Affaire C-441/06
Commission des Communautés européennes
contre
République française
«Aides d’État — Obligation de récupération — Devoir de coopération»
Sommaire de l'arrêt
1. Recours en manquement — Non-respect d'une décision de la Commission relative à une aide d'État — Moyens de défense
(Art. 10 CE et 88, § 2, CE)
2. Aides accordées par les États — Décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide avec le marché commun et ordonnant sa restitution
(Art. 88, § 2, CE)
3. États membres — Obligations — Obligation de coopération loyale avec les institutions communautaires
(Art. 10 CE)
1. Le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter la décision en question. Des difficultés de mise en oeuvre des décisions concernant la récupération de montants d'aides auprès d'un grand nombre d'entreprises en combinaison avec de nombreux facteurs individuels de calcul ne sont pas constitutives d'une
impossibilité absolue.
Un État membre qui, lors de l’exécution d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l’appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l’État membre concerné doivent collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des
dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides.
(cf. points 27-28)
2. Aucune disposition du droit communautaire n'exige que la Commission, lorsqu'elle ordonne la restitution d'une aide déclarée incompatible avec le marché commun, fixe le montant exact de l'aide à restituer. Il suffit que la décision de la Commission comporte des indications permettant à son destinataire de déterminer lui-même, sans difficultés excessives, ce montant.
(cf. point 29)
3. Un État membre destinataire d'une décision de la Commission constatant l'incompatibilité avec le marché commun d'une aide qu'il a octroyée et ordonnant sa récupération manque aux obligations que lui impose l'article 10 CE, s'il s'abstient de fournir à la Commission, qui les a sollicités, les éléments nécessaires à la fixation du montant définitif à restituer et n'entreprend aucune action pour procéder à la récupération en arguant de l'impossibilité de déterminer une méthodologie fiable de
calcul dudit montant.
(cf. points 45-52)
ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
18 octobre 2007 (*)
«Aides d’État – Obligation de récupération – Devoir de coopération»
Dans l’affaire C-441/06,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, introduit le 25 octobre 2006,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. C. Giolito, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République française, représentée par M. G. de Bergues et M^me S. Ramet, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M^me R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. E. Juhász, J. Malenovský et T. von Danwitz, juges,
avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas exécuté, dans le délai imparti, la décision 2005/709/CE de la Commission, du 2 août 2004, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de France Télécom (JO 2005, L 269, p. 30, ci-après la «décision litigieuse»), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de cette décision, 249, quatrième alinéa, CE ainsi que
10 CE.
Les antécédents du litige
2 France Télécom (ci-après «FT») exerce une activité d’opérateur ainsi que de fournisseur de réseaux et de services de télécommunications. FT opère notamment sur les marchés suivants: téléphonie fixe, téléphonie mobile, Internet et autres services d’information, services aux entreprises, télédiffusion et télévision par câble.
3 Par dérogation au régime de la taxe professionnelle de droit commun applicable en France (articles 1447 et suivants du code général des impôts, ci-après le «CGI»), selon lequel la taxe professionnelle est due chaque année par les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée, deux régimes fiscaux successifs s’écartant du droit commun ont été établis en faveur de FT, à savoir un régime à caractère transitoire, applicable du 1^er
janvier 1991 au 31 décembre 1993, suivi d’un régime définitif, applicable à partir du 1^er janvier 1994. Ce dernier régime a été abrogé avec effet au 31 décembre 2002.
4 Le régime transitoire (1991-1993) prévoyait, en application de l’article 19 de la loi n° 90-568, du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JORF du 8 juillet 1990, p. 8069), que, pendant cette période, FT, à l’instar de l’État, n’était pas soumise aux impôts tels que la taxe professionnelle, la taxe foncière ou l’impôt sur les sociétés.
5 Le régime définitif (1994-2002) prévoyait que, en vertu de l’article 18 de ladite loi et de l’article 1654 du CGI, FT était soumise au régime fiscal de droit commun à partir du 1^er janvier 1994, à l’exception des impositions directes locales pour lesquelles les dispositions législatives applicables prévoyaient des conditions particulières concernant le taux, la base et les modalités d’imposition.
6 Ces deux régimes ont fait l’objet d’une procédure formelle d’examen au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, conformément à une décision de la Commission notifiée à la République française le 31 janvier 2003 (JO C 57, p. 5).
