Avis juridique important
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61997J0166
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 18 mars 1999. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement d'Etat - Conservation des oiseaux sauvages - Zones de protection spéciale. - Affaire C-166/97.
Recueil de jurisprudence 1999 page I-01719
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
1 États membres - Obligations - Exécution des directives - Manquement - Justification - Inadmissibilité
(Traité CE, art. 169)
2 Recours en manquement - Examen du bien-fondé par la Cour - Situation à prendre en considération - Situation à l'expiration du délai fixé par l'avis motivé
(Traité CE, art. 169)
3 Environnement - Conservation des oiseaux sauvages - Directive 79/409 - Mesures de conservation spéciale - Obligations des États membres - Obligation de conférer aux zones de protection spéciale un statut juridique de protection suffisant - Portée
(Directive du Conseil 79/409, art. 4, § 1 et 2)
4 Environnement - Conservation des oiseaux sauvages - Directive 79/409 - Mesures de conservation spéciale - Obligations des États membres - Obligation de prendre des mesures pour éviter la pollution et la détérioration des habitats - Violation - Condition - Zone classée ou devant être classée en zone de protection spéciale
(Directive du Conseil 79/409, art. 4, § 1, 2 et 4)
Sommaire
1 Un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l'inobservation des obligations et délais prescrits par une directive.
2 Dans le cadre d'un recours au titre de l'article 169 du traité, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé.
3 L'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 79/409, concernant la conservation des oiseaux sauvages, impose aux États membres de conférer aux zones de protection spéciale y visées un statut juridique de protection susceptible d'assurer, notamment, la survie et la reproduction des espèces d'oiseaux mentionnées à l'annexe I de la directive, ainsi que la reproduction, la mue et l'hivernage des espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière.
Un régime de protection en vertu duquel une zone de protection spéciale ne bénéficie que des statuts de domaine public et de réserve de chasse maritime, faute de comporter des mesures concrètes dans les domaines autres que la chasse, ne suffit pas à assurer une protection suffisante au sens desdites dispositions.
4 Les États membres sont tenus, en vertu de l'article 4, paragraphe 4, de la directive 79/409, concernant la conservation des oiseaux sauvages, de prendre les mesures appropriées pour éviter la pollution et la détérioration des habitats des espèces concernées, même à l'égard d'une zone qui n'a pas été classée en zone de protection spéciale dès lors qu'elle devait l'être au titre de la directive. Il s'ensuit que toute violation de cette disposition présuppose que la zone concernée relève des
territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation des espèces protégées, au sens de l'article 4, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive, spécifiant les critères pour procéder à un tel classement.
A cet égard, le seul fait qu'un site ait été inclus par l'État membre dans un inventaire de zones importantes pour la conservation des oiseaux ne prouve pas qu'il devait être classé en zone de protection spéciale.
Parties
Dans l'affaire C-166/97,
Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. Richard B. Wainwright, conseiller juridique principal, et Jean-Francis Pasquier, fonctionnaire national détaché auprès du service juridique de la Commission, puis par MM. Richard B. Wainwright et Olivier Couvert-Castéra, fonctionnaire national détaché auprès du service juridique de la Commission, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner,
Kirchberg,
partie requérante,
contre
République française, représentée par Mme Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Romain Nadal, secrétaire adjoint des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,
partie défenderesse,
ayant pour objet de faire constater que, en ne prenant ni les mesures de conservation spéciale pour les habitats d'oiseaux dans l'estuaire de la Seine ni les mesures appropriées pour éviter la détérioration de ces habitats, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1),
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. J.-P. Puissochet, président de chambre, P. Jann, C. Gulmann (rapporteur), L. Sevón et M. Wathelet, juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 15 octobre 1998,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 10 décembre 1998,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 30 avril 1997, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en ne prenant ni les mesures de conservation spéciale pour les habitats d'oiseaux dans l'estuaire de la Seine ni les mesures appropriées pour éviter la détérioration de ces habitats, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de la directive 79/409/CEE du
Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1, ci-après la «directive oiseaux»).
2 L'article 4 de cette directive dispose:
«1. Les espèces mentionnées à l'annexe I font l'objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d'assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.
A cet égard, il est tenu compte: a) des espèces menacées de disparition;
b) des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats;
c) des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte;
d) d'autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.
Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.
Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces dernières dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive.
2. Les États membres prennent des mesures similaires à l'égard des espèces migratrices non visées à l'annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d'hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. A cette fin, les États membres attachent une importance particulière à la protection des zones humides et tout
particulièrement de celles d'importance internationale.
3. ...
4. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2 la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu'elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s'efforcent également d'éviter la pollution ou la détérioration des habitats.»
3 La directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7, ci-après la «directive habitats»), prévoit, en son article 7, que les obligations découlant de son article 6, paragraphes 2, 3 et 4, «se substituent aux obligations découlant de l'article 4 paragraphe 4 première phrase de la directive 79/409/CEE en ce qui concerne les zones classées en vertu de l'article 4 paragraphe 1 ou reconnues d'une
manière similaire en vertu de l'article 4 paragraphe 2 de ladite directive à partir de la date de mise en application de la présente directive ou de la date de la classification ou de la reconnaissance par un État membre en vertu de la directive 79/409/CEE si cette dernière date est postérieure».
4 L'article 6, paragraphe 3 et 4, de la directive habitats dispose:
«3. Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d'affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d'autres plans et projets, fait l'objet d'une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l'évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur
accord sur ce plan ou projet qu'après s'être assurées qu'il ne portera pas atteinte à l'intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l'avis du public.
4. Si, en dépit de conclusions négatives de l'évaluation des incidences sur le site et en l'absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l'État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L'État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.
Lorsque le site concerné est un site abritant un type d'habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l'homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ou, après avis de la Commission, à d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur.»
5 Selon l'article 23, paragraphe 1, de la directive habitats, les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive dans un délai de deux ans à compter de sa notification. Cette directive ayant été notifiée en juin 1992, ledit délai a expiré en juin 1994.
6 Le 23 décembre 1992, la Commission a adressé au gouvernement français une lettre de mise en demeure pour inobservation, notamment, de la directive oiseaux, relativement à l'estuaire de la Seine. La Commission y considérait que la zone de protection spéciale (ci-après la «ZPS») créée en 1990 avait une superficie insuffisante pour répondre aux exigences ornithologiques et que le statut de protection de cette ZPS, défini par la convention conclue le 11 avril 1985 entre le ministère de l'Environnement
et les ports autonomes du Havre et de Rouen (ci-après la «convention»), n'était pas satisfaisant. La Commission indiquait, en outre, que l'aménagement d'un dépôt de titanogypse en bordure de la ZPS était incompatible avec la directive oiseaux.
7 Tout en reconnaissant la grande valeur biologique de l'estuaire de la Seine, le gouvernement français a répondu, le 18 novembre 1993, qu'il considérait que le statut de protection en vigueur était suffisant pour garantir le respect de l'engagement de conservation des habitats d'oiseaux pris lors de la création de la ZPS. Il a contesté que le dépôt de titanogypse puisse constituer une infraction à la directive oiseaux puisque celui-ci se situait à l'extérieur de la ZPS.
8 Estimant que ces explications étaient insuffisantes, la Commission a, le 3 juillet 1995, adressé à la République française un avis motivé par lequel, d'une part, elle constatait que, en ne prenant ni les mesures de conservation spéciale pour les habitats d'oiseaux dans l'estuaire de la Seine ni les mesures appropriées pour éviter la détérioration de ces habitats, cet État membre avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de la directive oiseaux, et, d'autre part, elle
l'invitait à prendre, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, les mesures requises pour se conformer à cet avis motivé.
9 Par lettre du 19 octobre 1995, le gouvernement français a notamment répondu que, la convention n'étant qu'une disposition transitoire, il était envisagé d'adopter d'abord un décret portant création d'une réserve naturelle qui permettrait d'assurer à court terme et de manière pérenne la protection des zones les plus sensibles de l'estuaire et de prendre, ensuite, d'autres mesures visant à sauvegarder de manière efficace le patrimoine naturel de l'estuaire.
Sur le fond
10 La Commission fait grief à la République française, en premier lieu, de ne pas avoir classé en ZPS une superficie suffisante dans l'estuaire de la Seine, en deuxième lieu, de ne pas avoir conféré à la ZPS classée en 1990 un statut juridique permettant d'atteindre les objectifs de conservation poursuivis par la directive oiseaux et, en troisième lieu, de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour éviter la détérioration de l'estuaire de la Seine en laissant s'implanter une usine de titanogypse
qui compromet les conditions de vie des oiseaux dans cet habitat.
