnaire, d’un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services»
Dans l’affaire C-324/07,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 3 juillet 2007, parvenue à la Cour le 12 juillet 2007, dans la procédure
Coditel Brabant SA
contre
Commune d’Uccle,
Région de Bruxelles-Capitale,
en présence de:
Société Intercommunale pour la Diffusion de la Télévision (Brutélé),
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Ó Caoimh, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), J. Klučka et A. Arabadjiev, juges,
avocat général: Mme V. Trstenjak,
greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,
vu la procédure écrite à la suite de l’audience du 9 avril 2008,
considérant les observations présentées:
— pour Coditel Brabant SA, par Mes F. Tulkens et V. Ost, avocats,
— pour la commune d’Uccle, par Me P. Coenraets, avocat,
— pour la Société Intercommunale pour la Diffusion de la Télévision (Brutélé), par Mes N. Fortemps et J. Bourtembourg, avocats,
— pour le gouvernement belge, par M. J. C. Halleux, en qualité d’agent, assisté de Me B. Staelens, avocat,
— pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et J. Möller, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement néerlandais, par MM. C. Wissels et Y. de Vries, en qualité d’agents,
— pour la Commission des Communautés européennes, par MM. B. Stromsky et D. Kukovec, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 juin 2008,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 43 CE et 49 CE, des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en raison de la nationalité ainsi que de l’obligation de transparence qui en découle.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Coditel Brabant SA (ci-après «Coditel»), d’une part, à la commune d’Uccle, la Région de Bruxelles-Capitale et la Société Intercommunale pour la Diffusion de la Télévision (Brutélé) (ci-après «Brutélé»), d’autre part, au sujet de l’attribution, par la commune d’Uccle, de la gestion de son réseau de télédistribution communal à une société coopérative intercommunale.
Le cadre juridique
La législation nationale
3 L’article 1er de la loi du 22 décembre 1986 relative aux intercommunales (Moniteur belge du 26 juin 1987, p. 9909, ci-après la «loi relative aux intercommunales») dispose:
«Plusieurs communes peuvent, dans les conditions prévues par la présente loi, former des associations ayant des objets bien déterminés d’intérêt communal. Ces associations sont dénommées ci-après intercommunales.»
4 L’article 3 de cette loi prévoit:
«Les intercommunales sont des personnes morales de droit public. Quels que soient leur forme et leur objet, elles n’ont pas un caractère commercial.»
5 L’article 10 de ladite loi énonce:
«Chaque intercommunale comprend une assemblée générale, un conseil d’administration et un collège des commissaires.»
6 Aux termes de l’article 11 de la même loi:
«Quelle que soit la proportion des apports des diverses parties à la constitution du fonds social, les communes disposent toujours de la majorité des voix ainsi que de la présidence dans les différents organes de gestion et de contrôle de l’intercommunale.»
7 L’article 12 de la loi relative aux intercommunales dispose:
«Les représentants des communes associées à l’assemblée générale sont désignés par le conseil communal de chaque commune parmi les conseillers, le bourgmestre et les échevins de la commune.
Chaque commune dispose à l’assemblée générale d’un droit de vote correspondant au nombre de parts qu’elle détient.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 De 1969 à 1999, la commune d’Uccle a permis à Coditel d’installer et d’exploiter un réseau de télédistribution sur son territoire. Le 28 octobre 1999, ladite commune a décidé de racheter ce réseau avec effet au 1er janvier 2000.
9 À cet effet, la commune d’Uccle a, par décision également du 28 octobre 1999, lancé un appel d’offres en vue de concéder à un futur concessionnaire l’exploitation dudit réseau. Quatre sociétés, dont Coditel, ont présenté leur candidature à cet appel d’offres.
10 Le 25 mai 2000, la commune d’Uccle a décidé de renoncer à concéder l’exploitation de son réseau de télédistribution et de s’orienter vers la vente de celui-ci.
11 Un avis d’appel aux candidats acquéreurs a été publié au Bulletin des adjudications le 15 septembre 2000. Cinq sociétés, dont Coditel, ont présenté des offres d’achat. En outre, Brutélé, une société coopérative intercommunale, a soumis à la commune d’Uccle non pas une offre d’achat, mais une proposition d’adhésion comme membre associé.
12 La commune d’Uccle, ayant estimé que quatre des cinq offres étaient irrecevables et que la seule offre recevable, à savoir celle de Coditel, était trop basse, a décidé, le 23 novembre 2000, de renoncer à la mise en vente du réseau de télédistribution communal.
