Avis juridique important
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61996J0188
Arrêt de la Cour (première chambre) du 20 novembre 1997. - Commission des Communautés européennes contre V. - Fonctionnaires - Révocation - Motivation. - Affaire C-188/96 P.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-06561
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif
Mots clés
1 Pourvoi - Moyens - Insuffisance de motivation - Compétence de la Cour - Contrôle de la portée de l'obligation de motivation d'une décision infligeant une sanction disciplinaire à un fonctionnaire - Prise en considération des faits retenus par le Tribunal - Inclusion
(Traité CE, art. 190; statut des fonctionnaires, art. 25, al. 2)
2 Pourvoi - Moyens - Motifs d'un arrêt entachés d'une violation du droit communautaire - Appréciation erronée, par le Tribunal, de la motivation d'une décision infligeant une sanction disciplinaire à un fonctionnaire - Pourvoi fondé
(Traité CE, art. 190; statut des fonctionnaires, art. 25, al. 2)
Sommaire
3 La question de la portée de l'obligation de motivation d'une décision infligeant une sanction disciplinaire à un fonctionnaire constitue une question de droit qui est soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi. Le contrôle de la légalité exercé dans ce cadre par la Cour doit nécessairement prendre en considération les faits sur lesquels le Tribunal s'est fondé pour aboutir à sa conclusion selon laquelle la motivation est suffisante ou insuffisante.
4 La motivation d'une décision faisant grief doit permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est bien fondée.
Est entaché d'une erreur de droit l'arrêt du Tribunal qui constate l'insuffisance de motivation d'une décision infligeant une sanction disciplinaire à un fonctionnaire alors que ladite décision indique de manière suffisamment précise les faits retenus à la charge de l'intéressé et contient les raisons pour lesquelles l'autorité investie du pouvoir de nomination s'est écartée de l'avis du conseil de discipline en adoptant une sanction plus sévère que celle suggérée par cet organe.
Parties
Dans l'affaire C-188/96 P,
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Ana Maria Alves Vieira, membre du service juridique, en qualité d'agent, assistée de Me Denis Waelbroeck, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie requérante,
ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (cinquième chambre) du 28 mars 1996, V/Commission (T-40/95, RecFP p. II-461), et tendant à l'annulation de cet arrêt,
l'autre partie à la procédure étant:
V, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, représenté par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure, Véronique Leclercq et Ariane Tornel, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson, 30, rue de Cessange,
LA COUR
(première chambre),
composée de MM. L. Sevón, faisant fonction de président de la première chambre, D. A. O. Edward et P. Jann (rapporteur), juges,
avocat général: M. M. B. Elmer,
greffier: M. R. Grass,
vu le rapport du juge rapporteur,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 29 mai 1997,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 31 mai 1996, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 49 du statut CE et des dispositions correspondantes des statuts CECA et CEEA de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 28 mars 1996, V/Commission (T-40/95, RecFP p. II-461, ci-après l'«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision de la Commission du 18 janvier 1995 (ci-après la «décision litigieuse»), infligeant à
M. V la sanction disciplinaire de la révocation sans suppression ni réduction du droit à pension d'ancienneté, prévue par l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»).
2 Il ressort de l'arrêt attaqué que, en février 1992, une procédure disciplinaire a été engagée par la Commission à l'encontre de M. V, fonctionnaire de grade C 3 à la direction générale Crédits et investissements (DG XVIII) (points 1 à 3).
3 Il a d'abord été reproché à ce dernier d'avoir communiqué avec deux autres candidats, à savoir son épouse, Mme G.-G., et son collègue, M. K., lors d'un concours de comptabilité et d'audit, organisé en commun par la Commission et la Cour des comptes, et d'avoir eu connaissance à l'avance des questions et/ou des corrigés types (points 3 à 7).
4 Au mois de juin 1993, un premier avis a été rendu par le conseil de discipline, qui a recommandé à l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») d'infliger à M. V la sanction visée à l'article 86, paragraphe 2, sous b), du statut, à savoir le blâme (point 8).
5 Lors d'une audition ultérieure, M. K. a déclaré avoir été informé par M. V que ce dernier disposait des questions qui allaient être posées lors des épreuves et que ces questions lui auraient été remises par un réseau existant au sein du bureau de sécurité à Luxembourg (point 9).
