Affaire C-351/04
Ikea Wholesale Ltd
contre
Commissioners of Customs & Excise
(demande de décision préjudicielle, introduite par
la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division)
«Dumping — Importations de linge de lit en coton originaires d’Égypte, de l’Inde et du Pakistan — Règlement (CE) nº 2398/97 — Règlement (CE) nº 1644/2001 — Règlement (CE) nº 160/2002 — Règlement (CE) nº 696/2002 — Recommandations et décisions de l’organe de règlement des différends de l’OMC — Effets juridiques — Règlement (CE) nº 1515/2001 — Rétroactivité — Remboursement des droits acquittés»
Sommaire de l'arrêt
1. Questions préjudicielles — Appréciation de validité — Impossibilité d'invoquer les accords de l'OMC pour contester la légalité d'un acte communautaire
2. Politique commerciale commune — Défense contre les pratiques de dumping — Marge de dumping
(Règlement du Conseil nº 384/96, art. 1er, § 2, 2, § 1 et 6, a))
3. Politique commerciale commune — Défense contre les pratiques de dumping — Marge de dumping
(Règlements du Conseil nº 384/96, art. 2, § 10 et 11, et nº 2398/97)
4. Politique commerciale commune — Défense contre les pratiques de dumping — Préjudice
(Règlement du Conseil nº 384/96, art. 3, § 5)
5. Questions préjudicielles — Appréciation de validité — Déclaration d'invalidité d'un règlement communautaire instituant un droit antidumping définitif — Effets
(Règlement du Conseil nº 2913/92, art. 236, § 1)
1. Compte tenu de leur nature et de leur économie, les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ne figurent pas, en principe, parmi les normes au regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes des institutions communautaires. Ce n'est que dans l'hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l'OMC, ou dans l'occurrence où l'acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords de
l'OMC, qu'il appartient à la Cour de contrôler la légalité de l'acte communautaire en cause au regard des règles de l'OMC.
(cf. points 29-30)
2. S'agissant de l'établissement de droits antidumping, le Conseil ne commet pas une erreur manifeste d'appréciation, dans le cadre du calcul de la valeur normale «construite» d'un produit, en considérant que, lors de la détermination des montants correspondant aux frais de vente, aux dépenses administratives et aux autres frais généraux ainsi qu'aux bénéfices, l'article 2, paragraphe 6, sous a), du règlement antidumping de base nº 384/96, d'une part, n'exclut pas la prise en compte des
données d'une seule entreprise, laquelle, parmi d'autres entreprises faisant l'objet de l'enquête, a effectué, sur le marché intérieur de l'État d'origine, des ventes représentatives du produit similaire au cours de la période d'enquête, et, d'autre part, permet d'écarter de la détermination de la marge bénéficiaire les ventes d'autres exportateurs ou producteurs n'ayant pas eu lieu au cours d'opérations commerciales normales, conformément au principe établi aux articles 1er, paragraphe 2, et 2,
paragraphe 1, dudit règlement, selon lequel la valeur normale doit, en principe, reposer sur les données relatives aux ventes réalisées au cours d'opérations commerciales normales.
(cf. points 46-48)
3. Dès lors que la marge de dumping doit être déterminée en comparant, de manière équitable, la valeur normale du produit similaire au prix à l'exportation vers la Communauté, le Conseil commet une erreur manifeste d'appréciation en appliquant, aux fins de la détermination de la marge de dumping globale d'un produit faisant l'objet d'une enquête antidumping, la méthode de la «réduction à zéro» des marges de dumping négatives, dans la mesure où l'utilisation d'une telle méthode, à laquelle
l'article 2 du règlement antidumping de base nº 384/96 ne fait, par ailleurs, aucunement référence, se traduit, lors de la comparaison entre la valeur moyenne pondérée et la moyenne pondérée des prix de toutes les exportations vers la Communauté, par une modification des prix des transactions à l'exportation et donc par des comparaisons ne reflétant pas pleinement tous les prix à l'exportation comparables. Est en conséquence invalide l'article 1er du règlement nº 2398/97, instituant un droit
antidumping définitif sur les importations de linge de lit en coton originaires d'Égypte, d'Inde et du Pakistan, dans la mesure où le Conseil a appliqué, aux fins de la détermination de la marge de dumping globale concernant le produit visé par l'enquête ayant mené à l'adoption dudit règlement, la méthode de la «réduction à zéro» des marges de dumping négatives pour chacun des types de produits concernés.
(cf. points 55-57, disp. 1)
4. L'article 3, paragraphe 5, du règlement antidumping de base nº 384/96, lequel expose les facteurs de préjudice pertinents ayant une incidence sur la situation de l'industrie communautaire, donne aux autorités communautaires un pouvoir discrétionnaire dans l'examen et l'évaluation des différents indices intervenant dans la détermination de l'existence d'un préjudice.
En particulier, cette disposition exige seulement que soient examinés les facteurs et les indices économiques pertinents influant sur la situation de l'industrie communautaire, dont elle établit, par ailleurs, une liste non exhaustive. En conséquence, les institutions communautaires n'excèdent pas la marge d'appréciation qui leur est reconnue dans l'évaluation de situations économiques complexes, en évaluant, aux fins de l'examen de l'incidence des importations faisant l'objet d'un dumping sur la
situation de l'industrie communautaire, les seuls facteurs pertinents qui influent sur cette dernière.
