Affaire C-409/02 P
Jan Pflugradt
contre
Banque centrale européenne
«Pourvoi – Personnel de la Banque centrale européenne – Nature contractuelle de la relation de travail – Modification des attributions prévues dans le contrat de travail»
Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 8 juillet 2004
Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 octobre 2004
Sommaire de l'arrêt
1.
Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Nature du lien d'emploi – Contractuel et non statutaire
2.
Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Organisation des services – Définition ou redéfinition des tâches confiées au personnel – Pouvoir d'appréciation de l'administration – Limites – Intérêt du service – Respect des grades et classements
1.
Le lien d’emploi entre la Banque centrale européenne et ses agents est de nature contractuelle et non pas statutaire. Toutefois, le contrat de travail est conclu avec un organisme communautaire, chargé d’une mission d’intérêt général et habilité à prévoir, par voie de règlement, les dispositions applicables à son personnel. Il en résulte que la volonté des parties à un tel contrat trouve nécessairement ses limites dans les obligations de toute nature qui découlent de cette mission
particulière et qui s’imposent tant aux organes de direction de la Banque qu’à ses agents.
(cf. points 33-34)
2.
Les institutions de la Communauté disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l’affectation, en vue de celles-ci, du personnel qui se trouve à leur disposition, à la condition cependant que cette affectation se fasse dans l’intérêt du service et dans le respect de l’équivalence des emplois. La Banque centrale européenne doit, de manière identique, disposer d’un large pouvoir d’appréciation dans
l’organisation de ses services en fonction des missions qui lui sont confiées ainsi que, par voie de conséquence, et en vue de celles-ci, dans la définition ou la redéfinition des tâches qui sont confiées à son personnel, à la condition que ce pouvoir soit exercé dans le seul intérêt du service et dans le respect des grades et classements auxquels chaque agent peut prétendre en application des conditions d’emploi.
(cf. points 42-43)
ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
14 octobre 2004(1)
«Pourvoi – Personnel de la Banque centrale européenne – Nature contractuelle de la relation de travail – Modification des attributions prévues dans le contrat de travail»
Dans l'affaire C-409/02 P,ayant pour objet un pourvoi au titre de l'article 56 du statut de la Cour de justice,introduit le 18 novembre 2002,
Jan Pflugradt, représenté par M^e N. Pflüger, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
l'autre partie à la procédure étant:
Banque centrale européenne, représentée par M^me V. Saintot et M. T. Gilliams, en qualité d'agents, assistés de M^e B. Wägenbaur, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (première chambre),,
composée de M. P. Jann, président de chambre, M. A. Rosas, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. K. Lenaerts et S. von Bahr, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M^me M.-F. Contet, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 18 mars 2004,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 8 juillet 2004,
rend le présent
Arrêt
1
Par son pourvoi, M. Pflugradt demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (cinquième chambre) du 22 octobre 2002, Pflugradt/BCE (T‑178/00 et T‑341/00, Rec. p. II‑4035, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté ses recours tendant à l’annulation de deux actes (ci‑après les «actes attaqués») de la Banque centrale européenne (ci‑après la «BCE»), le premier, en date du 23 novembre 1999, portant évaluation de la manière de servir de
l’intéressé (ci-après le «rapport d’évaluation pour 1999»), le second, en date du 28 juin 2000, fixant la liste de ses principales attributions (ci-après la «note du 28 juin 2000»).
Le cadre juridique
2
Le protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la BCE, annexé au traité CE (ci-après les «statuts du SEBC»), contient notamment les dispositions suivantes:
«Article 12
Responsabilités des organes de décision
12.3 Le conseil des gouverneurs adopte un règlement intérieur déterminant l’organisation interne de la BCE et de ses organes de décision.
[...]
Article 36
Personnel
36.1 Le conseil des gouverneurs arrête, sur proposition du directoire, le régime applicable au personnel de la BCE.
36.2
La Cour de justice est compétente pour connaître de tout litige entre la BCE et ses agents dans les limites et selon les conditions prévues par le régime qui leur est applicable.»
