La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/04/2004 | CJUE | N°C-181/02

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre Kvaerner Warnow Werft GmbH., 29/04/2004, C-181/02


Affaire C-181/02 P

Commission des Communautés européennes
contre

...

Affaire C-181/02 P

Commission des Communautés européennes
contre
Kvaerner Warnow Werft GmbH

«Pourvoi – Aides d'État – Construction navale – Décisions de la Commission autorisant les aides – Condition – Respect d'une 'limite de capacité' – Notion»

Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 27 novembre 2003

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 avril 2004

Sommaire de l'arrêt

1.
Aides accordées par les États – Interdiction – Dérogations – Aides à la construction navale – Directive 90/684 – Aides en faveur des chantiers navals est-allemands – Critères de dérogation – Objectif de réduction des excédents de capacité – Objectif visant les moyens de production et non la production elle-même – Pouvoir d'appréciation de la Commission
(Directives du Conseil 90/684, art. 10 bis, § 2, a), et 92/68)

2.
Pourvoi – Moyens – Moyen articulé à l'encontre d'un motif de l'arrêt non nécessaire pour fonder son dispositif – Moyen inopérant

1.
Pour l’application de la directive 90/684, concernant les aides à la construction navale, et de la directive 92/68, modifiant la directive 90/684, il ne saurait être déduit de l’objectif de réduction des excédents de capacité, qui vise les moyens de production que les chantiers navals sont susceptibles de mettre en oeuvre et non leur production elle-même, qu’une limite de capacité fixée dans des décisions prises sur le fondement de ces directives impliquerait par elle-même une limitation de
la production.
Le législateur communautaire s’étant abstenu, dans la directive 90/684, de fixer lui-même les éléments permettant de déterminer ce que recouvrait la notion de capacité des chantiers navals et les modalités permettant d’atteindre l’objectif de réduction de l’excédent de capacité de ceux-ci, la Commission disposait d’une certaine marge d’appréciation pour arrêter les conditions auxquelles devaient être subordonnées les aides envisagées afin que celles-ci demeurent compatibles avec le marché
commun dans le cadre du régime dérogatoire instauré par cette directive en faveur des chantiers navals et qu’elles ne remettent pas en cause l’objectif de réduction des excédents de capacité visé par l’article 10 bis de ladite directive.
Il appartenait toutefois à la Commission de préciser ces conditions de façon claire et non équivoque.

(cf. points 38, 40-41)

2.
Dans le cadre d’un pourvoi, un moyen dirigé contre un motif surabondant d’un arrêt du Tribunal, dont le dispositif est fondé à suffisance de droit sur d’autres motifs, doit être rejeté.

(cf. point 49)

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
29 avril 2004(1)

«Pourvoi – Aides d'État – Construction navale – Décisions de la Commission autorisant les aides – Condition – Respect d'une ‘limite de capacité’ – Notion»

Dans l'affaire C-181/02 P,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. K-D. Borchardt et V. Kreuschitz, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (quatrième chambre élargie) du 28 février 2002, Kvaerner Warnow Werft/Commission (T–227/99 et T–134/00, Rec. p. II–1205), et tendant à l'annulation de cet arrêt,

l'autre partie à la procédure étant:

Kvaerner Warnow Werft GmbH, établie à Rostock-Warnemünde (Allemagne), représentée par M^e M. Schütte, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. A. La Pergola (rapporteur) et S. von Bahr, juges,

avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. M. Arzamendi, administrateur principal,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 10 juillet 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 novembre 2003,

rend le présent

Arrêt

1
Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 mai 2002, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l’article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal de première instance du 28 février 2002, Kvaerner Warnow Werft/Commission (T‑227/99 et T‑134/00, Rec. p. II‑1205, ci-après l’«arrêt attaqué»), qui a annulé la décision 1999/675/CE de la Commission, du 8 juillet 1999, relative aux aides d’État accordées par la République fédérale
d’Allemagne à la société Kvaerner Warnow Werft GmbH (JO L 274, p. 23), telle que modifiée par la décision 2000/416/CE de la Commission, du 29 mars 2000, relative aux aides d’État accordées par l’Allemagne à la société Kvaerner Warnow Werft GmbH (1999) (JO L 156, p. 39), et la décision 2000/336/CE de la Commission, du 15 février 2000, relative aux aides d’État accordées par la République fédérale d’Allemagne à Kvaerner Warnow Werft GmbH (JO L 120, p.12).

Le cadre juridique

2
Aux termes de l’article 92, paragraphe 3, sous d) du traité CEE (devenu article 92, paragraphe 3, sous e) du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 87, paragraphe 3, sous e), CE):

«Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun:

[…]

d)
les autres catégories d’aides déterminées par décision du Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission.»

3
Sur cette base, le Conseil a adopté la directive 90/684/CEE, du 21 décembre 1990, concernant les aides à la construction navale (JO L 380, p. 27). Celle-ci prévoit, selon certaines modalités, la possibilité d’octroi, en faveur d’entreprises de construction navale, d’aides d’État au fonctionnement, aux investissements, à la fermeture, ainsi qu’à la recherche et au développement.

4
Selon l’article 6, paragraphes 1et 3, de la directive 90/684:

«1. [l]es aides aux investissements [...] ne peuvent être octroyées pour la création de nouveaux chantiers navals ou pour des investissements dans des chantiers existants, à moins qu’elles ne soient liées à un plan de restructuration qui n’entraîne aucun accroissement de la capacité de construction navale de ce chantier ou, en cas d’accroissement, qu’elles soient liées directement à une réduction irréversible correspondante de la capacité d’autres chantiers du même État membre au cours de
la même période.

[...]

3. [...] les aides aux investissements peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun, à condition:


que le montant et l’intensité des aides se justifient par l’importance de l’effort de restructuration envisagé,


qu’elles soient limitées au soutien des dépenses directement liées à l’investissement.»

5
Selon l’article 10 bis, paragraphe 2, sous c), de la directive 90/684, dans sa version résultant de la directive 92/68/CEE du Conseil, du 20 juillet 1992 (JO L 219, p. 54), les aides au fonctionnement en faveur des activités de construction et de transformation navales des chantiers opérant, au 1^er juillet 1990, sur le territoire de l’ancienne République démocratique allemande peuvent, jusqu’au 31 décembre 1993, être considérées comme compatibles avec le marché commun, à condition toutefois
que la République fédérale d’Allemagne accepte de procéder, avant le 31 décembre 1995, à une réduction de capacité réelle et irréversible égale à 40 % net de la capacité existant au 1^er juillet 1990, qui était de 545 000 tonnage brut compensé (ci-après «tbc»).

