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16/12/1997 | CJUE | N°C-230/96

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 16 décembre 1997., Cabour SA et Nord Distribution Automobile SA contre Arnor "SOCO" SARL, en présence d'Automobiles Peugeot SA et Automobiles Citroën SA., 16/12/1997, C-230/96


Avis juridique important

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61996C0230

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 16 décembre 1997. - Cabour SA et Nord Distribution Automobile SA contre Arnor "SOCO" SARL, en présence d'Automobiles Peugeot SA et Automobiles Citroën SA. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Douai - France

. - Concurrence - Distribution d'automobiles - Validité du contrat de conc...

Avis juridique important

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61996C0230

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 16 décembre 1997. - Cabour SA et Nord Distribution Automobile SA contre Arnor "SOCO" SARL, en présence d'Automobiles Peugeot SA et Automobiles Citroën SA. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Douai - France. - Concurrence - Distribution d'automobiles - Validité du contrat de concession exclusive - Article 85, paragraphes 1 et 3, du traité CE - Règlement (CEE) nº 123/85 - Règlement (CE) nº 1475/95. - Affaire C-230/96.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-02055

Conclusions de l'avocat général

1 Les questions préjudicielles posées par la cour d'appel de Douai portent sur l'interprétation de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE, ainsi que sur certaines dispositions du règlement (CEE) n_ 123/85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (1), et du règlement (CE) n_ 1475/95 (2) de la Commission, du 28 juin 1995, qui
a abrogé et remplacé, à partir du 1er octobre 1995, le règlement n_ 123/95.

Plus précisément, le juge national demande à la Cour si les contrats de concession exclusive concernant la distribution sur le territoire français des automobiles Peugeot et Citroën sont conformes à certaines dispositions des règlements précités d'exemption par catégorie; et ce afin de se prononcer sur l'action en concurrence déloyale introduite contre un revendeur hors réseau par deux concessionnaires agréés. A la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation française et du droit national
applicable, en effet, une telle action n'aurait aucune raison d'être dans l'hypothèse où les contrats en question seraient illégaux.

Le cadre normatif

2 Il est d'abord opportun de rappeler, pour une meilleure compréhension des motifs du renvoi et une lecture plus facile des questions posées à la Cour, les dispositions du règlement n_ 123/85 et du règlement n_ 1475/95, dont l'interprétation est demandée. Le juge de renvoi interroge en effet la Cour sur la conformité avec leurs dispositions pertinentes de certaines clauses des contrats de distribution de Peugeot et de Citroën, en particulier celles concernant la détermination des justifications
objectives qui permettent d'exclure l'obligation de non-concurrence, celles sur la portée de cette obligation de non-concurrence et celles sur les objectifs de vente assignés par le fournisseur au distributeur. Ces dispositions sont contenues dans les articles 3, point 3, 4, paragraphe 1, point 3, et, enfin, 5, paragraphe 2, points 1, sous a) et b), 2 et 3 du règlement n_ 123/85 et dans les dispositions correspondantes du règlement n_ 1475/95.

3 Le règlement n_ 123/85, tout comme le règlement n_ 1475/95, exempte du respect de l'interdiction visée à l'article 85, paragraphe 1, du traité les accords par lesquels le fournisseur charge le revendeur (agréé) de promouvoir la distribution des produits contractuels dans un territoire déterminé et s'engage à lui réserver, dans le cadre de ce territoire, l'approvisionnement en véhicules et en pièces de rechange (article 1er).

Conformément à l'article 3, point 3, du règlement n_ 123/85, l'exemption accordée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité s'applique également lorsque l'engagement décrit à l'article 1er est lié à celui du distributeur «de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs concurrents des produits contractuels et de ne pas vendre, dans des exploitations commerciales dans lesquelles sont offerts des produits contractuels, des véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur».
L'article 4 du même règlement prévoit que l'exemption couvre aussi l'obligation du distributeur de «s'efforcer d'écouler dans une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels, que le fournisseur fixe à partir d'estimations prévisionnelles des ventes du distributeur, si les parties ne se mettent pas d'accord à ce sujet» (article 4, paragraphe 1, point 3).

Enfin, les dispositions suivantes de l'article 5 sont aussi pertinentes:

«2. Lorsque le distributeur a assumé des obligations visées à l'article 5, paragraphe 1, pour améliorer la structure de la distribution et du service de vente et d'après-vente, l'exemption de l'article 3, points 3 et 5, s'applique aux engagements de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs autres que ceux de la gamme visée par l'accord, ou à ne pas en faire l'objet d'un accord de distribution et de service de vente et d'après-vente, à condition:

1) que les parties:

a) conviennent que le fournisseur consente à libérer le distributeur des obligations visées à l'article 3, points 3 et 5, si le distributeur démontre l'existence de justifications objectives;

b) ne conviennent au profit du fournisseur une réserve de ne conclure des accords de distribution et de service portant sur des produits contractuels avec d'autres entreprises déterminées exerçant leur activité à l'intérieur du territoire convenu, ou de modifier le territoire convenu, que dans le cas où le fournisseur démontre l'existence de justifications objectives;

2) que la durée de l'accord soit d'au moins quatre ans ou que le délai de résiliation ordinaire de l'accord conclu pour une période indéterminée soit d'au moins un an pour les deux parties, à moins:

- que le fournisseur soit tenu de verser une indemnité appropriée en vertu de la loi ou d'une convention particulière, s'il est mis fin à l'accord,

ou

- qu'il s'agisse de l'entrée du distributeur dans le réseau et de la première durée convenue de l'accord ou de la première possibilité de résiliation ordinaire;

3) que chaque partie s'engage à informer l'autre au moins six mois avant la cessation de l'accord qu'elle ne désire pas proroger un accord conclu pour une période déterminée.

3. Une partie ne peut opposer des justifications objectives déterminées au sens du présent article, qui auront été précisées en détail lors de la conclusion de l'accord, que si elles sont appliquées sans discrimination dans des cas comparables à des entreprises du réseau de distribution.»

4 Les dispositions pertinentes du règlement n_ 1475/95, entré en vigueur le 1er octobre 1995, s'écartent de manière plus ou moins significative de celles que nous venons de rappeler.

En application de l'article 3, point 3, de ce règlement, en effet, l'exemption continue à s'appliquer à l'obligation de ne pas vendre de véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur dans les mêmes locaux commerciaux, mais il est précisé que la vente de véhicules neufs d'une autre marque est autorisée si elle est effectuée «dans des locaux de vente séparés soumis à une gestion distincte, sous une forme d'entité juridique distincte et de manière telle qu'une confusion de
marques soit exclue». En outre, à l'article 4, paragraphe 1, point 3, le règlement prévoit que ne fait pas obstacle à l'exemption l'obligation du distributeur de «s'efforcer d'écouler pendant une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels, fixé par les parties de commun accord ou, en cas de désaccord sur le nombre minimal de produits contractuels à écouler annuellement, par un tiers expert, en tenant compte notamment des ventes précédemment
réalisées dans ce territoire ainsi que des estimations prévisionnelles de ventes pour ce territoire et au niveau national».

Enfin, pour ce qui nous intéresse ici, l'article 5 du règlement prévoit ce qui suit:

«2. Lorsque le distributeur a assumé des obligations visées à l'article 4, paragraphe 1, pour améliorer la structure de la distribution et du service de vente et d'après-vente, l'exemption s'applique à condition que:

...

2) la durée de l'accord soit d'au moins cinq ans ou que le délai de résiliation ordinaire de l'accord conclu pour une période indéterminée soit d'au moins deux ans pour les deux parties; ce délai est réduit à un an au moins:

- lorsque le fournisseur est tenu de verser une indemnité appropriée en vertu de la loi ou d'une convention particulière, s'il est mis fin à l'accord

ou

- lorsqu'il s'agit de l'entrée du distributeur dans le réseau et de la première durée convenue de l'accord ou de la première possibilité de résiliation ordinaire;

3) chaque partie s'engage à informer l'autre au moins six mois avant la cessation de l'accord qu'elle ne désire pas proroger un accord conclu pour une période déterminée.

3. Les conditions d'exemption prévues aux paragraphes 1 et 2 ne préjugent pas:

- du droit du fournisseur de résilier l'accord moyennant un préavis d'au moins un an en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau,

- du droit d'une partie d'exercer la résiliation extraordinaire de l'accord en raison d'un manquement de l'autre partie à une de ses obligations essentielles.

