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15/05/2008 | CJUE | N°C-442/04

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Royaume d’Espagne contre Conseil de l’Union européenne., 15/05/2008, C-442/04


Affaire C-442/04

Royaume d’Espagne

contre

Conseil de l’Union européenne

«Pêche — Règlement (CE) nº 1954/2003 — Règlement (CE) nº 1415/2004 — Gestion de l’effort de pêche — Fixation du niveau maximal annuel d’effort de pêche — Période de référence — Zones et ressources de pêche communautaires — Zones biologiquement sensibles — Acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités — Exception d’illégalité — Recevabilité — Principe de n

on-discrimination — Détournement de pouvoir»

Sommaire de l'arrêt

1. Exception d'illégalité — Caractère incident...

Affaire C-442/04

Royaume d’Espagne

contre

Conseil de l’Union européenne

«Pêche — Règlement (CE) nº 1954/2003 — Règlement (CE) nº 1415/2004 — Gestion de l’effort de pêche — Fixation du niveau maximal annuel d’effort de pêche — Période de référence — Zones et ressources de pêche communautaires — Zones biologiquement sensibles — Acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités — Exception d’illégalité — Recevabilité — Principe de non-discrimination — Détournement de pouvoir»

Sommaire de l'arrêt

1. Exception d'illégalité — Caractère incident

(Art. 230, al. 5, CE et 241 CE)

2. Procédure — Autorité de la chose jugée

3. Pêche — Conservation des ressources de la mer — Régime de gestion de l'effort de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires

(Art. 34, § 2, CE; règlement du Conseil nº 1954/2003, art. 3, 4 et 6)

4. Pêche — Conservation des ressources de la mer — Régime de gestion de l'effort de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires

(Art. 241 CE; règlement du Conseil nº 1954/2003, art. 6)

1. Un État membre peut, à l'occasion d'un litige, contester la légalité d'un règlement contre lequel il n'a pas formé de recours en annulation avant l'expiration du délai prévu à l'article 230, cinquième alinéa, CE. Alors qu'une telle exception d'illégalité doit en principe, pour être recevable, avoir été formulée dans la requête, sa formulation explicite seulement dans la réplique sans introduction d'autres moyens à l'appui de ladite exception que ceux déjà avancés dans la requête est
également recevable, dans la mesure où elle était déjà implicitement mais clairement contenue dans la requête.

(cf. points 22-24)

2. L’exception d’illégalité d'un règlement soulevée par un État membre ne se heurte pas à l’autorité de la chose jugée attachée à un précédent arrêt si la Cour n’a pas statué dans celui-ci sur la légalité des dispositions dudit règlement visées par l’exception d’illégalité, mais a rejeté les conclusions tendant à leur annulation au motif qu’elles étaient irrecevables. En effet, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou
nécessairement tranchés par la décision judiciaire en cause.

(cf. point 25)

3. Le principe de non-discrimination, tel qu’il est consacré à l’article 34, paragraphe 2, CE, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié.

Les dispositions des articles 3, 4 et 6 du règlement nº 1954/2003, concernant la gestion de l’effort de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires, sont applicables de façon identique à tous les États membres. En particulier, la période de référence allant de 1998 à 2002 et servant, en vertu de ces dispositions, à l’évaluation puis à l’allocation des niveaux d’effort de pêche pour les pêcheries et les zones visées par celles-ci est la même pour toute la Communauté
européenne. La limitation de l'effort de pêche déterminée en fonction de l’effort effectivement exercé pendant cette période par chaque flotte nationale dans ces zones et pêcheries s’applique donc à tous les navires de pêche communautaires, quelle que soit leur nationalité. Dès lors, les mesures contenues dans ces dispositions ne peuvent être considérées comme discriminatoires à l’égard d'un État membre que, d’une part, si celui-ci se trouvait dans une situation différente de celle des autres États
membres lorsqu’elles ont été adoptées et, d’autre part, s’il n’est pas objectivement justifié, le cas échéant, que cet État soit soumis au même régime de gestion de l’effort de pêche que celui applicable aux autres États membres.

La soumission d'un État membre, qui se trouvait lors de l'adoption du règlement nº 1954/2003 dans une situation différente de celle des autres États membres, au même régime de gestion de l’effort de pêche que celui applicable aux autres États membres, établi par ledit règlement, apparaît objectivement justifiée dans la mesure où, d'une part, ce régime prévoit une méthode d’évaluation de l’effort de pêche reposant sur des données objectives, à savoir l’effort de pêche effectivement exercé par chaque
État membre dans les zones et pêcheries concernées au cours d’une période récente de cinq années, et où, d’autre part, ce régime a pour objectif de contribuer à la pérennité des ressources halieutiques en faisant en sorte, selon le quatrième considérant dudit règlement, que les niveaux actuels globaux de l’effort de pêche ne connaissent aucun accroissement.

(cf. points 35-36, 40-41)

4. Un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce.

La circonstance que des mesures techniques visant à la protection des juvéniles d’organismes marins puissent également relever d’un autre règlement et le fait qu’il puisse exister d’autres zones biologiquement sensibles ne démontrent pas que le Conseil a commis un détournement de pouvoir en adoptant un régime spécifique de gestion de l’effort de pêche pour une zone biologiquement sensible à l’article 6 du règlement nº 1954/2003, concernant la gestion de l’effort de pêche concernant certaines zones
et ressources de pêche communautaires.