3
Sur le fondement de ces dispositions, le conseil des gouverneurs a adopté, par décision du 9 juin 1998, modifiée le 31 mars 1999 (JO 1999, L 125, p. 32) les conditions d’emploi du personnel de la BCE (ci-après les «conditions d’emploi»), qui prévoient notamment:
«9.
(a) Les relations de travail entre la BCE et ses agents sont régies par les contrats de travail conclus en conformité avec les présentes conditions d’emploi. Le statut du personnel adopté par le directoire précise les modalités de ces conditions d’emploi.
[...]
(c) Les conditions d’emploi ne sont régies par aucun droit national spécifique. La BCE applique i) les principes généraux communs aux droits des États membres, ii) les principes généraux du droit communautaire (CE) et iii) les règles contenues dans les règlements et directives (CE) concernant la politique sociale adressés aux États membres. Chaque fois que cela sera nécessaire, ces actes juridiques seront mis en œuvre par la BCE. Il sera dûment tenu compte à cet égard des
recommandations (CE) en matière de politique sociale. Pour l’interprétation des droits et obligations prévus par les présentes conditions d’emploi, la BCE prendra dûment en considération les principes consacrés par les règlements, les règles et la jurisprudence s’appliquant au personnel des institutions communautaires.
10.
(a) Les contrats de travail entre la BCE et ses agents prennent la forme de lettres d’engagement qui sont contresignées par les agents. Les lettres d’engagement contiennent les éléments du contrat précisés par la directive 91/533/CEE du Conseil, du 14 octobre 1991[...]
[...]
42.
Après épuisement des procédures internes disponibles, la Cour de Justice des Communautés européennes sera compétente pour tout litige opposant la BCE à un membre ou à un ancien membre de son personnel auquel s’appliquent les présentes conditions d’emploi.
Une telle compétence est limitée à l’examen de la légalité de la mesure ou de la décision, sauf si le différend est de nature financière, auquel cas la Cour de Justice dispose d’une compétence de pleine juridiction.»
4
Sur le fondement de l’article 12.3 des statuts du SEBC, le conseil des gouverneurs a adopté le règlement intérieur de la BCE, modifié le 22 avril 1999 (JO L 125, p. 34, rectificatif au JO 2000, L 273, p. 40), qui dispose notamment:
«Article 11
Personnel de la BCE
11.1
Chaque membre du personnel de la BCE reçoit notification du poste qui lui est attribué dans la structure de la BCE, de l’échelon de la hiérarchie auquel il rend compte et des responsabilités qui lui sont confiées dans l’exercice de ses fonctions.
[...]
Article 21
Conditions d’emploi
21.1
Les relations de travail entre la BCE et son personnel sont définies par les conditions d’emploi et le statut du personnel.
21.2 Le conseil des gouverneurs, sur proposition du directoire, approuve et modifie les conditions d’emploi. Le conseil général est consulté conformément à la procédure prévue par le présent règlement intérieur.
21.3
Les conditions d’emploi trouvent leur application dans le statut du personnel, qui est adopté et modifié par le directoire.»
Les faits à l’origine du litige
5
M. Pflugradt est au service de la BCE depuis le 1^er juillet 1998. Il a été affecté à la direction générale «Systèmes de l’information» (ci‑après la «DG IS») où il a occupé, à compter de son recrutement, les fonctions de «coordinateur des spécialistes UNIX».
6
Le 9 octobre 1998, le requérant a approuvé les termes d’un document intitulé «UNIX co-ordinator responsibilities» qui contenait une liste des différentes tâches liées à son emploi. Parmi celles-ci figurait l’établissement des rapports d’évaluation des membres de l’équipe UNIX.
7
Le 13 octobre 1998, la BCE a adressé au requérant une lettre d’engagement avec effet rétroactif au 1^er juillet 1998.
8
Le 14 octobre 1999, le directeur général de la DG IS a informé le requérant qu’il ne lui appartiendrait pas d’établir les rapports d’évaluation des membres de l’équipe UNIX.