13 Par décision du 23 novembre 2000 également, la commune d’Uccle a décidé de s’affilier à Brutélé, concédant à cette dernière la gestion de son réseau de télédistribution.
14 Les motifs de cette décision comportent notamment les considérations suivantes:
«Considérant que Brutélé propose à la commune d’Uccle, si elle s’affilie, de constituer à elle seule un sous-secteur d’exploitation disposant de l’autonomie de décision.
Considérant que cette autonomie concerne notamment:
— le choix des programmes distribués;
— les tarifs d’abonnement et de raccordement;
— la politique d’investissements et de travaux;
— les ristournes ou avantages à accorder à certaines catégories de personnes;
— la nature et les modalités d’autres services à rendre via le réseau, et la possibilité de confier à l’intercommunale des réalisations d’intérêt communal qui cadrent avec son objet défini aux statuts comme, par exemple, la réalisation d’un Intranet communal, d’un site ‘WEB’, et la formation du personnel à cet effet.
Considérant que dans ce cadre:
— Brutélé établirait un compte de résultats et un bilan des activités sur le réseau ucclois;
— [la commune d’]Uccle disposerait d’un administrateur au conseil d’administration de Brutélé et de trois administrateurs dans le conseil du secteur d’exploitation bruxellois, d’un mandat de commissaire aux comptes et d’un expert communal.
Considérant que Brutélé s’engage à couvrir la totalité du réseau ucclois et à augmenter la capacité du réseau pour y développer, dans un délai d’un an maximum, si la commune le souhaite, tous les services suivants:
— extension de l’offre TV: programmes supplémentaires et ‘le bouquet’;
— programmes ‘pay per view’;
— accès internet;
— téléphonie vocale;
— vidéosurveillance;
— transmission de données à grande vitesse.
Considérant que la redevance annuelle offerte est constituée comme suit:
a) redevance fixe égale à 10 % des recettes d’abonnement de base à la télédistribution (sur la base de 31000 abonnés et 3400 BEF d’abonnement annuel, hors TVA et droits d’auteurs: 10540000 BEF par an);
b) paiement de 5 % du chiffre d’affaires de Canal + et du bouquet;
c) paiement de l’intégralité des bénéfices réalisés sur tous les services fournis.»
15 Il ressort de la décision de renvoi que la commune d’Uccle devait souscrire 76 parts sociales de Brutélé, d’un montant de 200000 BEF chacune. Par ailleurs, ladite commune a demandé et obtenu de Brutélé la possibilité de se retirer unilatéralement de cette intercommunale à tout moment.
16 Il résulte également de la décision de renvoi que Brutélé est une société coopérative intercommunale dont les affiliés sont des communes ainsi qu’une association intercommunale regroupant elle-même exclusivement des communes. Elle n’est pas ouverte à des affiliés privés. Son conseil d’administration est composé de représentants des communes (trois au maximum par commune) nommés par l’assemblée générale, elle-même composée des représentants de celles-ci. Le conseil d’administration exerce les
pouvoirs les plus étendus.
17 Toujours selon la décision de renvoi, les communes sont divisées en deux secteurs, dont l’un regroupant les communes de la région bruxelloise, lesquels peuvent être subdivisés en sous-secteurs. Au sein de chaque secteur, est formé un conseil de secteur constitué d’administrateurs nommés par l’assemblée générale, réunie en groupes distincts représentant les titulaires de parts sociales pour chacun des secteurs, sur présentation par les communes. Le conseil d’administration peut déléguer aux
conseils de secteur les pouvoirs qu’il détient en ce qui concerne, d’une part, les problèmes propres aux sous-secteurs, notamment les modalités d’application des tarifs, le programme des travaux et des investissements, le financement de ceux-ci, les campagnes publicitaires, et, d’autre part, les problèmes communs aux différents sous-secteurs constituant le secteur d’exploitation. Les autres organes statutaires de Brutélé sont l’assemblée générale, dont les décisions s’imposent à l’ensemble des
associés, le directeur général, le collège des experts, lesquels sont des fonctionnaires communaux dont le nombre est égal à celui des administrateurs et qui sont chargés d’assister ces derniers, et le collège des commissaires-réviseurs. Le directeur général, les experts et les commissaires sont, selon le cas, nommés par le conseil d’administration ou par l’assemblée générale.
