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11/07/1989 | CJUE | N°196/88,

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Daniel Cornée et autres contre Coopérative agricole laitière de Loudéac (Copall) et Laiterie coopérative du Trieux., 11/07/1989, 196/88,


Avis juridique important

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61988J0196

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 11 juillet 1989. - Daniel Cornée et autres contre Coopérative agricole laitière de Loudéac (Copall) et Laiterie coopérative du Trieux. - Demandes de décision préjudicielle: Cour d'appel de Rennes - France. - Agriculture - Prélèvement

supplémentaire sur le lait. - Affaires jointes 196/88, 197/88 et 198/88.
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Avis juridique important

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61988J0196

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 11 juillet 1989. - Daniel Cornée et autres contre Coopérative agricole laitière de Loudéac (Copall) et Laiterie coopérative du Trieux. - Demandes de décision préjudicielle: Cour d'appel de Rennes - France. - Agriculture - Prélèvement supplémentaire sur le lait. - Affaires jointes 196/88, 197/88 et 198/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 02309

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1 . Agriculture - Organisation commune des marchés - Lait et produits laitiers - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Détermination des quantités de référence exemptes du prélèvement - Modalités particulières en faveur des producteurs ayant souscrit un plan de développement de la production laitière - Octroi d' une quantité unique à caractère forfaitaire - Inadmissibilité - Exclusion des producteurs ayant dépassé un plafond déterminé de livraisons - Admissibilité

( Règlement du Conseil n° 857/84, art . 3, point 1 )

2 . Agriculture - Organisation commune des marchés - Lait et produits laitiers - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Choix de la formule B - Producteurs ayant souscrit un plan de développement de la production laitière - Attribution d' une quantité spécifique de référence - Réallocation par l' acheteur à certains de ses producteurs affiliés des quantités libérées par d' autres - Admissibilité - Conditions

( Traité CEE art . 40, § 3, al . 2; Règlement du Conseil n° 857/84, art . 3, point 1 )

3 . Agriculture - Organisation commune des marchés - Lait et produits laitiers - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Détermination des quantités de référence exemptes du prélèvement - Producteurs ayant souscrit un plan de développement de la production laitière - Soumission à une réduction générale des quantités de référence - Violation du principe de protection de la confiance légitime - Absence

( Règlements du Conseil nos 856/84 et 857/84 )

Sommaire

1 . L' article 3, point 1, premier tiret, du règlement n° 857/84, qui permet d' attribuer aux producteurs ayant souscrit un plan de développement de la production laitière une quantité spécifique de référence exempte du prélèvement supplémentaire sur le lait, s' oppose à une réglementation nationale mettant cette disposition en oeuvre de telle sorte que tous les producteurs visés par cette disposition obtiennent, indépendamment de l' objectif de production fixé par leur plan individuel, une quantité
unique à caractère forfaitaire .

Cette disposition ne s' oppose toutefois pas à une réglementation nationale prévoyant que seuls les producteurs dont les livraisons de lait ne dépassent pas un plafond déterminé sont susceptibles d' obtenir une quantité spécifique de référence .

2 . Le règlement n° 857/84, relatif au prélèvement supplémentaire sur le lait, interprété à la lumière de l' interdiction de discrimination énoncée à l' article 40, paragraphe 3, du traité, ne s' oppose pas à une réglementation nationale permettant, dans le cadre de la formule B, aux acheteurs de réallouer provisoirement à certains des producteurs qui leur sont affiliés tout ou partie des quantités de référence individuelles libérées par d' autres, sous réserve que ces réallocations soient, le cas
échéant, ajustées a posteriori de façon à neutraliser d' éventuelles différences de traitement entre producteurs affiliés à différents acheteurs .