6
Les premier à troisième considérants de la directive 92/68 exposent, à cet égard, que:

«[…] le secteur de la construction navale joue un rôle important dans le développement structurel de la région côtière des territoires de l’ancienne République démocratique allemande;

[…] le secteur de la construction navale, tel qu’il existait dans ces territoires au moment de leur intégration à la Communauté doit de toute urgence faire l’objet d’une restructuration globale afin de devenir concurrentiel; [...] l’application directe du plafond maximal commun pour les aides à la production ne permet pas de telles mesures et [...] un accord transitoire spécial devrait donc être mis en place afin de permettre au secteur de la construction navale de ces territoires de
fonctionner pendant la période de restructuration progressive qui doit lui permettre de satisfaire aux règles applicables en matière d’aides d’État dans l’ensemble de la Communauté;

[…] par ailleurs, la situation de la concurrence impose au secteur de la construction navale des territoires en question de contribuer pour une part importante à la réduction des excédents de capacité qui, à l’échelle mondiale, continuent à empêcher le retour à des conditions de marché normales pour le secteur de la construction navale;»

Les faits à l’origine du litige

7
Il ressort des points 4 à 14 de l’arrêt attaqué, que:

«4
En 1992, le chantier naval est-allemand Warnow Werft a été vendu par le Treuhandanstalt, organisme de droit public chargé de restructurer les […] entreprises de l’ex-République démocratique allemande, au groupe norvégien Kvaerner. Dans le contrat de vente, que la République fédérale d’Allemagne a communiqué à la Commission, l’acheteur s’engageait à ne pas dépasser, pour ledit chantier, une capacité de construction navale de 85 000 tbc par an jusqu’au 31 décembre 2005, à moins
que cette limite, basée sur la législation communautaire, ne soit assouplie. La capacité de 85 000 tbc par an était celle attribuée à la requérante par la République fédérale d’Allemagne en exécution de l’article 10 bis, paragraphe 2, sous c), de la directive 90/684.

5
Par décisions communiquées à la République fédérale d’Allemagne par lettres des 3 mars 1993, 17 janvier 1994, 20 février 1995, 18 octobre 1995 et 11 décembre 1995 (ci-après les ‘décisions d’autorisation’), la Commission a autorisé, conformément aux directives 90/684 et 92/68, des aides envisagées par la République fédérale d’Allemagne en faveur du chantier naval en question, pour un montant total de 1 246,9 millions de marks allemands (DEM), à condition que la limite de capacité
de 85 000 tbc par an soit respectée. Les aides étaient autorisées selon la répartition suivante:

N 692/D/91 ─ Lettre de la Commission du 3 mars 1993 [SG (93) D/4052]


45,5 millions de DEM d’aides au fonctionnement;


82,4 millions de DEM d’aides au fonctionnement sous forme d’une remise de dettes anciennes;


127,5 millions de DEM d’aides à l’investissement;


27 millions de DEM d’aides à la fermeture;

N 692/J/91 ─ Lettre de la Commission du 17 janvier 1994 [SG (94) D/567]


617,1 millions de DEM d’aides au fonctionnement;

N 1/95 ─ Lettre de la Commission du 20 février 1995 [SG (95) D/1818]


222,5 millions de DEM d’aides à l’investissement;

N 637/95 ─ Lettre de la Commission du 18 octobre 1995 [SG (95) D/12821]


66,9 millions de DEM d’aides à l’investissement;

N 797/95 ─ Lettre de la Commission du 11 décembre 1995 [SG (95) D/15969]


58,0 millions de DEM d’aides à l’investissement.

6
En 1997, la production effective de la requérante a été de 93 862 tbc. En 1998, la production effective de la requérante a été de 122 414 tbc.

7
Estimant que, pour l’année 1998, la limite de capacité de 85 000 tbc avait été dépassée, la Commission a, par lettre du 16 décembre 1998, notifié à la République fédérale d’Allemagne sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article [88], paragraphe 2, du traité CE. Cette lettre a fait l’objet d’une communication publiée, le 16 février 1999, au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 41, p. 23).

8
Les autorités allemandes ont présenté leurs observations le 18 février 1999.

9
Les 14 janvier et 25 mars 1999, des représentants de la Commission se sont rendus sur le chantier naval, accompagnés d’un expert indépendant.

10
Par la décision 1999/675 [...], la Commission a décidé ce qui suit:

‘Article premier

Les aides d’un montant de 41,5 millions d’euros (83 millions de DEM), accordées par l’Allemagne à la société Kvaerner Warnow Werft GmbH, sont incompatibles avec le marché commun conformément à l’article 87, paragraphe 1, du traité CE.

Article 2

1. L’Allemagne prend toutes les mesures nécessaires pour exiger la restitution par le bénéficiaire de ces aides d’un montant de 41,5 millions d’euros (83 millions de DEM).

[...]

3. L’aide à récupérer est majorée d’intérêts courant à compter de la date de versement des aides au bénéficiaire jusqu’à celle de leur remboursement effectif, calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l’équivalent subvention des aides régionales.

[...]’

11
Estimant que la limite de capacité de 85 000 tbc avait également été dépassée pour l’année 1997, la Commission a, par lettre du 20 juillet 1999, notifié à la République fédérale d’Allemagne sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à cet égard. Cette lettre a fait l’objet d’une communication publiée le 28 août 1999 au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 245, p. 24).

12
Les autorités allemandes ont présenté leurs observations le 4 octobre 1999.

13
Par la décision 2000/336, la Commission a décidé ce qui suit:

‘Article premier

Les aides d’un montant de 6,3 millions d’euros (soit 12,6 millions de DEM), que l’Allemagne a accordées à Kvaerner Warnow Werft GmbH, sont incompatibles avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

Article 2

1. L’Allemagne prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer ces aides d’un montant de 6,3 millions d’euros (soit 12,6 millions de DEM) auprès de leur bénéficiaire.

[...]

3. Les aides à récupérer sont majorées d’intérêts qui courent à compter de la date à laquelle les aides illégales ont été mises à la disposition du bénéficiaire jusqu’à leur remboursement effectif. Ces intérêts sont calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l’équivalent subvention des aides régionales.

