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21/07/2022 | CANADA | N°2022CSC31

Canada | Canada, Cour suprême, 21 juillet 2022, R. c. Sundman, 2022 CSC 31


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Sundman, 2022 CSC 31

 

 
Appel entendu : 9 décembre 2021
Jugement rendu : 21 juillet 2022
Dossier : 39569


 
Entre :
 
Darren Caley Daniel Sundman
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 


Motifs de jugement :
(par. 1 à 55)

Le juge Jamal (avec l’accord du juge en c

hef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer)







 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa vers...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Sundman, 2022 CSC 31

 

 
Appel entendu : 9 décembre 2021
Jugement rendu : 21 juillet 2022
Dossier : 39569

 
Entre :
 
Darren Caley Daniel Sundman
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 55)

Le juge Jamal (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer)

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Darren Caley Daniel Sundman                                                                       Appelant
c.
Sa Majesté la Reine                                                                                             Intimée
Répertorié : R. c. Sundman
2022 CSC 31
No du greffe : 39569.
2021 : 9 décembre; 2022 : 21 juillet.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
                    Droit criminel — Meurtre au premier degré — Séquestration illégale — Éléments de l’infraction — Accusé déclaré coupable de meurtre au deuxième degré relativement à la mort d’une victime abattue au cours d’une poursuite après son évasion de la camionnette en mouvement dans laquelle elle était séquestrée — Conclusion du juge du procès portant que la victime n’était plus illégalement séquestrée au moment du meurtre — Cour d’appel statuant que la mort a été causée alors que la victime était toujours séquestrée illégalement et substituant une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré — La victime était‑elle séquestrée illégalement après son évasion de la camionnette? — La séquestration illégale et le meurtre faisaient‑ils partie d’une même opération justifiant une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 231(5).
                    L’accusé et la victime étaient des trafiquants de drogue qui se vouaient une animosité réciproque. Le jour où la victime a été tuée, l’accusé l’a séquestrée illégalement dans une camionnette en mouvement et l’a agressée à maintes reprises en la frappant avec une arme de poing. La victime a sauté de la camionnette alors qu’elle ralentissait pour effectuer un virage, mais elle a été ensuite pourchassée à pied par l’accusé et deux complices. Pendant que la victime s’enfuyait en courant, l’accusé a tiré sur elle au moins trois fois, mais n’est pas parvenu à la tuer. Alors qu’elle gisait blessée, la victime a été abattue à bout portant par l’un des complices.
                    L’accusé a été inculpé de meurtre au premier degré. La Couronne a plaidé que l’accusé était coupable de meurtre au premier degré parce qu’il s’agissait d’un meurtre prémédité et de propos délibéré. Elle a plaidé subsidiairement que, comme l’accusé a tué la victime en commettant l’infraction de séquestration illégale, il était coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel. Le juge du procès n’était pas convaincu qu’il s’agissait d’un meurtre prémédité et de propos délibéré. Il a aussi estimé que, bien que la victime ait été séquestrée illégalement dans la camionnette, elle était parvenue à s’échapper en sautant de celle‑ci; en conséquence, en raison du bref intervalle entre la séquestration de la victime dans la camionnette et le moment où elle a été abattue, l’accusé ne l’avait pas tuée en commettant l’infraction de séquestration illégale. L’accusé a donc été acquitté de meurtre au premier degré, mais il a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. La Cour d’appel, à l’unanimité, a accueilli l’appel de la Couronne, a annulé la déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, et y a substitué une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré. La cour a conclu que la victime était toujours séquestrée illégalement quand elle a sauté de la camionnette et a été pourchassée avant d’être tuée, et qu’en conséquence l’accusé avait tué la victime en commettant l’infraction de séquestration illégale. La Cour d’appel a également statué qu’il existait un lien temporel et causal entre la séquestration illégale de la victime dans la camionnette et son meurtre, et que la suite d’événements en entier constituait de ce fait une seule affaire ou opération.
                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
                    L’accusé est coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel. La victime était toujours séquestrée illégalement lorsqu’elle s’est enfuie de la camionnette en courant. Même si la victime ne subissait pas de contrainte physique à l’extérieur de la camionnette, elle était toujours soumise à la coercition par la violence, la peur et l’intimidation. L’accusé l’a ensuite tuée alors qu’il la séquestrait illégalement. Ces deux actes criminels distincts faisaient partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituaient une seule affaire. Ils étaient rapprochés dans le temps et consistaient en une domination constante de la victime, domination qui a commencé dans la camionnette, s’est poursuivie quand la victime s’en est échappée en courant et a pris fin avec le meurtre.
                    Le paragraphe 231(5) du Code criminel prévoit qu’un meurtre est assimilé à un meurtre au premier degré, peu importe qu’il soit commis avec préméditation et de propos délibéré, lorsque la personne qui le commet cause la mort de la victime « en commettant ou tentant de commettre » l’une ou l’autre de plusieurs infractions énumérées comportant domination. Le paragraphe 231(5) ne crée pas une infraction substantielle; il s’agit plutôt essentiellement d’une disposition en matière de détermination de la peine qui témoigne de la décision du Parlement de considérer que les meurtres liés aux infractions énumérées comportent un degré élevé de culpabilité morale ou une circonstance aggravante justifiant une peine plus lourde. Le paragraphe 231(5) s’applique uniquement lorsque le délinquant concerné a été reconnu coupable de meurtre hors de tout doute raisonnable. Le principe directeur des infractions énumérées au par. 231(5) est que ces infractions sont toutes des crimes impliquant la domination illégale de victimes. Le Parlement a jugé qu’un meurtre commis en lien avec ces crimes comportant domination est particulièrement grave et justifie la peine exceptionnelle prévue pour le meurtre au premier degré. La domination illégale est non pas un élément essentiel qu’il faut établir pour l’application du par. 231(5), mais un principe qui aide les tribunaux à appliquer la disposition de manière téléologique, pour que le droit évolue de façon raisonnée.
