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10/05/2019 | CANADA | N°2019CSC29

Canada | Canada, Cour suprême, 10 mai 2019, Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29


COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29, [2019] 2 R.C.S. 467

 

Appel entendu : 14 novembre 2018
Jugement rendu : 10 mai 2019
Dossier : 37770


 
Entre :
Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile
et procureur général du Canada
Appelants
 
et
 
Tusif Ur Rehman Chhina
Intimé
 
- et -
 
End Immigration Detention Network, Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, Defence for Children Interna

tional-Canada, Amnesty International Canada (English Branch), Community & Legal Aid Services Programme, Conseil canadien pour les réfugiés, Qu...

COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29, [2019] 2 R.C.S. 467

 

Appel entendu : 14 novembre 2018
Jugement rendu : 10 mai 2019
Dossier : 37770

 
Entre :
Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile
et procureur général du Canada
Appelants
 
et
 
Tusif Ur Rehman Chhina
Intimé
 
- et -
 
End Immigration Detention Network, Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, Defence for Children International-Canada, Amnesty International Canada (English Branch), Community & Legal Aid Services Programme, Conseil canadien pour les réfugiés, Queen’s Prison Law Clinic, Fonds Égale Canada pour les droits de la personne, British Columbia Civil Liberties Association, Association canadienne des libertés civiles et Canadian Prison Law Association
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté et Brown
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 71)

La juge Karakatsanis (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Gascon, Côté et Brown)

Motifs dissidents :
(par. 72 à 147)

La juge Abella

 

 
 

Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29, [2019] 2 R.C.S. 467
Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et
procureur général du Canada                                                                     Appelants
c.
Tusif Ur Rehman Chhina                                                                                   Intimé
et
End Immigration Detention Network,
Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés,
Defence for Children International‑Canada,
Amnesty International Canada (English Branch),
Community & Legal Aid Services Programme,
Conseil canadien pour les réfugiés,
Queen’s Prison Law Clinic,
Fonds Égale Canada pour les droits de la personne,
British Columbia Civil Liberties Association,
Association canadienne des libertés civiles et
Canadian Prison Law Association                                                            Intervenants
Répertorié : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina
2019 CSC 29
No du greffe : 37770.
2018 : 14 novembre; 2019 : 10 mai.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté et Brown.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
                    Tribunaux — Compétence — Habeas corpus — Exceptions à l’exercice de la compétence des cours supérieures provinciales — Demande d’habeas corpus présentée par un détenu aux fins de l’immigration — Refus par la cour supérieure d’exercer sa compétence d’entendre la demande pour le motif que le régime de contrôle de la détention créé par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est un régime législatif complet, exhaustif et spécialisé qui prévoit une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus — La cour supérieure a‑t‑elle commis une erreur en déclinant sa compétence? — Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27.
                    Après l’annulation du statut de réfugié de C et le prononcé de son interdiction de territoire, il a été placé dans un centre de détention aux fins de l’immigration, dans une unité à sécurité maximale. Les agents de l’immigration ont contrôlé le bien‑fondé de la détention de C mensuellement, et ils ont conclu chaque fois qu’il y avait lieu de confirmer la décision de le détenir. Après avoir passé 13 mois en détention, C a déposé une demande d’habeas corpus, faisant valoir que sa détention était illégale, à la fois parce qu’elle était devenue trop longue et d’une durée indéterminée, et parce que les conditions dont elle est assortie étaient inappropriées, ce qui portait atteinte à ses droits protégés par les art. 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge siégeant en son cabinet a refusé d’exercer sa compétence pour examiner la demande de C. À son avis, le régime établit par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (« LIPR ») satisfait à l’une des deux exceptions restreintes qui empêchent d’avoir recours à l’habeas corpus, puisque le législateur a mis en place un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus (l’exception établie par l’arrêt Peiroo). La Cour d’appel a accueilli l’appel de C, jugeant que l’exception ne s’appliquait pas et que le juge siégeant en son cabinet aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande.
                    Arrêt (la juge Abella est dissidente) : L’appel est rejeté.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté et Brown : La LIPR ne prévoit pas une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus concernant les remises en cause spécifiques de la légalité de la détention formulées par C dans sa demande d’habeas corpus. En conséquence, C avait droit à ce que sa demande soit entendue par le juge siégeant en son cabinet.
                    Le bref d’habeas corpus est une ancienne mesure de réparation juridique qui demeure fondamentale aujourd’hui pour la liberté individuelle et la primauté du droit. Enchâssé dans la Charte, à l’al. 10c), le droit à l’habeas corpus permet à ceux qui sont détenus de s’adresser à une cour supérieure provinciale et de revendiquer de savoir si la détention est justifiée en droit. Il existe une exception restreinte à ce droit lorsque le législateur a mis en place un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus. Toutefois, il faut interpréter restrictivement les exceptions qui limitent l’accès à l’habeas corpus. Pour décider si un régime est aussi large et avantageux que celui de l’habeas corpus, il faut l’examiner en fonction des motifs particuliers qui sont invoqués dans la demande d’habeas corpus pour contester la légalité de la détention. Il faut se demander quel est le fondement de la remise en cause de la légalité de la détention et s’il existe une procédure complète, exhaustive et spécialisée qui soit aussi large et avantageuse que l’habeas corpus relativement aux fondements spécifiques de la demande. Le régime n’est pas aussi large et avantageux que l’habeas corpus s’il est muet quant aux fondements énoncés dans la demande ou s’il prévoit un examen fondé sur les motifs invoqués dans la demande, mais que cet examen n’est pas aussi large et avantageux que celui de l’habeas corpus, en prenant en considération tant la nature de la procédure d’examen que tous les avantages pouvant être offerts par chacun des véhicules procéduraux.
