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12/09/1996 | CJUE | N°C-278/94

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique., 12/09/1996, C-278/94


Avis juridique important

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61994J0278

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 12 septembre 1996. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Manquement d'Etat - Discrimination indirecte en raison de la nationalité - Enfants de travailleurs migrants - Avantages sociaux - Jeunes travailleurs

à la recherche de leur premier emploi - Accès aux programmes spéciaux ...

Avis juridique important

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61994J0278

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 12 septembre 1996. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Manquement d'Etat - Discrimination indirecte en raison de la nationalité - Enfants de travailleurs migrants - Avantages sociaux - Jeunes travailleurs à la recherche de leur premier emploi - Accès aux programmes spéciaux en matière d'emploi. - Affaire C-278/94.
Recueil de jurisprudence 1996 page I-04307

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1. Libre circulation des personnes ° Travailleurs ° Égalité de traitement ° Avantages sociaux ° Allocations d' attente en faveur de jeunes à la recherche de leur premier emploi ° Octroi aux enfants d' un travailleur migrant subordonné à l' achèvement des études secondaires dans un établissement subventionné ou reconnu par l' État membre concerné ° Inadmissibilité

(Règlement du Conseil n 1612/68, art. 7, § 2)

2. Libre circulation des personnes ° Travailleurs ° Égalité de traitement ° Accès à l' emploi ° Champ d' application ° Régime national de mise au travail de jeunes à la recherche d' un premier emploi reposant sur la prise en charge, en cas d' embauche, par l' office national de l' emploi de tout ou partie des obligations de l' employeur ° Volet actif de l' assurance chômage ° Exclusion

(Traité CE, art. 48; règlement du Conseil n 1612/68, art. 3, § 1)

Sommaire

1. En subordonnant l' octroi des allocations d' attente versées aux jeunes travailleurs à la recherche de leur premier emploi à la condition que les intéressés aient terminé leurs études secondaires dans un établissement qu' il subventionne ou reconnaît, un État membre pose une condition qui est susceptible d' être plus facilement remplie par les enfants de ses ressortissants que par ceux d' un ressortissant d' un autre État membre. S' agissant d' un avantage social au sens de l' article 7,
paragraphe 2, du règlement n 1612/68 auquel peuvent prétendre les membres de la famille d' un travailleur migrant, cette condition, qui s' apparente à une condition de résidence préalable, constitue une forme dissimulée de discrimination à l' égard des enfants dudit travailleur, contraire au principe d' égalité de traitement qu' énoncent l' article 48 du traité et l' article 7 du règlement précité, et ce nonobstant le fait qu' elle s' applique également aux nationaux de cet État qui terminent leurs
études secondaires à l' étranger et sans qu' il soit nécessaire d' établir qu' en pratique elle affecte une proportion substantiellement plus importante d' enfants de travailleurs migrants que d' enfants de nationaux.

2. Un programme spécial de mise au travail de jeunes ayant achevé leurs études secondaires mis en place par un État membre et caractérisé par l' embauche par des collectivités ou entreprises de jeunes à la recherche de leur premier emploi et bénéficiant de l' allocation d' attente, dont l' employeur, au regard de la législation sociale et fiscale, est réputé être l' office national de l' emploi et pour lesquels l' État prend en charge tout ou partie de la rémunération et des cotisations sociales,
doit être considéré comme relevant de l' assurance chômage et comme dépassant le domaine de l' accès à l' emploi proprement dit, tel que couvert par le titre I, et notamment l' article 3, paragraphe 1, du règlement n 1612/68.

Ce rattachement à l' assurance chômage a pour effet que seul pourrait se fonder sur le droit communautaire relatif à la libre circulation des travailleurs pour contester les éléments de discrimination selon la nationalité que contiendrait ce régime celui qui, du fait qu' il a déjà accédé au marché du travail par l' exercice d' une activité professionnelle réelle et effective, possède la qualité de travailleur au sens du droit communautaire, ce qui est exclu s' agissant de jeunes à la recherche d' un
premier emploi.