(cf. points 61-63)
5. Un importateur ayant introduit, devant une juridiction nationale, un recours dirigé contre une décision par laquelle la perception de droits antidumping lui est réclamée en application d'un règlement communautaire instituant un droit antidumping définitif sur des importations, déclaré invalide par le juge communautaire dans le cadre d'un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, est, en principe, en droit de se prévaloir de cette invalidité dans le cadre du litige au principal afin
d'obtenir le remboursement de ces droits conformément à l'article 236, paragraphe 1, du règlement nº 2913/92, établissant le code des douanes communautaires. À cet égard, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si les conditions présidant à un tel remboursement sont réunies.
(cf. points 67, 69, disp. 2)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
27 septembre 2007 (*)
«Dumping – Importations de linge de lit en coton originaires d’Égypte, de l’Inde et du Pakistan – Règlement (CE) n° 2398/97 – Règlement (CE) n° 1644/2001 – Règlement (CE) n° 160/2002 – Règlement (CE) n° 696/2002 – Recommandations et décisions de l’organe de règlement des différends de l’OMC – Effets juridiques – Règlement (CE) n° 1515/2001 – Rétroactivité – Remboursement des droits acquittés»
Dans l’affaire C‑351/04,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni), par décision du 22 juillet 2004, parvenue à la Cour le 16 août 2004, dans la procédure
Ikea Wholesale Ltd
contre
Commissioners of Customs & Excise,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. P. Kūris, M^me R. Silva de Lapuerta, MM. J. Makarczyk et G. Arestis (rapporteur), juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M^me K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 octobre 2005,
considérant les observations présentées:
– pour Ikea Wholesale Ltd, par M^es B. Servais et Y. Melin, avocats,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. M. Bethell, en qualité d’agent, assisté de M. R. Thompson, QC,
– pour le Conseil de l’Union européenne, par M. J.‑P. Hix, en qualité d’agent, assisté de M^e G. Berrisch, Rechtsanwalt,
– pour la Commission des Communautés européennes, par M^mes E. Righini et K. Talaber‑Ricz ainsi que par M. C. Brown, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 avril 2006,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte, d’une part, sur la validité du règlement (CE) n° 2398/97 du Conseil, du 28 novembre 1997, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de linge de lit en coton originaires d’Égypte, d’Inde et du Pakistan (JO L 332, p. 1), et, d’autre part, sur la compatibilité avec le droit communautaire du règlement (CE) n° 1644/2001 du Conseil, du 7 août 2001, modifiant le règlement n° 2398/97 et suspendant son application en ce qui concerne
les importations originaires de l’Inde (JO L 219, p. 1), du règlement (CE) n° 160/2002 du Conseil, du 28 janvier 2002, modifiant le règlement n° 2398/97 et clôturant la procédure en ce qui concerne les importations originaires du Pakistan (JO L 26, p. 1), ainsi que du règlement (CE) n° 696/2002 du Conseil, du 22 avril 2002, confirmant le droit antidumping définitif institué sur les importations de linge de lit en coton originaires d’Inde par le règlement n° 2398/97, modifié et suspendu par le
règlement n° 1644/2001 (JO L 109, p. 3) (ci-après, ensemble, les «règlements subséquents»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige né du refus des Commissioners of Customs & Excise (ci-après les «Commissioners») de rembourser les droits antidumping payés par Ikea Wholesale Ltd (ci-après «Ikea») à l’occasion d’importations de linge de lit en coton en provenance du Pakistan et de l’Inde.
Le cadre juridique
3 Les dispositions régissant l’application de mesures antidumping par la Communauté européenne figurent dans le règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 56, p. 1, ci-après le «règlement de base»).
4 L’article 1^er, paragraphe 1, du règlement de base précise que tout produit faisant l’objet d’un dumping peut être soumis à un droit antidumping lorsque sa mise en libre pratique dans la Communauté cause un préjudice.
5 L’article 2, paragraphes 6 et 11, du règlement de base prévoit:
«6. Les montants correspondant aux frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux, ainsi qu’aux bénéfices, sont fondés sur des données réelles concernant la production et les ventes, au cours d’opérations commerciales normales, du produit similaire par l’exportateur ou le producteur faisant l’objet de l’enquête. Lorsque ces montants ne peuvent être ainsi déterminés, ils peuvent l’être sur la base:
a) de la moyenne pondérée des montants réels établis pour les autres exportateurs ou producteurs faisant l’objet de l’enquête à l’égard de la production et des ventes du produit similaire sur le marché intérieur du pays d’origine;
[...]
11. Sous réserve des dispositions pertinentes régissant la comparaison équitable, l’existence de marges de dumping au cours de la période d’enquête est normalement établie sur la base d’une comparaison d’une valeur normale moyenne pondérée avec la moyenne pondérée des prix de toutes les exportations vers la Communauté ou sur une comparaison des valeurs normales individuelles et des prix à l’exportation individuels vers la Communauté, transaction par transaction [(ci-après la ‘méthode
symétrique’)]. Toutefois, une valeur normale établie sur une moyenne pondérée peut être comparée aux prix de toutes les exportations individuelles vers la Communauté si la configuration des prix à l’exportation diffère sensiblement entre les différents acquéreurs, régions ou périodes et si les méthodes spécifiées dans la première phrase du présent paragraphe ne permettraient pas de refléter l’ampleur réelle du dumping pratiqué [(ci-après la ‘méthode asymétrique’)]. Le présent paragraphe n’exclut pas
le recours à l’échantillonnage conformément à l’article 17.»
