Affaire C-183/05
Commission des Communautés européennes
contre
Irlande
«Manquement d'État — Directive 92/43/CEE — Articles 12, paragraphes 1 et 2, 13, paragraphe 1, sous b), et 16 — Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages — Protection des espèces»
Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 21 septembre 2006
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 11 janvier 2007
Sommaire de l'arrêt
1. Recours en manquement — Examen du bien-fondé par la Cour — Situation à prendre en considération — Situation à l'expiration du délai fixé par l'avis motivé
(Art. 226 CE)
2. Environnement — Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages — Directive 92/43 — Protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV, point a)
(Directive du Conseil 92/43, art. 12, § 1, b) et d), et annexe IV, point a))
3. Recours en manquement — Preuve du manquement — Charge incombant à la Commission
(Art. 226 CE)
1. Dans le cadre d'un recours au titre de l'article 226 CE, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour.
(cf. point 17)
2. La transposition de l'article 12, paragraphe 1, de la directive 92/43, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, qui prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV, point a), de la même directive, dans leur aire de répartition naturelle, impose auxdits États non seulement l'adoption d'un cadre législatif complet, mais également la
mise en oeuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection. De même, le système de protection stricte suppose l'adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif.
(cf. points 28-30)
3. Dans le cadre d'une procédure en manquement introduite en vertu de l'article 226 CE, il incombe à la Commission d'établir l'existence du manquement allégué, sans qu'elle puisse se fonder sur une présomption quelconque.
(cf. point 39)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
11 janvier 2007 (*)
«Manquement d’État – Directive 92/43/CEE – Articles 12, paragraphes 1 et 2, 13, paragraphe 1, sous b), et 16 – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Protection des espèces»
Dans l’affaire C-183/05,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 22 avril 2005,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. M. van Beek, en qualité d’agent, assisté de M^e M. Wemaëre, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Irlande, représentée par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. P. Kūris, J. Klučka (rapporteur), J. Makarczyk et G. Arestis, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 septembre 2006,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:
– en limitant la transposition des dispositions des articles 12, paragraphe 2, et 13, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7), aux espèces figurant à l’annexe IV de cette directive qui se trouvent en Irlande,
– en ne prenant pas toutes les mesures spécifiques nécessaires pour mettre efficacement en œuvre le système de protection stricte prévu à l’article 12, paragraphe 1, de ladite directive (ci‑après le «système de protection stricte»), et
– en maintenant des dispositions de la législation irlandaise qui ne sont pas compatibles avec celles des articles 12, paragraphe 1, et 16 de la même directive,
l’Irlande ne s’est pas conformée auxdits articles et a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE.
Le cadre juridique
2 Les quatrième et onzième considérants de la directive 92/43 sont libellés de la manière suivante:
«considérant que, sur le territoire européen des États membres, les habitats naturels ne cessent de se dégrader et qu’un nombre croissant d’espèces sauvages sont gravement menacées; que, étant donné que les habitats et espèces menacés font partie du patrimoine naturel de la Communauté et que les menaces pesant sur ceux-ci sont souvent de nature transfrontalière, il est nécessaire de prendre des mesures au niveau communautaire en vue de les conserver;
[…]
considérant qu’il est reconnu que l’adoption des mesures destinées à favoriser la conservation des habitats naturels prioritaires et des espèces prioritaires d’intérêt communautaire incombe, à titre de responsabilité commune, à tous les États membres; […]»
3 L’article 12, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/43 dispose:
«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant:
[…]
b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration;
[…]
d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos.
2. Pour ces espèces, les États membres interdisent la détention, le transport, le commerce ou l’échange et l’offre aux fins de vente ou d’échange de spécimens prélevés dans la nature, à l’exception de ceux qui auraient été prélevés légalement avant la mise en application de la présente directive.»
4 L’article 13 de la directive 92/43 prévoit l’instauration d’un système de protection stricte des espèces végétales figurant à l’annexe IV, sous b), de cette directive.
5 Aux termes de l’article 16, paragraphe 1, de la même directive:
«À condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b):
a) dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels;
b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété;
c) dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement;
d) à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes;
e) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, de manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l’annexe IV.»
La procédure précontentieuse
6 À la suite de plaintes, la Commission a, le 18 octobre 2002, adressé à l’Irlande une lettre de mise en demeure aux termes de laquelle elle lui faisait part de ses doutes concernant plusieurs aspects de la mise en œuvre par cet État membre des articles 12, 13 et 16 de la directive 92/43.