Dans chaque cas, les parties doivent, en cas de désaccord, accepter un système de règlement rapide du litige, tel le recours à un tiers expert ou à un arbitre, sans préjudice du droit des parties de saisir le tribunal compétent conformément aux dispositions du droit national applicable.»

Les faits et les questions préjudicielles

5 La société Cabour Sa (ci-après «Cabour») et la société Nord Distribution Automobile SA (ci-après «Nord Distribution»), concessionnaires exclusives à Douai respectivement de Citroën et de Peugeot, ont assigné devant le tribunal de commerce de Douai la société Arnor «SOCO» SARL (ci-après «Arnor»), revendeur hors réseau de véhicules neufs (entre autres) des marques Citroën et Peugeot. En particulier, elles faisaient valoir - sur la base du fait que le règlement n_ 123/85 aurait comme effet
d'interdire les activités de revente de véhicules automobiles en dehors du réseau de distribution - que l'activité d'Arnor constituait une concurrence déloyale. Cabour et Nord Distribution demandaient donc au tribunal saisi d'interdire à Arnor de poursuivre son activité et de la condamner à leur verser des dommages et intérêts.

Le tribunal a, par jugement du 16 juin 1994, débouté les requérantes, au motif, d'une part, que les contrats de concession exclusive Peugeot et Citroën ne pouvaient pas bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n_ 123/85 et qu'ils étaient donc inopposables à Arnor et, d'autre part, que cette dernière ne pouvait pas avoir violé lesdits contrats, étant donné qu'elle s'était approvisionnée régulièrement.

6 Cabour et Nord Distribution ont fait appel de ce jugement, en soutenant qu'Arnor se comporte comme un revendeur, dans la mesure où elle stocke et met en vente des véhicules neufs sur le territoire exclusif des concessionnaires Peugeot et Citroën de Douai et qu'il en résulte une concurrence déloyale et une captation de clientèle à leur égard. Pour ce qui nous intéresse ici, elles ont souligné que, s'il est vrai que la réglementation communautaire pertinente se limite à autoriser les réseaux de
distribution exclusive, sans pour autant impliquer l'illégalité des ventes hors réseau, il n'en reste pas moins que le droit national conserve pleinement la possibilité de sanctionner l'activité des revendeurs non agréés en vertu des dispositions sur la concurrence déloyale et de la jurisprudence de la Cour de cassation française.

Dans cette optique, Cabour et Nord Distribution ont fait valoir, en particulier, qu'Arnor aurait admis s'approvisionner auprès d'une entreprise de location de véhicules, ce qui démontrerait le caractère illicite de l'approvisionnement, les véhicules vendus par un concessionnaire pour les besoins d'un loueur de véhicules étant ainsi détournés de leur destination. Et c'est précisément sur cette base qu'elles ont demandé au juge saisi, d'une part, de déclarer qu'Arnor, en s'approvisionnant en véhicules
neufs de façon non «régulière», exerce une activité constituant une concurrence déloyale à l'égard des revendeurs agréés et, d'autre part, de condamner par conséquent Arnor à réparer le préjudice qu'elles ont subi.

7 Arnor, pour sa part, a soutenu: a) avoir toujours affirmé être un simple revendeur, de sorte qu'il ne peut y avoir aucun risque de confusion avec les intermédiaires mandatés par écrit, et encore moins avec les concessionnaires agréés; b) que ces derniers n'ont pas prouvé la licéité du réseau de distribution qui serait concurrencé de façon déloyale; c) que les contrats de concession en question contiennent des clauses - en particulier sous l'angle des justifications objectives qui permettent
d'exclure l'obligation de non-concurrence, sur la portée de cette obligation et sur les objectifs de vente fixés au distributeur - non conformes au règlement n_ 123/85, ce qui implique qu'elles ne peuvent bénéficier d'aucune exemption; c) que ces contrats ont un effet restrictif de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et que, donc, ils ne lui sont pas opposables; d) enfin, que rien ne peut lui être reproché quant aux conditions d'approvisionnement et de commercialisation
des véhicules en question, en particulier concernant la prétendue irrégularité des approvisionnements.

Arnor a donc conclu à ce que la cour d'appel déboute les sociétés appelantes et confirme le jugement rendu le 16 juin 1994 par la juridiction de première instance.

8 Les sociétés Automobiles Peugeot SA (ci-après «Peugeot») et Automobiles Citroën SA (ci-après «Citroën»), intervenues dans le litige au principal à l'appui des conclusions de Cabour et de Nord Distribution, ont pris position, en particulier, sur la conformité avec le règlement n_ 123/85 des clauses contractuelles contestées par Arnor. A cet égard, ayant relevé que les contrats en question ont été notifiés à la Commission selon les modalités prévues par l'article 8 du règlement n_ 123/85, elles ont
soutenu que: a) le règlement n_ 123/85 n'oblige en aucune façon les cocontractants à préciser expressément dans le contrat de distribution exclusive les raisons objectives qui permettent au concessionnaire de se libérer de son obligation de non-concurrence; b) l'obligation de non-concurrence autorisée par le règlement n'est pas limitée pour les concessionnaires aux seuls véhicules concurrents des produits contractuels, mais peut s'étendre aux véhicules neufs autres que ceux de la gamme visée par
l'accord; c) la réglementation communautaire autorise l'exemption de l'interdiction prévue par l'article 85 du traité aussi pour les clauses par lesquelles le distributeur s'oblige à s'efforcer d'écouler dans une période déterminée, à l'intérieur du territoire convenu, un nombre minimal de produits contractuels.

De l'avis de Peugeot et de Citroën, en définitive, les juges de première instance ont estimé à tort que les contrats de concession en question ne bénéficient pas de l'exemption par catégorie et ne sont donc pas opposables aux tiers. En tout état de cause, elles n'ont par ailleurs pas manqué de relever qu'un éventuel conflit entre les clauses litigieuses desdits contrats et les dispositions pertinentes du règlement n_ 123/85 ne peut pas être considéré comme étant de nature à entraîner, du moins pas
en soi, la nullité des contrats en question.

9 Confronté à ces arguments, le juge national a d'abord relevé que si, comme l'a soutenu Arnor, certaines clauses des contrats de concession n'étaient pas conformes aux dispositions pertinentes du règlement n_ 123/85, il pourrait bien en résulter que ces contrats sont inopposables aux tiers, en particulier aux revendeurs hors réseau, avec pour autre conséquence que les conditions pour une action en concurrence déloyale ne seraient pas remplies. Le juge a en outre souligné que la solution du litige
présuppose - à tout le moins pour les aspects concernant la demande de réparation du préjudice subi et l'interdiction de poursuivre l'activité de revente des véhicules concernés - que les dispositions pertinentes du règlement n_ 1475/95, c'est-à-dire du règlement qui a abrogé et remplacé le règlement n_ 123/85, conduisent au même résultat. En tout cas, il resterait ensuite à vérifier, même dans l'hypothèse où l'on parviendrait à la conclusion que les clauses litigieuses ne remplissent pas les
conditions posées par les règlements d'exemption par catégorie, si un réseau de distribution fondé sur des contrats de ce type tombent ou non sous le coup de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

10 Estimant que les questions que nous venons de rappeler soulèvent de délicats problèmes de droit communautaire, la cour d'appel de Douai a donc décidé de suspendre la procédure et de poser à la Cour trois questions préjudicielles. Ces dernières sont ainsi formulées.