                    Pour qu’un meurtre soit commis « en commettant ou tentant de commettre » une infraction sous‑jacente énumérée au par. 231(5), les éléments suivants sont requis : (1) un crime sous‑jacent comportant domination; (2) un meurtre; (3) une cause substantielle; (4) l’absence d’intervention d’une autre personne; et (5) une même opération. La jurisprudence de la Cour a adopté deux approches à l’égard de l’élément « même opération » qui ont été utilisées de manière interchangeable : le test de la « seule affaire » et l’approche fondée sur le lien temporel‑causal. Ces approches n’impliquent pas des analyses différentes; il s’agit simplement de deux façons différentes de traiter l’élément « même opération ». La démarche dite de la « seule affaire » consiste à se demander si l’infraction énumérée comportant domination et le meurtre font tous partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituent une seule affaire. C’est la domination illégale continue exercée sur la victime qui confère de la continuité à la suite d’événements qui aboutissent au meurtre. Le meurtre représente une exploitation de la position de force créée par l’infraction sous‑jacente et fait de l’ensemble des actes qui constituent la conduite en question une seule affaire. L’approche fondée sur lien temporel et causal consiste à se demander si l’infraction sous‑jacente comportant domination et le meurtre sont unis par un lien temporel et causal étroit. Il existe un lien temporel entre une infraction sous‑jacente comportant domination et un meurtre lorsque les deux actes criminels sont rapprochés dans le temps. Il existe un lien de causalité quand il y a un rapport unificateur, outre la simple proximité dans le temps, entre l’acte de domination illégale et le meurtre, par exemple lorsque le motif ou le mobile du meurtre découle de la domination illégale de la victime par le délinquant ou est relié à celle‑ci. L’application de l’une ou l’autre de ces deux approches implique la même analyse et mène à la même conclusion : lorsque le tribunal conclut à l’existence d’une seule affaire, il y a nécessairement un lien temporel‑causal, et lorsque le tribunal conclut à l’existence d’un lien temporel‑causal, il y a nécessairement une seule affaire.
                    L’infraction sous‑jacente comportant domination et le meurtre doivent impliquer deux actes criminels distincts. L’infraction sous‑jacente ne peut se dissoudre dans l’acte même du meurtre. S’il n’y a qu’un seul acte criminel, on ne saurait dire que le délinquant a exploité la situation de domination inhérente à l’infraction sous‑jacente en commettant le meurtre. En pareil cas, la culpabilité morale élevée requise à l’égard du meurtre au premier degré est absente.
                    Il y a séquestration illégale si, pendant un laps de temps assez long, une personne est soumise à la coercition ou forcée d’agir contre sa volonté, de telle sorte qu’elle n’est pas libre de ses mouvements. Il n’est pas nécessaire que la personne soit confinée dans un endroit particulier ou qu’elle subisse une contrainte physique. La contrainte peut être exercée par la violence, la peur, l’intimidation ou encore par des moyens psychologiques ou autres, et l’objet de la séquestration n’est pas pertinent.
                    En l’espèce, la séquestration illégale de la victime s’est poursuivie quand cette dernière s’est échappée de la camionnette. Elle était soumise à la coercition, elle était privée de sa liberté et elle n’était pas libre de ses mouvements. En fait, la victime était toujours séquestrée illégalement au moment de sa mort. L’accusé l’a donc tuée en commettant l’infraction de séquestration illégale. La séquestration illégale et le meurtre étaient rapprochés dans le temps, et comportaient une domination en cours. De plus, la séquestration illégale se distinguait de la fusillade et ne se dissolvait pas dans celle‑ci. En conséquence, la déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré prononcée à l’égard de l’accusé est justifiée.
Jurisprudence
                    Arrêts mentionnés : R. c. Paré, 1987 CanLII 1 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 618; R. c. Magoon, 2018 CSC 14, [2018] 1 R.C.S. 309; R. c. Bottineau, [2006] O.J. No. 1864 (QL), 2006 CarswellOnt 8510 (WL), conf. par 2011 ONCA 194, 269 C.C.C. (3d) 227; R. c. Luxton, 1990 CanLII 83 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 711; R. c. Pritchard, 2008 CSC 59, [2008] 3 R.C.S. 195; R. c. Gratton (1985), 18 C.C.C. (3d) 462; R. c. Lemaigre (1987), 1987 CanLII 4896 (SK CA), 56 Sask. R. 300; R. c. Kimberley (2001), 2001 CanLII 24120 (ON CA), 56 O.R. (3d) 18; R. c. Johnstone, 2014 ONCA 504, 313 C.C.C. (3d) 34; R. c. Parris, 2013 ONCA 515, 300 C.C.C. (3d) 41; R. c. Newman, 2016 CSC 7, [2016] 1 R.C.S. 27; R. c. Arkell, 1990 CanLII 82 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 695; R. c. Russell, 2001 CSC 53, [2001] 2 R.C.S. 804; R. c. Harbottle, 1993 CanLII 71 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 306; R. c. Nette, 2001 CSC 78, [2001] 3 R.C.S. 488; R. c. Niemi, 2017 ONCA 720, 355 C.C.C. (3d) 344; R. c. Imona‑Russell, 2018 ONCA 590; R. c. McGregor, 2019 ONCA 307, 145 O.R. (3d) 641; R. c. Stevens (1984), 1984 CanLII 3481 (ON CA), 11 C.C.C. (3d) 518; R. c. Ganton (1992), 1992 CanLII 8246 (SK CA), 77 C.C.C. (3d) 259; R. c. Johnson and Jensen (1993), 1993 CanLII 16414 (AB CA), 141 A.R. 184; R. c. Plewes, 2000 BCCA 278, 144 C.C.C. (3d) 426; R. c. Westergard (2004), 2004 CanLII 16356 (ON CA), 24 C.R. (6th) 375; R. c. Mullings, 2014 ONCA 895, 319 C.C.C. (3d) 1; R. c. Maybin, 2012 CSC 24, [2012] 2 R.C.S. 30; Grayson c. Cie d’assurance Wellington (1997), 1997 CanLII 4112 (BC CA), 37 B.C.L.R. (3d) 49; R. c. Alexis, 2020 ONCA 334, 388 C.C.C. (3d) 226; R. c. Chung, 2020 CSC 8; R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 9, 12.
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 231, 279(2), 676(1)a), 745a), c), 745.4.
Doctrine et autres documents cités
Conseil canadien de la magistrature. Modèles de directives au jury, « Infraction 231(5) : Meurtre au premier degré lors de la commission d’une autre infraction », dernière mise à jour mai 2019 (en ligne).
Manning, Morris, and Peter Sankoff. Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law, 5th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2015.
Roach, Kent. Criminal Law, 7th ed., Toronto, Irwin Law, 2018.
Stuart, Don. Canadian Criminal Law : A Treatise, 8th ed., Toronto, Thomson Reuters, 2020.
Watt, David. Watt’s Manual of Criminal Jury Instructions, 2nd ed., Toronto, Carswell, 2015.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (le juge en chef Bauman et les juges Fitch et Grauer), 2021 BCCA 53, 402 C.C.C. (3d) 463, [2021] B.C.J. No. 209 (QL), 2021 CarswellBC 309 (WL), qui a substitué une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré à la déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré inscrite par le juge Williams, 2018 BCSC 602, [2018] B.C.J. No. 673 (QL), 2018 CarswellBC 895 (WL). Pourvoi rejeté.
                    Daniel J. Song et Elliot Holzman, pour l’appelant.
                    Megan A. Street, pour l’intimée.
 
