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24/06/2004 | CJUE | N°C-49/02

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Heidelberger Bauchemie GmbH., 24/06/2004, C-49/02


Affaire C-49/02

Recours formé parHeidelberger Bauchemie GmbH

(demande de décision préjudicielle, formée par le Bundespatentgerich

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Affaire C-49/02

Recours formé parHeidelberger Bauchemie GmbH

(demande de décision préjudicielle, formée par le Bundespatentgericht)

«Marques – Rapprochement des législations – Directive 89/104/CEE – Signes susceptibles de constituer une marque – Combinaisons de couleurs – Couleurs bleu et jaune pour certains produits du bâtiment»

Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 15 janvier 2004

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 24 juin 2004

Sommaire de l'arrêt

Rapprochement des législations – Marques – Directive 89/104 – Signes susceptibles de constituer une marque – Couleurs ou combinaisons de couleurs – Conditions – Obligation pour l'autorité compétente d'examiner les autres conditions d'enregistrement – Portée de l'examen
(Directive du Conseil 89/104, art. 2 et 3) Des couleurs ou combinaisons de couleurs, désignées de manière abstraite et sans contour dans une demande d’enregistrement, et dont les nuances sont énoncées par référence à un échantillon de couleur et précisées selon une classification de couleurs internationalement reconnue, peuvent constituer une marque au sens de l’article 2 de la première directive 89/104 sur les marques dans la mesure où :

- il est établi que, dans le contexte dans lequel elles sont employées, ces couleurs ou combinaisons de couleurs se présentent effectivement comme un signe, où

- la demande d’enregistrement comporte un agencement systématique associant les couleurs concernées de manière prédéterminée et constante, étant précisé que la simple juxtaposition de deux ou plusieurs couleurs sans forme ni contour ou la mention de deux ou plusieurs couleurs «sous toutes les formes imaginables» ne présentent pas les caractères de précision et de constance exigés par l’article 2 de la directive, et où

- les couleurs ou combinaisons de couleurs concernées sont aptes à transmettre des informations précises, notamment quant à l’origine d’un produit ou d’un service.

Même si une combinaison de couleurs remplit les conditions pour pouvoir constituer une marque au sens de l’article 2 de ladite directive, encore faut-il que l’autorité compétente en matière d’enregistrement des marques apprécie si la combinaison revendiquée remplit les autres conditions prévues, notamment à l’article 3 de la même directive, pour être enregistrée en tant que marque pour les produits ou services de l’entreprise qui en sollicite l’enregistrement. Cet examen doit prendre en
compte toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce, y compris, le cas échéant, l’usage qui a été fait du signe dont l’enregistrement en tant que marque est demandé. Un tel examen doit également tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé.

(cf. points 34, 37, 42 et disp.)

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
24 juin 2004(1)

«Marques – Rapprochement des législations – Directive 89/104/CEE – Signes susceptibles de constituer une marque – Combinaisons de couleurs – Couleurs bleu et jaune pour certains produits du bâtiment»

Dans l'affaire C-49/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Bundespatentgericht (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le recours formé devant cette juridiction par

Heidelberger Bauchemie GmbH,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1),

LA COUR (deuxième chambre),,

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. J.-P. Puissochet, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur) et R. Schintgen, et M^me N. Colneric, juges,

avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:


pour Heidelberger Bauchemie GmbH, par M^e V. Schmitz, Rechtsanwalt,


pour le gouvernement néerlandais, par M^me H. G. Sevenster, en qualité d'agent,


pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M^me P. Ormond, en qualité d'agent, assistée de M. D. Alexander, barrister,


pour la Commission des Communautés européennes, par MM. N. B. Rasmussen et T. Jürgensen, en qualité d'agents,

ayant entendu les observations orales de Heidelberger Bauchemie GmbH et de la Commission à l'audience du 6 novembre 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 15 janvier 2004,

rend le présent

Arrêt

1
Par ordonnance du 22 janvier 2002, parvenue à la Cour le 20 février suivant, le Bundespatentgericht a posé, en vertu de l’article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l’interprétation de l’article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»).

2
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un recours formé par Heidelberger Bauchemie GmbH (ci-après «Heidelberger Bauchemie») contre le refus du Deutsches Patentamt (office allemand des brevets, ci‑après l’«office des brevets») de procéder à l’enregistrement en tant que marque des couleurs bleu et jaune pour certains produits du bâtiment.

