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21/11/1996 | CJUE | N°C-235/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Cosmas présentées le 21 novembre 1996., AGS Assedic Pas-de-Calais contre François Dumon et Froment, mandataire liquidateur des Etablissements Pierre Gilson., 21/11/1996, C-235/95


Avis juridique important

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61995C0235

Conclusions de l'avocat général Cosmas présentées le 21 novembre 1996. - AGS Assedic Pas-de-Calais contre François Dumon et Froment, mandataire liquidateur des Etablissements Pierre Gilson. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Douai - France. - Politique sociale

- Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - D...

Avis juridique important

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61995C0235

Conclusions de l'avocat général Cosmas présentées le 21 novembre 1996. - AGS Assedic Pas-de-Calais contre François Dumon et Froment, mandataire liquidateur des Etablissements Pierre Gilson. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Douai - France. - Politique sociale - Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 80/987/CEE - Article 4 - Effet direct - Opposabilité aux particuliers des dispositions nationales qui fixent le plafond pour la garantie de
paiement en l'absence d'information de la Commission. - Affaire C-235/95.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-04531

Conclusions de l'avocat général

Observations préliminaires

Dans la présente affaire, la Cour est invitée à se prononcer à titre préjudiciel sur deux questions que lui a posées la cour d'appel de Douai et qui portent sur l'interprétation des dispositions des articles 4 et 11 de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (1) (ci-après la «directive»).

I - Le cadre législatif

A - Les dispositions du droit communautaire

1 La directive précitée vise à instituer un régime national de garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés.

a) L'article 3 de cette directive se lit comme suit:

«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que des institutions de garantie assurent, sous réserve de l'article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période qui se situe avant une date déterminée.

2 La date visée au paragraphe 1 est, au choix des États membres:

- soit celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur,

- soit celle du préavis de licenciement du travailleur salarié concerné, donné en raison de l'insolvabilité de l'employeur,

- soit celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ou celle de la cessation du contrat de travail ou de la relation de travail du travailleur salarié concerné, intervenue en raison de l'insolvabilité de l'employeur.»

b) L'article 4 de ladite directive dispose ce qui suit:

«1. Les États membres ont la faculté de limiter l'obligation de paiement des institutions de garantie, visée à l'article 3.

2. Lorsque les États membres font usage de la faculté visée au paragraphe 1, ils doivent:

- dans le cas visé à l'article 3 paragraphe 2 premier tiret, assurer le paiement des créances impayées concernant la rémunération afférente aux trois derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail qui se situent à l'intérieur d'une période de six mois précédant la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur,

- dans le cas visé à l'article 3 paragraphe 2 deuxième tiret, assurer le paiement des créances impayées concernant la rémunération afférente aux trois derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail qui précèdent la date du préavis de licenciement du travailleur salarié, donné en raison de l'insolvabilité de l'employeur,

- dans le cas visé à l'article 3 paragraphe 2 troisième tiret, assurer le paiement des créances impayées concernant la rémunération afférente aux dix-huit derniers mois du contrat de travail ou de la relation de travail qui précèdent la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ou la date de la cessation du contrat de travail ou de la relation de travail du travailleur salarié, intervenue en raison de l'insolvabilité de l'employeur. Dans ces cas, les États membres peuvent limiter
l'obligation de paiement à la rémunération afférente à une période de huit semaines ou à plusieurs périodes partielles, ayant au total la même durée.

3 Toutefois, les États membres peuvent, afin d'éviter le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la présente directive, fixer un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés.

Lorsque les États membres font usage de cette faculté, ils communiquent à la Commission les méthodes selon lesquelles ils fixent le plafond.»

c) L'article 11 de la directive dispose ce qui suit:

«1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive dans un délai de trente-six mois à compter de sa notification. Ils en informent immédiatement la Commission.

2. Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions législatives, réglementaires et administratives qu'ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive.»

B - Les dispositions litigieuses du droit national

2. Le droit français contenait déjà avant l'entrée en vigueur de la directive une disposition concernant la protection des travailleurs salariés contre le risque de non-versement des rémunérations en raison de l'insolvabilité de l'employeur. Plus précisément, en vertu de la loi française 73-1194 du 27 septembre 1973 (2) a été constituée l'Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés (ci-après l'«AGS»), qui fonctionne comme un organisme de garantie et dont la caisse est
alimentée par les cotisations des organisations nationales professionnelles des employeurs. Chaque fois qu'elle paie des créances de travailleurs, l'AGS est subrogée dans les droits de ceux-ci vis-à-vis de l'employeur ou de ses représentants légaux (il s'agit en fait du syndic de la faillite ou de l'administrateur judiciaire). La gestion régionale de l'AGS est assurée par les Assedics.

3. Avec l'entrée en vigueur de la loi du 27 décembre 1973, dont les dispositions ont été insérées dans le code du travail français par l'article L. 143-11-8, certaines restrictions ont été apportées au versement des garanties précitées. Plus précisément, l'article D. 143-2 du code du travail français dispose ce qui suit:

«Le montant maximum de garantie prévu à l'article L. 143-11-8 du code du travail est fixé à treize fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d'assurance chômage lorsque les créances résultent de dispositions législatives ou réglementaires ou de stipulations d'une convention collective et sont nées dans un contrat de travail dont la date de conclusion est antérieure de plus de six mois à la décision prononçant le redressement judiciaire.

Il s'apprécie à la date à laquelle est due la créance du salarié et au plus tard à la date du jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire.

Dans les autres cas, le montant de cette garantie est limité à quatre fois le plafond mentionné à l'alinéa ci-dessus.»

4 Le législateur français a donc soumis les garanties à verser à deux limitations, qui sont fonction des conditions dans lesquelles les créances sont nées. Il s'agit du «plafond 13» et du «plafond 4», sur la base desquels s'apprécient les créances des travailleurs sur l'AGS. Le 1er juillet 1995, le «plafond 4» atteignait 205 440 FF et le «plafond 13» 667 680 FF.

II - Les faits en cause dans le présent litige

5 M. François Dumon a été engagé comme VRP (représentant) par la société «Établissements Gilson» le 1er avril 1977. Par jugement du 22 août 1989, le tribunal de commerce de Lille a mis l'employeur en liquidation judiciaire et a nommé un liquidateur. M. Dumon a cessé de travailler dans cette entreprise le 8 décembre 1989, après avoir été licencié pour motif économique.

Sur la base de ces éléments et dans la mesure où ses créances salariales n'avaient pas été intégralement payées par le liquidateur de la société, M. Dumon a saisi le conseil de prud'hommes de Tourcoing en demandant, d'une part, la fixation du montant exact de ses créances et, d'autre part, leur prise en charge par l'AGS, représentée par l'Assedic du Pas de Calais.

6 Statuant par jugement du 27 janvier 1995, le conseil de prud'hommes a jugé que M. Dumon détenait une créance régulière sur la masse de la société en liquidation et il a fixé le montant des créances impayées, nées de la relation de travail ayant existé entre M. Dumon et la société, à 380 840 FF. En outre, rejetant les allégations de l'AGS, il a déclaré que la créance précitée était opposable à l'AGS à concurrence du «plafond 13», conformément aux dispositions du code du travail.

7 L'AGS, qui était représentée par l'Assedic du Pas de Calais, a interjeté appel du jugement de première instance devant la cour d'appel de Douai en faisant valoir que le plafond applicable dans le cas de M. Dumon était le «plafond 4» et non le «plafond 13». Par conséquent, eu égard aux sommes qui lui avaient déjà été versées, l'intimé avait épuisé ses droits à son égard.

M. Dumon, quant à lui, demande à la juridiction de deuxième instance, outre la confirmation du jugement attaqué, qu'il soit ordonné à l'appelante de verser les sommes garanties en cause pour le montant des créances déjà vérifiées, sous déduction de la partie déjà versée et à concurrence du montant de 380 840 FF, c'est-à-dire selon le «plafond 13».