18 La décision de renvoi précise, en outre, que Brutélé réalise l’essentiel de son activité avec ses affiliés.
19 Par requête introduite le 22 janvier 2001, Coditel a formé devant le Conseil d’État (Belgique) un recours visant notamment à l’annulation de la décision du 23 novembre 2000 par laquelle la commune d’Uccle s’est affiliée à Brutélé. Dans ce cadre, Coditel a fait grief à cette commune de s’être affiliée à Brutélé en confiant à cette dernière la gestion de son réseau de télédistribution sans procéder à une comparaison entre les avantages de cette formule et ceux que la concession de son réseau de
télédistribution à un autre opérateur aurait présentés. Coditel a allégué que, en procédant de la sorte, la commune d’Uccle avait violé, notamment, le principe de non-discrimination et l’obligation de transparence consacrés par le droit communautaire.
20 Brutélé a contesté cette allégation en faisant valoir qu’elle constitue une intercommunale «pure» dont les activités sont destinées et réservées aux communes associées et que ses statuts permettent à la commune d’Uccle, en tant que sous-secteur d’exploitation, d’exercer un contrôle immédiat et précis sur les activités de Brutélé dans ce sous-secteur, identique à celui que cette commune exercerait sur ses propres services internes.
21 Le Conseil d’État considère que l’affiliation de la commune d’Uccle à Brutélé constitue non pas un marché public de services, mais une concession de services publics au sens du droit communautaire. Les directives communautaires en matière de marchés publics ne seraient pas applicables à une telle concession, mais le principe de non-discrimination en raison de la nationalité impliquerait une obligation de transparence dans l’attribution de la concession, conformément à la jurisprudence de la Cour
issue de l’arrêt du 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress (C-324/98, Rec. p. I-10745). Pour satisfaire aux exigences du droit communautaire, la commune d’Uccle aurait dû, en principe, faire appel à la concurrence en vue d’examiner si la concession de son service de télédistribution à d’autres opérateurs économiques que Brutélé ne constituait pas une alternative plus avantageuse que celle retenue. Le Conseil d’État se demande si ces exigences du droit communautaire doivent être écartées en
vertu de la jurisprudence de la Cour, résultant de l’arrêt du 18 novembre 1999, Teckal (C-107/98, Rec. p. I-8121), selon laquelle elles ne sont pas applicables lorsqu’une entité concessionnaire relève du contrôle d’une autorité publique concédante et réalise l’essentiel de son activité avec cette dernière.
22 Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Une commune peut-elle, sans appel à la concurrence, s’affilier à une société coopérative groupant exclusivement d’autres communes et associations de communes (intercommunale dite ‘pure’) en vue de lui transférer la gestion de son réseau de télédistribution sachant que la société réalise l’essentiel de ses activités avec ses seuls affiliés et à leur décharge et que les décisions en rapport avec celles-ci sont prises par le conseil d’administration et les conseils de secteur dans les limites
des délégations que celui-ci leur accorde, organes statutaires qui sont composés de représentants des autorités publiques et qui statuent à la majorité de ceux-ci?
2) La maîtrise ainsi exercée, au travers des organes statutaires, par tous les coopérateurs, ou par une partie de ceux-ci dans le cas de secteurs ou sous-secteurs d’exploitation, sur les décisions de la société coopérative peut-elle être considérée comme leur permettant d’exercer sur celle-ci un contrôle analogue à celui exercé sur leurs propres services?
3) Cette maîtrise et ce contrôle, pour être qualifiés d’analogues, doivent-ils être exercés individuellement par chaque membre affilié ou suffit-il qu’ils le soient par la majorité des membres affiliés?»
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
23 Compte tenu de leur connexité, il convient d’examiner les première et deuxième questions conjointement.
24 Il résulte de la décision de renvoi que, en s’affiliant à Brutélé, la commune d’Uccle a confié à celui-ci la gestion de son réseau de télédistribution. Il en ressort également que la rémunération de Brutélé provient non pas de la commune, mais de paiements effectués par les utilisateurs de ce réseau. Ce mode de rémunération caractérise une concession de services publics (arrêt du 13 octobre 2005, Parking Brixen, C-458/03, Rec. p. I-8585, point 40).
