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29/04/2004 | CJUE | N°C-111/02

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Parlement européen contre Patrick Reynolds., 29/04/2004, C-111/02


Affaire C-111/02 P

Parlement européen
contre

...

Affaire C-111/02 P

Parlement européen
contre
Patrick Reynolds

«Pourvoi – Fonctionnaires – Détachement auprès d'un groupe politique du Parlement – Décision de mettre fin au détachement – Droits de la défense»

Conclusions de l'avocat général M. L. A. Geelhoed, présentées le 18 septembre 2003

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 avril 2004

Sommaire de l'arrêt

Fonctionnaires – Détachement dans l'intérêt du service – Détachement auprès d'un groupe politique du Parlement – Décision de mettre fin au détachement – Pouvoir discrétionnaire du groupe politique et compétence liée de l'autorité investie du pouvoir de nomination – Absence de nécessité impérieuse d'entendre l'intéressé avant l'adoption de la décision
(Statut des fonctionnaires, art. 37, al. 1, a), deuxième tiret, et 90) En vertu de l’article 37, premier alinéa, sous a), deuxième tiret, du statut, un fonctionnaire peut être détaché, dans l’intérêt du service, afin d’exercer temporairement des fonctions auprès d’un groupe politique du Parlement. S’il incombe à l’autorité investie du pouvoir de nomination de prendre la décision de détacher un fonctionnaire auprès d’un groupe politique ainsi que celle de mettre fin à ce détachement, elle est
tenue de respecter le choix effectué à cet égard par le groupe politique qui sollicite une telle mesure. En effet, le groupe politique concerné dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour choisir les collaborateurs qu’il souhaite engager pour exercer des fonctions temporaires auprès de lui ainsi que pour mettre fin à l’engagement de ces derniers. Ce pouvoir discrétionnaire est justifié notamment par la nature spécifique des fonctions exercées auprès d’un groupe politique et par la nécessité de
maintenir, dans un tel environnement politique, des rapports de confiance mutuelle entre ce groupe et les fonctionnaires détachés auprès de celui-ci. En acceptant d’exercer de telles fonctions temporaires auprès d’un groupe politique, les fonctionnaires concernés doivent avoir conscience du fait que celui-ci pourrait souhaiter mettre fin à leur engagement avant le terme initialement prévu pour ce détachement.

En effet, lorsque la confiance mutuelle est rompue, pour quelque raison que ce soit, le fonctionnaire en cause n’est plus en mesure d’assurer ses fonctions. Dans une telle situation, il est dès lors de bonne administration que l’institution concernée prenne à l’égard de ce fonctionnaire, dans les meilleurs délais, une décision mettant fin au détachement. Une telle décision constitue, du point de vue procédural, un acte faisant grief au fonctionnaire qui, dès lors, a un intérêt personnel à en
demander l’annulation. On ne saurait toutefois en déduire automatiquement, sans avoir égard à la nature de la procédure ouverte à l’encontre de l’intéressé, que l’autorité investie du pouvoir de nomination avait l’obligation d’entendre utilement le fonctionnaire concerné avant l’adoption d’une telle décision.

Dès lors que l’autorité investie du pouvoir de nomination est saisie d’une demande visant à mettre fin au détachement d’un fonctionnaire auprès d’un groupe politique, elle est en principe tenue d’y donner suite dans les meilleurs délais, après avoir vérifié que cette demande provient effectivement de la personne ou du service compétent pour la présenter.