6 Au vu de ces faits nouveaux, l'AIPN a rouvert la procédure devant le conseil de discipline à l'encontre de M. V. Le 11 octobre 1994, le conseil de discipline a rendu un second avis, dans lequel il a recommandé d'infliger à M. V la sanction disciplinaire visée à l'article 86, paragraphe 2, sous e), du statut, à savoir la rétrogradation vers le grade C 4, tout en maintenant l'échelon (points 11 à 15). Il ressort du dossier que le conseil de discipline a notamment pris en compte dans son avis les
circonstances atténuantes tirées de six années de service sans reproches accomplies par M. V et les rapports de notation antérieurs.
7 Après avoir procédé à une nouvelle audition de M. V, l'AIPN a adopté, le 18 janvier 1995, une décision infligeant à ce dernier la sanction disciplinaire visée à l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut, à savoir la révocation, avec prise d'effet au 1er mars 1995.
8 Cette décision est motivée ainsi:
«considérant que les griefs retenus à l'encontre de M. V sont:
- de s'être concerté, au cours des épreuves écrites de comptabilité et d'audit du concours général EUR/B/21 à Luxembourg, avec deux autres candidats, soit son épouse Mme G.-G. et M. K., fonctionnaire du bureau de sécurité à Luxembourg temporairement affecté à l'Office des publications, pour la sous-partie I de l'épreuve A1 de comptabilité, et avec l'un de ces deux candidats pour la plupart des questions restantes, ainsi que
- d'avoir eu connaissance à l'avance des corrigés types aux questions de comptabilité et peut-être d'audit, soit du libellé de ces questions ou de certaines d'entre elles, soit à la fois de ces corrigés types et de ces questions;
considérant qu'un correcteur des épreuves écrites du concours général EUR/B/21 par lettre du 10 juillet 1991 adressée au jury a signalé que deux candidats avaient selon toute vraisemblance communiqué entre eux durant les épreuves dont la rédaction de certaines réponses était soit rigoureusement identique, soit pour d'autres parties fortement ressemblante; qu'il apparaissait qu'un troisième candidat avait communiqué, dans une moindre mesure, avec les deux premiers;
considérant qu'il apparaissait des numéros de l'anonymat que les deux premiers candidats étaient M. V et M. K. et que la troisième personne était Mme G.-G.;
considérant qu'il résulte tant des rapports d'audition de M. V que des avis du conseil de discipline que celui-ci a reconnu avoir remis au cours des épreuves écrites des brouillons à M. K., suite à des signes faits par ce dernier; qu'il ressort en effet des déclarations de M. V que `lors du déroulement des épreuves (M. K.) a pu lui dire qu'il se croyait incapable de résoudre certains des exercices de comptabilité';
considérant que le comportement de M. V est aggravé au vu des circonstances décrites ci-après;
considérant qu'il ressort des copies de M. K. que sa réponse à la question A1 dans les parties concernant la comptabilité pure est très similaire à la réponse de M. V;
considérant que, ainsi qu'il ressort du tableau à la page 4 de la présente décision, la réponse de M. K. à la sous-partie 2 point 2 de la question A1 - analyser et commenter le résultat obtenu au point 1 - présente certaines similitudes avec la réponse de M. V (cf. l'annexe 2 pour la réponse sur ce point de M. K. et l'annexe 3 pour la réponse de M. V); que par contre la réponse de M. K. (annexe 2) reproduit presque à la lettre la partie du corrigé type de la question A1 sous-partie 2 point 2 qui
avait été préalablement établi par le jury (cf. annexe 4);
considérant qu'il résulte du dossier que les éléments de réponse ne peuvent pas avoir été pris du manuel d'audit de la Cour des comptes, dont la partie pertinente est jointe à la présente décision (annexe 5);
considérant que dans ses déclarations M. V indique que M. K. a pu lui dire lors du déroulement des épreuves qu'il se croyait incapable de résoudre certains des exercices de comptabilité et que c'est à la suite de cette supplique qu'il lui a fourni ce qu'il appelle des brouillons de ses réponses; qu'il est donc clair que, avant l'aide reçue de M. V, M. K. n'avait pas connaissance des éléments de réponse qu'il a utilisés; que ceux-ci sont aussi proches de la réponse de M. V que du corrigé type pour le
point mentionné ci-dessus; qu'il faut donc bien constater que M. V disposait du corrigé type pour le point en question et cela forcément avant de pénétrer dans la salle de concours; qu'il a donc bénéficié d'une fuite;
