Affaire C-240/05
Administration de l'enregistrement et des domaines
contre
Eurodental Sàrl
(demande de décision préjudicielle, introduite par la cour d'appel (Luxembourg))
«Sixième directive TVA — Exonérations — Articles 13, A, paragraphe 1, sous e), 17, paragraphe 3, sous b), et 28 quater, A, sous a) — Droit à déduction — Fabrication et réparation de prothèses dentaires — Opérations intracommunautaires relatives à des opérations exonérées à l'intérieur de l'État membre — Incidence du régime dérogatoire et transitoire prévu à l'article 28, paragraphe 3, sous a), en liaison avec l'annexe E, point 2 — Principe de neutralité fiscale — Harmonisation partielle de la TVA»
Conclusions de l'avocat général M. D. Ruiz-Jarabo Colomer, présentées le 22 juin 2006
Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 7 décembre 2006
Sommaire de l'arrêt
Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont
(Directive du Conseil 77/388, art. 13, A, § 1, e), et 17, § 3, b))
Des opérations telles que la confection et la réparation de prothèses dentaires, exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée à l'intérieur d'un État membre en vertu de l'article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, dans sa version résultant des directives 91/680 et 92/111, n'ouvrent pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont en vertu de
l'article 17, paragraphe 3, sous b), de cette directive, même lorsqu'elles constituent des opérations intracommunautaires, et quel que soit le régime de la taxe sur la valeur ajoutée applicable dans l'État membre de destination.
Cette interprétation, déduite des termes mêmes de la sixième directive, est confirmée tant par l'objectif poursuivi par celle-ci que par son économie et le principe de neutralité fiscale.
En effet, il ressort, en premier lieu, de la finalité du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et du régime transitoire institué par la directive 91/680 pour la taxation des échanges entre les États membres qu'un assujetti bénéficiant d'une exonération et, en conséquence, n'ayant pas droit à la déduction de la taxe payée en amont à l'intérieur d'un État membre, ne saurait pas non plus avoir ce droit lorsque l'opération concernée revêt un caractère intracommunautaire.
En deuxième lieu, les exonérations prévues à l'article 13, A, de la sixième directive, en ce qu'elles bénéficient uniquement à certaines activités d'intérêt général énumérées et décrites de manière détaillée à cette disposition, revêtent une nature spécifique, tandis que l'exonération en faveur des opérations de nature intracommunautaire revêt une nature générale, visant de manière indéterminée les opérations économiques entre les États membres. Dans ces conditions, il est conforme à l'économie de
la sixième directive que le régime applicable aux exonérations spécifiques prévues à l'article 13, A, de cette directive se voie reconnaître la primauté sur celui applicable aux exonérations générales prévues par cette même directive en ce qui concerne les opérations de nature intracommunautaire.
En troisième lieu, le principe de neutralité fiscale s'oppose, notamment, à ce que des prestations semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée. Or, si les opérations exonérées en vertu de l'article 13, A, sous e) de la sixième directive ouvraient droit à déduction lorsqu'elles revêtent un caractère intracommunautaire, ce principe ne serait pas respecté, puisque les mêmes opérations,
lorsqu'elles sont accomplies à l'intérieur d'un État membre, ne donnent pas lieu, quant à elles, à déduction.
Est sans incidence à cet égard le fait que l'État membre de destination applique le régime transitoire prévu à l'article 28, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive en liaison avec le point 2 de l'annexe E de cette même directive, régime qui lui permet de continuer à taxer les opérations en cause. En effet, la taxation permise par cette disposition n'est pas une taxation harmonisée qui fait partie intégrante du régime de la taxe sur la valeur ajoutée tel qu'organisé par la sixième directive
pour certaines activités d'intérêt général, mais une taxation autorisée uniquement pendant une période transitoire. Ce régime exceptionnel doit faire l'objet d'une interprétation stricte et sa portée ne peut dès lors être étendue aux États membres qui se sont conformés au principe retenu par la sixième directive en exonérant certaines activités d'intérêt général énumérées à l'article 13 de cette directive.