7 Aux points 33 et 53 des motifs de la décision litigieuse, la Commission a constaté que le régime transitoire ne constituait pas une aide d’État. En revanche, elle a considéré, aux points 42 et 60 de ces motifs, que la différence entre la taxe professionnelle effectivement payée par FT et celle qui aurait été due en vertu du droit commun entre le 1^er janvier 1994 et le 31 décembre 2002 constituait une aide d’État illégalement mise à exécution en violation de l’article 88, paragraphe 3, CE.
8 Le montant exact à récupérer n’était pas fixé dans la décision litigieuse. Néanmoins, la Commission a estimé, au point 59 des motifs de cette dernière, que le montant concerné devait se situer dans une fourchette de 798 à 1 140 millions d’euros en capital, plus les intérêts à partir de la date à laquelle les aides en cause ont été mises à la disposition du bénéficiaire, jusqu’à la date de leur récupération. À cet égard, il est indiqué au même point que le montant exact de l’aide à récupérer
sera défini par la Commission, en collaboration avec les autorités françaises, dans le cadre de la procédure de récupération, et au plus tard avant le 1^er novembre 2004.
9 Le dispositif de la décision litigieuse est libellé comme suit:
«Article premier
L’aide d’État, accordée illégalement par la France, en contradiction avec l’article 88, paragraphe 3, [CE], en faveur de France Télécom par le régime de la taxe professionnelle applicable à cette entreprise pendant la période du 1^er janvier 1994 au 31 décembre 2002 [prévue par la loi n° 90-568 (article 18) et article 1654 CGI] est incompatible avec le marché commun.
Article 2
1. La France prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de France Télécom l’aide définie à l’article premier.
2. La récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision.
3. Les aides à récupérer incluent les intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition du bénéficiaire, jusqu’à la date de leur récupération.
4. Les intérêts sont calculés conformément aux dispositions du chapitre V du règlement (CE) n° 794/2004, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE [JO L 140, p. 1].
Article 3
La France informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, des mesures qu’elle envisage de prendre et qu’elle a déjà prises pour s’y conformer. Pour ce faire, la France utilisera le questionnaire en annexe à la présente décision.
[…]»
10 Entre le 17 septembre 2004 et le 10 août 2006, de multiples échanges de courriers portant sur les mesures à prendre afin d’assurer l’exécution de la décision litigieuse ont eu lieu entre la Commission et les autorités françaises. En outre, plusieurs réunions entre la Commission et ces autorités ont été organisées à cet effet.
11 Au cours de ces échanges, la Commission a, par une communication du 23 décembre 2005, proposé de fixer le montant de l’aide dont a bénéficié FT:
– pour la période 1994-1999, à un montant de 635 millions d’euros hors intérêts, et
– pour la période 2000-2002, à un montant de 293 millions d’euros hors intérêts.
12 Ainsi, selon la Commission, le montant de cette aide s’élèverait à 928 millions d’euros hors intérêts. Dans la même communication, la Commission a invité les autorités françaises à prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer cette somme et les intérêts y afférents auprès du bénéficiaire et de l’en informer pour le 20 janvier 2006.
13 Dans ladite communication, la Commission a également indiqué aux autorités françaises que, si elles souhaitaient apporter des précisions ou des modifications concrètes et constructives à la proposition retenue, elles devaient les lui faire parvenir pour la même date.
14 N’étant pas satisfaite des suites données à sa demande par lesdites autorités, la Commission a décidé de saisir la Cour.
Sur le recours
Argumentation des parties
15 La Commission constate que plus de deux ans après l’adoption de la décision litigieuse, l’aide en cause n’a donné lieu à aucun remboursement. La procédure d’exécution de cette décision au niveau national, ne serait-ce qu’en ce qui concerne le montant correspondant à la limite inférieure de la fourchette visée au point 59 des motifs de la décision litigieuse, à savoir celui de 798 millions d’euros augmenté des intérêts, n’aurait pas été engagée.
16 La Commission rappelle que l’absence de récupération de l’aide ne peut être justifiée par les difficultés pratiques rencontrées lors de la détermination du montant devant être restitué. En pareil cas, la Commission et l’État membre concerné devraient, conformément à l’obligation énoncée à l’article 10 CE, coopérer de bonne foi en vue de surmonter de telles difficultés.
17 La Commission soutient qu’elle a formulé des propositions sur le montant de l’aide à récupérer en invitant les autorités françaises à émettre des suggestions utiles à cet égard. Cependant, ces autorités se seraient bornées à contester l’approche retenue sans jamais présenter d’orientations de remplacement.