(cf. points 48-52, 56-57, 59-60)

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
29 avril 2004(1)

«Pourvoi – Fonctionnaires – Détachement auprès d'un groupe politique du Parlement – Décision de mettre fin au détachement – Droits de la défense»

Dans l'affaire C-111/02 P,

Parlement européen, représenté par MM. H. von Hertzen et D. Moore, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (troisième chambre) du 23 janvier 2002, Reynolds/Parlement (T-237/00, Rec. p. II-163), et tendant à l'annulation de cet arrêt,

l'autre partie à la procédure étant:

Patrick Reynolds, fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par M^es P. Legros et S. Rodrigues, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. P. Jann, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, A. La Pergola et S. von Bahr (rapporteur), juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: M. R. Grass,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 18 septembre 2003,

rend le présent

Arrêt

1
Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 mars 2002, le Parlement européen a, en vertu de l’article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal de première instance du 23 janvier 2002, Reynolds/Parlement (T-237/00, Rec. p. II-163, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci, d’une part, a annulé la décision de son secrétaire général, du 18 juillet 2000, mettant fin au détachement de M. Reynolds auprès du groupe politique «Europe des
Démocraties et des Différences» (ci-après le «groupe EDD») et le réintégrant à la direction générale de l’information et des relations publiques à compter du 15 juillet 2000 (ci-après la «décision litigieuse») et, d’autre part, l’a condamné à réparer le préjudice matériel et moral subi par M. Reynolds en raison de cette décision.

Les faits à l’origine du litige

2
Les faits à l'origine du litige, tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés de la manière suivante.

3
En septembre 1999, le Parlement a publié un avis de vacance concernant le poste de secrétaire général du groupe EDD.

4
M. Reynolds, qui était fonctionnaire à la direction générale de l'information et des relations publiques du Parlement, au grade LA 5, échelon 3, a présenté sa candidature pour ce poste.

5
Par lettre du 12 novembre 1999, le président du groupe EDD a fait part au secrétaire général du Parlement de la décision du bureau de ce groupe de nommer M. Reynolds au poste de secrétaire général et lui a demandé de bien vouloir autoriser le détachement de ce dernier auprès dudit groupe.

6
Par décision du 11 janvier 2000, le secrétaire général du Parlement a confirmé que, sur le fondement de l'article 37, premier alinéa, sous a), du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), M. Reynolds était détaché dans l'intérêt du service auprès du groupe EDD, au grade A 2, échelon 1, pour une période d'un an allant du 22 novembre 1999 au 30 novembre 2000.

7
Le 18 mai 2000, le président du groupe EDD a, pour la première fois, informé M. Reynolds que, à l'occasion d'une réunion des membres du bureau de ce groupe qui s'était tenue quelques heures plus tôt, certains sous-groupes avaient manifesté leur perte de confiance à son égard et que, en conséquence, il avait été décidé que son détachement auprès dudit groupe ne serait pas prolongé après le 30 novembre 2000.

8
Le 24 mai 2000, lors d'un second entretien avec M. Reynolds, le président du groupe EDD a confirmé que ce groupe souhaitait mettre fin à sa collaboration. Le même jour, M. Reynolds a informé le président qu'il comptait s'absenter pour quatre semaines afin de réfléchir à certaines questions, ce qui a été accepté par ce dernier. L’intéressé a par ailleurs consulté son médecin traitant, qui a conclu à une incapacité de travail en raison d'un état maladif.

9
À partir du 24 mai 2000, M. Reynolds ne s'est plus présenté à son travail pour cause de maladie.

10
Le 23 juin 2000, M. Reynolds a adressé, sur le fondement de l'article 90 du statut, une réclamation au secrétaire général du Parlement à l'encontre des actes lui faisant grief dans l'exercice de ses fonctions auprès du groupe EDD. Il demandait qu'une décision soit prise en vue de mettre fin à ces actes et qu'il soit remédié à leurs effets négatifs. M. Reynolds précisait toutefois qu'il n'entendait pas pour autant démissionner de son poste de secrétaire général dudit groupe.

11
Le même jour, M. Reynolds a adressé au président de la Cour des comptes des Communautés européennes une demande formelle d'examen des comptes du groupe EDD, en précisant, d'une part, qu'un tel examen était dans l'intérêt de ce groupe ainsi que dans l'intérêt public et, d'autre part, qu’il n’avait pu accéder librement à ces comptes.

