Affaire C-239/03
Commission des Communautés européennes
contre
République française
«Manquement d'État – Convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution – Articles 4, paragraphe 1, et 8 – Protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique – Article 6, paragraphes 1 et 3 – Défaut d'avoir adopté les mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre la pollution massive et prolongée de l'étang de Berre – Autorisation de déversement»
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 7 octobre 2004
Sommaire de l'arrêt
1.
Recours en manquement – Recours visant à faire constater le non-respect d'un accord mixte conclu par la Communauté et les États membres – Protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique – Compétence de la Cour – Recevabilité
(Art. 226 CE; convention de Barcelone, art. 4, § 1, et 8; protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d’origine tellurique, art. 6, § 1 et 3)
2.
Accords internationaux – Accords de la Communauté – Protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique – Obligation des États membres de réduire ladite pollution – Portée
(Protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d’origine tellurique, art. 6, § 1 et 3)
1.
L’application des articles 4, paragraphe 1, et 8 de la convention de Barcelone pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution ainsi que de l’article 6, paragraphes 1 et 3, du protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d’origine tellurique à des rejets d’eau douce et de limons dans un étang salé, bien que ces rejets n’aient pas fait l’objet d’une réglementation communautaire spécifique, s’inscrit dans le cadre communautaire dès lors que ces
articles figurent dans des accords mixtes conclus par la Communauté et par ses États membres et concernent un domaine largement couvert par le droit communautaire. La Cour, saisie au titre de l’article 226 CE, est donc compétente pour en apprécier le respect par un État membre.
En effet, les accords mixtes conclus par la Communauté, ses États membres et des pays tiers ont le même statut dans l’ordre juridique communautaire que les accords purement communautaires, s’agissant des dispositions qui relèvent de la compétence de la Communauté. En assurant le respect des engagements découlant d’un accord conclu par les institutions communautaires, les États membres remplissent donc dans l’ordre communautaire une obligation envers la Communauté qui a assumé la
responsabilité pour la bonne exécution de l’accord.
(cf. points 25-26, 31)
2.
L’article 6, paragraphe 1, du protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d’origine tellurique prévoit, en liaison avec son article 1er, une obligation particulièrement stricte qui pèse sur les parties contractantes, à savoir celle de réduire rigoureusement, par des mesures appropriées, la pollution d’origine tellurique dans la zone, due aux déversements, notamment, de toutes substances, même non toxiques par nature, pouvant devenir nocives pour le milieu
marin. La rigueur de cette obligation répond à la nature de l’instrument, destiné, notamment, à éviter la pollution due à la carence des pouvoirs publics. La portée de cette obligation doit être comprise en relation avec l’article 6, paragraphe 3, du même protocole qui, en instaurant un régime d’autorisation préalable par les autorités nationales compétentes pour le déversement des substances mentionnées à l’annexe II de celui-ci, requiert la maîtrise par les États membres de la pollution
d’origine tellurique de la zone d’application du protocole.
Dès lors, manque aux obligations lui incombant en vertu notamment dudit article 6, paragraphes 1 et 3, du protocole l’État membre qui ne prend pas toutes les mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre une pollution massive et prolongée de la zone de la Méditerranée et qui omet de tenir compte des prescriptions de l’annexe III du protocole sur le régime d’autorisation des rejets desdites substances en ne modifiant pas son régime national à la suite de la conclusion du même
protocole.
(cf. points 50-51 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
7 octobre 2004(1)
«Manquement d'État – Convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution – Articles 4, paragraphe 1, et 8 – Protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique – Article 6, paragraphes 1 et 3 – Défaut d'avoir adopté les mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre la pollution massive et prolongée de l'étang de Berre – Autorisation de déversement»
Dans l'affaire C-239/03,ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 226 CE, introduit le 4 juin 2003,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Valero Jordana et B. Stromsky, en qualité d'agents,
partie requérante,
contreRépublique française, représentée par MM. G. de Bergues et E. Puisais, en qualité d'agents,
partie défenderesse,
LA COUR (deuxième chambre),,
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. R. Schintgen (rapporteur), M^me R. Silva de Lapuerta, MM. P.Kūris et G. Arestis, juges,
avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l'avocat général entendu, de juger l'affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1
Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:
− en ne prenant pas toutes les mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre la pollution massive et prolongée de l’étang de Berre, et
–
en omettant de tenir dûment compte des prescriptions de l’annexe III du protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d’origine tellurique, signé à Athènes le 17 mai 1980, approuvé au nom de la Communauté économique européenne par la décision 83/101/CEE du Conseil, du 28 février 1983 (JO L 67, p. 1, ci-après le «protocole»), par une modification de l’autorisation de rejets de substances relevant de l’annexe II du protocole à la suite de la
conclusion de celui-ci,
la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, paragraphe 1, et 8 de la convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution, signée à Barcelone le 16 février 1976, approuvée au nom de la Communauté économique européenne par la décision 77/585/CEE du Conseil, du 25 juillet 1977 (JO L 240, p. 1, ci-après «la convention»), et de l’article 6, paragraphes 1 et 3, du protocole, ainsi que de l’article 300, paragraphe 7, CE.
Le cadre juridique
2
L’article 2, sous a), de la convention définit le terme «pollution» comme suit:
«[...] l’introduction directe ou indirecte, par l’homme, de substances ou d’énergie dans le milieu marin, lorsqu’elle a des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques, risques pour la santé de l’homme, entraves aux activités maritimes, y compris la pêche, altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son utilisation, et dégradation des valeurs d’agrément».