«1) Le règlement n_ 123/85 de la Commission des Communautés européennes du 12 décembre 1984 pris en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE, peut-il être interprété en ce sens que bénéficie de l'exemption conférée par son article premier un contrat de concession exclusive liant un constructeur d'automobiles à un concessionnaire lorsque ce contrat:

a) ne précise pas en détail les `justifications objectives' visées par l'article 5, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), et par le paragraphe 3 dudit article de ce règlement;

b) exclut, sauf démonstration de justifications objectives n'existant pas au moment de la conclusion du contrat, toute possibilité pour le concessionnaire de vendre des véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur, même dans des exploitations commerciales distinctes de celles où sont offerts des produits contractuels, cette stipulation devant être rapportée à l'interprétation des dispositions des articles 3, point 3, et 5, paragraphe 2, du règlement;

c) prévoit un objectif de vente selon lequel le concessionnaire s'engage à faire ses meilleurs efforts pour vendre au cours de chaque période annuelle une quantité de véhicules contractuels qui, à défaut d'être précisée d'accord entre les parties, est fixée par le constructeur à partir d'estimations prévisionnelles qu'il établit ou de critères qu'il détermine, et précise que si l'objectif de vente n'est pas réalisé à 90 % des 7/11 au 31 août de la période annuelle en cours et si directive 91/414/CEE
`le pourcentage de pénétration globale' des véhicules contractuels dans le territoire concédé, apprécié au 31 juillet de la période annuelle en cours, est inférieur de 15 % à 45 %, suivant la localisation de ce territoire, par rapport au pourcentage national de pénétration pour les mêmes véhicules, le constructeur peut, avec un préavis de trois ou six mois, modifier le territoire concédé et/ou retirer au concessionnaire l'exclusivité d'implantation, ou résilier le contrat de concession, ces
stipulations devant être rapportées à l'interprétation des dispositions de l'article 4, paragraphe 1, point 3, et de l'article 5, paragraphe 2, points 2 et 3, du règlement?

2) Le règlement n_ 1475/95 de la Commission des Communautés européennes du 28 juin 1995 remplaçant le règlement n_ 123/85 précité peut-il être interprété en ce sens que bénéficie de l'exemption conférée par son article premier un contrat de concession exclusive qui comporte des clauses telles que visées au I, 2) et 3) ci-dessus au regard, respectivement, des dispositions de l'article 3, point 3, et de l'article 4, paragraphe 1, point 3, du règlement n_ 1475/95 en liaison avec l'article 5, paragraphe
2, points 2 et 3 et paragraphe 3?

3) Dès lors que les règlements nos 123/85 et 1475/95 ne pourraient être interprétés comme faisant bénéficier de l'exemption qu'ils prévoient des contrats de concession tels qu'évoqués aux I et II ci-dessus, l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE doit-il être interprété en ce sens qu'un réseau de distribution exclusive d'un constructeur automobile qui reposerait, pour tout le territoire d'un État membre, sur de tels contrats de concession tomberait sous le coup de la prohibition qu'il énonce?»

11 Les questions posées à la Cour visent donc à établir si les contrats de concession Peugeot et Citroën sont conformes aux prescriptions du règlement n_ 123/85 (première question) et du règlement n_ 1475/95 (deuxième question), donc s'ils peuvent bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par ces règlements. En cas de réponse négative, il est demandé à la Cour si l'article 85, paragraphe 1, du traité doit être interprété en ce sens qu'il interdit un réseau de distribution exclusive et sélective
fondée sur des contrats tels que ceux examinés en l'espèce (troisième question).

Toutefois, avant de passer à l'examen au fond de ces questions, il est nécessaire de s'arrêter sur leur recevabilité. En effet, tant la Commission que Peugeot et Citroën ont soutenu au cours de la procédure que la Cour ne devrait pas répondre aux questions posées par le juge a quo, dans la mesure où elles sont manifestement dépourvues de pertinence par rapport à l'objet du litige au principal, donc aucunement nécessaires à la solution de celui-ci.

Sur la pertinence des questions

12 Nous rappelons d'abord que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, «il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. Le rejet d'une demande formée par une juridiction
nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal» (3).

La Cour effectue donc, pour vérifier sa compétence, un examen des conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national (4). Un tel examen, en fait seulement marginal, a jusqu'à maintenant conduit la Cour à se refuser à répondre uniquement en présence de questions «sans rapport avec l'objet du litige au principal» (5), ou «à caractère hypothétique» (6) ou encore ne répondant pas «à un besoin objectif pour la décision que le juge ... doit prendre» (7). Par contre, la Cour a jugé suffisant
de constater, pour affirmer sa compétence pour répondre à des questions dont la pertinence était contestée, qu'il résultait de l'ordonnance de renvoi, ou en tout cas que l'on pouvait en déduire, que sa réponse aurait été utile à la solution du litige au principal (8).

13 Dans le cadre d'un tel contrôle marginal sur la pertinence des questions posées, les motifs éventuellement indiqués par le juge national, dans l'ordonnance de renvoi, pour expliquer le lien entre ces questions et le litige pendant devant lui et, partant, la nécessité d'obtenir une réponse de la part de la Cour, revêtent donc une importance particulière (9).

Or, en l'espèce le juge de renvoi a indiqué clairement et sans équivoque que la solution des questions posées «peut être déterminante quant à une action en concurrence déloyale, qui prospérerait difficilement en l'absence de situation juridiquement protégée des concessionnaires à l'égard des revendeurs non agréés». Autrement dit, le juge a quo a bien précisé que les demandes de Cabour et de Nord Distribution seraient rejetées si les contrats de concession étaient illicites: et ce précisément parce
que, dans cette hypothèse, la condition essentielle pour le maintien d'une action en concurrence déloyale ferait défaut.

14 Selon Peugeot et Citroën, toutefois, les questions posées ne sont pas pertinentes par rapport au fond du litige, dans la mesure où, même si l'on parvenait à la conclusion que les clauses litigieuses des contrats en question ne sont pas couvertes par l'exemption par catégorie, elles n'en seraient pas pour autant illicites, et on pourrait encore moins en déduire la nullité des contrats en question. A l'appui de ces thèses, elles citent les arrêts Grand garage albigeois e.a. et Nissan France e.a.,
dans lesquels la Cour a précisé que «le règlement n_ 123/85 ... n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de certains types de clauses d'exclusivité et de non-concurrence, dans leurs accords de
distribution et de service de vente et d'après-vente, de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1» (10).

Elles rappellent aussi que dans ces arrêts la Cour a ajouté que «les dispositions du règlement d'exemption ne sauraient affecter les droits et obligations des tiers par rapport aux contrats conclus entre les constructeurs automobiles et leurs concessionnaires, et notamment ceux des négociants indépendants» (11). Cela impliquerait que l'activité d'Arnor ne peut pas être interdite en application du règlement n_ 123/85, mais aussi et surtout, pour ce qui nous intéresse ici, qu'une appréciation des
clauses des contrats de concession au regard du règlement d'exemption serait absolument sans pertinence aux fins de la solution de l'affaire au principal, qui devrait donc être résolue uniquement sur la base du droit et de la jurisprudence nationaux applicables.

15 La Commission soutient elle aussi la non-pertinence des questions posées en l'espèce, mais avec une argumentation en partie différente. De l'avis de la Commission, en effet, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la conformité des clauses litigieuses avec les règlements d'exemption par catégorie, dans la mesure où la Cour aurait suffisamment explicité, dans les arrêts précités Grand garage albigeois e.a. et Nissan France e.a., que le règlement n_ 123/85 - n'ayant pas pour fonction de régir
l'activité des tiers qui peuvent intervenir sur le marché en dehors du circuit des accords de distribution - «ne saurait être interprété comme interdisant à un opérateur étranger au réseau officiel de distribution d'une marque automobile déterminée et qui n'a pas la qualité d'intermédiaire mandaté au sens de ce règlement d'exercer l'activité indépendante de commercialisation de véhicules neufs de cette marque» (12).

Dans ces conditions, il n'est que trop évident, toujours selon la Commission, que la validité des contrats de concession au regard des règlements d'exemption n'a aucune incidence sur la licéité de l'activité de revente exercée par Arnor, en particulier en ce qui concerne la «régularité» de l'approvisionnement. Il suffirait donc au juge national, pour résoudre le litige pendant devant lui, de tirer toutes les conséquences découlant de la jurisprudence selon laquelle le règlement n_ 123/85 n'interdit
pas l'activité de revendeurs étrangers au réseau et non munis d'un mandat écrit. Le juge a donc inutilement étendu la portée du litige, en posant à la Cour des questions sans pertinence pour apprécier le bien-fondé d'une action en concurrence déloyale.

16 Compte tenu, en particulier, des motifs indiqués par le juge a quo pour expliquer la nécessité d'une réponse de la Cour aux questions qu'il a posées, ainsi que des considérations déjà développées à cet égard, il nous semble que les arguments que nous venons de rapporter sont déjà à première vue dénués de pertinence pour soutenir ... l'absence de pertinence des questions qui font l'objet de la présente procédure. Nous estimons donc suffisant de nous limiter, sur ce point, à quelques remarques
ponctuelles.