3 . Le principe de protection de la confiance légitime ne s' oppose pas à une réglementation nationale mettant en oeuvre le régime de prélèvement supplémentaire sur le lait de telle sorte que les producteurs titulaires d' un plan de développement de la production laitière, approuvé avant l' entrée en vigueur du régime de prélèvement, obtiennent pour la deuxième année d' application du régime des quantités de référence fixées à un niveau inférieur à celui applicable pour la campagne précédente, à
moins que les réductions opérées ne portent spécifiquement sur les quantités de référence des titulaires d' un tel plan .

Parties

Dans les affaires jointes 196 à 198/88,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité, par la Cour d' appel de Rennes, et tendant à obtenir dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

M . Daniel Cornée

et

la Coopérative agricole laitière de Loudéac "COPALL" ( affaire 196/88 )

et entre

1 . M . Jean-Claude Ollivier

2 . M . Jean-François Buan

3 . M . Louis Théodore Loutrage

et

la Laiterie coopérative du Trieux ( affaire 197/88 )

et entre

1 . M . Jean-François Seger

2 . M . Guy Yves Marie Boulbin

3 . Mme Monique Hélène Marie Connan

4 . M . Jean Yves Marie Daniel

5 . M . Jean François Duigou

6 . M . François Guegan

7 . M . Gildas Guyomard

8 . M . Dominique Larvor

9 . M . Roland Yves Le Scrour

10.MM . Claude et Patrice Robin

11.M . Jean François Toudic

et

la Laiterie coopérative du Trieux ( affaire 198/88 )

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 40, paragraphe 3, du traité et de l' article 3 du règlement n° 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l' application du prélèvement visé à l' article 5 quater du règlement ( CEE ) n° 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers ( JO L 90, p . 13 ),

LA COUR ( troisième chambre ),

composée de MM . O . Due, président, f.f . de président de chambre, J . C . Moitinho de Almeida et M . Zuleeg, juges,

avocat général : M . W . Van Gerven

greffier : M . H.A . Ruehl, administrateur principal

considérant les observations présentées

- pour les parties requérantes, par Mes Pitois-Sillart, Olive, Cabot et Dohollou, avocats au barreau de Rennes,

- pour le gouvernement français, par Mme E . Belliard et M . Géraud de Bergues, assistés lors de la procédure orale de M . Giacomini et de M . Y . Riou, du ministère de l' agriculture, en qualité d' agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM . G . Lawrence et P . Hetsch, membres de son service juridique, en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience et à la suite de la procédure orale du 20 avril 1989,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions présentées à l' audience du 30 mai 1989,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par arrêts du 29 juin 1988, parvenus à la Cour le 20 juillet suivant, la Cour d' appel de Rennes a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE,trois questions préjudicielles, identiques dans les trois affaires jointes, relatives à l' interprétation de l' article 40, paragraphe 3, du traité et de l' article 3, point 1, du règlement n° 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l' application du prélèvement visé à l' article 5 quater du règlement n° 804/68 dans le secteur
du lait et des produits laitiers ( JO L 90, p . 13 ).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant 15 producteurs de lait du département des Côtes du Nord respectivement à la Coopérative agricole laitière de Loudéac "COPALL" ( affaire 196/88 ) et à la Laiterie coopérative du Trieux ( affaires 197 et 198/88 ) au sujet des prélèvements que ces dernières ont appliqué aux producteurs en cause au titre du régime communautaire de prélèvement supplémentaire sur le lait .

3 Il convient de rappeler à titre liminaire que, par le règlement n° 856/84, du 31 mars 1984, modifiant le règlement n° 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers ( JO L 90, p . 10 ), le Conseil a institué un prélèvement supplémentaire qui est perçu sur les quantités de lait livrées dépassant une quantité de référence à déterminer; il est dû soit par les producteurs de lait ( formule A ) soit par les acheteurs de lait ou d' autre produits
laitiers qui le répercutent sur les producteurs ayant augmenté leurs livraisons proportionnellement à leur contribution au dépassement de la quantité de référence de l' acheteur ( formule B ).