[...]’

14
Par la décision 2000/416 [...], la Commission a décidé ce qui suit:

‘Article premier

En 1999, la société Kvaerner Warnow Werft GmbH (KWW) a respecté la limite de capacité, respect qui conditionne, conformément à la décision relative à l’aide d’État N 325/99, communiquée par lettre du 5 août 1999, la compatibilité de l’aide avec le marché commun.

Article 2

L’article 1^er de la décision 1999/675/CE est modifié comme suit:

Article 1

Les aides d’État d’un montant de 41,1 millions d’euros (soit 82,2 millions de DEM) accordées par l’Allemagne à la société Kvaerner Warnow Werft GmbH sont incompatibles avec le marché commun conformément à l’article 87, paragraphe 1, CE’

[...]‘»

Le recours devant le Tribunal

8
Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 11 octobre 1999 et le 18 mai 2000, Kvaerner Warnow Werft GmbH (ci-après «KWW») a introduit des recours en annulation contre les décisions 1999/675 et 2000/336 (ci-après les «décisions attaquées»), recours enregistrés respectivement sous les numéros T‑227/99 et T‑134/00.

9
À la suite de l’adoption, en cours d’instance, de la décision 2000/416 modifiant la décision 1999/675, elle a, par acte séparé du 22 juin 2000, modifié ses moyens et ses conclusions dans l’affaire T-227/99.

10
Devant le Tribunal, elle a invoqué huit moyens d’annulation, dont les deuxième et troisième sont tirés d’erreurs de fait et de droit dans l’application des articles 87 CE et 88 CE ainsi que de la directive 90/684.

11
Elle a fait valoir, plus particulièrement, que la notion de limite de capacité utilisée dans les décisions d’autorisation n’impose pas une limite de production effective, mais simplement le respect d’une série de restrictions techniques relatives aux installations de production. Dès lors, en estimant que cette notion devait s’interpréter en ce sens que la production de KWW ne pouvait pas dépasser la limite de 85 000 tbc par an fixée dans les décisions d’autorisation, les décisions attaquées
seraient entachées d’erreurs de fait et de droit.

L’arrêt attaqué

12
À titre liminaire, le Tribunal a rappelé, au point 91 de l’arrêt attaqué, que la directive 90/684, telle que modifiée par la directive 92/68, ne définit pas la notion de «capacité» et que, par conséquent, la Commission dispose d’une certaine marge d’appréciation dans l’interprétation de cette notion. Cependant, il a relevé d’emblée que, plutôt que de contester l’interprétation faite par la Commission dans le cadre de sa marge d’appréciation, KWW reprochait principalement à la Commission
d’avoir méconnu, dans les décisions attaquées, la notion de capacité telle qu’imposée par elle antérieurement dans les décisions d’autorisation.

13
À cet égard, au point 92 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé devoir tenir compte de la règle selon laquelle les institutions communautaires doivent respecter l’intangibilité des actes qu’elles ont adoptés, afin de garantir la sécurité juridique des sujets de droit affectés par ces actes.

14
À cette fin, il a procédé en deux étapes. Il a, dans un premier temps, examiné le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les décisions d’autorisation. Puis, il a vérifié si, dans les décisions attaquées, la Commission n’avait pas retenu une interprétation de la notion de «limite de capacité» plus restrictive que celle figurant dans les décisions d’autorisation.

15
S’agissant de l’examen du cadre juridique dans lequel s’inscrivent les décisions d’autorisation, les points 94 à 96 de l’arrêt attaqué énoncent:

«94
En ce qui concerne, d’abord, le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les décisions d’autorisation, il y a lieu de relever que l’objectif de la réduction de capacité définie par l’article 10 bis, paragraphe 2, sous c), de la directive 90/684 (‘le gouvernement allemand accepte de procéder […] à une réduction de capacité réelle et irréversible égale à 40 % net de la capacité existant au 1^er juillet 1990, qui était de 545 000 [tbc]’), dans laquelle s’inscrit la limite de
capacité de 85 000 tbc par an imposée à la requérante […], est de rétablir une situation de marché normale dans le secteur de la construction navale et la compétitivité des chantiers de l’ex-République démocratique allemande, en réduisant les excédents de capacité.

95
En effet, aux fins de motiver l’insertion du nouvel article 10 bis à la directive 90/684, le Conseil a exposé, au troisième considérant de la directive 92/68, que ‘la situation de la concurrence impose au secteur de la construction navale des territoires [de l’ex-République démocratique allemande] de contribuer pour une part importante à la réduction des excédents de capacité qui, à l’échelle mondiale, continuent à empêcher le retour à des conditions de marché normales pour le
secteur de la construction navale.’

96
Le libellé de la directive 90/684 est également révélateur de l’objectif constituant à éliminer la surcapacité structurelle des chantiers dans la Communauté européenne afin de rendre ceux-ci plus efficaces et compétitifs. Cet objectif se laisse déduire, notamment, de l’article 6 de la directive 90/684 […] ainsi que des troisième, sixième, huitième et neuvième considérants de la même directive. Selon le troisième considérant, ‘bien que le marché mondial de la construction navale
ait connu une amélioration notable depuis 1989, un équilibre satisfaisant n’a toujours pas été réalisé entre l’offre et la demande et [...] les hausses de prix qui se sont produites ne suffisent toujours pas, dans le contexte global, à rétablir, dans ce secteur, une situation de marché normale [...]’. Selon le sixième considérant, ‘[un accord entre les principales nations du monde dans le domaine de la construction navale] doit garantir une concurrence loyale au niveau
international entre les chantiers, par une élimination équilibrée et équitable de tous les obstacles qui entravent des conditions de concurrence normales [...]’. Selon le huitième considérant, ‘une industrie compétitive de la construction navale revêt un intérêt essentiel pour la Communauté [...]’. Enfin, selon le neuvième considérant, ‘une politique d’aide rigoureuse et sélective devrait être poursuivie afin d’encourager la tendance actuelle à produire des navires d’une
technologie plus avancée et d’assurer des conditions de concurrence loyales et uniformes à l’intérieur de la Communauté’».