12
Ayant été informé, notamment par la presse, qu'une telle demande avait été adressée à la Cour des comptes, le président du groupe EDD a confirmé au président de celle-ci, par lettre du 30 juin 2000, que cette institution pouvait librement accéder aux comptes de ce groupe.

13
Le 1^er juillet 2000, M. Reynolds a établi un mémorandum dans lequel il expliquait en détail son expérience de détachement auprès du groupe EDD.

14
Le 4 juillet 2000, à la suite d'une décision du bureau du groupe EDD, le président de celui-ci a demandé au secrétaire général du Parlement de mettre fin, dès que possible, au détachement de M. Reynolds.

15
Le 18 juillet 2000, le secrétaire général du Parlement a, en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN»), décidé de mettre fin au détachement dans l'intérêt du service de M. Reynolds auprès du groupe EDD à compter du 14 juillet précédent au soir (article 1^er de la décision litigieuse) et de le réintégrer à un poste de traducteur principal à la direction générale de l'information et des relations publiques du Parlement au grade LA 5, échelon 3, à compter du 15
juillet 2000.

16
Après avoir formé une réclamation à l'encontre de la décision litigieuse, M. Reynolds a, le 8 septembre 2000, introduit devant le Tribunal un recours en annulation contre cette décision et un recours en indemnité contre le Parlement.

L'arrêt attaqué

17
À l'appui de son recours en annulation, M. Reynolds a invoqué sept moyens tirés de la violation respectivement de l'article 38 du statut, du principe du respect des droits de la défense, de l'obligation de motivation, de l'accord sur les transferts des agents des groupes politiques datant de novembre 1974 et du principe de protection de la confiance légitime, ainsi que du non-respect du devoir de sollicitude et du détournement du pouvoir.

18
Après avoir constaté, au point 42 de l'arrêt attaqué, qu'il est manifeste que, à la date d’introduction du recours, M. Reynolds avait un intérêt personnel à demander l'annulation de la décision litigieuse, laquelle constitue un acte lui faisant grief, le Tribunal a rejeté, au point 43 du même arrêt, un moyen d'irrecevabilité invoqué par le Parlement et tiré de l'absence d'intérêt de M. Reynolds à poursuivre une telle annulation.

19
Sur le fond, le Tribunal a examiné en premier lieu le moyen tiré de la violation de l'article 38 du statut.

20
M. Reynolds faisait en effet valoir que cette disposition ne prévoit pas la possibilité pour l'AIPN de mettre fin au détachement dans l'intérêt du service avant l'expiration de la période initialement prévue pour ce détachement.

21
Le Tribunal a relevé, au point 49 de l'arrêt attaqué, que, selon l'article 38, sous b), du statut, la durée du détachement dans l'intérêt du service est fixée par l'AIPN.

22
Au point 50 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que cette disposition doit être interprétée en ce sens que, si cela s'avère indispensable afin d'assurer que le détachement reste conforme à l'intérêt du service, l'AIPN a, à tout moment, la faculté de modifier la durée initialement prévue pour le détachement et, partant, de mettre fin à celui-ci avant l'expiration de cette durée.

23
À cet égard, le Tribunal a considéré, au point 52 de l'arrêt attaqué, que, dans le cas d'espèce, l'AIPN avait estimé à juste titre qu'elle pouvait faire usage de cette compétence afin de mettre fin au détachement de M. Reynolds auprès du groupe EDD, dès lors qu'elle était saisie d'une demande formelle du président de ce groupe sollicitant qu'il soit mis fin au détachement de M. Reynolds dans les meilleurs délais. En effet, selon le Tribunal, une telle demande pouvait, en tant que telle,
permettre de conclure qu’il n’était pas conforme à l'intérêt du service de maintenir ce détachement. Cette conclusion se serait d'autant plus imposée que, avant même de recevoir la demande formelle du président dudit groupe, l'AIPN était déjà informée des tensions qui accompagnaient le détachement de M. Reynolds.

