Affaire C-299/02
Commission des Communautés européennes
contre
Royaume des Pays-Bas
«Manquement d'État – Articles 43 CE et 48 CE – Mesures nationales exigeant comme condition pour pouvoir immatriculer un navire aux Pays-Bas la nationalité communautaire ou EEE des actionnaires, des administrateurs et des personnes physiques chargées de la gestion courante d'une société communautaire propriétaire du navire – Mesures nationales exigeant que l'administrateur d'une société d'armement doit être de nationalité communautaire ou EEE et doit avoir un domicile communautaire ou EEE»
Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 27 mai 2004
Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 octobre 2004
Sommaire de l'arrêt
1.
Libre circulation des personnes – Liberté d'établissement – Immatriculation des navires dans un État membre – Conditions tenant à la nationalité des actionnaires et des administrateurs des sociétés propriétaires d'un navire et/ou des représentants sur place des propriétaires – Inadmissibilité – Justification – Exercice d'un contrôle et d'une juridiction effectifs – Absence
(Art. 43 CE et 48 CE)
2.
Libre circulation des personnes – Liberté d'établissement – Gestion des navires – Conditions tenant à la nationalité et au domicile des administrateurs des sociétés d'armement – Inadmissibilité – Justification – Exercice d'un contrôle et d'une juridiction effectifs – Absence
(Art. 43 CE et 48 CE)
1.
Manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 48 CE un État membre qui adopte et maintient une législation en vertu de laquelle sont fixées des conditions en ce qui concerne la nationalité d’un État membre de l’Union ou de l’Espace économique européen des actionnaires et des administrateurs de sociétés propriétaires d’un navire de mer que celles-ci souhaitent immatriculer dans cet État membre, ainsi que des personnes physiques chargées de la gestion courante de
l’établissement à partir duquel est exercée, dans l’État membre concerné, l’activité de navigation maritime requise pour cette immatriculation, un tel régime d’immatriculation des navires ayant pour effet de restreindre la liberté d’établissement de leurs propriétaires.
En effet, les sociétés propriétaires ne répondant pas aux conditions de nationalité susvisées n’ont pas d’autre possibilité pour procéder à l’immatriculation que de modifier en conséquence la structure de leur capital social ou de leurs organes d’administration. De même, les propriétaires des navires doivent adapter leur politique d’embauche afin d’exclure des représentants sur place tout ressortissant d’un État tiers à la Communauté ou à l’Espace économique européen.
Par ailleurs, à défaut d’une règle harmonisée valable pour toute la Communauté, une condition de nationalité d’un État membre de l’Union ou de l’Espace économique européen instaurée unilatéralement peut, de même qu’une condition de nationalité d’un État membre spécifique, constituer une entrave à la liberté d’établissement.
Une telle restriction ne saurait être justifiée par la nécessité d’exercer un contrôle et une juridiction effectifs sur les navires battant pavillon de l’État membre concerné.
(cf. points 19-21, 39 et disp.)
2.
Manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 48 CE un État membre qui adopte et maintient une législation en vertu de laquelle sont fixées des conditions en ce qui concerne la nationalité d’un État membre de l’Union ou de l’Espace économique européen et le domicile dans un de ces États membres des administrateurs de sociétés d’armement de navires de mer immatriculés dans cet État membre, un tel régime de gestion des navires ayant pour effet de restreindre la
liberté d’établissement des propriétaires desdits navires.
En effet, les ressortissants communautaires qui souhaitent opérer sous forme de société d’armement avec un administrateur ressortissant d’un pays tiers ou domicilié dans un pays tiers sont empêchés de le faire.
Une telle restriction ne saurait être justifiée par la nécessité d’exercer un contrôle et une juridiction effectifs sur les navires battant pavillon de l’État membre concerné.