3
Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la convention:
«Les parties contractantes prennent individuellement ou conjointement toutes mesures appropriées conformes aux dispositions de la présente convention et des protocoles en vigueur auxquels elles sont parties pour prévenir, réduire et combattre la pollution dans la zone de la mer Méditerranée et pour protéger et améliorer le milieu marin dans cette zone.»
4
L’article 8 de la convention stipule:
«Les parties contractantes prennent toutes mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre la pollution de la zone de la mer Méditerranée due aux déversements par les fleuves, les établissements côtiers ou les émissaires, ou émanant de toute autre source située sur le territoire.»
5
Dans le même sens, l’article 1^er du protocole dispose:
«Les parties contractantes [...] prennent toutes mesures appropriées pour prévenir, réduire, combattre et maîtriser la pollution de la zone de la mer Méditerranée due aux déversements par les fleuves, les établissements côtiers ou les émissaires, ou émanant de toute autre source terrestre située sur leur territoire.»
6
Aux termes de l’article 3, sous c), du protocole:
«La zone d’application du protocole (ci-après dénommée la ‘zone du protocole’) comprend:
[...] les étangs salés communiquant avec la mer.»
7
L’article 4, paragraphe 1, sous a), du protocole prévoit que celui-ci s’applique
«aux rejets polluants provenant de sources terrestres situées sur le territoire des parties et qui atteignent la zone du protocole, en particulier,
directement, par des émissaires en mer ou par dépôt ou déversements effectués sur la côte ou à partir de celle-ci,
indirectement, par l’intermédiaire des fleuves, canaux ou autres cours d’eau, y compris des cours d’eau souterrains, ou du ruissellement».
8
Aux termes de l’article 6, paragraphes 1 et 3, du protocole:
«1. Les parties s’engagent à réduire rigoureusement la pollution d’origine tellurique de la zone du protocole par les substances ou sources énumérées à l’annexe II au présent protocole.
[...]
3. Les rejets sont strictement subordonnés à la délivrance, par les autorités nationales compétentes, d’une autorisation tenant dûment compte des dispositions de son annexe III [...]»
9
Il ressort des points 11 et 13 de la section A de l’annexe II du protocole que relèvent du régime prévu à l’article 6 de ce dernier les «[s]ubstances exerçant une influence défavorable soit directement, soit indirectement sur la teneur en oxygène du milieu marin, spécialement celles qui peuvent être à l’origine de phénomènes d’eutrophisation», et les «[s]ubstances qui, bien que non toxiques par nature, peuvent devenir nocives pour le milieu marin ou peuvent gêner toute utilisation légitime
de la mer en raison des quantités rejetées».
10
La section B de l’annexe II précise:
«Le contrôle et la rigoureuse limitation du rejet des substances mentionnées à la section A ci-dessus doivent être appliqués en accord avec l’annexe III.»
11
L’annexe III du protocole énonce les facteurs à prendre en considération «[e]n vue de la délivrance d’une autorisation pour le rejet de déchets contenant des substances mentionnées à l’annexe II [...]». Ainsi, les États parties doivent tenir compte des «[c]aractéristiques et de la composition du déchet», des «[c]aractéristiques des constituants du déchet quant à la nocivité», des «[c]aractéristiques du lieu de déversement et du milieu marin récepteur», de la «disponibilité de techniques
concernant les déchets», et, enfin, des «[a]tteintes possibles aux écosystèmes marins et aux utilisations de l’eau de mer».
12
Par ailleurs, aux termes de l’article 300, paragraphe 7, CE, les accords conclus par la Communauté «lient les institutions de la Communauté et les États membres».
L’objet du recours et la procédure précontentieuse
13
L’étang de Berre, d’une superficie de 15 000 hectares, est un étang d’eau salée en communication directe avec la mer Méditerranée par le canal de Caronte. Son volume d’eau est de 900 millions de m^3.
14
La Commission a été saisie d’une plainte dénonçant la dégradation du milieu aquatique de l’étang de Berre, du fait principalement des apports d’eau douce venant de la Durance et rejetés artificiellement dans l’étang de Berre à chaque mise en fonctionnement des turbines de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas, exploitée par Electricité de France (ci-après «EDF»).
15
EDF a aménagé et exploite la chute de Saint-Chamas conformément
–
à la loi nº 55-6 du 5 janvier 1955 relative à l’aménagement de la Durance (JORF du 6 janvier 1955 et rectificatif JORF du 20 février 1955), dont l’article 1^er a déclaré d’utilité publique la construction des ouvrages destinés à la régularisation de la Durance, à l’utilisation des eaux pour l’irrigation et à la production d’énergie électrique, une dérivation étant établie entre le confluent du Verdon et l’étang de Berre;
–
au décret du 28 septembre 1959, concédant à EDF (service national) l’aménagement et l’exploitation de la chute et du réservoir de Serre-Ponçon, sur la Durance et des chutes à établir sur la dérivation de la Durance, entre le confluent du Verdon et l’étang de Berre (JORF du 7 octobre 1959);
–
à la convention entre EDF et le ministre de l’Équipement en date du 19 août 1966, dont l’article 9 prévoit:
«Electricité de France prendra toutes les dispositions utiles pour arrêter les déversements dans l’Etang, dès que la teneur en matériaux solides dépassera cinq grammes par litre, sauf si, en cas d’incident sur le réseau électrique, cette mesure se révélait exceptionnellement inacceptable»;
–
au décret du 6 avril 1972 approuvant la convention et le cahier des charges spécial des chutes de Salon et de Saint-Chamas, sur la Durance (départements des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et du Gard) (JORF du 18 avril 1972, ci-après le «décret de 1972»), lequel cahier impose, à l’article 17, le respect des prescriptions de la convention du 19 août 1966, précitée, relatives aux rejets dans l’étang de Berre;
–
à la consigne d’exploitation relative au «transfert en Durance des eaux de la dérivation dans le cadre de la réduction des apports liquides et solides dans l’étang de Berre» (ci-après la «consigne d’exploitation»), approuvée, le 22 avril 1997, par la direction régionale de l’industrie de la recherche et de l’environnement.