considérant que M. V a ainsi sciemment essayé de fausser les résultats du concours général en violation du principe selon lequel les candidats à des postes à la fonction publique européenne doivent se trouver en position d'égalité par rapport aux épreuves desdits concours généraux;
considérant que ce comportement aurait ainsi entraîné un risque sérieux de réussite aux épreuves de ce concours général de candidats qui ne possédaient pas réellement les connaissances professionnelles requises, ce qui aurait eu pour conséquence tant de léser les autres candidats que de porter préjudice aux intérêts de l'institution;
considérant qu'en refusant de fournir toute indication quant à l'origine du corrigé type en question il a manqué à son devoir de coopération dans la recherche de la vérité, dans l'intérêt de l'institution;
considérant que M. V, ancien inspecteur de la police belge et ancien fonctionnaire du bureau de sécurité, d'abord à Luxembourg, ensuite à Ispra, assurait des tâches importantes de responsabilité et de confiance;
considérant que l'institution est en droit d'attendre de ses fonctionnaires et en particulier de la part d'un ancien fonctionnaire du bureau de sécurité, de par la nature même des fonctions exercées, une honnêteté irréprochable;
considérant l'extrême gravité du comportement de M. V qui a abusé de la confiance qui doit régner entre le fonctionnaire et son institution;
considérant que pour ces raisons et en tenant compte également de l'ensemble des circonstances d'espèce il s'avère nécessaire et justifié d'infliger à M. V une sanction plus sévère que la sanction disciplinaire préconisée par le conseil de discipline.»
9 Pour un plus ample exposé des faits du litige, il est renvoyé aux points 1 à 16 de l'arrêt attaqué.
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 février 1995, M. V a introduit un recours visant à l'annulation de la décision litigieuse.
11 A l'appui de son recours, M. V avait invoqué cinq moyens. Le premier moyen était tiré de la violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 7 de l'annexe IX du statut, le deuxième d'une violation des droits de la défense, le troisième d'un abus de pouvoir de la part de l'AIPN, le quatrième d'une erreur manifeste d'appréciation et le cinquième moyen était pris de la méconnaissance du principe de proportionnalité
et de l'insuffisance de motivation de la décision litigieuse.
L'arrêt attaqué
12 Le Tribunal a considéré qu'il convenait d'examiner en premier lieu la seconde branche du dernier moyen.
13 Au point 36 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a d'abord rappelé que la motivation de la décision de l'AIPN doit indiquer de manière précise les faits retenus à la charge du fonctionnaire ainsi que les considérations qui ont amené l'AIPN à prononcer la sanction choisie. Il a relevé, en outre, que, lorsque, comme en l'espèce, la sanction infligée par l'AIPN est plus sévère que celle qui avait été suggérée par le conseil de discipline, la décision doit préciser de façon circonstanciée les motifs qui
ont conduit l'AIPN à s'écarter de l'avis émis par le conseil de discipline.
14 Aux points 37 à 41 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si l'AIPN avait indiqué de manière précise les faits et circonstances qui avaient motivé l'aggravation de la sanction retenue dans sa décision par rapport à l'avis du conseil de discipline. Il a constaté que l'AIPN avait conclu à une aggravation du comportement de M. V par rapport à celui constaté par le conseil de discipline, notamment en ce qui concerne le prétendu fait que M. V aurait disposé du corrigé type avant les épreuves, sans
pour autant motiver de façon circonstanciée sa décision de s'écarter de l'avis du conseil de discipline.
15 Au point 42 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté qu'il n'estimait pas la similitude des réponses fournies par M. K. avec celles du corrigé type comme étant de nature à prouver suffisamment que M. V aurait disposé du corrigé type avant les épreuves.
16 Aux points 43 à 50, le Tribunal a ensuite recherché si les trois circonstances aggravantes retenues par l'AIPN étaient susceptibles de justifier l'adoption de la sanction de la révocation plutôt que celle de la rétrogradation recommandée par le conseil de discipline.