Sur l'étendue de la ZPS
11 La Commission indique que l'estuaire de la Seine est l'une des zones humides les plus importantes du littoral français sur le plan ornithologique et constitue un site particulièrement fréquenté par de très nombreuses espèces figurant à l'annexe I de la directive oiseaux ainsi que par des espèces migratrices. La création en 1990 par la République française d'une ZPS d'une superficie de 2 750 hectares ne satisferait pas aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4, paragraphes 1 et 2,
de la directive oiseaux. En effet, 21 900 hectares de l'estuaire de la Seine auraient été reconnus en 1994 par les autorités françaises, en raison de leur intérêt ornithologique scientifiquement prouvé, comme constituant une zone importante pour la conservation des oiseaux (ci-après la «ZICO»). En outre, 7 800 hectares de cet estuaire figureraient dans l'inventaire ornithologique européen intitulé «Important Bird Areas in Europe» et publié en 1989.
12 Le gouvernement français reconnaît que, à la date d'expiration du délai qui lui avait été imparti pour se mettre en conformité avec l'avis motivé, la superficie de 2 750 hectares classée en ZPS dans l'estuaire de la Seine était insuffisante. Il précise cependant que l'élargissement de cette ZPS, qui est intervenu au mois de novembre 1997, a été retardé afin de consulter les populations locales principalement concernées et d'obtenir leur adhésion.
13 A cet égard, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l'inobservation des obligations et délais prescrits par une directive (voir, notamment, arrêts du 6 juillet 1995, Commission/Grèce, C-259/94, Rec. p. I-1947, point 5, et du 25 novembre 1998, Commission/Espagne, C-214/96, non encore publié au Recueil, point 18).
14 Par ailleurs, il est constant que l'estuaire de la Seine constitue un écosystème particulièrement important en tant qu'étape migratoire, zone d'hivernage et lieu de reproduction de nombreuses espèces d'oiseaux visées à l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux.
15 Dès lors, il y a lieu de constater que la République française n'a pas, dans le délai prescrit, classé en ZPS, au sens de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux, une superficie suffisante dans l'estuaire de la Seine. Par conséquent, le recours de la Commission doit être, sur ce point, accueilli.
Sur le statut juridique de protection de la ZPS créée en 1990
16 La Commission soutient que la République française n'a pas établi, dans l'estuaire de la Seine, un cadre juridique permettant d'assurer de manière satisfaisante l'intégrité de la ZPS créée en 1990. En particulier, le statut de protection de cette ZPS prévu par la convention ne satisferait pas aux exigences de conservation définies à l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux. Par ailleurs, aucune autre mesure visant à conférer à cette ZPS un statut juridique de protection suffisant
n'aurait été adoptée.
17 Le gouvernement français fait valoir que ladite convention a, en l'occurrence, permis de protéger efficacement ladite ZPS qui, du reste, appartient au domaine public. Au surplus, un territoire d'une superficie de 7 800 hectares incluant cette ZPS bénéficierait depuis 1973 du statut de réserve de chasse maritime, y interdisant, par conséquent, toute activité de chasse. En outre, il existerait depuis 1974, dans l'estuaire de la Seine, le parc naturel de Brotonne, ayant le statut de parc naturel
régional. Enfin, l'application de mesures de gestion de la ZPS aurait permis de respecter les obligations fixées à l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux. Dans ces conditions, cette ZPS jouirait d'un régime de protection diversifié et efficace.
18 A cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé (voir, notamment, arrêts du 3 juillet 1997, Commission/France, C-60/96, Rec. p. I-3827, point 15, et du 19 mai 1998, Commission/Pays-Bas, C-3/96, Rec. p. I-3031, point 36).
19 Or, il est constant que la convention ayant été conclue pour une période de dix ans et n'ayant pas été reconduite, elle a expiré le 11 avril 1995. Par conséquent, elle n'était plus en vigueur le 3 septembre suivant, terme du délai de deux mois fixé dans l'avis motivé.
20 Dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner si le statut de protection de la ZPS prévu par la convention satisfait aux exigences de conservation définies à l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux.