25 Les contrats de concession de services publics ne relèvent pas du champ d’application de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), applicable à la date des faits au principal. Nonobstant le fait que de tels contrats sont exclus du champ d’application de cette directive, les autorités publiques les attribuant sont tenues de respecter les règles fondamentales du traité CE, les principes de
non-discrimination en raison de la nationalité et d’égalité de traitement ainsi que l’obligation de transparence qui en découle (voir, en ce sens, arrêts Telaustria et Telefonadress, précité, points 60 à 62, et du 21 juillet 2005, Coname, C-231/03, Rec. p. I-7287, points 16 à 19). Sans nécessairement impliquer une obligation de procéder à un appel d’offres, cette obligation de transparence impose à l’autorité concédante de garantir, en faveur de tout concessionnaire potentiel, un degré de
publicité adéquat permettant une ouverture des concessions de services publics à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’attribution (voir, en ce sens, arrêts précités Telaustria et Telefonadress, point 62, ainsi que Coname, point 21).
26 L’application des règles énoncées aux articles 12 CE, 43 CE et 49 CE, ainsi que des principes généraux dont elles constituent l’expression spécifique est cependant exclue si, tout à la fois, le contrôle exercé sur l’entité concessionnaire par l’autorité publique concédante est analogue à celui que cette dernière exerce sur ses propres services et si cette entité réalise l’essentiel de son activité avec l’autorité ou les autorités qui la détiennent (voir, en ce sens, arrêts précités Teckal, point
50, et Parking Brixen, point 62).
27 Concernant la seconde de ces conditions, la juridiction nationale a précisé dans la décision de renvoi que Brutélé réalise l’essentiel de son activité avec ses affiliés. Dès lors, il reste à examiner la portée de la première condition, à savoir celle selon laquelle l’autorité ou les autorités publiques concédantes doivent exercer sur l’entité concessionnaire un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services.
28 Pour apprécier si une autorité publique concédante exerce sur l’entité concessionnaire un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services, il convient de tenir compte de l’ensemble des dispositions législatives et des circonstances pertinentes. Il doit résulter de cet examen que l’entité concessionnaire en question est soumise à un contrôle permettant à l’autorité publique concédante d’influencer les décisions de ladite entité. Il doit s’agir d’une possibilité d’influence
déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette entité (voir, en ce sens, arrêts Parking Brixen, précité, point 65, et du 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei, C-340/04, Rec. p. I-4137, point 36).
29 Parmi les circonstances pertinentes qui se dégagent de la décision de renvoi, il y a lieu de considérer, en premier lieu, la détention du capital de l’entité concessionnaire, en deuxième lieu, la composition des organes de décision de celle-ci et, en troisième lieu, l’étendue des pouvoirs reconnus à son conseil d’administration.
30 Sur la première de ces circonstances, il convient de rappeler qu’il est exclu qu’une autorité publique concédante puisse exercer, sur une entité concessionnaire, un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services si une entreprise privée détient une participation dans le capital de cette entité (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C-26/03, Rec. p. I-1, point 49).
31 En revanche, la circonstance que l’autorité publique concédante détient, ensemble avec d’autres autorités publiques, la totalité du capital d’une société concessionnaire tend à indiquer, sans être décisive, que cette autorité publique exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services (arrêts Carbotermo et Consorzio Alisei, précité, point 37, et du 19 avril 2007, Asemfo, C-295/05, Rec. p. I-2999, point 57).
32 Il résulte de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, l’entité concessionnaire est une société coopérative intercommunale dont les affiliés sont des communes ainsi qu’une association intercommunale regroupant elle-même exclusivement des communes, et qu’elle n’est pas ouverte à des affiliés privés.
33 Deuxièmement, il ressort du dossier que le conseil d’administration de Brutélé est composé de représentants des communes affiliées, nommés par l’assemblée générale, qui est elle-même composée de représentants des communes affiliées. Ceux-ci sont désignés, conformément à l’article 12 de la loi relative aux intercommunales, par le conseil communal de chaque commune parmi les conseillers, le bourgmestre et les échevins de la commune.
34 La circonstance que les organes de décision de Brutélé sont composés de délégués des autorités publiques qui lui sont affiliées indique que ces dernières maîtrisent les organes de décision de Brutélé et sont ainsi en mesure d’exercer une influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de celle-ci.
35 Troisièmement, il ressort du dossier que le conseil d’administration de Brutélé exerce les pouvoirs les plus étendus. Celui-ci fixe notamment les tarifs. Il a en outre la faculté, mais non l’obligation, de déléguer aux conseils de secteur ou de sous-secteur la résolution de certains problèmes propres à ces secteurs ou sous-secteurs.
36 La question se pose de savoir si Brutélé a acquis de ce fait une vocation de marché et une marge d’autonomie qui rendraient précaire le contrôle exercé par les autorités publiques qui lui sont affiliées.