Parties

Dans l' affaire C-278/94,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme M. Wolfcarius, membre du service juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

Royaume de Belgique, représenté par MM. J. Devadder, directeur d' administration au ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, et C. Denève, directeur général du ministère de l' Emploi et du Travail, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade de Belgique, 4, rue des Girondins,

partie défenderesse,

ayant pour objet de constater que, d' une part, en exigeant que les jeunes travailleurs à la recherche de leur premier emploi aient terminé leurs études secondaires dans un établissement subventionné ou reconnu par l' État belge (ou par l' une de ses communautés) pour bénéficier des allocations d' attente et, d' autre part, en incitant simultanément les employeurs à engager les bénéficiaires de ces allocations de chômage en prévoyant que l' État prendra en charge, dans ce cas, les rémunérations et
cotisations sociales afférentes à ces travailleurs s' ils sont chômeurs complets indemnisés, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 48 du traité CE et des articles 3 et 7 du règlement (CEE) n 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, J.-P. Puissochet, C. Gulmann, P. Jann (rapporteur) et L. Sevón, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 8 février 1996,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 14 mars 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 octobre 1994, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l' article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, d' une part, en exigeant que les jeunes travailleurs à la recherche de leur premier emploi aient terminé leurs études secondaires dans un établissement subventionné ou reconnu par l' État belge (ou par l' une de ses communautés) pour bénéficier des allocations d' attente et, d' autre part, en incitant
simultanément les employeurs à engager les bénéficiaires de ces allocations de chômage en prévoyant que l' État prendra en charge, dans ce cas, les rémunérations et cotisations sociales afférentes à ces travailleurs s' ils sont chômeurs complets indemnisés, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 48 du traité CE et des articles 3 et 7 du règlement (CEE) n 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'
intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).

2 La Commission invoque donc deux griefs relatifs, l' un, à l' octroi des "allocations d' attente" belges, et l' autre, à l' accès à des programmes spéciaux en matière d' emploi.

La réglementation belge

3 La réglementation belge prévoit l' octroi aux jeunes qui viennent de terminer leurs études et qui sont à la recherche de leur premier emploi d' allocations chômage, désignées depuis lors sous le terme d' "allocations d' attente", qui leur permettent d' être considérés comme des "chômeurs complets indemnisés" au sens de la réglementation en matière d' emploi et de chômage.

4 L' article 124 de l' arrêté royal du 20 décembre 1963 dispose que, "pour pouvoir bénéficier des allocations de chômage, les jeunes travailleurs à la recherche d' un premier emploi doivent impérativement avoir terminé des études de plein exercice du cycle secondaire supérieur ou du cycle secondaire inférieur de formation technique ou professionnelle, dans un établissement organisé, reconnu ou subventionné par l' État, soit obtenu pour les études précitées un diplôme ou un certificat de fin d'
études devant le jury central..."

5 Cet article a été remplacé par l' article 36 de l' arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage (Moniteur belge du 31 décembre 1991), qui maintient les mêmes conditions d' octroi puisqu' il dispose:

"Pour être admis au bénéfice des allocations d' attente, le jeune travailleur doit satisfaire aux conditions suivantes:

1 ne plus être soumis à l' obligation scolaire;

2 a) soit avoir terminé des études de plein exercice du cycle secondaire supérieur ou du cycle secondaire inférieur de formation technique ou professionnelle dans un établissement d' enseignement organisé, subventionné ou reconnu par une Communauté;

b) soit avoir obtenu devant le jury compétent d' une Communauté un diplôme ou certificat d' études pour les études visées sous a;

..."

6 Par ailleurs, d' autres dispositions réservent, notamment, aux "chômeurs complets indemnisés", et donc aux bénéficiaires des allocations d' attente, le bénéfice de programmes spéciaux de mise ou de remise au travail.