21 S'agissant des autres mesures visant, selon le gouvernement français, à attribuer à la ZPS un statut de protection suffisant, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux impose aux États membres de conférer aux ZPS un statut juridique de protection susceptible d'assurer, notamment, la survie et la reproduction des espèces d'oiseaux mentionnées à l'annexe I de celle-ci, ainsi que la reproduction, la mue et l'hivernage des
espèces migratrices non visées à l'annexe I dont la venue est régulière (voir, en ce sens, arrêt du 2 août 1993, Commission/Espagne, C-355/90, Rec. p. I-4221, points 28 à 32).
22 A cet égard, il convient de rappeler que, la Commission ayant, dans l'avis motivé, fait grief à la République française de ne pas s'être conformée aux exigences de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux en se limitant à soumettre la ZPS créée en 1990 au régime de protection prévu par la convention, le gouvernement français lui a, par lettre du 19 octobre 1995, répondu que cette convention n'étant qu'une disposition transitoire, il était envisagé d'adopter d'abord un décret
portant création d'une réserve naturelle qui permettrait d'assurer à court terme et de manière durable la protection des zones les plus sensibles de l'estuaire et de prendre, ensuite, d'autres mesures visant à sauvegarder de manière efficace le patrimoine naturel de l'estuaire, ce afin de respecter les exigences visées à l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux.
23 Quant au parc naturel de Brotonne dont il est fait mention au point 17 du présent arrêt, il n'est pas contesté que, ainsi que l'a indiqué la Commission, il ne couvre pas la ZPS créée en 1990, mais seulement les zones de l'estuaire de la Seine classées en ZPS au mois de novembre 1997.
24 Il résulte de ce qui précède que, au terme du délai fixé dans l'avis motivé, la ZPS créée en 1990 ne bénéficiait que des statuts de domaine public et de réserve de chasse maritime.
25 Or, en l'occurrence, un tel régime, faute de comporter des mesures concrètes dans les domaines autres que la chasse, ne suffit pas à assurer une protection suffisante au sens de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux.
26 Par conséquent, c'est à bon droit que la Commission a fait grief à la République française de ne pas avoir adopté de mesures conférant à cette ZPS un statut juridique de protection suffisant au regard de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux. Dès lors, le recours de la Commission doit également être accueilli sur ce point.
Sur l'usine de titanogypse au Hode
27 La Commission indique que cette usine et ses dépendances ainsi que la route d'accès à ce site ont été construites dans des prairies humides qui sont comprises dans la ZICO mentionnée au point 11 du présent arrêt et qui présentent un grand intérêt pour le stationnement, le nourrissage et la reproduction de nombreuses espèces menacées et d'espèces migratrices d'oiseaux sauvages. Selon la Commission, ces terrains auraient par conséquent dû être inclus dans la ZPS de l'estuaire de la Seine,
conformément à l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux. Ainsi, les nuisances occasionnées par l'ensemble de ces installations seraient incompatibles avec les exigences de conservation prévues à l'article 4, paragraphe 4, première phrase, de ladite directive.
28 La Commission soutient que, à supposer même que, en raison du fait que ces installations sont situées à l'extérieur de la ZPS, leurs effets ne puissent être examinés au regard de cette disposition, il conviendrait de constater le manquement de la République française à ses obligations résultant de l'article 4, paragraphe 4, seconde phrase, de la directive oiseaux. En effet, cette dernière disposition ferait obligation aux États membres de prendre toutes les mesures raisonnables destinées à éviter
des détériorations irrémédiables, de manière à préserver la possibilité d'un classement ultérieur du site en ZPS et à répondre aux objectifs de conservation du site découlant de l'article 4 de la directive oiseaux. Dès lors, la République française aurait dû choisir l'emplacement qui aurait entraîné le moins de nuisances au regard des objectifs de conservation de la ZPS, à savoir, notamment, la zone située à l'ouest des prairies humides, laquelle ne revêtirait pas d'intérêt du point de vue
ornithologique.
29 La Commission indique, au surplus, que l'usine de titanogypse n'a pas fait l'objet d'une évaluation des incidences du projet sur le site, conformément à l'article 6, paragraphe 3, de la directive habitats. En outre, cette usine ne saurait être justifiée par des raisons impératives d'intérêt public majeur au sens de l'article 6, paragraphe 4, de cette directive. En effet, dans le cas d'espèce, les conditions d'application de cette disposition feraient défaut en raison de l'absence d'un intérêt
public majeur et de mesures de compensation ainsi que de l'existence de solutions alternatives.