16
Le point 2 de cette dernière consigne fixe les objectifs de réduction des apports d’eau et de limons dans les termes suivants:
«Apports d’eau
–
limitation des apports annuels: 2 100 hm^3
–
limitation des apports du 1^er mai au 30 septembre: 400 hm3
Apports de limons
–
limitation des apports annuels: 200 000 tonnes
–
limitation à 2 g/l du taux de matières en suspension (MES)
Respect des quotas
En cas de difficulté pour respecter ces quotas, EDF devra en faire part à la Mission de Reconquête de l’étang de Berre qui décidera de la suite à donner.»
17
Il ressort du dossier que les installations d’EDF de la Durance servent non seulement à produire de l’électricité au niveau régional mais contribuent également à la sécurité de la production électrique en fournissant une puissance de pointe immédiatement disponible pour faire face à des incidents sur le réseau.
18
Ayant estimé que la République française n’avait pas pris toutes les mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre la pollution massive et prolongée de l’étang de Berre, ou avait omis de tenir dûment compte des dispositions de l’annexe III du protocole par une modification de l’autorisation de rejets de substances relevant de l’annexe II de ce même protocole et, par voie de conséquence, avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, paragraphe 1, et 8 de la
convention, et de l'article 6, paragraphes 1 et 3, du protocole ainsi que de l’article 300, paragraphe 7, CE, la Commission a notifié le 10 mai 1999 au gouvernement français une lettre de mise en demeure afin de le mettre en mesure de présenter ses observations.
19
N’ayant pas été convaincue par l’argumentation développée par la République française dans sa lettre du 5 octobre 1999, la Commission lui a adressé un avis motivé rappelant les termes de sa mise en demeure et l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans le délai de deux mois à compter de la notification de cet avis.
20
Par lettre du 31 octobre 2000, le gouvernement français a transmis à la Commission un dossier en réponse à l’avis motivé.
21
Estimant que ce dossier ne lui permettait pas de renoncer à ses griefs exposés dans ledit avis, la Commission a introduit le présent recours.
Sur la compétence de la Cour
22
Le gouvernement français estime que la Cour est incompétente pour se prononcer sur le recours au motif que les obligations, dont la violation est reprochée aux autorités françaises, ne relèvent pas du droit communautaire. En effet, aucune directive communautaire ne réglementerait les rejets d’eau douce et de limons dans un étang salé, de telle sorte que les stipulations de la convention et du protocole qui visent de tels rejets ne relèveraient pas de la compétence de la Communauté.
23
Le recours en manquement ne pouvant avoir pour objet que le non-respect d’obligations découlant du droit communautaire, il convient d’examiner, avant de se prononcer sur l’existence matérielle du manquement, si les obligations qui pèsent sur la France et qui font l’objet du recours relèvent du droit communautaire.
24
Il y a lieu, à cet égard, de constater que la convention et le protocole ont été conclus par la Communauté et ses États membres en vertu d’une compétence partagée.
25
Or, selon la jurisprudence, les accords mixtes conclus par la Communauté, ses États membres et des pays tiers ont le même statut dans l’ordre juridique communautaire que les accords purement communautaires, s’agissant des dispositions qui relèvent de la compétence de la Communauté (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 1987, Demirel, 12/86, Rec. p. 3719, point 9, et du 19 mars 2002, Commission/Irlande, C‑13/00, Rec. p. I‑2943, point 14).
26
La Cour en a tiré la conséquence que, en assurant le respect des engagements découlant d’un accord conclu par les institutions communautaires, les États membres remplissent dans l’ordre communautaire une obligation envers la Communauté qui a assumé la responsabilité pour la bonne exécution de l’accord (arrêts précités Demirel, point 11, et Commission/Irlande, point 15).
27
En l’espèce, les dispositions de la convention et du protocole recouvrent, sans aucun doute, un domaine relevant largement de la compétence communautaire.
28
La protection de l’environnement, objet de la convention et du protocole, est en effet très largement réglementée par la législation communautaire, y compris en ce qui concerne la protection des eaux contre la pollution [voir, notamment, la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (JO L 135, p. 40); la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à
partir de sources agricoles (JO L 375, p. 1), et la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO L 327, p. 1)].
29
La convention et le protocole créant ainsi des droits et des obligations dans un domaine largement couvert par la législation communautaire, il existe un intérêt communautaire à ce que tant la Communauté que ses États membres respectent les engagements souscrits au titre de ces instruments.
30
La circonstance que les rejets d’eau douce et de limons en milieu marin, visés par le présent recours, n’ont pas encore fait l’objet d’une réglementation communautaire, n’est pas de nature à remettre en cause ce constat.