18 La Commission précise que la fourchette visée au point 59 des motifs de la décision litigieuse est justifiée par le fait que le montant de l’aide à récupérer ne peut se situer qu’entre les montants de 798 et de 1 140 millions d’euros, qui sont respectivement les montants minimal et maximal entre lesquels le montant définitif doit être fixé.
19 La Commission estime que seule la récupération d’un montant minimal équivalent à la limite inférieure de la fourchette, soit 798 millions d’euros, est acceptable pour assurer une récupération effective de l’aide d’État dont a bénéficié FT.
20 La Commission en conclut que la République française n’a pas pris les mesures nécessaires pour garantir une exécution correcte, immédiate et effective de la décision litigieuse. Un tel comportement serait contraire à l’obligation de coopération loyale définie à l’article 10 CE. En effet, les autorités concernées de cet État membre n’auraient jamais fait preuve d’une attitude constructive permettant de parvenir à la fixation du montant de l’aide à rembourser.
21 La République française relève que la décision litigieuse n’a pas déterminé le montant de l’aide à récupérer ni fixé de critères ou de paramètres de calcul. En effet, au point 59 des motifs de cette décision, la Commission se serait réservé la compétence pour définir le montant de l’aide à récupérer.
22 Cet État membre fait valoir que, en tout état de cause, la Commission aurait dû fournir une méthode de calcul suffisamment précise et fiable, permettant de déterminer le montant de l’aide à restituer. Faute pour celle-ci de l’avoir fait, il n’aurait pas été possible aux autorités nationales de procéder à la récupération de cette aide.
23 De l’avis de la République française, cette lecture de la décision litigieuse ne serait pas remise en cause par le fait que, en vertu de l’article 2 de cette décision, les autorités nationales sont tenues de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide en question. En effet, le dispositif de ladite décision serait indissociable de sa motivation et devrait être interprété en tenant compte des considérations qui ont conduit à son adoption.
24 Cet État membre précise à cet égard que même le montant correspondant à la limite inférieure de la fourchette mentionnée au point 59 des motifs de la décision litigieuse n’était pas pertinent, étant donné que cette fourchette ne revêtait qu’un caractère indicatif, de sorte qu’il n’était pas possible d’utiliser les montants retenus dans celle-ci aux fins de la récupération de l’aide.
25 La République française rappelle que, à la suite d’une suggestion de la Commission, elle avait obtenu l’accord de FT en vue d’une mise sous séquestre d’une somme importante, à savoir 500 millions, voire 600 millions d’euros. Cette mise sous séquestre aurait privé FT de l’avantage concurrentiel supposé conféré par l’aide en cause. Or, la Commission aurait refusé cette solution.
26 Cet État membre ajoute que les autorités nationales ont identifié les faiblesses de la méthode de calcul utilisée par la Commission. En outre, de nombreux échanges de courriers et des réunions de travail entre ces autorités et cette dernière auraient eu lieu entre septembre 2004 et août 2006. Par conséquent, aucune violation de l’obligation de coopération loyale prévue à l’article 10 CE ne pourrait être relevée.
Appréciation de la Cour
Sur la violation des articles 2 et 3 de la décision litigieuse
27 Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter la décision en question (voir, notamment, arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie, C-348/93, Rec. p. I-673, point 16; du 22 mars 2001, Commission/France, C-261/99, Rec. p. I-2537, point 23, et du 2 juillet 2002,
Commission/Espagne, C-499/99, Rec. p. I-6031, point 21).
28 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour qu’un État membre qui, lors de l’exécution d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles, qu’elles soient de nature politique, juridique ou pratique, ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l’appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la
Commission et l’État membre concerné doivent collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité CE et, notamment, de celles relatives aux aides (voir arrêts Commission/France, précité, point 24; du 3 juillet 2001, Commission/Belgique, C-378/98, Rec. p. I-5107, point 31, et Commission/Espagne, précité, points 24 et 25).
29 En outre, la Cour a jugé qu’aucune disposition du droit communautaire n’exige que la Commission, lorsqu’elle ordonne la restitution d’une aide déclarée incompatible avec le marché commun, fixe le montant exact de l’aide à restituer. Il suffit que la décision de la Commission comporte des indications permettant à son destinataire de déterminer lui-même, sans difficultés excessives, ce montant (voir, notamment, arrêts du 12 octobre 2000, Espagne/Commission, C-480/98, Rec. p. I-8717, point 25,
et du 12 mai 2005, Commission/Grèce, C-415/03, Rec. p. I-3875, point 39).