30 Le gouvernement français fait d'abord valoir que le projet d'implantation de l'usine de titanogypse a fait l'objet de deux études d'impact, menées en 1991 et 1993, dont la seconde concluait à l'absence de détérioration significative de l'habitat des espèces concernées. Cette conclusion aurait d'ailleurs été confirmée par un commissaire enquêteur indépendant, à la suite d'une enquête publique, diligentée entre les mois de décembre 1994 et janvier 1995, sur le fonctionnement de ladite installation.
31 Par ailleurs, le seul fait que le site de l'usine de titanogypse était inclus dans l'une des ZICO recensées par les autorités françaises ne permettrait pas d'en déduire une obligation de le classer en ZPS. En effet, les terrains classés en ZICO n'auraient pas tous la même valeur ornithologique au regard des obligations de la directive oiseaux. Ainsi, il résulterait de l'étude de la direction régionale de l'environnement (ci-après la «Diren») que le site choisi pour l'installation de l'usine ne
serait pas parmi les plus intéressants de l'estuaire de la Seine pour la conservation de la biodiversité. Le gouvernement français relève que, en toute hypothèse, la Commission n'a pas produit d'éléments de preuve scientifiques démontrant que ce site aurait dû être classé.
32 Le gouvernement français prétend également que le stockage du gypse de synthèse effectué à l'usine du Hode n'est pas contraire aux exigences de conservation de l'article 4 de la directive oiseaux, étant donné que ce produit n'est pas écotoxique, que son stockage jusqu'à une hauteur de 25 mètres n'est pas de nature à perturber le comportement migratoire des oiseaux, que les rejets en Seine sont faiblement polluants et que la mise en service de ladite usine n'a accru le trafic routier que de 2,3 %.
33 Enfin, d'importantes mesures auraient été prises pour éviter toute dégradation des habitats et des espèces présents sur le site.
34 S'agissant de la prétendue violation de l'article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive habitats, il convient de rappeler que, ainsi qu'il a été constaté au point 3 du présent arrêt, les obligations visées par ces dispositions se substituent, à partir d'une certaine date, aux obligations découlant de l'article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive oiseaux.
35 Il ressort du dossier que la construction de l'usine a commencé avant l'adoption de la directive habitats.
36 Or, à supposer même que, en demandant à la Cour de constater que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de la directive oiseaux, la Commission ait visé également l'article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive habitats, il est indispensable, aux fins de délimiter l'étendue de ce grief, de déterminer exactement la date à partir de laquelle la Commission considère que le comportement des autorités françaises a été contraire aux obligations
découlant de l'article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive habitats.
37 La requête ne contenant aucune précision à cet égard, le grief tiré de la violation de l'article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive habitats doit être écarté.
38 En ce qui concerne la prétendue violation de l'article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive oiseaux, dans sa version originale, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les États membres doivent respecter les obligations qui découlent notamment de cette disposition, même lorsque la zone concernée n'a pas été classée en ZPS dès lors qu'elle devait l'être (voir arrêt du 2 août 1993, Commission/Espagne, précité, point 22).
39 Il s'ensuit que toute violation de l'article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive oiseaux présuppose que la zone concernée relève des territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation des espèces protégées, au sens de son paragraphe 1, quatrième alinéa.
40 Selon une jurisprudence constante, il incombe à la Commission, dans le cadre d'une procédure en manquement en vertu de l'article 169 du traité, d'établir l'existence du manquement allégué et d'apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l'existence de ce manquement (voir, notamment, arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas, 96/81, Rec. p. 1791, point 6, et du 23 octobre 1997, Commission/Pays-Bas, C-157/94, Rec. p. I-5699, point 59).
41 Il y a donc lieu d'examiner d'abord si la Commission a rapporté la preuve que le site sur lequel sont implantées l'usine et ses dépendances remplissait la condition énoncée au point 39 du présent arrêt.