31
Il résulte de ce qui précède que l’application des articles 4, paragraphe 1, et 8 de la convention ainsi que des articles 6, paragraphes 1 et 3, du protocole, à des rejets d’eau douce et de limons dans un étang salé, ces rejets n’ayant pas fait l’objet d’une réglementation communautaire spécifique, s’inscrit dans le cadre communautaire dès lors que ces articles figurent dans des accords mixtes conclus par la Communauté et par ses États membres et concernent un domaine largement couvert par
le droit communautaire. La Cour, saisie au titre de l’article 226 CE, est donc compétente pour en apprécier le respect par un État membre.
Sur le fond
32
À l’appui de son recours, la Commission soulève deux griefs tirés respectivement:
–
d’une violation de l’article 6, paragraphe 1, du protocole, en liaison avec les articles 4, paragraphe 1, et 8 de la convention, au motif que la République française n’a pas pris les mesures nécessaires pour réduire de façon rigoureuse l’introduction dans l’étang de Berre de substances ayant des effets nuisibles, tels que décrits à l’article 2, sous a), de la convention, afin de combattre et de réduire sur une longue période la pollution de cet étang;
–
d’une violation de l’article 6, paragraphe 3, du protocole, au motif que l’autorisation de déversement de déchets par la centrale de Saint-Chamas dans l’étang de Berre n’aurait pas été délivrée en fonction des critères prévus par la convention et le protocole.
Sur le premier grief
Arguments des parties
33
La Commission fait valoir que l’article 6, paragraphe 1, du protocole contient une obligation de résultat.
34
Selon la Commission, qui s’appuie sur plusieurs études scientifiques, il existe une corrélation entre le volume d’eau douce, de limons et de sédiments déversés dans l’étang de Berre par la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas, d’une part, et le taux de salinité, la dessalure et la stratification des eaux de l’étang, l’état d’eutrophisation, dû à un apport excessif de nutriments (sels nutritifs), la dégradation de la faune, de la flore et des valeurs d’agrément de l’étang de Berre,
d’autre part. La Commission ne prétend pas que le fonctionnement de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas soit la seule cause de la pollution de l’étang de Berre, mais qu’une partie essentielle de celle-ci est imputable au fonctionnement de la centrale.
35
La Commission ajoute que l’article 6, paragraphe 1, du protocole doit être lu à la lumière de l’article 6, paragraphe 3, du même protocole, qui subordonne strictement les rejets des substances en cause à l’obtention d’une autorisation tenant dûment compte des dispositions de l’annexe III du protocole. Il en résulterait que le rejet de ces substances, s’il n’est pas autorisé, est interdit, ce qui impliquerait que l’État ait précisément connaissance de la nature et de l’ampleur des substances
déversées.
36
L’existence d’un déficit régional ou la fragilité de la sécurité électrique de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (ci-après la «région PACA») en cause ne seraient pas de nature à justifier les atteintes à l’article 6, paragraphe 1, du protocole, d’autant qu’il existerait une solution alternative pour garantir la sécurité du réseau, à savoir la construction d’une ligne stratégique de 400 000 volts dans la région, entre Boutre et Carros.
37
S’il est exact que la pollution de l’étang de Berre a été réduite ces dernières années dans le cadre du plan de reconquête de cet étang, la réduction des rejets aurait présenté un caractère tardif, erratique et surtout très limité. En particulier, la Commission estime que le volume total des déversements maximaux annuels prévus par ledit plan est incompatible avec la réhabilitation durable d’un milieu marin dans l’étang de Berre.
38
Le gouvernement français estime que l’article 6, paragraphe 1, du protocole contient une obligation de moyens. En l’espèce, la République française ne serait donc tenue que de prouver qu’elle a bien mis en place des moyens juridiques suffisants pour réduire la pollution résultant des rejets d’eau douce et de limons.
39
À cet égard, la situation énergétique spécifique de la région PACA justifierait l’intérêt stratégique des centrales hydroélectriques de Salon et Saint-Chamas. La future ligne de 400 000 volts «Boutre-Carros» ne constituerait qu’un volet d’un programme plus global destiné à répondre aux difficultés rencontrées dans la région en matière énergétique.
40
En premier lieu, le gouvernement français conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle l’étang de Berre aurait fait, depuis 1983, l’objet d’une pollution d’origine tellurique, massive, prolongée et spécifique, dont les effets sur la faune, la flore et les valeurs d’agrément seraient négatifs et considérables. Sans pour autant prétendre que l’activité de la centrale de Saint-Chamas serait étrangère à la pollution de l’étang, le gouvernement français relève l’importance d’autres
facteurs de pollution (industrialisation de ses rives, essor démographique, activités agricoles), conteste, sur un plan scientifique, les considérations de la Commission sur la salinité de l’étang et souligne les effets du vent sur l’homogénéisation de la colonne d’eau, que la Commission aurait sous-évalués.
41
Seule une approche globale s’attachant à réduire les sources de pollution, en agissant sur les facteurs les plus influents, conduirait à la réhabilitation de l’étang. Une interprétation fondée uniquement sur les apports d’eau douce ne permettrait ni d’expliquer les phénomènes ni de trouver les solutions appropriées.
42
Par ailleurs, aucune étude sérieuse n’aurait, à ce jour, établi un état des ressources piscicoles de l’étang de Berre ni analysé les causes profondes de la diminution de l’activité de pêche sur l’étang de Berre ces dernières années, pas plus que les facteurs susceptibles d’entraver cette activité.