30 C’est dans le cadre juridique ainsi tracé que l’argumentation de la République française doit être appréciée.
31 S’agissant de l’argument selon lequel la Commission se serait réservé la compétence pour déterminer le montant de l’aide à récupérer auprès du bénéficiaire, il convient de rappeler que la décision litigieuse indique, au point 59 de ses motifs, que ce montant doit se situer entre 798 et 1 140 millions d’euros en capital.
32 Il découle du point 54 des motifs de cette décision que le dernier de ces montants a été établi par la Commission à la suite d’une communication des autorités françaises, du 15 mai 2003, relative à la sous-imposition de FT au titre du régime de la taxe professionnelle entre 1994 et 2002. Selon le point 58 de ces motifs, le premier de ces montants a été dégagé d’une communication desdites autorités du 16 juillet 2004. Ces deux montants ont d’ailleurs été divisés, ainsi qu’il résulte des
tableaux figurant auxdits points, en montants annuels pour la période correspondant aux années 1994 à 2002.
33 Il s’ensuit que le montant de 798 millions d’euros doit être considéré comme constituant le montant minimal de l’aide à récupérer, conformément à l’article 2 de la décision litigieuse. Le dispositif d’une décision en matière d’aides d’État est en effet indissociable de la motivation de celle-ci, de sorte qu’elle doit être interprétée, si besoin en est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (voir, notamment, arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, C-355/95 P, Rec. p.
I-2549, point 21).
34 Il est certes constant que, au point 59 des motifs de la décision litigieuse, la Commission avait effectivement précisé que le montant exact de l’aide à récupérer serait défini par elle-même. Toutefois, il était également précisé audit point que ce montant serait défini en collaboration avec les autorités françaises, dans le cadre de la procédure de récupération, et au plus tard avant le 1^er novembre 2004. La mise en œuvre de la procédure de récupération n’était donc pas subordonnée à la
fixation dudit montant. Dès lors, la circonstance que le montant exact de l’aide à récupérer n’avait pas été définitivement arrêté ne faisait obstacle ni à ce que ces autorités mettent en œuvre la procédure de récupération du montant minimal de l’aide ni à ce qu’elles coopèrent efficacement à la détermination du montant définitif de celle-ci.
35 Dans ces conditions, l’argument de la République française selon lequel les montants énoncés au point 59 des motifs de la décision litigieuse ne revêtiraient qu’un caractère indicatif, dépourvu de force juridique contraignante, ne saurait non plus être retenu.
36 Quant à l’argument selon lequel la Commission n’aurait pas fourni de méthode de calcul fiable permettant d’établir le montant de l’aide à restituer, il importe de constater que la comparaison entre, d’une part, l’imposition à laquelle FT a été effectivement soumise et, d’autre part, celle qui lui aurait été applicable en vertu des règles de droit commun régissant la taxe professionnelle a fait l’objet d’analyses approfondies dès l’ouverture de la procédure d’examen prévue à l’article 88,
paragraphe 2, CE.
37 En effet, dans le cadre de cette procédure, la Commission a élaboré les paramètres susceptibles de permettre aux autorités françaises de faire une proposition définitive relative au montant de l’aide à rembourser.
38 Les indications nécessaires à ce sujet ont notamment été fournies par la Commission aux points 25 à 38, 60 à 67 et 72 à 80 de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen du 31 janvier 2003 et, en particulier, aux points 34 à 44 des motifs de la décision litigieuse.
39 Les autorités nationales disposaient donc des éléments leur permettant de proposer à la Commission un montant précis révélant la sous-imposition dont avait bénéficié FT entre 1994 et 2002. En effet, ce sont celles-ci qui étaient les mieux placées, non seulement pour définir les modalités appropriées en vue de la récupération des aides d’État indûment versées, mais aussi pour déterminer les montants précis à restituer (voir, en ce sens, arrêt Commission/Belgique, précité, points 50 et 51).
40 La décision de la Commission comporte en effet les indications appropriées permettant à la République française de déterminer elle-même, sans difficultés excessives, le montant définitif de l’aide à récupérer, ledit montant devant se situer à l’intérieur de la fourchette établie par la Commission.
41 Il s’ensuit que l’argument de cet État membre, selon lequel la Commission n’aurait pas fourni une méthode de calcul suffisamment fiable pour déterminer le montant de l’aide à restituer, ne saurait être accueilli.