4 Les modalités de calcul de la quantité de référence, c' est-à-dire des quantités exemptées du prélèvement supplémentaire, ont été fixées par le règlement n° 857/84 du Conseil, précité . En vertu de l' article 2, paragraphe 1, de ce règlement, la quantité de référence est égale à la quantité de lait ou d' équivalent lait livrée ou achetée pendant l' année civile 1981, augmentée de 1 %. Les État membres peuvent toutefois prévoir, conformément au paragraphe 2 du même article, que sur leur territoire
la quantité de référence est égale à la quantité de lait ou d' équivalent lait livrée ou achetée pendant l' année civile 1982 ou 1983, affectée d' un pourcentage établi de manière à ne pas dépasser la quantité garantie pour l' État membre concerné .

5 Des dérogations à ces règles sont prévues, pour certaines situations particulières, aux articles 3, 4 et 4bis du même règlement . En particulier, l' article 3, point 1, du règlement n° 857/84 permet aux États membres, dans les conditions qu' il fixe, d' accorder une quantité spécifique de référence aux producteurs ayant souscrit un plan de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159 du Conseil, du 17 avril 1972, concernant la modernisation des exploitations agricoles (
JO L 96, p . 1 ).

6 La République française a mis en oeuvre le régime communautaire de prélèvement supplémentaire sur le lait de telle sorte qu' elle a opté pour l' année 1983 dans le cadre de la formule B ( formule acheteur ). La quantité de référence des acheteurs établis sur le territoire français était, pour la première année d' application du régime ( 2 avril 1984 au 31 mars 1985 ), égale à la quantité de lait collectée par l' acheteur en cause pendant l' année 1983, diminuée de 2 % ( 1 % en zone de montagne );
pour la deuxième année d' application du régime ( 1er avril 1985 au 31 mars 1986 ), cette quantité a été réduite de 1 % ( sauf en zone de montagne ). En ce qui concerne les producteurs ayant souscrit un plan de développement de la production laitière, la règlementation française prévoit en substance que les acheteurs auxquels ces producteurs sont affiliés attribuent à ces derniers, dans la limite de leur propre quantité de référence, un forfait de 9.500 litres, sous réserve toutefois que sont exclus
de ce bénéfice ceux de ces producteurs dont les livraisons de lait pendant l' année 1983 ont été supérieures à 200.000 litres .

7 Les producteurs de lait, parties au principal, ont exécuté des plans de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159, précitée . Par leurs recours il contestent les prélèvements qui leur ont été appliqués au motif que, lors de la détermination de leur quantité de référence individuelle, il n' a pas été tenu compte de leurs plans de développement . Dans ce contexte, ils font valoir que la réglementation française précitée a été arrêtée en violation à la fois des règles
communautaires en matière de prélèvement supplémentaire sur le lait et des principes de non-discrimination et de la confiance légitime .

8 C' est en vue de pouvoir apprécier ces arguments que la Cour d' appel de Rennes a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions suivantes :

"1 . L' article 3 du règlement n° 857/84 du Conseil permet-il à un État membre d' attribuer une allocation forfaitaire à tous les titulaires de plans de développement en cours d' exécution, sans égard aux objectifs de chaque plan, et de choisir l' annéee 1983 comme seule année de référence sans prévoir de dérogation pour les producteurs bénéficiaires d' un plan de développement achevé en 1981 et 1982?

2 . L' article 40, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté économique européenne s' oppose-t-il à ce que les arrêtés du 22 novembre 1984 et du 10 juillet 1985 établissent un ordre de priorité pour les attributions de quantités de référence supplémentaires en fonction des quantités libérées au sein de chaque entreprise, le bénéfice accordé dépendant ainsi des quantités disponibles de l' acheteur?

3 . Y a-t-il eu de la part de l' autorité nationale, lorsqu' elle a pris notamment l' arrêté ministériel du 10 juillet 1985 limitant la possibilité de croissance pour la campagne 1985-1986 à 1% de la campagne précédente, atteinte au principe de la confiance légitime, les titulaires de plan pouvant compter sur la stabilité des engagements pris antérieurement pour leur permettre d' accroître la productivité de leur exploitation?"