7 Il s' agit, en premier lieu, de la loi du 22 décembre 1977 relative aux propositions budgétaires 1977-1978 (Moniteur belge du 24 décembre 1977), dont l' article 81, paragraphe 1, figurant dans sa section 3 intitulée "Cadre spécial temporaire", dispose:

"L' État peut prendre en charge la rémunération et les cotisations sociales y afférentes des travailleurs qui sont occupés par des promoteurs de projets pour l' accomplissement de tâches présentant un intérêt d' ordre collectif et qui sont recrutés parmi les demandeurs d' emploi suivants:

1 les chômeurs complets indemnisés;

...

Les promoteurs de projets peuvent être l' État, les provinces, les agglomérations, les fédérations de communes, les associations de communes..."

L' article 84 prévoit ensuite:

"Sauf si les parties décident de conclure un contrat pour une durée indéterminée, les travailleurs occupés en application des dispositions de la présente section sont engagés dans les liens d' un contrat de travail d' ouvrier ou d' employé dont la durée est égale à celle prévue pour l' intervention de l' État dans les rémunérations et les cotisations sociales y afférentes (sans, toutefois, pouvoir dépasser un an).

..."

8 Il s' agit, en second lieu, de l' arrêté royal n 123 du 30 décembre 1982 relatif à l' engagement de chômeurs affectés à certains projets d' expansion économique au bénéfice de petites et moyennes entreprises (Moniteur belge du 18 janvier 1983), qui dispose notamment:

"Chapitre II ° Intervention de l' État

2. paragraphe l: Dans la limite des crédits budgétaires, l' État peut, pendant une période de deux ans maximum, prendre en charge dans la mesure précisée à l' article 3, paragraphe 2, les rémunérations et les cotisations sociales y afférentes des travailleurs visés à l' article 5, engagés pour la réalisation d' un projet.

...

Chapitre III ° Les travailleurs

5. Les emplois visés par le présent arrêté ne peuvent être occupés que par des chômeurs complets indemnisés.

Pour l' application du présent article, sont également considérés comme chômeurs complets indemnisés les chômeurs occupés par les pouvoirs publics, les travailleurs occupés dans le cadre spécial temporaire et les travailleurs engagés dans le troisième circuit de travail."

La réglementation communautaire

9 La Commission fonde son recours sur l' article 48 du traité, qui vise la libre circulation des travailleurs et interdit les discriminations fondées sur la nationalité en ce qui concerne l' emploi, la rémunération et les autres conditions de travail, ainsi que sur l' article 7, paragraphe 1, s' agissant du grief relatif aux conditions d' octroi des allocations d' attente belges, et l' article 3, paragraphe 1, s' agissant du grief relatif à l' accès aux programmes spéciaux de mise au travail, du
règlement n 1612/68.

10 Selon les termes de l' article 3, paragraphe 1, du règlement n 1612/68:

"1. Dans le cadre du présent règlement, ne sont pas applicables les dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou les pratiques administratives d' un État membre:

° ...

° ou qui, bien qu' applicables sans acception de nationalité, ont pour but ou effet exclusif ou principal d' écarter les ressortissants des autres États membres de l' emploi offert.

..."

11 L' article 7 du règlement n 1612/68 dispose:

"1. Le travailleur ressortissant d' un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d' emploi et de travail...

2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

..."

La procédure

12 La Commission a considéré que l' application des différentes dispositions nationales précitées avait pour résultat d' écarter les jeunes non belges ressortissants d' un État membre, qui sont à la recherche de leur premier emploi et qui n' ont pas terminé leurs études secondaires dans un établissement subventionné ou reconnu par l' État belge (ou par une de ses communautés), d' une part, du bénéfice des allocations d' attente prévues par l' article 124 de l' arrêté royal du 20 décembre 1963, puis
par l' article 36 de l' arrêté royal du 25 novembre 1991 et, d' autre part, de l' accès aux programmes spéciaux de mise ou de remise au travail prévus aux articles 81 à 84 de la loi du 22 décembre 1977 et 2 à 9 de l' arrêté royal n 123 du 30 décembre 1982.