37 À cet égard il convient de relever que Brutélé est constituée non pas sous la forme d’une société par actions ou d’une société anonyme susceptible de poursuivre des objectifs indépendamment de ses actionnaires, mais sous la forme d’une société coopérative intercommunale régie par la loi relative aux intercommunales. En outre, en vertu de l’article 3 de cette loi, les intercommunales sont dépourvues de caractère commercial.
38 Il semble ressortir de ladite loi, complétée par les statuts de Brutélé, que l’objectif statutaire de celle-ci est la réalisation de la mission d’intérêt communal en vue de l’accomplissement de laquelle elle a été créée et qu’elle ne poursuit aucun intérêt distinct de celui des autorités publiques qui lui sont affiliées.
39 Sous réserve de la vérification des faits par la juridiction de renvoi, il en résulte que, malgré l’étendue des pouvoirs reconnus à son conseil d’administration, Brutélé ne jouit pas d’une marge d’autonomie excluant que les communes qui lui sont affiliées exercent sur elle un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services.
40 Ces considérations s’appliquent a fortiori dans le cas où les décisions en rapport avec les activités de la société coopérative intercommunale sont prises par les conseils de secteur ou de sous-secteur dans les limites des délégations que le conseil d’administration leur accorde. En effet, lorsqu’une ou plusieurs communes affiliées sont reconnues comme constituant un secteur ou un sous-secteur de l’activité de cette société, le contrôle que ces communes sont susceptibles d’exercer sur les
questions déléguées aux conseils de secteur ou de sous-secteur est encore plus strict que celui qu’elles exercent avec l’ensemble des affiliés au sein des organes pléniers de ladite société.
41 Il résulte de ce qui précède que, sous réserve de la vérification par la juridiction de renvoi des faits en ce qui concerne la marge d’autonomie dont jouit la société coopérative intercommunale en cause, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le contrôle exercé, au travers des organes statutaires, par les autorités publiques affiliées à une telle société coopérative intercommunale sur les décisions prises par celle-ci peut être considéré comme permettant à ces
autorités d’exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services.
42 Par conséquent, il convient de répondre aux première et deuxième questions comme suit:
— Les articles 43 CE et 49 CE, les principes d’égalité et de non-discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle ne s’opposent pas à ce qu’une autorité publique attribue, sans appel à la concurrence, une concession de services publics à une société coopérative intercommunale dont tous les affiliés sont des autorités publiques, dès lors que ces autorités publiques exercent sur cette société un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs
propres services et que ladite société réalise l’essentiel de son activité avec ces autorités publiques.
— Sous réserve de la vérification par la juridiction de renvoi des faits en ce qui concerne la marge d’autonomie dont jouit la société en cause, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, où les décisions relatives aux activités d’une société coopérative intercommunale détenue exclusivement par des autorités publiques sont prises par des organes statutaires de cette société composés de représentants des autorités publiques affiliées, le contrôle exercé sur ces décisions
par lesdites autorités publiques peut être considéré comme permettant à ces dernières d’exercer sur celle-ci un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services.
Sur la troisième question
43 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans le cas où une autorité publique s’affilie à une société coopérative intercommunale dont tous les affiliés sont des autorités publiques, en vue de lui transférer la gestion d’un service public, le contrôle que les autorités affiliées à cette société exercent sur celle-ci doit, pour être qualifié d’analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services, être exercé individuellement par chacune de ces autorités
publiques ou peut être exercé conjointement par celles-ci, statuant, le cas échéant à la majorité.
44 D’une part, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une entité concessionnaire est détenue par plusieurs autorités publiques, la condition relative à l’essentiel de l’activité de cette entité peut être satisfaite en prenant en compte l’activité que cette entité réalise avec l’ensemble de ces autorités (voir, en ce sens, arrêts Carbotermo et Consorzio Alisei, précité, points 70 et 71, et Asemfo, précité, point 62).
45 Il serait cohérent avec le raisonnement sous-tendant cette jurisprudence de considérer que la condition relative au contrôle qu’exercent les autorités publiques puisse également être satisfaite en tenant compte du contrôle exercé conjointement sur l’entité concessionnaire par les autorités publiques qui la détiennent.