43
Enfin, les arguments développés par la Commission en ce qui concerne l’eutrophisation de l’étang de Berre ne seraient pas fondés. Ils reposeraient sur des études anciennes, antérieures à 1993 et incomplètes.
44
En second lieu, le gouvernement français conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle la réduction des rejets aurait présenté un caractère «tardif, erratique et très limité». Il invoque, à cet égard, des résultats chiffrés de l’application des mesures prévues par le plan de reconquête de l’étang de Berre.
45
En dernier lieu, le gouvernement français conteste la portée prétendument limitée des mesures prises par les pouvoirs publics pour réduire, sur une longue période, la pollution de l’étang de Berre. Notamment, l’appréciation faite par la Commission de l’insuffisance de la réduction des rejets reposerait sur une sous-évaluation des améliorations constatées à partir de 1997, comme le montrerait le bilan de la Mission de reconquête de l’étang de Berre de 1994 à 1999.
Appréciation de la Cour
46
Il ressort des articles 1^er et 4 du protocole que celui-ci a pour objet de prévenir, de réduire, de combattre et de maîtriser la pollution de la zone de la mer Méditerranée due aux déversements par les fleuves, les établissements côtiers ou les émissaires, ou émanant de toute autre source terrestre située sur leur territoire. À cet effet, réitérant les engagements pris en vertu des articles 4 et 8 de la convention, l’article 1^er du protocole impose aux parties contractantes l’obligation de
prendre «toutes mesures appropriées».
47
Plus particulièrement, l’article 6, paragraphe 1, du protocole impose aux parties contractantes l’obligation de «réduire rigoureusement la pollution d’origine tellurique de la zone du protocole par les substances ou sources énumérées à l’annexe II» de celui-ci. La section B de cette annexe fait également mention de la «rigoureuse limitation» du rejet des substances mentionnées à sa section A.
48
Il ressort de l’article 3, sous c), du protocole que la zone visée par celui-ci comprend les étangs salés communiquant avec la mer et donc l’étang de Berre. Même si ce dernier, tout au long de son histoire, n’a été que peu de temps véritablement salé, le canal de Caronte qui le relie à la mer ayant été creusé en 1863 et approfondi en 1925, il est admis par les parties qu’il constitue, en tant que milieu marin, l’état de référence écologique.
49
Parmi les substances mentionnées à l’annexe II figurent, aux points 11 et 13 de la section A, les «substances exerçant une influence défavorable soit directement, soit indirectement sur la teneur en oxygène du milieu marin, spécialement celles qui peuvent être à l’origine de phénomènes d’eutrophisation», et les «substances qui, bien que non toxiques par nature, peuvent devenir nocives pour le milieu marin ou peuvent gêner toute utilisation légitime de la mer en raison des quantités
rejetées».
50
C’est donc une obligation particulièrement stricte qui pèse sur les parties contractantes, au titre de l’article 6, paragraphe 1, du protocole, en liaison avec son article 1^er, à savoir celle de «réduire rigoureusement» la pollution d’origine tellurique dans la zone, due aux déversements, notamment, de toutes substances, «même non toxiques par nature», pouvant devenir nocives pour le milieu marin, et ce par des «mesures appropriées». Cette rigueur répond à la nature de l’instrument,
destiné, notamment, à éviter la pollution due à la carence des pouvoirs publics.
51
Ainsi que l’a, à juste titre, souligné la Commission, la portée de cette obligation doit être comprise en relation avec l’article 6, paragraphe 3, du protocole qui, en instaurant un régime d’autorisation préalable par les autorités nationales compétentes pour le déversement des substances mentionnées à l’annexe II, requiert la maîtrise par les États membres de la pollution d’origine tellurique de la zone d’application du protocole.
52
En l’occurrence, la Commission fait valoir:
–
que l’étang de Berre connaît, depuis 1983, une pollution d’origine tellurique massive, prolongée et spécifique, dont les effets négatifs sur la faune, la flore et les valeurs d’agrément sont considérables;
–
que cette pollution est imputable principalement au déversement par la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas de quantités massives d’eau douce, de limons et de sédiments;
–
que, s’il est exact que ces rejets ont diminué, en particulier en 1997 et en 1998, la réduction s’est avérée tardive, erratique et très limitée, de telle sorte que les mesures prises par les pouvoirs publics, particulièrement dans le cadre du plan de reconquête de l’étang de Berre, n’auraient pas été appropriées.
53
Le gouvernement français ne conteste pas l’existence d’une pollution de l’étang de Berre ni que l’activité de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas contribue à cette pollution, mais il souligne l’importance d’autres sources de pollution, tels l’industrialisation des rives de l’étang, l’essor démographique des communes avoisinantes, l’extension des activités agricoles ou encore la détérioration de la qualité de l’eau des rivières qui aboutissent à l’étang. Or, la réhabilitation de
celui-ci nécessiterait une approche globale qui ne pourrait se fixer sur une seule cause de perturbation.
54
Cette dernière argumentation ne saurait être retenue.
55
La circonstance que l’étang de Berre fait l’objet d’une pollution trouvant également sa cause dans des facteurs, de nature anthropique ou non, autres que les apports en eau douce de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas n’est pas de nature à remettre en cause l’existence même d’une pollution d’origine tellurique imputable à l’activité de turbinage de la centrale.