(cf. points 38, 41, 43-44, 46-48, 52, 54, 58 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
7 décembre 2006 (*)
«Sixième directive TVA – Exonérations – Articles 13, A, paragraphe 1, sous e), 17, paragraphe 3, sous b), et 28 quater, A, sous a) – Droit à déduction – Fabrication et réparation de prothèses dentaires – Opérations intracommunautaires relatives à des opérations exonérées à l’intérieur de l’État membre – Incidence du régime dérogatoire et transitoire prévu à l’article 28, paragraphe 3, sous a), en liaison avec l’annexe E, point 2 – Principe de neutralité fiscale – Harmonisation partielle de la TVA»
Dans l’affaire C‑240/05,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la cour d’appel (Luxembourg), par décision du 1^er juin 2005, parvenue à la Cour le 3 juin 2005, dans la procédure
Administration de l’enregistrement et des domaines
contre
Eurodental Sàrl,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, J. Malenovský, U. Lõhmus et A. Ó Caoimh (rapporteur), juges,
avocat général: M. D. Ruiz‑Jarabo Colomer,
greffier: M^me M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
vu l’ordonnance de réouverture de la procédure orale du 4 mai 2006 et à la suite de l’audience du 31 mai 2006,
considérant les observations présentées:
– pour l’administration de l’enregistrement et des domaines, par M^e A. Kronshagen, avocat,
– pour Eurodental Sàrl, par M^es M. Molitor, P. Lopes Da Silva, N. Cambonie et R. Muller, avocats,
– pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et U. Forsthoff, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par M. R. Lyal et M^me M. Afonso, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 juin 2006,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 13, A, paragraphe 1, sous e), 15, paragraphes 1 à 3, 17, paragraphe 3, sous b), et 28 quater, A, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), dans sa version résultant des directives 91/680/CEE du
Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376, p. 1), et 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, portant mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 384, p. 47, ci‑après la «sixième directive»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eurodental Sàrl (ci‑après «Eurodental») à l’administration de l’enregistrement et des domaines luxembourgeoise (ci‑après l’«autorité fiscale compétente»), à la suite du refus de cette dernière de permettre à Eurodental, au titre des exercices 1992 et 1993, la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA») ayant grevé en amont des opérations de confection et de réparation de prothèses dentaires, lorsque celles‑ci
ont été effectuées au profit de bénéficiaires établis en Allemagne.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive dispose:
«Exonérations à l’intérieur du pays
A. Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général
1. Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci‑dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
[…]
e) les prestations de services effectuées dans le cadre de leur profession par les mécaniciens‑dentistes, ainsi que les fournitures de prothèses dentaires effectuées par les dentistes et les mécaniciens‑dentistes».
4 Toutefois, aux termes de l’article 28, paragraphe 3, sous a), de cette directive:
«3. Au cours de la période transitoire visée au paragraphe 4, les États membres peuvent:
a) continuer à appliquer la taxe aux opérations qui en sont exonérées en vertu [de l’article] 13 […] et dont la liste est reprise à l’annexe E».
5 Le point 2 de cette annexe mentionne les opérations visées à l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de ladite directive.
6 L’article 17 de cette même directive, intitulé «Naissance et étendue du droit à déduction», prévoyait, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de la directive 91/680, à ses paragraphes 2, sous a), et 3, ce qui suit:
«2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:
a) la [TVA] due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;
[…]
3. Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la [TVA] visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:
a) de ses opérations relevant des activités économiques visées à l’article 4 paragraphe 2, effectuées à l’étranger, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l’intérieur du pays;
b) de ses opérations exonérées conformément à […] l’article 15 […];
c) de ses opérations exonérées conformément à l’article 13 sous B sous a) et sous d) points 1 à 5, lorsque le preneur est établi en dehors de la Communauté ou lorsque ces opérations sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés vers un pays en dehors de la Communauté.»
7 L’article 1^er, point 22, de la directive 91/680 a inséré, dans la sixième directive, dans sa version initiale, le titre XVI bis, intitulé «Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres» et comportant, notamment, les articles 28 bis à 28 septies. Cette directive 91/680 devait être transposée en droit national le 1^er janvier 1993.
8 L’article 28 bis de la sixième directive dispose:
«1. Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:
a) les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel, qui ne bénéficie pas de la franchise de taxe prévue à l’article 24 […]
[…]»
9 L’article 28 ter, A, paragraphe 1, de la sixième directive précise:
«Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.»
10 L’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, et B, sous a), de la sixième directive prévoit:
«A. Exonération des livraisons de biens
Sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci‑après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:
a) les livraisons de biens, au sens de l’article 5 […], expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.
[…]
B. Exonération des acquisitions intracommunautaires de biens
Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
a) les acquisitions intracommunautaires de biens dont la livraison par des assujettis serait en tout état de cause exonérée à l’intérieur du pays».
11 L’article 28 septies, point 1, de la sixième directive énonce:
«1) À l’article 17, les paragraphes 2, 3 et 4 sont remplacés par le texte suivant:
‘[…]
3. Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:
[…]
b) de ses opérations exonérées conformément à […] l’article 28 quater, titres A et C’».