7 La réponse des autorités irlandaises, en date du 20 décembre 2002, n’ayant pas été jugée convaincante par la Commission, cette dernière a, le 11 juillet 2003, émis un avis motivé invitant l’Irlande à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de la notification dudit avis.
8 Par lettres des 12 septembre 2003 et 8 janvier 2004, l’Irlande a répondu à l’avis motivé. Toutefois, cette réponse ayant été jugée insatisfaisante par la Commission, cette dernière a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
9 Dans son recours, la Commission soulève trois griefs:
– le premier grief est tiré de la transposition incomplète des articles 12, paragraphe 2, et 13, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/43, en ce qui concerne les espèces figurant à l’annexe IV de cette directive qui ne sont pas normalement présentes en Irlande;
– le deuxième grief est tiré de l’absence d’adoption par l’Irlande de mesures spécifiques destinées à mettre efficacement en œuvre le système de protection stricte;
– le troisième grief est tiré de l’existence, dans la législation irlandaise, de dispositions qui seraient incompatibles tant avec l’article 12, paragraphe 1, qu’avec l’article 16 de la directive 92/43.
10 S’agissant du premier grief, la Commission y a renoncé en cours de procédure, eu égard à la réponse apportée sur ce point par l’Irlande dans son mémoire en défense. Il n’y a donc pas lieu de l’examiner.
Sur le deuxième grief
11 Le deuxième grief invoqué par la Commission comporte sept branches, dont la deuxième sera analysée avec le troisième grief, le libellé de celui-ci étant identique à celui de cette deuxième branche.
Sur la première branche du deuxième grief
12 S’agissant de la première branche, tirée de ce que l’Irlande aurait manqué à son obligation d’instaurer un système de protection stricte en ce qui concerne les espèces figurant à l’annexe IV de la directive 92/43, dans la mesure où ni la tortue luth ni la limace de Kerry ne figuraient parmi les espèces indiquées dans le premier tableau du règlement (habitats) des Communautés européennes [European Communities (Habitats) Regulations] de 1997, tel que modifié par le règlement (habitats naturels)
des Communautés européennes [European Communities (Natural Habitats) (Amendment) Regulations] de 1998 [ci-après le «règlement (habitats)»], la Commission indique que la réponse apportée par l’Irlande à cet égard est satisfaisante. En effet, cette dernière a précisé que le champ d’application de la réglementation nationale qui transpose la directive 92/43 avait été étendu auxdites espèces. Il n’y a donc pas lieu d’examiner la première branche du deuxième grief.
Sur les troisième, quatrième et sixième branches du deuxième grief
13 Par les troisième, quatrième et sixième branches du deuxième grief, la Commission soutient que les mesures prises par l’Irlande en matière de surveillance des espèces figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive 92/43 forment un ensemble disparate et lacunaire qui ne saurait être considéré comme mettant en œuvre efficacement le système de protection stricte.
14 S’agissant, tout d’abord, de la troisième branche dudit grief, la Commission relève que les plans d’action par espèce que l’Irlande a l’intention de préparer pour les espèces figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive 92/43 peuvent constituer, à condition d’être correctement établis et appliqués, un moyen efficace pour mettre en œuvre concrètement les exigences en matière de protection fixées à l’article 12, paragraphe 1, de ladite directive. Toutefois, en l’absence de tels plans, le
système de protection stricte présenterait des lacunes, sauf pour le crapaud calamite qui ferait l’objet d’une surveillance spécifique appropriée.
15 L’Irlande soutient que lesdits plans sont en cours de publication. Elle invoque également plusieurs initiatives gouvernementales qui n’ont pas encore abouti et qui, selon elle, sont de nature à parvenir à une meilleure concertation et à une surveillance plus systématique des espèces figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive 92/43.
16 Toutefois, de tels arguments ne sauraient être accueillis.
17 En effet, il importe de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêt du 2 juin 2005, Commission/Irlande, C‑282/02, Rec. p. I‑4653, point 40).
18 Il y a donc lieu de considérer la troisième branche du deuxième grief comme fondée.
19 S’agissant de la sixième branche, qu’il convient d’examiner avant la quatrième, la Commission soutient que, à l’exception du rhinolophe et du crapaud calamite, les autorités irlandaises ne disposent pas d’informations nécessaires concernant plusieurs espèces figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive 92/43, leurs aires de repos et de reproduction, ainsi que les menaces auxquelles ces espèces sont exposées, ce qui empêcherait de mettre en œuvre efficacement le système de protection
stricte.