Version française du jugement de la Cour rendu par
 
                  Le juge Jamal —
I.               Survol
[1]                             Le paragraphe 231(5) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, prévoit que le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré, peu importe qu’il soit prémédité et de propos délibéré, lorsque la mort de la victime est causée par cette personne « en commettant ou tentant de commettre » l’une ou l’autre de plusieurs infractions énumérées comportant domination, y compris le détournement d’aéronef, toute forme d’agression sexuelle, l’enlèvement, la prise d’otage, ou la séquestration illégale. Il s’agit en l’espèce de savoir si l’appelant, Darren Sundman, a tué Jordan McLeod « en commettant » l’infraction de séquestration illégale.
[2]                             L’appelant et M. McLeod étaient des trafiquants de drogue qui se vouaient une animosité réciproque. Le jour où M. McLeod a été tué, l’appelant l’a séquestré illégalement dans une camionnette en mouvement et l’a agressé à maintes reprises en le frappant avec une arme de poing. Monsieur McLeod a sauté de la camionnette alors que celle‑ci ralentissait pour effectuer un virage, mais il a été ensuite pourchassé à pied par l’appelant et deux complices. Alors que M. McLeod s’enfuyait en courant, l’appelant a tiré sur lui au moins trois fois, mais n’est pas parvenu à le tuer. Alors qu’il gisait blessé, M. McLeod a été abattu à bout portant par l’un des complices.
[3]                             L’appelant a été acquitté de meurtre au premier degré, mais il a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. Le juge du procès a accepté que, même si M. McLeod avait été séquestré illégalement dans la camionnette, il était parvenu à s’échapper en sautant de celle‑ci. Le juge du procès a conclu que l’appelant avait tué M. McLeod, mais il a décidé qu’en raison du bref intervalle entre la séquestration de M. McLeod dans la camionnette et le moment où il a été abattu, l’appelant ne l’avait pas tué « en commettant » l’infraction de séquestration illégale. Il s’agissait donc d’un meurtre au deuxième degré.
[4]                             La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, à l’unanimité, a accueilli l’appel de la Couronne et a substitué une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel. Selon la cour, M. McLeod était toujours séquestré illégalement quand il a sauté de la camionnette et a été pourchassé avant d’être tué. Il existait un lien temporel et causal entre la séquestration illégale et le meurtre, la suite d’événements en entier constituant de ce fait une seule affaire ou opération. L’appelant se pourvoit maintenant de plein droit devant notre Cour.
[5]                             Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. À mon avis, M. McLeod était toujours séquestré illégalement lorsqu’il s’est enfui de la camionnette en courant. Même si M. McLeod ne subissait pas de contrainte physique à l’extérieur de la camionnette, il était toujours soumis à la coercition par la violence, la peur et l’intimidation. Il était privé de sa liberté et n’était pas libre de ses mouvements. L’appelant l’a ensuite tué alors qu’il le séquestrait illégalement. Ces deux actes criminels distincts faisaient partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituaient une seule affaire. Ils étaient rapprochés dans le temps et consistaient en une domination constante de M. McLeod qui a commencé dans la camionnette, s’est poursuivie quand il s’est échappé de celle‑ci en courant, et a pris fin avec son meurtre. L’appelant est donc coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel.
II.            Faits
[6]                             Le 16 janvier 2015, M. McLeod a été tué par balles près de Prince George, en Colombie‑Britannique, peu après avoir été agressé et séquestré illégalement dans une camionnette. Cinq personnes se trouvaient dans la camionnette : M. McLeod; l’appelant; la petite amie de l’appelant, Staci Stevenson; le frère de l’appelant, Kurtis Sundman; et Sebastian Martin. Toutes ces personnes étaient des trafiquants de drogue actifs à Vanderhoof, en Colombie‑Britannique, et dans les environs.
[7]                             La camionnette se rendait de Vanderhoof à Prince George. Monsieur Kurtis Sundman était au volant, et M. McLeod occupait le siège passager avant, tandis que l’appelant, Mme Stevenson et M. Martin étaient à l’arrière. L’appelant et M. Kurtis Sundman portaient chacun une arme de poing; M. Martin portait un fusil de chasse. Monsieur McLeod n’était pas armé.
[8]                             Durant le trajet, une dispute a éclaté entre les frères Sundman et M. McLeod. L’appelant était en colère contre M. McLeod pour plusieurs raisons : il le soupçonnait d’entretenir une relation avec Mme Stevenson; M. McLeod empiétait sur le territoire des frères Sundman en fournissant de la drogue sur le marché de Vanderhoof; les frères Sundman avaient une dette de drogue envers M. McLeod et il faisait pression sur eux pour qu’ils la remboursent; et l’appelant a vu sur le téléphone de M. McLeod des messages qui l’ont frustré. À un moment donné, l’appelant s’est mis à frapper M. McLeod à la tête avec son arme de poing. Monsieur McLeod a tenté d’éviter les coups et a promis d’annuler la dette de drogue des Sundman s’ils le laissaient tranquille. Monsieur Kurtis Sundman, qui partageait la colère de l’appelant, a encouragé l’agression en cours et a conduit la camionnette si rapidement que M. McLeod ne pouvait pas sauter de celle‑ci. Il a aussi nargué M. McLeod en lui disant de sauter, même si, en pratique, c’était impossible.
[9]                             Lorsque la camionnette a ralenti pour effectuer un virage, M. McLeod a sauté de la camionnette et a tenté de s’enfuir. Monsieur Kurtis Sundman a arrêté la camionnette sur‑le‑champ, et l’appelant a crié [traduction] « attrapez‑le, attrapez‑le ». Les trois hommes sont rapidement sortis de la camionnette, chacun portant son arme à feu respective, et ils ont pourchassé M. McLeod.
[10]                        Monsieur McLeod a désespérément essayé de s’échapper. Il a marché dans une neige profonde, a traversé un fossé peu profond et une clôture de barbelés en direction des buissons. L’appelant a alors tiré au moins quatre fois vers M. McLeod et l’a atteint d’au moins trois balles. Bien que ces coups n’aient pas tué M. McLeod, ils l’ont ralenti et empêché de s’échapper. Monsieur Martin a dit à l’appelant quelque chose qui ressemblait à [traduction] « Je l’ai, patron », et il a tiré deux fois sur M. McLeod, une fois au torse et une fois au visage à bout portant, le tuant presque instantanément.
[11]                        Les trois hommes ont chargé le corps de M. McLeod dans la camionnette et se sont rendus à un endroit isolé où ils l’ont dissimulé sous du feuillage. La police a retrouvé le corps environ un mois plus tard avec l’aide de Mme Stevenson.
[12]                        L’appelant et ses deux complices, MM. Martin et Kurtis Sundman, ont tous les trois été accusés de meurtre au premier degré. Les complices ont été respectivement déclarés coupables de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable. Notre Cour n’est saisie que du cas de l’appelant.