(cf. points 32-33, 39 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
14 octobre 2004(1)
«Manquement d'État – Articles 43 CE et 48 CE – Mesures nationales exigeant comme condition pour pouvoir immatriculer un navire aux Pays-Bas la nationalité communautaire ou EEE des actionnaires, des administrateurs et des personnes physiques chargées de la gestion courante d'une société communautaire propriétaire du navire – Mesures nationales exigeant que l'administrateur d'une société d'armement doit être de nationalité communautaire ou EEE et doit avoir un domicile communautaire ou EEE»
Dans l'affaire C-299/02,ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 226 CE,introduit le 23 août 2002,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. K. H. I. Simonsson et H. M. H. Speyart, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
Royaume des Pays-Bas, représenté par M. H. G. Sevenster et M^me S. Terstal, en qualité d'agents,
partie défenderesse,
LA COUR (première chambre),,
composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, M. A. Rosas et M^me R. Silva de Lapuerta, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 mai 2004,
rend le présent
Arrêt
1
Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ayant adopté et maintenu dans sa législation l’article 311 du Wetboek van Koophandel (code de commerce) et l’article 8:169 du Burgerlijk Wetboek (code civil) en vertu desquels sont fixées des conditions en ce qui concerne:
–
la nationalité des actionnaires et des administrateurs de sociétés propriétaires d’un navire de mer que celles-ci souhaitent immatriculer aux Pays-Bas, ainsi que
–
la nationalité et le domicile des administrateurs de sociétés d’armement de navires de mer immatriculés aux Pays-Bas et des personnes physiques chargées de la gestion courante de l’établissement à partir duquel l’activité de navigation maritime qui est requise pour l’immatriculation d’un navire dans les registres néerlandais est exercée aux Pays-Bas,
le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 48 CE.
Le cadre juridique
La réglementation internationale
2
L’article 91, paragraphe 1, de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, à laquelle la Communauté a adhéré par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998 (JO L 179, p. 1, ci‑après la «convention de Montego Bay»), dispose que «chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l’attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d’immatriculation des navires sur son territoire et les conditions requises pour qu’ils aient le droit de battre son
pavillon. [...] Il doit exister un lien substantiel entre l’État et le navire».
3
L’article 94, de la convention de Montego Bay prévoit à son paragraphe 1 que «tout État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon», et énumère, aux paragraphes suivants, une série de mesures que l’État du pavillon est tenu de prendre à cet effet.
La réglementation nationale
4
Aux termes de l’article 311, paragraphes 1 et 3, du Wetboek van Koophandel:
«1. Un navire a la nationalité néerlandaise lorsque les conditions suivantes sont remplies:
a)
le navire appartient au moins aux deux tiers à une ou plusieurs personnes physiques ou sociétés possédant la nationalité d’un État membre des Communautés européennes [ci-après la ‘nationalité communautaire’] ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen [ci-après la ‘nationalité EEE’];
b)
la ou les personnes visées au point a) exercent l’activité de navigation maritime aux Pays-Bas par l’intermédiaire d’une entreprise qui est établie dans ce pays ou qui y possède un établissement secondaire […] et assurent la gestion du navire principalement depuis les Pays-Bas;
c)
la gestion courante de l’établissement visé au point b) est assurée par une ou plusieurs personnes physiques ayant la nationalité [communautaire] ou [EEE];
d)
la ou les personnes physiques visées au point c) disposent de pouvoirs de représentation pour toutes les questions liées à la gestion du navire et concernant le navire, son capitaine et les autres membres de l’équipage.
[...]
3. Aux fins du présent article, on entend par personne morale ayant la nationalité [communautaire] ou [EEE], une personne morale constituée en conformité de la législation d’un État membre des Communautés européennes ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen […] et ayant son siège statutaire, son administration centrale ou son principal établissement sur le territoire d’un État membre des Communautés européennes ou d’un autre État partie à l’accord sur
l’Espace économique européen, à condition que:
a)
des actions représentant au moins deux tiers du capital souscrit soient établies au nom de personnes physiques possédant la nationalité [communautaire] ou [EEE] ou de sociétés au sens du présent paragraphe ab initio, et que la majorité des administrateurs possèdent la nationalité [communautaire] ou [EEE], ou que
b)
tous les administrateurs possèdent la nationalité [communautaire] ou [EEE].»
5
En vertu de l’article 8:160 du Burgerlijk Wetboek, une société d’armement est une forme spécifique de copropriété d’un navire qui permet à des personnes physiques d’être copropriétaires d’un navire sans passer par l’intermédiaire d’une personne morale.
6
L’article 8:163 du Burgerlijk Wetboek dispose que «toute société d’armement peut engager un comptable [administrateur]».
7
L’article 8:169, paragraphe 1, du Burgerlijk Wetboek prévoit que «la fonction de comptable [administrateur] cesse si […] il ne possède plus la nationalité [communautaire] ou [EEE] ou qu’il établit son domicile en dehors du territoire d’un État membre des Communautés européennes [ci-après le ‘domicile communautaire’] ou d’un autre État partie l’accord sur l’Espace économique européen [ci-après le ‘domicile EEE’]».