17 Au point 51 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a reproché à l'AIPN de ne pas avoir motivé sa décision de manière circonstanciée et de ne pas avoir mentionné les raisons susceptibles de justifier le refus de l'AIPN de prendre en considération les circonstances atténuantes qui avaient déterminé le conseil de discipline dans le choix de la sanction recommandée par lui, à savoir six années de service sans reproches accomplies par M. V et ses rapports de notation.
18 En conséquence, le Tribunal a jugé, au point 52, que la décision litigieuse ne comportait aucun motif précisant de manière suffisante les raisons pour lesquelles l'AIPN avait infligé à M. V une sanction nettement plus lourde que celle préconisée par le conseil de discipline, en sorte qu'il a annulé la décision litigieuse pour insuffisance de motivation.
Le pourvoi
19 Dans son pourvoi, la Commission considère que le Tribunal a violé le droit communautaire en annulant la décision litigieuse pour insuffisance de motivation. Elle se fonde à cet égard sur trois moyens: tout d'abord, le Tribunal aurait apprécié de manière erronée la portée de l'obligation de motivation; ensuite, d'une part, il aurait donné une qualification juridique erronée aux faits retenus comme aggravants par l'AIPN, en considérant que ceux-ci ne permettaient pas de justifier l'adoption d'une
sanction plus lourde que celle recommandée par le conseil de discipline, et, d'autre part, il aurait jugé à tort que la décision litigieuse, pour être considérée comme étant suffisamment motivée, aurait dû mentionner les circonstances atténuantes relevées par le conseil de discipline; enfin, le Tribunal aurait apprécié de manière erronée le degré de preuve requis pour l'établissement d'un manquement disciplinaire.
Sur le premier moyen et la seconde branche du deuxième moyen du pourvoi
20 Par son premier moyen et la seconde branche de son deuxième moyen, qu'il convient d'examiner ensemble, la Commission fait valoir que le Tribunal aurait violé le droit communautaire en appréciant de manière erronée la portée de l'obligation de motivation. En effet, la décision litigieuse, contrairement aux constatations opérées par le Tribunal au point 52 de l'arrêt attaqué, mentionnerait expressément les raisons pour lesquelles l'AIPN avait décidé d'infliger à M. V une sanction plus lourde que
celle préconisée par le conseil de discipline. Ainsi, la décision litigieuse aurait fourni à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir, d'une part, si elle était ou non fondée et, d'autre part, si son contrôle juridictionnel était possible.
21 Le Tribunal, tout en reprochant le manque de motivation de la décision litigieuse, aurait lui-même constaté qu'il convenait de «rechercher si les trois circonstances aggravantes retenues par l'AIPN sont susceptibles de justifier l'adoption d'une sanction plus lourde...». Ainsi, en réalité, le Tribunal aurait confondu le grief tiré d'un défaut ou d'une insuffisance de motivation avec celui qui aurait éventuellement pu être tiré de l'absence du bien-fondé des raisons effectivement données pour
justifier la sanction infligée. Ce faisant, le Tribunal aurait substitué son appréciation à celle de l'AIPN quant au choix de la sanction disciplinaire adéquate.
22 S'agissant des circonstances atténuantes, la Commission fait valoir que l'AIPN les aurait dûment prises en considération, mais ne les aurait pas mentionnées dans la mesure où l'extrême gravité des faits retenus à la charge de M. V avait pour effet d'annihiler ces circonstances atténuantes, ce d'autant plus que le défaut de leur mention dans la décision litigieuse serait justifié par le caractère évident de ces circonstances atténuantes, à savoir le fait que la Commission est en droit d'attendre
de tout fonctionnaire un service irréprochable.
23 M. V prétend que ces moyens sont irrecevables. Par ses arguments, la Commission chercherait à obtenir une nouvelle appréciation des faits par la Cour, ce qui serait interdit par l'article 51 du statut CE de la Cour de justice. Sur le fond, il estime que le Tribunal a correctement constaté la violation par l'AIPN de l'obligation de motivation.