46 La jurisprudence exige que le contrôle exercé sur l’entité concessionnaire par une autorité publique concédante soit analogue à celui que cette autorité exerce sur ses propres services, mais non pas qu’il soit identique en tous points à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt Parking Brixen, précité, point 62). Il importe que le contrôle exercé sur l’entité concessionnaire soit effectif, mais il n’est pas indispensable qu’il soit individuel.
47 D’autre part, dans le cas où plusieurs autorités publiques choisissent d’effectuer leurs missions de service public en ayant recours à une entité concessionnaire commune, il est normalement exclu que l’une de ces autorités, à moins qu’elle ne détienne une participation majoritaire dans cette entité, exerce seule un contrôle déterminant sur les décisions de cette dernière. Exiger que le contrôle exercé par une autorité publique en pareil cas soit individuel aurait pour effet d’imposer une mise en
concurrence dans la plupart des cas où une autorité publique entendrait s’affilier à un groupement composé d’autres autorités publiques, tel qu’une société coopérative intercommunale.
48 Or, un tel résultat ne serait pas conforme au système des règles communautaires en matière de marchés publics et de concessions. En effet, il est admis qu’une autorité publique a la possibilité d’accomplir les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, administratifs, techniques et autres, sans être obligée de faire appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services (arrêt Stadt Halle et RPL Lochau, précité, point 48).
49 Cette possibilité pour les autorités publiques de recourir à leurs propres moyens pour accomplir leurs missions de service public peut être exercée en collaboration avec d’autres autorités publiques (voir, en ce sens, arrêt Asemfo, précité, point 65).
50 Il convient donc d’admettre que, dans le cas où plusieurs autorités publiques détiennent une entité concessionnaire à laquelle elles confient l’accomplissement d’une de leurs missions de service public, le contrôle que ces autorités publiques exercent sur cette entité peut être exercé conjointement par ces dernières.
51 S’agissant d’un organe collégial, la procédure utilisée pour la prise de décision, notamment le recours à la majorité, est sans incidence.
52 Cette conclusion n’est pas infirmée par l’arrêt Coname, précité. Certes la Cour a considéré, dans celui-ci, qu’une participation de 0,97 % est tellement faible qu’elle n’est pas de nature à permettre à une commune d’exercer le contrôle sur le concessionnaire gérant un service public (voir arrêt Coname, précité, point 24). Cependant, dans ce passage dudit arrêt, la Cour ne visait pas la question de savoir si un tel contrôle pouvait être exercé de façon conjointe.
53 Du reste, dans un arrêt ultérieur, à savoir l’arrêt Asemfo, précité (points 56 à 61), la Cour a admis que dans certaines circonstances la condition relative au contrôle exercé par l’autorité publique pouvait être remplie dans le cas où une telle autorité ne détenait que 0,25 % du capital d’une entreprise publique.
54 Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question que, dans le cas où une autorité publique s’affilie à une société coopérative intercommunale dont tous les affiliés sont des autorités publiques, en vue de lui transférer la gestion d’un service public, le contrôle que les autorités affiliées à cette société exercent sur celle-ci, pour être qualifié d’analogue au contrôle qu’elles exercent sur leurs propres services, peut être exercé conjointement par ces autorités, statuant, le cas
échéant, à la majorité.
Sur les dépens
55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
1) Les articles 43 CE et 49 CE, les principes d’égalité et de non-discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle ne s’opposent pas à ce qu’une autorité publique attribue, sans appel à la concurrence, une concession de services publics à une société coopérative intercommunale dont tous les affiliés sont des autorités publiques, dès lors que ces autorités publiques exercent sur cette société un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs
propres services et que ladite société réalise l’essentiel de son activité avec ces autorités publiques.
2) Sous réserve de la vérification par la juridiction de renvoi des faits en ce qui concerne la marge d’autonomie dont jouit la société en cause, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, où les décisions relatives aux activités d’une société coopérative intercommunale détenue exclusivement par des autorités publiques sont prises par des organes statutaires de cette société composés de représentants des autorités publiques affiliées, le contrôle exercé sur ces décisions
par lesdites autorités publiques peut être considéré comme permettant à ces dernières d’exercer sur celle-ci un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services.
3) Dans le cas où une autorité publique s’affilie à une société coopérative intercommunale dont tous les affiliés sont des autorités publiques, en vue de lui transférer la gestion d’un service public, le contrôle que les autorités affiliées à cette société exercent sur celle-ci, pour être qualifié d’analogue au contrôle qu’elles exercent sur leurs propres services, peut être exercé conjointement par ces autorités, statuant, le cas échéant, à la majorité.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le français.