9
Le 23 novembre 1999, le requérant a eu un entretien d’évaluation avec son chef de division. Ce dernier a consigné ses appréciations dans le rapport d’évaluation pour 1999, lequel constitue l’acte qui a été attaqué devant le Tribunal dans l’affaire T‑178/00.
10
Le 12 janvier 2000, le requérant a formulé plusieurs observations sur les appréciations dont il a fait l’objet et a indiqué qu’il se réservait le «droit de rejeter une évaluation déloyale».
11
Le 10 mars 2000, le requérant a demandé, en vertu de l’article 41 des conditions d’emploi, un réexamen administratif («administrative review») du rapport d’évaluation pour 1999 aux motifs qu’il était fondé sur des faits erronés et qu’il enfreignait par conséquent ses droits contractuels. Il a également sollicité qu’il soit procédé à une nouvelle procédure d’évaluation pour 1999 par d’autres personnes impartiales.
12
Le 10 avril 2000, le directeur général de la DG IS a rejeté, d’une part, les allégations du requérant concernant la présence d’erreurs factuelles dans le rapport d’évaluation pour 1999 et, d’autre part, la demande visant à engager une nouvelle procédure d’évaluation.
13
Le 9 mai 2000, le requérant a saisi le président de la BCE d’une réclamation («grievance procedure») fondée, en substance, sur les motifs invoqués dans le cadre de la procédure de réexamen administratif.
14
Le 8 juin 2000, le président de la BCE a rejeté cette réclamation.
15
Le directeur général de la DG IS a transmis au requérant la note du 28 juin 2000 comprenant une liste de ses principales attributions tout en précisant que cette liste servirait de base pour son évaluation annuelle. Ce document a été attaqué devant le Tribunal dans l’affaire^ T-341/00.
L’arrêt attaqué
16
En premier lieu, après avoir joint les deux affaires (T-178/00 et T-341/00), le Tribunal a estimé, s’agissant du recours dans l’affaire T-178/00, que M. Pflugradt concluait à l’annulation du rapport d’évaluation pour 1999, d’une part, en ce qu’il lui retirait la responsabilité d’évaluer les membres de l’équipe UNIX, d’autre part, en ce qu’il contenait diverses appréciations erronées.
17
Pour rejeter ces conclusions, le Tribunal a considéré aux points 49 et 53 de l’arrêt attaqué que, si les relations de travail entre la BCE et son personnel sont de nature contractuelle et s’il est vrai que la force obligatoire des contrats s’oppose à ce que la BCE en tant qu’employeur impose des modifications aux conditions d’exécution des contrats de travail sans l’accord des agents concernés, ce principe s’applique toutefois aux seuls éléments essentiels du contrat de travail.
18
À cet égard, le Tribunal a jugé au point 54 du même arrêt:
«En effet, la BCE, à l’instar de toute autre institution ou entreprise, dispose d’un pouvoir de direction dans l’organisation de ses services et dans la gestion de son personnel. En tant qu’institution communautaire, elle jouit même d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de ses services et dans l’affectation de son personnel afin d’accomplir ses missions d’intérêt public (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 21 juin 1984, Lux/Cour des comptes, C‑69/83, Rec. p. 2447, point
17, et du 12 novembre 1996, Ojha/Commission, C‑294/95 P, Rec. p. I‑5863, point 40; arrêts du Tribunal du 6 novembre 1991, Von Bonkewitz‑Lindner/Parlement, T‑33/90, Rec. p. II-1251, point 88, et du 9 juin 1998, Hick/CES, T‑176/97, Rec. FP p. I‑A‑281 et II-845, point 36). Elle peut, dès lors, faire évoluer au fil du temps les relations de travail avec ses agents au gré de l’intérêt du service en vue d’arriver à une organisation efficace du travail et à une répartition cohérente des diverses
tâches entre les membres du personnel et de s’adapter à des besoins variables. Un agent recruté à un emploi pour une période indéfinie qui peut éventuellement s’étendre jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 65 ans ne saurait raisonnablement s’attendre à ce que tout aspect de l’organisation interne reste inchangé pendant toute sa carrière ou à conserver tout au long de celle-ci les attributions qui lui ont été confiées lors de son engagement».