16
S’agissant de l’interprétation des décisions d’autorisation, les points 97 à 104 de l’arrêt attaqué sont ainsi libellés:

«97
Force est de constater, ensuite, que la réduction d’excédents de capacité, par l’introduction d’une limite de capacité, est essentiellement assurée par la fixation de limitations techniques, appelées communément ‘goulets d’étranglement techniques’. Ceci ressort clairement des décisions d’autorisation […].

98
D’abord, dans sa lettre du 3 mars 1993, qui comporte la première décision d’autorisation, la Commission a exposé que, ‘[b]ien que l’expertise indépendante ordonnée par la Commission ait montré que la capacité [du chantier naval Warnow Werft] en matière de construction ne dépassera guère 85 000 tbc – soit la quote-part octroyée au chantier naval par le gouvernement allemand sur les 327 000 tbc au total accordés aux chantiers navals est-allemands –une surveillance pendant la durée
du programme d’investissement paraît indiquée afin de garantir que les capacités seront effectivement réduites. Cette réduction est subordonnée à ce que les investissements soient réalisés selon les plans et projets soumis à la société de conseil. Kvaerner a confirmé que le chantier naval devrait être aménagé avec les restrictions suivantes:


La nouvelle halle de découpe de l’acier ne sera pas modifiée, sous réserve d’une nouvelle machine de préparation des bords (mechanical edge preparation machine, du type machine à fraiser);


Le nombre de postes sur la chaîne de montage des éléments plats de grande taille et sur la chaîne de montage pour les doubles fonds doit ─ conformément aux projets visés dans le rapport de la société de conseil EECI:0001A ─ être fixé à huit respectivement six;


Ces chaînes de montage ne peuvent être rallongées que si la surface correspondante est déduite de la halle pour les grandes unités de 600 tonnes (superunitshop). L’inverse peut également être vrai: autrement dit, en cas de réduction des capacités de la chaîne de montage pour les éléments plats de grande taille ou les doubles fonds, et donc de la surface qu’elle occupe, la surface de la halle pour les grandes unités pourrait être agrandie dans les mêmes proportions;


Les postes sur la chaîne de montage des éléments profilés (curved panel line, sections profilées) doivent être limités au nombre de six, comme indiqué dans les projets du rapport EECI:0001A de la société de conseil;


Le nombre des postes sur la chaîne de montage pour les éléments plats de petite taille (small panel line) doit être fixé à trois au maximum, comme indiqué dans le rapport EECI:0001A de la société de conseil;


Une seule grue d’une capacité de 600 tonnes pourra être érigée au-dessus du dock. Les grues de quai (prévues au nombre de deux) sont du type jib avec une capacité de levage de 50 tonnes.’

99
Il ressort de ce texte que l’objectif qu’il expose, à savoir la réduction effective des capacités, devait essentiellement être réalisé par le respect d’une série de limitations techniques portant sur les installations de production du chantier.

100
La lettre de la Commission du 17 janvier 1994, qui comporte la deuxième décision d’autorisation, va dans le même sens. La Commission y expose que ‘[l]a limite de capacités dépend des investissements réalisés conformément aux plans et aux projets soumis au consultant, notamment en ce qui concerne le non dépassement du débit d’acier maximal de 73 000 tbc, ainsi que conformément aux limitations prévues dans le rapport du consultant’. Le fait que la limite de capacité de 85 000 tbc
par an se basait sur un ensemble de limitations techniques précises est encore corroboré par l’explication, dans la même lettre, selon laquelle ‘en cas de non-respect des limites de capacités, la Commission sera contrainte d’exiger le remboursement de la totalité de l’aide’, et notamment par l’emploi du pluriel (‘limites de capacités’) dans cette phrase.

101
Dans ce contexte, il convient d’ajouter que si la Commission avait réellement voulu imposer à la requérante, au moment de l’autorisation des aides, un plafond annuel à la production effective, il lui aurait suffi de le formuler en termes de ‘limite de production’ ou de préciser que la limite de capacité renvoyait, en l’espèce, à la production maximale dans des conditions optimales. En l’absence de telles précisions, il ne saurait être reproché à la requérante d’avoir méconnu la
limite de capacité de 85 000 tbc par an, étant donné qu’il est constant entre les parties qu’elle a respecté, pendant toute la période examinée, l’ensemble des limitations techniques.

102
Or, une précision du type évoqué ci-dessus n’apparaît pas dans les décisions d’autorisation. Notamment, l’interprétation de la limite de capacité exprimée en termes de tbc par an comme étant une limite à la production effective ne saurait être déduite des phrases suivantes, qui figurent respectivement dans les lettres du 20 février, 18 octobre et 11 décembre 1995 (respectivement troisième, quatrième et cinquième décisions d’autorisation): ‘De surcroît, le premier rapport de
surveillance de la production transmis à la Commission montre qu’il faut également contrôler le respect des limitations de capacités lors de la planification de la production et de la production elle-même [...] Au vu des deux rapports de contrôle de production transmis à la Commission jusqu’ici, une surveillance reste manifestement nécessaire pour garantir le respect de la capacité maximale autorisée dans le cadre de la production projetée comme de la production effective [...]
D’après les rapports de contrôle de production transmis à la Commission jusqu’ici, une surveillance reste nécessaire afin de garantir le respect de la capacité maximale dans le cadre de la production effective comme de la production projetée.’ Ces phrases signifient seulement que la requérante doit, lors des phases de la planification et de la production effective, respecter les limitations techniques de capacité. Dans l’hypothèse, par exemple, où la requérante reçoit deux
commandes qui la mèneraient à produire plus que 85 000 tbc dans une seule année, il lui est loisible d’accepter et d’exécuter ces commandes endéans cette année, si cela lui est possible tout en respectant toutes les limitations techniques de capacité imposées (comme celles énumérées au point 98 ci-dessus, relatives notamment au nombre de postes admis sur la chaîne de montage des éléments profilés et à la présence d’une seule grue d’une capacité de 600 tonnes au-dessus du dock).

