ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
6 novembre 2008 ( *1 )
«Pollution du milieu aquatique — Directive 2006/11/CE — Article 6 — Substances dangereuses — Rejets — Autorisation préalable — Fixation de normes d’émission — Régime de déclaration — Piscicultures»
Dans l’affaire C-381/07,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 4 juin 2007, parvenue à la Cour le 8 août 2007, dans la procédure
Association nationale pour la protection des eaux et rivières — TOS
contre
Ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. J.-C. Bonichot, J. Makarczyk, P. Kūris (rapporteur) et L. Bay Larsen, juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: M. B. Fülöp, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 juin 2008,
considérant les observations présentées:
— pour l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières — TOS, par M. P. Jeanson, vice-président de cette association,
— pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme A.-L. During, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,
— pour le gouvernement néerlandais, par M. M. de Grave, en qualité d’agent,
— pour la Commission des Communautés européennes, par Mme S. Pardo Quintillán et M. J.-B. Laignelot, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 de la directive 2006/11/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 février 2006, concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté (JO L 64, p. 52).
2 Cette demande a été présentée par le Conseil d’État dans le cadre de recours pour excès de pouvoir formés par l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières — TOS — tendant à l’annulation, notamment, du décret no 2006-881, du 17 juillet 2006, modifiant le décret no 93-743 du 29 mars 1993 relatif à la nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration en application de l’article 10 de la loi no 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau, et le décret no 94-354 du 29 avril
1994 relatif aux zones de répartition des eaux (JORF du 18 juillet 2006, p. 10786), ainsi que du décret no 2006-942, du 27 juillet 2006, modifiant la nomenclature des installations classées (JORF du 29 juillet 2006, p. 11336).
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 La directive 2006/11, qui, conformément à son article 1er, sous a), s’applique notamment aux eaux intérieures de surface, c’est-à-dire, aux termes de son article 2, sous a), à «toutes les eaux douces superficielles dormantes ou courantes situées sur le territoire d’un ou de plusieurs États membres», énonce à ses sixième à huitième considérants ce qui suit:
«(6) Pour assurer une protection efficace du milieu aquatique de la Communauté, il est nécessaire d’établir une première liste, dite ‘liste I’, comprenant certaines substances individuelles à choisir principalement sur la base de leur toxicité, de leur persistance et de leur bioaccumulation, à l’exception de celles qui sont biologiquement inoffensives ou qui se transforment rapidement en substances biologiquement inoffensives, ainsi qu’une deuxième liste, dite ‘liste II’, comprenant des substances
ayant sur le milieu aquatique un effet nuisible qui peut cependant être limité à une certaine zone et qui dépend des caractéristiques des eaux de réception et de leur localisation. Tout rejet de ces substances devrait être soumis à une autorisation préalable qui fixe les normes d’émission.
(7) La pollution causée par le rejet des différentes substances dangereuses relevant de la liste I doit être éliminée […]
(8) Il est nécessaire de réduire la pollution des eaux causée par les substances relevant de la liste II. À cette fin, les États membres devraient arrêter des programmes qui comprennent des normes de qualité environnementale pour les eaux, établies dans le respect des directives du Conseil lorsqu’elles existent. Les normes d’émission applicables auxdites substances devraient être calculées en fonction de ces normes de qualité environnementale.»
4 L’article 3 de la directive 2006/11 dispose:
«Les États membres prennent les mesures appropriées pour éliminer la pollution des eaux visées à l’article 1er par les substances dangereuses incluses dans les familles et groupes de substances énumérés dans la liste I de l’annexe I, ci-après dénommées ‘substances relevant de la liste I’, ainsi que pour réduire la pollution desdites eaux par les substances dangereuses incluses dans les familles et groupes de substances énumérés dans la liste II de l’annexe I, ci-après dénommées ‘substances
relevant de la liste II’, conformément à la présente directive.»
5 Aux termes de l’article 6 de la directive 2006/11, dont le libellé est identique à celui de l’article 7 de la directive 76/464/CEE du Conseil, du 4 mai 1976, concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté (JO L 129, p. 23), qui a été abrogée par la directive 2006/11:
«1. Afin de réduire la pollution des eaux visées à l’article 1er par les substances relevant de la liste II, les États membres arrêtent des programmes pour l’exécution desquels ils appliquent notamment les moyens visés aux paragraphes 2 et 3.