La procédure précontentieuse
8
Après avoir mis le royaume des Pays-Bas en mesure de présenter ses observations, la Commission lui a adressé, le 27 janvier 2000, un avis motivé relevant que certains aspects de la réglementation nationale régissant l’immatriculation et la gestion des navires de mer lui semblaient incompatibles avec l’article 43 CE, lu en combinaison avec l’article 48 CE. Elle a, dès lors, invité cet État membre à se conformer à ses obligations résultant du traité CE dans un délai de deux mois à compter de
la notification de cet avis motivé. N’étant pas satisfaite de la réponse apportée par les autorités néerlandaises par lettre du 8 mai 2000, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
9
À l’appui de son recours la Commission fait valoir, en substance, trois griefs concernant les conditions exigées par le royaume des Pays-Bas pour pouvoir immatriculer un navire dans cet État membre (ci-après le «régime d’immatriculation des navires en cause»). Ces griefs sont tirés de l’incompatibilité avec l’article 43 CE de la condition selon laquelle
–
une partie des actionnaires d’une société communautaire propriétaire du navire doivent être de nationalité communautaire ou EEE;
–
les administrateurs d’une société communautaire propriétaire du navire doivent être de nationalité communautaire ou EEE, et/ou
–
les personnes physiques chargées de la gestion courante de l’établissement néerlandais (ci-après les «représentants sur place») d’un propriétaire communautaire du navire doivent être de nationalité communautaire ou EEE.
10
De plus, la Commission fait valoir deux griefs concernant les conditions exigées par le royaume des Pays-Bas pour la gestion des navires par une société d’armement (ci-après le «régime de gestion des navires en cause»). Ces griefs sont tirés de l’incompatibilité avec l’article 43 CE de la condition selon laquelle:
–
l’administrateur d’une société d’armement doit être de nationalité communautaire ou EEE, et
–
l’administrateur d’une société d’armement doit avoir un domicile communautaire ou EEE.
Sur les trois premiers griefs
Argumentation des parties
11
Selon la Commission, le régime d’immatriculation des navires en cause constitue une restriction à la liberté d’établissement.
12
Par ailleurs, la Commission soutient que, si ce régime peut être justifié par les motifs d’intérêt général liés à l’exercice d’un contrôle effectif, il doit être considéré comme étant disproportionné au but recherché.
13
Le gouvernement néerlandais fait valoir que le régime d’immatriculation de navires en cause ne restreint pas la liberté d’établissement.
14
En outre, ce gouvernement soutient que, à supposer même que ce régime comporte une restriction à la liberté d’établissement, il serait justifié par des motifs d’intérêt général relatifs à la nécessité d’exercer un contrôle et une juridiction effectifs sur les navires battant pavillon néerlandais.
Appréciation de la Cour
15
Selon une jurisprudence constante, l’article 43 CE s’oppose à toute mesure nationale, qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants communautaires, de la liberté d’établissement garantie par le traité (voir, en ce sens, arrêt du 31 mars 1993, Kraus, C‑19/92, Rec. p. I-1663, point 32).
16
Il ressort de l’article 48 CE que le droit à la liberté d’établissement est assuré non seulement aux ressortissants communautaires mais également aux sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust, 81/87, Rec. p. 5483; du 9 mars 1999, Centros, C‑212/97, Rec. p. I‑1459,
point 18, et du 5 novembre 2002, Überseering, C‑208/00, Rec. p. I-9919, point 56).
17
La liberté d’établissement peut cependant, en l’absence de mesures communautaires d’harmonisation, être limitée par des réglementations nationales justifiées par les raisons mentionnées à l’article 46, paragraphe 1, CE ou par des raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 1977, Thieffry, 71/76, Rec. p. 765, points 12 et 15, ainsi que Kraus, précité, point 32).
18
Dans ce contexte, il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection des objectifs visés à l’article 46, paragraphe 1, CE et de l’intérêt général ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Ils ne peuvent cependant le faire que dans les limites tracées par le traité et, en particulier, dans le respect du principe de proportionnalité, qui exige que les mesures adoptées soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles
poursuivent et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir, en ce sens, arrêts du 20 mai 1992, Ramrath, C-106/91, Rec. p. I-3351, points 29 et 30, ainsi que Kraus, précité, point 32).
19
En l’espèce, il convient de constater que le régime d’immatriculation des navires en cause a pour effet de restreindre la liberté d’établissement des propriétaires desdits navires. En effet, lorsque les sociétés propriétaires qui entendent immatriculer aux Pays-Bas leurs navires ne répondent pas aux conditions litigieuses, elles n’ont pas d’autre possibilité pour procéder à cette immatriculation que de modifier en conséquence la structure de leur capital social ou de leurs organes
d’administration – modifications qui sont susceptibles d’impliquer de profonds bouleversements au sein d’une société ainsi que l’accomplissement de nombreuses formalités qui ne sont pas sans conséquences financières. De même, les propriétaires des navires doivent adapter leur politique d’embauche afin d’exclure des représentants sur place tout ressortissant d’un État tiers à la Communauté ou à l’EEE.