9 Pour un plus ample exposé des faits de l' affaire au principal, des dispositions communautaires et nationales en cause ainsi que du déroulement de la procédure et des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

Sur la première question

10 La première question se décompose en deux branches .

11 Compte tenu des faits du litige au principal la première branche doit être comprise comme visant à savoir si l' article 3, point 1, premier tiret, du règlement n° 857/84, précité, s' oppose à une réglementation nationale mettant cette disposition en oeuvre de telle sorte que seuls les producteurs visés par cette disposition dont les livraisons de lait ne dépassent pas un plafond déterminé sont susceptibles d' obtenir une quantité spécifique de référence, et que tous ces producteurs obtiennent une
quantité unique à caractère forfaitaire .

12 Aux termes de l' article 3, point 1, premier tiret, du règlement n° 857/84, "les producteurs qui ont souscrit un plan de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159/CEE, déposée avant le 1er mars 1984, peuvent obtenir, selon la décision de l' État membre, ... si le plan est en cours d' exécution, une quantité spécifique de référence qui tient compte des quantités de lait et de produits laitiers prévues par le plan de développement ". Cette disposition permet d' assurer
que les producteurs titulaires d' un plan de développement de la production laitière, approuvé dans les conditions prévues par la directive 72/159, puissent bénéficier des fruits des investissements qu' ils ont effectués dans le cadre de l' exécution d' un tel plan .

13 Le texte même de la disposition précitée fait apparaître qu' elle confère aux États membres un pouvoir d' appréciation pour prévoir ou non l' attribution de quantités spécifiques de référence aux producteurs visés par cette disposition et pour fixer, le cas échéant, le volume de ces attributions .

14 Ce texte impose toutefois que, lorsqu' un État membre choisit de faire usage de la faculté d' accorder des quantités spécifiques de référence à ce titre, les attributions opérées doivent "tenir compte" de l' objectif de production prévu par le plan de développement en cause, c' est-à-dire que la quantité spécifique de référence dont il s' agit doit présenter un rapport avec cet objectif de production . Une telle interprétation répond à l' obligation qu' ont les États membres de respecter, lors de
la mise en oeuvre d' une organisation commune des marchés agricoles, l' interdiction de discrimination entre producteurs de la Communauté, énoncée à l' article 40, paragraphe 3, du traité .

15 Il s' ensuit qu' une réglementation nationale mettant l' article 3, point 1, premier tiret, du règlement n° 857/84 en oeuvre de telle sorte qu' elle prévoit l' attribution d' un supplément unique à caractère forfaitaire à tous les producteurs relevant du champ d' application de cette disposition, quelle que soit l' objectif de leur plan de développment, est incompatible avec cette disposition .

16 Il en va autrement d' une réglementation nationale excluant du bénéfice de quantités spécifiques de référence les producteurs dont les livraisons de lait pendant l' année de référence retenue dépassent un plafond déterminé . En effet, l' exigence de "tenir compte" de l' objectif du plan de développement n' impose pas de respecter un rapport de stricte proportionnalité entre cet objectif et les quantités spécifiques de référence à accorder . Il est donc loisible aux États membres, tout en retenant
comme critère principal de rattachement l' objectif du plan de développement, de prendre en considération également d' autres critères objectifs, notamment de nature sociale, par exemple pour assurer une certaine priorité aux petits producteurs . Une réglementation nationale prévoyant, afin de pouvoir attribuer des suppléments plus importants aux petits producteurs, que seuls les producteurs dont les livraisons de lait ne dépassent pas un plafond déterminé sont susceptibles d' obtenir une quantité
spécifique de référence répond à de tels critères objectifs . Il s' ensuit qu' une telle réglementation n' exède pas les limites de la marge d' appréciation dont disposent les États membres dans le cadre de la mise en oeuvre de l' article 3, point 1, premier tiret, du règlement n° 857/84 .