12 Avant le 1^er janvier 1993, les opérations intracommunautaires relevaient de l’article 15 de la sixième directive, intitulé «Exonération des opérations à l’exportation, des opérations assimilées et des transports internationaux». Les paragraphes 1 à 3 et 13 de cet article, dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur des directives 91/680 et 92/111, prévoyaient:
«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci‑dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
1. les livraisons de biens expédiés ou transportés, par le vendeur ou pour son compte, en dehors du territoire visé à l’article 3;
2. les livraisons de biens expédiés ou transportés par l’acheteur qui n’est pas établi à l’intérieur du pays, ou pour son compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 […]
3. les prestations de services consistant en travaux portant sur des biens meubles acquis ou importés en vue de faire l’objet de ces travaux dans le territoire visé à l’article 3 et qui sont expédiés ou transportés en dehors de ce territoire par le prestataire de services ou par le preneur qui n’est pas établi à l’intérieur du pays ou pour leur compte;
[…]
13. les prestations de services, y compris les transports et les opérations accessoires, mais à l’exception des prestations de services exonérées conformément à l’article 13, lorsqu’elles sont directement liées au transit, à l’exportation de biens ou aux importations de biens bénéficiant des dispositions prévues à l’article 14 paragraphe 1 sous b) et c) et à l’article 16 paragraphe 1».
Les réglementations nationales
La réglementation luxembourgeoise
13 L’article 43, paragraphe 1, sous a) et c), de la loi du 12 février 1979, modifiant et complétant la loi du 5 août 1969 concernant la taxe sur la valeur ajoutée (Mémorial A 1979, p. 186, ci‑après la «loi sur la TVA»), disposait, dans sa version en vigueur avant le 1^er janvier 1993:
«Sont [exonérées] de la [TVA] dans les limites et sous les conditions à déterminer par règlement grand‑ducal:
a) les livraisons de biens qui sont expédiés ou transportés à destination de l’étranger par le fournisseur ou par un tiers agissant pour son compte;
[…]
c) les prestations de services effectuées, dans le cadre d’une opération de perfectionnement actif, à des biens qui ont été acquis ou importés en vue de cette opération et qui sont expédiés ou transportés à destination de l’étranger par le prestataire ou par un tiers agissant pour son compte».
14 Dans sa version en vigueur après cette date, ce même article, tel que modifié par l’article II de la loi du 18 décembre 1992, modifiant et complétant la loi du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée (Mémorial A 1992, p. 3032), prévoit, à son paragraphe 1, sous d):
«Sont [exonérées] de la [TVA] dans les limites et sous les conditions à déterminer par règlement grand‑ducal:
[…]
d) les livraisons de biens, au sens des articles 9 et 12 sous a) à e), expédiés ou transportés, par le fournisseur ou par une tierce personne agissant pour son compte ou par l’acquéreur ou par une tierce personne agissant pour son compte, en dehors de l’intérieur du pays mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées à un autre assujetti agissant dans le cadre de son entreprise ou à une personne morale non assujettie dans un autre État membre […]»
15 Aux termes de l’article 44, paragraphe 1, sous l), deuxième et troisième tirets, de la loi sur la TVA:
«Sont [exonérées] de la [TVA] dans les limites et sous les conditions à déterminer par règlement grand‑ducal:
[…]
l) les prestations de services et les livraisons de biens suivantes:
[…]
– les prestations de services effectuées dans le cadre de l’exercice légal de la profession de mécanicien‑dentiste;
– les fournitures de prothèses dentaires effectuées par les médecins‑dentistes et par les mécaniciens‑dentistes dans le cadre de l’exercice légal de leur profession».
16 L’article 49, paragraphes 1 et 2, sous a), de la loi sur la TVA dispose:
«1. N’est pas déductible la [TVA] ayant grevé les biens et les services qui sont utilisés pour effectuer des livraisons de biens et des prestations de services exonérées ou ne rentrant pas dans le champ d’application de la taxe.
[…]
2. Par dérogation aux dispositions du paragraphe 1^er, l’assujetti est cependant autorisé à opérer la déduction, lorsque les biens et les services sont utilisés pour les besoins:
a) de ses opérations, qui sont exonérées en vertu des dispositions prévues à l’article 43 ou aux règlements d’exécution y relatifs».
La réglementation allemande
17 Aux termes de l’article 4, point 14, quatrième phrase, de la loi sur la taxe sur la valeur ajoutée (Umsatzsteuergesetz, ci‑après l’«UStG»), l’exonération des opérations afférentes à l’activité, notamment, de dentiste ne s’applique pas à la livraison ou à la réparation de prothèses dentaires et d’appareils d’orthodontie si l’entrepreneur les a fabriqués ou réparés dans son entreprise.
18 En vertu de l’article 12, paragraphe 2, point 6, de l’UStG, ces opérations sont taxées à un taux réduit.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
19 Eurodental est une société établie au Luxembourg dont l’activité consiste essentiellement à confectionner et à réparer des prothèses dentaires au profit de clients établis en Allemagne.