III.         Décisions des juridictions inférieures
A.           Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2018 BCSC 602 (le juge Williams)
[13]                        La Couronne a plaidé que l’appelant était coupable de meurtre au premier degré parce qu’il s’agissait d’un meurtre prémédité et de propos délibéré. Elle a plaidé subsidiairement que, comme l’appelant a tué M. McLeod « en commettant » l’infraction de séquestration illégale, il était coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel. Le juge du procès a rejeté ces deux arguments et a acquitté l’appelant de meurtre au premier degré, mais l’a reconnu coupable de meurtre au deuxième degré.
[14]                        Le juge du procès a conclu que, pour établir la perpétration d’un meurtre au premier degré au sens de l’al. 231(5)e), la Couronne devait prouver que l’appelant avait tué M. McLeod et qu’il y avait [traduction] « séquestration en cours » au moment de sa mort (par. 289 (CanLII)). L’appelant a agressé à maintes reprises et séquestré illégalement M. McLeod dans la camionnette, et lorsqu’il s’est échappé de la camionnette, M. McLeod se trouvait toujours [traduction] « dans une situation de vulnérabilité » qui « était la conséquence du traitement qui lui avait été réservé dans [celle‑ci] » (par. 289). Cependant, comme M. McLeod [traduction] « était parvenu à s’échapper » en sautant de la camionnette, lorsqu’il « a été abattu, sa séquestration avait pris fin » (par. 288). Le bref [traduction] « intervalle » entre la fin de la séquestration illégale de M. McLeod dans la camionnette et les coups fatals signifiait qu’il n’y avait pas de « séquestration en cours » quand il a été tué (par. 289). L’appelant n’était donc pas coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel.
B.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2021 BCCA 53, 402 C.C.C. (3d) 463 (le juge en chef Bauman et les juges Fitch et Grauer)
[15]                        La Cour d’appel a accueilli à l’unanimité l’appel formé par la Couronne contre l’acquittement relatif à l’accusation de meurtre au premier degré au sens de l’al. 231(5)e), annulé la déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré et substitué une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré.
[16]                        La Cour d’appel a relevé deux erreurs de droit dans la décision de première instance. En premier lieu, le juge du procès a commis une erreur de droit au sujet de la portée de la séquestration illégale en exigeant que [traduction] « la victime subisse une contrainte physique dans un espace restreint et clos » (par. 156). La séquestration illégale ne requiert que [traduction] « la privation intentionnelle de la liberté d’une autre personne ou la restriction des mouvements de cette personne en l’absence d’autorisation légitime et contre sa volonté » (par. 153). Même après que M. McLeod ait sauté de la camionnette, il n’était [traduction] « en aucune manière libre de ses mouvements » (par. 159). « Sa séquestration n’a pas, en droit, pris fin dès qu’il a sauté de la camionnette » (par. 159). Si l’on examine les conclusions de fait non contestées du juge du procès en fonction du critère juridique applicable à la séquestration illégale, l’appelant « commettait l’infraction de séquestration illégale lorsqu’il a tiré sur [M.] McLeod » (par. 159).
[17]                          En deuxième lieu, selon la Cour d’appel, le juge du procès a commis une [traduction] « erreur de droit plus fondamentale » en concluant que « l’intervalle momentané » entre le moment où M. McLeod a sauté de la camionnette et le moment où l’appelant lui a tiré dessus signifiait qu’il ne pouvait avoir tué M. McLeod « en commettant » l’infraction de séquestration illégale (par. 163). Une telle [traduction] « approche étroite » à l’égard de l’al. 231(5)e) s’écarte de l’interprétation de la Cour dans l’arrêt R. c. Paré, 1987 CanLII 1 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 618, laquelle consiste à déterminer si la séquestration illégale et le meurtre faisaient partie d’une seule affaire ou si un lien temporel et causal les unissait. Le juge du procès a commis une erreur de droit en ne donnant pas effet juridique à ses conclusions de fait. D’après les faits constatés par le juge du procès, il existait entre la séquestration illégale et le meurtre un lien temporel et causal qui faisait de l’ensemble des actes en question une seule affaire. Le lien temporel a été établi parce que l’intervalle entre la séquestration illégale et le meurtre était [traduction] « bref » ou « momentané » (par. 171). Le lien de causalité a été établi parce que M. McLeod se trouvait toujours dans une situation de vulnérabilité après avoir sauté de la camionnette et tenté d’échapper à ses agresseurs (par. 172). Au vu de ces conclusions de fait, l’appelant était coupable de meurtre au premier degré.
IV.         Dispositions législatives pertinentes
[18]                        Les extraits pertinents des art. 231 et 279 du Code criminel sont ainsi libellés :
      Classification
      231 (1) Il existe deux catégories de meurtres : ceux du premier degré et ceux du deuxième degré.
      Meurtre au premier degré
      (2) Le meurtre au premier degré est le meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré.
      . . .
      Détournement, enlèvement, infraction sexuelle ou prise d’otage
      (5) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée par cette personne, en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants :
a) l’article 76 (détournement d’aéronef);
b) l’article 271 (agression sexuelle);
c) l’article 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles);
d) l’article 273 (agression sexuelle grave);
e) l’article 279 (enlèvement et séquestration);
f) l’article 279.1 (prise d’otage).
      . . .
      Meurtre au deuxième degré
      (7) Les meurtres qui n’appartiennent pas à la catégorie des meurtres au premier degré sont des meurtres au deuxième degré.
      . . .
      Séquestration
      279 . . .
      (2) Quiconque, sans autorisation légitime, séquestre, emprisonne ou saisit de force une autre personne est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
V.           Questions en litige
[19]                        L’appelant soulève deux questions principales :
A.      La Cour d’appel n’avait aucune raison de modifier la conclusion du juge du procès suivant laquelle la séquestration illégale de M. McLeod a pris fin quand il s’est échappé de la camionnette, et, par conséquent, l’appelant n’a pas tué M. McLeod « en commettant » l’infraction de séquestration illégale et n’est pas coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel.
B.      La Cour d’appel a eu tort de conclure que la séquestration illégale de M. McLeod dans la camionnette et son meurtre faisaient partie d’une « seule affaire » justifiant une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e).
VI.         Analyse
[20]                        J’examinerai d’abord les principes juridiques applicables à la séquestration illégale que l’on trouve au par. 279(2) du Code criminel et ceux applicables au meurtre au premier degré qui figurent au par. 231(5). J’appliquerai ensuite ces principes à la présente affaire.