2. Tout rejet effectué dans les eaux visées à l’article 1er et susceptible de contenir une des substances relevant de la liste II est soumis à une autorisation préalable, délivrée par l’autorité compétente de l’État membre concerné et fixant les normes d’émission. Celles-ci sont calculées en fonction des normes de qualité environnementale établies conformément au paragraphe 3.
3. Les programmes visés au paragraphe 1 comprennent des normes de qualité environnementale pour les eaux, établies dans le respect des directives du Conseil lorsqu’elles existent.
[…]»
6 La liste II de familles et de groupes de substances figurant à l’annexe I de la directive 2006/11, visée aux articles 3 et 6 de cette dernière, mentionne à son point 8 les substances exerçant une influence défavorable sur le bilan d’oxygène, notamment l’ammoniaque et les nitrites.
7 La directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO L 327, p. 1, ci-après la «directive-cadre sur l’eau»), qui est antérieure à la directive 2006/11, mais dont les dispositions se substitueront à celles de cette dernière à compter du 22 décembre 2013, conformément à l’article 22, paragraphe 2, de la directive-cadre sur l’eau, énonce à son article 11 ce qui suit:
«1. Chaque État membre veille à ce que soit élaboré, pour chaque district hydrographique ou pour la partie du district hydrographique international située sur son territoire, un programme de mesures qui tienne compte des résultats des analyses prévues à l’article 5, afin de réaliser les objectifs fixés à l’article 4. […]
2. Chaque programme de mesures comprend les ‘mesures de base’ indiquées au paragraphe 3 et, si nécessaire, des ‘mesures complémentaires’.
3. Les ‘mesures de base’ constituent les exigences minimales à respecter et comprennent:
[…]
g) pour les rejets ponctuels susceptibles de causer une pollution, une exigence de réglementation préalable, comme l’interdiction d’introduire des polluants dans l’eau, ou d’autorisation préalable ou d’enregistrement fondée sur des règles générales contraignantes, définissant les contrôles d’émission pour les polluants concernés, notamment des contrôles conformément à l’article 10 et à l’article 16. […]
[…]»
8 L’article 22, paragraphe 3, sous b), de la directive-cadre sur l’eau contient la disposition transitoire suivante:
«aux fins de l’article 7 de la directive 76/464/CEE, les États membres peuvent appliquer les principes prévus dans la présente directive pour l’identification des problèmes de pollution et des substances qui en sont la cause, l’établissement des normes de qualité et l’adoption de mesures».
La réglementation nationale
9 Sous le titre «Eau et milieux aquatiques», les dispositions du code de l’environnement relatives à l’autorisation ou à la déclaration des installations, ouvrages, travaux et activités ont pour objet, selon l’article L. 211-1 de ce code, de permettre une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau visant à assurer, entre autres, la protection des eaux et la lutte contre toute pollution. L’article L. 211-2 du code de l’environnement prévoit notamment que les règles générales de préservation
de la qualité et de répartition des eaux superficielles sont déterminées par décret en Conseil d’État. Conformément à cet article, ces règles générales fixent notamment les normes de qualité et les mesures nécessaires à la restauration et à la préservation de cette qualité, les conditions dans lesquelles peuvent être interdits ou réglementés les déversements, écoulements, jets, dépôts directs ou indirects de matière et, plus généralement, tout fait susceptible d’altérer la qualité des eaux et du
milieu aquatique, de même que les conditions dans lesquelles peuvent être prescrites les mesures nécessaires pour préserver cette qualité. En complément de ces règles générales, des prescriptions nationales ou particulières à certaines parties du territoire sont, en vertu de l’article L. 211-3 du même code, également fixées par décret en Conseil d’État.
10 L’article L. 214-1 du code de l’environnement dispose:
«Sont soumis aux dispositions des articles L. 214-2 à L. 214-6 les installations ne figurant pas à la nomenclature des installations classées, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant […] des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants.»
11 Aux termes de l’article L. 214-2, premier alinéa, du code de l’environnement:
«Les installations, ouvrages, travaux et activités visés à l’article L. 214-1 sont définis dans une nomenclature, établie par décret en Conseil d’État après avis du Comité national de l’eau, et soumis à autorisation ou à déclaration suivant les dangers qu’ils présentent et la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques compte tenu notamment de l’existence des zones et périmètres institués pour la protection de l’eau et des milieux aquatiques.»