Le cadre juridique

L’accord TRIPs

3
L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’«accord TRIPs»), figurant en annexe à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, du 15 avril 1994, a été approuvé au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 336, p. 1, 214). Il est entré en vigueur le 1^er janvier 1995. Toutefois, selon l’article 65, paragraphe
1, du TRIPs, les membres n’avaient pas l’obligation d’appliquer les dispositions de celui-ci avant l’expiration d’une période générale d’un an, à savoir avant le 1^er janvier 1996.

4
L’article 15, paragraphe 1, de l’accord TRIPs dispose:

«Tout signe, ou toute combinaison de signes, propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises sera propre à constituer une marque de fabrique ou de commerce. De tels signes, en particulier les mots, y compris les noms de personne, les lettres, les chiffres, les éléments figuratifs et les combinaisons de couleurs, ainsi que toute combinaison de ces signes, seront susceptibles d’être enregistrés comme marques de fabrique ou de commerce. Dans les
cas où des signes ne sont pas en soi propres à distinguer les produits ou services pertinents, les membres pourront subordonner l’enregistrabilité au caractère distinctif acquis par l’usage. Les membres pourront exiger, comme condition de l’enregistrement, que les signes soient perceptibles visuellement.»

La réglementation communautaire

5
L’article 2 de la directive, intitulé «Signes susceptibles de constituer une marque», est libellé comme suit:

«Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.»

6
L’article 3 de la directive, intitulé «Motifs de refus ou de nullité», prévoit:

«1. Sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:

a)
les signes qui ne peuvent constituer une marque;

b)
les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

c)
les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;

d)
les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce;

[…]

3. Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après
l’enregistrement.

[…]»

La réglementation allemande

7
Le Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (loi sur la protection des marques et des autres signes distinctifs), du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082, ci-après le «Markengesetz»), contenu dans l’article 1^er du Gesetz zur Reform des Markenrechts und zur Umsetzung der Ersten Richtlinien (loi portant réforme du droit des marques et transposition de la première directive), entré en vigueur le 1^er janvier 1995, vise à mettre en œuvre la directive dans le droit national
allemand.

8
L’article 3, paragraphe 1, du Markengesetz énonce:

«Sont susceptibles d’être protégés comme marques tous les signes, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, les signaux sonores, les configurations tridimensionnelles, y compris la forme du produit ou de son emballage ainsi que tous autres conditionnements, y compris les couleurs et les combinaisons de couleurs, qui sont propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.»

9
L’article 8 du Markengesetz dispose:

«(1) Sont exclus de l’enregistrement, les signes susceptibles d’être protégés comme marques au sens de l’article 3, qui ne sont pas susceptibles d’une représentation graphique.

(2) Sont exclues de l’enregistrement, les marques

1.
dénuées de tout caractère distinctif pour les produits ou les services,

[…]

(3) Les points 1, 2 et 3 du paragraphe 2 ne s’appliquent pas lorsque, au moment où il est statué sur l’enregistrement, la marque a été consacrée dans le public concerné à la suite de son usage pour les produits et services désignés dans la demande.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10
Le 22 mars 1995, Heidelberger Bauchemie a saisi l’office des brevets d’une demande d’enregistrement, en tant que marque, des couleurs bleu et jaune. Sous l’intitulé «reproduction de la marque» figurait un morceau de papier rectangulaire dont la moitié supérieure était de couleur bleu et la moitié inférieure de couleur jaune. La demande était accompagnée de la description suivante de la marque:

«La marque demandée est constituée des couleurs de l’entreprise de la demanderesse qui sont utilisées sous toutes les formes imaginables, en particulier dans les emballages et les étiquettes.

La référence précise des couleurs est:

RAL 5015/HKS 47 – bleu

RAL 1016/HKS 3 – jaune.»

11
L’enregistrement de la marque était demandé pour une liste de différents produits pour le bâtiment dont notamment les colles, les solvants, les vernis, les peintures, les lubrifiants et les matières isolantes.

12
L’office des brevets a rejeté cette demande par décision du 18 septembre 1996 au motif, d’une part, que le signe dont l’enregistrement était demandé n’était pas apte à constituer une marque et qu’il n’était pas susceptible d’une représentation graphique et, d’autre part, pour défaut de caractère distinctif. Toutefois, à la suite de la décision «marque de couleurs noir/jaune» du Bundesgerichtshof (Allemagne) du 10 décembre 1998, l’office des brevets a réexaminé sa position. Par décision du 2
mai 2000, il a accepté que les couleurs soient en principe aptes à constituer une marque, mais a rejeté la demande pour défaut de tout caractère distinctif. Heidelberger Bauchemie a formé un recours contre cette décision devant le Bundespatentgericht.