8 Subsidiairement, M. Dumon soutient que les dispositions de la législation française qui fixent des plafonds pour la garantie de paiement, plus particulièrement l'article D. 143-2 du code du travail français, sont incompatibles avec les dispositions de la directive. Selon lui, cette directive, qui a des effets directs dans l'ordre juridique français, énonce le principe de la garantie illimitée de paiement des créances des travailleurs salariés résultant de la relation de travail à partir du moment
où l'employeur est devenu insolvable et impose aux États membres l'obligation de se conformer à ses prescriptions dans le délai de trente-six mois à compter de sa notification. Toujours selon M. Dumon, cette directive prévoit, à titre exceptionnel, la faculté pour le législateur national de fixer des plafonds pour les garanties de paiement, tout en subordonnant cette faculté à une communication préalable à la Commission. M. Dumon estime que, dans le cas de l'article D. 143-2 du code du travail
français, rien ne permet de dire qu'il y a eu communication préalable à la Commission, ce qui fait que, selon l'interprétation qu'il considère comme étant la plus correcte, les dispositions nationales en cause ne sont pas applicables.

M. Dumon demande pour ces raisons à la cour d'appel de déférer une question préjudicielle, de manière à trancher le problème de la compatibilité des dispositions de l'article D. 143-2, précité, avec la directive.

9 La cour d'appel de Douai, statuant par arrêt du 27 janvier 1995, tout en faisant remarquer que cette directive ne peut pas, «en raison de sa nature, et contrairement à un règlement, créer systématiquement un droit au profit d'un particulier», a finalement accepté de surseoir à statuer dans le litige dont elle était saisie et de déférer à titre préjudiciel deux questions à la Cour.

III - Questions préjudicielles

10 Les questions posées à titre préjudiciel à la Cour se lisent comme suit:

«1) L'article 4 de la directive 80/987/CEE, du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur est-il de portée générale et obligatoire et doit-il dès lors avoir un effet direct en droit national?

2) En l'absence d'information de la Commission dans les conditions prescrites par l'article 11 de la directive du 20 octobre 1980, l'article D. 143-2 du code du travail français (qui énonce que le montant maximum de la garantie prévue à l'article L. 143-11-8 du code du travail est fixé à treize fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d'assurance chômage lorsque les créances résultent des dispositions législatives ou réglementaires ou de stipulations d'une convention
collective et sont nées d'un contrat de travail dont la date de conclusion est antérieure de plus de six mois à la décision prononçant le redressement judiciaire et que dans les autres cas le montant de cette garantie est limité à quatre fois le plafond mentionné ci-dessus) est-il compatible avec cette directive?»

IV - Sur la recevabilité

11 L'appelante dans la procédure principale, le gouvernement français et la Commission soulèvent le problème de la recevabilité du renvoi préjudiciel.

12 Le gouvernement français, à l'argumentation duquel renvoie aussi l'appelante dans la procédure principale, renverse l'ordre des questions posées et observe ce qui suit:

En ce qui concerne la deuxième question, le gouvernement français fait remarquer qu'il a satisfait à l'obligation de communication préalable, imposée par l'article 4, paragraphe 3, de la directive, et qu'il a respecté l'article 11 de celle-ci. Plus particulièrement, les plafonds pour le paiement des créances impayées, introduits par les dispositions de l'article D. 143-2 du code du travail français, sont cités dans deux rapports que le gouvernement français a adressés, en 1984 et en 1986, à la
Commission par l'intermédiaire du secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI) et de la représentation permanente de la France auprès des Communautés européennes, rapports qui concernaient spécifiquement la mise en conformité des dispositions nationales françaises avec la directive 80/987. Il fait encore remarquer que le rapport de la Commission, du 15 juin 1995 (3), sur la transposition de la directive précitée ne contient aucune
critique ni aucune observation en ce qui concerne la République française.

Par conséquent, rien ne permet de dire que les dispositions de l'article D. 143-2 du code du travail français n'auraient pas été communiquées à la Commission, ce qui fait que tant la deuxième que la première question sont dépourvues d'objet et qu'il n'est pas nécessaire que la Cour y réponde.

13 Tout aussi intéressantes sont les observations de la Commission, qui se focalisent sur la recevabilité de la deuxième question préjudicielle.

14 D'une part, la Commission fait remarquer qu'il résulte d'une jurisprudence constante que, lorsque la Cour répond à une question préjudicielle dont elle est saisie, conformément aux dispositions de l'article 177 du traité CE, elle n'est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d'une mesure nationale avec le droit communautaire. Dans ces conditions, la Cour ne peut pas répondre à la deuxième question de la cour d'appel de Douai telle qu'elle est formulée. La Commission rappelle encore la
méthode de la Cour qui consiste à reformuler les questions préjudicielles en s'efforçant, sous l'angle du seul droit communautaire, de fournir à la juridiction nationale, par sa réponse, les éléments dont celle-ci a besoin pour juger le litige pendant devant elle.

15 D'autre part, selon la Commission, la deuxième question repose sur une «erreur matérielle» dans la mesure où la méthode de fixation des plafonds, définie par les dispositions de l'article D. 143-2 du code du travail français, a été communiquée à la Commission dès 1979, c'est-à-dire avant l'adoption de la directive. Elle ajoute que, en réalité, le système français de garantie du paiement des créances des travailleurs salariés sur leurs employeurs, avec ses règles et ses plafonds, a servi de modèle
pour l'élaboration de la directive (4). La Commission avait donc pris connaissance des méthodes de fixation des plafonds pour la garantie de paiement des créances salariales dès le 12 février 1979, par des documents d'information que la représentation permanente de la France avait envoyés au Conseil. Plus précisément, il ressort d'un document du Conseil, du 12 février 1979 (5), premièrement que la Commission avait déjà élaboré une étude comparative des systèmes nationaux de protection des
travailleurs, deuxièmement que, en ce qui concerne la législation française, la Commission avait expressément cité les dispositions concernées du code du travail français (qu'elle connaissait donc) et, troisièmement, que l'approbation du système existant de fixation des plafonds avait déjà été demandée au moyen des documents d'information que la représentation permanente de la France avait envoyés au Conseil.

Eu égard à ce qui précède, la Commission estime que la deuxième question est devenue une question hypothétique, reposant sur une erreur matérielle.

16 Il convient d'observer ce qui suit sur les exceptions d'irrecevabilité qui sont exposées ci-dessus:

Si la première question préjudicielle ne semble pas se heurter à des objections graves quant à sa recevabilité (6), il n'en va à première vue pas de même pour la recevabilité de la deuxième question.

Tout d'abord, la deuxième question doit être interprétée comme suit: la Cour est invitée à préciser quelles conséquences juridiques s'attachent à la violation de l'obligation de communication préalable des mesures nationales limitant le paiement des créances impayées des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, laquelle obligation semble être imposée par les dispositions de la directive, afin de préciser dans quelle mesure les dispositions du droit national sont inapplicables en
cas de défaut de communication.

17 La Commission et le gouvernement français ayant invoqué des éléments de fait concernant la communication par les autorités françaises des dispositions de droit national relatives à la fixation des plafonds pour la garantie de paiement aux travailleurs salariés et concernant le fait que la Commission connaissait dès lors ce système national de plafonnement, il reste à examiner dans quelle mesure la question posée a un caractère purement hypothétique et est dépourvue d'objet.

18 Nous estimons que cette argumentation ne doit pas être acceptée.

19 Il faut souligner avant tout que, à l'époque où la question a été posée, le juge national ne pouvait pas connaître les éléments de fait, invoqués par le gouvernement français et la Commission. Ainsi qu'il ressort aussi des observations qu'elle a déposées à la Cour (7), l'Assedic n'a pris connaissance des actions que les autorités françaises avaient entreprises pour faire connaître le système français de limitation de la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés que
postérieurement à la date de l'ordonnance de renvoi. Ces actions n'ont donc pas pu être invoquées devant la juridiction de renvoi. Par conséquent, on ne peut pas considérer, comme le soutient la Commission, que le juge de renvoi a commis une «erreur» dans le cadre de l'examen et de l'appréciation juridique des faits de la cause.

20 Il ne résulte pas non plus du texte de la question posée que le juge national considère comme établi le défaut de communication par les autorités françaises. Il demande seulement à la Cour de dire quelles conséquences la réglementation communautaire attache au défaut de communication. La question posée ne repose dès lors pas sur des faits inexacts, dans la mesure où il ne ressort pas du texte de l'ordonnance de renvoi que le juge national s'est déjà prononcé sur l'existence ou l'absence de
communication de la part du gouvernement français, ni que la question préjudicielle a été posée sur la base de ces faits (8).