56
Or, le gouvernement français n’a pas contesté ni même cherché à contester l’affirmation de la Commission selon laquelle l’arrivée, par le canal usinier d’EDF, d’une énorme masse d’eau douce, à forte charge sédimentaire et à l’écoulement irrégulier, a gravement perturbé les conditions écologiques du biotope de l’étang de Berre. Selon les termes du point 13 de la section A de l’annexe II du protocole, de tels apports, «bien que non toxiques par nature, peuvent devenir noci[fs] pour le milieu
marin [...] en raison des quantités rejetées». Du reste, l’un des objectifs du plan de reconquête de l’étang de Berre, adopté par le gouvernement français en 1993, était précisément, ainsi que l’a souligné la partie défenderesse dans ses écrits, de diminuer les apports annuels d’eau douce et de matière en suspension par le canal de la centrale de Saint-Chamas.
57
Il convient donc de vérifier si l’action des pouvoirs publics, au regard de leur obligation de réduire rigoureusement la pollution d’origine tellurique ainsi constatée, a été appropriée.
58
Selon le gouvernement français, le plan de reconquête de l’étang de Berre a permis, depuis 1994/1995, une baisse de 40 % des volumes moyens d’eau douce déversés par la centrale, par rapport aux périodes antérieures. Les quantités des apports en limons, depuis 1981, auraient été divisées par 8, passant en moyenne de 800 000 à moins de 100 000 tonnes par an ces huit dernières années, avec une concentration moyenne journalière de matière en suspension, limitée aujourd’hui à 1 g/l. Quant aux
apports en sels nutritifs provenant du canal usinier d’EDF, ils ne représenteraient que 10 à 20 % du total pour le phosphore. En tout état de cause, des incertitudes subsisteraient quant à la part des apports du canal d’EDF dans la pollution par l’azote et le phosphore.
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Pour ce gouvernement, il est erroné d’affirmer que la réduction des rejets aurait présenté un caractère tardif, erratique et limité.
60
À cet égard, il ressort du dossier [notamment, du rapport d’étape sur la reconquête de l’étang de Berre, de janvier 1999, du Conseil général des ponts et chaussées (p. 11, ci-après le «rapport d’étape»), du rapport du groupement d’intérêt public pour la réhabilitation de l’étang de Berre, intitulé «Le Bilan des connaissances, ‘État de santé du milieu’», de novembre 2002 (p. 36 et 37, ci-après le «rapport GIPREB»), et du bilan actualisé de 2002 du GIPRES (p. 16 et 17)], ce qui suit:
–
«le volume moyen annuel d’eau douce déversé par la centrale de Saint-Chamas entre 1966 et 2000, période recouvrant celle de l’approbation du protocole par la Communauté et ses États membres, était de 3,09 milliards de m^3;
–
après la mise en place du plan de reconquête et des restrictions imposées à EDF, les volumes moyens d’eau rejetés ont été fortement réduits, la moyenne annuelle des apports entre le 1^er novembre 1995 et le 31 octobre 2001, ayant été de 2,085 milliards de m^3, représentant ainsi une réduction de 30 %;
–
toutefois les apports annuels d’eau douce par la centrale sont caractérisés par leur variabilité saisonnière et interannuelle, compte tenu des fluctuations du turbinage de la centrale. Ainsi, en 1999/2000, période au cours de laquelle a été émis l’avis motivé dans la présente procédure, les rejets de la centrale ont été particulièrement élevés, ce qui, selon le rapport GIPREB, serait dû à un déficit énergétique en région PACA;
–
l’apport massif d’eau douce contribue ainsi à l’anoxie de sa partie centrale et profonde, où la différence de salinité des eaux de surface et des eaux de fond est importante. Cette partie est, en effet, caractérisée par la présence d’une barrière de densité qui limite le renouvellement de l’eau profonde et donne naissance à une stratification étanche et à un déficit d’oxygène, avec de rares et brèves périodes de réoxygénation, à l’occasion de coups de vent suffisamment forts
pour permettre une homogénéisation des eaux.
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Quant aux quantités de limons charriées par les eaux duranciennes, il est constant, de façon générale, que les apports de ces substances «ont un impact négatif sur le milieu et en particulier sur les espèces animales et végétales, augmentant la turbidité de l’eau. La pénétration de la lumière est diminuée, ce qui limite la croissance des plantes aquatiques. Déposés en grande quantité sur le fond, les limons sont aussi contraignants pour la faune benthique» (bilan actualisé du GIPREB, p. 17).
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Il ressort du rapport GIPREB (p. 41) que la mise en service du bassin de délimonage de Cadarache, en 1980, et l’adoption du plan de reconquête de l’étang de Berre ont permis une réduction des apports en limon par la centrale, avec une quantité déversée de l’ordre de 200 000 t/an et une concentration de matière en suspension limitée à 2 g/l. Les apports ont même atteint 143 000 tonnes en 1999/2000 et 92 000 tonnes en 2000/2001, avec une concentration de 1 g/l en moyenne journalière, alors que
la moyenne annuelle, sur la période de 1966-2000, était de 450 000 t/an.
63
Toutefois, selon le bilan actualisé du GIPREB (p. 17), entre 1997 et 2000, ce sont entre 50 et 80 % du total des apports en limons de l’étang de Berre qui ont été déversés par la centrale. De plus, le rapport d’étape (p. 13) note que le rejet au débit maximal de la centrale (250 m^3/s) et à la concentration maximale (2 g/l) pendant une seule journée suffirait pour apporter dans l’étang plus de 40 000 tonnes de limons. Or, ce niveau est très élevé si on le compare aux valeurs limites fixées
pour les stations d’épuration urbaines, ainsi que l’a souligné la Commission.