13
Le Bundespatentgericht a estimé qu’il n’est pas certain que des marques de couleur abstraites et sans contour puissent être considérées comme «signes» susceptibles d’une représentation graphique au sens de l’article 2 de la directive. Cette disposition viserait des signes clairement définis et concrets, directement visibles et susceptibles d’une représentation graphique. L’aptitude d’un signe à être représenté graphiquement prévue à l’article 2 de la directive permettrait de prendre en
compte le principe de précision exigé par le droit des marques pour permettre l’enregistrement. Il serait douteux qu’une marque de couleur abstraite puisse se conformer à ce principe. L’article 2 de la directive appellerait dès lors une interprétation pour préciser si des couleurs ou des combinaisons de couleurs abstraites relèvent de la notion de signes aptes à constituer une marque. Il conviendrait aussi de rechercher jusqu’à quel point le domaine de protection des «marques de couleur
abstraites» se concilie avec la sécurité juridique nécessaire à tous les opérateurs du marché ou s’il entrave la libre circulation des marchandises et des services en ce qu’il confère aux titulaires des marques des droits de monopole trop importants qui ne sont pas raisonnables à l’égard des concurrents.

14
Dans ces conditions, le Bundespatentgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«Des couleurs ou combinaisons de couleurs désignées de manière abstraite et sans contour dans une demande d’enregistrement, dont les nuances sont énoncées par référence à un échantillon de couleur (essai de couleur) et précisées selon une classification de couleurs reconnue, remplissent-elles les conditions pour constituer une marque au sens de l’article 2 de la [directive]?

Au sens de l’article 2 de la directive, une telle marque, dite ‘marque de couleur (abstraite)’, est-elle en particulier

a)
un signe,

b)
propre à distinguer en caractérisant l’origine,

c)
susceptible d’une représentation graphique?»

Sur les questions préjudicielles

15
Par ses questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si et, dans l’affirmative, dans quelles conditions des couleurs ou combinaisons de couleurs désignées de manière abstraite et sans contour peuvent constituer une marque au sens de l’article 2 de la directive.

16
À cet égard, la Cour a rappelé, aux points 24 à 26 de son arrêt du 6 mai 2003, Libertel (C-104/01, Rec. p. I-3793), que le Conseil de l’Union européenne et la Commission ont fait une déclaration conjointe, inscrite au procès-verbal du Conseil lors de l’adoption de la directive, selon laquelle ils «considèrent que l’article 2 n’exclut pas la possibilité […] d’enregistrer en tant que marque une combinaison de couleurs ou une couleur seule […] à condition que de tels signes soient propres à
distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises» (JO OHMI n° 5/96, p. 607).

17
Une telle déclaration ne saurait être retenue pour l’interprétation d’une disposition de droit dérivé lorsque, comme en l’espèce, son contenu ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et n’a, dès lors, pas de portée juridique (arrêts du 26 février 1991, Antonissen, C-292/89, Rec. p. I-745, point 18, et du 29 mai 1997, VAG Sverige, C‑329/95, Rec. p. I-2675, point 23). Le Conseil et la Commission ont, d’ailleurs, expressément reconnu cette limitation dans le
préambule de leur déclaration, selon lequel «[l]es déclarations du Conseil et de la Commission dont le texte figure ci-dessous ne faisant pas partie du texte législatif, elles ne préjugent pas de l’interprétation de ce dernier par la Cour de justice des Communautés européennes».

18
C’est par conséquent à la Cour d’établir si et, dans l’affirmative, dans quelles conditions l’article 2 de la directive doit être interprété en ce sens que des couleurs ou combinaisons de couleurs désignées sans délimitation dans l’espace sont susceptibles de constituer une marque.

19
L’article 15, paragraphe 1, de l’accord TRIPs prévoit que «les combinaisons de couleurs […] seront susceptibles d’être enregistrées comme marques». Néanmoins, cet accord ne définit pas la notion de «combinaison de couleurs».

20
Dès lors que la Communauté est partie à l’accord TRIPs, elle est tenue d’interpréter sa législation sur les marques, dans la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de cet accord (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 1998, Hermès, C-53/96, Rec. p. I‑3603, point 28).

21
Il y a donc lieu de vérifier si l’article 2 de la directive peut être interprété en ce sens que les «combinaisons de couleurs» sont susceptibles de constituer des marques.

22
Pour constituer une marque au sens de l’article 2 de la directive, des couleurs ou combinaisons de couleurs doivent remplir trois conditions. Premièrement, elles doivent constituer un signe. Deuxièmement, ce signe doit être susceptible d’une représentation graphique. Troisièmement, ce signe doit être propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises (voir, en ce sens, arrêt Libertel, précité, point 23).