                    Si on applique ce cadre aux faits de l’affaire de C, il appert que le régime établi par la LIPR ne peut répondre efficacement à la remise en cause formulée dans sa demande d’une manière aussi large et avantageuse que ne le ferait l’habeas corpus. La LIPR prévoit un régime détaillé qui permet le contrôle de la détention dans le contexte de l’immigration. Une fois que la mesure initiale de mise en détention a été prise, la procédure d’examen prévue par la LIPR prévoit un contrôle interne périodique, un contrôle judiciaire de ces décisions par la Cour fédérale et un appel des décisions de la Cour fédérale devant la Cour d’appel fédérale. Les agents de l’immigration sont experts dans l’exercice du mandat que leur confère la loi et la Cour fédérale apporte un surcroît d’expertise en cette matière. Les motifs pour ordonner la détention ou son maintien sont clairs. Toutefois, la procédure prescrite par la LIPR ne prévoit pas un contrôle aussi large et avantageux que celle en habeas corpus, en ce qui a trait au fondement spécifique de la contestation par C de la légalité de sa détention, soit sa durée, le caractère incertain de sa durée et les conditions dont elle est assortie. Une fois que le ministre a établi les motifs de la détention, les agents d’immigration doivent prendre en compte des critères qui peuvent favoriser la mise en liberté, soit notamment : le motif de la détention; la durée de la détention; la possibilité que la détention se prolonge et, si c’est le cas, la durée de cette prolongation; les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence; l’existence de solutions de rechange à la détention; et les principes applicables à l’art. 7 de la Charte. S’il est vrai que la durée de la détention et le fait qu’elle est susceptible de se prolonger peuvent faire l’objet d’un contrôle en application du régime établi par la LIPR, ce contrôle n’est pas aussi large et avantageux que celui qui découle d’une demande d’habeas corpus. Le régime établi par la LIPR est insuffisant à au moins trois égards importants : le fardeau dont doit s’acquitter le détenu sous ce régime est moins favorable que celui qui lui incombe dans le cadre d’une instance d’habeas corpus; la portée du contrôle de la détention aux fins de l’immigration devant les cours fédérales est plus étroite que celle de l’examen par les cours supérieures des demandes d’habeas corpus; enfin, l’habeas corpus permet d’obtenir une réparation plus rapidement que ne le permet le contrôle judiciaire. La LIPR n’offre donc pas un recours aussi large et avantageux que la demande d’habeas corpus pour répondre à la remise en cause de C quant à la légalité de la durée de sa détention ou de son caractère incertain.
                    La juge Abella (dissidente) : L’appel devrait être accueilli. La cour supérieure a refusé à bon droit d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus au profit du régime complet, exhaustif et spécialisé auquel C pouvait avoir recours en application de la LIRP. 
                    Toute privation de liberté devrait faire l’objet d’un examen ferme et rigoureux. C’est pourquoi la LIPR doit être interprétée de telle sorte qu’elle garantit le contrôle le plus exhaustif qui soit des motifs de la détention, notamment des conditions de détention. Rien dans la LIPR n’empêche un contrôle aussi exhaustif. En fait, l’économie de la LIPR exige de mener un tel contrôle. Écarter la possibilité d’examiner tous les aspects de la détention aux fins de l’immigration, y compris ses conditions et sa légalité, exclut à toutes fins utiles et de manière inappropriée le processus de contrôle des motifs de la détention établi par la LIPR et fait en sorte que l’habeas corpus devient le seul recours utile dont disposent les détenus qui souhaitent obtenir un contrôle complet de leur détention. Il est préférable de continuer à interpréter les dispositions de la LIPR d’une manière qui soit aussi large et avantageuse que l’habeas corpus et qui assure l’examen complet, exhaustif et spécialisé des motifs de la détention aux fins de l’immigration comme l’a fait toute la jurisprudence antérieure de la Cour.
                    Les fondements historiques de l’habeas corpus sont aussi la source de différents recours d’origine législative qui visent à offrir les mêmes protections. C’est le cas des recours prévus par la LIPR. Leur légitimité en tant que solution de rechange valable à la procédure d’habeas corpus a été examinée par les tribunaux et reconnue dans les arrêts Pringle c. Fraser, 1972 CanLII 14 (CSC), [1972] R.C.S. 821, Peiroo c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 1989 CanLII 184 (ON CA), 69 O.R. (2d) 253, Reza c. Canada, 1994 CanLII 91 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 394, et May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 809. Dans chacune de ces décisions, il a été reconnu que les recours semblables à l’habeas corpus qui peuvent être exercés en application du régime de la LIPR ont une portée au moins aussi large que celle traditionnelle de l’habeas corpus. Le régime établi par la LIPR vise à assurer le même contrôle complet et conforme à la Charte des motifs de la détention aux fins de l’immigration que celui qu’offre l’habeas corpus. La Charte encadre l’interprétation de la LIPR d’une manière qui assure le contrôle le plus complet possible de la privation de liberté du détenu. Il faut donc interpréter la LIPR d’une manière qui n’en restreint pas l’objet et qui lui donne la plus large portée qui soit. L’idée selon laquelle un examen complet de la détention ne peut avoir lieu que dans le cadre de l’habeas corpus fait fi du consensus qui ressort depuis longtemps de la jurisprudence. Il n’y a aucune raison de principe qui justifie d’écarter le raisonnement solide suivi dans les arrêts Pringle, Peiroo, Reza et May. La Cour a constamment reconnu l’exception qui limite la possibilité d’exercer un recours en habeas corpus en matière d’immigration. Écarter cette jurisprudence se traduirait par la recherche du tribunal le plus accommodant, un manque d’uniformité dans les décisions et une multiplication des instances.