21 Or, indépendamment de ces observations, il y a aussi lieu de poursuivre l'examen de la deuxième question en raison de la nature même de la procédure de l'article 177 du traité, en tant que moyen de collaboration entre le juge national et le juge communautaire, selon les données jurisprudentielles déjà indiquées (9). Lorsqu'elle s'efforce de fournir à la juridiction nationale les éléments d'interprétation des dispositions de droit communautaire dont celle-ci a besoin pour résoudre le litige au
principal, la Cour ne s'interroge pas sur les circonstances et le cadre factuel qui ont conduit la juridiction nationale à déférer une question préjudicielle comme un préalable à la solution du litige au principal (10) et elle ne cherche pas non plus à vérifier l'exactitude des faits du litige au principal (11). Considérant comme une donnée la description des éléments de fait et de droit qui composent la question posée, telle qu'elle figure dans le texte de l'ordonnance de renvoi, la Cour donne la
réponse demandée, à moins que ces éléments ne soient manifestement contradictoires et inexacts, ou aient un caractère purement hypothétique (12), ou soient tellement fragmentaires qu'ils ne lui permettent pas, faute d'une connaissance des faits à l'origine du litige au principal, d'interpréter les règles communautaires au regard de cette situation (13).$

22 Il résulte des données figurant dans l'ordonnance de renvoi que la cour d'appel de Douai a suffisamment défini le cadre réglementaire dans lequel s'inscrit la deuxième question. Par conséquent, nous ne pouvons pas considérer que cette question a acquis un caractère hypothétique, le gouvernement français et la Commission ayant fourni certains éléments dans le cadre de la procédure écrite devant la Cour. D'une part, admettre que la question a un caractère hypothétique suppose que l'on ait examiné
des éléments de fait sortant du cadre factuel sur lequel est basée l'ordonnance de renvoi. D'autre part - et cela nous paraît encore plus important -, considérer la deuxième question comme hypothétique suppose que l'on ait effectué une appréciation juridique des éléments de fait qui ont été fournis dans le cadre de la procédure écrite et que l'on ait déterminé dans quelle mesure ces éléments peuvent être considérés comme apportant la preuve de la communication à la Commission du système national de
plafonnement, conformément à la lettre et à l'esprit des dispositions de la directive. En d'autres termes, cette solution conduit la Cour à formuler une troisième question d'interprétation, qui ne se pose pas et qui s'intercale logiquement entre la première et la deuxième question préjudicielles et dont la solution rendra peut-être la deuxième question inopérante.

23 Or, selon la jurisprudence constante précitée, mais aussi en vertu de la logique générale du mécanisme mis en place par l'article 177 du traité, selon lequel il faut respecter, autant que faire se peut, le contenu et les données de l'ordonnance de renvoi, il ne faut pas écarter la deuxième question posée en tant qu'elle serait une question hypothétique. Au contraire, il est davantage conforme à l'esprit de l'article 177 du traité et à la jurisprudence, qui favorisent la collaboration entre le
juge national et le juge communautaire, que la Cour examine cette question sur le fond et, si la réponse à cette question fait apparaître que les nouveaux éléments, qui ont été fournis au cours de la procédure devant la Cour, sont utiles pour trancher le litige au principal, qu'elle mentionne leur existence dans son arrêt, afin que la juridiction de renvoi en prenne connaissance.

V - Sur le fond

A - En ce qui concerne la première question préjudicielle

24 La cour d'appel de Douai demande si l'article 4 de la directive 80/987 a une «portée générale et obligatoire», de telle sorte qu'il a un «effet direct» en droit national.

25 Pour répondre correctement à cette question, il nous paraît utile d'observer ce qui suit à titre d'introduction: les dispositions de l'article précité complètent celles de l'article 3 de la directive. Selon cet article, les États membres doivent mettre en place un système assurant le paiement des créances des travailleurs salariés qui n'ont pas été payées en raison de l'insolvabilité de l'employeur. Les dispositions de l'article 4 visent précisément à limiter cette obligation générale des États,
qui concerne en principe l'ensemble des créances salariales, nées soit avant la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur, soit avant la date du préavis de licenciement du travailleur salarié (donné en raison de l'insolvabilité de l'employeur), soit avant la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ou celle de la cessation du contrat de travail ou de la relation de travail, intervenue en raison de l'insolvabilité de l'employeur.

26 L'article 4 de la directive dispose que les États membres ont la faculté de prévoir deux types de limitations: d'une part, selon les paragraphes 1 et 2 de cet article, les États membres ont la faculté de limiter dans le temps le paiement des créances impayées; ils doivent toutefois assurer au moins le paiement des créances afférentes à une période minimale, que cette disposition communautaire fixe en détail, toujours en fonction de la date que chaque État membre a choisie, en vertu de l'article 3
de la directive, comme date à laquelle les créances en question prennent naissance. D'autre part, conformément à l'article 4, paragraphe 3, de la directive, les États membres peuvent fixer un plafond pour les créances à payer lorsque le système, décrit dans les dispositions des articles 3 et 4, paragraphe 2, de la directive, aboutit au versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la directive. Dans ce cas, lorsque les États membres font usage de la faculté prévue par le paragraphe 3,
ils communiquent à la Commission les méthodes selon lesquelles ils ont fixé le plafond.

27 En bref, il suffit de retenir que, alors que l'article 3 de la directive prévoit d'une manière générale l'obligation pour les États membres de garantir, par l'intermédiaire d'institutions de garantie, le paiement des créances des travailleurs salariés qui n'ont pas été payées en raison de l'insolvabilité de l'employeur, l'article 4 de la même directive a trait aux limites de cette obligation.

Par conséquent, lorsque la Cour est invitée à déterminer dans quelle mesure l'article 4 de la directive a une «portée générale et obligatoire» et un «effet direct» dans l'ordre juridique national, elle est en fait invitée à déterminer comment les droits des travailleurs, susceptibles de découler de la force obligatoire et de l'effet direct de la directive dans son ensemble, en particulier de son article 3, sont éventuellement affectés. L'article 4 ne pourrait pas, comme tel, avoir des effets directs
dans l'ordre juridique national dans la mesure où, même s'il ne prévoit pas d'obligations, il ne consacre à tout le moins pas de droits autonomes, mais il limite plus précisément les droits que l'article 3 de la directive consacre éventuellement dans l'intérêt des travailleurs. En outre, la Cour admet, selon une jurisprudence constante, qu'une directive ne peut pas par elle-même créer des obligations dans le chef d'un particulier et qu'une disposition d'une directive ne peut pas non plus être
invoquée à son encontre (14). La Cour a affirmé que, bien au contraire, «dans tous les cas où des dispositions d'une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant le juge national à l'encontre de l'État, soit lorsque celui-ci s'abstient de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu'il en fait une transposition incorrecte» (15).

28 Par conséquent, il faut logiquement examiner au préalable dans quelle mesure l'article 3 de la directive, qui énonce le contenu du droit au paiement des créances des travailleurs qui n'ont pas été payées en raison de l'insolvabilité de l'employeur, peut avoir des effets directs. Il ne conviendra d'examiner la force obligatoire de l'article 4 de la directive litigieuse que si, et seulement si, l'examen de l'article 3 de la même directive fait clairement apparaître que cette disposition contient
les éléments qui, selon la jurisprudence, sont nécessaires pour qu'elle ait des effets directs dans les ordres juridiques nationaux, en consacrant dans son cadre général le contenu du droit des travailleurs à ce que le paiement de leurs créances impayées soit assuré. Cet article 4 pourrait être considéré comme le complément logique d'une réglementation communautaire plus générale, favorable aux particuliers, lequel complément circonscrit et délimite en fait la mise en oeuvre de cette réglementation
générale. Ce n'est que sous cet angle que l'on peut affirmer que les dispositions de l'article 4 de la directive ont des effets directs.

29 Après ces précisions indispensables, le moment est venu d'examiner les dispositions des articles 3 et 4 de la directive quant à leur contenu. La Cour s'est déjà penchée sur ce problème dans l'arrêt Francovich I (16), dont il est, selon nous, utile d'exposer d'entrée de jeu le raisonnement.