A.           Séquestration illégale
[21]                        Pour établir l’infraction de séquestration illégale prévue au par. 279(2) du Code criminel, la Couronne doit prouver (1) que l’accusé a séquestré une autre personne; et (2) qu’il s’agissait d’une séquestration illégale (R. c. Magoon, 2018 CSC 14, [2018] 1 R.C.S. 309, par. 64). Séquestrer illégalement une personne consiste fondamentalement à priver cette personne de sa liberté (R. c. Bottineau, [2006] O.J. No. 1864 (QL), 2006 CarswellOnt 8510 (WL) (C.S.J.), par. 117, le juge Watt (plus tard juge de la Cour d’appel de l’Ontario), conf. par 2011 ONCA 194, 269 C.C.C. (3d) 227). Il y a séquestration illégale si, pendant un laps de temps assez long, une personne est soumise à la coercition ou forcée d’agir contre sa volonté, de telle sorte qu’elle n’est pas libre de ses mouvements (R. c. Luxton, 1990 CanLII 83 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 711, p. 723; R. c. Pritchard, 2008 CSC 59, [2008] 3 R.C.S. 195, par. 24; Magoon, par. 64). Il n’est pas nécessaire que la personne soit confinée dans un endroit particulier ou qu’elle subisse une contrainte physique (Magoon, par. 64; R. c. Gratton (1985), 18 C.C.C. (3d) 462 (C.A. Ont.), p. 473 et 475, le juge Cory (plus tard juge de notre Cour); R. c. Lemaigre (1987), 1987 CanLII 4896 (SK CA), 56 Sask. R. 300 (C.A.), par. 3; M. Manning et P. Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (5e éd. 2015), p. 1037). La contrainte peut être exercée par la violence, la peur, l’intimidation ou encore par des moyens psychologiques ou autres (Magoon, par. 64). L’objet de la séquestration n’est pas pertinent (Pritchard, par. 31; R. c. Kimberley (2001), 2001 CanLII 24120 (ON CA), 56 O.R. (3d) 18 (C.A.), par. 107; R. c. Johnstone, 2014 ONCA 504, 313 C.C.C. (3d) 34, par. 45; R. c. Parris, 2013 ONCA 515, 300 C.C.C. (3d) 41, par. 47).
[22]                        Par exemple, une personne peut être séquestrée illégalement si les actes violents de l’accusé amènent cette personne à s’enfermer dans une pièce pour éviter d’être agressée (Johnstone, par. 47; K. Roach, Criminal Law (7e éd. 2018), p. 442, note 83), ou si on empêche la personne de s’échapper d’un appartement par la porte avant (R. c. Newman, 2016 CSC 7, [2016] 1 R.C.S. 27, par. 1; Roach, p. 442, note 81).
B.            Meurtre au premier degré au sens du par. 231(5)
(1)           Meurtre au premier degré
[23]                        Le meurtre au premier degré est le crime le plus grave en droit canadien, et il exige le plus haut degré de culpabilité morale, à savoir la prévision subjective de la mort (R. c. Arkell, 1990 CanLII 82 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 695, p. 703; Luxton, p. 724). Il est passible de la peine la plus lourde prévue par le Code criminel, l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans (al. 745a); R. c. Russell, 2001 CSC 53, [2001] 2 R.C.S. 804, par. 46). Tout meurtre qui n’appartient pas à la catégorie des meurtres au premier degré est un meurtre au deuxième degré (par. 231(7)), infraction qui est passible de l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant un délai de 10 à 25 ans, à la discrétion du juge chargé d’infliger la peine (al. 745c) et art. 745.4).
[24]                        Le meurtre au premier degré est un meurtre commis « avec préméditation et de propos délibéré » (par. 231(2) et (3)). Un meurtre est aussi réputé être au premier degré, même s’il n’est pas prémédité et de propos délibéré, s’il est commis en lien avec des victimes en particulier, des situations en particulier ou l’une ou l’autre de plusieurs infractions énumérées (par. 231(4) à (6.2)). Le paragraphe 231(5) fait état d’un tel groupe d’infractions sous‑jacentes. Il prévoit que le meurtre en question est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort d’une personne est causée « en commettant ou tentant de commettre » l’une ou l’autre des infractions suivantes : un détournement d’aéronef, toute forme d’agression sexuelle, un enlèvement, une prise d’otage ou une séquestration illégale. Le paragraphe 231(5) peut s’appliquer même si la victime du meurtre et celle de l’infraction énumérée ne sont pas la même personne (Russell, par. 33 et 43; Manning et Sankoff, p. 961).
(2)           Paragraphe 231(5) : une disposition en matière de détermination de la peine
[25]                        Le paragraphe 231(5) ne crée pas une infraction substantielle. Il s’agit essentiellement d’une disposition en matière de détermination de la peine qui témoigne de la décision du Parlement de considérer que les meurtres liés aux infractions énumérées comportent un degré élevé culpabilité morale ou une circonstance aggravante justifiant une peine plus lourde. Le paragraphe 231(5) s’applique uniquement lorsque le délinquant concerné a été reconnu coupable de meurtre hors de tout doute raisonnable (R. c. Harbottle, 1993 CanLII 71 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 306, p. 323; Arkell, p. 702‑703; Luxton, p. 720; Paré, p. 625; Russell, par. 24; Pritchard, par. 19).
[26]                        Notre Cour a statué que le par. 231(5) n’est ni arbitraire ni irrationnel et ne contrevient pas aux art. 7, 9 ou 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (Arkell, p. 704; Luxton, p. 719‑725; D. Stuart, Canadian Criminal Law : A Treatise (8e éd. 2020), p. 234; Manning et Sankoff, p. 958).
(3)           Le principe directeur de domination illégale
[27]                        Le principe directeur des infractions énumérées au par. 231(5) — ce qu’elles ont en commun — est que ces infractions sont toutes des crimes impliquant la domination illégale de victimes. Le Parlement a jugé qu’un meurtre commis en lien avec ces crimes comportant domination est particulièrement grave et justifie la peine exceptionnelle prévue pour le meurtre au premier degré (Paré, p. 633; Luxton, p. 722; R. c. Nette, 2001 CSC 78, [2001] 3 R.C.S. 488, par. 62; Pritchard, par. 19‑20; Magoon, par. 61). La domination illégale est non pas un élément essentiel qu’il faut établir pour l’application du par. 231(5), mais un principe qui aide les tribunaux à appliquer la disposition de manière téléologique, pour que le droit évolue de façon raisonnée (Russell, par. 43; Kimberley, par. 104; R. c. Niemi, 2017 ONCA 720, 355 C.C.C. (3d) 344, par. 62; R. c. Imona‑Russell, 2018 ONCA 590, par. 13 (CanLII); R. c. McGregor, 2019 ONCA 307, 145 O.R. (3d) 641, par. 58, 67 et 69‑74).
(4)           « En commettant » : le test de la seule affaire