12 L’article L. 214-3 du code de l’environnement prévoit:
«I. Sont soumis à autorisation de l’autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d’accroître notablement le risque d’inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles.
[…]
II. Sont soumis à déclaration les installations, ouvrages, travaux et activités qui, n’étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3.
Dans un délai fixé par décret en Conseil d’État, l’autorité administrative peut s’opposer à l’opération projetée s’il apparaît qu’elle est incompatible avec les dispositions du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux ou du schéma d’aménagement et de gestion des eaux, ou porte aux intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 une atteinte d’une gravité telle qu’aucune prescription ne permettrait d’y remédier. Les travaux ne peuvent commencer avant l’expiration de ce délai.
Si le respect des intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 n’est pas assuré par l’exécution des prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3, l’autorité administrative peut, à tout moment, imposer par arrêté toutes prescriptions particulières nécessaires.
[…]»
13 Les articles R. 214-32 à R. 214-40 du code de l’environnement contiennent les dispositions applicables aux opérations soumises à déclaration. La déclaration doit être adressée, selon le premier de ces articles, au préfet du département ou des départements concernés, lequel, dans les quinze jours suivant la réception de la déclaration, adresse, en application de l’article R. 214-33 du même code, au déclarant, lorsque la déclaration est incomplète, un accusé de réception indiquant les pièces ou
informations manquantes, ou, lorsque la déclaration est complète, un récépissé de déclaration indiquant soit la date à laquelle, en l’absence d’opposition, l’opération projetée pourra être entreprise, soit l’absence d’opposition qui permet d’entreprendre cette opération sans délai. La même disposition prévoit que ce récépissé est assorti, le cas échéant, d’une copie des prescriptions générales applicables. Le délai accordé au préfet pour lui permettre de s’opposer à une opération soumise à
déclaration est fixé par l’article R. 214-35 dudit code à deux mois à compter de la réception d’une déclaration complète.
14 Les installations, ouvrages, travaux ou activités concernés doivent, selon l’article R. 214-38 du code de l’environnement, être implantés, réalisés et exploités conformément au dossier de déclaration et, le cas échéant, aux prescriptions particulières mentionnées aux articles R. 214-35 et R. 214-39 de ce code. Ce dernier article prévoit que la modification des prescriptions applicables à une installation peut être demandée par le déclarant au préfet qui statue par arrêté et qu’elle peut également
être imposée par le préfet sur le fondement de l’article L. 214-33, II, troisième alinéa, dudit code. En outre, l’article R. 214-40 du même code dispose que toute modification apportée par le déclarant au projet tel que déclaré et de nature à entraîner un changement notable des éléments du dossier de déclaration initiale doit être portée avant sa réalisation à la connaissance du préfet, qui peut exiger une nouvelle déclaration, laquelle est soumise aux mêmes formalités que la déclaration
initiale.
15 Le décret no 2006-881, dont l’annulation est demandée dans l’affaire au principal, a procédé à une refonte de la nomenclature visée à l’article L. 214-2, paragraphe 1, du code de l’environnement, laquelle figure à l’annexe de l’article R. 214-1 de ce code sous le titre «Nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration en application des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l’environnement». Selon la rubrique 3.2.7.0 de cette nomenclature, telle que modifiée, les
piscicultures d’eau douce (ci-après les «piscicultures») relèvent désormais, au titre de la police de l’eau, de la procédure de déclaration, alors qu’elles étaient auparavant soumises à une autorisation ou à une déclaration selon qu’elles donnaient lieu à une étude ou à une notice d’impact.
16 Par ailleurs, en application de l’article L. 511-1 du code de l’environnement, sont soumises aux dispositions de ce code relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement les installations qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients notamment pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques, pour l’agriculture ainsi que pour la protection de la nature et de l’environnement. Ces installations sont, en application de l’article L. 511-2 de ce même code,
définies dans la nomenclature des installations classées qui les soumet à autorisation du préfet ou à déclaration suivant la gravité des dangers ou des inconvénients que peut présenter leur exploitation.