6 L’article 3, paragraphe 5, de ce règlement dispose:
«L’examen de l’incidence des importations faisant l’objet d’un dumping sur l’industrie communautaire concernée comporte une évaluation de tous les facteurs et indices économiques pertinents qui influent sur la situation de cette industrie, y compris le fait pour une industrie de ne pas encore avoir surmonté entièrement les effets de pratiques passées de dumping ou de subventionnement, l’importance de la marge de dumping effective, la diminution effective et potentielle des ventes, des bénéfices, de
la production, de la part de marché, de la productivité, du rendement des investissements ou de l’utilisation des capacités; les facteurs qui influent sur les prix dans la Communauté, les effets négatifs, effectifs et potentiels, sur les flux de liquidités, les stocks, l’emploi, les salaires, la croissance, l’aptitude à mobiliser les capitaux ou l’investissement. Cette liste n’est pas exhaustive et un seul ou plusieurs de ces facteurs ne constituent pas nécessairement une base de jugement
déterminante.»
7 La législation communautaire de base dans le domaine des douanes est constituée par le règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1). Les dispositions de ce règlement applicables à la présente procédure sont celles des articles 236 et 239.
8 Le règlement (CE) n° 1515/2001 du Conseil, du 23 juillet 2001, relatif aux mesures que la Communauté peut prendre à la suite d’un rapport adopté par l’organe de règlement des différends de l’OMC concernant des mesures antidumping ou antisubventions (JO L 201, p. 10), prévoit à son sixième considérant:
«Le recours au mémorandum d’accord n’est pas soumis à des délais. Les recommandations formulées dans les rapports adoptés par l’[organe de règlement des différends (ci-après l’’ORD’)] n’ont qu’un effet pour l’avenir. En conséquence, il convient de préciser qu’une mesure prise dans le cadre du présent règlement prend effet à compter de sa date d’entrée en vigueur, sauf indication contraire, et qu’elle ne peut être invoquée de ce fait pour obtenir le remboursement des droits perçus avant cette date.»
9 L’article 1^er, paragraphe 1, de ce règlement énonce:
«1. Lorsque l’ORD adopte un rapport concernant une mesure prise par la Communauté conformément au règlement [de base], au règlement (CE) n° 2026/97 [du Conseil, du 6 octobre 1997, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 288, p. 1)], ou au présent règlement (ci-après dénommée ‘mesure incriminée’), le Conseil, statuant à la majorité simple, sur proposition de la Commission après consultation du
comité consultatif institué par l’article 15 du règlement [de base] ou l’article 25 du règlement (CE) n° 2026/97 (ci-après dénommé ‘comité consultatif’), peut prendre une ou plusieurs des mesures suivantes, selon le cas:
a) abroger ou modifier la mesure incriminée, ou
b) adopter toute autre mesure particulière jugée appropriée en l’espèce.»
10 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1515/2001:
«S’il le juge approprié, le Conseil peut également prendre une des mesures visées à l’article 1^er, paragraphe 1, afin de tenir compte des interprétations juridiques formulées dans un rapport adopté par l’ORD concernant une mesure non contestée.»
11 L’article 3 dudit règlement est libellé comme suit:
«Les mesures adoptées conformément au présent règlement prennent effet à compter de la date de leur entrée en vigueur et ne peuvent être invoquées pour obtenir le remboursement des droits perçus avant cette date, sauf indication contraire.»
12 Le règlement (CE) n° 1069/97 de la Commission, du 12 juin 1997, a institué un droit antidumping provisoire sur les importations de linge de lit en coton originaires d’Égypte, d’Inde et du Pakistan (JO L 156, p. 11, ci-après le «règlement provisoire»). Par le règlement n° 2398/97, le Conseil a institué un droit antidumping définitif sur ces importations.
13 Eu égard aux recommandations de l’ORD sur lesdites importations et aux dispositions du règlement n° 1515/2001, le Conseil a adopté, le 7 août 2001, le règlement n° 1644/2001. Les 28 janvier et 22 avril 2002, il a adopté respectivement les règlements n^os 160/2002 et 696/2002. Aucun de ces trois règlements ne prévoit le remboursement des sommes déjà versées en application du règlement n° 2398/97.
14 L’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103, ci-après l’«accord antidumping») figure à l’annexe 1 A de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des
accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1). L’annexe 2 de l’accord instituant l’OMC contient le mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends. Conformément à ce mémorandum, un organe de règlement des différends a été institué.
15 L’article 3, paragraphe 2, dudit mémorandum dispose:
«[…] Les Membres reconnaissent [que le système de règlement des différends de l’OMC] a pour objet de préserver les droits et les obligations résultant pour les Membres des accords visés, et de clarifier les dispositions existantes de ces accords conformément aux règles coutumières d’interprétation du droit international public. Les recommandations et décisions de l’ORD ne peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords visés.»
La procédure devant l’ORD
16 Dans son rapport du 30 octobre 2000, un groupe spécial de règlement des différends (ci-après le «groupe spécial») a considéré que les Communautés européennes avaient agi d’une manière incompatible avec leurs obligations résultant des articles 2.4.2, 3.4 et 15 de l’accord antidumping, en ce qui concerne la méthode utilisée dans les enquêtes ayant conduit à l’adoption du règlement n° 2398/97.
17 La Communauté a fait appel de certaines conclusions du groupe spécial. L’organe d’appel institué au sein de l’OMC (ci-après l’«organe d’appel»), dans son rapport du 1^er mars 2001, a confirmé que la méthode de la «réduction à zéro» appliquée par la Communauté était incompatible avec l’article 2.4.2 de l’accord antidumping et que la Communauté avait agi de manière incompatible avec l’article 2.2.2, sous ii), de l’accord antidumping lorsqu’elle avait procédé au calcul, dans le cadre de
l’enquête antidumping, des montants correspondant aux frais d’administration et de commercialisation, aux frais de caractère général ainsi qu’aux bénéfices. À la lumière de ces constatations, ledit organe a recommandé que l’ORD demande à la Communauté de prendre les mesures nécessaires pour assurer la compatibilité du règlement n° 2398/97 avec les obligations lui incombant en vertu de l’accord antidumping.