20
À cet égard, l’argument invoqué par le gouvernement néerlandais selon lequel, à la différence d’une condition de nationalité liée à un État membre, une condition de nationalité communautaire ou EEE ne peut pas constituer une «restriction» au sens de l’article 43 CE, ne saurait être accueilli. En effet, à défaut d’une règle harmonisée valable pour toute la Communauté, une condition de nationalité communautaire ou EEE peut, de même qu’une condition de nationalité d’un État membre spécifique,
constituer une entrave à la liberté d’établissement.
21
Une restriction telle que celle en cause ne saurait être justifiée par la nécessité d’exercer un contrôle et une juridiction effectifs sur les navires battant pavillon des Pays-Bas. Le régime néerlandais d’immatriculation des navires n’est pas propre à garantir la réalisation de ces objectifs et va au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. En effet, il est difficile de concevoir en quoi la structure du capital social ou des organes d’administration des sociétés propriétaires du
navire ou encore la nationalité du représentant sur place peuvent affecter l’exercice d’un contrôle effectif de l’État du pavillon sur le navire. Ces circonstances importent peu pour l’adoption de mesures telles que l’inspection du navire, l’enregistrement des données le concernant, la vérification de la qualification et des conditions de travail de l’équipage, ainsi que l’ouverture et la conduite d’une enquête en cas d’accident ou d’incident de navigation en haute mer.
22
À cet égard, l’argumentation développée par le gouvernement néerlandais pour établir le caractère proportionné dudit régime ne saurait être accueillie.
23
Quant à l’argument selon lequel le royaume des Pays-Bas serait obligé d’adopter le régime en question en vertu des articles 91, paragraphe 1, et 94, paragraphe 1, de la convention de Montego Bay, il suffit de constater que, ainsi que l’a démontré M. l’avocat général aux points 51 à 59 de ses conclusions, les dispositions susvisées de ladite convention ne contiennent pas une telle obligation pour le royaume des Pays-Bas.
24
Concernant l’argument selon lequel la Communauté fait elle-même figurer cette exigence dans son droit dérivé, il convient de constater que, si des conditions de nationalité communautaire ou EEE pouvaient être admises dans le cadre d’un régime communautaire harmonisé, elles ne sauraient être instaurées unilatéralement par des États membres dans leur réglementation nationale.
25
S’agissant de l’argument selon lequel, pour garantir un contrôle effectif, il est nécessaire d’assurer un lien avec le propriétaire effectif (l’ultime ayant-droit dans la propriété du navire), il convient de relever que, aux fins d’un tel contrôle, il suffit de prévoir que la gestion du navire doive être assurée à partir d’un établissement situé aux Pays-Bas par une personne qui dispose du pouvoir de représentation (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a., C‑221/89, Rec.
p. I-3905, point 36). Ainsi, l’État membre peut intervenir directement à l’encontre du représentant du propriétaire du navire.
26
En ce qui concerne l’argument selon lequel la condition de nationalité augmente considérablement les chances que la juridiction soit effectivement exercée, il convient de constater que la possibilité pour un État d’exercer sa juridiction sur une personne dépend surtout de l’accessibilité pratique de celle-ci et non de sa nationalité. Or, il est déjà satisfait à ce critère lorsque la gestion du navire doit être assurée à partir d’un établissement situé aux Pays-Bas par une personne qui
dispose du pouvoir de représentation du propriétaire du navire.
27
Dans ces conditions les trois premiers griefs sont fondés.
Sur les quatrième et cinquième griefs
Argumentation des parties
28
Selon la Commission, le régime de gestion des navires en cause constitue une restriction à la liberté d’établissement.
29
De plus, la Commission soutient que, si ce régime peut être justifié par les motifs d’intérêt général liés à l’exercice d’un contrôle effectif, il doit être considéré comme étant disproportionné au but recherché.
30
Le gouvernement néerlandais fait valoir que le régime de gestion des navires en cause ne restreint pas la liberté d’établissement.
31
En tout état de cause, selon ce gouvernement, à supposer même que ce régime comporte une restriction, elle serait justifiée par des motifs d’intérêt général relatifs à la nécessité d’exercer un contrôle et une juridiction effectifs sur les navires battant pavillon néerlandais.