24
En conséquence, le Tribunal a rejeté, au point 53 de l'arrêt attaqué, le premier moyen comme non fondé.

25
Le Tribunal a examiné en second lieu le moyen tiré de la violation du principe du respect des droits de la défense.

26
Au point 77 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a estimé qu'il convenait de rechercher tout d'abord dans quelle mesure était applicable en l’espèce la jurisprudence selon laquelle un fonctionnaire n'a aucun intérêt légitime à l'annulation pour vice de forme d'une décision lorsque l'administration était tenue d'agir comme elle l'a fait.

27
À cet égard, le Tribunal a considéré, au point 80 de l'arrêt attaqué, que, de manière générale, l'existence d'une demande émanant du service ou de la personne auprès desquels le fonctionnaire a été détaché et tendant à ce que l’AIPN use de sa compétence pour mettre fin à un détachement avant l’expiration de la durée initialement prévue pour celui-ci constitue un élément déterminant pour l'exercice, par l'AIPN, d’une telle compétence.

28
Au point 81 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que le caractère déterminant de la demande tendant à ce qu’il soit mis fin, dans l’intérêt du service, au détachement d’un fonctionnaire ne signifie pas que l'AIPN ne disposerait d'aucune marge d'appréciation à cet égard et serait tenue de satisfaire à cette demande. Le Tribunal a relevé que, lorsqu'elle reçoit une telle demande, l'AIPN est, à tout le moins, tenue de vérifier, de manière neutre et objective, d'une part, si la demande qui
lui est présentée constitue, sans aucun doute, l'expression valable du service ou de la personne auprès desquels le fonctionnaire a été détaché et, d'autre part, si elle ne repose pas sur des motifs manifestement illégaux.

29
Au vu de ce qui précède, le Tribunal a considéré, au point 83 de l'arrêt attaqué, que la jurisprudence selon laquelle M. Reynolds n'a aucun intérêt légitime à demander l'annulation pour vice de forme d’une décision lorsque l'administration ne dispose d'aucune marge d'appréciation et est tenue d'agir comme elle l'a fait n'est pas applicable en l'espèce.

30
Au point 84 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a précisé que c'est à la lumière de ce constat qu'il convenait d'analyser les autres arguments invoqués par les parties dans le cadre du moyen tiré de la violation du principe du respect des droits de la défense.

31
Le Tribunal a rappelé, au point 86 de l'arrêt attaqué, que, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief constitue un principe fondamental du droit communautaire qui doit être observé même en l'absence d'une disposition expresse prévue à cette fin par la réglementation concernant la procédure en cause (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 mai 1997,
Quijano/Commission, T-169/95, RecFP p. I-A-91 et II-273, point 44, et du 15 juin 2000, F/Commission, T-211/98, RecFP p. I-A-107 et II-471, point 28).

32
Le Tribunal a relevé, au point 87 de l'arrêt attaqué, que, ainsi qu’il avait été souligné au point 42 du même arrêt, la décision litigieuse constitue un acte faisant grief. Dès lors, il a jugé que l'AIPN avait l'obligation d'entendre utilement M. Reynolds avant l'adoption de cette décision.

33
En outre, le Tribunal a considéré, au point 94 de l'arrêt attaqué, que le fait qu'une procédure de réclamation préalable est prévue à l'article 90 du statut ne suffit pas, en tant que tel, pour exclure l'existence d'une obligation à la charge de l'AIPN d'entendre le fonctionnaire intéressé avant l'adoption d'une décision lui faisant grief.

34
Le Tribunal a souligné en outre, au point 98 de l'arrêt attaqué, que le principe du parallélisme des formes exige que l'obligation pour l'AIPN d'entendre le fonctionnaire avant d’autoriser son détachement dans l'intérêt du service, prévue à l'article 38, sous a), du statut, soit également applicable lorsque l'AIPN décide de fixer ou de modifier la durée d'un détachement dans l'intérêt du service sur le fondement de l'article 38, sous b), dudit statut.