20 Par décision du 26 mars 1997, l’autorité fiscale compétente a refusé à Eurodental, au titre des exercices 1992 et 1993, la déduction de la TVA en amont ayant grevé les biens utilisés pour effectuer des livraisons de biens et des prestations de services au bénéfice de clients établis en Allemagne, au motif que l’article 44 de la loi sur la TVA a primauté sur l’article 43 de celle‑ci, dans sa version applicable avant et après le 1^er janvier 1993, de sorte que l’article 49, paragraphe 2, sous
a), de ladite loi, qui autorise la déduction de la TVA en amont, ne s’applique pas.
21 Saisi par Eurodental d’une demande en annulation et en réformation de cette décision, le tribunal d’arrondissement (Luxembourg) a estimé, par jugement du 16 décembre 2002, que cette déduction a été refusée à tort. Après avoir constaté que les articles 43 et 44 susmentionnés visent chacun des opérations distinctes, le premier portant sur les opérations qui ne sont pas destinées à l’intérieur du pays, tandis que le second concerne les opérations effectuées sur le territoire de celui-ci, cette
juridiction a considéré que l’article 49 de la loi sur la TVA autorisait la déduction de la TVA en amont pour les opérations visées par l’article 43 de cette loi, dans sa version applicable avant et après le 1^er janvier 1993, quel que soit le régime d’exonération de la TVA applicable à l’intérieur du pays. Aucune disposition de droit interne ne permettrait de conclure à la primauté de l’article 44 de la loi sur la TVA sur cette dernière disposition.
22 L’autorité fiscale compétente a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi. Constatant que la question de savoir si l’article 13 de la sixième directive a primauté sur l’article 28 quater de celle‑ci n’est pas réglée par les textes, la cour d’appel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Une livraison de biens qui, lorsqu’elle est effectuée à l’intérieur d’un État membre, est exonérée en vertu de l’article 13, [A], paragraphe 1, sous e), de la sixième directive […] et n’ouvre pas droit à la déduction de la taxe en amont en vertu de l’article 17 de ladite directive entre‑t‑elle dans le champ d’application respectivement de l’article 15, paragraphes 1 et 2, de ladite directive dans sa teneur antérieure au 1^er janvier 1993 et de l’article 28 quater, [A], sous a), applicable à
partir du 1^er janvier 1993, et donc par voie de conséquence dans celui de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de ladite directive ouvrant droit à la déduction de la taxe en amont lorsqu’elle est effectuée par un opérateur établi dans un État membre de la Communauté à [destination d’un] opérateur établi dans un autre État membre et lorsque les conditions qui régissent l’application respectivement de l’article 15, paragraphes 1 et 2[,] de ladite directive dans sa teneur antérieure au 1^er janvier
1993 et de l’article 28 quater, [A], sous a) applicable à partir du 1^er janvier 1993 sont remplies?
2) Une prestation de services qui, lorsqu’elle est effectuée à l’intérieur d’un État membre, est exonérée en vertu de l’article 13, [A], paragraphe 1, sous e), de la sixième directive […] et n’ouvre pas droit à la déduction de la taxe en amont en vertu de l’article 17 de ladite directive entre‑t‑elle dans le champ d’application de l’article 15, paragraphe 3, dans sa teneur antérieure au 1^er janvier 1993 (aucune disposition d’exonération n’étant prévue pour 1993) et donc par voie de conséquence
dans celui de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de ladite directive ouvrant droit à la déduction de la taxe en amont lorsqu’elle est effectuée par un opérateur établi dans un État membre de la Communauté à [destination d’un] opérateur établi dans un autre État membre et lorsque les conditions qui régissent l’application de l’article 15, paragraphe 3, dans sa teneur antérieure au 1^er janvier 1993 sont remplies?»
Sur les questions préjudicielles
23 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si des opérations telles que la confection et la réparation de prothèses dentaires qui, lorsqu’elles sont accomplies à l’intérieur d’un État membre, sont exonérées de TVA au titre d’activité d’intérêt général peuvent donner lieu à déduction de la TVA en amont lorsqu’elles revêtent le caractère d’opérations intracommunautaires.
24 Il ressort du libellé de ces questions que cette demande concerne, d’une part, des livraisons de biens et des prestations de services ayant été effectuées avant le 1^er janvier 1993 et, d’autre part, des livraisons de biens ayant été effectuées après cette date. Elle ne vise pas, en revanche, des prestations de services effectuées après le 1^er janvier 1993.