19
Aux points 58 à 60 de l’arrêt attaqué le Tribunal a ensuite considéré que:
«58
Il est constant que, en dépit de la modification de ses attributions, le requérant a conservé son emploi de ‘coordinateur des spécialistes UNIX’ relevant de la catégorie des ‘professionals’ et du grade G ainsi que la rémunération y afférente.
59
Il résulte de la description de l’emploi du 5 octobre 1998 que le poste de coordinateur des spécialistes UNIX est essentiellement de nature technique, les tâches relatives au personnel et à l’administration ne revêtant qu’un caractère secondaire. Ainsi, le seul retrait de la tâche d’évaluer les membres de l’équipe UNIX n’a pas pour conséquence d’abaisser, dans leur ensemble, les attributions de ce dernier nettement en deçà de celles qui correspondent à son emploi. À cet égard,
il convient de souligner qu’il est constant que le requérant n’a jamais eu l’occasion de procéder à l’évaluation des membres de l’équipe UNIX, cette responsabilité lui ayant été retirée avant même que la BCE n’ait engagé le premier exercice d’évaluation annuelle de son personnel. Dans de telles circonstances, la modification en cause ne constitue pas une dégradation de l’emploi du requérant et ne peut, dès lors, être considérée comme portant atteinte à un élément essentiel du
contrat de travail.
60
Les griefs du requérant ne sont donc pas fondés. Dès lors, il y a lieu de rejeter ce moyen.»
20
Par ailleurs, pour rejeter le moyen relatif aux appréciations contenues dans le rapport d’évaluation pour 1999, le Tribunal a jugé aux points 68 à 71 de l’arrêt attaqué:
«68
Bien qu’il prétende que le rapport d’évaluation pour 1999 repose sur des faits matériellement inexacts, le requérant vise en réalité à remettre en cause la validité des appréciations portées par ses supérieurs quant à son travail au cours de l’année 1999.
69
Toutefois, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation à celle des personnes chargées d’évaluer le travail du requérant. En effet, la BCE, à l’instar des autres institutions et organes de la Communauté, dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer le travail des membres de son personnel. Le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur les appréciations contenues dans le rapport annuel d’évaluation d’un membre du personnel de la BCE ne porte que
sur les éventuelles irrégularités de forme, les erreurs de faits manifestes entachant ces appréciations ainsi que sur un éventuel détournement de pouvoir (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 24 janvier 1991, Latham/Commission, T‑63/89, Rec. p. II-19, point 19).
70
En l’espèce, le requérant n’ayant pas établi l’existence de circonstances de cette nature, ses griefs ne sauraient être accueillis.
71
Par ailleurs, la motivation du rapport d’évaluation pour 1999 est suffisamment précise pour satisfaire aux exigences de l’article 253 CE, applicable, en vertu de l’article 34.2 des statuts du SEBC, aux décisions adoptées par la BCE.»
21
En second lieu, le Tribunal a estimé, s’agissant du recours présenté dans l’affaire T‑341/00, que les conclusions de M. Pflugradt visaient à obtenir l’annulation de la note du 28 juin 2000, par laquelle la BCE avait, selon lui, modifié ses attributions.
22
Aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a admis que cette note constituait un acte faisant grief et, en conséquence, déclaré le recours recevable.
23
Il a néanmoins, sur le fond, rejeté lesdites conclusions en jugeant aux points 89 et 90 dudit arrêt:
«89
En premier lieu, ainsi qu’il a été jugé précédemment dans l’affaire T‑178/00 au point 54 ci-dessus, le requérant ne saurait raisonnablement s’attendre à conserver jusqu’à l’âge de la retraite certaines fonctions spécifiques qui ont pu lui être attribuées lors de son engagement par la BCE. Dès lors, les prétentions du requérant relatives à ses prétendues compétences exclusives doivent être écartées.