17 Il convient donc de répondre à la première branche de la première question que l' article 3, point 1, premier tiret, du règlement n° 857/84, du Conseil, du 31 mars 1984, s' oppose à une réglementation nationale mettant cette disposition en oeuvre de telle sorte que tous les producteurs visés par cette disposition obtiennent une quantité unique à caractère forfaitaire . Cette disposition ne s' oppose toutefois pas à une réglementation nationale prévoyant que seuls les producteurs dont les
livraisons de lait ne dépassent pas un plafond déterminé sont susceptibles d' obtenir une quantité spécifique de référence .

18 La deuxième branche de la première question vise en substance à savoir si l' article 3, point 1, deuxième tiret, du règlement n° 857/84, précité, impose aux États membres de prendre en compte comme année de référence pour la détermination des quantités spécifiques de référence des producteurs visés par cette disposition, l' année au cours de laquelle le plan de développement de la production laitière a été achevé, même si cette année est antérieure à l' année de référence retenue par l' État
membre concerné à titre d' application générale .

19 Il résulte des éléments du dossier qu' aucun des producteurs, parties au principal, n' a achevé son plan de développement de la production laitière au cours d' une année antérieure à 1983, année retenue par la République française comme année de référence à titre d' application générale . Dans ces conditions, la deuxième branche de la première question n' appelle pas de réponse .

Sur la deuxième question

20 La deuxième question vise en substance à savoir si le règlement n° 857/84, précité, interprété à la lumière de l' interdiction de discrimination énoncée à l' article 40, paragraphe 3, du traité, s' oppose à une réglementation nationale permettant aux acheteurs, dans le cadre de la formule B, de réallouer au titre de l' article 3, point 1, de ce règlement les quantités de référence individuelles libérées par des producteurs qui leur sont affiliés, à d' autres producteurs affiliés à ce même
acheteur .

21 A cet égard, il convient de rappeler que la Cour a jugé, dans l' arrêt du 25 novembre 1986 ( Klensch e.a ., 201 et 202/85, Rec . p . 3503 ), que l' interdiction de discrimination entre producteurs de la Communauté, énoncée à l' article 40, paragraphe 3, du traité, exigeait d' interpréter le règlement n° 857/84 en ce sens qu' il s' oppose à ce qu' un État membre ayant opté pour la formule B décide d' attribuer la quantité de référence individuelle d' un producteur ayant cessé son activité, à la
quantité de référence de l' acheteur auquel ce producteur livrait du lait au moment de la cessation, plutôt que d' attribuer cette quantité à la réserve nationale . La Cour a précisé à cet égard notamment que l' interprétation contraire aurait pour effet que l' acheteur pourrait réallouer cette quantité aux producteurs qui lui sont affiliés, ce qui favoriserait ces derniers d' une manière injustifiée par rapport aux producteurs affiliés à d' autres acheteurs .

22 Ces considérations font apparaître qu' une réglementation nationale qui ferait dépendre l' attribution de quantités spécifiques de référence aux producteurs visés à l' article 3, point 1, du règlement n° 857/84, du volume des quantités de référence individuelles libérées par d' autres producteurs affiliés au même acheteur, est dans son principe incompatible avec ce règlement, tel qu' interprété à la lumière de l' interdiction de discrimination énoncée à l' article 40, paragraphe 3, du traité .

23 Il convient toutefois de préciser qu' on ne saurait interdire aux États membres, chargés d' assurer l' application du régime communautaire au plan administratif, de prévoir une gestion décentralisée du prélèvement, basée sur la collaboration des acheteurs . On ne saurait donc considérer comme contraire aux exigences du droit communautaire une réglementation nationale aménagée de telle sorte que, dans le cadre de la formule B, les acheteurs conservent à titre provisoire tout ou partie des
quantités de référence individuelles libérées par des producteurs qui leur sont affiliés, en vue de la réallocation de ces quantités à d' autres producteurs affiliés au même acheteur, à condition que ces réallocations fassent, le cas échéant, l' objet d' ajustements a posteriori afin d' assurer que d' éventuelles différences de traitement entre producteurs affiliés à différents acheteurs soient neutralisées .