(cf. points 49-50)

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

15 mai 2008 (*)

«Pêche – Règlement (CE) n° 1954/2003 – Règlement (CE) n° 1415/2004 – Gestion de l’effort de pêche – Fixation du niveau maximal annuel d’effort de pêche – Période de référence – Zones et ressources de pêche communautaires – Zones biologiquement sensibles – Acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités – Exception d’illégalité – Recevabilité – Principe de non-discrimination – Détournement de pouvoir»

Dans l’affaire C‑442/04,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduit le 21 octobre 2004,

Royaume d’Espagne, représenté par MM. E. Braquehais Conesa et M. A. Sampol Pucurull, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. J. Monteiro et F. Florindo Gijón, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. T. van Rijn et F. Jimeno Fernández, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. J. Makarczyk, P. Kūris (rapporteur), J.‑C. Bonichot et M^me C. Toader, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 31 janvier 2008,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, le Royaume d’Espagne demande l’annulation des articles 1^er à 6 du règlement (CE) n° 1415/2004 du Conseil, du 19 juillet 2004, fixant le niveau maximal annuel d’effort de pêche pour certaines zones de pêche et pêcheries (JO L 258, p. 1).

Le cadre juridique

Le règlement (CE) n° 1954/2003

2 L’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59), prévoit que «le Conseil arrête les mesures communautaires régissant l’accès aux zones et aux ressources et l’exercice durable des activités de pêche». L’article 4, paragraphe 2, sous f), du même règlement mentionne, parmi ces mesures, celles visant à la
limitation de l’effort de pêche, celui-ci étant, pour un navire, le produit de sa capacité et de son activité et, pour un groupe de navires, la somme de l’effort de pêche de chacun des navires du groupe.

3 Le règlement (CE) n° 1954/2003 du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant la gestion de l’effort de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires, modifiant le règlement (CEE) n° 2847/93 et abrogeant les règlements (CE) n° 685/95 et (CE) n° 2027/95 (JO L 289, p. 1), est l’une de ces mesures qui, aux termes de son article 1^er, établit les critères et les procédures d’un régime de gestion de l’effort de pêche dans les zones CIEM V, VI, VII, VIII, IX et X ainsi que
les zones Copace 34.1.1, 34.1.2 et 34.2.0.

4 Selon les deuxième et quatrième considérants du règlement n° 1954/2003, celui-ci vise notamment, après l’expiration intervenue le 31 décembre 2002 des dispositions de l’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23, ci-après l’«acte d’adhésion») régissant l’accès à certaines zones et ressources, à adapter au nouveau cadre législatif certaines dispositions des règlements (CE) n° 685/95 du
Conseil, du 27 mars 1995, relatif à la gestion des efforts de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires (JO L 71, p. 5), et (CE) n° 2027/95 du Conseil, du 15 juin 1995, instituant un régime de gestion de l’effort de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires (JO L 199, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 149/1999 du Conseil, du 19 janvier 1999 (JO L 18, p. 3), ainsi qu’à faire en sorte que les niveaux globaux de l’effort de pêche
ne connaissent aucun accroissement dans les zones concernées.

5 L’article 3 du règlement n° 1954/2003, intitulé «Mesures concernant la capture des espèces démersales ainsi que de certains mollusques et crustacés», prévoit ce qui suit:

«1. Excepté pour ce qui concerne la zone définie à l’article 6, paragraphe 1, les États membres:

a) évaluent les niveaux de l’effort de pêche exercé par des navires d’une longueur hors tout égale ou supérieure à 15 mètres, en moyenne annuelle de la période allant de 1998 à 2002 pour chacune des zones CIEM ou Copace visées à l’article 1^er, pour les pêcheries démersales, à l’exclusion des pêcheries démersales qui font l’objet du règlement (CE) n° 2347/2002 du Conseil du 16 décembre 2002 établissant des conditions spécifiques d’accès aux pêcheries des stocks d’eau profonde et fixant les
exigences y afférentes, ainsi que pour les pêcheries ciblant la coquille Saint-Jacques, le tourteau et l’araignée de mer, comme il est prévu à l’annexe. Pour le calcul de l’effort de pêche, la capacité d’un navire est mesurée en puissance installée exprimée en kilowatts (kW);

b) allouent les niveaux d’effort de pêche résultant des évaluations visées au point a), dans chaque zone CIEM ou Copace, pour chacune des pêcheries mentionnées [sous] a).

[…]»

6 Aux termes de l’article 4 du règlement n° 1954/2003:

«1. L’effort de pêche des navires d’une longueur hors tout égale ou inférieure à 15 mètres est évalué globalement pour chaque pêcherie et pour chaque zone ou division visée à l’article 3, paragraphe 1, pour la période 1998-2002.

2. L’effort de pêche des navires d’une longueur hors tout égale ou inférieure à 10 mètres est évalué globalement pour chaque pêcherie et pour chaque zone ou division visée à l’article 6, paragraphe 1, pour la période 1998-2002.

3. Les États membres veillent à ce que l’effort de pêche de ces navires soit limité au niveau de l’effort de pêche évalué conformément aux paragraphes 1 et 2.»

7 Par ailleurs, l’article 6 du règlement n° 1954/2003 établit un régime spécifique de gestion de l’effort de pêche applicable à une zone biologiquement sensible délimitée au large des côtes irlandaises, pour laquelle «les États membres évaluent les niveaux de l’effort de pêche exercé par des navires d’une longueur hors tout égale ou supérieure à 10 mètres, en moyenne annuelle de la période allant de 1998 à 2002 pour les pêcheries démersales, à l’exclusion de celles qui font l’objet du
règlement (CE) n° 2347/2002 ainsi que pour la pêche aux coquilles Saint-Jacques, aux tourteaux et aux araignées de mer, et allouent les niveaux d’effort de pêche ainsi évalués pour chacune de ces pêcheries».