90
S’agissant, en deuxième lieu, de la question de savoir si la BCE a manifestement excédé les limites de son pouvoir d’organisation en modifiant unilatéralement les attributions du requérant, d’une part, il y a lieu de relever qu’il n’est pas contesté que lesdites modifications sont intervenues dans l’intérêt du service. D’autre part, le requérant n’a pas étayé son argumentation d’éléments précis de nature à emporter la conviction que ces modifications portent atteinte aux
éléments essentiels de son contrat de travail en abaissant, dans leur ensemble, ses attributions nettement en deçà de celles qui correspondent à son emploi et qu’elles constituent de ce fait une mesure de dégradation de cet emploi. Au contraire, force est de constater que le requérant conserve ses attributions essentielles relatives aux systèmes UNIX et à la coordination des spécialistes UNIX. Dès lors, il y a lieu de rejeter les griefs du requérant relatifs à une prétendue
dégradation de son emploi.»
Les conclusions des parties
24
M. Pflugradt conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
–
annuler l’arrêt attaqué;
–
annuler le rapport d’évaluation pour 1999;
–
annuler la note du 28 juin 2000 en ce qu’elle porte modification des attributions du requérant;
–
condamner la BCE aux dépens.
25
La BCE conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
–
rejeter le pourvoi;
–
condamner M. Pflugradt aux dépens.
Sur le pourvoi
26
Au vu des nombreux arguments avancés par M. Pflugradt, celui-ci doit être regardé comme faisant grief au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit, d’avoir dénaturé des moyens, des arguments et des éléments de preuve, d’avoir méconnu les règles régissant le droit de la preuve et d’avoir entaché son arrêt d’une contradiction de motifs.
27
Il convient de regrouper ces griefs en trois séries de moyens relatifs, respectivement, à la nature contractuelle des relations de travail entre la BCE et son personnel, à l’application erronée des principes régissant la fonction publique communautaire et aux faits qui ont servi de fondement au rapport d’évaluation pour 1999.
Sur les moyens relatifs à la nature contractuelle des relations de travail entre la BCE et son personnel
28
M. Pflugradt soutient que les relations juridiques entre la BCE et son personnel étant de nature contractuelle, comme il est prévu à l’article 9, sous a), première phrase, des conditions d’emploi, définies en application de l’article 36.1 des statuts du SEBC, le Tribunal ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, se fonder, pour déterminer l’étendue du pouvoir d’organisation de la BCE, sur la jurisprudence concernant les règles d’affectation des fonctionnaires et des autres agents visés à
l’article 283 CE.
29
À titre liminaire, il importe de rappeler que, en application des articles 36.2 des statuts du SEBC et 42 des conditions d’emploi, la compétence de la Cour pour connaître des litiges entre la BCE et ses agents est limitée à l’examen de la légalité de la mesure ou de la décision lorsque le différend n’est pas de nature financière.
30
En l’espèce, il est constant que le différend soumis par M. Pflugradt au Tribunal n’était pas de nature financière. En conséquence, ce dernier ne devait se prononcer que sur la légalité des actes attaqués, c’est-à-dire vérifier que leurs auteurs avaient respecté les obligations légales leur incombant, et non se prononcer sur la conformité de mesures prises par la BCE eu égard au contrat de travail en cause et aux modalités d'exécution de celui-ci.
31
Il y a lieu de relever à cet égard que le lien d’emploi entre la BCE et ses agents est défini par les conditions d’emploi, adoptées par le conseil des gouverneurs, sur proposition du directoire de la BCE, sur le fondement de l’article 36.1 des statuts du SEBC. Celles-ci disposent, à l’article 9, sous a), que «les rapports d’emploi entre la BCE et ses agents sont régis par les contrats de travail conclus en conformité avec les présentes conditions d’emploi». L’article 10, sous a), des mêmes
conditions prévoit que «les contrats de travail entre la BCE et ses agents prennent la forme de lettres d’engagement qui sont contresignées par les agents».