18 Le 12 mars 2001, l’ORD a adopté le rapport de l’organe d’appel et celui du groupe spécial, tel que modifié par le rapport dudit organe.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
19 Ikea exerce au Royaume-Uni une activité de producteur et de distributeur de biens d’équipement ménager.
20 Par lettre du 10 juin 2002, cette société a sollicité des Commissioners le remboursement des droits antidumping payés à l’occasion d’importations de linge de lit en coton en provenance du Pakistan et de l’Inde en application du règlement n° 2398/97. Elle demandait le remboursement de 230 301,74 GBP correspondant à des droits prélevés sur ses importations de linge de lit en coton en provenance du Pakistan durant la période comprise entre le mois de mars 2000 et le 29 janvier 2002, ainsi que
de 69 902,29 GBP correspondant à une fraction des droits prélevés sur ses importations de produits de même nature en provenance de l’Inde au cours de la période comprise entre le mois de mars 2000 et le 8 août 2001. Cette demande était fondée sur les articles 236 et 239 du règlement n° 2913/92.
21 Ikea invoquait le caractère illégal du calcul du montant des droits antidumping effectué en vertu du règlement n° 2398/97 ainsi que l’illégalité de ce règlement. Elle s’appuyait notamment sur les rapports, les constatations et les conclusions approuvés par l’ORD le 1^er mars 2001. Par lettre du 26 juin 2002, les Commissioners ont rejeté la demande de remboursement présentée par Ikea.
22 À la suite de la demande formulée par Ikea et tendant au réexamen administratif formel de la décision de rejet prise par les Commissioners, l’agent examinateur a, par lettre du 27 novembre 2002, confirmé cette décision.
23 Ikea a alors introduit, devant le VAT and Duties Tribunal of London, un recours dirigé contre la décision prise dans le cadre du réexamen de la décision des Commissioners. Le 8 septembre 2003, le VAT and Duties Tribunal a rejeté le recours d’Ikea en jugeant que, si cette dernière avait pu contester la légalité du règlement n° 2398/97 sur la base de l’article 230, quatrième alinéa, CE, elle ne l’avait pas fait dans le délai prescrit. Par conséquent, le VAT and Duties Tribunal a estimé qu’Ikea
ne pouvait éviter la prescription prévue en contestant les règlements n^os 2398/97, 1644/2001 et 160/2002 dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle.
24 Le 31 octobre 2003, Ikea a fait appel de cette décision devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, au titre des articles 14 et 15 de la loi de finances de 1994 (Finance Act 1994). À l’appui de ce recours, Ikea soutient, en substance, que, d’une part, le VAT and Duties Tribunal a commis une erreur en considérant que les règlements n^os 2398/97, 1644/2001 et 160/2002 la concernent directement et individuellement et que, d’autre part, ces derniers sont, en tout ou en
partie, illégaux. Le 17 février 2004, Ikea a été autorisée à modifier ses conclusions d’appel de manière à étendre sa contestation au règlement n° 696/2002.
25 Après avoir jugé qu’Ikea n’avait pas qualité pour former, au titre de l’article 230, quatrième alinéa, CE, un recours contre le règlement n° 2398/97 et infirmé la décision du VAT and Duties Tribunal, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Convient-il, à la lumière des conclusions du groupe spécial de l’[ORD] dans son rapport du 30 octobre 2000, point 7.2, sous g) et h), WT/DS1412/R, et de l’organe d’appel [...] dans sa décision du 1^er mars 2002, points 86 et 87, WT/DS1141/AB/R, de considérer le règlement [...] n° 2398/97 [...] comme étant en tout ou partie incompatible avec le droit communautaire en ce qu’il:
– soumettait le calcul du montant des frais de vente, des dépenses administratives et des autres frais généraux, ainsi que celui des bénéfices, à une méthode erronée, contraire à l’article 2, paragraphe 6, sous a), du règlement [de base], tel que modifié, et à l’article 2.2.2, sous ii), de l’accord antidumping,
– appliquait une méthode erronée en recourant à la pratique de la ‘réduction à zéro’ pour établir l’existence de marges de dumping en comparant la valeur normale avec le prix à l’exportation, contrairement à l’article 2, paragraphe 11, du règlement [de base] et à l’article 2.4.2 de l’accord antidumping, et/ou
– omettait d’évaluer l’ensemble des facteurs de préjudice pertinents influant sur la situation de l’industrie communautaire, et commettait une erreur en s’appuyant sur des facteurs concernant des sociétés n’appartenant pas à l’industrie communautaire pour déterminer le préjudice, en violation de l’article 3, paragraphe 5, du règlement [de base] et de l’article 3.4 de l’accord antidumping?
2) L’un ou l’ensemble des règlements [...]:
– [...] n° 1644/2001 [...],
– [...] n° 160/2002 [...], et/ou
– [...] n° 696/2002 [...],
[sont]-il incompatible[s] avec le droit communautaire (y compris les articles 1, 7, paragraphe 1, et 9, paragraphe 4, du règlement [de base], lus à la lumière des articles 1^er, 7.1 et 9 de l’accord antidumping), dans la mesure où ils ont été adoptés sur la base d’une réévaluation des informations recueillies lors de la période d’enquête initiale, réévaluation dont il était ressorti soit qu’il n’avait existé aucun dumping soit que celui-ci avait été de niveau moindre durant ladite période, mais
qu’ils ne prévoient pas pour autant le remboursement des sommes déjà versées par application du règlement n° 2398/97?