13 Estimant qu' une telle situation était contraire, s' agissant des avantages sociaux, aux articles 48 du traité et 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68 et, s' agissant de l' accès à l' emploi, à l' article 3 du règlement n 1612/68, la Commission a, par lettre du 21 mai 1992 et conformément à l' article 169 du traité, mis le gouvernement belge en demeure de présenter ses observations sur le manquement reproché dans un délai de deux mois.

14 Par lettre du 17 juillet 1992, le gouvernement belge a contesté l' existence du manquement.

15 Le 13 août 1993, la Commission a notifié un avis motivé au royaume de Belgique.

16 Le gouvernement belge ayant maintenu, par lettre du 12 janvier 1994, sa position, la Commission a introduit le présent recours.

Précisions sur la position de la Commission

17 En réponse à une question écrite de la Cour, la Commission a précisé que le grief concernant l' octroi des allocations d' attente était limité aux enfants à charge de travailleurs migrants communautaires résidant en Belgique et reposait sur l' article 7 du règlement n 1612/68, tandis que celui concernant l' accès aux programmes spéciaux de mise ou de remise au travail visait tous les jeunes "travailleurs, ressortissants de tout État membre, à la recherche de leur premier emploi", et était fondé
sur les articles 48 du traité et 3, paragraphe 1, du règlement n 1612/68. Elle soulignait qu' il était de la plus grande importance de distinguer les deux griefs, notamment en ce qui concerne les catégories de personnes visées.

Sur le fond

18 Le gouvernement belge fait valoir, à titre liminaire, que la Commission n' a pas rapporté la preuve de l' existence de l' infraction, et ce sans pouvoir se baser sur une présomption quelconque. Selon lui, il lui appartenait de démontrer que les dispositions en question écartent un pourcentage proportionnellement nettement plus élevé de jeunes non belges ressortissants des autres États membres.

19 La Commission considère qu' une telle exigence est contraire au principe de l' interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité des travailleurs, consacré par l' article 48, paragraphe 2, du traité. Selon elle, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour qu' il suffit que la disposition incriminée soit susceptible d' avoir un effet discriminatoire pour être contraire au droit communautaire, sans égard au nombre des personnes lésées. La Commission estime que les dispositions
belges incriminées sont de nature à produire un tel effet.

20 A cet égard, il convient de rappeler qu' une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire dès lors qu' elle est susceptible, par sa nature même, d' affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et qu' elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers. Il n' est pas nécessaire de constater que la disposition en cause affecte, en pratique, une proportion substantiellement plus importante de
travailleurs migrants. Il suffit de constater que cette disposition est susceptible de produire un tel effet (voir, notamment, en dernier lieu, arrêt du 23 mai 1996, O' Flynn, C-237/94, non encore publié au Recueil, points 20 et 21).

Sur le grief relatif à l' octroi des allocations d' attente

21 La Commission reproche au royaume de Belgique de ne pas accorder aux enfants à charge de travailleurs migrants communautaires résidant sur son territoire, enfants à charge qui sont à la recherche de leur premier emploi, les allocations d' attente qui sont accordées aux jeunes Belges se trouvant dans la même situation. Il s' agirait d' une discrimination indirecte en raison de la nationalité, ces jeunes terminant plus rarement que leurs homologues belges leurs études dans des établissements
subventionnés ou reconnus par l' État belge. La Commission se fonde sur l' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68, qui prévoit que les travailleurs communautaires bénéficient des mêmes avantages sociaux que les travailleurs nationaux, et sur l' arrêt du 20 juin 1985, Deak (94/84, Rec. p. 1873), dans lequel la Cour a qualifié les allocations d' attente belges d' avantage social au sens de cet article. Elle considère, en revanche, que l' arrêt du 1er décembre 1977, Kuyken (66/77, Rec. p.
2311), qui ne portait pas sur le règlement n 1612/68, mais sur le règlement (CEE) n 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2), n' est pas pertinent. Elle ajoute qu' imposer aux enfants de travailleurs migrants l' obligation de terminer leurs études en Belgique équivaut à une condition de résidence préalable condamnée par la Cour dans l'
arrêt du 10 mars 1993, Commission/Luxembourg (C-111/91, Rec. p. I-817). Elle invoque également l' effet utile des dispositions prévoyant l' assimilation des enfants de travailleurs migrants communautaires aux enfants de travailleurs nationaux en matière d' aide à la formation lorsqu' elle est dispensée dans l' État dont ils sont ressortissants (arrêt du 13 novembre 1990, Di Leo, C-308/89, Rec. p. I-4185).