20 En premier lieu, l’Irlande reconnaît que, s’agissant des chauves-souris autres que le rhinolophe, son projet de surveillance pilote ne remplace pas un travail de suivi plus élaboré. Cet État membre indique qu’il fournira, le moment venu, des renseignements essentiels sur les évolutions de la population de ces espèces et fait état de plusieurs initiatives pour la compilation d’informations relatives aux chauves-souris. Selon la Commission, une telle indication ne démontre ni que l’Irlande est
suffisamment informée sur les espèces de chauves-souris ni que cet État membre mettra en œuvre un programme à long terme cohérent pour obtenir les données nécessaires.
21 En deuxième lieu, l’Irlande soutient que l’étude nationale, lancée en 2004 et qui devait s’achever à l’automne de l’année 2005, s’inscrit dans le cadre d’un programme préexistant et qu’elle est de nature à former la base d’un futur programme de surveillance de la loutre. Selon la Commission, cette indication ne suffit pas à établir avec certitude qu’un système et un programme de surveillance adéquats seront mis en place pour l’espèce en question.
22 En troisième lieu, l’Irlande précise qu’un expert national de la limace de Kerry travaille à l’élaboration d’un plan d’action qui devrait être publié au printemps de l’année 2006 et comporterait des recommandations relatives à un programme continu de surveillance de cette espèce. Selon la Commission, les mesures et actions entreprises par l’Irlande n’apportent aucune certitude quant à la fourniture régulière de données de surveillance organisées d’une manière cohérente et intégrée sur la
présence de ladite espèce, les aires de reproduction et de repos de celle-ci ainsi que les menaces auxquelles elle pourrait être exposée.
23 En quatrième lieu, l’Irlande fait état d’initiatives en cours, telles que la décision d’instituer une base de relevés biologiques nationaux, la mise en place du National Biological Records Centre ou la collecte d’observations sur la capture accidentelle des cétacés dans un certain nombre d’activités de pêche, qui ont été prises depuis l’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 812/2004 du Conseil, du 26 avril 2004, établissant des mesures relatives aux captures accidentelles de cétacés dans les
pêcheries et modifiant le règlement (CE) n° 88/98 (JO L 150, p. 12).
24 À cet égard, il convient de souligner que, pour contester la sixième branche du deuxième grief, l’Irlande fait état de différentes initiatives qui n’avaient pas encore abouti au terme du délai imparti dans l’avis motivé. De telles initiatives ne sauraient, selon la jurisprudence rappelée au point 17 du présent arrêt, être prises en compte par la Cour dans son appréciation du manquement reproché par la Commission.
25 En conséquence, il y a lieu de considérer la sixième branche du deuxième grief comme fondée.
26 S’agissant, enfin, de la quatrième branche du même grief, la Commission soutient que, si un réseau de fonctionnaires chargés à temps plein de la conservation revêt une importance générale pour la mise en œuvre des lois concernant la faune et la flore sauvages, l’existence d’un tel réseau, invoquée par l’Irlande, ne démontre pas à elle seule que les mesures spécifiques requises ont été adoptées pour transposer l’article 12, paragraphe 1, de la directive 92/43.
27 L’Irlande répond que ses fonctionnaires sont d’une grande efficacité et protègent aussi les crapauds calamites, en jouant un rôle essentiel dans la mise en œuvre de la protection de cette espèce. De même, en raison de la connaissance directe que les gardes et fonctionnaires chargés de la préservation de la nature auraient des zones dont ils ont la charge, le réseau national de tels gardes et fonctionnaires serait informé de l’état de conservation des espèces animales et végétales dans
lesdites zones.
28 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 92/43 impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV, sous a), de la même directive, dans leur aire de répartition naturelle.
29 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 24 de ses conclusions, la transposition dudit article 12, paragraphe 1, impose aux États membres non seulement l’adoption d’un cadre législatif complet, mais également la mise en œuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2002, Commission/Grèce, C‑103/00, Rec. p. I‑1147, points 34 à 39).
30 De même, le système de protection stricte suppose l’adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif (arrêt du 16 mars 2006, Commission/Grèce, C‑518/04, non publié au Recueil, point 16).
31 Or, en l’espèce, l’existence d’un réseau de gardes et de fonctionnaires chargés à temps plein de la surveillance et de la protection des espèces ne saurait à elle seule démontrer la mise en œuvre efficace du système de protection stricte de toutes les espèces figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive 92/43 qui sont présentes en Irlande.