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S’agissant des apports de la centrale hydroélectrique en sels nutritifs, il n’est pas contesté qu’un apport excessif de nutriments en milieu marin provoque une eutrophisation du fait de la prolifération de végétaux et donc de l’accumulation de matière organique, ainsi que de l’appauvrissement en oxygène, responsable d’une mortalité accrue des espèces piscicoles, en particulier, des espèces benthiques.
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Le gouvernement français reconnaît lui-même que l’on assiste depuis 1995, et surtout 1998, à un développement spectaculaire des ulves (marées vertes) et, dans une moindre mesure, des entéromorphes, espèces nitrophiles, adaptées à de faibles salinités et dont le développement est favorisé en milieu eutrophisé. Dans le même sens, dans son bilan actualisé (p. 31), le GIPREB conclut que «[l]’étang de Berre se trouve dans une situation d’eutrophisation marquée par une production de biomasse
phytoplanctonique toujours très importante dans les eaux de surface et, depuis quelques années, par la prolifération de macro-algues, essentiellement des ulves».
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À cet égard, le rapport GIPREB laisse apparaître de grandes incertitudes, en l’absence de méthodes d'analyse précises et homogènes, ce qui rend les comparaisons difficiles, pour déterminer la part des apports eutrophisants (azote et phosphore) par la centrale hydroélectrique.
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Cela étant, le niveau élevé d’eutrophisation dont souffre l’étang de Berre, peu profond, serait lié à un apport excessif de nutriments à l’apparition duquel le déversement de volumes importants d’eau douce, même peu concentrés en sels nutritifs, aurait en tout cas contribué de façon sensible, ainsi qu’il ressort du rapport GIPREB (p. 92), eu égard en particulier au phénomène de relargage du phosphore présent dans les sédiments, dont la Commission a fait état dans ses écrits.
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Compte tenu de ce qui précède, même si l’on a pu assister à leur réduction au cours des années du fait des mesures successives prises dans le cadre du plan de reconquête, de grandes quantités d’eau douce, dont les variations saisonnières restent très importantes, ont été déversées, lors de la période correspondant à la fin de la procédure précontentieuse, par la centrale de Saint-Chamas dans l’étang de Berre. En particulier, force est de constater qu’un volume moyen annuel d’eau rejeté même
limité de 2,085 à 2,3 milliards de m^3 constitue une quantité considérable, particulièrement si on le compare au volume de l’étang de Berre (900 millions de m^3), lequel est deux fois moins important.
69
L’influence néfaste de tels déversements pour l’équilibre écologique de l’étang de Berre, au regard tant de leurs quantités excessives, par rapport à la capacité de l’étang, que de leurs fluctuations, était notoirement connu, ainsi qu’il ressort, notamment, du rapport GIPREB, déposé un an après l’émission de l’avis motivé de la Commission. Cette circonstance témoigne, à elle seule, de l’insuffisance des mesures prises par les pouvoirs publics français au regard de l’obligation énoncée à
l’article 6, paragraphe 1, du protocole.
70
S’agissant des apports en limons, les chiffres produits devant la Cour laissent apparaître une diminution significative des rejets depuis la mise en service du bassin de décantation de Cadarache et l’adoption du plan de reconquête de l’étang de Berre. Toutefois, les quantités pouvant être charriées par les eaux turbinées par la centrale, particulièrement, lorsque le rejet est au débit maximal, restent très élevées.
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En conclusion, compte tenu du caractère strict de l’obligation énoncée à l’article 6, paragraphe 1, du protocole, le premier grief doit être considéré comme fondé.
Sur le second grief
Arguments des parties
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Selon la Commission, si le décret de 1972, lu en combinaison avec la convention du 19 août 1966 conclue par le ministère de l’Équipement et EDF, apparaît bien comme une autorisation de déversement de déchets par la centrale de Saint-Chamas dans l’étang de Berre, cette autorisation, qui est antérieure à la convention et au protocole, n’a pu être délivrée en fonction des critères prévus par ces textes, en particulier, ceux énoncés à la section E de l’annexe III du protocole. Elle n’aurait pu,
non plus, fixer les limites qualitative et quantitative de chacune des substances déversées par le canal usinier EDF et susceptibles de nuire aux écosystèmes et aux utilisations de l’eau de mer.
73
Quant à la consigne d’exploitation, elle échapperait à tout cadre réglementaire et sa violation ne pourrait donner lieu à une sanction légale. Or, l’article 6, paragraphe 3, du protocole précise que l’autorisation doit être délivrée par les autorités nationales compétentes, c’est-à-dire agissant dans le cadre des compétences que leur confère l’ordre juridique interne de l’État concerné.
74
En tout état de cause, cette consigne ne respecterait pas les critères prévus à l’annexe III du protocole. Une autorisation tenant compte de l’ensemble des facteurs figurant à cette annexe devrait prendre en considération la composition des déversements de telle sorte qu’une autorisation aurait dû être délivrée pour une quantité d’eau douce, de matières en suspension, d’azote et de phosphore, élément par élément.