8 Enfin, l’article 11, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1954/2003 prévoit que, sur la base des informations notifiées par les États membres à la Commission des Communautés européennes, celle‑ci présente au Conseil de l’Union européenne une proposition de règlement fixant les niveaux maximaux d’effort de pêche annuel pour chaque État membre ainsi que pour chacune des zones et chacune des pêcheries définies aux articles 3 et 6, et que le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur
proposition de la Commission, détermine ces niveaux. C’est en application de cette disposition que le Conseil a adopté le règlement n° 1415/2004.

Le règlement n° 1415/2004

9 Le règlement n° 1415/2004 est libellé comme suit:

«Article premier

Objet

Le présent règlement fixe le niveau maximal annuel d’effort de pêche pour chaque État membre, chaque zone et pêcherie définie aux articles 3 et 6 du règlement (CE) n° 1954/2003.

Article 2

Niveaux maximaux

1. Les niveaux maximaux d’effort de pêche annuel par groupes d’espèces, zone et pêcherie, et par État membre, pour les zones définies à l’article 3, paragraphe 1, points a) et b), du règlement (CE) n° 1954/2003, figurent à l’annexe I du présent règlement.

2. Les niveaux maximaux d’effort de pêche annuel par groupes d’espèces, zone et pêcherie, et par État membre, pour la zone définie à l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1954/2003 figurent à l’annexe II du présent règlement.

Article 3

Passage au travers d’une zone

1. Chaque État membre s’assure que l’utilisation des attributions de l’effort de pêche par zone définie aux articles 3 et 6 du règlement (CE) n° 1954/2003 n’aboutira pas à une période de pêche plus longue comparée aux niveaux d’effort de pêche appliqués durant la période de référence.

2. Un effort de pêche établi en raison du passage d’un navire au travers d’une zone dans laquelle aucune activité de pêche n’a eu lieu durant la période de référence ne peut être utilisé en vue d’effectuer des opérations de pêche dans cette zone. Chaque État membre enregistre un tel effort de pêche de manière séparée.

Article 4

Méthodologie

Chaque État membre veille à ce que la méthode utilisée pour enregistrer l’effort de pêche soit la même que celle qui est appliquée pour évaluer les niveaux de l’effort de pêche conformément aux articles 3 et 6 du règlement (CE) n° 1954/2003.

Article 5

Respect des autres régimes de limitation de l’effort de pêche

Les niveaux maximaux annuels d’effort de pêche fixés aux annexes I et II sont sans préjudice des limitations de l’effort de pêche établies en vertu des plans de reconstitution ou de toute mesure de gestion dans le cadre de la législation communautaire, à condition que le niveau minimal de l’effort de pêche soit respecté.

Article 6

Entrée en vigueur

Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

Le présent règlement est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre.

[…]»

La procédure et les conclusions des parties

10 Le Royaume d’Espagne ayant introduit, le 29 janvier 2004, un recours, enregistré sous la référence C‑36/04, tendant à l’annulation des articles 3, 4 et 6 du règlement n° 1954/2003, il a été décidé, le 2 mars 2005, de suspendre la procédure dans la présente affaire jusqu’au prononcé de l’arrêt statuant sur ce recours.

11 Par ordonnance du président de la Cour du 9 mars 2005, la Commission a été admise à intervenir à l’appui des conclusions du Conseil dans la présente affaire.

12 La Cour, par arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil (C‑36/04, Rec. p. I‑2981), a rejeté le recours visant à l’annulation des seuls articles 3, 4 et 6 du règlement n° 1954/2003 en jugeant que ces dispositions étaient inséparables du reste de ce règlement, en sorte que ce recours était irrecevable.

13 À la suite de cet arrêt et de la reprise de la procédure dans la présente affaire, le Royaume d’Espagne a soulevé formellement dans sa réplique une exception d’illégalité du règlement n° 1954/2003 et a maintenu ses conclusions visant à l’annulation des articles 1^er à 6 du règlement n° 1415/2004 et à la condamnation de l’institution défenderesse aux dépens.

14 Le Conseil et la Commission ont conclu au rejet du recours et à la condamnation du Royaume d’Espagne aux dépens.

Sur la recevabilité de l’exception d’illégalité

Argumentation des parties

15 Le Conseil estime que l’exception d’illégalité du règlement n° 1954/2003 soulevée par le Royaume d’Espagne est irrecevable, car, d’une part, elle aurait été invoquée tardivement, à savoir au stade de la réplique et non de la requête, et, d’autre part, l’État membre ne pourrait, en tout état de cause, contester la validité dudit règlement après l’expiration du délai fixé à l’article 230, cinquième alinéa, CE.

16 Il fait valoir, d’une part, que l’article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure interdit la production de moyens nouveaux en cours d’instance et que le rejet du recours formé par le Royaume d’Espagne dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Espagne/Conseil, précité, ne saurait être considéré comme un fait nouveau, au sens de cette disposition.

17 Il fait observer, d’autre part, que, si un État membre était autorisé à contester la validité d’un règlement communautaire après l’expiration du délai prévu à l’article 230, cinquième alinéa, CE en soulevant une exception d’illégalité à chaque fois qu’une institution adopte un acte d’exécution de ce règlement, cela permettrait de remettre en cause indéfiniment des actes communautaires emportant des effets juridiques et serait contraire à l’objectif des délais de recours qui est de garantir
la sécurité juridique. Bien que le règlement n° 1954/2003 ait été attaqué dans le délai susmentionné par le Royaume d’Espagne dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Espagne/Conseil, précité, et qu’il ne s’agisse pas d’une décision, il conviendrait néanmoins d’appliquer en l’espèce la jurisprudence selon laquelle le destinataire d’une décision adoptée par les institutions communautaires et n’ayant pas été attaquée par celui-ci dans le délai prévu à l’article 230, cinquième alinéa, CE ne peut
exciper de l’illégalité de cette décision, celle-ci étant devenue définitive à son égard (arrêts du 15 novembre 1983, Commission/France, 52/83, Rec. p. 3707, point 10; du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf, C‑188/92, Rec. p. I‑833, point 13, et du 15 février 2001, Nachi Europe, C‑239/99, Rec. p. I‑1197, point 29).