17 Le décret no 2006-942, dont l’annulation est également demandée dans l’affaire au principal, a modifié cette nomenclature. Il en résulte que les piscicultures ne sont désormais soumises à autorisation, au titre de la police des établissements classés pour la protection de l’environnement, que lorsque leur capacité de production annuelle est supérieure à 20 t.
Le litige au principal et la question préjudicielle
18 L’Association nationale pour la protection des eaux et rivières — TOS soutient, à l’appui de ses recours en annulation des décrets nos 2006-881 et 2006-942 devant le Conseil d’État, que ces derniers méconnaissent les dispositions de l’article 6 de la directive 2006/11.
19 Après avoir relevé que les rejets de pisciculture contiennent de l’ammoniaque et des nitrites, substances relevant de la liste II, et que l’article 6 de la directive 2006/11 soumet les rejets susceptibles de contenir de telles substances à une autorisation préalable fixant les normes d’émission, la juridiction de renvoi constate, dans sa décision, que, à l’exception de celles d’entre elles dont la capacité de production annuelle est supérieure à 20 t, qui sont soumises à autorisation au titre de
la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, les piscicultures ne sont soumises, en tant que telles, qu’à un régime de déclaration.
20 Toutefois, la juridiction de renvoi indique que ce régime repose, eu égard au caractère réputé peu polluant des installations de pisciculture, sur un objectif de simplification des procédures administratives et de meilleure allocation des moyens de contrôle. Elle relève que le préfet dispose, dans le cadre de ce régime, d’un droit d’opposition aux travaux, lesquels ne peuvent débuter tant qu’un délai de deux mois n’est pas écoulé, et peut assortir sa non-opposition de prescriptions techniques
permettant de protéger les intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement, notamment en fixant des valeurs limites d’émission de produits polluants. Elle estime que, dans ces conditions, la question de savoir si l’article 6 de la directive 2006/11 peut être interprété comme permettant aux États membres d’instituer un tel régime soulève une difficulté sérieuse.
21 C’est ainsi que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête en annulation dirigées contre le décret no 2006-881, en tant qu’il soumet les piscicultures à un régime de déclaration au titre de la police de l’eau, ainsi que sur la requête en annulation du décret no 2006/942 et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 6 de la directive 2006/11 […] peut[-il] être interprété comme permettant aux États membres, une fois arrêtés, en application de cet article, des programmes de réduction de la pollution des eaux comprenant des normes de qualité environnementale, d’instituer, pour certaines installations réputées peu polluantes, un régime déclaratif assorti du rappel de ces normes et d’un droit, pour l’autorité administrative, de s’opposer à l’ouverture de l’exploitation ou d’imposer des valeurs limites
de rejet propres à l’installation concernée[?]»
Sur la question préjudicielle
22 Pour répondre à la question posée, il convient de relever, en premier lieu, que la directive 2006/11 ne vise pas à soumettre l’ouverture des exploitations susceptibles de déverser des substances dangereuses dans le milieu aquatique à un régime particulier, d’autorisation ou de déclaration, en fonction des caractéristiques desdites exploitations. Elle vise en revanche, comme cela ressort notamment de ses sixième à huitième considérants ainsi que de son article 3, à éliminer la pollution des eaux
entrant dans son champ d’application par les substances relevant de la liste I et à réduire la pollution des mêmes eaux causée par les substances relevant de la liste II, telles que l’ammoniaque et les nitrites. La directive 2006/11 n’a donc pas pour objet d’obliger les États membres à adopter des mesures applicables spécifiquement à certaines exploitations ou installations en tant que telles, mais elle leur impose de prendre les mesures appropriées pour éliminer ou pour réduire la pollution des
eaux causée par les rejets susceptibles de contenir des substances dangereuses, selon la nature de ces dernières.
23 Ainsi, afin de réduire la pollution des eaux par les substances relevant de la liste II, l’article 6 de la directive 2006/11 dispose notamment que les États membres arrêtent des programmes comprenant des normes de qualité environnementale pour les eaux, établies dans le respect des directives du Conseil lorsqu’elles existent. Pour l’exécution de ces programmes, ledit article 6 prévoit, à son paragraphe 2, que tout rejet effectué dans les eaux visées à l’article 1er de la même directive et
susceptible de contenir une de ces substances est soumis à une autorisation préalable, délivrée par l’autorité compétente de l’État membre concerné et fixant les normes d’émission, calculées en fonction des normes de qualité environnementale.