[28]                        Notre Cour a donné des précisions sur ce que l’on entend par commettre un meurtre « en commettant ou tentant de commettre » une infraction sous‑jacente énumérée au par. 231(5). Dans Paré, l’arrêt de notre Cour qui a développé l’interprétation du par. 231(5) qui fait autorité, le délinquant a attenté à la pudeur d’un jeune garçon, l’a maintenu au sol pendant deux minutes, puis l’a étranglé à mort quand le garçon lui a dit qu’il raconterait l’agression à sa mère. S’exprimant au nom de la Cour, la juge Wilson a rejeté une interprétation étroite et littérale des mots « en commettant » au par. 231(5) qui exigerait la perpétration simultanée de l’infraction sous‑jacente et du meurtre. Pareille interprétation donnerait lieu à des distinctions irrationnelles et arbitraires — dans l’affaire Paré, par exemple, l’application de l’interprétation requérant la « simultanéité » voudrait dire que, pour déterminer s’il s’agissait d’un meurtre au premier ou au deuxième degré, il aurait fallu se demander si le délinquant attentait toujours à la pudeur de la victime lorsqu’il l’a maintenue au sol et l’a étranglée. Au lieu d’aborder le par. 231(5) sous l’angle de la « simultanéité », la juge Wilson a adopté la démarche large et téléologique dite de la « seule affaire » qu’a proposée le juge d’appel Martin dans l’arrêt R. c. Stevens (1984), 1984 CanLII 3481 (ON CA), 11 C.C.C. (3d) 518 (C.A. Ont.), p. 541, laquelle consiste à se demander si l’infraction énumérée comportant domination et le meurtre [traduction] « font tous partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituent une seule affaire ». La juge Wilson a statué que « c’est la domination illégale continue exercée sur la victime qui confère de la continuité à la suite d’événements qui aboutissent au meurtre. Le meurtre représente une exploitation de la position de force créée par l’infraction sous‑jacente et fait de l’ensemble des actes qui constituent la conduite en question “une seule affaire” » (p. 633). Suivant l’application de ce test, le délinquant dans l’affaire Paré était coupable de meurtre au premier degré parce que l’attentat à la pudeur et le meurtre faisaient « partie d’une suite ininterrompue d’événements » constituant « une seule et même affaire » (p. 634).
[29]                        Quelques années après avoir rendu l’arrêt Paré, notre Cour dans l’affaire Harbottle, à la p. 325, a décomposé le par. 231(5) (alors le par. 214(5) du Code criminel) en cinq éléments :
(1)   [L]’accusé est coupable du crime sous‑jacent comportant domination, ou d’une tentative de commettre ce crime,
(2)   l’accusé est coupable du meurtre de la victime,
(3)   l’accusé a participé au meurtre d’une telle manière qu’il a été une cause substantielle du décès de la victime,
(4)   il n’y a pas eu d’intervention d’une autre personne qui fait en sorte que l’accusé n’est plus substantiellement lié au décès de la victime, et
(5)   le crime comportant domination et le meurtre faisaient partie de la même opération, c’est‑à‑dire qu’on a causé la mort en commettant l’infraction comportant domination, dans le cadre de la même série d’événements.
(Voir aussi Magoon, par. 17 et 63.)
[30]                        Le paragraphe 231(5) exige donc (1) un crime sous‑jacent comportant domination; (2) un meurtre; (3) une cause substantielle; (4) l’absence d’intervention d’une autre personne; et (5) une même opération (Parris, par. 45; McGregor, par. 61).
(5)           « En commettant » : l’approche fondée sur le lien temporel et causal
[31]                        Dans certains cas, notre Cour a appliqué le test de la « seule affaire » suivant le par. 231(5) en se demandant si l’infraction sous‑jacente comportant domination et le meurtre sont unis par un lien « temporel et causal » étroit (voir Paré, p. 629 et 634; Pritchard, par. 19, 25, 33‑35 et 38; Russell, par. 43 et 46‑47).
[32]                        Dans d’autres cas, notre Cour a tout simplement appliqué le test de la « seule affaire » tel qu’énoncé par le juge d’appel Martin dans l’arrêt Stevens, sans déterminer expressément la présence d’un lien temporel et causal (Harbottle, p. 326; Magoon, par. 73‑75; voir aussi R. c. Ganton (1992), 1992 CanLII 8246 (SK CA), 77 C.C.C. (3d) 259 (C.A. Sask.), p. 263; R. c. Johnson and Jensen (1993), 1993 CanLII 16414 (AB CA), 141 A.R. 184 (C.A.), par. 53; R. c. Plewes, 2000 BCCA 278, 144 C.C.C. (3d) 426, par. 34; R. c. Westergard (2004), 2004 CanLII 16356 (ON CA), 24 C.R. (6th) 375 (C.A. Ont.), par. 30; R. c. Mullings, 2014 ONCA 895, 319 C.C.C. (3d) 1, par. 102). De même, les Modèles de directives au jury du Conseil canadien de la magistrature sur le par. 231(5) s’attachent uniquement à la question de savoir si l’infraction sous-jacente et le meurtre font partie « d’une série ininterrompue d’événements ne constituant qu’une seule opération continue » (« Infraction 231(5) : Meurtre au premier degré lors de la commission d’une autre infraction », mai 2019 (en ligne); voir aussi D. Watt, Watt’s Manual of Criminal Jury Instructions (2e éd. 2015), p. 716 et 719).
[33]                        II est habituellement facile de cerner un « lien temporel » entre une infraction sous‑jacente comportant domination et un meurtre : c’est le cas lorsque les deux actes criminels sont rapprochés dans le temps. Mais il est parfois plus difficile de formuler le « lien causal » entre une infraction sous‑jacente et un meurtre. La difficulté est en grande partie d’ordre terminologique. La causalité dans les cas d’homicide comporte deux aspects : la causalité factuelle et la causalité juridique. Pour établir la causalité factuelle, il faut examiner comment la victime est morte et comment l’accusé a contribué à ce résultat — la mort de la victime serait‑elle survenue « n’eussent été » les actes de l’accusé? Lorsque la causalité factuelle est établie, la causalité juridique consiste à se demander si l’accusé devrait être tenu responsable de la mort de la victime, compte tenu des principes de responsabilité morale en droit criminel (Nette, par. 44‑45; R. c. Maybin, 2012 CSC 24, [2012] 2 R.C.S. 30, par. 15‑16). Sous le régime du par. 231(5), cependant, le « lien de causalité » n’implique ni causalité factuelle ni causalité juridique. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans un autre contexte, [traduction] « [o]n peut tuer quelqu’un “en commettant” un vol qualifié, mais le vol qualifié forme seulement le contexte du meurtre, il n’en est pas la “cause” » (Grayson c. Cie d’assurance Wellington (1997), 1997 CanLII 4112 (BC CA), 37 B.C.L.R. (3d) 49, par. 26, la juge d’appel Newbury).
[34]                        Les tribunaux ont plutôt conclu à l’existence du lien de causalité requis au par. 231(5) lorsque le motif ou le mobile du meurtre découle de la domination illégale de la victime par le délinquant ou est relié à celle‑ci. Dans l’arrêt Paré, la juge Wilson a conclu à l’existence d’un lien de causalité entre l’infraction sous‑jacente et le meurtre parce que l’accusé avait étranglé à mort la victime après avoir attenté à sa pudeur afin de l’empêcher de raconter l’agression à sa mère (p. 634; voir aussi Pritchard, par. 34). L’attentat à la pudeur n’était pas la cause factuelle ou juridique du meurtre; il en était le motif ou le mobile, marquant le début d’un processus ininterrompu de domination illégale qui a abouti au meurtre, et faisait donc de l’ensemble des actes qui constituaient la conduite en question une seule affaire (Paré, p. 633). De même, on a conclu à la présence du lien de causalité requis au par. 231(5) lorsque le meurtre a été commis pour faciliter le crime comportant domination, par exemple en éliminant un témoin potentiel du crime (Pritchard, par. 38; Russell, par. 47‑48; R. c. Alexis, 2020 ONCA 334, 388 C.C.C. (3d) 226, par. 18). Dans tous les cas, le « lien de causalité » requis au par. 231(5) concerne la question de savoir s’il existe un rapport unificateur, outre la simple proximité dans le temps, entre l’acte de domination illégale et le meurtre, de telle sorte que les deux constituent une seule affaire (voir Alexis, par. 24).