25 Il y a lieu de rappeler que l’article 13, A, de la sixième directive prévoit l’exonération de la TVA de certaines activités d’intérêt général, dont, aux termes du paragraphe 1, sous e), de cette disposition, les prestations de services effectuées dans le cadre de leur profession par les mécaniciens‑dentistes et les fournitures de prothèses dentaires effectuées par ces derniers.
26 Conformément à l’article 17, paragraphe 2, sous a), de cette directive, lorsqu’un assujetti fournit des biens ou des services à un autre assujetti qui les utilise pour effectuer une opération exonérée en vertu de l’article 13, A, de cette même directive, celui‑ci n’a pas, en principe, le droit de déduire la TVA en amont, puisque, dans un tel cas, les biens et les services concernés ne sont pas utilisés pour des opérations taxées (voir, en ce sens, arrêts du 19 janvier 1982, Becker, 8/81, Rec.
p. 53, point 44, et du 26 septembre 1996, Debouche, C‑302/93, Rec. p. I‑4495, point 16).
27 En l’espèce, il ressort de la décision de renvoi qu’il n’est pas contesté, dans le litige au principal, que les opérations effectuées par Eurodental relèvent de ces dernières dispositions lorsqu’elles sont accomplies à l’intérieur de l’État membre où ladite société est établie. Par sa demande, la juridiction de renvoi cherche, dès lors, uniquement à déterminer si lesdites opérations continuent de relever de ces mêmes dispositions lorsqu’elles sont accomplies au profit de clients établis dans
un autre État membre, en l’occurrence en Allemagne.
28 S’agissant des opérations de nature intracommunautaire, l’article 15, paragraphes 1 à 3, de la sixième directive, dans sa version applicable avant le 1^er janvier 1993, prévoyait l’exonération des livraisons et des prestations de services portant sur des biens qui sont expédiés ou transportés en dehors de l’État membre. Depuis cette date, l’exonération de ces mêmes livraisons vers un autre État membre est prévue à l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de cette directive. En vertu
de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de ladite directive, dans sa version résultant de l’article 28 septies, point 1, de celle-ci, de telles opérations autorisent la déduction de la TVA en amont dans l’État membre de départ de l’expédition ou du transport intracommunautaire des biens (voir arrêt du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder, C‑245/04, Rec. p. I‑3227, point 30).
29 L’autorité fiscale compétente estime toutefois que les opérations intracommunautaires en cause au principal n’ouvrent pas un tel droit à déduction parce que l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive, qui prévoit une exonération spéciale, a primauté sur les dispositions plus générales prévues aux articles 15 et 28 quater, A, sous a), de cette même directive.
30 En revanche, Eurodental fait valoir que, puisque l’article 13 de la sixième directive, d’une part, et les articles 15 et 28 quater de celle‑ci, d’autre part, ont des champs d’application différents, ledit article 13 ne saurait avoir primauté sur ces derniers. En effet, il ressortirait du libellé des intitulés de chacune de ces dispositions que l’article 13 de cette directive est uniquement applicable aux opérations effectuées à l’intérieur de l’État membre, tandis que les opérations entre les
États membres relèvent, pour leur part, des articles 15 et 28 quater de cette même directive.
31 À cet égard, il convient d’observer que, ainsi que le soutient Eurodental, l’article 13 de la sixième directive vise, selon le libellé de son intitulé, les exonérations «à l’intérieur du pays», tandis que, selon le libellé de leurs intitulés respectifs, l’article 15 de cette directive, dans sa version applicable avant le 1^er janvier 1993, et l’article 28 quater de cette même directive, tel qu’applicable depuis cette date, visent, quant à eux, respectivement, les «opérations à l’exportation»
et les «échanges entre États membres».
32 Toutefois, contrairement à ce que soutient Eurodental, il n’en résulte pas pour autant qu’une opération visée à l’article 13 de la sixième directive, lorsqu’elle revêt un caractère intracommunautaire, relève nécessairement, et pour ce seul motif, desdits articles 15 et 28 quater, avec pour effet que, compte tenu du renvoi effectué par l’article 17, paragraphe 3, sous b), de cette directive à ces dernières dispositions, ladite opération pourrait donner lieu à déduction de la TVA en amont.
33 En effet, ce n’est qu’à titre exceptionnel que la sixième directive prévoit, notamment, à son article 17, paragraphe 3, sous b), le droit à déduction de la TVA relative à des biens ou à des services utilisés pour des opérations exonérées (voir, en ce sens, arrêt du 6 avril 1995, BLP Group, C‑4/94, Rec. p. I‑983, point 23). Partant, les termes employés par ladite directive à cet égard sont d’interprétation stricte.