35
Le Tribunal a constaté, au point 109 de l'arrêt attaqué, que l'AIPN n'avait pas satisfait à l'obligation d'entendre utilement M. Reynolds avant l'adoption de la décision litigieuse.

36
Le Tribunal a souligné, au point 112 de l'arrêt attaqué, que le principe du respect des droits de la défense est violé dès lors qu'il est établi que l'intéressé n'a pas été entendu utilement avant l'adoption de l'acte lui faisant grief et qu'il ne saurait raisonnablement être exclu que cette irrégularité a pu avoir une incidence particulière sur le contenu de cet acte.

37
Au point 113 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que l'éventualité qu'une consultation préalable puisse avoir une incidence particulière sur le contenu d'un acte faisant grief ne peut raisonnablement être exclue que s'il est établi que l'auteur de l'acte ne disposait d'aucune marge d'appréciation et était tenu d'agir comme il l'a fait.

38
Le Tribunal a constaté, au point 114 de l'arrêt attaqué, en se référant au point 81 de celui-ci, qu'il est manifeste que, en l'espèce, l'AIPN disposait d'une marge d'appréciation, certes limitée, mais non inexistante, en ce qui concerne l'exercice de la faculté de mettre fin au détachement de M. Reynolds avant l'expiration de la durée initialement prévue. Selon le Tribunal, il ne saurait dès lors être totalement exclu que, en l'espèce, une consultation préalable de M. Reynolds aurait pu
avoir une incidence particulière sur le contenu de la décision litigieuse.

39
Le Tribunal a ajouté, au point 115 de l'arrêt attaqué, qu'il ne lui appartenait pas de se substituer à l'autorité administrative et de rechercher si, en l'espèce, il existait des éléments susceptibles d'avoir une incidence particulière sur le contenu de la décision litigieuse.

40
Au vu de ce qui précède, le Tribunal a considéré, au point 117 de l'arrêt attaqué, que le moyen tiré d'une violation du principe du respect des droits de la défense était fondé et, partant, que la décision litigieuse devait être annulée sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par M. Reynolds.

41
En ce qui concerne le recours en indemnité, le Parlement a été condamné, aux points 149 et 150 de l'arrêt attaqué, à verser à M. Reynolds une somme correspondant à la différence entre la rémunération que ce dernier aurait dû percevoir en tant que fonctionnaire détaché au grade A 2, échelon 1, et celle qu'il a perçue à la suite de sa réintégration au grade LA 5, échelon 3, pour la période allant du 15 juillet 2000 au 30 novembre 2000, cette somme étant majorée des intérêts moratoires au taux
de 5,25 % à compter de la date à partir de laquelle ses montants constitutifs étaient dus jusqu’à la date de paiement effectif.

42
En ce qui concerne le préjudice moral, le Tribunal a constaté, au point 153 de l'arrêt attaqué, que, à défaut d'avoir respecté la procédure précontentieuse prévue à cet effet, M. Reynolds n'était pas recevable à demander la réparation du préjudice moral qu'il a subi en raison des prétendus «comportements non décisionnels» du groupe EDD ou de certains des membres de celui-ci. En revanche, le Tribunal a relevé, au point 154 dudit arrêt, que l'adoption de la décision litigieuse n'a pu
qu'aggraver le préjudice moral éprouvé par M. Reynolds. Afin de réparer ce chef de préjudice, le Tribunal a considéré qu'il y avait lieu de condamner le Parlement à verser à l’intéressé, à titre symbolique, la somme de un euro.

Le pourvoi

43
Dans son pourvoi, le Parlement demande à la Cour d'annuler l'arrêt attaqué et de statuer définitivement sur le litige en rejetant le recours comme non fondé ou de renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue de nouveau sur ce litige. Il conclut également au rejet du pourvoi incident introduit par M. Reynolds comme manifestement non fondé.