30 Déterminer dans quelle mesure les dispositions de la directive relatives aux droits des travailleurs quant à la garantie de paiement de leurs créances impayées sont inconditionnelles et suffisamment précises soulève trois problèmes fondamentaux: il convient de rechercher qui a droit à cette garantie, quel est le contenu de celle-ci et, enfin, qui est le débiteur. Dès lors que l'article 1er de la directive, qui concerne l'identité des bénéficiaires, satisfait aux exigences de clarté, de manière à
ce qu'il soit considéré comme ayant des effets directs, la Cour a ensuite abordé la question du contenu de ce droit, lequel fait l'objet des articles 3 et 4 de la directive.

31 Le fait que le premier de ces deux articles laisse aux États membres un droit d'option quant à la fixation du délai à partir duquel le paiement des créances doit être garanti n'a pas à lui seul pour effet que le contenu de ce droit a un caractère vague. La possibilité pour les États membres de déterminer les méthodes permettant de fixer les créances et d'en limiter le montant «n'affecte pas le caractère précis et inconditionnel du résultat prescrit» (17). Les travailleurs tirent de la directive
le droit de percevoir une garantie dont le montant est le plus bas possible, tel que ce montant peut être calculé sur la base du choix, parmi les trois méthodes alternatives offertes aux États membres par l'article 3, de celle qui comporte la charge la moins lourde pour l'institution de garantie.

32 Nous observerons parallèlement que, en ce qui concerne l'article 4, paragraphe 2, la possibilité de limiter ladite garantie, prévue par cet article, non seulement n'exclut pas la fixation d'une garantie minimale concrète mais, au contraire, l'impose. L'État membre a la faculté de limiter l'obligation de paiement, mais cette obligation doit à tout le moins se rapporter à des périodes de six mois, de trois mois ou de huit semaines, et cela en fonction du point de départ du délai prévu par l'article
3 pour l'ouverture du droit.

En d'autres termes, quelle que soit, parmi les trois méthodes de calcul, celle qui est suivie par l'État membre lorsqu'il fait usage de la faculté qui lui est offerte par les articles 3 et 4, paragraphe 2, de la directive, les dispositions du droit communautaire permettent en tout cas de déterminer de manière précise un montant minimal obligatoire de la garantie. Par conséquent, le droit direct que la directive prévoit en faveur du travailleur, d'une manière qui ne laisse place à aucune hésitation
ou imprécision, correspond à la perception du moins élevé des trois montants qui découlent des calculs précités.

33 Le montant minimal de la créance en question peut évidemment être réduit davantage si l'État membre fait usage de la faculté que lui reconnaît l'article 4, paragraphe 3, et fixe un plafond supplémentaire pour la garantie de paiement, afin d'empêcher le versement de sommes excessives, si les institutions nationales compétentes jugent que le droit reconnu par la directive va au-delà de la finalité sociale de celle-ci. Or, pour qu'un État membre puisse se prévaloir de cette possibilité, il faut
qu'il ait mis correctement en oeuvre les autres dispositions de la directive. L'arrêt Francovich I dit expressément qu'«un État membre ayant manqué à ses obligations de transposer une directive ne saurait faire échec aux droits que la directive fait naître au profit des particuliers en se fondant sur la faculté de limiter le montant de la garantie qu'il aurait pu exercer au cas où il aurait pris les mesures nécessaires pour la mise en oeuvre de la directive...» (18).$

34 Eu égard à ce qui précède, la Cour a abouti à la conclusion que la directive est précise et inconditionnelle en ce qui concerne le contenu du droit qu'elle définit et qu'elle peut dès lors avoir des effets directs dans les ordres juridiques nationaux si ses autres éléments sont tout aussi clairs et inconditionnels.

35 Nous estimons que l'interprétation des dispositions des articles 3 et 4 de la directive, que la Cour a donnée dans l'affaire Francovich I, doit aussi être appliquée dans le présent cas d'espèce (19). Les effets ci-après sur les ordres juridiques nationaux semblent en particulier résulter des dispositions de l'article 4, auquel se réfère d'ailleurs la première question préjudicielle:

36 a) Des dispositions de l'article 4, paragraphes 1 et 2: dans la mesure où, ainsi qu'il a été dit, il découle des dispositions combinées des articles 3 et 4, paragraphes 1 et 2, de la directive que l'on peut déterminer avec précision trois limites minimales pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs et où l'État membre a la possibilité de choisir la méthode de calcul qui grève le moins le budget de l'institution de garantie nationale compétente, les travailleurs tirent
directement des articles 3 et 4, paragraphe 2, de cette directive le droit au paiement à tout le moins de la garantie minimale, telle qu'elle ressort de ce calcul (20), et ils peuvent faire valoir ce droit devant les juridictions nationales. L'allégation du gouvernement français selon laquelle aucune des dispositions de l'article 4 de la directive n'a des effets directs parce qu'aucune d'entre elles n'impose des obligations suffisamment précises et inconditionnelles aux États membres est dès lors
dénuée de tout fondement.

37 b) Des dispositions de l'article 4, paragraphe 3: ces dispositions n'ont par elles-mêmes aucun effet direct en ce sens qu'elles plafonnent les droits des travailleurs, découlant des autres dispositions de la directive, en particulier celles des articles 3 et 4, paragraphes 1 et 2. Plus précisément, ainsi que la Commission l'observe à juste titre, l'article 4, paragraphe 3, n'a pas par lui-même d'effets juridiques directs, c'est-à-dire qu'il ne peut pas être invoqué par les autorités publiques
nationales pour limiter les droits des travailleurs, découlant des autres dispositions de la directive. Si l'on tient compte de la solution sur laquelle la Cour a porté son choix dans l'affaire Francovich I en ce qui concerne les dispositions de l'article 4, paragraphe 3 (21), il faut admettre que, pour que cette disposition puisse être invoquée pour s'opposer aux prétentions des travailleurs, il faut, d'une part, que les autorités nationales aient transposé la directive et, d'autre part, qu'elles
aient fait usage, par un acte positif (22), de la faculté de fixer un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés, qui leur est offerte par l'article 4, paragraphe 3.

38 En outre, il serait contraire au principe juridique général «Nemo auditur propriam turpitudinem allegans», tel qu'il a été développé dans la jurisprudence constante de la Cour, de reconnaître à un État membre la faculté d'écarter les droits que la directive engendre dans le chef des particuliers en invoquant le manquement à son obligation de transposer la directive dans l'ordre juridique national ou les irrégularités de cette transposition ou encore le fait qu'il n'a pas fait usage des
possibilités que lui offre la directive concernée (23). Par conséquent, si les autorités nationales n'ont pas fait usage de la faculté de fixer des plafonds pour la garantie de paiement des créances, qui leur est offerte par l'article 4, paragraphe 3, de la directive, elles ne peuvent pas invoquer directement cette disposition de droit communautaire pour limiter les droits des travailleurs (24).

39 Tout autre est la question de savoir dans quelle mesure l'article 4, paragraphe 3, de la directive confère un droit direct aux travailleurs, en soumettant les autorités nationales à une obligation directe, spécifique, précise et inconditionnelle, différente de celle visée aux articles 3 et 4, paragraphes 1 et 2, de la directive. C'est cette interprétation que défend l'intimé dans la procédure principale. Il soutient que la disposition de l'article 4, paragraphe 3, est précise et inconditionnelle
en ce qu'elle impose aux États membres une obligation expresse et concrète de communiquer à la Commission les méthodes selon lesquelles ils fixent le plafond pour la garantie de paiement des créances. Il prétend que cette obligation comprend non seulement l'obligation de communiquer ce plafond, mais aussi celle de décrire en détail la méthode selon laquelle ce plafond est fixé, de manière à pouvoir en apprécier la légalité, en liaison avec la finalité sociale de la directive. Toujours selon son
raisonnement, à cette obligation des États correspond le droit des travailleurs d'invoquer devant les juridictions nationales les dispositions de l'article 4, paragraphe 3, de la directive et d'alléguer les manquements des autorités nationales à l'obligation de communication, afin que la garantie de paiement de leurs créances impayées ne soit pas soumise aux plafonds nationaux.

40 Cette argumentation appelle les observations suivantes:

Pour considérer que l'article 4, paragraphe 3, de la directive a des effets directs dans les ordres juridiques nationaux des États membres, il faut que les obligations nationales, définies dans cette disposition, soient précises et inconditionnelles, c'est-à-dire juridiquement complètes, obligatoires et autonomes. Par conséquent, pour déterminer les conséquences juridiques des dispositions de l'article 4, paragraphe 3, de la directive, il faut analyser les obligations qu'elles imposent aux États
membres. En d'autres termes, il faut se demander en quoi consiste l'obligation de communication, visée dans le dernier alinéa de l'article 4, paragraphe 3, de la directive et quelles conséquences s'attachent à la violation de cette obligation.