23
Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, les couleurs sont normalement une simple propriété des choses (arrêt Libertel, précité, point 27). Même dans le domaine spécifique du commerce, les couleurs et les combinaisons de couleurs sont utilisées généralement pour leur pouvoir attractif ou décoratif, sans véhiculer une signification quelconque. Il ne saurait toutefois être exclu que les couleurs ou combinaisons de couleurs soient susceptibles, en relation avec un produit ou un service, de constituer
un signe.

24
Aux fins de l’application de l’article 2 de la directive, il doit être établi que, dans le contexte dans lequel elles sont employées, les couleurs ou combinaisons de couleurs dont l’enregistrement est demandé se présentent effectivement comme un signe. Le but de cette exigence est notamment d’empêcher que le droit des marques soit détourné afin d’obtenir un avantage concurrentiel indu.

25
En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour (arrêts du 12 décembre 2002, Sieckmann, C-273/00, Rec. p. I-11737, points 46 à 55, et Libertel, précité, points 28 et 29) qu’une représentation graphique, au sens de l’article 2 de la directive, doit permettre au signe d’être représenté visuellement, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, de sorte qu’il puisse être identifié avec exactitude.

26
Une telle interprétation est commandée par le bon fonctionnement du système de l’enregistrement des marques.

27
L’exigence de la représentation graphique a pour fonction notamment de définir la marque elle-même afin de déterminer l’objet exact de la protection conférée à son titulaire par la marque enregistrée.

28
En effet, l’enregistrement de la marque dans un registre public a pour objet de rendre celle-ci accessible aux autorités compétentes et au public, en particulier aux opérateurs économiques.

29
D’une part, les autorités compétentes doivent connaître avec clarté et précision la nature des signes constitutifs d’une marque afin d’être en mesure de remplir leurs obligations relatives à l’examen préalable des demandes d’enregistrement ainsi qu’à la publication et au maintien d’un registre approprié et précis des marques.

30
D’autre part, les opérateurs économiques doivent pouvoir s’assurer avec clarté et précision des enregistrements effectués ou des demandes d’enregistrement formulées par leurs concurrents actuels ou potentiels et bénéficier ainsi d’informations pertinentes concernant les droits des tiers.

31
Dans ces conditions, pour remplir son rôle de marque enregistrée, un signe doit faire l’objet d’une perception précise et constante qui garantisse la fonction d’origine de ladite marque. Eu égard à la durée d’enregistrement d’une marque et au fait que celle-ci peut être renouvelée pour des périodes plus ou moins longues, ainsi que le prévoit la directive, la représentation doit également être durable.

32
Il en résulte qu’une représentation graphique au sens de l’article 2 de la directive doit être, notamment, précise et durable.

33
À cette fin, une représentation graphique de deux ou plusieurs couleurs qui sont désignées de manière abstraite et sans contour doit comporter un agencement systématique associant les couleurs concernées de manière prédéterminée et constante.

34
La simple juxtaposition de deux ou plusieurs couleurs sans forme ni contour ou la mention de deux ou plusieurs couleurs «sous toutes les formes imaginables», telle que celle qui fait l’objet de l’affaire au principal, ne présentent pas les caractères de précision et de constance exigés par l’article 2 de la directive tel qu’interprété aux points 25 à 32 du présent arrêt.

35
En effet, de telles présentations autoriseraient de nombreuses combinaisons différentes qui ne permettraient pas au consommateur d’appréhender et de mémoriser une combinaison particulière qu’il pourrait utiliser pour réitérer, avec certitude, une expérience d’achat, pas plus qu’elles ne permettraient aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques de connaître la portée des droits protégés du titulaire de la marque.

36
Pour ce qui est de la manière de représenter chacune des couleurs concernées, il ressort des points 33, 34, 37, 38 et 68 de l’arrêt Libertel, précité, qu’un échantillon de la couleur en question accompagné de la désignation de celle-ci au moyen d’un code d’identification internationalement reconnu peut constituer une représentation graphique au sens de l’article 2 de la directive.

37
Quant à la question de savoir si, au sens de cette disposition, les couleurs ou combinaisons de couleurs sont propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises, il faut apprécier si ces couleurs ou combinaisons de couleurs sont aptes ou non à transmettre des informations précises, notamment quant à l’origine d’un produit ou d’un service.

38
Il découle des points 40, 41 et 65 à 67 de l’arrêt Libertel, précité, que, si les couleurs sont propres à véhiculer certaines associations d’idées et à susciter des sentiments, en revanche, de par leur nature, elles sont peu aptes à communiquer des informations précises. Elles le sont d’autant moins qu’elles sont habituellement et largement utilisées dans la publicité et dans la commercialisation des produits et des services pour leur pouvoir attractif, en dehors de tout message précis.