103
Par ailleurs, dans les mêmes lettres, certaines phrases indiquent clairement que le respect de la limite de capacité de 85 000 tbc par an est assimilé au respect des limitations techniques aux installations. Ainsi, dans la lettre du 20 février 1995 (troisième décision d’autorisation), la Commission explique que ‘dans la poursuite du plan d’investissement, il paraît indiqué de surveiller le respect de la limitation de capacité applicable à la construction navale. Ce respect n’est
garanti que si le plan d’investissement soumis à la société de conseil est scrupuleusement respecté; cela vaut notamment en ce qui concerne le débit maximal admissible de 73 000 tonnes d’acier, l’installation de montage de doubles coques et les deux installations de fabrication d’éléments plats. Le gouvernement allemand a assuré que le chantier naval respecterait la limite de capacité’. Dans ses lettres du 18 octobre et du 11 décembre 1995 (respectivement quatrième et cinquième
décisions d’autorisation), la Commission observe, en termes presque identiques, que l’installation de montage de doubles coques et l’installation de fabrication d’éléments plats de grande taille limitent la capacité de transformation d’acier du chantier naval et restreignent par le fait même la capacité de production de ce chantier à 85 000 tbc par an. La Commission ajoute dans ces deux lettres que pendant la durée de cette limitation de capacité, il est indispensable que
l’agencement du chantier ne soit pas modifié et que les équipements ‘optionnels’ qui n’ont pas encore été installés répondent aux spécifications que le chantier a soumises pour avis au conseiller technique.

104
Il ressort donc de façon cohérente des directives 90/684 et 92/68 et des décisions d’autorisation que, conformément à la pratique administrative de la Commission telle qu’elle ressort d’une autre affaire invoquée par la requérante (arrêt du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T‑266/94, Rec. p. II‑1399, point 177), la limite de capacité fixée dans ces décisions d’autorisation correspondait à la production réalisable dans de bonnes conditions normales, eu égard
aux installations disponibles. La requérante devait donc, lors de l’acceptation et de l’exécution de commandes de construction de navires, respecter les limitations techniques à ses installations, limitations qui avaient été calculées et définies de façon à ce que, dans de bonnes conditions normales, elle ne produirait pas plus que 85 000 tbc par an. Les décisions d’autorisation n’interdisaient toutefois pas à la requérante de produire, en présence de conditions
exceptionnellement bonnes, comme celles pouvant résulter de la réception de commandes susceptibles d’une exécution plus rapide que d’habitude, plus que 85 000 tbc par an, mais se bornaient à imposer le respect des limitations techniques mentionnées notamment dans les décisions d’autorisation, comme celles selon lesquelles les postes sur la chaîne de montage des éléments profilés doivent être limités au nombre de six et les postes sur la chaîne de montage pour les éléments plats
de petite taille doivent être limités à trois.»

17
À l’appui de cette argumentation, et à titre complémentaire, le Tribunal a invoqué plusieurs arrêts aux points 105 et 106 de l’arrêt attaqué:

«105
Il a, par ailleurs, déjà été constaté par la Cour et le Tribunal que, s’il est vrai que la capacité de construction ─ en l’espèce de 85 000 tbc par an ─ constitue de par sa nature une capacité aux fins de produire, cette notion n’est toutefois pas en soi identique à la notion de ‘production effective’ (arrêt Alpha Steel/Commission, précité, point 22; arrêt de la Cour du 11 mai 1983, Klöckner-Werke/Commission, 311/81 et 30/82, Rec. p. 1549, point 23; arrêt du Tribunal du 12 mai
1999, Moccia Irme e.a./Commission, T-164/96 à T-167/96, T-122/97 et T‑130/97, Rec p. II‑1477, point 138) ou à la notion de ‘production maximale dans des conditions optimales’ (arrêt Skibsværftsforeningen e.a./Commission, précité, point 174).

106
Il ressort de cette jurisprudence qu’une limite de capacité peut, comme cela ressort en l’espèce du libellé des décisions d’autorisation, porter sur la ‘production réalisable dans de bonnes conditions normales, eu égard aux installations disponibles’, et non exprimer une production effective maximale qui ne peut être dépassée même en cas de conditions exceptionnellement bonnes. À cet égard, l’argumentation de la Commission, selon laquelle la limite de capacité imposée à la
requérante, même si elle porte sur la ‘production réalisable dans de bonnes conditions normales, eu égard aux installations disponibles’, indique néanmoins la production effective maximale qui ne peut en aucun cas être dépassée […], ne saurait convaincre. En effet, si la limite de capacité reflète la production réalisable dans de bonnes conditions normales, cela implique par soi-même que le chiffre indiqué par cette limite peut être dépassé en périodes de conditions optimales.
Contrairement à ce qu’affirme la Commission, cette constatation n’est pas incompatible avec l’objectif de la directive 90/684. En effet, cet objectif, à savoir la réduction d’excédents de capacité, est atteint par la limitation de la capacité de la requérante au niveau des installations de celle-ci, limitation qui garantit que, dans des conditions normales, les 85 000 tbc par an ne seront pas dépassés.»

18
Aux points 107 à 109 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est fondé sur des documents produits par KWW:

«107
Il convient d’ajouter, enfin, que plusieurs documents produits par la requérante corroborent que la limite de capacité imposée à la requérante porte sur la production réalisable dans de bonnes conditions normales, eu égard aux installations disponibles.

108
Ainsi, dans le procès-verbal d’une réunion tenue le 1^er juin 1993 sur la privatisation des chantiers dans l’ex-République démocratique allemande, il est déclaré ce qui suit: ‘The Danish, Italian and UK delegates were expressing their worry that the actual production would exceed the assigned capacity after the investments would be implemented. The Commission was confident that future production would not exceed the agreed capacity limits because of the technical bottlenecks in
the investment plans, because of the present and future monitoring of the investment plans together with the contractual capacity limits in the privatisation contracts, because of the German Government’s undertaking to respect the limits and because all aid payments are conditional on respect of the capacity limits.’ (‘Les délégués danois, italiens et britanniques exprimaient leur préoccupation que la production effective ne dépasse la capacité allouée une fois que les
investissements seraient réalisés. Invoquant les goulets d’étranglement techniques dans les plans d’investissement, le contrôle présent et futur desdits plans associé à la limitation des capacités dans les contrats de privatisation ainsi que l’engagement pris par le gouvernement allemand de respecter ces limites et le fait que tout versement d’aide est subordonné audit respect, la Commission se déclarait convaincue que la production future ne dépasserait pas les plafonds de
capacité convenus.’) Force est de constater que cette discussion entre les délégations danoise, italienne et britannique d’une part et la Commission d’autre part n’aurait pas de sens si la limite de capacité de 85 000 tbc par an était à comprendre comme une limite absolue à la production effective. En effet, dans un tel cas, il aurait suffi à la Commission d’expliquer que la limite de 85 000 tbc par an constituait un plafond de production effective et qu’il était donc tout
simplement interdit à la requérante de produire plus que ce plafond. La position adoptée par la Commission lors de cette réunion indique au contraire que la confiance de celle-ci en une production future inférieure ou égale à 85 000 tbc par an n’était fondée que sur le calcul selon lequel les limitations techniques aux installations de la requérante devraient normalement empêcher la requérante de produire par an plus que ce tonnage.