                    Rien dans le libellé de la loi ne limite la portée du contrôle des motifs de la détention prévue par la LIPR à un contrôle partiel qu’il faut compléter par un habeas corpus. Au contraire, le régime de la LIPR est structuré de manière à accorder aux détenus au moins les mêmes droits que ceux qu’ils obtiendraient dans le cadre d’un contrôle par voie d’habeas corpus. Toute détention doit faire l’objet de contrôles réguliers et ces contrôles sont structurés de manière à être rapides et accessibles. L’agent d’immigration est chargé d’amener le détenu devant la Section de l’immigration pour tous les contrôles de sa détention. La Section de l’immigration peut exiger que les parties comparaissent et peut ordonner le maintien en détention du détenu, sa mise en liberté sans condition ou sa libération aux conditions qu’elle juge nécessaires. Le détenu peut aussi saisir la Cour fédérale d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. En outre, dans ce contexte, il n’incombe aucun fardeau de preuve au détenu contrairement à ce qui est le cas dans le cadre des demandes d’habeas corpus. Le régime de la LIPR doit être interprété en harmonie avec les valeurs consacrées par la Charte qui définissent les paramètres de son application et ce régime doit être appliqué d’une manière au moins aussi rigoureuse et équitable que n’est appliqué le recours en habeas corpus. La Section de l’immigration a l’obligation de mettre en balance les objets de la détention aux fins de l’immigration et les droits garantis aux détenus par les art. 7, 9 et 12 de la Charte. Cela comprend nécessairement l’examen des conditions de détention et assure la protection des droits protégés par la Charte.
                    L’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés exige que la Section de l’immigration tienne compte de certains critères pour décider si la détention doit être maintenue. Ces facteurs garantissent qu’aucune période de détention prolongée n’enfreint la Charte. La Section de l’immigration doit mettre en balance les objectifs de l’État en matière d’immigration et le droit du détenu de ne pas être privé de façon arbitraire ou indéfinie de sa liberté. Une décision antérieure, reposant sur des faits, selon laquelle l’individu risque de s’évader ou constitue un danger pour le public appelle la retenue. La force des motifs justifiant le maintien en détention faiblit au fur et à mesure que la durée de la détention se prolonge et le fardeau de la preuve dont doivent s’acquitter les autorités qui détiennent l’intéressé s’alourdit au fur et à mesure que la détention se prolonge. La Section de l’immigration doit prendre en compte les conditions de la détention et l’existence de solutions de rechange, y compris la mise en liberté. Les retards ou le manque de diligence de la part des autorités de l’immigration doivent être pris en compte, tout comme la durée prévue de la détention, ce qui suppose d’estimer la durée probable de la détention. La Section de l’immigration est mieux placée pour évaluer et se prononcer sur ce facteur que ne le sont les cours supérieures saisies de demandes d’habeas corpus. Le processus de contrôle exige que la Section de l’immigration examine au moins les mêmes considérations de fond que celles examinées par les cours supérieures saisies de demandes d’habeas corpus. Si on l’interprète correctement, le régime établi par la LIPR offre donc l’examen le plus complet possible du bien‑fondé de la détention aux fins de l’immigration, et, lorsqu’il est invoqué que la détention constitue une atteinte aux droits protégés par les art. 7, 9 et 12 de la Charte, le processus de contrôle permet au moins le même examen approfondi que celui qu’effectuent les cours supérieures saisies de demandes d’habeas corpus. Comme la Cour a affirmé à maintes reprises qu’il n’y a pas ouverture à l’habeas corpus si la solution de rechange prévue par la loi offre un recours au moins aussi favorable, la cour supérieure a refusé à bon droit d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus.
Jurisprudence
Citée par la juge Karakatsanis