Tout d'abord, il est incontesté et incontestable que l'éventuelle non-conformité des clauses litigieuses par rapport aux règlements d'exemption n'est pas de nature à entraîner leur illicéité, et encore moins la nullité des contrats. Un tel argument n'a toutefois pas de raison d'être. A ce sujet, il suffit en effet de relever que c'est précisément en raison du fait qu'il le savait que le juge a quo a posé à la Cour, pour l'hypothèse où cette dernière se prononcerait en ce sens que les clauses
litigieuses ne sont pas couvertes par l'exemption par catégorie, une question spécifique et précise destinée à établir si un réseau de distribution fondé sur des contrats contenant de telles clauses relève ou non de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

17 De même, il résulte de l'ordonnance de renvoi que le juge a quo connaît bien la jurisprudence de la Cour selon laquelle le règlement d'exemption par catégorie ne peut être interprété en ce sens qu'il interdit l'activité de revendeurs étrangers au réseau et non munis d'un mandat écrit de la part des consommateurs finals, étant donné que ce règlement ne régit pas les rapports avec les tiers mais seulement ceux entre fournisseurs et distributeurs officiels de leur réseau. Une telle circonstance
n'implique, toutefois, aucunement qu'une réponse aux questions qui font l'objet de la présente procédure ne serait pas pertinente aux fins de la solution du litige au principal.

En réalité, comme cela a été expressément indiqué, le juge national désire établir si les contrats de concession Peugeot et Citroën sont interdits par l'article 85, paragraphe 1, du traité, puisque dans cette hypothèse l'action en concurrence déloyale serait dépourvue de tout fondement et, donc, les demandes de Cabour et de Nord Distribution devraient certainement être rejetées. En d'autres termes, le juge national ne demande pas à la Cour si les contrats de concession sont opposables ou non à Arnor
sur la base du droit communautaire, sachant bien qu'aucun principe d'opposabilité ou d'inopposabilité desdits contrats, compte tenu de la jurisprudence de la Cour en la matière, ne découle des règlements d'exemption par catégorie (13). Toutefois, l'éventuelle nullité de ces contrats, en application de l'article 85, paragraphe 2, du traité, impliquerait bien leur inopposabilité aux tiers (14) et, en tout cas, réduirait à néant le droit qui peut être protégé par une action en concurrence déloyale.

18 En définitive, nous estimons que l'on ne peut pas ne pas reconnaître qu'une réponse aux questions en objet est certainement nécessaire et utile, au moins pour permettre au juge national d'établir si l'action en concurrence déloyale doit ou non être maintenue. Par ailleurs, s'il est vrai, comme le soutiennent Peugeot et Citroën, que la question doit être résolue sur la base de la jurisprudence et de la législation nationales, il faut aussi admettre que c'est précisément ce que le juge national
entend faire.

A cet égard, il n'est en effet pas superflu de rappeler que, sur la base de la jurisprudence de la Cour de cassation française, l'approvisionnement d'un revendeur non agréé est illicite et constitue une concurrence déloyale lorsque ce revendeur convainc le distributeur agréé de l'approvisionner en violation des règles de concurrence qui régissent le réseau de distribution, ou lorsque le revendeur crée un véritable réseau parallèle avec d'autres sociétés qui masquent l'identité du fournisseur
d'origine (15). A cela s'ajoute le fait que l'article 14 de la loi n_ 96/588, du 1er juillet 1996, relative à la loyauté et à l'équilibre des relations commerciales - loi entrée en vigueur postérieurement aux faits de la cause et qui reprend la jurisprudence que nous venons de citer - prévoit qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, industriel ou artisan, «de participer directement ou indirectement à la violation de
l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective et/ou exclusive exempté au titre des règles applicables au droit de la concurrence».

19 Dans ces conditions, il est plus qu'évident que c'est justement en considération du réseau de distribution exclusive et sélective que la législation nationale pertinente et, plus encore, la jurisprudence de la Cour de cassation finissent par qualifier d'«illicite» l'approvisionnement en véhicules neufs de la part de revendeurs non agréés et non munis d'un mandat écrit au sens du règlement. La conséquence, tout aussi évidente, d'un tel état de fait est que seule la nullité des contrats en question
enlève tout objet à l'action en concurrence déloyale intentée contre des revendeurs non agréés. Dans cette perspective et dans ces termes, les questions posées à la Cour doivent donc être considérées comme étant pertinentes aux fins de la solution du litige.

Nous estimons donc, en définitive, qu'il serait pour le moins exagéré de soutenir que les questions posées par la cour d'appel de Douai sont manifestement dénuées de tout lien avec l'objet de l'affaire au principal ou objectivement non nécessaires à la solution du litige. Nous passons par conséquent à l'examen des questions posées par le juge national.

Sur la première question

20 Par la première question, nous le rappelons, le juge de renvoi demande si les clauses des contrats Peugeot et Citroën, relatives à la fixation des justifications objectives qui permettent d'exclure l'obligation de non-concurrence, ainsi qu'à la portée de cette obligation et à la fixation d'objectifs de vente, sont conformes aux dispositions du règlement n_ 123/85, donc si elles bénéficient de l'exemption par catégorie.

- Les justifications objectives

21 Il s'agit ici d'établir si le fait que les contrats de concession exclusive Peugeot et Citroën ne fixent pas en détail les raisons objectives qui permettent d'exclure l'obligation de non-concurrence est de nature à ne pas remplir les conditions requises par le règlement n_ 123/85 pour obtenir l'exemption. Telle est d'ailleurs la thèse soutenue par Arnor et faite sienne par le juge national de première instance.

22 Or, nous rappelons tout d'abord que, conformément à l'article 5, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), l'exemption de l'engagement de ne pas vendre de véhicules neufs autres que ceux de la gamme contractuelle et de ne pas conclure à leur sujet des accords de distribution et de service à la clientèle est subordonnée à la condition que les parties prévoient la possibilité d'exclure cette obligation en présence de motifs justifiés. Les dispositions en question se limitent donc à poser le principe
selon lequel les parties doivent prévoir dans leur contrat la possibilité de libérer de l'obligation de non-concurrence en présence de justifications objectives.

Dans cette optique, il suffit donc, aux fins de l'exemption, que le fournisseur ou le distributeur puissent invoquer, dans la situation particulière visée, des justifications objectives, sans qu'il soit nécessaire de les spécifier a priori lors de la conclusion du contrat.

23 Nous observons en outre qu'une conclusion différente ne semble pas pouvoir être déduite du fait que l'article 5, paragraphe 3, prévoit que les justifications objectives «qui auront été précisées en détail lors de la conclusion de l'accord» ne peuvent être invoquées que si elles sont appliquées sans discrimination aux entreprises appartenant au même réseau de distribution. En effet, une telle disposition pourrait bien être interprétée en ce sens que les justifications objectives éventuellement
fixées lors de la conclusion de l'accord ne pourraient être invoquées que si elles sont appliquées dans des cas comparables sans discrimination. En tout cas, cette disposition ne peut pas ne pas être lue à la lumière et en fonction des dispositions rappelées plus haut et dont il résulte avec une extrême clarté qu'il suffit, aux fins de l'exemption, que les parties prévoient la possibilité d'exclure l'obligation de non-concurrence en présence de justifications objectives.

A cet égard, il n'est pas superflu d'ajouter, enfin, qu'il pourrait bien se révéler contraire à l'objectif poursuivi par les dispositions en question et, de manière plus générale, par le règlement d'exemption globalement considéré, de prévoir de manière «statique» les raisons objectives qui permettent aux parties de se libérer de l'obligation de non-concurrence. En effet, tout en reconnaissant que cette disposition aurait le mérite de faciliter la solution d'éventuels litiges en la matière, il n'en
reste pas moins qu'elle serait de nature à ne pas permettre la prise en considération de motifs objectifs susceptibles de se présenter dans des situations particulières, non envisagées au moment de la conclusion de l'accord. Dans cette optique, il ne fait aucun doute, à notre avis, que ce qui importe est l'obligation d'insérer dans le contrat de concession une clause qui prévoit expressément la possibilité d'exclure l'obligation de non-concurrence sur la base de motifs justifiés, tandis qu'il n'est
aucunement indispensable que le contrat contienne, à cette fin, une liste exhaustive des justifications susceptibles d'être invoquées.

24 En définitive, nous estimons que le fait qu'un contrat de concession exclusive se limite à prévoir que les parties peuvent invoquer, pour se libérer de l'obligation de non-concurrence, des justifications objectives, sans toutefois les fixer en détail, n'est pas contraire aux dispositions pertinentes du règlement n_ 123/85.