109
De même, le rapport de la Commission relatif à la surveillance de la privatisation des chantiers dans l’ex-République démocratique allemande, qui est joint au courrier du 6 mai 1993 adressé à la représentation permanente de la République fédérale d’Allemagne, indique que, pour la Commission, la limitation de capacité était constituée de l’ensemble des limitations techniques imposées:

‘[...] les importantes restrictions techniques que comportent les plans d’investissement garantissent les limites de capacités fixées pour chaque chantier naval, bien qu’il semble nécessaire de maintenir une surveillance détaillée lors de la réalisation des investissements. Les principaux goulets d’étranglement techniques et conditions garantissant la limitation de capacité [...]’»

19
Aux points 110 et 111 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu:

«110
Il résulte de tout ce qui précède que la requérante a dûment démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en assimilant, dans les décisions attaquées et contrairement à ce qu’elle avait fait dans les décisions d’autorisation, la notion de limite de capacité à une limite de production effective. Étant donné que la Commission a basé les décisions attaquées sur la seule circonstance que la production effective de la requérante a, en 1997 puis en 1998, été
supérieure à 85 000 tbc (voir, à cet égard, les considérants 60 et 108 de la décision 1999/675 et les considérants 47 et 84 de la décision 2000/336), les dispositifs desdites décisions sont, dans leur intégralité, entachés par l’erreur d’appréciation constatée ci-dessus.

111
À cet égard, il convient de noter que le simple fait que la production effective a dépassé 85 000 tbc par an constitue l’unique fondement des décisions attaquées. La Commission n’a pas examiné, ni prétendu, que les dépassements au cours des années concernées résultent d’un non-respect des conditions limitatives imposées par les décisions d’autorisation.»

20
En conséquence, le Tribunal a annulé les décisions attaquées.

Les conclusions des parties

21
Par son pourvoi, la Commission conclut à l’annulation de l’arrêt attaqué et au renvoi du litige devant le Tribunal.

22
KWW conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la Commission à supporter les dépens de la procédure.

Sur la demande de réouverture de la procédure orale

23
Par acte déposé au greffe de la Cour le 21 janvier 2004, KWW a demandé à la Cour d’ordonner la réouverture de la procédure orale, en application des articles 61 et 118 du règlement de procédure.

24
À l’appui de cette demande, elle a fait valoir que si la Cour devait suivre les conclusions présentées par M. l’avocat général, elle serait contrainte de s’écarter du principe qui aurait été posé dans l’arrêt du 30 septembre 2003, Freistaat Sachsen e.a./Commission, (C‑57/00 P et C‑61/00 P, non encore publié au Recueil), et selon lequel l’interprétation, par le Tribunal, d’une décision de la Commission constitue une appréciation de fait et non une question de droit et ne serait donc pas
susceptible de pourvoi.

25
À cet égard, il convient de rappeler que la Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar, C-17/98, Rec. p. I-665, point 18; arrêts du
19 février 2002, Wouters e.a., C‑309/99, Rec. p. I-1577, point 42; du 13 novembre 2003, Schilling et Fleck-Schilling, C-209/01, non encore publié au Recueil, point 19, et du 30 mars 2004, Alabaster, C-147/02, non encore publié au Recueil, point 35).

26
Cependant, en l’espèce, l’avocat général entendu, la Cour considère qu’elle dispose de tous les éléments qui lui sont nécessaires pour répondre aux questions posées dans la présente affaire et que ces éléments ont fait l’objet des débats menés devant elle. Par conséquent, il convient de rejeter la demande de réouverture de la procédure orale.

Sur le pourvoi

Argumentation des parties

27
En faisant valoir que le Tribunal aurait apprécié de manière incomplète le cadre juridique dans lequel s’inscrivaient les décisions d’autorisation et qu’il aurait interprété celles-ci de manière erronée, la Commission soutient que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit. Ainsi, ce serait en violation du droit communautaire que le Tribunal a considéré que la condition de «limite de capacité» à laquelle étaient subordonnées les autorisations données à la République fédérale
d’Allemagne d’accorder des aides à KWW se rapportait à la seule capacité technique des installations et non à la production effective du chantier naval concerné.

28
La Commission reproche, d’abord, au Tribunal d’avoir mal défini, aux points 94 à 96 de l’arrêt attaqué, le cadre juridique des décisions d’autorisation. Selon elle, l’article 10 bis, paragraphe 2, sous c), de la directive 90/684, régit d’une manière juridiquement contraignante l’assurance donnée par la République fédérale d’Allemagne de procéder, avant le 31 décembre 1995, à une réduction de capacité réelle et irréversible égale à 40 % net de la capacité existant au 1^er juillet 1990, qui
était de 545 000 tbc. Cette disposition comporterait deux objectifs. Elle viserait à la fois à la réduction des excédents de capacité dans le secteur communautaire de la construction navale et à la compensation des distorsions de concurrence provoquées par le versement d’aides importantes aux chantiers navals est-allemands. Or, si le premier de ces objectifs peut être atteint par une limitation de la capacité technique des installations, le second, en revanche, ne pourrait l’être que par une
limitation de la production réelle des chantiers navals.

29
La Commission fait ensuite grief au Tribunal d’avoir, aux points 97 à 104 de l’arrêt attaqué, interprété la notion de limite de capacité en se fondant exclusivement sur le libellé des première et deuxième décisions d’autorisation, alors que, lues de manière conjointe, les cinq décisions d’autorisation indiqueraient que cette notion porte tant sur une limitation des installations techniques que sur une limitation de la production effective du chantier naval concerné. À la différence des
autres secteurs, il n’existerait pas, dans celui de la construction navale, un «goulet d’étranglement technique des installations» permettant de réguler la production par une simple réduction de la capacité. Pour cette raison, outre les limitations techniques aux installations, une limitation de la production réelle aurait dû également être ordonnée dans les décisions d’autorisation. S’il n’était pas nécessaire de souligner distinctement cette limitation de la production réelle dans les deux
premières décisions d’autorisation, qui concernaient exclusivement la phase d’investissement, en revanche il aurait importé d’attirer particulièrement l’attention sur cette limitation dans les troisième, quatrième et cinquième décisions d’autorisation, qui concernaient la phase de production débutant le 1^er janvier 1996. La Commission relève que ces trois dernières décisions comportaient une clause de surveillance selon laquelle, nonobstant les limitations techniques mises en place par KWW,
un contrôle restait nécessaire «pour garantir le respect de la capacité maximale autorisée dans le cadre de la production projetée comme de la production effective». Elle estime que cette clause serait privée de toute portée utile si elle devait être interprétée, ainsi que l’a fait le Tribunal, comme signifiant que les limitations techniques devaient également être respectées lors de la phase de production.