32 En effet, lesdites espèces ne font pas l’objet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 45 à 48 de ses conclusions, d’une surveillance appropriée, à l’exception du rhinolophe, du crapaud calamite, voire de la tortue luth, compte tenu du nombre limité de spécimens de cette espèce dans les eaux irlandaises. Tel est le cas de la loutre, de la limace de Kerry, des différentes espèces de chauves-souris, autres que le rhinolophe, ainsi que des cétacés, comme il résulte des points 20 à
24 du présent arrêt.
33 Il y a donc lieu de considérer la quatrième branche du deuxième grief comme fondée.
Sur la cinquième branche du deuxième grief
34 Par la cinquième branche du deuxième grief, la Commission soutient que, si les évaluations des incidences sur l’environnement, engagées conformément à la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO L 175, p. 40), peuvent avoir leur utilité en alertant les autorités compétentes sur les menaces spécifiques visant les aires de reproduction et de repos des espèces figurant à l’annexe IV de
la directive 92/43, seul un nombre limité de projets fait l’objet de telles évaluations en Irlande. Par ailleurs, même quand celles-ci sont engagées, les autorités irlandaises n’exigeraient du promoteur immobilier qu’il fournisse des informations relatives aux espèces protégées qu’après l’octroi de l’autorisation du projet concerné, procédure qui n’empêcherait pas certaines réalisations préjudiciables à l’environnement.
35 La Commission fait notamment référence à trois projets ayant des conséquences négatives respectivement sur les populations de chauves-souris (projet du domaine de Lough Rynn), sur les perchoirs des rhinolophes (projet de contournement d’Ennis) ainsi que sur les aires de repos et de reproduction des cétacés (projet de construction d’un gazoduc dans la baie de Broadhaven).
36 À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 53 à 61 de ses conclusions, l’autorisation d’un projet, avant que n’intervienne l’évaluation des incidences sur l’environnement concluant à des conséquences négatives de ce projet sur l’environnement (projet du domaine de Lough Rynn), ou l’autorisation sans dérogation d’autres projets, alors que l’évaluation préalable a conclu également à des conséquences négatives dudit projet sur l’environnement (projets de contournement
d’Ennis et de construction d’un gazoduc dans la baie de Broadhaven), sont de nature à démontrer que les espèces figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive 92/43, ainsi que leurs aires de reproduction et de repos, sont sujettes à des perturbations et à des menaces que la réglementation irlandaise ne permet pas d’éviter.
37 En conséquence, s’agissant desdits projets invoqués par la Commission dans sa requête, il ne saurait être considéré que toutes les mesures ont été prises pour mettre en œuvre efficacement le système de protection stricte. Partant, il y a lieu de considérer la cinquième branche du deuxième grief comme fondée.
Sur la septième branche du deuxième grief
38 Par la septième branche du deuxième grief, la Commission soutient que l’Irlande n’a pas démontré qu’elle avait instauré une stratégie appropriée visant à répondre aux types de menaces affectant les aires de reproduction et de repos des espèces de chauves-souris. Elle invoque notamment le fait que le traitement du bois ainsi que les travaux de rénovation et de démolition constituent des menaces pour les nichoirs des chauves-souris.
39 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure en manquement introduite en vertu de l’article 226 CE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué, sans qu’elle puisse se fonder sur une présomption quelconque (arrêt du 18 mai 2006, Commission/Espagne, C‑221/04, Rec. p. I‑4515, point 59 et jurisprudence citée).
40 Or, en l’espèce, force est de constater que la Commission n’apporte aucun élément concret de nature à étayer la septième branche de son deuxième grief.
41 La septième branche du deuxième grief doit donc être considérée comme non fondée.
Sur le troisième grief
42 Par son troisième grief, dont le libellé est identique à celui de la deuxième branche du deuxième grief, la Commission invoque l’existence d’un régime parallèle de dérogations incompatibles avec le champ et les conditions d’application de l’article 16 de la directive 92/43, ce régime découlant, d’une part, de l’article 23, paragraphe 7, de la loi sur la faune et la flore sauvages (Wildlife Act) de 1976, dans sa version résultant de la loi modificative [Wildlife (Amendment) Act] de 2000
(ci-après la «Wildlife Act»), et, d’autre part, de l’article 42 de cette même loi.