- L'obligation de non-concurrence

25 L'article 3, point 3, nous le rappelons, permet d'imposer au distributeur «de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs concurrents des produits contractuels», ainsi que «de ne pas vendre dans des exploitations commerciales dans lesquelles sont offerts des produits contractuels, des véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur». Une telle disposition implique donc, a contrario, que ne bénéficie pas de l'exemption l'obligation éventuellement imposée au concessionnaire
de ne pas vendre de véhicules neufs offerts par des personnes autres que le constructeur, lorsqu'elle concerne aussi la vente dans des locaux commerciaux autres que ceux dans lesquels sont offerts les produits contractuels.

Les clauses pertinentes des contrats Peugeot et Citroën, sur la base desquelles il est interdit au distributeur de vendre des véhicules neufs d'autres marques, sauf en présence de justifications objectives, ne peuvent donc pas être considérées comme étant couvertes par les dispositions de l'article 3, point 3. Une telle interprétation, contrairement à ce que soutiennent Peugeot et Citroën, n'est nullement contredite par l'article 5, paragraphe 2, dans la partie dans laquelle il prévoit que
l'exemption de l'article 3, point 3, est aussi applicable à l'obligation «de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs autres que ceux de la gamme visée par l'accord», à condition que le distributeur puisse se libérer de cette obligation en démontrant l'existence de justifications objectives. Cette disposition, donc, - loin de pouvoir être interprétée dans le sens qu'il faut pouvoir démontrer l'existence de justifications objectives pour vendre des véhicules fournis par des personnes autres que
le constructeur dans des locaux commerciaux autres que ceux dans lesquels les produits contractuels sont vendus - permet au distributeur, en présence de motifs justifiés, de vendre des véhicules automobiles d'une autre marque, mais non concurrents, même dans les locaux où sont vendus les produits contractuels.

26 En définitive, nous estimons que les articles 3, point 3, et 5, paragraphe 2, du règlement n_ 123/85 doivent être interprétés en ce sens que n'est pas couverte par le règlement d'exemption une clause contractuelle qui exclut, sauf preuve de motifs objectifs n'existant pas au moment de la conclusion du contrat, toute possibilité pour le distributeur de vendre des véhicules neufs offerts par des personnes autres que le constructeur, même dans des locaux commerciaux distincts de ceux dans lesquels
les produits contractuels sont offerts à la vente.

- Les objectifs de vente

27 Toujours par rapport au règlement n_ 123/85, il est enfin demandé à la Cour si la possibilité de bénéficier d'une exemption par catégorie s'applique à une clause contractuelle qui impose au distributeur un objectif déterminé de vente au cours d'une période déterminée et qui, dans l'hypothèse où cet objectif n'est pas atteint, autorise le constructeur, avec un préavis de trois ou six mois, à modifier le territoire contractuel ou à mettre fin à l'exclusivité ou encore à résilier le contrat. A cet
égard, les dispositions pertinentes sont l'article 4, paragraphe 1, point 3, sur la base duquel le constructeur peut imposer au distributeur de chercher à vendre sur le territoire contractuel, au cours d'une période déterminée, un nombre minimal de produits contractuels, ainsi que l'article 5, paragraphe 2, points 2 et 3, qui régit les modalités relatives à la cessation du contrat d'exclusivité.

La question en objet requiert donc l'examen de deux aspects différents, s'agissant de savoir a) si et dans quelle mesure il est conforme au règlement de fixer des objectifs de vente; b) quelles sanctions peuvent découler, dans le respect du règlement, du fait que les objectifs de vente ne sont pas atteints.

28 En ce qui concerne le premier point évoqué, il y a d'abord lieu de relever que le règlement n_ 123/85 permet expressément d'exempter l'obligation imposée au distributeur de «s'efforcer d'écouler» un nombre minimal de produits contractuels: et ce en accord avec le concessionnaire ou, en cas de désaccord, à partir d'estimations prévisionnelles.

A l'évidence, l'expression «s'efforcer d'écouler» ne peut que constituer une obligation de moyens et non de résultat. De même, il est aussi évident que lorsqu'on se trouve, comme en l'espèce, dans un cas où l'objectif de vente a été fixé unilatéralement par le fournisseur et non sur la base d'un accord entre les parties, on ne peut exclure a priori que la fixation en question soit arbitraire par rapport à la réalité économique et sociale dans laquelle le concessionnaire est appelé à opérer. Dans ces
conditions - et sans préjudice du fait que le règlement n'interdit pas la fixation en tant que telle d'objectifs de vente à réaliser dans un certain laps de temps - il appartient au juge national de vérifier si le fait d'assigner un objectif de vente déterminé constitue une obligation de moyens et est raisonnable et équitable, compte tenu, en particulier, des estimations prévisionnelles relatives au territoire et à la période en question.

29 Quant au second point évoqué, nous rappelons d'abord que le règlement prévoit que la durée de l'accord doit être au moins de quatre ans et que le délai de résiliation ordinaire doit être, sauf hypothèses particulières expressément prévues, d'au moins un an pour les deux parties lorsqu'il s'agit d'un contrat à durée indéterminée (article 5, paragraphe 2, point 2), ou de six mois dans le cas où l'une des parties ne désire pas proroger un contrat à durée déterminée (article 5, paragraphe 2, point
3). Ce même règlement prévoit, en outre, la résiliation extraordinaire du contrat (article 5, paragraphe 4). C'est donc à la lumière de ces dispositions qu'il convient d'établir s'il peut être jugé suffisant et conforme au règlement d'exemption de fixer un préavis de trois ou six mois de la part du constructeur, comme le prévoient les clauses des contrats Peugeot et Citroën, pour modifier le territoire contractuel et/ou retirer l'exclusivité au concessionnaire.

Or, il ne fait aucun doute, à notre avis, que l'hypothèse que nous venons d'exposer, et qui est celle contestée par Arnor, n'est pas en soi contraire au règlement, en ce sens qu'elle peut bien être considérée comme une hypothèse de résiliation extraordinaire. Néanmoins, il convient de préciser qu'il appartient au juge national de vérifier si l'exercice, de la part du constructeur, du droit de résiliation de l'accord est proportionné par rapport à l'inexécution des obligations contractuelles
reprochée au concessionnaire et si une telle sanction est appliquée de façon non discriminatoire par rapport à d'autres concessionnaires se trouvant dans une situation analogue.

Sur la deuxième question

30 Par la deuxième question, nous le rappelons, le juge de renvoi demande à la Cour si le bénéfice de l'exemption, tel qu'accordé sur la base du règlement n_ 1475/95, comprend aussi les clauses contractuelles, les mêmes que celles déjà examinées au regard du règlement n_ 123/85, relatives à la portée de l'obligation de non-concurrence et à la fixation des objectifs de vente. Avant de procéder à une telle vérification, il est toutefois nécessaire de s'arrêter sur l'applicabilité du règlement n_
1475/95 aux faits de la cause. Comme il est constant qu'ils se sont déroulés avant l'entrée en vigueur de ce règlement, le gouvernement français a en effet soutenu que la Cour ne devrait pas répondre à la question en objet.

A cet égard, il convient toutefois de rappeler que le juge national, précisément afin de justifier la nécessité et la pertinence d'une telle question aux fins de la solution du litige au principal, n'a pas manqué de relever que «les demandes formées par les concessionnaires dans le cadre de l'action en concurrence déloyale tendent pour partie à la réparation d'un préjudice subi depuis plusieurs années, et pour partie à une interdiction pour l'avenir». Dans l'esprit du juge de renvoi, donc, le fait
même que l'action en concurrence déloyale couvre, sous les aspects indiqués, également la période postérieure à l'entrée en vigueur du règlement n_ 1475/95 constitue une raison nécessaire et suffisante pour demander et obtenir de la Cour une réponse aussi en ce qui concerne les dispositions pertinentes dudit règlement. Une telle position, il va sans dire, ne peut qu'être partagée.

31 Passons donc au fond de la question en objet, non sans avoir rappelé qu'elle concerne uniquement la conformité par rapport au règlement n_ 1475/95 des clauses contractuelles relatives à l'obligation de non-concurrence et de celles concernant les objectifs de vente. Nous précisons par ailleurs que dans ce contexte il y a lieu de considérer comme également valables, bien entendu pour autant que de raison, les remarques déjà formulées sur les dispositions pertinentes du règlement n_ 123/85.