22 Le gouvernement belge précise d' abord, concernant les allocations d' attente, que la condition relative aux études est indistinctement applicable à tous les ressortissants communautaires. Il relève que, dans l' arrêt Deak, précité, le jeune Deak, de nationalité hongroise, remplissait la condition ici litigieuse puisqu' il avait terminé ses études en Belgique où travaillait sa mère, de nationalité italienne. Cependant, le bénéfice des allocations d' attente lui avait été refusé uniquement parce
qu' il était ressortissant d' un pays tiers. La Cour ne se serait donc pas prononcée sur la condition relative à l' obligation d' avoir accompli ses études en Belgique.

23 Le gouvernement belge fait ensuite valoir que, dans la pratique, deux hypothèses se présentent dans le cas visé par la Commission. Soit le jeune n' a pas encore terminé ses études et il le fera en Belgique (ce serait le cas du jeune Deak), remplissant ainsi la condition ici litigieuse, ce qui lui ouvrirait le droit aux allocations d' attente. Soit il les a terminées dans son pays d' origine et il aura droit ou non, du fait de ces études, aux allocations de chômage dans ce pays. S' il y a droit,
sa situation sera régie par le règlement n 1408/71, notamment par son article 67. S' il n' y a pas droit dans son pays d' origine, on ne peut guère attendre du gouvernement belge qu' il les lui accorde du simple fait de son émigration en Belgique. Il est, selon le gouvernement belge, pour le moins paradoxal de considérer qu' il y aurait un obstacle à la libre circulation des travailleurs parce que la Belgique n' accorde pas des droits auxquels les personnes à charge de ces travailleurs n' auraient
de toute façon pas pu prétendre dans leur propre pays. On se retrouverait dans l' hypothèse de l' arrêt Kuyken, précité.

24 A cet égard, il convient tout d' abord d' écarter ici l' arrêt Kuyken, précité, lequel ne portait que sur l' éventuelle application du règlement n 1408/71.

25 Il suffit ensuite de rappeler que, dans l' arrêt postérieur Deak, précité, la Cour, après avoir relevé que le règlement n 1408/71 ne pouvait être invoqué pour demander l' octroi des allocations d' attente belges (points 16 et 27), a dit pour droit que de telles allocations constituent un avantage social aux termes de l' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68.

26 Cette constatation ne saurait être affectée par la circonstance que, dans le cas présent, les enfants à charge des travailleurs migrants résidant en Belgique n' auront pas terminé leurs études en Belgique, mais dans leur pays d' origine, voire dans un autre État membre.

27 Enfin, concernant le caractère indistinctement applicable de la condition litigieuse, il résulte d' une jurisprudence constante de la Cour que la règle d' égalité de traitement inscrite tant à l' article 48 du traité qu' à l' article 7 du règlement n 1612/68 prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d' autres critères de distinction, aboutissent, en fait, au même résultat (voir,
notamment, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu, 152/73, Rec. p. 153, point 11; du 21 novembre 1991, Le Manoir, C-27/91, Rec. p. I-5531, point 10; du 10 mars 1993, Commission/Luxembourg, précité, point 9; du 23 février 1994, Scholz, C-419/92, Rec. p. I-505, point 7, et, tout récemment, O' Flynn, C-237/94, précité, point 17).