(6)           Le test de la seule affaire et l’approche fondée sur le lien temporel‑causal impliquent la même analyse
[35]                        À mon avis, la jurisprudence de notre Cour n’indique pas que le test de la « seule affaire » formulé dans l’arrêt Stevens et l’approche fondée sur le lien temporel‑causal impliquent des analyses différentes. Il s’agit simplement de deux façons différentes de traiter l’élément « même opération ». Ces deux approches ont été utilisées de manière interchangeable dans notre jurisprudence.
[36]                        Par exemple, dans l’arrêt Paré, à la p. 634, la juge Wilson a conclu qu’« il existait entre le meurtre et l’infraction sous‑jacente un lien temporel et causal. Le meurtre faisait partie d’une suite ininterrompue d’événements. Il faisait partie d’une seule et même affaire. »
[37]                        De même, au par. 46 de l’arrêt Russell, la juge en chef McLachlin a mentionné le test de la seule affaire et l’approche fondée sur le lien temporel‑causal de façon interchangeable :
      Les arrêts de notre Cour relativement au par. 231(5) indiquent clairement que l’accusé commet un meurtre « en commettant ou tentant de commettre » une infraction énumérée seulement s’il existe un lien temporel et causal étroit entre le meurtre et l’infraction énumérée : voir, p. ex., Paré, précité, p. 632 (où l’on dit qu’une personne commet un meurtre « en commettant » une infraction énumérée uniquement « lorsque l’acte causant la mort et les actes constituant [l’infraction énumérée] font tous partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituent une seule affaire »); R. c. Kirkness, 1990 CanLII 57 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 74, p. 86. [Je souligne.]
[38]                        Enfin, dans Pritchard, le juge Binnie a affirmé que l’existence d’un « étroit lien temporel et causal » est requise pour que le par. 231(5) s’applique (par. 33, citant Paré, p. 629). Il a expliqué, dans le même paragraphe, qu’on commet le meurtre « en commettant » une infraction énumérée lorsque les deux crimes surviennent ensemble pendant une « seule affaire ».
[39]                        En conséquence, appliqués correctement, le test de la seule affaire et l’approche fondée sur le lien temporel‑causal impliquent la même analyse et mènent à la même conclusion. Lorsque le tribunal conclut à l’existence d’une seule affaire, il y a nécessairement un lien temporel‑causal. Pareillement, lorsque le tribunal conclut à l’existence d’un lien temporel‑causal, il y a nécessairement une seule affaire.
(7)           Actes criminels distincts
[40]                        Enfin, notre Cour a jugé que l’infraction sous‑jacente comportant domination et le meurtre doivent impliquer deux actes criminels distincts (Pritchard, par. 27, citant Kimberley, par. 108, le juge d’appel Doherty; Magoon, par. 74; voir aussi Manning et Sankoff, p. 961‑962). L’infraction sous‑jacente ne peut se « dissou[dre] dans l’acte même du meurtre »; en d’autres termes, l’infraction sous‑jacente et le meurtre ne doivent pas faire qu’un (Pritchard, par. 27). S’il n’y a qu’un seul acte criminel, on ne saurait dire que le délinquant a exploité la situation de domination inhérente à l’infraction sous‑jacente en commettant le meurtre (par. 29). En pareil cas, la culpabilité morale élevée requise à l’égard du meurtre au premier degré est absente.
C.            Application
[41]                        Personne ne conteste devant notre Cour que l’appelant était coupable d’avoir tué M. McLeod même s’il n’a pas tiré le coup fatal. Le juge du procès a conclu que l’appelant avait fait feu sur M. McLeod dans l’intention de le tuer et l’avait atteint au moins trois fois. Les parties ne contestent pas que ces coups de feu ont été une cause substantielle du décès de M. McLeod parce qu’ils l’ont empêché d’échapper à ses ravisseurs, avant qu’il ne soit abattu à bout portant. Le litige qui nous occupe ne porte que sur la question de savoir s’il s’agit d’un meurtre au premier ou au deuxième degré. Pour répondre à cette question, il faut déterminer (1) si M. McLeod était toujours séquestré illégalement après s’être échappé de la camionnette; et (2) si la séquestration illégale (à l’intérieur ou à l’extérieur de la camionnette, ou les deux) et le meurtre faisaient partie de la même opération.
(1)           Monsieur McLeod était toujours séquestré illégalement quand il s’est échappé de la camionnette et s’est enfui en courant
[42]                        Le juge du procès a conclu avec raison que l’appelant avait séquestré illégalement M. McLeod dans la camionnette parce que M. McLeod était [traduction] « soumis à la coercition et n’était pas libre de ses mouvements » (par. 287). Il a toutefois commis une erreur de droit en concluant que M. McLeod « était parvenu à s’échapper » en sautant de la camionnette, et que lorsqu’il « a été abattu, sa séquestration avait pris fin » (par. 288). Le juge du procès semble être arrivé à la conclusion que, comme M. McLeod n’était plus soumis à la contrainte physique à l’extérieur de la camionnette, il n’était plus séquestré illégalement. Cependant, la contrainte physique dans un endroit particulier est suffisante, mais pas nécessaire, pour établir l’infraction de séquestration illégale. Même si M. McLeod n’était plus soumis à la contrainte physique à l’extérieur de la camionnette, il demeurait soumis à la coercition par des actes de violence, par peur et par intimidation alors qu’il s’enfuyait en courant. Il était toujours privé de sa liberté et n’était pas libre de ses mouvements. La procureure de la Couronne l’a affirmé en termes éloquents au cours de sa plaidoirie devant notre Cour :
      [traduction] Si M. McLeod était libre de ses mouvements, [la Couronne] se risquerait à dire qu’au lieu de courir dans la neige profonde, de traverser des clôtures, mal vêtu au beau milieu de la nuit dans le secteur rural de Prince George, il aurait plutôt cherché la maison la plus proche, essayé d’y trouver refuge et tenté de se faire ramener à sa voiture de location à Vanderhoof.
      (transcription, p. 23)
[43]                        Le juge du procès a lui‑même reconnu la privation de liberté ininterrompue de M. McLeod, et a conclu que [traduction] « M. McLeod se trouvait toujours dans une situation de vulnérabilité, et que cette vulnérabilité était la conséquence du traitement qui lui avait été réservé dans la camionnette » (par. 289).
[44]                        L’appelant prétend qu’on ne pouvait pas adopter ce mode d’analyse devant la Cour d’appel et notre Cour, parce qu’il (1) ne porte pas sur une question de droit seulement et (2) qu’il constitue une nouvelle thèse de la responsabilité en appel. Je suis d’avis de rejeter ces deux prétentions.