24 Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que le règlement n° 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, interprété à la lumière de l' interdiction de discrimination énoncée à l' article 40, paragraphe 3, du traité, ne s' oppose pas à une réglementation nationale permettant aux acheteurs, dans le cadre de la formule B, de réallouer au titre de l' article 3, point 1, de ce règlement provisoirement tout ou partie des quantités de référence individuelles libérées par des producteurs qui leur sont
affiliés, à d' autres producteurs affiliés à ces mêmes acheteurs, sous réserve que ces réallocations soient, le cas échéant, ajustées a posteriori de façon à neutraliser d' éventuelles différences de traitement entre producteurs affiliés à différents acheteurs .

Sur la troisième question

25 La troisième question vise en substance à savoir si le principe de la confiance légitime s' oppose à une réglementation nationale mettant le régime communautaire de prélèvement supplémentaire sur le lait en oeuvre de telle sorte que les producteurs titulaires d' un plan de développement de la production laitière, approuvé avant l' entrée en vigueur du régime de prélèvement, obtiennent pour la campagne 1985/86 des quantités de référence fixées à un niveau inférieur à celui applicable pour la
campagne précédente .

26 A cet égard, il convient de faire observer d' abord que la réalisation d' un plan de développement de la production laitière, approuvé par les autorités nationales compétentes, ne confère pas à son titulaire le droit de produire la quantité de lait correspondant à l' objectif de ce plan, sans être soumis à d' éventuelles restrictions résultant de règles communautaires arrêtées postérieurement à l' approbation de ce plan, notamment dans le cadre de la politique des marchés ou de la politique des
structures, à moins que ces restrictions n' affectent les titulaires d' un tel plan de manière spécifique, en raison précisément de la réalisation de leur plan .

27 Par conséquent, lorsqu' une organisation commune des marchés agricoles prévoit, en vue de réduire les excédents structurels sur le marché en cause, la perception d' un prélèvement sur les livraisons de produits qui dépassent certaines quantités de référence, les titulaires d' un plan de développement, même approuvé antérieurement à l' entrée en vigueur du régime, ne peuvent pas se prévaloir d' une quelconque confiance légitime tirée de la réalisation de leur plan pour s' opposer à d' éventuelles
réductions de ces quantités de référence, pour autant que les réductions sont admises par la réglementation communautaire en la matière et ne portent pas spécifiquement sur les quantités de référence de cette catégorie d' opérateurs .

28 Ainsi qu' il ressort des considérants du règlement n° 856/84, précité, la quantité globale de lait et d' équivalent lait, garantie pour la Communauté, a été fixée à 97,2 millions de tonnes, correspondant au seuil de garantie fixé par le Conseil en 1983 . Cette quantité a toutefois été portée à 98,2 millions de tonnes pendant la première année d' application du régime, afin d' aménager une certaine transition . Étant donné que, conformément à l' article 5 quater, paragraphe 3, du règlement n°
804/68, tel que modifié par le règlement n° 856/84, le total des quantités de référence ne doit pas dépasser ladite quantité globale, il résulte implicitement de ces dispositions que le législateur communautaire a entendu admettre, par le biais de la réduction de la quantité globale, une réduction correspondante des quantités de référence des opérateurs individuels .

29 Il est à rappeler en outre qu' en vertu de l' article 2, paragraphe 3, du règlement n° 857/84, précité, les États membres peuvent adapter les pourcentages dont les livraisons de lait sont affectées aux fins du calcul des quantités de référence, pour assurer l' application des articles 3 et 4 . La lecture combinée de cette disposition avec celle de l' article 5 du même règlement, en vertu duquel, pour l' application des articles 3 et 4, des quantités supplémentaires de référence ne peuvent être
accordées que dans la limite de la quantité globale garantie pour l' État membre en cause, fait apparaître que, dans la mesure où de telles quantités supplémentaires sont accordées à certaines catégories d' opérateurs, les quantités de référence des autres opérateurs doivent, le cas échéant, subir des réductions afin d' éviter que ladite quantité globale ne soit dépassée .