34 Or, si l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive renvoie, d’une manière générale, aux dispositions de cette directive prévoyant l’exonération des opérations intracommunautaires, à savoir, respectivement, l’article 15 de ladite directive pour la période antérieure au 1^er janvier 1993, et l’article 28 quater de celle‑ci pour la période postérieure à cette date, force est de constater que cette disposition ne se réfère nullement aux exonérations prévues à l’article 13 de
cette même directive en faveur de certaines activités.
35 Bien au contraire, avant le 1^er janvier 1993, l’article 15 de la sixième directive, auquel renvoyait l’article 17, paragraphe 3, sous b), de celle‑ci, excluait de manière explicite, à son paragraphe 13, les prestations de services exonérées conformément à l’article 13 de ladite directive lorsqu’elles étaient directement liées à certaines opérations transfrontalières.
36 En outre, l’article 17, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive accorde spécifiquement le droit à déduction en ce qui concerne certaines opérations exonérées conformément à l’article 13, B, de cette directive. Ainsi que la Commission des Communautés européennes le soutient à juste titre, cette disposition serait sans objet si les exonérations prévues à l’article 13 de ladite directive étaient déjà couvertes par le paragraphe 3, sous b), dudit article 17.
37 Dès lors, nonobstant les termes susmentionnés des intitulés des dispositions pertinentes de la sixième directive, il ressort de l’examen de leur contenu que les opérations exonérées conformément à l’article 13 de ladite directive n’ouvrent pas droit à déduction de la TVA payée en amont, même lorsque ces opérations revêtent un caractère intracommunautaire.
38 Cette interprétation, déduite des termes mêmes de la sixième directive, est confirmée tant par l’objectif poursuivi par celle‑ci que par son économie et le principe de neutralité fiscale.
39 En ce qui concerne, en premier lieu, l’objectif poursuivi par la sixième directive, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 2 de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301), le principe du système commun de la TVA est d’appliquer, dans la Communauté, aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement
proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition (ordonnance du 3 mars 2004, Transport Service, C‑395/02, Rec. p. I-1991, point 20).
40 Or, ainsi que l’autorité fiscale compétente et la Commission le font valoir à juste titre, si des opérations intracommunautaires telles que celles en cause dans l’affaire au principal ouvraient droit à déduction de la TVA en amont dans l’État membre de départ, elles pourraient être fournies dans la Communauté en exemption totale de TVA. En effet, lorsque ces opérations sont, en tout état de cause, exonérées à l’intérieur de l’État membre de destination en vertu de l’article 13 de la sixième
directive, d’une part, elles devraient être exonérées dans cet État membre en tant qu’acquisitions intracommunautaires conformément à l’article 28 quater, B, sous a), de cette directive, et, d’autre part, elles ne devraient donner lieu à aucune perception de la TVA dans l’État membre d’origine, puisque la taxe en amont serait déduite et, en application de l’article 28, quater, A, sous a), premier alinéa, de cette même directive, aucune taxation en aval n’aurait lieu.
41 Il ressort ainsi de la finalité du système commun de la TVA et du régime transitoire institué par la directive 91/680 pour la taxation des échanges entre les États membres qu’un assujetti bénéficiant d’une exonération et, en conséquence, n’ayant pas droit à la déduction de la taxe payée en amont à l’intérieur d’un État membre, ne saurait pas non plus avoir ce droit lorsque l’opération concernée revêt un caractère intracommunautaire (voir, en ce sens, arrêt Debouche, précité, point 15).
42 Ce principe est consacré à l’article 17, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, puisque, en vertu de cette disposition, le droit de déduire la TVA relative à une opération effectuée à l’étranger est exclu si cette opération ne donne pas lieu à déduction à l’intérieur de l’État membre.
43 En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’économie de la sixième directive, il y a lieu d’observer que les exonérations prévues à l’article 13, A, de celle‑ci, en ce qu’elles bénéficient uniquement à certaines activités d’intérêt général énumérées et décrites de manière détaillée à cette disposition, revêtent une nature spécifique (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2003, D’Ambrumenil et Dispute Resolution Services, C‑307/01, Rec. p. I‑13989, point 54). En revanche, l’exonération en faveur
des opérations de nature intracommunautaire découlant de l’article 15 de cette même directive, pour la période antérieure au 1^er janvier 1993, et prévue à l’article 28 quater de celle‑ci, pour la période postérieure à cette date, revêt une nature générale, visant de manière indéterminée les opérations économiques entre les États membres.
44 Dans ces conditions, il est conforme à l’économie de la sixième directive que le régime applicable aux exonérations spécifiques prévues à l’article 13, A, de cette directive se voie reconnaître la primauté sur celui applicable aux exonérations générales prévues par cette même directive en ce qui concerne les opérations de nature intracommunautaire.