18 La Commission, qui intervient au soutien du Conseil et entend voir rejeter le recours comme étant non fondé, expose que le règlement n° 1954/2003 et le règlement n° 1415/2004, qui ne fait que mettre en œuvre le précédent, sont si étroitement liés que le présent recours n’est qu’une répétition, presque littérale, du recours ayant donné lieu à l’arrêt Espagne/Conseil, précité. Le présent recours ne serait pas réellement dirigé contre le règlement n° 1415/2004, mais serait plutôt dirigé contre
les articles 3, 4 et 6 du règlement n° 1954/2003, aucun des moyens avancés ne mentionnant spécifiquement ou directement le règlement n° 1415/2004. En définitive, en poursuivant la présente procédure après le prononcé de l’arrêt Espagne/Conseil, précité, le Royaume d’Espagne tenterait d’échapper aux effets de cet arrêt. Ce dernier ayant rejeté son recours, le présent recours serait «sans objet».

19 En outre, selon la Commission, la partie requérante ne pourrait soulever une exception d’illégalité d’un acte contre lequel elle a pu former un recours en annulation. De surcroît, cette exception, qui ne soulève pas une question d’ordre public, aurait dû être explicitement invoquée dès le stade de la requête. Elle aurait été soulevée hors délai et constituerait l’introduction d’un moyen nouveau ainsi que la modification de la demande initiale, en violation de l’article 42 du règlement de
procédure. Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission considère que le présent recours devrait être rejeté sans qu’il soit nécessaire d’examiner le fond de l’affaire.

20 Le Royaume d’Espagne soutient que les règlements n^os 1954/2003 et 1415/2004 présentent un lien juridique direct et que l’arrêt Espagne/Conseil, précité, constitue un élément de fait et de droit nouveau qui s’est révélé pendant la procédure, de sorte que l’exception d’illégalité qu’il soulève est recevable. Il ajoute que cette exception ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique ni au principe de la chose jugée, puisqu’il a formé dans les délais un recours contre le règlement de
base et le règlement d’exécution et que la Cour n’a pas statué au fond dans son précédent arrêt.

Appréciation de la Cour

21 Aux termes de l’article 241 CE, «[n]onobstant l’expiration du délai prévu à l’article 230, cinquième alinéa, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un règlement arrêté conjointement par le Parlement européen et le Conseil ou un règlement du Conseil, de la Commission ou de la [Banque centrale européenne], se prévaloir des moyens prévus à l’article 230, deuxième alinéa, pour invoquer devant la Cour de justice l’inapplicabilité de ce règlement».

22 Il résulte de cet article qu’un État membre peut, à l’occasion d’un litige, contester la légalité d’un règlement contre lequel il n’a pas formé de recours en annulation avant l’expiration du délai prévu à l’article 230, cinquième alinéa, CE. Il convient d’observer à cet égard que, le droit des États membres de former un recours en annulation contre un règlement n’étant pas restreint, la fin de non-recevoir opposée par le Conseil et la Commission selon laquelle, en substance, un État membre
ne peut exciper de l’illégalité d’un règlement après l’expiration du délai susmentionné, dès lors qu’il pouvait demander l’annulation de celui-ci dans ce délai, reviendrait, si elle était accueillie, à dénier aux États membres le droit de discuter à l’occasion d’un litige la légalité d’un règlement pour invoquer devant la Cour son inapplicabilité. Une telle solution étant, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 61 de ses conclusions, contraire au libellé même de l’article 241 CE qui ouvre
ce droit à «toute partie» (voir arrêt du 10 juillet 2003, Commission/BCE, C‑11/00, Rec. p. I‑7147, point 76), il y a lieu d’écarter cette fin de non-recevoir.

23 S’agissant de la fin de non-recevoir opposée par le Conseil et par la Commission, tirée de la tardiveté de l’exception d’illégalité soulevée par le Royaume d’Espagne, il est constant que cette exception a été formellement présentée dans la réplique, après le prononcé de l’arrêt Espagne/Conseil, précité, rejetant le recours formé par le requérant contre les articles 3, 4 et 6 du règlement n° 1954/2003, alors que, d’une part, une telle exception doit en principe, pour être recevable, avoir été
formulée dans la requête et, d’autre part, le rejet de ce recours ne saurait, contrairement aux prétentions du Royaume d’Espagne, être considéré comme un élément de fait ou de droit révélé pendant la procédure au sens de l’article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 1^er avril 1982, Dürbeck/Commission, 11/81, Rec. p. 1251, point 17).

24 Toutefois, en l’espèce, il ressort de la requête que le Royaume d’Espagne demande par celle-ci l’annulation des articles 1^er à 6 du règlement n° 1415/2004, qui constituent l’ensemble des dispositions de ce règlement, au seul motif que ce dernier met en œuvre les articles 3, 4 et 6 du règlement n° 1954/2003 dont il conteste la légalité en soutenant que ces articles portent atteinte au principe de non-discrimination et que le Conseil a commis un détournement de pouvoir en adoptant l’article 6
de ce dernier règlement. Or, tout en soulevant explicitement dans la réplique une exception d’illégalité du règlement n° 1954/2003, pris dans son ensemble, le Royaume d’Espagne n’introduit pas, à l’appui de celle-ci, d’autres moyens que ceux déjà avancés dans la requête, sur lesquels le Conseil a pu prendre position dès le mémoire en défense. Il apparaît donc que l’exception d’illégalité du règlement n° 1954/2003 était implicitement mais clairement contenue dans la requête, en sorte que la fin de
non-recevoir tirée de la tardiveté de celle-ci doit également être rejetée.