Il ne nous paraît pas utile, pour les raisons exposées plus haut, de répondre à cette partie de la première question avant d'avoir répondu à la deuxième question préjudicielle, qui concerne précisément la détermination des effets juridiques de l'inobservation, par les États membres, de l'obligation de communication des plafonds nationaux à la Commission, obligation qui semble découler tant de l'article 4, paragraphe 3, que de l'article 11 de la directive.

B - En ce qui concerne la deuxième question préjudicielle

41 Ainsi qu'il a déjà été dit plus haut, la deuxième question devra être élargie, de sorte qu'il s'agira de s'interroger sur les conséquences juridiques qui s'attachent au défaut de communication d'un plafond national à la Commission, non seulement à la lumière de l'article 11 de la directive - auquel la cour d'appel de Douai renvoie dans son arrêt -, mais aussi à la lumière du dernier alinéa de l'article 4, paragraphe 3, de la même directive. Il est nécessaire d'élargir cette question non seulement
afin de compléter la réponse à la première question préjudicielle, mais aussi afin de donner à la juridiction de renvoi les éléments les plus appropriés pour trancher le litige dont elle est saisie. Plus particulièrement, cette juridiction a été invitée à apprécier les conséquences qui s'attachent à un éventuel défaut de communication à la Commission des plafonds pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés, prévus par l'article D.143-2 du code du travail français.
Les dispositions de ce dernier article fixent des «plafonds», dans l'acception qui est celle de l'article 4, paragraphe 3, de la directive. En ce qui concerne maintenant l'obligation de communication de ces plafonds à la Commission, elle découle en principe de la disposition spécifique du dernier alinéa de l'article 4, paragraphe 3, de la directive, tandis que l'on peut aussi prendre en considération, à titre complémentaire, la disposition générale de l'article 11 de la même directive, en vertu de
laquelle les États membres sont tenus, d'une part, d'informer immédiatement la Commission de la mise en vigueur des dispositions nécessaires pour transposer la directive dans l'ordre juridique national et, d'autre part, de communiquer à la Commission le texte des dispositions nationales qu'ils adoptent dans des domaines régis par la directive.

42 Il y a donc lieu de déterminer les conséquences juridiques qui s'attachent à l'absence de communication des mesures nationales à l'institution communautaire compétente (25).

Les observations sur ce point des parties à la procédure écrite devant la Cour concernent seulement les questions de fait (26), sans aborder l'aspect juridique du problème (27). C'est la raison pour laquelle il est particulièrement important d'examiner sans retard la jurisprudence de la Cour qui a traité la présente question, fût-ce dans des cadres réglementaires différents, et qui nous paraît exhaustive.

Il convient de souligner à titre préliminaire que cette question a trait à la problématique plus générale de la spécificité de la relation juridique, créée par une réglementation communautaire, et de l'étendue des conséquences juridiques qui s'attachent à cette relation juridique pour les différentes parties (28). L'étude de la jurisprudence montre que, à tout le moins à première vue, l'obligation de communication d'une mesure nationale à une institution communautaire est plus ou moins
contraignante, et cela en fonction du cadre réglementaire spécifique dans lequel elle se situe. Quoi qu'il en soit, les critères sur la base desquels il faudra finalement déterminer dans quelle mesure un justiciable peut se prévaloir devant les juridictions nationales de la violation de cette obligation pour s'opposer à l'application d'une mesure nationale qui n'a pas été communiquée aux autorités communautaires compétentes ont déjà été énoncés dans la jurisprudence. L'examen des deux arrêts
suivants de la Cour présente un intérêt tout particulier à cet égard.

43 Dans l'affaire Enichem Base e.a. (29), la Cour a été invitée à interpréter l'article 3 de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (30), qui impose aux États membres l'obligation de communiquer à la Commission, avant son adoption définitive, tout projet de réglementation ayant trait à un des objets de la directive. Les questions posées concernaient notamment, d'une part, la détermination du contenu de cette obligation et, d'autre part, la mesure dans laquelle
cette disposition communautaire confère aux particuliers le droit de se prévaloir, devant les juridictions nationales, du défaut de communication préalable et en temps utile d'une réglementation nationale afin d'obtenir l'annulation ou l'inapplication de celle-ci.

Après avoir jugé que l'obligation de communication préalable n'est pas dépourvue d'intérêt juridique, mais concerne bien les administrations nationales, et cela d'une manière générale et certaine, la Cour a abouti à la conclusion que «ni le libellé ni le but de la disposition examinée ne permettent donc de considérer que le non-respect de l'obligation de communication préalable qui incombe aux États membres entraîne à lui seul l'illégalité des réglementations ainsi adoptées» (31) et que, par
conséquent, la disposition en cause «... doit être interprétée en ce sens qu'elle ne confère aux particuliers aucun droit qu'ils pourraient faire valoir devant les juridictions nationales, afin d'obtenir l'annulation ou l'inapplication d'une réglementation nationale» (32). Avant d'aboutir à cette solution, la Cour avait observé que la disposition en cause de la directive «se borne à imposer aux États membres l'obligation de communiquer à la Commission en temps utile les projets de réglementation que
(l'article de la directive) vise sans fixer de procédure de contrôle communautaire de ces projets et sans subordonner la mise en vigueur des réglementations envisagées à l'accord ou à la non-opposition de la Commission» (33). L'obligation imposée aux États membres vise uniquement à permettre l'information de la Commission, qui est seule habilitée à agir, si elle le juge utile, en cas de violation.

44 La Cour a repris le raisonnement de l'arrêt Enichem Base e.a. dans son récent arrêt CIA Security International (34), mais pour interpréter une autre disposition de directive et aboutir finalement à un résultat différent.

Aux termes de l'article 8, paragraphes 1 et 2, de la directive 83/189/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (35):

«Les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique ... ils adressent également à la Commission une brève notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une règle technique est nécessaire...

La Commission porte aussitôt le projet à la connaissance des autres États membres...

La Commission et les États membres peuvent adresser des observations sur le projet et l'État membre concerné devra en tenir compte dans la mesure du possible...» (36).

45 Après avoir affirmé que les dispositions en cause prévoient des obligations inconditionnelles et suffisamment précises pour les États membres de communiquer les projets de règles techniques à la Commission, la Cour a examiné les conséquences juridiques de la méconnaissance par les États membres de l'obligation de communication. Elle a abouti à la conclusion que cette obligation ne concerne pas uniquement les relations entre les États membres et la Commission, de sorte qu'elles ne pourraient pas
être invoquées par les particuliers devant les juridictions nationales. Avant d'être amenée à reconnaître que les dispositions précitées de la directive ont également un caractère obligatoire dans le cadre d'un différend entre des particuliers et un État membre, la Cour a fait le raisonnement suivant.

46 D'une part, elle a souligné que la directive vise à protéger la libre circulation des marchandises par un contrôle préventif et que l'obligation de notification constitue un moyen essentiel pour la réalisation de ce contrôle communautaire. L'efficacité de celui-ci sera d'autant renforcée que la directive est interprétée en ce sens que la méconnaissance de l'obligation de notification constitue «un vice de procédure substantiel de nature à entraîner l'inapplicabilité des règles techniques en cause
aux particuliers» (37).

47 D'autre part, la Cour a estimé que les dispositions concernées de la directive «prévoient une procédure de contrôle communautaire des projets de réglementations nationales et la subordination de la date de leur mise en oeuvre à l'accord ou à la non-opposition de la Commission» (38).

48 Pour ces raisons, et contrairement à la solution qu'elle avait adoptée dans l'affaire Enichem Base e.a., la Cour a dit pour droit que les particuliers peuvent se prévaloir des dispositions des articles 8 et 9 de la directive 83/189 devant le juge national, auquel il incombe de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à la directive (39).