3) Les règlements n^os 1644/2001, 160/2002 et 696/2002 sont-ils en outre incompatibles avec les articles 7, paragraphe 2, et 9, paragraphe 4, du règlement [de base] et avec le principe de proportionnalité, dans la mesure où ils prévoient un niveau de droit antidumping qui n’est pas strictement proportionné au montant du dumping ou du préjudice que ce droit vise à compenser?
4) Les réponses aux questions ci-dessus diffèrent-elles en ce qui concerne les exportations originaires de l’Inde par rapport à celles originaires du Pakistan, compte tenu:
– des procédures suivies devant l’[ORD], et/ou
– des conclusions de la Commission figurant dans les règlements n^os 1644/2001, 160/2002 et 696/2002?
5) À la lumière des réponses aux questions ci-dessus:
– une autorité douanière nationale doit-elle rembourser tout ou partie des droits antidumping qu’elle a perçus par application du règlement n° 2398/97, et
– si oui, au profit de quelle personne et à quelles conditions ce remboursement doit-il être effectué?»
Sur les questions préjudicielles
26 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour d’apprécier la validité du règlement n° 2398/97 au regard de l’accord antidumping, tel qu’interprété ultérieurement par les recommandations et les décisions de l’ORD, ainsi qu’au regard du règlement de base.
Sur la validité du règlement nº 2398/97 au regard de l’accord antidumping, tel qu’interprété par les recommandations et les décisions de l’ORD
27 Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord soutient que les recommandations ainsi que les décisions de l’ORD constituent clairement l’unique base du recours, puisque la validité du règlement n° 2398/97 n’a fait l’objet d’aucune action indépendante antérieurement auxdites conclusions. Il fait valoir que le fait, pour la Cour, de se prononcer, de manière rétroactive, sur la légalité de la législation communautaire à la lumière des recommandations de l’ORD, qui valent pour l’avenir,
ou des décisions sur lesquelles reposent ces recommandations, serait contraire aux principes qui sont à la base du règlement n° 1515/2001.
28 Le Conseil et la Commission considèrent que lesdites recommandations et décisions sur les importations de linge de lit en coton ne lient pas la Cour et que le règlement nº 2398/97 n’est pas entaché d’invalidité au regard du droit communautaire au seul motif que l’ORD a conclu que l’adoption dudit règlement contrevenait aux obligations incombant à la Communauté en vertu de l’accord antidumping.
29 Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que, selon une jurisprudence constante, compte tenu de leur nature et de leur économie, les accords de l’OMC ne figurent pas, en principe, parmi les normes au regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes des institutions communautaires (arrêts du 30 septembre 2003, Biret International/Conseil, C‑93/02 P, Rec. p. I‑10497, point 52, ainsi que du 1^er mars 2005, Van Parys, C‑377/02, Rec. p. I‑1465, point 39 et jurisprudence citée).
30 Ce n’est que dans l’hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC ou dans l’occurrence où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords de l’OMC, qu’il appartient à la Cour de contrôler la légalité de l’acte communautaire en cause au regard des règles de l’OMC (arrêts du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil, C‑149/96, Rec. p. I‑8395, point 49; Biret International/Conseil, précité, point 53,
ainsi que Van Parys, précité, point 40 et jurisprudence citée).
31 Conformément à l’article 1^er du règlement nº 1515/2001, le Conseil peut, à la suite d’un rapport adopté par l’ORD, selon le cas, abroger ou modifier la mesure incriminée, ou bien adopter toute autre mesure particulière jugée appropriée en l’espèce.
32 En vertu de son article 4, le règlement nº 1515/2001 s’applique aux rapports adoptés par l’ORD à partir du 1^er janvier 2001. En l’espèce, l’ORD a adopté, le 12 mars 2001, le rapport de l’organe d’appel et celui du groupe spécial, tel que modifié par le rapport dudit organe.
33 Or, en vertu de l’article 3 du règlement n° 1515/2001, une mesure prise dans le cadre de ce règlement prend effet à compter de sa date d’entrée en vigueur et ne peut être invoquée de ce fait pour obtenir le remboursement des droits perçus avant cette date, sauf indication contraire. Le sixième considérant dudit règlement dispose à cet égard que les recommandations formulées dans les rapports adoptés par l’ORD n’ont qu’un effet pour l’avenir. Dès lors, «une mesure prise dans le cadre du
[règlement n° 1515/2001] prend effet à compter de sa date d’entrée en vigueur, sauf indication contraire, et [...] ne peut être invoquée de ce fait pour obtenir le remboursement des droits perçus avant cette date».
34 En l’occurrence, eu égard aux dispositions du règlement n° 1515/2001 et aux recommandations de l’ORD, le Conseil a tout d’abord adopté, le 7 août 2001, le règlement n° 1644/2001. Ensuite, il a adopté, le 28 janvier 2002, le règlement n° 160/2002 et, enfin, le 22 avril 2002, le règlement n° 696/2002 confirmant le droit antidumping définitif institué par le règlement n° 2398/97, tel que modifié et suspendu par le règlement n° 1644/2001.
35 Il résulte de tout ce qui précède que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la légalité du règlement nº 2398/97 ne saurait être contrôlée au regard de l’accord antidumping, tel qu’interprété ultérieurement par les recommandations de l’ORD, dès lors qu’il ressort clairement des règlements subséquents que la Communauté, en excluant le remboursement des droits payés au titre du règlement nº 2398/97, n’a nullement entendu donner exécution à une obligation
particulière assumée dans le cadre de l’OMC.
Sur la validité du règlement n° 2398/97 au regard du règlement de base
36 La juridiction de renvoi s’interroge en outre sur la validité du règlement n° 2398/97 au regard du règlement de base. Elle demande en substance si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation lors de la détermination de la valeur normale «construite» du produit concerné, de la marge de dumping et de l’existence d’un préjudice causé à l’industrie communautaire.