28 Sont ainsi notamment prohibées les conditions indistinctement applicables qui peuvent être plus facilement remplies par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants. Ainsi, dans l' arrêt Commission/Luxembourg, précité, la Cour a considéré, au point 10, que tel était le cas de la condition de résidence de la mère sur le territoire du Grand-Duché pendant un an avant la naissance de l' enfant, une condition de ce type étant, en effet, plus facilement remplie par un ressortissant
luxembourgeois que par un ressortissant d' un autre État membre.

29 Tel est également le cas de la condition litigieuse, laquelle s' apparente à une condition de résidence préalable, qui sera plus facilement remplie par les enfants de ressortissants belges que par ceux d' un ressortissant d' un autre État membre.

30 La circonstance que cette condition s' applique également aux jeunes Belges qui terminent leurs études secondaires hors de Belgique n' est pas de nature à modifier cette appréciation.

31 Dès lors, ce grief doit être accueilli.

Sur le grief relatif à l' accès aux programmes spéciaux de mise ou de remise au travail

32 Sur question écrite de la Cour, la Commission a précisé que ce grief concernait tous les jeunes ressortissants communautaires à la recherche d' un premier emploi et se fondait sur les articles 48 du traité et 3, paragraphe 1, du règlement n 1612/68.

33 Selon la Commission, les dispositions combinées des articles 81 à 84 de la loi du 22 décembre 1977 et 2 à 9 de l' arrêté royal n 123 du 30 décembre 1982 sont contraires à la libre circulation des travailleurs, à savoir aux articles 48 du traité et 3 du règlement n 1612/68, dans la mesure où elles incitent les employeurs Belges à engager, parmi les jeunes, de préférence ceux qui bénéficient des allocations d' attente, lesquels se trouveront être en majorité de jeunes Belges compte tenu de la
condition posée à l' octroi de ces allocations, selon laquelle ils doivent avoir terminé leurs études secondaires dans un établissement belge reconnu.

34 La Commission se fonde sur le principe du libre accès aux emplois effectivement offerts dans les autres États membres, inscrit à l' article 48 du traité et mis en oeuvre par le règlement n 1612/68, notamment par son titre I intitulé "De l' accès à l' emploi" dont l' article 1er prévoit que "tout ressortissant d' un État membre ... a le droit d' accéder à une activité salariée et de l' exercer sur le territoire d' un autre État membre...". Elle estime qu' il y a une discrimination indirecte à
exiger de ces jeunes qu' ils aient terminé leurs études secondaires dans un établissement belge reconnu. L' application combinée des différentes dispositions aurait donc, selon elle, à tout le moins pour effet principal d' écarter les ressortissants des autres États membres de l' emploi offert au sens de l' article 3, paragraphe 1, second tiret, du règlement n 1612/68.

35 Le gouvernement belge fait valoir que le droit aux prestations s' ouvrant à la fin des études n' entre pas dans le champ d' application de la libre circulation des travailleurs, du moins lorsque ce droit est considéré comme un droit propre, en dehors de tout lien éventuel avec un parent travailleur migrant. Il fait valoir que la situation du jeune qui serait un travailleur migrant sera régie du point de vue des allocations chômage par le règlement n 1408/71 et qu' il devra donc satisfaire aux
conditions de ce règlement. Il considère enfin que ces programmes spéciaux font partie de la politique sociale des États membres, laquelle relève de leur compétence, en sorte qu' ils disposent en la matière, selon une jurisprudence constante de la Cour, d' une liberté d' appréciation raisonnable concernant la nature des mesures de protection sociale et les modalités de leur mise en oeuvre. En effet, il s' agirait ici, concrètement, de la mise en oeuvre du volet positif et préventif de l' assurance
chômage et le gouvernement belge insiste sur la différence fondamentale qui existe entre le marché de l' emploi normal et celui, exceptionnel et limité, que constituent les différentes mesures pour la résorption du chômage. Il invoque également le principe de subsidiarité.