25 Il convient d’observer en outre que l’exception d’illégalité du règlement n° 1954/2003 soulevée par le Royaume d’Espagne ne se heurte pas à l’autorité de la chose jugée. Celle-ci ne s’attache en effet qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision judiciaire en cause (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec.
p. I‑8375, point 44 ainsi que jurisprudence citée). Or, par son arrêt Espagne/Conseil, précité, la Cour n’a pas statué sur la légalité des articles 3, 4 et 6 du règlement n° 1954/2003 visés par l’exception d’illégalité soulevée dans la présente affaire, mais a rejeté les conclusions tendant à leur annulation au motif qu’elles étaient irrecevables.

26 Il résulte de tout ce qui précède que l’exception d’illégalité soulevée par le Royaume d’Espagne est recevable et qu’il convient d’examiner au fond les moyens avancés à son soutien, lesquels sont tirés, premièrement, d’une violation du principe de non-discrimination et, deuxièmement, d’un détournement de pouvoir.

Sur le bien-fondé de l’exception d’illégalité

Sur le moyen tiré d’une violation du principe de non-discrimination

Argumentation des parties

27 Invoquant les articles 12 CE et 34, paragraphe 2, CE, le Royaume d’Espagne soutient que les articles 3, 4 et 6 du règlement n° 1954/2003, mis en œuvre par le règlement n° 1415/2004, contiennent des éléments discriminatoires à l’égard de la flotte espagnole par rapport à celle des autres États membres, le Conseil n’ayant pas tenu compte de la situation spécifique de cette flotte découlant de l’acte d’adhésion. Ces éléments discriminatoires résideraient dans la période de référence retenue
dans ces articles pour calculer l’effort de pêche ainsi que dans la délimitation de la zone biologiquement sensible définie à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1954/2003.

28 En effet, en premier lieu, la période de référence retenue, allant de 1998 à 2002, correspondrait à une période durant laquelle le Royaume d’Espagne était soumis, en raison du régime transitoire instauré par l’acte d’adhésion et expirant le 31 décembre 2002, à des restrictions en matière de pêche plus importantes que celles s’imposant aux autres États membres. Depuis l’année 1996, après la révision du régime transitoire intervenue au cours de l’année 1995 avec les règlements n^os 685/95 et
2027/95, seule la flotte espagnole se serait vu appliquer un régime poursuivant, d’une part, les restrictions d’accès aux zones CIEM V b, VI, VII et VIII a, b, d et e prévues à l’article 158 de l’acte d’adhésion et limitant, d’autre part, la présence simultanée de navires dans la zone sensible appelée «Irish Box», désormais partiellement couverte par la zone biologiquement sensible définie à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1954/2003. Par conséquent, les États membres n’étant pas dans une
situation identique au cours de la période de référence, le fait de retenir celle-ci pour calculer l’effort de pêche aurait pour effet de perpétuer des mesures transitoires et, partant, une discrimination en raison de la nationalité.

29 En second lieu, l’établissement de la zone biologiquement sensible et la procédure de calcul du niveau maximal annuel d’effort de pêche pour cette zone seraient discriminatoires pour la flotte espagnole et manifesteraient une tentative de poursuivre l’application de mesures analogues à celles qui étaient applicables à l’ancienne Irish Box, également discriminatoires pour la flotte espagnole. La raison de la délimitation de cette zone donnée par le septième considérant du règlement
n° 1954/2003, à savoir l’existence en ce lieu d’une forte concentration de merlus juvéniles, ne servirait en réalité qu’à justifier le maintien de ces mesures discriminatoires.

30 Le Conseil expose que la limitation de l’effort de pêche est une mesure visant à limiter le nombre de jours de pêche de certains navires dans des eaux déterminées dans le but de contribuer à la pérennité des ressources halieutiques et rendant également plus efficaces les limitations de captures instituées pour certains stocks de poissons. Il fait valoir que la limitation de l’effort de pêche en fonction de l’effort réalisé par chaque flotte nationale dans chaque zone et pour chaque pêcherie
pendant la période allant de 1998 à 2002, fixée par le règlement n° 1954/2003, s’applique à tous les navires de pêche communautaires, quelle que soit leur nationalité, de sorte qu’il n’existe pas de discrimination ostensible en raison de la nationalité. Si toutes les formes dissimulées de discrimination sont également prohibées, il convient cependant, selon le Conseil, de tenir compte de la jurisprudence selon laquelle une mesure ne doit être considérée comme une discrimination que si elle est
arbitraire, c’est-à-dire dépourvue de justification et non fondée sur des critères de nature objective (arrêts du 15 septembre 1982, Kind/CEE, 106/81, Rec. p. 2885, point 22; du 9 juillet 1985, Bozzetti, 179/84, Rec. p. 2301, point 34, et du 14 juillet 1994, Grèce/Conseil, C‑353/92, Rec. p. I‑3411, point 25). Or, le critère utilisé en l’espèce pour limiter l’effort de pêche, à savoir l’effort déployé dans une période précédente récente, serait pleinement justifié, approprié et proportionné au but
poursuivi.