32
Il convient de constater que ces dispositions sont analogues à celles du règlement du personnel de la Banque européenne d’investissement (ci-après la «BEI»), desquelles la Cour a pu déduire que le régime adopté pour les relations de travail entre la BEI et ses agents est de nature contractuelle et ainsi basé sur le principe que les contrats individuels conclus entre la BEI et chacun de ses agents sont le résultat d’un accord de volontés (arrêts du 15 juin 1976, Mills/BEI, 110/75,
Rec. p. 955, point 22, et du 2 octobre 2001, BEI/Hautem, C‑449/99 P, Rec. p. I‑6733, point 93).
33
Il y a donc lieu de conclure que le lien d’emploi entre la BCE et ses agents est de nature contractuelle et non pas statutaire.
34
Toutefois, le contrat en cause a été conclu avec un organisme communautaire, chargé d’une mission d’intérêt général et habilité à prévoir, par voie de règlement, les dispositions applicables à son personnel. Il en résulte que la volonté des parties à un tel contrat trouve nécessairement ses limites dans les obligations de toute nature qui découlent de cette mission particulière et qui s’imposent tant aux organes de direction de la BCE qu’à ses agents. Il n’est pas contestable que les
conditions d’emploi visent à satisfaire ces obligations et à permettre à la BCE, conformément au troisième considérant de ces conditions d’emploi «de disposer d’un personnel montrant le plus haut degré d’indépendance, de compétence, d’efficacité, et d’intégrité […]».
35
À cet égard, selon l’article 9, sous a), des conditions d’emploi, les contrats de travail sont conclus en conformité avec celles-ci. Dès lors, en contresignant la lettre d’engagement prévue à l’article 10, sous a), desdites conditions, les agents adhèrent à ces dernières sans pouvoir en négocier individuellement aucun des éléments. L’accord de volontés se trouve ainsi en partie limité à l’acceptation des droits et obligations prévus par ces conditions d’emploi. Il doit être encore rappelé
que, en ce qui concerne l’interprétation de ces droits et obligations, l’article 9, sous c), des conditions d’emploi dispose que la BCE prendra dûment en considération les principes consacrés par les règlements, les règles et la jurisprudence s’appliquant au personnel des institutions communautaires.
36
Certes, les contrats de travail des membres du personnel de la BCE peuvent contenir d’autres éléments acceptés par l’agent concerné au terme de discussions portant, par exemple, sur les caractéristiques essentielles des tâches qui lui sont confiées. Toutefois, l’existence de tels éléments ne fait pas, en soi, obstacle à l’exercice, par les organes de direction de la BCE, du pouvoir d’appréciation dont ils disposent pour mettre en œuvre les mesures qu’impliquent les obligations d’intérêt
général découlant de la mission particulière impartie à la BCE. Ces organes peuvent être ainsi contraints, pour faire face à de telles exigences du service, et notamment pour permettre à celui-ci de s’adapter à de nouveaux besoins, de prendre des décisions ou des mesures unilatérales susceptibles de modifier, notamment, les conditions d’exécution des contrats de travail.
37
Il en résulte que, dans l’exercice de ce pouvoir, les organes de direction de la BCE ne se trouvent nullement dans une situation distincte de celle que connaissent les organes de direction des autres organismes et institutions communautaires dans leurs relations avec leurs agents.
38
Dans ces conditions, c’est à bon droit que, se plaçant sur le strict plan de la légalité des actes attaqués auquel il était tenu, le Tribunal a entendu apprécier celle-ci au regard des principes applicables à tous les agents des autres organismes et institutions communautaires. Par conséquent, le Tribunal n’a pas méconnu le caractère contractuel de la situation des membres du personnel de la BCE. En outre, il n'a pas commis d'erreur de droit lorsqu'il a jugé au point 59 de son arrêt que la
modification des attributions en cause ne portait pas atteinte à un élément essentiel du contrat de travail.
39
Dans ces conditions, en écartant l’argumentation invoquée sur ces points, le Tribunal n'a, contrairement à ce que soutient M. Pflugradt, ni méconnu «le principe d’équilibre institutionnel» ni «les règles applicables au droit de la preuve» ni dénaturé les arguments avancés par le requérant.