37 La requérante au principal s’appuie sur l’article 2, paragraphe 6, du règlement de base, relatif à la détermination de la valeur normale d’un produit, sur l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base, relatif à la détermination de la marge de dumping et sur l’article 3, paragraphe 5, de ce même règlement, relatif à la détermination du préjudice causé à une industrie communautaire.
38 À cet égard, Ikea fait valoir que, dès lors que les interprétations faites par l’ORD desdits articles de l’accord antidumping dans ses décisions confirment le fait que les méthodes utilisées par les institutions communautaires concernées pour la détermination de la marge de dumping et du préjudice sont erronées, il y a lieu de considérer que ces méthodes sont également contraires au règlement de base.
39 Le Conseil et la Commission considèrent en revanche que le règlement n° 2398/97 reste valide au regard du droit communautaire. La Commission, soutenue par le Conseil, estime que les dispositions du règlement n° 2398/97, contestées au regard du règlement de base, constituent des pratiques en vigueur de longue date, qui, jusqu’à présent, n’ont pas été déclarées invalides par les juridictions communautaires.
40 Il y a lieu de rappeler à cet égard que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 102 de ses conclusions, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale, les institutions communautaires disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu’elles doivent examiner (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 1983, Fediol/Commission, 191/82,
Rec. p. 2913, point 26, et du 7 mai 1987, Nachi Fujikoshi/Conseil, 255/84, Rec. p. 1861, point 21).
41 Il est en outre de jurisprudence constante que le choix entre différentes méthodes de calcul de la marge de dumping, telles que celles indiquées à l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base, ainsi que l’appréciation de la valeur normale d’un produit ou encore la détermination de l’existence d’un préjudice supposent l’appréciation de situations économiques complexes, et le contrôle juridictionnel d’une telle appréciation doit ainsi être limité à la vérification du respect des règles de
procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêts du 7 mai 1987, NTN Toyo Bearing e.a./Conseil, 240/84, Rec. p. 1809, point 19; du 14 mars 1990, Gestetner Holdings/Conseil et Commission, C-156/87, Rec. p. I‑781, point 63, et du 19 novembre 1998, Royaume-Uni/Conseil, C‑150/94, Rec. p. I‑7235, point 54).
42 Ainsi, il y a lieu d’examiner si les institutions communautaires ont commis une erreur manifeste d’appréciation au regard du droit communautaire lors de la détermination de la valeur normale «construite» du produit concerné, de la marge de dumping et de l’existence d’un préjudice causé à l’industrie communautaire.
Sur le calcul de la valeur normale «construite» du produit concerné
43 La valeur normale est calculée pour tous les types de produits exportés vers la Communauté par l’ensemble des sociétés, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base. Celle-ci est déterminée en ajoutant au coût de production des types de produits exportés par chaque société un montant raisonnable correspondant, d’une part, aux frais de vente, aux dépenses administratives et aux autres frais généraux supportés ainsi que, d’autre part, aux bénéfices réalisés.
44 En ce qui concerne les importations en provenance de l’Inde, puisque seule une société a effectué globalement des ventes intérieures représentatives et que les ventes intérieures de modèles rentables représentaient moins de 80 % mais plus de 10 % des ventes intérieures totales, ces ventes ont donc été considérées comme ayant été effectuées au cours d’opérations commerciales normales. Par conséquent, le montant correspondant, d’une part, aux frais de vente, aux dépenses administratives et aux
autres frais généraux et, d’autre part, aux bénéfices, qui a été utilisé aux fins de la détermination de la valeur normale pour l’ensemble des sociétés ayant fait l’objet de l’enquête, représente ceux respectivement supportés et réalisés par cette société, conformément à l’article 2, paragraphe 6, du règlement de base. Le même constat a été effectué en ce qui concerne les importations en provenance du Pakistan.
45 S’agissant de l’utilisation de la marge bénéficiaire d’une seule société, le règlement n° 2398/97 rappelle, à son dix-huitième considérant, que l’enquête a été limitée à un échantillon de producteurs/exportateurs conformément à l’article 17 du règlement de base et que la grande majorité des sociétés indiennes qui ont coopéré sont des sociétés d’exportation qui ne vendent pas de produits similaires sur leur marché intérieur. La Commission a inclus dans cet échantillon cinq
producteurs/exportateurs indiens, dont deux ont déclaré, au moment de la sélection, qu’ils avaient vendu des produits similaires sur ledit marché.
46 Toutefois, comme le précise le vingt-troisième considérant du règlement provisoire, l’enquête a révélé qu’un seul de ces producteurs/exportateurs avait effectué des ventes représentatives du produit similaire sur son marché intérieur au cours de la période d’enquête. De plus, la référence, à l’article 2, paragraphe 6, sous a), du règlement de base, à la moyenne pondérée des bénéfices établis pour les autres exportateurs ou producteurs n’exclut pas que ce montant puisse être déterminé en
effectuant la moyenne pondérée des transactions et/ou des types de produits d’un seul exportateur ou producteur.
47 Il y a lieu de relever à cet égard que, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué aux points 132 à 142 de ses conclusions, le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que, lors de la détermination des montants correspondant aux frais de vente, aux dépenses administratives et aux autres frais généraux ainsi qu’aux bénéfices, l’article 2, paragraphe 6, sous a), du règlement de base peut être appliqué lorsque les informations disponibles concernent un seul
producteur et permet d’écarter les informations relatives à des ventes qui n’ont pas été effectuées au cours d’opérations commerciales normales.