24 Il convient de souligner, en second lieu, que la directive 2006/11 ne prévoit aucune exception à la règle inscrite à son article 6, paragraphe 2. Ainsi, pour les raisons exposées au point 22 du présent arrêt, cette disposition n’établit pas de distinction selon les caractéristiques des installations desquelles émanent les rejets et, notamment, selon que ces installations sont réputées très polluantes ou peu polluantes. Elle n’établit pas non plus de distinction selon l’importance des rejets. Dès
lors, un régime de déclaration tel que celui décrit dans la question posée par la juridiction de renvoi ne pourrait être considéré comme permis par l’article 6 de la directive 2006/11 que s’il imposait à l’autorité administrative compétente d’adopter dans tous les cas de rejet une décision pouvant être regardée comme valant autorisation préalable au sens de cet article.
25 Or, outre qu’elle doit être préalable à tout rejet susceptible de contenir une des substances relevant de la liste II, l’autorisation prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2006/11 doit fixer les normes d’émission, lesquelles sont calculées en fonction des normes de qualité environnementale établies dans un programme arrêté par l’État membre conformément aux paragraphes 1 et 3 du même article. La Cour a d’ailleurs jugé à maintes reprises qu’il résultait de l’article 7, paragraphe 2,
de la directive 76/464, dont le libellé était identique à celui de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2006/11, que les autorisations devaient contenir des normes d’émission applicables aux rejets individuels autorisés et calculées en fonction des objectifs de qualité préalablement établis dans un programme au sens du paragraphe 1 dudit article 7, destiné à protéger les eaux des plans et des cours d’eau en cause (voir, notamment, arrêt du 2 juin 2005, Commission/Irlande, C-282/02, Rec.
p. I-4653, point 68 et jurisprudence citée). La Cour a également précisé, à propos de ce même article 7, paragraphe 2, que c’est en fonction des objectifs de qualité établis dans un tel programme, sur la base de l’examen des eaux réceptrices, que doivent être calculées les normes d’émission fixées dans les autorisations préalables (voir arrêt du 25 mai 2000, Commission/Grèce, C-384/97, Rec. p. I-3823, point 41).
26 Il en découle qu’une autorisation préalable au sens de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2006/11 implique un examen au cas par cas de toutes les demandes introduites à cette fin et ne saurait être tacite (voir, s’agissant notamment de l’article 7 de la directive 76/464, arrêt du 14 juin 2001, Commission/Belgique, C-230/00, Rec. p. I-4591, point 16).
27 En effet, d’une part, un examen préalable et spécifique de chaque rejet projeté susceptible de contenir des substances relevant de la liste II est nécessaire à la mise en œuvre des programmes de réduction de la pollution des eaux arrêtés par les États membres conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2006/11, selon lequel la soumission de tout rejet de cette nature à une autorisation préalable constitue l’un des moyens d’exécuter ces programmes. Un tel examen est également
nécessaire pour fixer dans chaque cas de rejet autorisé les normes d’émission déterminées en fonction des normes de qualité environnementale comprises dans ces programmes et visant à réduire les rejets contenant une ou plusieurs substances relevant de la liste II. Cet examen requiert en outre une appréciation de l’état concret des eaux réceptrices qui doit être pris en compte pour déterminer les normes d’émission. D’autre part, une autorisation tacite ne saurait être compatible avec l’exigence de
fixation, dans l’autorisation préalable, de normes d’émission déterminées selon les modalités décrites ci-dessus.
28 Au vu de ces considérations, un régime de déclaration, tel que celui en cause au principal, assorti du rappel des normes de qualité environnementale comprises dans les programmes de réduction de la pollution des eaux et d’un droit, pour l’autorité administrative, de s’opposer à l’ouverture de l’exploitation ou d’imposer des valeurs limites de rejet propres à l’installation concernée, ne saurait satisfaire aux exigences susmentionnées de l’article 6 de la directive 2006/11, dès lors qu’il ne
garantit pas que tous les rejets susceptibles de contenir une substance relevant de la liste II donnent préalablement lieu à un examen spécifique aboutissant à la fixation de normes d’émission qui leur sont propres, déterminées en fonction des normes de qualité environnementale applicables et de l’état concret des eaux réceptrices. Un tel régime n’impose donc pas à l’autorité administrative compétente d’adopter une décision pouvant être regardée comme valant autorisation préalable au sens de
l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2006/11.