43 Compte tenu de la défense de l’Irlande en ce qui concerne le manquement tiré de l’article 42 de la Wildlife Act, la Commission a renoncé à cette branche de son troisième grief. Il n’y a donc pas lieu d’examiner celle-ci.
44 S’agissant de la branche du troisième grief relative à l’article 23, paragraphe 7, sous a) à c), de la Wildlife Act, la Commission soutient que cette disposition prévoit que ne constitue pas une infraction le fait qu’une personne, de manière non intentionnelle, blesse ou tue un animal sauvage protégé en exerçant une activité dans le cadre de l’agriculture, de la pêche, de l’aquaculture, de la sylviculture ou du tourbage [article 23, paragraphe 7, sous a)], ou perturbe ou détruit le lieu de
reproduction d’un tel animal dans le cadre desdites activités [article 23, paragraphe 7, sous b)], ou encore, de manière non intentionnelle, tue ou blesse un tel animal ou détruit ou endommage l’aire de reproduction ou de repos d’un tel animal dans le cadre de la construction d’une route ou de tous travaux archéologiques ou de travaux de construction ou de génie civil, ou également dans le cadre de la construction ou lors de l’exécution de tout autre travail ou opération de cette sorte pouvant être
prescrit [article 23, paragraphe 7, sous c)].
45 L’Irlande soutient que la Commission a fait une interprétation erronée de la finalité dudit article 23, paragraphe 7. Toutefois, pour lever toute ambiguïté à cet égard, l’Irlande indique qu’elle a apporté des modifications au règlement (habitats) afin de délimiter clairement le régime de l’article 23 de la Wildlife Act et les dispositions de la règle 23 de ce règlement. Le règlement (habitats naturels) des Communautés européennes [European Communities (Natural Habitats) Regulations] de 2005
aurait inséré une nouvelle disposition dans ladite loi, à savoir le paragraphe 8 dudit article 23.
46 À cet égard, il convient, en premier lieu, de rappeler que la modification de l’article 23 de la Wildlife Act par ledit règlement de 2005 ne saurait, selon la jurisprudence rappelée au point 17 du présent arrêt, être prise en compte par la Cour dans son appréciation du manquement reproché, dans la mesure où cette modification est intervenue après l’expiration du délai de deux mois imparti dans l’avis motivé.
47 En second lieu, il suffit de constater que, en prévoyant que ne constituent pas une infraction les actes non intentionnels qui perturbent ou détruisent des sites de reproduction ou des aires de repos des espèces sauvages, l’article 23, paragraphe 7, sous b), de la Wildlife Act ne satisfait pas aux exigences de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/43 qui prohibe ces actes, qu’ils soient intentionnels ou non (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2005, Commission/Royaume-Uni,
C‑6/04, Rec. p. I‑9017, point 79).
48 En outre, il apparaît que les dérogations énoncées à l’article 23 de la Wildlife Act vont au-delà de ce qui est prévu à l’article 16 de la directive 92/43, ce dernier déterminant de manière exhaustive les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à l’article 12 de celle-ci.
49 Il en résulte que c’est à bon droit que la Commission invoque l’existence d’un régime parallèle de dérogations, prévu par la réglementation irlandaise, qui sont incompatibles avec les articles 12 et 16 de la directive 92/43.
50 Le troisième grief invoqué par la Commission au soutien de son recours est donc fondé.
51 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que:
– en ne prenant pas toutes les mesures spécifiques nécessaires pour mettre efficacement en œuvre le système de protection stricte,
– en maintenant les dispositions de l’article 23, paragraphe 7, sous a) à c), de la Wildlife Act qui ne sont pas compatibles avec celles des articles 12, paragraphe 1, et 16 de la directive 92/43,
l’Irlande ne s’est pas conformée auxdits articles de cette directive et a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de celle-ci.
Sur les dépens
52 En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et cette dernière ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) – En ne prenant pas toutes les mesures spécifiques nécessaires pour mettre efficacement en œuvre le système de protection stricte prévu à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages,
– en maintenant les dispositions de l’article 23, paragraphe 7, sous a) à c), de la loi sur la faune et la flore sauvages (Wildlife Act) de 1976, dans sa version résultant de la loi modificative [Wildlife (Amendment) Act] de 2000, qui ne sont pas compatibles avec celles des articles 12, paragraphe 1, et 16 de la directive 92/43,
l’Irlande ne s’est pas conformée auxdits articles de cette directive et a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de celle-ci.
2) L’Irlande est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: l’anglais.