42 Enfin, s’agissant de l’argument dudit État membre, selon lequel il serait impossible d’établir avec certitude le montant de l’aide à récupérer, il y a lieu de rappeler que la Cour, dans des situations concernant la récupération de montants d’aides auprès d’un grand nombre d’entreprises en combinaison avec de nombreux facteurs individuels de calcul, a jugé que de telles difficultés de mise en œuvre des décisions concernées n’étaient pas constitutives d’une impossibilité absolue, au sens de la
jurisprudence précitée (voir, notamment, arrêts du 29 janvier 1998, Commission/Italie, C-280/95, Rec. p. I-259, points 18 et 23, et Commission/Belgique, précité, points 41 et 42). Il n’est pas établi par les pièces du dossier que les problèmes posés, en l’espèce, par le calcul du montant de l’aide à récupérer seraient plus importants que ceux rencontrés dans les situations ayant donné lieu aux arrêts précités.
43 Il convient également de relever que la crainte de difficultés internes, dans le cadre de la mise en œuvre d’une décision en matière d’aides d’État, ne saurait justifier qu’un État membre ne respecte pas les obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 7 décembre 1995, Commission/France, C-52/95, Rec. p. I-4443, point 38; du 9 décembre 1997, Commission/France, C‑265/95, Rec. p. I-6959, point 55, et du 29 janvier 1998, Commission/Italie, précité,
point 16).
44 Force est, par conséquent, de conclure que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de la décision litigieuse ainsi que de l’article 249, quatrième alinéa, CE.
Sur la violation de l’article 10 CE
45 Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que l’article 10 CE impose aux États membres l’obligation de faciliter à la Communauté l’accomplissement de sa mission et de s’abstenir de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité (voir arrêt du 14 juillet 2005, Commission/Allemagne, C-433/03, Rec. p. I-6985, point 63).
46 Quant au grief formulé à cet égard par la Commission dans la présente affaire, il convient d’observer que, lors des échanges avec les autorités françaises, intervenus postérieurement à l’adoption de la décision litigieuse, la Commission a sollicité, dans de multiples communications, un certain nombre d’indications afin de parvenir, en accord avec ces autorités, à la fixation du montant définitif de l’aide à restituer.
47 Il importe d’ajouter que, dans le cadre des pourparlers avec les autorités françaises, visant à mettre en œuvre la décision litigieuse, la Commission a fixé le montant de l’aide à rembourser, dans une communication du 23 décembre 2005, à 928 millions d’euros hors intérêts.
48 Or, les autorités françaises n’ont pas estimé utile de prendre clairement position sur ce point ni de soumettre à la Commission une contre-proposition chiffrée concrète.
49 Par ailleurs, si tout au long des échanges qu’elle a entretenus avec la Commission postérieurement à l’adoption de la décision litigieuse la République française a cru devoir contester le bien-fondé de cette décision, et notamment la qualification d’aide d’État du régime fiscal applicable à FT entre 1994 et 2002, cette circonstance ne la dispensait en rien de mettre à exécution ladite décision.
50 La République française a également soulevé de multiples interrogations relatives aux paramètres de calcul nécessaires à la détermination du montant de l’aide à récupérer. Elle a, en outre, déclaré, à maintes reprises, qu’il était techniquement impossible d’identifier une méthodologie fiable et précise et, par conséquent, de reconstituer de manière exacte et incontestable les montants de la taxe professionnelle qu’aurait dû acquitter FT si elle avait été soumise au régime de la taxe
professionnelle de droit commun. Cet État membre en a tiré la conclusion, répétée dans plusieurs communications rédigées entre 2005 et 2006, qu’il n’existait aucune base juridique suffisamment solide permettant d’initier une procédure de récupération sans risque majeur de contentieux.
51 Compte tenu de ces affirmations et au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la République française a fait preuve, à l’égard de la Commission, d’un manque de coopération en vue d’apporter le concours nécessaire à la mise en œuvre de la décision litigieuse.
52 Par conséquent, force est de conclure que le comportement desdites autorités doit être considéré comme constitutif d’une violation de l’article 10 CE.
53 Le recours de la Commission est donc fondé dans son ensemble.
54 Il s’ensuit qu’il convient de constater que, en n’ayant pas exécuté, dans le délai imparti, la décision litigieuse, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de cette décision, 249, quatrième alinéa, CE ainsi que 10 CE.
Sur les dépens
55 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:
1) En n’ayant pas exécuté, dans le délai imparti, la décision 2005/709/CE de la Commission, du 2 août 2004, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de France Télécom, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de cette décision, 249, quatrième alinéa, CE ainsi que 10 CE.
2) La République française est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.