                    Distinction d’avec l’arrêt : Peiroo c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 1989 CanLII 184 (ON CA), 69 O.R. (2d) 253; arrêt examiné : May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809; arrêts mentionnés : R. c. Gamble, 1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; R. c. Khela, 2009 CSC 4, [2009] 1 R.C.S. 104; R. c. Miller, 1985 CanLII 22 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 613; R. c. Bird, 2019 CSC 7, [2019] 1 R.C.S. 409; Jones c. Cunningham, 371 U.S. (1962); Dumas c. Centre de détention Leclerc, 1986 CanLII 38 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 459; Chaudhary c. Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness), 2015 ONCA 700, 127 O.R. (3d) 401; Ogiamien c. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2017 ONCA 839, 55 Imm. L.R. (4th) 220; In re Trepanier (1885), 1885 CanLII 66 (SCC), 12 R.C.S. 111; In re Sproule (1886), 1886 CanLII 51 (SCC), 12 R.C.S. 140; Goldhar c. The Queen, 1960 CanLII 65 (SCC), [1960] R.C.S. 431; Morrison c. The Queen, 1965 CanLII 94 (SCC), [1966] R.C.S. 356; Karchesky c. The Queen, 1967 CanLII 92 (SCC), [1967] R.C.S. 547; Korponay c. Kulik, 1980 CanLII 207 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 265; Pringle c. Fraser, 1972 CanLII 14 (CSC), [1972] R.C.S. 821; Reza c. Canada, 1994 CanLII 91 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 394; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572; Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 710, 25 Admin. L.R. (6th) 191; Canada (Sécurité Publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2016 CF 1199, [2017] 3 R.C.F. 428; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Mehmedovic, 2018 CF 729; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Torres, 2017 CF 918; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Karimi‑Arshad, 2010 CF 964; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B386, 2011 CF 175, [2012] 4 R.C.F. 220; In re Storgoff, 1945 CanLII 17 (SCC), [1945] R.C.S. 526; Palmer c. La Reine, 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 759; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350.
Citée par la juge Abella (dissidente)
                    Chaudhary c. Canada (Minister of Public Safety & Emergency Preparedness), 2015 ONCA 700, 127 O.R. (3d) 401; R. c. Gamble, 1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595; R. c. Pearson, 1992 CanLII 52 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 665; Staetter c. British Columbia (Director of Adult Forensic Psychiatric Services), 2017 BCCA 68; Pringle c. Fraser, 1972 CanLII 14 (CSC), [1972] R.C.S. 821; Peiroo c. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1989), 1989 CanLII 184 (ON CA), 69 O.R. (2d) 253, autorisation d’appel refusée, [1989] 2 R.C.S. x; Reza c. Canada, 1994 CanLII 91 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 394; May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809; Ogiamien c. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2017 ONCA 839, 55 Imm. L.R. (4th) 220; In re Storgoff, 1945 CanLII 17 (SCC), [1945] R.C.S. 526; R. c. Governor of Pentonville Prison, ex parte Azam, [1973] 2 All E.R. 741, conf. par [1973] 2 All E.R. 765; Reference re Constitution Act, 1867, s. 92(10)(a) (1988), 1988 CanLII 4634 (ON CA), 64 O.R. (2d) 393; Sahin c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 1994 CanLII 3521 (CF), [1995] 1 C.F. 214; Charkaoui c. Canada (Citizenship and Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Canada (Minister of Citizenship & Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248; Brown c. Canada (Public Safety), 2018 ONCA 14, 420 D.L.R. (4th) 124; Ali c. Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness), 2017 ONSC 2660, 137 O.R. (3d) 498; Canada (Minister of Citizenship and Immigration) c. Li, 2009 CAF 85, [2010] 2 R.C.F. 433; Canada c. Dadzie, 2016 ONSC 6045; R. v. Miller, 1985 CanLII 22 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 613; Reza c. Canada (1992), 1992 CanLII 2835 (ON CA), 11 O.R. (3d) 65; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 1991 CanLII 57 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 5.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 9, 10(c), 12.
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46.
Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, art. 82 al. 3.
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, art. 2.
Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, c. 22.
Loi sur l’habeas corpus, L.R.O. 1990, c. H.1, art. 1(1).
Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, c. I‑2.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, art. 3(1)(h), (3)(d), 57, 58, 72, 74(d), 151, 162(1), 172(2).
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 244 à 249, 248.
Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, art. 81(1).
Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229, règles 9, 20(1), 21, 23.
Règles de procédure civile de la Nouvelle‑Écosse, règle 7.13(1).
Règles de procédure en matière criminelle de la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest, TR/98‑78, règles 103 à 107.
Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règle 302.
Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, règles 10(1), 11, 13.
Doctrine et autres documents cités
Blackstone, William. Commentaries on the Laws of England, Book III : Of Private Wrongs, by Thomas P. Gallanis, Oxford, Oxford University Press, 2016.
Del Buono, Vincent M. « The Right to Appeal in Indictable Cases : A Legislative History » (1978), 16 Alta. L.R. 446.
Farbey, Judith, Robert J. Sharpe and Simon Atrill. The Law of Habeas Corpus, 3rd ed., New York, Oxford University Press, 2011.
Sharpe, Robert J. The Law of Habeas Corpus, Oxford, Clarendon Press, 1976.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Paperny, O’Ferrall et Greckol), 2017 ABCA 248, 56 Alta. L.R. (6th) 1, [2017] 11 W.W.R. 637, 25 Admin. L.R. (6th) 279, 415 D.L.R. (4th) 732, [2017] A.J. No. 840 (QL), 2017 CarswellAlta 1432 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Mahoney de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, numéro 160576914X1, datée du 2 septembre 2016, rejetant une demande d’habeas corpus. Pourvoi rejeté, la juge Abella est dissidente.