29 De plus, ni l’existence de règles générales de préservation de la qualité des eaux superficielles ainsi que de prescriptions nationales ou particulières à certaines parties du territoire, telles que prévues aux articles L. 211-2 et L. 211-3 du code de l’environnement et telles que les prescriptions applicables aux piscicultures fixées par un arrêté pris, selon les indications données lors de l’audience, le 1er avril 2008, même assorties de sanctions, ni la communication au déclarant d’une copie
des prescriptions générales applicables, telle que celle imposée par l’article R. 214-33 du même code, ne sauraient suppléer à l’absence de fixation de normes d’émission applicables aux rejets individuels, déterminées en fonction des normes de qualité environnementale établies et de l’état concret des eaux réceptrices.
30 Par conséquent, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement français, un régime de déclaration tel que celui en cause au principal n’est pas assorti de dispositions qui puissent l’assimiler en pratique à un régime d’autorisation simplifié remplissant les exigences fixées à l’article 6 de la directive 2006/11.
31 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, contrairement à ce qu’ont soutenu les gouvernements français, italien et néerlandais dans leurs observations écrites ou orales, un régime de déclaration assorti d’un droit d’opposition, même s’il repose sur un objectif de simplification des procédures administratives et de meilleure allocation des moyens de contrôle, tel que celui en cause au principal, ne peut être considéré comme équivalent au régime d’autorisation préalable prévu à
l’article 6 de la directive 2006/11.
32 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument avancé par le gouvernement néerlandais lors de l’audience, et soutenu également par le gouvernement français, tiré de la directive-cadre sur l’eau.
33 Certes, les États membres peuvent d’ores et déjà, au titre de la disposition transitoire inscrite à l’article 22, paragraphe 3, sous b), de la directive-cadre sur l’eau, appliquer, aux fins de l’article 6 de la directive 2006/11, «les principes prévus dans la [directive-cadre sur l’eau] pour l’identification des problèmes de pollution et des substances qui en sont la cause, l’établissement des normes de qualité et l’adoption de mesures». En particulier, ainsi que la Commission des Communautés
européennes l’a rappelé lors de l’audience, l’article 11, paragraphe 3, sous g), de la directive-cadre sur l’eau permet, pour les rejets ponctuels susceptibles de causer une pollution, l’adoption, notamment, d’un régime d’enregistrement et n’impose donc pas nécessairement un régime d’autorisation préalable.
34 Toutefois, ce régime d’enregistrement ne se conçoit, même à titre transitoire, que dans le cadre de la mise en œuvre de la directive-cadre sur l’eau. Or, ledit régime d’enregistrement ne peut être appliqué indépendamment d’autres mesures prévues par cette directive — dont l’existence dans le contexte de la cause au principal ne ressort ni de la décision de renvoi ni des observations présentées par le gouvernement français — et suppose notamment, ainsi que cela ressort de l’article 11 de cette
même directive, l’identification préalable de districts hydrographiques, la réalisation pour chacun d’eux d’analyses ainsi que l’élaboration d’un programme de mesures tenant compte des résultats de ces analyses de même que la définition des contrôles d’émission pour les polluants concernés.
35 En conséquence de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 6 de la directive 2006/11 ne peut être interprété comme permettant aux États membres, une fois arrêtés, en application de cet article, des programmes de réduction de la pollution des eaux comprenant des normes de qualité environnementale, d’instituer, pour certaines installations réputées peu polluantes, un régime de déclaration assorti du rappel de ces normes et d’un droit, pour l’autorité
administrative, de s’opposer à l’ouverture de l’exploitation ou d’imposer des valeurs limites de rejet propres à l’installation concernée.
Sur les dépens
36 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
L’article 6 de la directive 2006/11/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 février 2006, concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté, ne peut être interprété comme permettant aux États membres, une fois arrêtés, en application de cet article, des programmes de réduction de la pollution des eaux comprenant des normes de qualité environnementale, d’instituer, pour certaines installations réputées peu polluantes, un
régime de déclaration assorti du rappel de ces normes et d’un droit, pour l’autorité administrative, de s’opposer à l’ouverture de l’exploitation ou d’imposer des valeurs limites de rejet propres à l’installation concernée.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: le français.