30
La Commission reproche enfin au Tribunal d’avoir fait, aux points 105 à 109 de l’arrêt attaqué, une lecture erronée de la jurisprudence et de pièces du dossier. Celles-ci ne permettraient pas de confirmer, contrairement à ce qui a été jugé, que la limite de capacité concernerait uniquement les installations techniques des chantiers navals.

31
Pour KWW, qui soutient que le pourvoi est partiellement irrecevable, le Tribunal n’a nullement méconnu les objectifs de la directive 90/684. Cette dernière n’évoquerait aucune limite de production. Son article 10 bis, paragraphe 2, sous c), viserait à rétablir une situation de marché normale et la compétitivité des chantiers de l’ancienne République démocratique allemande, tout en réduisant les excédents de capacité dans le secteur de la construction navale. Les distorsions de concurrence
liées aux aides seraient compensées par cette réduction résultant des limitations techniques de capacité imposées aux chantiers navals.

32
Il résulterait d’une analyse approfondie du libellé, de la genèse, de l’économie ainsi que du sens et de la finalité de la directive 90/684 que la notion de limite de capacité employée par les décisions d’autorisation ne peut précisément pas être assimilée à une limite de production. D’ailleurs, dans sa pratique décisionnelle antérieure, reprise dans les lignes directrices pour les aides à la restructuration, la Commission aurait retenu une interprétation de la limite de capacité qui ne
porterait pas sur la production effective. Le Tribunal, qui aurait examiné de manière approfondie le lien logique existant entre les cinq décisions d’autorisation, aurait conclu à juste titre que la limite de capacité imposée ne pouvait être considérée comme une telle limitation de la production effective. Une limitation de cette nature n’aurait d’ailleurs pu intervenir qu’à l’issue d’une procédure d’examen formel diligentée en application de l’article 88, paragraphe 2, CE.

33
Selon KWW, la surveillance de la production prévue par les trois dernières décisions d’autorisation est seulement un moyen destiné à garantir le respect de la limite de capacité. Elle permettrait de constater d’éventuels contournements des limitations techniques, comme le confirmeraient les documents produits par les parties dans le cadre de la procédure. Ainsi, le Tribunal aurait procédé à une interprétation de la notion de limite de capacité, conforme à la jurisprudence (arrêt du Tribunal
Skibsværftsforeningen e.a./Commission, précité, point 174).

Appréciation de la Cour

34
À titre liminaire, il convient de rappeler que, par les cinq décisions d’autorisation, la Commission, conformément aux directives 90/684 et 92/68, a autorisé les aides que la République fédérale d’Allemagne envisageait d’accorder à KWW pour un montant total de 1 246,9 millions de DEM, à condition que la limite de capacité de 85 000 tbc par an fût respectée. Cette limite correspondait à la part de tbc attribuée au chantier naval en cause par la République fédérale d’Allemagne, en exécution de
l’article 10 bis, paragraphe 2, sous c), de la directive 90/684. Selon cette disposition, les aides au fonctionnement en faveur des activités de construction et de transformation navales des chantiers opérant, au 1^er juillet 1990, sur le territoire de l’ancienne République démocratique allemande peuvent, jusqu’au 31 décembre 1993, être considérées comme compatibles avec le marché commun, à condition toutefois que la République fédérale d’Allemagne accepte de procéder, avant le
31 décembre 1995, à une réduction de capacité réelle et irréversible égale à 40 % net de la capacité existant au 1^er juillet 1990, qui était de 545 000 tbc.

35
Il est par ailleurs constant que, pour les années 1997 et 1998, auxquelles se rapportent les décisions attaquées, les limites techniques imposées aux installations du chantier naval n’ont pas été dépassées, et que seule la production effective de celui-ci a été prise en compte par la Commission pour justifier lesdites décisions.

36
Dans ces conditions, il incombe uniquement à la Cour de vérifier que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que les décisions d’autorisation qui fixent une limite de capacité ne pouvaient être interprétées comme comportant une condition tenant à une limitation de la production effective.

37
Il convient de relever, à cet égard, d’une part, que ni la directive 90/684, ni la directive 92/68 ne contiennent de définition de la notion de capacité ou de celle de limite de capacité. D’autre part, la production effective d’une entreprise constitue une notion distincte de celle de capacité de production (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 1983, Klöckner-Werke/Commission, 244/81, Rec. p. 1451, points 22 et 23).

38
Certes, pour justifier l’insertion du nouvel article 10 bis dans la directive 90/684, le Conseil a exposé, au troisième considérant de la directive 92/68, que la situation de la concurrence imposait au secteur de la construction navale des territoires de l’ancienne République démocratique allemande de contribuer pour une part importante à la réduction des excédents de capacité qui, à l’échelle mondiale, continuent à empêcher le retour à des conditions de marché normales pour le secteur de la
construction navale. Toutefois, il ne saurait être déduit de cet objectif de réduction des excédents de capacité, qui vise les moyens de production que les chantiers navals sont susceptibles de mettre en œuvre et non leur production elle-même, qu’une limite de capacité fixée dans des décisions prises sur le fondement de ces directives impliquerait par elle-même une limitation de la production.