48 En effet, d’une part, l’utilisation, à l’article 2, paragraphe 6, sous a), du règlement de base, du pluriel, dans l’expression «autres exportateurs ou producteurs», n’exclut pas la prise en compte des données d’une unique entreprise qui, parmi d’autres entreprises faisant l’objet de l’enquête, a effectué, sur le marché intérieur de l’État d’origine, des ventes représentatives du produit similaire au cours de la période d’enquête. D’autre part, le fait d’écarter de la détermination de la
marge bénéficiaire les ventes d’autres exportateurs ou producteurs qui n’ont pas eu lieu au cours d’opérations commerciales normales constitue une méthode adéquate de construction de la valeur normale, conforme au principe établi aux articles 1^er, paragraphe 2, et 2, paragraphe 1, du règlement de base, selon lequel la valeur normale doit, en principe, reposer sur les données relatives aux ventes réalisées au cours d’opérations commerciales normales.
49 Il s’ensuit que le Conseil n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation lors du calcul de la valeur normale «construite» du produit concerné.
Sur la détermination de la marge de dumping
50 En ce qui concerne la détermination finale de la marge de dumping, la juridiction de renvoi demande si la méthode de la «réduction à zéro» utilisée aux fins de l’établissement de la marge de dumping globale, telle qu’elle a été appliquée dans le cadre de l’enquête antidumping en cause au principal, est compatible avec l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base.
51 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que les erreurs prétendument commises dans le calcul des frais de vente, des dépenses administratives, des autres frais et des bénéfices ainsi que le recours à la méthode de la «réduction à zéro» concernent la détermination des marges de dumping. Toutefois, l’illégalité d’un ajustement effectué dans le cadre de la détermination de l’existence d’un dumping n’affecterait la légalité de l’institution d’un droit antidumping que pour autant que le droit
antidumping institué excède celui applicable sans cet ajustement.
52 Aux termes de l’article 2, paragraphe 12, du règlement de base, la marge de dumping est le montant par lequel la valeur normale dépasse le prix à l’exportation. Cette marge est donc déterminée par les autorités chargées de l’enquête, conformément au paragraphe 10 de cet article, en comparant, de manière équitable, la valeur normale du produit similaire au prix à l’exportation vers la Communauté qui est pratiqué.
53 Dans l’affaire au principal, il n’est pas contesté que la marge de dumping a été calculée en comparant la valeur normale «construite» moyenne pondérée par types de produits au prix à l’exportation moyen pondéré par types de produits. Ainsi, les institutions concernées ont tout d’abord recensé plusieurs modèles différents du produit faisant l’objet de l’enquête. Pour chacun de ceux-ci, elles ont calculé une valeur normale moyenne pondérée et un prix à l’exportation moyen pondéré, puis les ont
comparés pour chaque modèle. Pour certains modèles, le prix à l’exportation étant inférieur à la valeur normale, l’existence d’un dumping était établie. En revanche, pour d’autres modèles, le prix à l’exportation étant supérieur à la valeur normale, une marge de dumping d’un montant négatif a été retenue.
54 Afin de calculer le montant global du dumping pour le produit visé par l’enquête, ces institutions ont ensuite additionné le montant du dumping en ce qui concerne tous les modèles à propos desquels l’existence d’un dumping était établie. En revanche, lesdites institutions ont ramené à zéro toutes les marges de dumping négatives. Le montant global du dumping a ensuite été exprimé en pourcentage de la valeur cumulée de toutes les transactions à l’exportation de tous les modèles qu’ils aient ou
non fait l’objet d’un dumping.
55 À cet égard, il convient de relever que les termes de l’article 2 du règlement de base ne font aucunement référence à la méthode de la «réduction à zéro». Au contraire, ce règlement fait expressément obligation aux institutions communautaires d’effectuer une comparaison équitable entre le prix à l’exportation et la valeur normale, conformément aux dispositions de son article 2, paragraphes 10 et 11.
56 En effet, l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base précise que la valeur normale moyenne pondérée sera comparée à «une moyenne pondérée des prix de toutes les exportations vers la Communauté». Or, en l’espèce, lors de cette comparaison, l’utilisation de la méthode de la «réduction à zéro» des marges de dumping négatives s’est traduite par une modification des prix des transactions à l’exportation. Par conséquent, le Conseil, en utilisant cette méthode, n’a pas calculé la marge de
dumping globale en se fondant sur des comparaisons reflétant pleinement tous les prix à l’exportation comparables, et a, dès lors, en calculant ainsi ladite marge, commis une erreur manifeste d’appréciation au regard du droit communautaire.
57 Il s’ensuit que les institutions communautaires ont agi d’une manière incompatible avec l’article 2, paragraphe 11, du règlement de base en appliquant, dans le cadre du calcul de la marge de dumping concernant le produit visé par l’enquête, la méthode de la «réduction à zéro» des marges de dumping négatives pour chacun des types de produits concernés.
Sur la détermination de l’existence d’un préjudice
58 La juridiction de renvoi demande à la Cour d’apprécier la validité du règlement n° 2398/97 en ce qu’il a, aux fins de l’examen du préjudice, omis d’évaluer l’ensemble des facteurs de préjudice pertinents influant sur la situation de l’industrie communautaire et s’appuierait à tort sur des facteurs propres à des sociétés n’appartenant pas à l’industrie communautaire pour déterminer ce préjudice, et cela en violation de l’article 3, paragraphe 5, du règlement de base.
59 Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 1^er, paragraphe 1, du règlement de base, un droit antidumping ne peut viser un produit faisant l’objet d’un dumping que si sa mise en libre pratique dans la Communauté cause un préjudice, le terme «préjudice» étant entendu, en application de l’article 3, paragraphe 1, du même règlement, comme un préjudice important causé à une industrie communautaire, une menace de préjudice important pour une industrie communautaire ou un retard sensible
dans la création d’une industrie communautaire.