44
À l'appui de son pourvoi, le Parlement invoque quatre moyens tirés de la violation du droit communautaire par le Tribunal, notamment au regard de l'obligation de motiver les arrêts et du principe du respect des droits de la défense.

45
M. Reynolds conclut au rejet du pourvoi du Parlement. Il demande à la Cour, par la voie d’un pourvoi incident, d'annuler le point 4 du dispositif de l'arrêt attaqué et de statuer définitivement sur le litige en faisant droit à son recours en indemnité, en ce qui concerne la réparation du préjudice moral qu'il aurait subi, ou de renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue de nouveau sur ce chef de ses conclusions en indemnité.

Sur le pourvoi

46
Par son troisième moyen, qu'il convient d'examiner en premier lieu, le Parlement fait valoir que l'analyse du Tribunal selon laquelle tout fonctionnaire doit être entendu avant l'adoption d'une mesure de nature à lui faire grief est contraire à la jurisprudence constante des juridictions communautaires en matière de droits de la défense.

47
M. Reynolds conteste que le Tribunal ait méconnu cette jurisprudence.

48
À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 37, premier alinéa, sous a), deuxième tiret, du statut, un fonctionnaire peut être détaché, dans l'intérêt du service, afin d'exercer temporairement des fonctions auprès d'un groupe politique du Parlement.

49
Il y a lieu de préciser que, s'il incombe à l'AIPN de prendre la décision de détacher un fonctionnaire auprès d’un groupe politique ainsi que celle de mettre fin à ce détachement, elle est tenue de respecter le choix effectué à cet égard par le groupe politique qui sollicite une telle mesure.

50
En effet, le groupe politique concerné dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour choisir les collaborateurs qu'il souhaite engager pour exercer des fonctions temporaires auprès de ce groupe ainsi que pour mettre fin à l’engagement de ces derniers.

51
Ce pouvoir discrétionnaire est justifié notamment par la nature spécifique des fonctions exercées auprès d’un groupe politique et par la nécessité de maintenir, dans un tel environnement politique, des rapports de confiance mutuelle entre ce groupe et les fonctionnaires détachés auprès de celui-ci.

52
En acceptant d'exercer de telles fonctions temporaires auprès d'un groupe politique, les fonctionnaires concernés doivent avoir conscience du fait que celui‑ci pourrait souhaiter mettre fin à leur engagement avant le terme initialement prévu pour ce détachement.

53
S'agissant d'un fonctionnaire tel que M. Reynolds, qui a été détaché afin d'exercer la fonction de secrétaire général auprès d'un groupe politique du Parlement, il est constant qu’il a été engagé en vue d'une mission spéciale, de caractère essentiellement politique (voir arrêt du 18 octobre 1977, Schertzer/Parlement, 25/68, Rec. p. 1729, point 42).

54
Afin qu'il soit en mesure d'accomplir cette mission, il est essentiel que les rapports de confiance mutuelle qui se sont établis entre lui-même et le groupe politique lors de son engagement soient maintenus durant toute la durée du détachement.

55
Au cas où le groupe politique concerné considère que ces rapports de confiance mutuelle ont disparu, il peut unilatéralement mettre fin à l'engagement du fonctionnaire détaché avant l'expiration de la durée initialement prévue pour le détachement.

56
En effet, lorsque la confiance mutuelle est rompue, pour quelque raison que ce soit, le fonctionnaire en cause n'est plus en mesure d'assurer ses fonctions. Dans une telle situation, il est dès lors de bonne administration que l'institution concernée prenne à l’égard de ce fonctionnaire, dans les meilleurs délais, une décision mettant fin au détachement (voir, par analogie, arrêts du 12 juillet 1979, List/Commission, 124/78, Rec. p. 2499, point 13, et du 12 novembre 1996, Ojha/Commission,
C-294/95 P, Rec. p. I-5863, points 41 et 42).