[45]                        Premièrement, je ne peux accepter que la conclusion du juge du procès selon laquelle M. McLeod n’était plus séquestré illégalement à l’extérieur de la camionnette constitue une question mixte de fait et de droit qui ne relève pas du droit de la Couronne d’interjeter appel devant la Cour d’appel sur « une question de droit seulement » en vertu de l’al. 676(1)a) du Code criminel. Dans son appel, la Couronne n’a pas contesté les conclusions de fait du juge du procès ni soulevé une question quant à la manière dont il convient d’évaluer la preuve et de déterminer si elle satisfait à la norme de preuve. Elle a plutôt contesté l’effet juridique des conclusions de fait du juge du procès et sa mauvaise compréhension du droit applicable à la séquestration illégale. Ces deux éléments impliquent « une question de droit seulement » qui relève du droit d’appel de la Couronne (R. c. Chung, 2020 CSC 8, par. 10‑11; R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, par. 28‑30). Le juge du procès a commis une erreur de droit en considérant que la séquestration illégale exigeait (1) une contrainte physique et (2) la soumission à la contrainte physique dans un espace restreint et clos. Aucun de ces éléments n’est requis en droit.
[46]                        Deuxièmement, je rejette l’affirmation de l’appelant suivant laquelle la question de savoir si M. McLeod était demeuré séquestré illégalement après s’être échappé de la camionnette constituait une nouvelle thèse de la responsabilité qui n’avait pas été avancée au procès. Tout comme la Cour d’appel (aux par. 134‑138), je conviens que, dans son exposé final, la Couronne a fait valoir avec insistance que [traduction] « le meurtre a été commis durant une séquestration illégale » (d.a., vol. III, p. 60; voir aussi p. 61 (« un meurtre durant une séquestration illégale »)). La thèse de la séquestration illégale à l’extérieur de la camionnette a donc été régulièrement avancée au procès.
[47]                        Par conséquent, la Cour d’appel a eu raison de conclure que M. McLeod était toujours séquestré illégalement après s’être échappé de la camionnette.
[48]                        Il reste à décider si l’appelant a tué M. McLeod « en commettant » l’infraction de séquestration illégale; autrement dit, ces deux actes criminels faisaient‑ils partie de la même opération?
(2)           L’appelant a tué M. McLeod « en commettant » l’infraction de séquestration illégale
[49]                        À l’instar de la Cour d’appel (aux par. 173‑174), je n’ai aucun mal à conclure que l’appelant a tué M. McLeod « en commettant » l’infraction de séquestration illégale. La séquestration illégale et le meurtre faisaient partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituaient une seule affaire. La séquestration illégale et le meurtre étaient rapprochés dans le temps — en fait, M. McLeod était toujours séquestré illégalement au moment de sa mort. La séquestration illégale et le meurtre comportaient en outre une domination en cours marquée par l’intimidation, la peur et la violence. La domination a commencé dans la camionnette, s’est poursuivie quand M. McLeod a sauté de la camionnette en mouvement et a été pourchassé par l’appelant et ses complices, et s’est terminée par son meurtre. Les deux actes criminels étaient aussi distincts : la séquestration illégale — notamment la restriction de la liberté de mouvement de M. McLeod à l’intérieur comme à l’extérieur de la camionnette ainsi que les actes constants de violence, la peur et l’intimidation — se distinguait de la fusillade et ne se dissolvait pas dans celle‑ci. Ces conclusions justifiaient amplement un verdict de meurtre au premier degré.
[50]                        Vu cette conclusion, point n’est besoin d’appliquer également l’approche fondée sur le lien temporel‑causal, car la conclusion portant qu’il y a une seule affaire veut nécessairement dire qu’un lien temporel‑causal est établi. Quoi qu’il en soit, l’analyse du lien temporel‑causal mène à la même conclusion. Un lien temporel unissait la séquestration illégale et le meurtre parce que M. McLeod était séquestré illégalement peu avant sa mort et au moment de celle‑ci. Il existait aussi entre eux un lien causal, de par leur rapport unificateur, parce que l’appelant a tué M. McLeod alors que ce dernier tentait d’échapper à cette séquestration illégale. Le verdict de meurtre au premier degré était donc justifié en raison de l’étroit lien temporel‑causal entre la séquestration illégale et le meurtre.
[51]                        Je suis d’avis de rejeter la prétention de l’appelant selon laquelle la question de savoir s’il existait un lien temporel et causal entre la séquestration illégale et le meurtre de M. McLeod est une question de fait à l’égard de laquelle la Couronne ne disposait d’aucun droit d’appel devant la Cour d’appel. À l’instar de la Cour d’appel (aux par. 169‑175), j’arrive à la conclusion que le juge du procès a commis une erreur de droit en concluant que le [traduction] « bref [. . .] intervalle » entre la séquestration illégale dans la camionnette et le meurtre empêchait que ces actes criminels fassent partie de la même opération. Le juge du procès a insisté à tort pour dire que la séquestration illégale et le meurtre doivent être simultanés, une opinion que notre Cour a constamment rejetée depuis l’arrêt Paré.
[52]                        De plus, comme l’a statué la Cour d’appel (au par. 169), même si le juge du procès avait eu raison d’affirmer que la séquestration illégale avait pris fin dès que M. McLeod a sauté de la camionnette, il aurait dû se demander si cette séquestration illégale et le meurtre constituaient une seule opération. Pour les raisons exposées précédemment, ils constituaient indubitablement une seule opération.
[53]                        En conclusion, il va sans dire que si l’appelant avait abattu M. McLeod quand ce dernier était séquestré illégalement dans la camionnette, le tribunal aurait incontestablement conclu que l’appelant a tué M. McLeod « en commettant » l’infraction de séquestration illégale. En droit et selon le bon sens, la brève fuite de M. McLeod hors de la camionnette ne saurait atténuer la gravité du crime de l’appelant. Raisonnablement, la culpabilité morale de l’appelant ne saurait être jugée moins sévèrement du seul fait que M. McLeod a réussi à sauter d’une camionnette en mouvement et qu’il s’échappait en courant lorsqu’il a été exécuté à peine quelques instants plus tard. Dans les deux cas, la culpabilité morale de l’appelant est exceptionnellement élevée; dans les deux cas, elle mérite tout autant « la réprobation par la société des délinquants qui choisissent d’exploiter leur situation de domination et de pouvoir jusqu’au meurtre » (Luxton, p. 723).
[54]                        La Cour d’appel a donc eu raison de déclarer l’appelant coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel.
VII.      Dispositif
[55]                        Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
 
                    Pourvoi rejeté.
                    Procureurs de l’appelant : Pringle Chivers Sparks Teskey, Vancouver; Martland & Saulnier, Vancouver.
                    Procureur de l’intimée : Procureur général de la Colombie-Britannique, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2022CSC31 ?
Date de la décision : 21/07/2022

Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Sundman
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 21 juillet 2022, R. c. Sundman, 2022 CSC 31


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2022-07-21;2022csc31 ?

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