42 A cet égard, force est de constater que le seul fait que le site en cause a été inclus dans l'inventaire ZICO ne prouve pas qu'il devait être classé en ZPS. En effet, ainsi que l'a souligné le gouvernement français, sans être contredit par la Commission, cet inventaire constitue seulement un premier repérage des richesses ornithologiques et comprend des zones présentant une ample variété de milieux et parfois une présence humaine, qui n'ont pas toutes une valeur ornithologique telle qu'elles
doivent être considérées comme étant les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation des espèces.
43 S'agissant de l'argument de la Commission selon lequel le site en cause était constitué de prairies humides présentant un grand intérêt pour le stationnement, le nourrissage et la reproduction de nombreuses espèces protégées, il ressort du dossier que l'usine est située dans une zone de nidification ou de nourrissage préférentielle de plusieurs espèces inscrites à l'annexe I de la directive oiseaux. Cette zone est, toutefois, bien plus étendue que le site en cause.
44 Selon l'étude du muséum national d'histoire naturelle citée par le gouvernement français, sur laquelle s'est fondée l'étude d'impact menée en 1993, et dont les conclusions n'ont pas été contestées par la Commission, aucune des espèces les plus rares de la région n'aurait à pâtir directement du projet concernant l'installation de traitement du titanogypse, bien que la disparition de 35 hectares de prairies constitue une perte d'habitat réelle pour l'avifaune qui s'y reproduisait.
45 Il est vrai qu'une étude publiée par la Diren en avril 1995 a conclu que la partie du complexe estuarien objet de l'étude aurait mérité, compte tenu en particulier de son importance pour l'avifaune, d'être classée en réserve naturelle.
46 Cependant, l'étude de la Diren, bien que publiée à une époque où l'installation de traitement du titanogypse avait été achevée et bien que couvrant le site d'implantation de celle-ci, n'a pas pris en compte spécifiquement ce site.
47 Dès lors, eu égard aux différents éléments de preuve appréciés dans leur ensemble, il n'apparaît pas que la Commission ait démontré à suffisance de droit que le site en cause relevait des territoires les plus appropriés à la conservation des espèces protégées.
48 Pour ce qui est de la prétendue violation de l'article 4, paragraphe 4, seconde phrase, de la directive oiseaux, il importe de constater que, en tout état de cause, la Commission n'a pas démontré que la République française ne s'est pas efforcée d'éviter la pollution ou la détérioration de l'habitat dans lequel a été réalisée l'installation de traitement du titanogypse.
49 En effet, s'agissant de la pollution, la Commission a reconnu que cette installation n'avait pas eu d'effets significatifs. Pour ce qui concerne la détérioration de l'habitat, le gouvernement français avait déjà indiqué, lors de la phase précontentieuse, que le choix du site d'implantation avait été arrêté après que les différentes localisations possibles du stockage de titanogypse eurent été soigneusement examinées, puis longuement discutées avec les partenaires locaux, notamment les protecteurs
des oiseaux. Or, la Commission s'est contentée de prétendre que la République française aurait dû choisir, pour l'installation en cause, l'emplacement qui aurait entraîné le moins de nuisances au regard des objectifs de conservation de la ZPS, à savoir, notamment, la zone située à l'ouest des prairies humides, laquelle ne revêtirait pas d'intérêt du point de vue ornithologique. A cet égard, il convient, du reste, de rappeler que le grief soutenu dans la requête, tiré de l'article 4, paragraphe 4,
seconde phrase, de la directive oiseaux, n'a pas été repris et examiné par la Commission dans la suite de la procédure devant la Cour.
50 Il s'ensuit que le grief tiré de la violation de l'article 4, paragraphe 4, de la directive oiseaux doit être rejeté.
51 Au vu de ce qui précède, il convient de constater que, en omettant de classer en ZPS une superficie suffisante dans l'estuaire de la Seine et d'adopter des mesures visant à conférer à la ZPS classée un statut juridique suffisant, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive oiseaux.
52 Il y a lieu de rejeter le recours pour le surplus.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
53 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon l'article 69, paragraphe 3, premier alinéa, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission n'ayant eu gain de cause que sur une partie de ses conclusions, il y a lieu de compenser les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) En omettant de classer en zone de protection spéciale une superficie suffisante dans l'estuaire de la Seine et d'adopter des mesures visant à conférer à la zone de protection spéciale classée un statut juridique suffisant, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Chacune des parties supportera ses propres dépens.