Sur la recevabilité
24 A cet égard, il convient de rappeler que la question de la portée de l'obligation de motivation constitue une question de droit qui est soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi (arrêt du 20 février 1997, Commission/Daffix, C-166/95 P, Rec. p. I-983). En effet, ainsi que l'a, à juste titre, relevé M. l'avocat général au point 12 de ses conclusions, le contrôle de la légalité d'une décision qui est exercé dans ce cadre par la Cour doit nécessairement prendre en considération les
faits sur lesquels le Tribunal s'est fondé pour aboutir à sa conclusion selon laquelle la motivation est suffisante ou insuffisante.
25 L'exception d'irrecevabilité soulevée par M. V doit par conséquent être rejetée.
Sur le fond
26 S'agissant de l'obligation de motivation, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision faisant grief doit permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur sa légalité et de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est bien fondée (voir, notamment, arrêts de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22, et Commission/Daffix, précité, point 23).
27 A cet égard, il convient de relever, ainsi que l'a fait M. l'avocat général au point 22 de ses conclusions, que l'AIPN s'était expressément fondée sur six raisons qui justifiaient l'application d'une sanction plus sévère que celle préconisée par le conseil de discipline, à savoir:
- que M. V, ancien inspecteur de la police belge et ancien fonctionnaire du bureau de sécurité, assurait des tâches importantes de responsabilité et de confiance,
- que l'institution était en droit d'attendre de ses fonctionnaires et en particulier de la part d'un ancien fonctionnaire du bureau de sécurité une honnêteté irréprochable,
- que M. V avait sciemment essayé de fausser les résultats du concours général en violation du principe selon lequel les candidats doivent se trouver en position d'égalité par rapport à ces concours,
- que le comportement de M. V entraînait un risque sérieux de réussite aux épreuves de candidats qui ne possédaient pas les qualifications nécessaires, ce qui aurait lésé tant les autres candidats que les intérêts de l'institution,
- que, en refusant de fournir toute indication quant à l'origine du corrigé type, M. V avait manqué à son devoir de coopération,
- que M. V avait ainsi abusé de la confiance qui doit exister entre le fonctionnaire et l'institution à laquelle il appartient.
28 Il convient de souligner que les six raisons invoquées par l'AIPN, analysées au regard de l'ensemble des circonstances d'espèce que l'AIPN a eu à examiner - y compris les circonstances invoquées par le conseil de discipline, tirées de six années de service irréprochables et des rapports de notation antérieurs -, constituaient une motivation suffisante pour permettre au Tribunal de procéder à un contrôle juridictionnel du bien-fondé matériel de la décision.
29 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, contrairement à ce qui a été jugé par le Tribunal aux points 41 et 52 de l'arrêt attaqué, la décision litigieuse indiquait de manière suffisamment précise les raisons pour lesquelles l'AIPN avait décidé d'infliger à M. V une sanction plus sévère que celle préconisée par le conseil de discipline. Le Tribunal a donc commis une erreur de droit.
30 Le premier moyen ainsi que la seconde branche du deuxième moyen du pourvoi de la Commission sont donc fondés.
31 Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués à l'appui du pourvoi, il y a donc lieu d'annuler l'arrêt attaqué en tant qu'il a, d'une part, annulé la décision litigieuse pour insuffisance de motivation et, d'autre part, condamné la Commission aux dépens, y compris ceux afférents à des procédures de référé antérieures.
Sur le renvoi de l'affaire au Tribunal
32 Aux termes de l'article 54, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, «Lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé, soit renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue».
33 En l'espèce, la Cour estime ne pas être mesure de juger l'affaire puisqu'il n'est pas exclu que des constatations factuelles doivent être prises pour juger des autres moyens invoqués en première instance. Il y a donc lieu de renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue sur le fond en examinant les autres moyens invoqués par M. V en première instance.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
(première chambre)
déclare et arrête:
1) L'arrêt du Tribunal de première instance du 28 mars 1996, V/Commission (T-40/95), est annulé en tant qu'il a, d'une part, annulé la décision de la Commission du 18 janvier 1995 portant révocation de M. V pour insuffisance de motivation et, d'autre part, condamné la Commission aux dépens, y compris ceux afférents à des procédures de référé antérieures.
2) L'affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance pour qu'il statue sur les autres moyens invoqués par M. V en première instance.
3) Les dépens sont réservés.