31 En outre, selon le Conseil, le requérant n’établit ni que les limitations de l’effort de pêche imposées par les règlements n^os 685/95 et 2027/95 étaient plus strictes que celles imposées aux autres États membres, ni que, en l’absence de ces limitations, l’effort exercé par les navires espagnols aurait été supérieur à celui effectivement exercé pendant la période allant de 1998 à 2002.

32 S’agissant de la limitation de l’effort de pêche dans la zone biologiquement sensible définie à l’article 6 du règlement n° 1954/2003, le Conseil expose qu’une restriction spécifique de l’effort de pêche dans cette zone vise à prévenir le risque que, du fait de la restriction s’appliquant à de grandes zones telles que les zones CIEM et Copace, l’effort de pêche se concentre sur des zones spécifiques, comme celle en cause, dans laquelle il existe une forte concentration de merlus juvéniles.
Cette zone ne se confondrait pas avec l’Irish Box, puisqu’elle représenterait moins de la moitié de celle-ci, de sorte que, à supposer que les limitations imposées au Royaume d’Espagne dans cette dernière par les règlements n^os 685/95 et 2027/95 fussent plus strictes que celles s’appliquant aux autres États membres et que l’effort de la flotte espagnole eût été supérieur dans cette zone pendant la période allant de 1998 à 2002 si ces restrictions n’étaient pas intervenues, il ne serait pas établi
qu’il en résulte des conséquences négatives pour la flotte espagnole.

33 La Commission, faisant observer que le mode de calcul de l’effort de pêche déterminé par le règlement n° 1954/2003 est identique pour tous les États membres, soutient que la période de référence allant de 1998 à 2002 n’entraîne aucune discrimination au détriment de la flotte espagnole. Elle fait observer à cet égard que, tandis que les limites maximales de l’effort de pêche avaient été fixées dans le cadre du régime instauré en 1995 sur la base de données théoriques, les niveaux maximaux de
l’effort de pêche doivent désormais être calculés, en application du règlement n° 1954/2003, en fonction d’un critère objectif, à savoir l’effort de pêche effectivement exercé au cours d’une période récente et représentative.

34 Concernant la zone biologiquement sensible, la Commission est d’avis que la période allant de 1998 à 2002 peut valablement servir de période de référence pour le calcul de l’effort de pêche dans cette zone qui ne coïncide pas entièrement avec l’Irish Box, puisqu’elle reflète l’effort effectivement exercé par la flotte espagnole et ne cause à celle-ci aucun préjudice. Cette flotte aurait développé une activité intense de pêche dans certaines zones adjacentes à l’Irish Box, aujourd’hui
incluses dans la zone biologiquement sensible, et l’effort de pêche qu’elle a ainsi exercé serait désormais pris en compte dans l’effort qu’elle peut déployer dans l’ensemble de cette zone. Le Royaume d’Espagne n’apporterait d’ailleurs aucun élément démontrant que la limite en vigueur dans l’Irish Box ait eu pour effet de réduire l’activité de sa flotte et même que cette dernière ait atteint cette limite.

Appréciation de la Cour

35 Le principe de non-discrimination, tel qu’il est consacré à l’article 34, paragraphe 2, CE, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêts du 17 octobre 1995, Fishermen’s Organisations e.a., C‑44/94, Rec. p. I‑3115, point 46; du 9 septembre 2004, Espagne/Commission, C‑304/01, Rec. p. I‑7655, point 31, et du 8
novembre 2007, Espagne/Conseil, C‑141/05, non encore publié au Recueil, point 40).

36 En l’espèce, les dispositions des articles 3, 4 et 6 du règlement n° 1954/2003, dont l’illégalité est invoquée par le Royaume d’Espagne, sont applicables de façon identique à tous les États membres. En particulier, la période de référence allant de 1998 à 2002 et servant, en vertu de ces dispositions, à l’évaluation puis à l’allocation des niveaux d’effort de pêche pour les pêcheries et les zones visées par celles-ci est la même pour toute la Communauté européenne. La limitation de l’effort
de pêche déterminée en fonction de l’effort effectivement exercé pendant cette période par chaque flotte nationale dans ces zones et pêcheries s’applique donc à tous les navires de pêche communautaires, quelle que soit leur nationalité. Dès lors, les mesures contenues dans ces dispositions ne peuvent être considérées comme étant discriminatoires à l’égard du Royaume d’Espagne que, d’une part, si celui-ci se trouvait, comme il le prétend, dans une situation différente de celle des autres États
membres lorsqu’elles ont été adoptées et, d’autre part, s’il n’est pas objectivement justifié, le cas échéant, que le Royaume d’Espagne soit soumis au même régime de gestion de l’effort de pêche que celui applicable aux autres États membres.

37 Il y a lieu de constater à cet égard que, ainsi qu’il a été relevé aux points 61 et 62 des conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, précité, auxquels renvoie le point 95 des conclusions de M. l’avocat général dans la présente affaire, le Royaume d’Espagne a été soumis depuis son adhésion à l’Union européenne, et ce jusqu’au 31 décembre 2002, à certaines restrictions en matière d’accès à certaines zones et ressources de
pêche et que sa situation, en dépit d’un alignement progressif sur celle des autres États membres, a continué à présenter des particularités jusqu’à la fin de cette période, et donc pendant la période de référence allant de 1998 à 2002 retenue par les dispositions en cause pour déterminer l’effort de pêche.