57
Certes, ainsi que le Tribunal l'a à juste titre constaté au point 42 de l'arrêt attaqué, lorsqu'il a statué sur le moyen d'irrecevabilité, une telle décision constitue, du point de vue procédural, un acte faisant grief au fonctionnaire qui, dès lors, a un intérêt personnel à en demander l'annulation. On ne saurait toutefois en déduire automatiquement, sans avoir égard à la nature de la procédure ouverte à l’encontre de l’intéressé, ainsi que l'a fait de manière erronée le Tribunal au point
87 dudit arrêt, que, par conséquent, l'AIPN avait l'obligation d'entendre utilement M. Reynolds avant l'adoption de la décision litigieuse.

58
Ainsi qu'il a déjà été précisé aux points 50 à 52 du présent arrêt, le fonctionnaire qui accepte une fonction dont les caractéristiques sont très particulières, comme celle de secrétaire général auprès d'un groupe politique du Parlement, doit avoir conscience du pouvoir discrétionnaire de ce groupe de mettre fin à son engagement à tout moment, notamment en cas de disparition des rapports de confiance mutuelle entre ce dernier et ledit fonctionnaire.

59
Il s'ensuit que, lorsque l'AIPN est saisie d'une demande émanant d'un groupe politique du Parlement visant à mettre fin au détachement d'un fonctionnaire auprès de ce groupe, elle est en principe tenue d’y donner suite dans les meilleurs délais après avoir vérifié que cette demande provient effectivement de la personne ou du service compétent pour la présenter.

60
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de constater que l'adoption par l'AIPN de la décision litigieuse sans avoir entendu au préalable M. Reynolds apparaît justifiée.

61
Dans ces conditions, il y a lieu de constater que c'est à tort que le Tribunal a jugé, aux points 99, 109 et 117 de l'arrêt attaqué, que le moyen tiré d'une violation du principe du respect des droits de la défense était fondé dans la mesure où l'AIPN n'avait pas utilement entendu M. Reynolds avant l'adoption de la décision litigieuse.

62
Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par le Parlement, il convient dès lors d'annuler l'arrêt attaqué en tant qu'il a annulé la décision litigieuse. Par voie de conséquence, il convient également d'annuler cet arrêt en tant qu'il a condamné le Parlement à réparer le préjudice matériel et moral prétendument subi par M. Reynolds en raison de cette décision.

63
Dans ces conditions, le pourvoi incident de M. Reynolds, qui porte sur la détermination du montant du préjudice moral qu'il aurait subi en raison de la décision litigieuse, est devenu sans objet et il n’y a pas lieu d’y statuer.

Sur le renvoi de l'affaire devant le Tribunal

64
Aux termes de l'article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, celle-ci peut, en cas d'annulation de la décision du Tribunal, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé, soit renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue.

65
Étant donné que le Tribunal a uniquement examiné deux des sept moyens invoqués par M. Reynolds au soutien de son recours, la Cour considère qu'elle n'est pas en mesure de juger l'affaire et qu'il y a lieu de renvoyer celle-ci devant le Tribunal pour qu'il statue sur les autres moyens dudit recours.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)
Les points 1, 2, 4 et 5 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 23 janvier 2002, Reynolds/Parlement (T-237/00), sont annulés.

2)
L'affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance.

3)
Les dépens sont réservés.

Jann Timmermans Rosas
La Pergola von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

Le greffier Le président

R. Grass V. Skouris

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1 –
Langue de procédure: le français.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-111/02
Date de la décision : 29/04/2004
Type d'affaire : Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires, Recours en responsabilité

Analyses

Pourvoi - Fonctionnaires - Détachement auprès d'un groupe politique du Parlement - Décision de mettre fin au détachement - Droits de la défense.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Parlement européen
Défendeurs : Patrick Reynolds.

Composition du Tribunal
Avocat général : Geelhoed
Rapporteur ?: von Bahr

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2004:265

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