- L'obligation de non-concurrence

32 Il s'agit donc d'établir, cette fois-ci par rapport à l'article 3, point 3, du règlement n_ 1475/95, s'il est possible de faire bénéficier de l'exemption par catégorie une clause contractuelle qui exclut toute possibilité pour un concessionnaire de vendre des véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur, même dans des locaux commerciaux séparés de ceux dans lesquels sont vendus les produits contractuels.

Nous dirons tout de suite que les observations déjà formulées et les conclusions auxquelles nous sommes parvenu en ce qui concerne la disposition correspondante du règlement n_ 123/85 valent a fortiori en l'espèce, et qu'il ne pourrait en être autrement. La disposition en question, en effet, soustrait expressément à l'obligation de non-concurrence exemptée par le règlement l'hypothèse de vente de véhicules automobiles neufs d'une autre marque effectuée «dans des locaux de vente séparés soumis à une
gestion distincte, sous une forme d'entité juridique distincte et de manière telle qu'une confusion de marque soit exclue». La lettre de la disposition en question exclut donc de la manière la plus absolue qu'une clause qui interdit cette possibilité puisse bénéficier de l'exemption.

- Les objectifs de vente

33 En ce qui concerne la conformité au regard du règlement n_ 1475/95 de la clause concernant les objectifs de vente fixés par le fournisseur au distributeur, nous estimons suffisant de relever que l'article 4, paragraphe 1, point 3, dudit règlement s'écarte de la disposition correspondante du règlement n_ 123/85 du fait qu'elle prévoit que les objectifs de vente, lorsqu'ils ne sont pas fixés d'un commun accord, doivent l'être par un tiers expert, compte tenu des estimations prévisionnelles et des
ventes précédemment réalisées dans le territoire considéré. Cela signifie qu'il est à exclure, sur la base du règlement n_ 1475/95, que le constructeur puisse imposer au concessionnaire de vendre sur le territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels pendant une période déterminée.

Pour ce qui concerne, enfin, la possibilité pour le constructeur de modifier le territoire contractuel et/ou de résilier le contrat d'exclusivité, ou encore de résilier le contrat, avec un préavis de trois ou six mois, il convient de souligner que l'article 5, paragraphe 3, second tiret, prévoit expressément le droit d'une partie d'exercer la résiliation extraordinaire de l'accord en raison d'un manquement de l'autre partie à une de ses obligations essentielles. On peut donc appliquer, à cet égard,
les observations déjà formulées sur les dispositions pertinentes du règlement n_ 123/85, en précisant que le règlement n_ 1475/95 prévoit expressément que les parties doivent accepter, en cas de désaccord, un système de règlement rapide du litige, plus précisément le recours à un tiers impartial ou à un arbitre.

34 En définitive, des clauses contractuelles qui fixent des objectifs de vente sont conformes au règlement n_ 1475/95 uniquement dans la mesure où la fixation de tels objectifs n'est pas unilatérale et où une modification du territoire contractuel et/ou un retrait de l'exclusivité, à titre de sanction pour le non-respect des objectifs ainsi fixés, respectent les conditions imposées par le règlement, notamment en prévoyant l'intervention d'un tiers ou d'un arbitre en cas de désaccord.

Sur la troisième question

35 Par la troisième question, le juge a quo demande à la Cour, nous le rappelons, si l'interdiction posée par l'article 85, paragraphe 1, du traité s'applique à un réseau de distribution exclusive d'un constructeur de véhicules automobiles dans l'hypothèse où ce réseau est fondé sur des contrats comportant des clauses, telles que celles examinées, qui ne bénéficient pas de l'exemption par catégorie.

En somme, le juge de renvoi demande si la présence dans les contrats de distribution en question de clauses non exemptées sur la base des règlements nos 123/85 et 1475/95 - telles que l'obligation imposée au distributeur de ne pas vendre de véhicules non fournis par le constructeur même dans des locaux commerciaux séparés et, sous réserve des vérifications opportunes de la part du juge national, la fixation d'objectifs de vente - a pour conséquence qu'un réseau de distribution fondé sur ces contrats
tombe sous le coup de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité. A l'évidence, le juge part donc de l'idée que les clauses (restrictives) pas expressément exemptées sont incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, et que cette incompatibilité implique la perte automatique du bénéfice de l'exemption pour les contrats dans leur intégralité ou bien, et pour cette raison même, la nullité absolue de ces derniers sur la base de l'article 85, paragraphe 2.

36 A cet égard, il convient d'abord de rappeler que la Cour a depuis longtemps précisé que «la définition d'une catégorie ne constitue qu'un cadre et ne signifie pas que les accords y entrant soient tous passibles de l'interdiction. Elle n'implique pas davantage qu'un accord relevant de la catégorie exemptée, mais ne répondant pas à toutes les conditions de ladite définition doive nécessairement tomber sous l'interdiction». Dans ces conditions, comme la Cour l'a expliqué à cette occasion, un
règlement d'exemption par catégorie «ne crée aucune présomption de droit relativement à l'interprétation à donner de l'article 85, paragraphe 1. Destiné à exempter de l'interdiction des accords et pratiques concertées par catégories, il ne peut avoir pour conséquence de précipiter d'abord, fût-ce implicitement, sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, les catégories qu'il se propose de favoriser et de présumer réunies de plein droit, au détriment de quelque accord que ce soit, les
conditions dudit article» (16).

Poursuivant dans cette voie, la Cour a ensuite spécifié, précisément en relation avec le règlement n_ 123/85, que celui-ci «se limite à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant ... de faire échapper [leurs accords de distribution et de service de vente et d'après-vente] à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1. Les dispositions du règlement n_ 123/85 n'imposent toutefois pas aux opérateurs économiques de faire usage de ces
possibilités. Elles n'ont pas non plus pour effet de modifier le contenu d'un tel accord ou de le rendre nul lorsque toutes les conditions du règlement ne sont pas remplies» (17).

37 Ces affirmations impliquent, à l'évidence, que des clauses contractuelles qui ne remplissent pas les conditions pour bénéficier de l'exemption par catégorie ne sont pas de ce seul fait interdites par l'article 85, paragraphe 1. A cette fin, donc, il convient d'établir, indépendamment du règlement d'exemption, si les clauses en question sont ou non restrictives de la concurrence et si elles sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres.

Or, selon une jurisprudence bien établie, pour déterminer si une clause précise a un objet anticoncurrentiel, au sens de l'article 85, paragraphe 1, il convient d'examiner sa fonction dans le contexte des rapports contractuels dans lesquels elle s'inscrit (18). Dans cette optique, la Cour estime normalement que n'ont pas un objet anticoncurrentiel les clauses nécessaires pour qu'un contrat, ne portant en soi pas atteinte à la concurrence, puisse remplir pleinement la fonction juridico-économique qui
le caractérise (19).

38 Par rapport aux faits de l'espèce qui nous occupe, il convient donc d'établir s'il est nécessaire, pour réaliser l'objectif d'un contrat, d'y insérer une clause qui, par exemple, prive le distributeur de toute possibilité de vendre des véhicules neufs fournis par des personnes autres que le constructeur même dans des locaux commerciaux séparés de ceux dans lesquels sont vendus les produits contractuels. La réponse, à notre avis, ne peut qu'être négative, puisqu'il faut en principe exclure son
caractère nécessaire au sens que nous venons d'évoquer. En réalité, il faut reconnaître que le seul objectif de la clause en question est de promouvoir la vente de produits contractuels au moyen d'une limitation de l'autonomie commerciale des distributeurs. Étant donné, par ailleurs, que cette clause s'ajoute à d'autres engagements de non-concurrence, même s'ils sont exemptés sur la base des règlements en question, il n'est que trop évident qu'elle ne peut qu'avoir, par nature, un objet
anticoncurrentiel.