38 L’acte d’adhésion a en effet défini, à ses articles 156 à 166, un régime d’accès aux eaux communautaires et à leurs ressources limitant les possibilités de pêche des navires espagnols dans certaines zones des eaux communautaires. Ainsi, l’article 158 de l’acte d’adhésion mentionné par le Royaume d’Espagne dans la requête prévoyait que 300 navires, déterminés avec leurs caractéristiques techniques sur la liste nominative figurant à l’annexe IX de l’acte d’adhésion, pouvaient être autorisés à
exercer leurs activités de pêche dans les zones CIEM V b, VI, VII, VIII a, b et d, et fixait les conditions régissant la présence simultanée des navires figurant sur cette liste dans lesdites zones. Cet article 158 excluait en outre l’accès à l’Irish Box. L’article 166 de l’acte d’adhésion précisait que le régime défini aux articles 156 à 164 de celui-ci demeurerait applicable jusqu’à la date d’expiration de la période prévue à l’article 8, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 170/83 du Conseil, du
25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche (JO L 24, p. 1), soit le 31 décembre 2002. L’article 162 de l’acte d’adhésion prévoyait cependant une procédure d’évaluation et d’adaptation de ce régime en indiquant que les adaptations qui s’avéreraient nécessaires prendraient effet le 1^er janvier 1996.

39 C’est ainsi que le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1275/94, du 30 mai 1994, relatif aux adaptations du régime prévu aux chapitres «Pêche» de l’acte d’adhésion de l’Espagne et du Portugal (JO L 140, p. 1), ainsi que les règlements n^os 685/95 et 2027/95, abrogés par le règlement n° 1954/2003. L’article 1^er du règlement n° 1275/94 dispose, en ce qui concerne le Royaume d’Espagne, que, à partir du 1^er janvier 1996, le régime d’accès aux eaux et aux ressources fixé aux articles 156 à 166
de l’acte d’adhésion est, conformément aux articles suivants du règlement, adapté et intégré dans les mesures communautaires prévues aux articles 3 et 4 du même règlement qui s’appliquent à tous les navires communautaires. L’article 3 du même règlement prévoit que le Conseil adopte, conformément aux articles 4 et 8 du règlement (CEE) n° 3760/92 du Conseil, du 20 décembre 1992, instituant un régime communautaire de la pêche et de l’aquaculture (JO L 389, p. 1), les mesures communautaires fixant les
conditions d’accès aux zones et aux ressources soumises à une réglementation spécifique en vertu des articles 156 à 166 de l’acte d’adhésion et que ces mesures doivent respecter le principe de non-augmentation de l’effort de pêche dont le niveau est fixé aux articles 158, 160, 164 et 165 de l’acte d’adhésion. Conformément à cet article 3, le Conseil a adopté le règlement n° 685/95 qui établissait, avec effet au 1^er janvier 1996, les critères et les procédures pour l’instauration d’un régime de
gestion de l’effort de pêche dans les zones CIEM V b, VI, VII, VIII, IX et X ainsi que Copace 34.1.1, 34.1.2 et 34.2.0. Ce régime a ensuite été établi par le règlement n° 2027/95 qui fixait, pour chaque État membre, le niveau maximal de l’effort de pêche par pêcherie. En ce qui concerne l’Irish Box, l’article 3, paragraphe 5, du règlement n° 685/95 prévoyait que les États membres concernés devaient évaluer l’effort de pêche dans cette zone sur la base des niveaux d’activité existants pour leurs
navires, à l’exception de ceux battant pavillon espagnol dont le nombre, dans cette zone, était limité à 40.

40 Par conséquent, ainsi qu’il le fait valoir, le Royaume d’Espagne se trouvait lors de l’adoption du règlement n° 1954/2003 dans une situation différente de celle des autres États membres, caractérisée notamment par une non-augmentation, pendant la période allant de 1998 à 2002, des possibilités de pêche telles que limitées par l’acte d’adhésion et par une limitation à 40 du nombre de navires espagnols pouvant être simultanément présents dans l’Irish Box.

41 Toutefois, la soumission du Royaume d’Espagne au même régime de gestion de l’effort de pêche que celui applicable aux autres États membres, établi par le règlement n° 1954/2003, apparaît objectivement justifiée. D’une part, ce régime prévoit une méthode d’évaluation de l’effort de pêche reposant sur des données objectives, à savoir l’effort de pêche effectivement exercé par chaque État membre dans les zones et pêcheries concernées au cours d’une période récente de cinq années. D’autre part,
ce régime a pour objectif de contribuer à la pérennité des ressources halieutiques en faisant en sorte, selon le quatrième considérant dudit règlement, que les niveaux actuels globaux de l’effort de pêche ne connaissent aucun accroissement.

42 Il convient d’observer, à cet égard, que l’objectif de conservation des ressources de la pêche et le principe de stabilité relative des activités de pêche président à toute la réglementation communautaire en ce domaine, y compris, depuis l’acte d’adhésion jusqu’à l’adoption du règlement n° 1954/2003, à celle visant à intégrer le Royaume d’Espagne dans le régime général de la politique commune de la pêche. Ainsi, le troisième considérant du règlement n° 1275/94 énonce «que les nouvelles
dispositions doivent permettre la pleine intégration de l’Espagne […] dans le régime général de la politique commune de la pêche, dans le plein respect de l’acquis communautaire et en particulier du principe de stabilité relative ainsi que des exceptions au principe de liberté d’accès aux eaux, tels que prévus par le règlement (CEE) n° 3760/92». Le règlement n° 1275/94 expose en outre, à ses quatrième et cinquième considérants, «que le libre accès aux eaux doit être accompagné par un encadrement des
capacités de pêche déployées afin d’assurer une adéquation des moyens aux ressources disponibles» et «que ces adaptations ne doivent pas entraîner une augmentation des niveaux globaux des efforts de pêche existants par zones CIEM et Copace, ni porter atteinte à des ressources soumises à des limitations quantitatives de captures». De même, le règlement n° 685/95 énonce, à ses troisième et quatrième considérants, «qu’il est nécessaire de respecter les équilibres existants et l’acquis communautaire,
notamment le principe de stabilité relative» et «de garantir la non-augmentation des efforts de pêche globaux actuellement déployés dans les zones et ressources couvertes par l’acte d’adhésion».