60 Il y a lieu de constater à cet égard que, aux termes du trente-quatrième considérant du règlement n° 2398/97, les 35 sociétés à l’origine de la plainte adressée à la Commission représentent une proportion majeure de la production communautaire totale au sens de l’article 5, paragraphe 4, du règlement de base et constituent également à ce titre l’industrie communautaire, telle que définie à l’article 4, paragraphe 1, de ce dernier règlement. Toutefois, il ressort du quarante et unième
considérant du règlement n° 2398/97 que l’examen du préjudice causé à l’industrie communautaire a porté sur les données relatives à la Communauté dans son ensemble et n’a pas été analysé seulement au niveau de l’industrie communautaire, telle que définie audit article 4, paragraphe 1.
61 S’agissant du point de savoir si les autorités communautaires ont commis une erreur manifeste d’appréciation en n’évaluant pas l’ensemble des facteurs pertinents ayant une incidence sur la situation de l’industrie communautaire, exposés à l’article 3, paragraphe 5, du règlement de base, il y a lieu de préciser que cette disposition donne à ces autorités un pouvoir discrétionnaire dans l’examen et l’évaluation des différents indices.
62 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 193 et 194 de ses conclusions, d’une part, ladite disposition exige seulement que soient examinés les facteurs et les indices économiques «pertinents qui influent sur la situation de [l’industrie communautaire]» et, d’autre part, il ressort des termes de celle-ci que la liste des facteurs et des indices économiques exposés «n’est pas exhaustive».
63 Il y a donc lieu de constater que, en évaluant, aux fins de l’examen de l’incidence des importations faisant l’objet d’un dumping sur ladite situation, les seuls facteurs pertinents qui influent sur cette dernière, les institutions concernées n’ont pas excédé la marge d’appréciation qui leur est reconnue dans l’évaluation de situations économiques complexes. En outre, lors de la nouvelle évaluation réalisée dans le cadre du règlement n° 1644/2001, les erreurs prétendument commises dans
l’évaluation du préjudice n’ont pas eu d’effet sur la détermination de l’existence d’un préjudice causé à l’industrie communautaire.
64 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les institutions communautaires n’ont commis aucune erreur manifeste d’appréciation dans l’évaluation de l’existence et de l’importance dudit préjudice.
65 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1^er du règlement n° 2398/97 est invalide dans la mesure où le Conseil a appliqué, aux fins de la détermination de la marge de dumping concernant le produit visé par l’enquête, la méthode de la «réduction à zéro» des marges de dumping négatives pour chacun des types de produits concernés.
66 Il convient, par conséquent, sans qu’il y ait lieu de répondre aux autres questions relatives à la validité des règlements subséquents, d’examiner la cinquième question, portant sur les conséquences à tirer de la constatation de l’invalidité de l’article 1^er du règlement nº 2398/97, au regard du droit de l’importateur en cause dans l’affaire au principal au remboursement des droits antidumping qu’il a payés en application dudit règlement.
67 Il appartient aux autorités nationales de tirer les conséquences, dans leur ordre juridique, d’une déclaration d’invalidité intervenue dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité (arrêt du 30 octobre 1975, Rey Soda, 23/75, Rec. p. 1279, point 51), ce qui aurait pour conséquence que les droits antidumping, payés au titre du règlement nº 2398/97, ne seraient pas légalement dus au sens de l’article 236, paragraphe 1, du règlement nº 2913/92 et devraient, en principe, faire
l’objet d’un remboursement par les autorités douanières, conformément à cette disposition, si les conditions auxquelles un tel remboursement est assujetti, dont celle prévue au paragraphe 2 dudit article, sont réunies, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.
68 Ensuite, il y a lieu de relever que les juridictions nationales sont seules compétentes pour connaître d’une action en répétition de montants indûment perçus par un organisme national sur la base d’une réglementation communautaire déclarée par la suite non valide (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 1989, Roquette/Commission, 20/88, Rec. p. 1553, point 14, et du 13 mars 1992, Vreugdenhil/Commission, C‑282/90, Rec. I‑1937, point 12).
69 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la cinquième question qu’un importateur tel que celui en cause au principal qui a introduit devant une juridiction nationale un recours dirigé contre les décisions par lesquelles la perception de droits antidumping lui est réclamée en application du règlement nº 2398/97, déclaré invalide en vertu du présent arrêt, est, en principe, en droit de se prévaloir de cette invalidité dans le cadre du litige au principal pour obtenir le remboursement de
ces droits conformément à l’article 236, paragraphe 1, du règlement nº 2913/92.
Sur les dépens
70 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
1) L’article 1^er du règlement (CE) n° 2398/97 du Conseil, du 28 novembre 1997, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de linge de lit en coton originaires d’Égypte, d’Inde et du Pakistan, est invalide dans la mesure où le Conseil de l’Union européenne a appliqué, aux fins de la détermination de la marge de dumping concernant le produit visé par l’enquête, la méthode de la «réduction à zéro» des marges de dumping négatives pour chacun des types de produits concernés.
2) Un importateur tel que celui en cause au principal qui a introduit devant une juridiction nationale un recours dirigé contre les décisions par lesquelles la perception de droits antidumping lui est réclamée en application du règlement n° 2398/97, déclaré invalide en vertu du présent arrêt, est, en principe, en droit de se prévaloir de cette invalidité dans le cadre du litige au principal pour obtenir le remboursement de ces droits conformément à l’article 236, paragraphe 1, du règlement (CE)
n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire.
Signatures
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* Langue de procédure: l’anglais.