39
Par ailleurs, il peut être admis, comme le soutient la Commission, que, en imposant à la République fédérale d’Allemagne une réduction de «capacité réelle et irréversible égale à 40 % de la capacité au 1^er juillet 1990», le législateur communautaire a entendu obtenir une contrepartie aux aides étatiques importantes allouées aux chantiers navals des nouveaux Länder, pour assurer, ainsi que l’énonce le neuvième considérant de la directive 90/684, des conditions de concurrence loyales et
uniformes à l’intérieur de la Communauté. En effet, les aides leur permettaient de disposer rapidement d’installations techniques performantes ouvrant la voie à une production considérable. Ce niveau de production risquait de provoquer des distorsions sensibles de concurrence pour les autres chantiers navals qui n’avaient pu atteindre ce niveau technique qu’au terme d’une longue période et sur leurs fonds propres. Toutefois, ni l’article 10 bis ni aucune autre disposition de la directive
90/684 ne prévoient que la réduction ainsi exigée de la capacité globale des chantiers opérant sur le territoire des nouveaux Länder doit prendre la forme d’une limite de la production réelle de chacun de ces chantiers.

40
Le législateur communautaire s’est ainsi abstenu, dans ladite directive, de fixer lui-même les éléments permettant de déterminer ce que recouvrait la notion de capacité des chantiers navals et les modalités permettant d’atteindre l’objectif de réduction de l’excédent de capacité de ceux-ci. La Commission disposait, dès lors, d’une certaine marge d’appréciation pour arrêter les conditions auxquelles devaient être subordonnées les aides envisagées afin que celles-ci demeurent compatibles avec
le marché commun dans le cadre du régime dérogatoire instauré par la directive 90/684 en faveur des chantiers navals et qu’elles ne remettent pas en cause l’objectif visé par l’article 10 bis de ladite directive.

41
Toutefois, à supposer même que, dans le cadre de la marge d’appréciation dont elle disposait, la Commission ait pu estimer que le respect de l’exigence fixée à l’article 10 bis, paragraphe 2, sous c), de la directive 90/684 nécessitait que les autorisations d’aide fussent subordonnées à la condition que, non seulement la capacité technique du chantier, mais également sa production réelle ne dépassent pas 85 000 tbc par an, il lui appartenait de le préciser de façon claire et non équivoque
dans ses décisions d’autorisation.

42
Or, d’une part, il est constant qu’aucune des cinq décisions d’autorisation ne comporte de mention spécifiant que la limite de capacité de 85 000 tbc constituait un plafond annuel pour la production effective.

43
D’autre part, la Commission ne conteste pas que ses deux premières décisions d’autorisation ne posent de conditions qu’en matière de limitations techniques imposées à KWW, comme l’a jugé le Tribunal aux points 97 à 100 et 103 de l’arrêt attaqué, et ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 51 de ses conclusions.

44
Enfin, s’agissant des troisième, quatrième et cinquième décisions d’autorisation, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu relever, au point 102 de l’arrêt attaqué, qu’il ne pouvait se déduire des passages desdites décisions cités audit point que la limite de capacité exprimée en tbc par an devait être interprétée comme étant une limite à la production effective.

45
En effet, en considérant, dans lesdits passages, qu’il convenait de contrôler le respect des limitations de capacité, non seulement au moment de l’élaboration des plans d’investissement, mais également lors de la planification de la production et lors de la production elle-même, la Commission, qui fixait ainsi les modalités et, notamment, les étapes de la surveillance qu’exigeait le respect de ces limitations de capacité, ne saurait être regardée comme ayant explicitement subordonné l’octroi
de ses autorisations à une condition portant limitation de la production. Il convient de constater à cet égard que, comme l’a relevé le Tribunal au point 103 de l’arrêt attaqué, la Commission, dans ses quatrième et cinquième décisions d’autorisation, a notamment précisé que, pendant la durée de la limitation de capacité, il était indispensable que l’agencement du chantier ne fût pas modifié. Il peut, dès lors, être raisonnablement déduit de cette préoccupation que, contrairement à ce que
soutient la Commission au point 28 de son pourvoi, la surveillance des installations dans le cadre des limitations techniques de capacité pouvait conserver tout son sens «lors de la production», sans pour autant qu’une telle surveillance pendant la production impliquât que les autorisations étaient soumises à une condition tenant à une limite de production effective.

46
Dans ces conditions, ni le libellé ni l’économie des décisions d’autorisation ne permettent de considérer que la limite de capacité de 85 000 tbc portait sur la production effective de KWW.

47
Par ailleurs, à supposer même que les restrictions techniques prévues par les décisions d’autorisation se fussent révélées inaptes à atteindre l’objectif visant à éviter les distorsions de concurrence entre chantiers navals, cette circonstance, postérieure aux décisions d’autorisation et qui révèle seulement une inadaptation des moyens retenus par rapport à l’objectif poursuivi, ne permet pas, en elle-même, de considérer que la limite de capacité contenue dans ces décisions constituait en
réalité une limite de production.

48
De tout ce qui précède, il ressort que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré que la notion de limite de capacité figurant dans les décisions d’autorisation ne pouvait être interprétée comme visant une limitation de la production de KWW.

49
Aux points 105 à 109 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en outre, entendu confirmer son interprétation desdites décisions en invoquant sa jurisprudence ainsi que celle de la Cour et en se référant à d’autres documents produits au dossier qui lui était soumis. Cependant, la motivation de cette partie de l’arrêt revêt un caractère surabondant par rapport à celle qui, aux points 91 à 104, fonde cette interprétation. Aussi, et dès lors que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en
recourant à cette interprétation, les griefs de la Commission dirigés contre la motivation contenue aux points 105 à 109 de l’arrêt sont inopérants. Conformément à une jurisprudence constante, ces griefs, qui ne sauraient entraîner l’annulation de l’arrêt du Tribunal, doivent être rejetés (voir, notamment, arrêts du 18 mars 1993, Parlement/Frederiksen, C‑35/92 P, Rec. p. I‑991, point 31; du 22 décembre 1993, Pincherle/Commission, C‑244/91 P, Rec. p. I‑6965, point 25, et du 11 mars 1997,
Commission/UIC, C‑264/95 P, Rec. p. I‑1287, point 48).

50
Il résulte de l’ensemble de ces considérations qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi.

Sur les dépens

51
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. KWW ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)
Le pourvoi est rejeté.

2)
La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

Timmermans La Pergola von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

Le greffier Le président

R. Grass V. Skouris

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

1 –
Langue de procédure: l'allemand.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-181/02
Date de la décision : 29/04/2004
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi - Aides d'État - Construction navale - Décisions de la Commission autorisant les aides - Condition - Respect d'une 'limite de capacité' - Notion.

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Kvaerner Warnow Werft GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: La Pergola

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2004:271

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award