30 Il s' ensuit qu' on ne saurait considérer comme incompatible avec les exigences du droit communautaire une réglementation nationale arrêtée pour la mise en oeuvre du régime communautaire, telle que la réglementation française, disposant que tous les producteurs établis sur le territoire national, y compris ceux ayant souscrit un plan de développement de la production laitère approuvé avant l' entrée en vigueur du régime communautaire de prélèvement supplémentaire sur le lait, à l' exception
toutefois d' une certaine catégorie de producteurs désavantagés par leur situation géographique, obtiennent pour la deuxième année d' application du régime des quantités de référence inférieures aux quantités correspondantes qu' ils ont obtenues pour l' année précédente .

31 Pour ces raisons, il y a lieu de répondre à la troisième question que le principe de la confiance légitime ne s' oppose pas à une réglementation nationale mettant le régime communautaire de prélèvement supplémentaire sur le lait en oeuvre de telle sorte que les producteurs titulaires d' un plan de développement de la production laitière, approuvé avant l' entrée en vigueur du régime de prélèvement, obtiennent pour la campagne 1985/86 des quantités de référence fixées à un niveau inférieur à celui
applicable pour la campagne précédente, à moins que les réductions opérées ne portent spécifiquement sur les quantités de référence des titulaires d' un tel plan .

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

32 Les frais exposés par le gouvernement français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement . La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens .

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR ( troisième chambre )

statuant sur les questions à elle soumises par la Cour d' appel de Rennes, par arrêts du 29 juin 1988, dit pour droit :

1 . L' article 3, point 1, premier tiret, du règlement n° 857/84, du Conseil, du 31 mars 1984, s' oppose à une réglementation nationale mettant cette disposition en oeuvre de telle sorte que tous les producteurs visés par cette disposition obtiennent une quantité unique à caractère forfaitaire . Cette disposition ne s' oppose toutefois pas à une réglementation nationale prévoyant que seuls les producteurs dont les livraisons de lait ne dépassent pas un plafond déterminé sont susceptibles d' obtenir
une quantité spécifique de référence .

2 . Le règlement n° 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, interprété à la lumière de l' interdiction de discrimination énoncée à l' article 40, paragraphe 3, du traité, ne s' oppose pas à une réglementation nationale permettant aux acheteurs, dans le cadre de la formule B, de réallouer au titre de l' article 3, point 1, de ce règlement provisoirement tout ou partie des quantités de référence individuelles libérées par des producteurs qui leur sont affiliés, à d' autres producteurs affiliés à ces mêmes
acheteurs, sous réserve que ces réallocations soient, le cas échéant, ajustées a posteriori de façon à neutraliser d' éventuelles différences de traitement entre producteurs affiliés à différents acheteurs .

3 . Le principe de la confiance légitime ne s' oppose pas à une réglementation nationale mettant le régime communautaire de prélèvement supplémentaire sur le lait en oeuvre de telle sorte que les producteurs titulaires d' un plan de développement de la production laitière, approuvé avant l' entrée en vigueur du régime de prélèvement, obtiennent pour la campagne 1985/86 des quantités de référence fixées à un niveau inférieur à celui applicable pour la campagne précédente, à moins que les réductions
opérées ne portent spécifiquement sur les quantités de référence des titulaires d' un tel plan .


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 196/88,
Date de la décision : 11/07/1989
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Cour d'appel de Rennes - France.

Agriculture - Prélèvement supplémentaire sur le lait.

Agriculture et Pêche

Produits laitiers


Parties
Demandeurs : Daniel Cornée et autres
Défendeurs : Coopérative agricole laitière de Loudéac (Copall) et Laiterie coopérative du Trieux.

Composition du Tribunal
Avocat général : Van Gerven
Rapporteur ?: Zuleeg

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1989:307

Source

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