36 A cet égard, il y a lieu de constater que la catégorie de personnes visée par le recours de la Commission, en ce qu' il porte sur les conditions d' accès aux programmes spéciaux de mise ou de remise au travail, regroupe les jeunes ressortissants d' un État membre ayant terminé leurs études secondaires qui, sans être membres de la famille d' un travailleur migrant occupé en Belgique, recherchent leur premier emploi dans ce dernier État.

37 Il y a lieu de vérifier, à titre liminaire, si la réglementation en cause relève du libre accès à l' emploi, tel que garanti par l' article 48 du traité et l' article 3, paragraphe 1, du règlement n 1612/68, dont la violation est alléguée par la Commission.

38 Il convient d' observer, à cet égard, que, comme l' a souligné le gouvernement belge, ces programmes spéciaux constituent le volet actif de l' assurance chômage. Ainsi, selon l' article 87 de la loi du 22 décembre 1977, les travailleurs bénéficiant de ces programmes sont rémunérés par l' Office national de l' emploi, lequel est réputé être leur employeur aux fins de l' application des dispositions fiscales et de sécurité sociale (y compris celles relatives aux accidents de travail et aux maladies
professionnelles). De même, dans le cadre de l' arrêté royal n 123 du 30 décembre 1982, l' État, lorsqu' il intervient, prend en charge 50, 75 ou 100 % des rémunérations et des cotisations sociales y afférentes.

39 Il découle de ce qui précède que les programmes spéciaux visés, qui, compte tenu de leurs spécificités, sont liés à la branche chômage, dépassent le domaine de l' accès à l' emploi proprement dit, tel que couvert par le titre I du règlement n 1612/68, et notamment son article 3, paragraphe 1, invoqué par la Commission.

40 Or, l' application du droit communautaire relatif à la libre circulation des travailleurs, à propos d' une réglementation nationale touchant à l' assurance chômage, requiert, dans le chef de la personne qui l' invoque, qu' elle ait déjà accédé au marché du travail par l' exercice d' une activité professionnelle réelle et effective, lui ayant conféré la qualité de travailleur au sens communautaire (voir, notamment, à propos de l' octroi d' une allocation d' étude, arrêt du 21 juin 1988, Brown,
197/86, Rec. p. 3205, point 21; à propos de l' octroi d' une aide financière publique, arrêt du 26 février 1992, Raulin, C-357/89, Rec. p. I-1027, point 10). Par définition, tel n' est pas le cas des jeunes à la recherche d' un premier emploi.

41 En conséquence, le second grief n' est pas fondé.

42 Au vu de l' ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en exigeant, comme condition pour l' octroi des allocations d' attente, que les enfants à la charge de travailleurs migrants communautaires résidant en Belgique aient terminé leurs études secondaires dans un établissement subventionné ou reconnu par l' État belge ou par l' une de ses communautés, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48 du traité et 7 du règlement
n 1612/68. Le recours doit être rejeté pour le surplus.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

43 Aux termes de l' article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de demande. Étant donné qu' il n' est fait que partiellement droit au recours de la Commission, chaque partie supportera ses propres dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1) En exigeant, comme condition pour l' octroi des allocations d' attente, que les enfants à la charge de travailleurs migrants communautaires résidant en Belgique aient terminé leurs études secondaires dans un établissement subventionné ou reconnu par l' État belge ou par l' une de ses communautés, le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48 du traité CE et 7 du règlement (CEE) n 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation
des travailleurs à l' intérieur de la Communauté.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Chaque partie supportera ses propres dépens.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-278/94
Date de la décision : 12/09/1996
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé, Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d'Etat - Discrimination indirecte en raison de la nationalité - Enfants de travailleurs migrants - Avantages sociaux - Jeunes travailleurs à la recherche de leur premier emploi - Accès aux programmes spéciaux en matière d'emploi.

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Belgique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Ruiz-Jarabo Colomer
Rapporteur ?: Jann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:321

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