39
Sauf dans des circonstances exceptionnelles, les couleurs n’ont pas un caractère distinctif ab initio, mais peuvent éventuellement l’acquérir à la suite d’un usage en rapport avec les produits ou les services revendiqués.

40
Dans ces limites, il convient d’admettre que, au sens de l’article 2 de la directive, les couleurs et combinaisons de couleurs, désignées de manière abstraite et sans contour, peuvent être propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.

41
Il convient d’ajouter que, même si une combinaison de couleurs dont l’enregistrement en tant que marque est demandé remplit les conditions pour pouvoir constituer une marque au sens de l’article 2 de la directive, encore faut-il que l’autorité compétente en matière d’enregistrement des marques apprécie si la combinaison revendiquée remplit les autres conditions prévues, notamment à l’article 3 de la directive, pour être enregistrée en tant que marque pour les produits ou services de
l’entreprise qui en sollicite l’enregistrement. Cet examen doit prendre en compte toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce, y compris, le cas échéant, l’usage qui a été fait du signe dont l’enregistrement en tant que marque est demandé (arrêts Libertel, précité, point 76, et du 12 février 2004, Koninklijke KPN Nederland, C‑363/99, non encore publié au Recueil, point 37). Un tel examen doit également tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité
des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé (arrêts Libertel, précité, points 52 à 56).

42
À la lumière de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que des couleurs ou combinaisons de couleurs, désignées de manière abstraite et sans contour dans une demande d’enregistrement, et dont les nuances sont énoncées par référence à un échantillon de couleur et précisées selon une classification de couleurs internationalement reconnue, peuvent constituer une marque au sens de l’article 2 de la directive dans la mesure où:


il est établi que, dans le contexte dans lequel elles sont employées, ces couleurs ou combinaisons de couleurs se présentent effectivement comme un signe et où


la demande d’enregistrement comporte un agencement systématique associant les couleurs concernées de manière prédéterminée et constante.

Même si une combinaison de couleurs remplit les conditions pour pouvoir constituer une marque au sens de l’article 2 de ladite directive, encore faut-il que l’autorité compétente en matière d’enregistrement des marques apprécie si la combinaison revendiquée remplit les autres conditions prévues, notamment à l’article 3 de la même directive, pour être enregistrée en tant que marque pour les produits ou services de l’entreprise qui en sollicite l’enregistrement. Cet examen doit prendre en
compte toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce, y compris, le cas échéant, l’usage qui a été fait du signe dont l’enregistrement en tant que marque est demandé. Un tel examen doit également tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé.

Sur les dépens

43
Les frais exposés par les gouvernements néerlandais et du Royaume‑Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Bundespatentgericht, par ordonnance du 22 janvier 2002, dit pour droit:

Des couleurs ou combinaisons de couleurs, désignées de manière abstraite et sans contour dans une demande d’enregistrement, et dont les nuances sont énoncées par référence à un échantillon de couleur et précisées selon une classification de couleurs internationalement reconnue, peuvent constituer une marque au sens de l’article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, dans la mesure où:


il est établi que, dans le contexte dans lequel elles sont employées, ces couleurs ou combinaisons de couleurs se présentent effectivement comme un signe et où


la demande d’enregistrement comporte un agencement systématique associant les couleurs concernées de manière prédéterminée et constante.

Même si une combinaison de couleurs remplit les conditions pour pouvoir constituer une marque au sens de l’article 2 de ladite directive, encore faut-il que l’autorité compétente en matière d’enregistrement des marques apprécie si la combinaison revendiquée remplit les autres conditions prévues, notamment à l’article 3 de la même directive, pour être enregistrée en tant que marque pour les produits ou services de l’entreprise qui en sollicite l’enregistrement. Cet examen doit prendre en
compte toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce, y compris, le cas échéant, l’usage qui a été fait du signe dont l’enregistrement en tant que marque est demandé. Un tel examen doit également tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé.

Timmermans Puissochet Cunha Rodrigues
Schintgen Colneric

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 juin 2004.

Le greffier Le président de la deuxième chambre

R. Grass C. W. A. Timmermans

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1 –
Langue de procédure: l'allemand.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-49/02
Date de la décision : 24/06/2004
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundespatentgericht - Allemagne.

Marques - Rapprochement des législations - Directive 89/104/CEE - Signes susceptibles de constituer une marque - Combinaisons de couleurs - Couleurs bleu et jaune pour certains produits du bâtiment.

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Heidelberger Bauchemie GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Cunha Rodrigues

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2004:384

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