40
Les moyens ainsi invoqués se rapportant au caractère contractuel de la relation de travail entre la BCE et son personnel doivent dès lors être écartés.
Sur les moyens relatifs à l’application des principes régissant l’affectation du personnel
41
M. Pflugradt soutient que, même en appliquant, selon lui à tort, au personnel de la BCE les principes régissant l’affectation du personnel, au regard du droit de la fonction publique communautaire, le Tribunal a méconnu ces principes.
42
Il convient de rappeler à cet égard que la jurisprudence de la Cour a reconnu aux institutions de la Communauté un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l’affectation en vue de celles-ci du personnel qui se trouve à leur disposition, à la condition cependant que cette affectation se fasse dans l’intérêt du service et dans le respect de l’équivalence des emplois (arrêts Lux/Cour des comptes, précité, point
17; du 23 mars 1988, Hecq/Commission, 19/87, Rec. p. 1681, point 6, et Ojha/Commission, précité, point 40).
43
Pour les motifs rappelés au point 34 du présent arrêt, la BCE doit, de manière identique, disposer d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de ses services en fonction des missions qui lui sont confiées ainsi que, par voie de conséquence, et en vue de celles-ci, dans la définition ou la redéfinition des tâches qui sont confiées à son personnel, à la condition que ce pouvoir soit exercé dans le seul intérêt du service et dans le respect des grades et classements auxquels chaque
agent peut prétendre en application des conditions d’emploi.
44
En relevant, au point 58 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas contesté que M. Pflugradt avait, en dépit des modifications de ses attributions, conservé son emploi de «coordinateur des spécialistes UNIX» relevant de la catégorie des «professionnals» et du grade G ainsi que la rémunération y afférente, le Tribunal s’est borné à constater, sans commettre d’erreur de droit, que la redéfinition des tâches de l’intéressé était intervenue dans le respect des grades et classements dont ce dernier
bénéficiait jusqu’alors.
45
À cet égard, M. Pflugradt ne pouvait utilement exciper, devant le Tribunal, de l’illégalité des décisions individuelles de classement dont lui-même et les autres employés de la BCE ont fait l’objet, dès lors que les actes attaqués sont, en tout état de cause, sans lien avec ces décisions. Le requérant ne saurait, par suite, se plaindre de ce que le Tribunal aurait omis de statuer sur cette exception d’illégalité ni davantage se prévaloir sur ce point d’une violation des règles de preuve.
46
M. Pflugradt soutient encore que l’intérêt du service n’ayant pas été invoqué par la BCE, le Tribunal ne pouvait pas, au point 90 de l’arrêt attaqué, affirmer, en méconnaissance des règles de la charge de la preuve, que le requérant n’avait pas contesté que les modifications de son contrat étaient intervenues dans l’intérêt du service.
47
Il convient toutefois de relever que, par cette affirmation, le Tribunal s’est borné à constater qu’aucun débat n’avait opposé les parties sur la question de savoir si les actes attaqués avaient été pris dans l’intérêt du service. Contestant la légalité de ces actes, il incombait à M. Pflugradt, et non à la BCE, de faire valoir devant le Tribunal que ces derniers ne remplissaient pas les conditions auxquelles était soumise leur légalité et, notamment, qu’ils n’avaient pas été pris dans
l’intérêt du service. S’étant abstenu de le faire, le requérant n’est pas fondé à soutenir que le Tribunal aurait ainsi méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve.
48
M. Pflugradt reproche encore au Tribunal d’avoir motivé de manière contradictoire les points 59 et 90 de l’arrêt attaqué. À cet égard, il y a lieu de relever que le Tribunal a considéré au point 59 que la modification apportée par le rapport d’évaluation pour 1999 aux tâches confiées à M. Pflugradt ne portait pas, en ce qu’elle était relative à l’évaluation des membres de «l’équipe UNIX», sur un élément essentiel du contrat de travail. S’il a alors estimé suffisante cette circonstance pour
juger que ce rapport n’était pas illégal du fait du retrait de cette tâche, il n’a pas pour autant entendu exclure, pour le cas où un retrait porterait sur un autre élément du contrat, la possibilité d’admettre qu’un tel retrait répondrait à un motif lié à l'intérêt du service. Dès lors, en appréciant, au point 90, la légalité de la note du 28 juin 2000 au regard notamment de considérations relatives à l’intérêt du service, le Tribunal n’a nullement entaché ledit arrêt d’une contradiction de
motifs.