49 Il découle dès lors de tout ce qui précède que, dans les affaires Enichem Base e.a. et CIA Security International, la Cour a utilisé deux critères, à savoir celui de la finalité de la disposition communautaire, qui impose l'obligation de la notification préalable des mesures nationales aux autorités communautaires, et celui de l'existence ou l'inexistence d'une procédure de contrôle communautaire, préalable à la mise en vigueur de la réglementation nationale. Lorsqu'il est satisfait à ces deux
critères cumulativement, un particulier peut se prévaloir devant les juridictions nationales du défaut de notification préalable, qui peut conduire à l'inapplication de la réglementation nationale concernée.

Nous pensons qu'il faut aussi appliquer un raisonnement identique pour répondre à la deuxième question préjudicielle, posée dans la présente affaire.

50 En ce qui concerne la finalité non seulement des dispositions des articles 4, paragraphe 3, et 11 de la directive, mais aussi de la directive dans son ensemble, il convient de souligner que l'obligation de communication des méthodes selon lesquelles les États fixent le plafond pour la garantie de paiement des créances des travailleurs salariés qui n'ont pas été payées en raison de l'insolvabilité de l'employeur vise uniquement à informer la Commission, et non à protéger les travailleurs. En
d'autres termes, l'obligation précitée n'a pas été édictée au profit des particuliers intéressés, mais elle régit uniquement les relations entre la Commission et les États membres. Il faudrait déduire de la lettre et de l'esprit des dispositions en cause que l'information de la Commission constitue un des éléments qui fondent la protection des droits et des intérêts que la directive vise à assurer au profit des travailleurs pour qu'ils puissent se prévaloir du défaut de notification des mesures
nationales, afin d'obtenir leur inapplication (40). Or, l'analyse des dispositions des articles 4, paragraphe 3, et 11 de la directive ainsi que celle des considérants de cette directive ne donnent à notre avis aucune latitude pour une interprétation en ce sens (41).

51 Un critère encore plus sûr pour déterminer quelles conséquences juridiques s'attachent au fait que la Commission n'a pas été informée, conformément à la directive concernée, est celui de l'existence ou l'inexistence d'une procédure spécifique de contrôle communautaire des mesures nationales qui ont été notifiées aux institutions communautaires et celui de la subordination de l'entrée en vigueur de la mesure nationale à l'accord de l'autorité communautaire de contrôle. La simple obligation de
notification préalable ne suffit pas. Cette obligation doit être prévue par la directive en tant qu'étape préliminaire d'un contrôle préalable concret, sans lequel le défaut d'information ne suffit jamais pour qu'il y ait annulation ou inapplication de la mesure nationale (42).

52 Pareil contrôle n'est pas prévu par les dispositions de la directive. Ni la Commission ni aucune autre institution communautaire n'a un pouvoir de contrôle sur les mesures nationales notifiées, et leur contenu et leur validité ne sont pas non plus appréciés ou affectés d'une autre manière. Les différences avec le cas de la directive 83/189, sur laquelle la Cour s'est penchée dans l'affaire CIA Security International, nous paraissent évidentes. En vertu de cette dernière directive, tout projet
national de nature technique, qui est notifié aux institutions communautaires, est soumis à un contrôle concret, dans le cadre duquel les autres États membres sont éventuellement informés. En tant qu'autorité de contrôle compétente, la Commission exprime son avis ou demande expressément que la règle technique soit modifiée; elle peut aussi décider des mesures fondamentales (proposition de directive, procédure au titre de l'article 169 du traité) si elle estime que cette règle n'est pas conforme à la
libre circulation des marchandises. Cette procédure spéciale est limitée dans le temps par des délais concrets, pendant lesquels la mesure nationale ne produit pas d'effets. Sa mise en vigueur est reportée à une date postérieure à son adoption, et cela en fonction de l'issue du contrôle communautaire.

Par conséquent, faute d'un contrôle minutieux des mesures nationales avant leur mise en vigueur, contrôle qui est fondé sur l'information préalable d'une institution communautaire et qui protège les intérêts des particuliers (que la directive vise à sauvegarder), les particuliers ne peuvent pas se prévaloir de l'inobservation de l'obligation de communication préalable des mesures nationales, imposée aux États membres, pour obtenir leur inapplication, même si cette obligation est expressément prévue
par le texte de la directive.

53 Conformément à ce qui est exposé ci-dessus, l'inobservation de l'obligation de communication des mesures nationales, imposée par les dispositions des articles 11 et 4, paragraphe 3, de la directive, n'est donc pas opposable par les particuliers dans le cadre d'une procédure devant les juridictions nationales et ne peut pas non plus conduire à l'annulation ou à l'inapplication de ces mesures nationales. En ce sens, à tout le moins, ces dispositions ne soumettent pas les États membres à des
obligations suffisamment précises et inconditionnelles, susceptibles d'engendrer des droits correspondants dans le chef des particuliers et dont ceux-ci peuvent se prévaloir devant les juridictions nationales.

54 Par conséquent, en ce qui concerne le litige au principal qui est pendant devant la juridiction nationale et dans le cadre duquel les questions précitées ont été posées à titre préjudiciel, il convient d'observer que, sur la base de notre analyse, l'examen de la question de savoir dans quelle mesure les plafonds, prévus par le code du travail français pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés, ont ou non été communiqués à la Commission n'a pas d'intérêt pratique
pour la solution de ce litige. D'après le même raisonnement, les éléments que le gouvernement français et la Commission (43) ont avancés pour étayer leur allégation selon laquelle la Commission avait été informée de l'existence de la disposition nationale en cause ne sont pas déterminants pour trancher ce même litige.

Or, à notre avis, il est de toute façon utile - surtout si la Cour ne suit pas la réponse proposée - d'envoyer pour information à la juridiction au principal, à savoir la cour d'appel de Douai, les éléments de fait qui ont été versés à l'instance, pour la première fois au cours de la procédure écrite devant la Cour.$

Conclusion

55 Eu égard à tout ce qui précède, nous proposons à la Cour de répondre dans les termes suivants aux questions posées à titre préjudiciel:

«1) L'article 4 de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, prévoit une obligation précise et inconditionnelle pour les États membres de garantir aux travailleurs à tout le moins le versement du montant minimal de la garantie de paiement de leurs créances qui n'ont pas été payées en raison de l'insolvabilité du débiteur, tel que ce
versement est prévu par les paragraphes 1 et 2 de l'article précité, après avoir choisi, parmi les méthodes de calcul prévues par le paragraphe 2, celle qui grève le moins l'institution de garantie nationale.

2) Les dispositions de l'article 4, paragraphe 3, de la directive 80/987, précitée, n'ont pas par elles-mêmes d'effet direct en droit national, en ce sens qu'elles limiteraient les droits des travailleurs découlant des autres dispositions de la directive. Toutefois, dans le cas où les États membres ont fixé des plafonds nationaux pour la garantie de paiement des créances impayées au sens de l'article 4, paragraphe 3, de la directive précitée, les travailleurs ne peuvent pas se prévaloir du défaut de
communication de ces plafonds nationaux à la Commission, prévue par le dernier alinéa du paragraphe précité et par l'article 11 de la même directive, pour demander aux juridictions nationales d'annuler ou de ne pas appliquer ces plafonds.»

(1) - JO L 283, p. 23.

(2) - JORF du 30 décembre 1973, p. 14145.

(3) - COM (95) 164 final.

(4) - Les observations de la Commission renvoient sur ce point au rapport de la Commission du 15 juin 1995 (déjà cité dans la note 3), en particulier au point 2 de l'annexe 1, p. 2.

(5) - Document du Conseil n_ 4649/79, ADD1 SOC 24.