43 Par ailleurs, s’agissant de la zone biologiquement sensible faisant l’objet d’un régime spécifique de gestion de l’effort de pêche défini à l’article 6 du règlement n° 1954/2003, il ressort d’abord du dossier que le chevauchement de cette zone avec l’Irish Box est limité, puisqu’elle couvre moins de la moitié de cette dernière. Il ne saurait dès lors être prétendu que l’établissement de ladite zone biologiquement sensible et la procédure de calcul du niveau maximal annuel d’effort de pêche
pour cette même zone manifestent une tentative de poursuivre l’application de mesures analogues à celles qui étaient applicables à l’Irish Box. Il résulte ensuite du septième considérant et de l’article 6 du règlement n° 1954/2003 que la restriction spécifique de l’effort de pêche prévue à cet article poursuit également l’objectif de conservation des ressources de la pêche dans une zone où existe une forte concentration de merlus juvéniles et que la méthode d’évaluation du niveau de l’effort de
pêche retenue repose aussi sur un critère objectif, à savoir l’effort de pêche exercé par des navires d’une longueur hors tout égale ou supérieure à dix mètres, en moyenne annuelle de la période allant de 1998 à 2002 pour les pêcheries démersales.

44 Il s’ensuit que, en dépit du fait que le Royaume d’Espagne se trouvait lors de l’adoption du règlement n° 1954/2003 dans une situation différente de celle des autres États membres, les articles 3, 4 et 6 de ce règlement ne sauraient être considérés comme étant constitutif d’une violation du principe de non-discrimination commise à son égard.

45 Partant, le présent moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur le moyen tiré d’un détournement de pouvoir

Argumentation des parties

46 Le Royaume d’Espagne prétend que l’objectif réel de l’établissement de la zone biologiquement sensible prévu à l’article 6 du règlement n° 1954/2003 est non pas la conservation des merlus juvéniles, mais la poursuite d’une discrimination à l’égard de la flotte espagnole dans cette zone. Se fondant sur une étude présentée par la délégation espagnole au mois de mai de l’année 2003, il fait valoir qu’il existait d’autres zones ayant des caractéristiques biologiques similaires et que l’adoption
de ce type de mesures visant à la conservation des merlus juvéniles est régie par le règlement (CE) n° 850/98 du Conseil, du 30 mars 1998, visant à la conservation des ressources de pêche par le biais de mesures techniques de protection des juvéniles d’organismes marins (JO L 125, p. 1). En adoptant l’article 6 du règlement n° 1954/2003, le Conseil aurait donc commis un détournement de pouvoir.

47 Le Conseil fait valoir en substance que ce moyen est inopérant dès lors que le règlement n° 1415/2004, faisant l’objet du présent recours, ne comporte que des mesures d’exécution du règlement n° 1954/2003 et a été adopté conformément à la procédure prévue par ce dernier, de sorte qu’aucune procédure n’a été éludée.

48 La Commission fait observer que le fait qu’il puisse exister d’autres zones biologiquement sensibles ou la circonstance que d’autres mesures soient envisageables ne démontrent pas l’existence d’un détournement de pouvoir.

Appréciation de la Cour

49 Selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité CE pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 24, et du 22 novembre 2001,
Pays‑Bas/Conseil, C‑110/97, Rec. p. I‑8763, point 137).

50 Or, en l’espèce, le Royaume d’Espagne ne démontre pas que le régime spécifique de gestion de l’effort de pêche prévu à l’article 6 du règlement n° 1954/2003 pour la zone biologiquement sensible en cause a été adopté dans un but exclusif ou déterminant d’atteindre des fins autres que la conservation des merlus juvéniles. En outre, ainsi que le fait valoir la Commission et que le relève M. l’avocat général au point 102 de ses conclusions, la circonstance que des mesures techniques visant à la
protection des juvéniles d’organismes marins puissent également relever d’un autre règlement et le fait qu’il puisse exister d’autres zones biologiquement sensibles ne démontrent pas que le Conseil a commis un détournement de pouvoir en adoptant l’article 6 du règlement n° 1954/2003.

51 Il s’ensuit que ce moyen doit donc également être rejeté comme étant non fondé.

52 Il résulte de tout ce qui précède que l’exception d’illégalité du règlement n° 1954/2003 soulevée par le Royaume d’Espagne à l’appui de son recours doit être rejetée et que, aucun autre moyen n’ayant été avancé concernant la légalité du règlement n° 1415/2004, ledit recours doit être rejeté.

Sur les dépens

53 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, la Commission supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

3) La Commission des Communautés européennes supporte ses propres dépens.

Signatures

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* Langue de procédure: l’espagnol.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-442/04
Date de la décision : 15/05/2008
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Pêche - Règlement (CE) nº 1954/2003 - Règlement (CE) nº 1415/2004 - Gestion de l’effort de pêche - Fixation du niveau maximal annuel d’effort de pêche - Période de référence - Zones et ressources de pêche communautaires - Zones biologiquement sensibles - Acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités - Exception d’illégalité - Recevabilité - Principe de non-discrimination - Détournement de pouvoir.

Politique de la pêche

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Royaume d’Espagne
Défendeurs : Conseil de l’Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot
Rapporteur ?: Kūris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2008:276

Source

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