45 Contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, cette constatation n’est nullement susceptible d’être remise en cause par l’article 26 ter, G, paragraphe 1, de la sixième directive. En effet, quand bien même, comme le fait valoir ce gouvernement, il pourrait être déduit des dispositions de cet article, qui institue un régime particulier de taxation de l’or d’investissement, qu’un État membre ne peut pas renoncer à appliquer l’exonération des livraisons intracommunautaires concernant
ce produit, alors que, sous certaines conditions, il peut, en principe, renoncer à appliquer l’exonération prévue par ce régime à des opérations spécifiques qui sont effectuées dans cet État membre, cette circonstance ne démontrerait en rien la primauté de la première exonération sur la seconde, mais confirmerait tout au plus que chacune de ces exonérations obéit à des règles propres dont la teneur et la finalité sont différentes.
46 Enfin, en ce qui concerne, en troisième lieu, le principe de neutralité fiscale, il y a lieu de rappeler que ce principe s’oppose, notamment, à ce que des prestations semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 26 mai 2005, Kingscrest Associates et Montecello, C‑498/03, Rec. p. I‑4427, point 54).
47 Or, si les opérations en cause dans l’affaire au principal ouvraient droit à déduction lorsqu’elles revêtent un caractère intracommunautaire, ce principe ne serait pas respecté, puisque les mêmes opérations, lorsqu’elles sont accomplies à l’intérieur d’un État membre, ne donnent pas lieu, quant à elles, à déduction. Partant, les assujettis effectuant une opération intracommunautaire seraient dans une position plus avantageuse par rapport aux assujettis effectuant une opération interne (voir,
en ce sens, arrêt Debouche, précité, point 19).
48 Le gouvernement allemand souligne toutefois que, dans l’affaire au principal, dès lors que la République fédérale d’Allemagne applique le régime transitoire prévu à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive en liaison avec le point 2 de l’annexe E de cette même directive, régime qui lui permet de continuer à taxer les opérations en cause, celles‑ci pourraient subir une double imposition, puisqu’elles pourraient être taxées de nouveau dans cet État membre conformément à
cette disposition, lue en combinaison avec les articles 28 bis, paragraphe 1, sous a), premier alinéa, et 28 ter, A, paragraphe 1, de la sixième directive, alors que la TVA payée en amont au Luxembourg ne pourrait pas être déduite. En revanche, les mêmes opérations, bien que taxables lorsqu’elles sont effectuées à l’intérieur de cet État membre, donneraient lieu à déduction. Il en résulterait que les assujettis établis en Allemagne seraient avantagés par rapport à leurs concurrents établis au
Luxembourg.
49 Cette argumentation, contestée par la Commission et l’autorité fiscale compétente, ne saurait être retenue.
50 Il convient de rappeler que le régime communautaire de la TVA est le résultat d’une harmonisation progressive des législations nationales dans le cadre des articles 93 CE et 94 CE. Comme la Cour l’a constaté à plusieurs reprises, cette harmonisation, telle qu’elle a été réalisée par des directives successives et, notamment, par la sixième directive, n’est encore qu’une harmonisation partielle (arrêt du 5 décembre 1989, ORO Amsterdam Beheer et Concerto, C-165/88, Rec. p. I‑4081, point 21).
51 Ainsi, cette harmonisation envisagée n’est pas encore réalisée dans la mesure où la sixième directive a, en vertu de son article 28, paragraphe 3, sous a), autorisé les États membres à continuer à maintenir certaines dispositions de leur législation nationale antérieures à cette directive qui seraient, sans ladite autorisation, incompatibles avec celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2000, Idéal tourisme, C‑36/99, Rec. p. I-6049, point 38).
52 Or, s’il est exact qu’un État membre qui, comme la République fédérale d’Allemagne, maintient de telles dispositions dans sa législation nationale ne viole pas la sixième directive (voir, en ce sens, arrêt Idéal tourisme, précité, point 38), il n’en demeure pas moins que la taxation permise par l’article 28, paragraphe 3, sous a), de ladite directive n’est pas une taxation harmonisée qui fait partie intégrante du régime de la TVA tel qu’organisé par la sixième directive pour certaines
activités d’intérêt général, mais une taxation autorisée uniquement pendant une période transitoire (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2002, Commission/Finlande, C‑169/00, Rec. p. I‑2433, point 34). L’article 28, paragraphe 4, de la sixième directive a pour objectif la suppression d’un tel régime dérogatoire et transitoire (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 1999, Norbury Developments, C‑136/97, Rec. p. I-2491, point 19, et Ideal tourisme, précité, point 32).