(6) - Le point de vue selon lequel la première question est recevable trouve un fondement sérieux dans la jurisprudence constante de la Cour. Ainsi qu'il a déjà été jugé, l'article 177 du traité ne permet pas à la Cour de contrôler les motifs de la demande d'interprétation (arrêt du 19 décembre 1968, Salgoil, 13/68, Rec. p. 661) pour déterminer dans quelle mesure la réponse à la question préjudicielle est nécessaire pour trancher le litige au principal. En conséquence, le rejet d'une demande formée
par une juridiction nationale n'est possible «que s'il apparaissait de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire ou l'examen de la validité d'une règle communautaire, demandés par cette juridiction, n'ont aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal» (arrêt du 16 juin 1981, Salonia, 126/80, Rec. p. 1563, point 6). La Cour préfère ne s'abstenir de répondre que dans des cas extrêmes, par exemple lorsque la situation de fait et de droit exposée dans la demande est
décrite de manière «trop imprécise» ou a un caractère «purement hypothétique» (ordonnance du 23 mars 1995, Saddik, C-458/93, Rec. p. I-511, point 18). Un des critères permettant à la Cour de savoir si elle doit ou non examiner la question posée sur le fond est la possibilité pour la Cour de fournir une réponse «utile» (ordonnance du 7 avril 1995, Grau Gomis e.a., C-167/94, Rec. p. I-1023, point 11), toujours dans le cadre de «l'esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi
préjudiciel» (ordonnance Saddik, précitée). Il ne semble pas ressortir des données de la présente affaire que la première question n'a aucun rapport avec la base matérielle ou juridique du litige au principal, ni que les éléments litigieux sont décrits d'une manière trop imprécise ou sont examinés à titre purement hypothétique par la juridiction de renvoi, de sorte que la Cour n'aurait aucune marge pour fournir une réponse utile à la solution du litige au principal. Par conséquent, l'allégation du
gouvernement français quant à l'irrecevabilité de la première question est dénuée de fondement.

(7) - Page 6 des observations de l'appelante dans la procédure principale.

(8) - On ne pourrait pas non plus considérer que cette question a un caractère purement hypothétique pour la seule raison que la juridiction de renvoi demande quelles conséquences la réglementation communautaire attache au défaut de communication de la législation nationale alors qu'elle n'a pas encore statué sur la question de savoir s'il y a eu ou non manquement à l'obligation de communication (voir l'arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C-320/90, C-321/90 et C-322/90, Rec. p. I-393,
point 6). Il suffit dans ce cas que l'ordonnance de renvoi ait défini «le cadre factuel dans lequel s'insère» la question posée. On peut faire remarquer que, bien que cela reviendra à inverser l'ordre des questions, examiner les conséquences juridiques du défaut de communication avant d'examiner s'il y a eu ou non communication ne peut pas être considéré comme une erreur dans le raisonnement juridictionnel. Si l'on répond par la négative à la question de savoir dans quelle mesure il y a eu violation
de l'obligation de communication des mesures nationales de plafonnement, prévues par les dispositions des articles 4 et 11 de la directive, la question relative au traitement juridique des mesures nationales non communiquées reste dépourvue d'intérêt pratique. En revanche, si l'on estime que le défaut de communication à la Commission n'affecte pas la validité des plafonnements nationaux, il est inutile de se demander s'il y a eu ou non communication. Déterminer laquelle de ces deux questions doit
être examinée en premier lieu relève du pouvoir d'appréciation du juge national, dès lors que la réponse à au moins une de ces deux questions est nécessaire ou à la fois nécessaire et suffisante pour résoudre le litige dans la procédure principale.

(9) - Ordonnance du 3 juin 1964, Costa (6/64, Rec. p. 1195), et arrêt du 16 juillet 1992, Lourenço Dias (C-343/90, Rec. p. I-4673).

(10) - Arrêt du 18 octobre 1990, Dzodzi (C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, points 35 et 39).

(11) - Arrêt du 16 mars 1978, Oehlschläger (104/77, Rec. p. 791, point 4).

(12) - Voir l'ordonnance Saddik, citée dans la note 6.

(13) - Arrêt Telemarsicabruzzo e.a., cité dans la note 8 (points 6 à 9).

(14) - Voir les arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, Rec. p. 723, point 48), et du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, Rec. p. I-3325, points 20 à 25).

(15) - Arrêt du 23 février 1994, Comitato di coordinamento per la difesa della cava e.a. (C-236/92, Rec. p. I-483). Voir surtout les arrêts du 19 janvier 1982, Becker (8/81, Rec. p. 53), et du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo (103/88, Rec. p. 1839).

(16) - Arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357).

(17) - Arrêt cité dans la note 16 (point 18).

(18) - Voir l'arrêt Francovich I, cité dans la note 16 (point 21). Il convient de faire remarquer qu'il ne ressort pas expressément du texte même des dispositions de l'article 4 de la directive et de l'arrêt de la Cour dans l'affaire Francovich I que le «plafond», visé au paragraphe 3, est inférieur aux créances garanties par le paragraphe 2 et qui sont moins élevées. Or, cette interprétation s'impose, d'une part, en raison de l'emploi de l'adverbe «Toutefois...» au début du paragraphe 3 et, d'autre
part, en raison de la logique du système mis en place par la directive. Après avoir tout d'abord décrit la nature de l'obligation des institutions de garantie nationales dans son article 3, cette directive énonce, à l'article 4, la faculté pour les États membres de plafonner cette obligation. Cette faculté de plafonnement, visée à l'article 4, paragraphe 1, ne revêt pas une forme spéciale et n'est à plus forte raison pas automatique, et elle n'a pas besoin d'être motivée, précisément parce qu'elle
ne peut pas franchir certaines limites minimales, qui sont énoncées en détail et de manière impérative au paragraphe 2 du même article. Au contraire, la faculté de plafonnement, offerte par le dernier paragraphe de l'article 4, n'est pas définie quant à son étendue par la réglementation communautaire, elle suppose un acte positif de la part des autorités nationales (dans la mesure où seul un acte positif pourrait être communiqué à la Commission, conformément au deuxième alinéa de l'article 4,
paragraphe 3) et elle vise en particulier à empêcher le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la directive. Par conséquent, la faculté donnée par l'article 4, paragraphe 3, n'acquiert une utilité pratique que si l'État membre entend limiter l'obligation de paiement au-delà des limites indiquées avec précision à l'article 4, paragraphe 2, de la directive.

(19) - Notons que, contrairement aux données factuelles de l'affaire Francovich I (déjà citée dans la note 16) - d'après lesquelles les autorités italiennes s'étaient totalement abstenues de transposer la directive dans l'ordre juridique national -, la présente affaire ne concerne pas un manquement général de l'État membre à l'obligation de transposer l'économie de la directive dans l'ordre juridique national. La réponse aux questions posées se situe à un niveau différent, celui de la recherche du
contenu et de l'interprétation correcte de la directive, de manière à ce que le juge national puisse apprécier dans quelle mesure le système français de garantie du paiement des créances impayées des travailleurs est conforme aux règles édictées par la directive. Cette remarque n'est pas sans importance: dans l'arrêt Francovich I, la Cour a affirmé que les dispositions de la directive ne sont pas suffisamment précises et inconditionnelles pour que l'on puisse identifier le débiteur tenu de payer les
créances garanties, dans la mesure où il appartient à chaque État membre d'organiser intégralement le système institutionnel approprié de garantie (points 24 à 26) en créant les institutions de garantie compétentes et en fixant les modalités de leur financement. C'est aussi pour cette raison que M. Francovich ne pouvait pas invoquer la directive devant les juridictions italiennes en vue de contraindre l'État italien à payer lui-même ses créances impayées. En d'autres termes, la question de savoir si
la directive a des effets directs dépend de l'existence, dans l'État membre, d'un système national organisé de garantie du paiement des créances impayées des travailleurs. Cette condition est remplie dans le cas de la République française, qui nous intéresse dans la présente affaire. Par conséquent, une réponse affirmative éventuelle de la Cour quant au caractère précis et inconditionnel des dispositions de la directive, relatives à l'identité des bénéficiaires et au contenu du droit à la garantie
du paiement des créances salariales impayées suffit pour que cette directive ait un effet direct, en particulier à l'égard de la République française.

(20) - Ainsi qu'il découle de l'arrêt Francovich I (déjà cité dans la note 16), en particulier ses points 17 à 20, le droit des travailleurs, qui découle directement de la directive, parce que son contenu «peut être déterminé avec une précision suffisante sur la base des seules dispositions de la directive», correspond à la garantie minimale qui doit obligatoirement être payée par les institutions nationales compétentes, conformément aux articles 3 et 4, paragraphes 1 et 2, de la directive, étant
donné que cette garantie minimale peut en tout cas être déterminée avec précision par la seule application de ces dispositions de la directive.

(21) - Cité dans la note 16 (point 21).

(22) - Ainsi qu'il a déjà été dit (voir note 18 ci-dessus), la fixation des plafonds nationaux suppose un acte positif de la part de l'État membre dans la mesure où il est inconcevable que des plafonds puissent être communiqués à la Commission de manière tacite.