75
Le gouvernement français fait valoir que la consigne d’exploitation possède une valeur juridiquement contraignante, approuvée par l’autorité réglementaire et dont le non-respect peut être sanctionné. Elle aurait été prise, en application de l’article 15 du cahier des charges annexé au décret de 1972, après concertation entre les principaux services concernés de l’État, et approuvée par le directeur régional de l’industrie, de la recherche et de l’environnement pour le compte du préfet. En
outre, en cas de non-respect de la consigne, le concessionnaire pourrait, en application de la législation en vigueur, être sanctionné par une amende pouvant aller jusqu’à 12 200 euros et, en cas de violations répétées, jusqu’à la déchéance du concessionnaire.
76
Quant au contenu de la consigne, la nature des mesures prescrites tant en matière de réduction de la turbidité des eaux rejetées de 5 g/l à 2 g/l que de réduction des apports d’eau douce et de limons, correspondrait à celles des dispositions contenues à l’annexe III du protocole.
77
En conséquence, les autorités françaises auraient bien délivré à EDF une autorisation administrative pour exploiter, dériver et rejeter les eaux de la Durance dans l’étang de Berre, conforme à l’annexe III du protocole.
Appréciation de la Cour
78
Ainsi que la Cour l’a jugé dans son arrêt du 15 juillet 2004, Pêcheurs de l’étang de Berre (C‑213/03, non encore publié au Recueil, point 41), l’article 6, paragraphe 3, du protocole consacre, dans des termes clairs, précis et inconditionnels, l’obligation pour les États membres de subordonner les rejets de substances énumérées à l’annexe II du même protocole à la délivrance, par les autorités nationales compétentes, d’une autorisation tenant dûment compte des dispositions de l'annexe III
dudit protocole.
79
Selon le gouvernement français, la consigne d’exploitation, qui modifie les dispositions du cahier des charges, annexé au décret de 1972, portant sur les rejets dans l’étang de Berre des eaux dérivées de la Durance, tient précisément compte du plan de reconquête de l’étang de Berre, lequel s’inscrit dans le cadre des prescriptions de la convention et du protocole. Cette consigne, dont les prescriptions reposeraient sur les critères de l’annexe III de ce protocole, constituerait
l’autorisation délivrée en vertu de l’article 6, paragraphe 3, dudit protocole.
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À cet égard, il suffit de constater que la consigne d’exploitation a été approuvée par la direction régionale de l’industrie de la recherche et de l’environnement, alors que la convention et le cahier des charges des chutes de Salon et de Saint-Chamas sur la Durance ont fait l’objet du décret de 1972.
81
Dans ces conditions, il ne ressort pas clairement des observations du gouvernement français en quoi la consigne d’exploitation aurait pu légalement modifier les dispositions pertinentes du cahier des charges, annexé au décret de 1972 pour tenir compte des prescriptions du protocole en matière de délivrance des autorisations au titre de son article 6, paragraphe 3.
82
Le gouvernement français affirme que la consigne d’exploitation aurait été prise en application de l’article 15 dudit décret, ainsi qu’il ressort, du reste, des visas de la consigne.
83
Aux termes de l’article 15 du décret de 1972:
«Avant la mise en service du barrage de la prise auxiliaire de Mallemort, une consigne d’exploitation sera établie par l’administration, le concessionnaire entendu, pour fixer les conditions d’ouvertures des vannes d’évacuation des crues. Cette consigne d’exploitation sera établie en accord avec l’ingénieur en chef des ponts et chaussées à Avignon chargé du service d’inondation dans le bassin de la Durance.»
84
Or, force est de constater, ainsi que l’a relevé la Commission, que cette disposition concerne exclusivement «les conditions d’ouvertures des vannes d’évacuation des crues» avant «la mise en service du barrage de la prise auxiliaire de Mallemort». Aucune mention n’est faite des conditions dans lesquelles des substances, telles que celles énumérées à l’annexe II du protocole, peuvent être rejetées dans l’étang de Berre selon des critères visant à éviter des atteintes à l’écosystème de
celui-ci.
85
Dans ces conditions, quelle que soit la teneur de la consigne d’exploitation, au regard des dispositions de l’annexe III du protocole, le gouvernement français n’a pas établi qu’une autorisation de rejet dans l’étang de Berre des substances énumérées à l’annexe II du protocole a été délivrée, au titre de l’article 6, paragraphe 3, du même protocole, par les autorités nationales compétentes.
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Le second grief de la Commission doit, en conséquence, également être accueilli.
87
En conclusion, il y a lieu d’accueillir le recours.
Sur les dépens
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Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) − En ne prenant pas toutes les mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre la pollution massive et prolongée de l’étang de Berre, et
− en omettant de tenir dûment compte des prescriptions de l’annexe III du protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d’origine tellurique, signé à Athènes le 17 mai 1980, approuvé au nom de la Communauté économique européenne par la décision 83/101/CEE du Conseil, du 28 février 1983, par une modification de l’autorisation de rejets de substances relevant de l’annexe II du protocole à la suite de la conclusion de celui-ci,
la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, paragraphe 1, et 8 de la convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution, signée à Barcelone le 16 février 1976, approuvée au nom de la Communauté économique européenne par la décision 77/585/CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, et de l’article 6, paragraphes 1 et 3, du protocole, relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d’origine tellurique, signé à
Athènes le 17 mai 1980, approuvé au nom de la Communauté économique européenne par la décision 83/101/CEE du Conseil, du 28 février 1983, ainsi que de l’article 300, paragraphe 7, CE.
2)
La République française est condamnée aux dépens.
Signatures.
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1 –
Langue de procédure: le français.