Il est à peine utile d'ajouter que les effets de cette clause, si jamais on devait exclure qu'elle a un objet anticoncurrentiel, devraient être considérés en tout état de cause comme n'étant pas conciliables avec le «fonctionnement» correct de la concurrence au sein du marché commun. Une telle conclusion, il est vrai, nécessite une appréciation à effectuer sur la base d'une pluralité de circonstances de fait, telles que le niveau de concurrence existant sur le marché en question et le contexte
économique et normatif dans lequel la clause est destinée à opérer, de façon à rechercher les possibilités concrètes d'atteinte à la concurrence dans le marché commun. En partant de la prémisse selon laquelle, en l'absence d'éléments à cet égard, il appartient manifestement au juge national de procéder à une telle appréciation, nous nous limitons à souligner que la clause en question est insérée dans des contrats qui lient tous les concessionnaires du réseau de distribution et que, pour cette seule
raison déjà, elle est donc de nature à comporter une limitation sensible de la concurrence.

En conclusion - et sous réserve des constatations qui s'imposent de la part du juge national, auquel incombe l'appréciation en question - nous estimons que la clause en question a un objet et des effets anticoncurrentiels.

39 L'application de l'article 85, paragraphe 1, comme on le sait, est subordonnée en outre à l'existence d'une atteinte au commerce entre États membres. Selon une jurisprudence constante, le préjudice doit être considéré comme étant matérialisé lorsque, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, on peut envisager avec un degré de probabilité suffisant que l'accord puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre
États membres, et ce dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation du marché unique (20).

Or, il est constant que tant le système de distribution de Peugeot que celui de Citroën s'étendent à tout le territoire français et que tous les concessionnaires sont liés par les clauses contractuelles examinées. Cela suffit, à notre avis, pour parvenir à la conclusion que ces clauses sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Comme l'a déclaré la Cour à plusieurs reprises, en effet, des «pratiques restrictives de la concurrence qui s'étendent à l'ensemble du territoire d'un État
membre, ont, par leur nature même, pour effet de consolider les cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité» (21).

40 Il résulte donc des considérations qui précèdent - et sous réserve d'autres vérifications de la part du juge national - que les clauses contractuelles en question relèvent de l'interdiction posée par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Une telle conclusion n'est toutefois pas de nature à permettre une réponse exhaustive à la question en objet. En effet, le juge national désire établir si un réseau de distribution fondé sur des contrats contenant des clauses du type en question est incompatible
avec l'article 85, paragraphe 1: donc, si la nullité absolue de ces clauses, telle que prévue par l'article 85, paragraphe 2, peut et/ou doit être étendue aussi aux clauses restrictives exemptées, ce qui impliquerait la nullité des contrats de concession dans leur ensemble.

41 A cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà eu l'occasion de préciser que «la nullité de plein droit dont s'agit s'applique aux seuls éléments de l'accord frappés par l'interdiction, ou à l'accord dans son ensemble si ces éléments n'apparaissent pas séparables de l'accord lui-même» (22), ou, suivant une formulation différente, que cette nullité s'applique «à l'accord dans son ensemble si ces éléments n'apparaissent pas séparables de l'accord lui-même» (23). A cela s'ajoute que la Cour
a aussi spécifié qu'«en conséquence toutes autres dispositions contractuelles non affectées par l'interdiction, ne relevant pas de l'application du traité, échappent au droit communautaire» (24).

Il résulte de la jurisprudence en la matière, en définitive, que «la nullité de plein droit prévue à l'article 85, paragraphe 2, ne vise que les dispositions contractuelles incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1» et que «les conséquences de cette nullité pour tous autres éléments de l'accord ne relèvent pas du droit communautaire», mais «sont à apprécier par la juridiction nationale selon son propre droit» (25). Avec la précision que la nullité absolue du contrat dans son ensemble ne dépend
pas du droit communautaire dans l'hypothèse où les clauses contractuelles incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, sont séparables des clauses exemptées et ne sont pas essentielles pour le contrat en question, il incombe donc au juge national de décider, sur la base du droit national applicable, quelles sont les conséquences, pour le contrat dans son ensemble, découlant de la nullité des clauses contractuelles en question.

42 Cela dit, nous estimons néanmoins nécessaire d'approfondir notre réflexion, en particulier quant à la possibilité de séparer des clauses restrictives de concurrence non exemptées de clauses restrictives qui bénéficient de l'exemption, ainsi qu'en ce qui concerne le caractère essentiel d'une clause restrictive non exemptée contenue dans un contrat de concession.

Quant au premier aspect évoqué, nous estimons nécessaire de souligner que la présence, dans un contrat qui pour le reste bénéficie de l'exemption par catégorie, d'une clause restrictive de concurrence non exemptée peut être de nature à engendrer une situation économique et concurrentielle bien différente de celle prise en considération par le législateur lorsqu'il a prévu l'exemption par catégorie. Dans cette optique, on devrait donc admettre la perte du bénéfice de l'exemption par catégorie pour
l'ensemble du contrat, entraînant l'obligation de le notifier à la Commission, afin qu'elle puisse décider, compte tenu du nouveau contexte économique et concurrentiel créé, s'il convient ou non de lui accorder une exemption individuelle. Quant au second aspect que nous avons évoqué, nous nous bornons par contre à relever qu'une obligation de non-concurrence pas expressément exemptée, qui prive le distributeur de toute possibilité de vendre des véhicules neufs fournis par une personne autre que le
constructeur, pourrait difficilement être considérée comme non essentielle dans l'économie d'un contrat de concession exclusive concernant la distribution de véhicules automobiles. Bien entendu, il appartient en toute hypothèse au juge national, le seul à être en possession de tous les éléments du contrat et à connaître le contexte économique dans lequel il opère, de procéder à une telle appréciation.

43 Plus particulièrement, nous observons en outre qu'en l'espèce la solution à adopter est facilitée au moins en ce qui concerne les conséquences à tirer de la nullité de la clause contractuelle qui impose une obligation de non-concurrence, telle que celle dont il est question ici, qui ne remplit pas les conditions posées par le règlement n_ 1475/95. Ce dernier, en effet, prévoit expressément, conformément à l'article 6, paragraphe 1, point 3, la perte automatique du bénéfice de l'exemption dans le
cas où il est interdit au distributeur de vendre des véhicules d'une autre marque dans des locaux distincts (26). Cela implique, bien évidemment, que toutes les dispositions de l'accord visé devront être appréciées à la lumière de l'article 85, paragraphe 1, et que, il est plus que raisonnable de le penser, la majeure partie d'entre elles seront à considérer comme restreignant la concurrence, entraînant ainsi la nullité de tout le contrat.

Il en va par contre autrement en ce qui concerne le règlement n_ 123/85, lequel ne contient aucune disposition à cet égard. Par rapport à ce règlement, il faudra donc établir si la clause contractuelle qui impose une obligation absolue de non-concurrence, également dans des locaux commerciaux séparés et en dehors du territoire contractuel, est ou non essentielle dans l'économie du contrat et, dans cette perspective, si elle est ou non séparable des clauses exemptées. A cet égard, nous ne pouvons que
répéter qu'une obligation de non-concurrence, telle que celle examinée, pourra difficilement être considérée comme un élément non essentiel d'un contrat de concession exclusive.

Conclusion

44 A la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par la cour d'appel de Douai:

«1) Le règlement (CEE) n_ 123/85 de la Commission, du 12 décembre 1984 concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, doit être interprété en ce sens que l'exemption qu'il accorde:

a) est applicable à un contrat de concession exclusive qui ne précise pas en détail les justifications objectives visées par l'article 5, paragraphe 2, point 1, sous a) et b), et paragraphe 3, à condition que ce contrat prévoie la possibilité d'exclure l'obligation de non-concurrence prévue par ces dispositions dans l'hypothèse où une partie démontre l'existence de justifications objectives et que ces dernières soient appliquées sans discrimination aux entreprises qui se trouvent dans des situations
comparables;

b) ne couvre pas une clause contractuelle qui exclut, sauf à démontrer l'existence de justifications objectives n'existant pas au moment de la conclusion du contrat, toute possibilité pour le concessionnaire de vendre des véhicules automobiles neufs offerts par d'autres que le constructeur, même dans des exploitations commerciales distinctes de celles où sont offerts les produits contractuels;

c) est applicable à un contrat qui impose des objectifs de vente au distributeur, à condition qu'il ne s'agisse pas d'une obligation de résultat et que la fixation de ces objectifs soit équitable et raisonnable; il appartient au juge national de vérifier ces éléments.