(23) - Bien que la Cour ne renvoie pas expressément à ce principe général, qui complète celui de la protection de la confiance légitime, elle l'observe toutefois fidèlement et rigoureusement, en particulier lorsqu'elle constate que les États membres ont commis des irrégularités et des illégalités lors de la transposition d'une directive (voir l'arrêt Faccini Dori, cité dans la note 14, point 23; voir aussi les arrêts Becker et Fratelli Costanzo, cités dans la note 15, ainsi que les arrêts du 7 mars
1996, El Corte Inglés, C-192/94, Rec. p. I-1281, et du 26 septembre 1996, Luciano Arcaro, C-168/95, Rec. p. I-4705.

(24) - Ce n'est en tout cas pas dans le cas de la France, pays d'origine du litige au principal, que se pose le problème du défaut d'usage de la faculté de limitation, prévue par l'article 4, paragraphe 3, de la directive. L'article D. 143-2 du code du travail français institue précisément une limitation nationale de ce genre.

(25) - Notons que le choix des termes «information», «communication» et «notification» par le législateur communautaire ne semble pas avoir d'importance pratique dans le sens que l'on pourrait établir une distinction entre ces termes et en déduire que leur utilisation correspond chaque fois à une volonté concrète du législateur ou devra être interprétée comme reflétant des situations juridiques spécifiques et différentes.

(26) - En ce qui concerne la spécificité des faits de la présente affaire, nous renvoyons aux points précédents de notre analyse. Voir ci-dessus, points 12 et suiv.

(27) - La Commission est la seule partie qui, sans répondre directement à la deuxième question, invoque le principe de l'interprétation conforme (à la règle communautaire) de la disposition de droit national en vue de soutenir que le juge national ne peut pas écarter la disposition de l'article D. 143-2 du code du travail français, mais doit l'appliquer selon la lettre et l'esprit de la directive. Plus précisément, elle renvoie à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, en appliquant le
droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci (arrêts du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, 14/83, Rec. p. 1891, point 26); du 16 décembre 1993, Wagner Miret, C-334/92, Rec. p. I-6911, point 30, et du 14 juillet 1994, Faccini Dori, cité dans la note
14, point 26). Transposant la solution jurisprudentielle au cas d'espèce, la Commission estime que le juge national ne saurait refuser d'appliquer le plafond fixé par la loi nationale si cette loi est conforme au texte de la directive, comme c'est le cas en l'espèce. Elle ajoute que «l'attitude du juge à l'égard d'une loi conforme à une directive ne saurait dépendre du respect par l'État membre d'une règle de procédure, telle l'information de la Commission» (observations écrites de la Commission, p.
12). Cette allégation de la Commission suppose qu'il ait été répondu par l'affirmative à la question de savoir dans quelle mesure la législation nationale est conforme à la réglementation communautaire correspondante, ce qui, ainsi qu'il a déjà été dit, échappe au contrôle juridictionnel de la Cour. En outre, l'allégation, selon laquelle un vice de procédure tel que le défaut de communication ne suffit pas pour justifier la mise à l'écart de la disposition nationale, suppose que l'on ait déterminé
avec précision les conséquences juridiques qui s'attachent à la violation des dispositions des articles 11 et 4, paragraphe 3, de la directive; en d'autres termes, elle nous ramène au point de départ de notre analyse. Sur ce point, le raisonnement de la Commission ne paraît donc pas particulièrement utile pour répondre à la deuxième question préjudicielle.

(28) - La réglementation juridique arrêtée par les institutions communautaires institue dans une large mesure une relation juridique tripartite entre la Communauté, les États membres et les citoyens (ceux-ci participent à cette relation juridique en des qualités différentes, telles que celles de contribuable, de travailleur salarié ou de travailleur indépendant). Comme toute règle de droit, et donc aussi la règle de droit communautaire, elle comporte pour les personnes qui sont parties à la relation
juridique certains droits et certaines obligations, c'est-à-dire des comportements obligatoires dont le respect est assuré par un système de sanctions pour les contrevenants. Or, contrairement au modèle classique de la règle de droit, dans lequel chaque réglementation est intégralement obligatoire pour toutes les parties à la relation juridique et dans lequel tout manquement entraîne des sanctions pour le contrevenant et un «droit à la sanction» correspondant pour la partie qui invoque la règle, les
règles du droit communautaire ne présentent pas dans l'ensemble ces caractéristiques. Il faut faire une distinction entre les règles qui opèrent d'une manière absolument obligatoire, c'est-à-dire les règles dont la violation par une des parties à la relation juridique donne aux autres parties le droit d'exiger le respect de la règle ou la sanction du contrevenant, et les règles partiellement obligatoires, lorsque leur inobservation peut conduire à la sanction du contrevenant mais que le «droit à la
sanction» n'appartient pas à toutes les autres parties à la relation juridique. En d'autres termes, la distinction bilatérale et classique entre les règles de droit «parfaites» et «imparfaites», les dernières n'ayant pas d'effet juridique parce qu'elles ne sont pas obligatoires, ne joue pas au niveau du droit européen. En droit européen, il est plus exact de distinguer entre règles de droit intégralement obligatoires et règles de droit partiellement obligatoires. Les institutions communautaires
déterminent le caractère plus ou moins obligatoire d'une règle selon le critère de la fonction «répressive» ou «régulatrice» que cette règle est censée avoir.

(29) - Arrêt du 13 juillet 1989 (380/87, Rec. p. 2491).

(30) - JO L 194, p. 39.

(31) - Arrêt Enichem Base e.a., cité dans la note 29 (point 22).

(32) - Arrêt Enichem Base e.a., cité dans la note 29 (point 24).

(33) - Arrêt Enichem Base e.a., cité dans la note 29 (point 20).

(34) - Arrêt du 30 avril 1996 (C-194/94, Rec. p. I-2201).

(35) - JO L 109, p. 8, telle qu'elle a été modifiée par la directive 88/182/CEE du Conseil, du 22 mars 1988 (JO L 81, p. 75).

(36) - L'article 9 de la directive 83/189/CEE dispose encore ce qui suit: «... les États membres reportent l'adoption d'un projet de règle technique de six mois à compter de la date de la communication si la Commission ou un autre État membre émet, dans les trois mois qui suivent cette date, un avis circonstancié selon lequel la mesure envisagée doit être modifiée...».

(37) - Arrêt CIA Security International, cité dans la note 34 (point 48).

(38) - Arrêt CIA Security International, cité dans la note 34 (point 50).

(39) - En ce qui concerne le fait que la Cour interprète et applique l'obligation de notification préalable, imposée par la directive 83/189, de manière stricte, voir l'arrêt du 17 septembre 1996, Commission/Italie (C-289/94, Rec. p. I-4405).

(40) - C'est précisément en cela que consiste le recours au critère téléologique dans les affaires Enichem Base e.a. et CIA Security International (déjà citées dans les notes 29 et 34, respectivement).

(41) - Au contraire, dans l'affaire CIA Security International (citée dans la note 34), ainsi qu'il ressort des considérants de la directive 83/189, l'information préalable de la Commission vise à protéger la libre circulation des marchandises, et cela précisément par le contrôle des règles techniques nationales par les organes communautaires compétents. L'information préalable des autorités communautaires quant à l'existence et au contenu des mesures nationales constitue évidemment la condition et
l'instrument indispensable de ce contrôle, qui a lieu dans l'intérêt des personnes qui veulent faire usage de la libre circulation des marchandises sur le plan communautaire.

(42) - Rien n'exclut évidemment que ce défaut de notification, qui est constitutif d'une violation d'une règle de droit communautaire, constitue le motif sur la base duquel la Commission prend certaines mesures contre l'État membre ou le sanctionne. Or, cette question concerne les relations entre la Communauté et les États membres et elle ne change rien aux relations entre les autorités nationales et les particuliers.

(43) - Voir points 12 et suiv. ci-dessus.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-235/95
Date de la décision : 21/11/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Douai - France.

Politique sociale - Protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur - Directive 80/987/CEE - Article 4 - Effet direct - Opposabilité aux particuliers des dispositions nationales qui fixent le plafond pour la garantie de paiement en l'absence d'information de la Commission.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : AGS Assedic Pas-de-Calais
Défendeurs : François Dumon et Froment, mandataire liquidateur des Etablissements Pierre Gilson.

Composition du Tribunal
Avocat général : Cosmas
Rapporteur ?: Mancini

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:448

Source

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