Appréciation de la Cour
32
En l’espèce, il convient de constater que le régime de gestion des navires en cause a pour effet de restreindre la liberté d’établissement des propriétaires desdits navires. En effet, les ressortissants communautaires qui souhaitent opérer sous forme de société d’armement avec un administrateur ressortissant d’un pays tiers ou domicilié dans un pays tiers sont empêchés de le faire.
33
Une restriction telle que celle en cause ne saurait être justifiée par la nécessité d’exercer un contrôle et une juridiction effectifs sur les navires battant pavillon des Pays-Bas. Le régime néerlandais de gestion des navires n’est pas propre à garantir la réalisation de ces objectifs et va au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. En effet, il est difficile de concevoir en quoi la nationalité et le domicile de l’administrateur d’une société d’armement propriétaire du navire
peuvent affecter l’exercice d’un contrôle effectif de l’État du pavillon sur le navire.
34
À cet égard, en ce qui concerne la condition de nationalité, il ressort des points 23 à 26 du présent arrêt que les arguments développés par le gouvernement néerlandais pour établir le caractère proportionné dudit régime doivent être rejetés.
35
Quant à la condition de domicile, l’argumentation soulevée par le gouvernement néerlandais ne saurait être accueillie.
36
S’agissant de l’argument selon lequel la condition de domicile augmente considérablement les chances que la juridiction soit effectivement exercée, il convient de constater que la possibilité pour un État d’exercer sa juridiction sur une personne dépend surtout de l’accessibilité pratique de celle-ci et non de son domicile. Or, il est déjà satisfait à ce critère lorsque la gestion du navire doit être assurée à partir d’un établissement situé aux Pays-Bas par une personne qui dispose du
pouvoir de représentation du propriétaire du navire.
37
En ce qui concerne l’argument selon lequel, compte tenu de la situation géographique des Pays‑Bas, une personne qui a son domicile en dehors de la Communauté ou de l’un des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen ne peut assumer correctement la gestion journalière qui incombe à l’administrateur d’une société d’armement, il convient de rappeler encore une fois que la possibilité pour un État d’exercer sa juridiction sur une personne dépend surtout de son accessibilité
pratique et non de son domicile. Dans ce contexte, il suffit d’exiger que la gestion du navire soit assurée à partir d’un établissement situé aux Pays-Bas par une personne qui dispose du pouvoir de représentation du propriétaire de ce navire.
38
Dans ces conditions les quatrième et cinquième griefs sont fondés.
39
Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que, en ayant adopté et maintenu dans sa législation l’article 311 du Wetboek van Koophandel et l’article 8:169 du Burgerlijk Wetboek en vertu desquels sont fixées des conditions en ce qui concerne:
–
la nationalité des actionnaires de sociétés propriétaires d’un navire de mer que celles-ci souhaitent immatriculer aux Pays‑Bas;
–
la nationalité des administrateurs de sociétés propriétaires d’un navire de mer que celles-ci souhaitent immatriculer aux Pays-Bas;
–
la nationalité des personnes physiques chargées de la gestion courante de l’établissement à partir duquel l’activité de navigation maritime qui est requise pour l’immatriculation d’un navire dans les registres néerlandais est exercée aux Pays-Bas;
–
la nationalité des administrateurs de sociétés d’armement de navires de mer immatriculés aux Pays-Bas, et
–
le domicile des administrateurs de sociétés d’armement de navires de mer immatriculés aux Pays-Bas,
le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 48 CE.
Sur les dépens
40
En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du royaume des Pays-Bas et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il convient de le condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:
1)
En ayant adopté et maintenu dans sa législation l’article 311 du Wetboek van Koophandel et l’article 8:169 du Burgerlijk Wetboek en vertu desquels sont fixées des conditions en ce qui concerne:
–
la nationalité des actionnaires de sociétés propriétaires d’un navire de mer que celles-ci souhaitent immatriculer aux Pays-Bas;
–
la nationalité des administrateurs de sociétés propriétaires d’un navire de mer que celles-ci souhaitent immatriculer aux Pays-Bas;
–
la nationalité des personnes physiques chargées de la gestion courante de l’établissement à partir duquel l’activité de navigation maritime qui est requise pour l’immatriculation d’un navire dans les registres néerlandais est exercée aux Pays-Bas;
–
la nationalité des administrateurs de sociétés d’armement de navires de mer immatriculés aux Pays‑Bas, et
–
le domicile des administrateurs de sociétés d’armement de navires de mer immatriculés aux Pays-Bas,
le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 48 CE.
2)
Le royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.
Signatures.
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1 –
Langue de procédure: le néerlandais.