2) Le règlement (CEE) n_ 1475/95 de la Commission, du 28 juin 1995, doit être interprété en ce sens que l'exemption qu'il accorde:

a) ne couvre pas une clause contractuelle qui exclut la possibilité pour le distributeur de vendre des véhicules automobiles neufs offerts par des personnes autres que le constructeur, même dans des exploitations commerciales distinctes de celles dans lesquelles les produits contractuels sont offerts;

b) ne couvre pas une clause contractuelle qui autorise le fournisseur à fixer unilatéralement des objectifs de vente et qui ne prévoit pas l'intervention d'un tiers ou d'un arbitre en cas de désaccord entre les parties sur la modification du territoire contractuel et/ou le retrait de l'exclusivité pour inexécution de la part du concessionnaire.

3) Des clauses contractuelles qui ne sont pas expressément exemptées au sens des règlements n_ 123/85 et n_ 1475/95, telles que celles évoquées en l'espèce, tombent sous le coup de l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité si elles limitent la concurrence et sont susceptibles d'entraver le commerce entre États membres. La nullité absolue de ces clauses, telle que prévue par l'article 85, paragraphe 2, peut être étendue à l'accord dans son ensemble lorsqu'elles ne sont pas
séparables des clauses exemptées et sont essentielles à l'économie du contrat.»

(1) - JO 1985, L 15, p. 16.

(2) - JO L 145, p. 25.

(3) - Voir, entre autres, arrêt du 16 octobre 1997, Hera (C-304/96, non encore publié au Recueil, point 11).

(4) - En ce sens voir, en dernier lieu, arrêt du 11 novembre 1997, Eurotunnel (C-408/95, non encore publié au Recueil, point 20).

(5) - En ce sens voir ordonnance du 26 janvier 1990, Falciola (C-286/88, Rec. p. I-191, point 9), et arrêt du 16 juillet 1992, Lourenço Dias (C-343/90, Rec. p. I-4673, point 42).

(6) - Arrêt du 16 juillet 1992, Meilicke (C-83/91, Rec. p. I-4871, points 28 à 30).

(7) - Ordonnance du 16 mai 1994, Monin Automobiles (C-428/93, Rec. p. I-1707, point 15); ainsi que, en dernier lieu, arrêt du 9 octobre 1997, Grado (C-291/96, non encore publié au Recueil, point 16).

(8) - C'est ainsi que, dans l'arrêt du 5 juin 1997, Celestini (C-105/94, Rec. p.I-2971, point 25), par exemple, la Cour a jugé suffisant, sous l'angle de la pertinence des questions posées, de souligner que «le juge national a expliqué que, si les réponses données par la Cour avaient pour conséquence que la méthode de l'oxygène 16/18 était compatible avec le droit communautaire, l'action introduite par Celestini devrait être rejetée» ajoutant qu'«il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de la
présente procédure, de mettre en cause cette appréciation». De même, dans l'arrêt Eurotunnel (précité dans la note 4), pour dépasser les objections selon lesquelles l'éventuelle invalidité des directives contestées dans cette affaire n'aurait pas eu la moindre incidence sur la demande de réparation du préjudice subi formulée par la demanderesse au principal, la Cour s'est bornée à souligner que «l'éventuelle invalidité des directives permettrait au juge national au moins d'ordonner à SeaFrance la
cessation pour l'avenir des ventes en franchises comme le demande Eurotunnel» (point 24).

(9) - Cela explique, par ailleurs, pourquoi dans la jurisprudence en la matière il est de plus en plus fréquent de trouver, surtout dans les dernières années, l'affirmation selon laquelle «il est indispensable que la juridiction nationale explique les raisons pour lesquelles elle considère qu'une réponse à ses questions est nécessaire à la solution du litige» (voir en ce sens, par exemple, arrêt Lourenço Dias, précité dans la note 5, point 19).

(10) - Arrêts du 15 février 1996 (C-226/94, Rec. p. I-651, point 15, et C-309/94, Rec. p. I-677, point 15). Dans ce sens, voir déjà l'arrêt du 18 décembre 1986, VAG France (10/86, Rec. p. 4071, points 12 et 16), ainsi que, en dernier lieu, arrêt du 5 juin 1997, SYD-Consult (C-41/96, Rec. p. I-3123, point 16).

(11) - Arrêts Grand garage albigeois e.a. et Nissan France e.a. (précités dans la note précédente), point 19 de chacun.

(12) - Arrêts précités dans la note 10, point 20 dans les deux cas. Dans le même sens, voir arrêt du 20 février 1997, Fontaine e.a. (C-128/95, Rec. p. I-967, point 20), ainsi que, en dernier lieu, arrêt SYD-Consult, précité dans la note 10, point 17.

(13) - A cet égard voir, en particulier, arrêt SYD-Consult, précité dans la note 10, points 9 à 19.

(14) - En ce sens voir arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin (22/71, Rec. p. 949, point 29), dans lequel la Cour a affirmé qu'«un accord nul en vertu [de l'article 85, paragraphe 2, du traité] n'a pas d'effet dans les rapports entre les contractants et n'est pas opposable aux tiers».

(15) - Il s'agit d'une jurisprudence constamment appliquée, en matière de commercialisation de produits distribués par l'intermédiaire d'un réseau sélectif et exclusif, aux revendeurs non agréés. Cette jurisprudence, qui s'est développée surtout en relation avec des articles de parfumerie, a été étendue, par arrêt du 9 juillet 1996, aussi au secteur de la distribution automobile.

(16) - Arrêt du 13 juillet 1966, Italie/Conseil et Commission (32/65, Rec. p. 563, et plus précisément p. 590 et 591).

(17) - Arrêt VAG France, précité dans la note 10, point 12.

(18) - Voir, par exemple, arrêt du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission (29/83 et 30/83, Rec. p. 1679).

(19) - Voir, entre autres, arrêts du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission (42/84, Rec. p. 2545); du 28 janvier 1986, Pronuptia (161/84, Rec. p. 353); du 27 septembre 1988, Bayer et Hennecke (65/86, Rec. p. 5249), ainsi que du 28 février 1991, Delimitis (C-234/89, Rec. p. I-935). Voir, en outre, pour une analyse plus complète de la question, les conclusions que nous avons présentées sous l'arrêt du 15 décembre 1994, DLG (C-250/92, Rec. p. 5641, en particulier points 14 à 16).

(20) - Voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 1966, Société technique minière (56/65, Rec. p. 337), ainsi que, en dernier lieu, arrêt du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission (C-219/95 P, Rec. p. I-4411 point 20).

(21) - Arrêt Remia e.a./Commission, précité dans la note 19, point 22.

(22) - Arrêt Société technique minière, précité dans la note 20, Rec. p. 282.

(23) - Arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, Rec. p. 429, et plus précisément p. 498).

(24) - Arrêt Société technique minière, précité dans la note 20, Rec. p. 360. La Cour s'est prononcée dans un sens analogue dans l'arrêt plus récent VAG France (précité dans la note 17), dans lequel elle a établi que «les conséquences de la nullité de plein droit des clauses contractuelles incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, pour tous les éléments de l'accord ou pour d'autres obligations qui en découlent, ne relèvent pas du droit communautaire» (point 14) et que, donc, «il appartient à la
juridiction nationale d'apprécier, en vertu du droit national applicable, la portée et les conséquences, pour l'ensemble des relations contractuelles, d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles en vertu de l'article 85, paragraphe 2» (point 15).

(25) - Dans ce sens, voir arrêt du 14 décembre 1983, Société de vente de ciments et bétons de l'Est (319/82, Rec. p. 4173, points 11 et 12).

(26) - Sur ce point, il n'est pas superflu de rappeler que la Commission, dans une brochure explicative concernant le règlement en question, affirme que «des mesures prises par un constructeur pour imposer la distribution d'une marque unique ... seraient considérées comme une restriction de la concurrence non expressément exemptée par le règlement (article 6, paragraphe 1, point 3), ce qui entraînerait une perte automatique du bénéfice de l'exemption».


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-230/96
Date de la décision : 16/12/1997
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Douai - France.

Concurrence - Distribution d'automobiles - Validité du contrat de concession exclusive - Article 85, paragraphes 1 et 3, du traité CE - Règlement (CEE) nº 123/85 - Règlement (CE) nº 1475/95.

Contrats d'exclusivité

Ententes

Concurrence


Parties
Demandeurs : Cabour SA et Nord Distribution Automobile SA
Défendeurs : Arnor "SOCO" SARL, en présence d'Automobiles Peugeot SA et Automobiles Citroën SA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tesauro
Rapporteur ?: Schintgen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1997:611

Source

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