53 Force est dès lors de constater que la situation particulière dont se prévaut le gouvernement allemand en l’espèce pour justifier la déduction de la TVA en amont au Luxembourg, laquelle situation n’a pas, au demeurant, amené la juridiction de renvoi à moduler ses questions selon le régime de la TVA retenu par l’État membre de destination, résulte à la fois du fait que la faculté, qu’accorde le régime transitoire, de continuer à taxer les opérations en cause n’a pas encore été supprimée et du
choix de la République fédérale d’Allemagne d’opter pour un tel régime dérogatoire de nature transitoire, de sorte que cette situation est inhérente au fait que la TVA n’a pas encore fait l’objet, au stade actuel, d’une harmonisation complète par le législateur communautaire.
54 Or, le régime exceptionnel, prévu à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt Commission/Finlande, précité, point 34) et sa portée ne peut dès lors être étendue aux États membres qui se sont conformés au principe retenu par la sixième directive en exonérant certaines activités d’intérêt général énumérées à l’article 13 de cette directive. Il ne saurait en effet être admis que l’obligation de ces
derniers États membres de ne pas accorder la déduction, en vertu de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de cette même directive, de la TVA ayant grevé en amont lesdites activités exonérées puisse être affectée par la décision d’un autre État membre d’opter pour un régime dérogatoire et transitoire, et ce d’autant plus que la suppression de ce dernier régime constitue l’objectif poursuivi par l’article 28, paragraphe 4, de la sixième directive.
55 Une telle extension serait d’ailleurs contraire à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, dès lors que cette disposition ne permet pas à un État membre qui, comme le Grand‑Duché de Luxembourg, exonère l’opération en cause en application du régime harmonisé, tel qu’il est prévu à l’article 13 de ladite directive, d’introduire ou de réintroduire un régime de taxation pour cette opération, ouvrant ainsi un droit à déduction de la TVA payée en amont, et ce même en vue de
remédier à une éventuelle distorsion de concurrence portant atteinte au principe communautaire d’égalité de traitement, reflété en matière de TVA par le principe de neutralité fiscale (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 1991, Commission/Espagne, C‑35/90, Rec. p. I‑5073, points 8 et 9, et Idéal tourisme, précité, point 33). En revanche, compte tenu de la nature transitoire du régime dérogatoire de taxation choisi par la République fédérale d’Allemagne, rien n’empêche celle-ci, conformément à
l’objectif poursuivi par l’article 28, paragraphe 4, de la sixième directive, de décider d’exonérer également, comme l’exige en principe ladite directive, l’opération en cause en vue de faire disparaître une telle distorsion de concurrence (voir, en ce sens, arrêt Idéal tourisme, précité, point 33).
56 À cet égard, il y a lieu, en particulier, de souligner que la circonstance selon laquelle le maintien du régime dérogatoire et transitoire en cause dans certains États membres pourrait, le cas échéant, entraîner des distorsions de concurrence en Allemagne ne saurait en rien autoriser cet État membre à créer lui-même des distorsions de concurrence au détriment des États qui ont transposé les dispositions de la sixième directive (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 1992, Commission/Allemagne,
C‑74/91, Rec. p. I‑5437, point 25). Or, tel serait le cas en l’espèce si Eurodental était autorisée à déduire la TVA au Luxembourg, dès lors que, dans un tel cas, les opérations internes à cet État membre, lesquelles n’ouvrent pas droit à déduction en amont, seraient défavorisées par rapport aux opérations intracommunautaires effectuées à partir de celui-ci.
57 S’agissant de la situation particulière invoquée par le gouvernement allemand, c’est dès lors au législateur communautaire qu’il appartient de mettre tout en œuvre pour établir le régime communautaire définitif des exonérations de la TVA et réaliser ainsi l’harmonisation progressive des législations nationales en matière de TVA, laquelle est seule apte à supprimer les distorsions de concurrence résultant de l’existence des régimes dérogatoires et transitoires permis par la sixième directive
(voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 1999, Royscot e.a., C‑305/97, Rec. p. I-6671, point 31, et Idéal tourisme, précité, point 39).
58 En conséquence, il convient de répondre aux questions posées qu’une opération exonérée de la TVA à l’intérieur d’un État membre en vertu de l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive n’ouvre pas droit à déduction de la TVA payée en amont en vertu de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de cette directive, même lorsqu’elle constitue une opération intracommunautaire, et quel que soit le régime de TVA applicable dans l’État membre de destination.
Sur les dépens
59 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
Une opération exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée à l’intérieur d’un État membre en vertu de l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, dans sa version résultant des directives 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe
sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388, et 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, portant mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée, n’ouvre pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont en vertu de l’article 17, paragraphe 3, sous b), de cette directive, même lorsqu’elle constitue une opération intracommunautaire, et quel que soit le régime de la taxe sur la valeur ajoutée
applicable dans l’État membre de destination.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.