49
Ainsi, les moyens relatifs à l’application des principes régissant l’affectation des membres du personnel doivent également être écartés.
Sur les moyens relatifs aux faits qui ont servi de fondement au rapport d’évaluation pour 1999
50
M. Pflugradt soutient que, contrairement à ce qu’a estimé le Tribunal, il n’a pas contesté l’appréciation portée sur lui par la BCE dans son rapport d'évaluation pour 1999, mais les faits qui ont servi de fondement à cette appréciation.
51
Il est exact que, au point 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, bien qu’il prétende que le rapport d’évaluation pour 1999 repose sur des faits matériellement inexacts, le requérant visait en réalité à remettre en cause la validité des appréciations portées par ses supérieurs hiérarchiques quant à son travail au cours de cette année.
52
Toutefois, cette analyse, pour ambiguë qu’elle soit, ne saurait être considérée, contrairement à ce que soutient le requérant, comme emportant dénaturation de ses arguments ou violation des règles de preuve. En effet, d’une part, lorsque le requérant remet en cause les faits sur lesquels repose une appréciation, il entend nécessairement contester la validité de celle-ci.
53
D’autre part, le Tribunal, après avoir rappelé, au point 69 de l'arrêt attaqué, que son contrôle ne pouvait porter que sur les éventuelles irrégularités de forme, les erreurs de fait manifestes entachant ces appréciations ainsi que sur un éventuel détournement de pouvoir, a estimé, au point 70 dudit arrêt, que M. Pflugradt n’avait pas établi l’existence de circonstances de cette nature. Ainsi, en considérant que l’existence d’erreurs de fait manifestes n’était pas établie, le Tribunal,
contrairement à ce que soutient le requérant, s’est prononcé sur son moyen tiré de l’inexactitude matérielle des faits, dont il appartenait au requérant de rapporter la preuve. Le Tribunal n’a ainsi nullement présumé du caractère licite de ces appréciations, ni méconnu les règles de preuve.
54
Le Tribunal n’a par ailleurs pas commis d’erreur de droit en considérant qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle des personnes chargées d’évaluer le travail du requérant (arrêts du 17 mars 1971, Marcato/Commission, 29/70, Rec. p. 243, point 7, et du 5 mai 1983, Ditterich/Commission, 207/81, Rec. p. 1359, point 13).
55
Enfin, si M. Pflugradt a entendu contester devant la Cour les allégations de fait sur lesquelles repose le rapport d’évaluation pour 1999, un tel moyen est irrecevable dans le cadre du présent pourvoi. Il convient en effet de rappeler qu’il résulte des articles 225 CE et 58 du statut de la Cour de justice que le pourvoi est limité aux questions de droit (voir notamment arrêt du 29 avril 2004, Parlement/Ripa di Meana e.a., C‑470/00 P, non encore publié au Recueil, point 40).
56
Dès lors, les moyens relatifs aux faits qui ont servi de fondement au rapport d’évaluation pour 1999 doivent aussi être écartés.
57
Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de M. Pflugradt doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
58
Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Aux termes de l'article 70 de ce règlement, les frais exposés par les institutions dans les recours de leurs agents restent à la charge de celles-ci. Cependant, en vertu de l'article 122, deuxième alinéa, dudit règlement, cet article 70 n'est pas applicable au
pourvoi formé par un fonctionnaire ou tout autre agent d'une institution contre celle‑ci. La BCE ayant conclu à la condamnation du requérant et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a donc lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:
1)
Le pourvoi est rejeté.
2)
M. Pflugradt est condamné aux dépens.
Signatures.
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1 –
Langue de procédure: l'allemand.