                    Donnaree Nygard et Liliane Bantourakis, pour les appelants.
                    Nico G. J. Breed, Barbara Jackman, Chris Reid et Farah Saleem, pour l’intimé.
                    Swathi Sekhar et Maija Martin, pour l’intervenant End Immigration Detention Network.
                    Jared Will et Joshua Blum, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.
                    Farrah Hudani, Jeffrey Wilson et Christina Doris, pour l’intervenante Defence for Children International‑Canada.
                    Laïla Demirdache et Jamie Liew, pour l’intervenant Amnesty International Canada (English Branch).
                    Subodh Bharati et Suzanne Johnson, pour l’intervenant Community & Legal Aid Services Programme.
                    Erica Olmstead, Molly Joeck et Peter H. Edelmann, pour l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés.
                    Nader Hasan, Gillian Moore et Paul Quick, pour l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic.
                    Michael Battista et Adrienne Smith, pour l’intervenant le Fonds Égale Canada pour les droits de la personne.
                    Frances Mahon, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.
                    Ewa Krajewska et Pierre N. Gemson, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
                    Simon Borys et Simon Wallace, pour l’intervenante Canadian Prison Law Association.
                    Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté et Brown rendu par
                    La juge Karakatsanis —
I.               Aperçu
[1]                             Le bref d’habeas corpus est une ancienne mesure de réparation juridique qui demeure fondamentale aujourd’hui pour la liberté individuelle et la primauté du droit. Remontant au 13e siècle, ce bref garantit la protection de la personne contre les privations illégales de liberté. Enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés, à l’al. 10c), le droit à l’habeas corpus permet à ceux qui sont détenus de s’adresser à une cour supérieure provinciale et de revendiquer de savoir si la détention est justifiée en droit. Si l’autorité compétente ne peut fournir une justification suffisante, la personne doit être libérée.
[2]                             Malgré l’importance de l’habeas corpus, la Cour a élaboré deux exceptions restreintes qui empêchent d’y avoir recours. Premièrement, la cour supérieure provinciale devrait refuser d’exercer sa compétence pour entendre une demande d’habeas corpus lorsqu’un détenu utilise cette demande pour contester la légalité de sa déclaration de culpabilité ou de la peine qui lui a été infligée, puisque c’est au moyen des mécanismes d’appel habituels qui sont énoncés dans le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, qu’il convient de présenter une telle contestation (voir R. c. Gamble, 1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595, p. 636‑637). Deuxièmement, la cour supérieure provinciale devrait également refuser d’exercer sa compétence lorsque le législateur a mis en place « un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus » (May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809, par. 40). Cette seconde exception est maintenant appelée l’exception établie par l’arrêt Peiroo (voir Peiroo c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 1989 CanLII 184 (ON CA), 69 O.R. (2d) 253 (C.A.)).
[3]                             En l’espèce, M. Chhina a présenté une demande d’habeas corpus, faisant valoir que sa détention aux fins d’immigration était devenue illégale au regard de la Charte, en raison de sa longueur et de sa durée incertaine. Il a également contesté sa détention au motif qu’il était détenu dans des conditions de confinement cellulaire inappropriées dans une unité à sécurité maximale.
[4]                             La Cour doit trancher la question de savoir si la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a commis une erreur en refusant d’exercer sa compétence pour entendre la demande d’habeas corpus de M. Chhina au motif que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR), satisfait à la seconde exception.
[5]                             Les parties ne contestent pas le fait que le régime législatif établi par la LIPR prévoit une procédure complète, exhaustive et spécialisée pour l’examen en général de questions en matière d’immigration. C’est la conclusion qu’avait tirée la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Peiroo. Ce que la présente affaire souligne cependant, c’est que, pour décider si un régime est aussi large et aussi avantageux que celui de l’habeas corpus, il faut l’examiner en fonction des motifs particuliers qui sont invoqués pour contester la légalité de la détention.
[6]                             L’exception établie par l’arrêt Peiroo n’empêche donc pas de présenter des demandes d’habeas corpus relativement à toutes les privations de liberté découlant du régime législatif applicable en matière d’immigration. La question à trancher en l’espèce est donc plutôt celle de savoir si la LIPR prévoit une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus en ce qui a trait aux remises en cause spécifiques de la légalité de la détention formulées dans la demande d’habeas corpus.
[7]                             À mon avis, ce n’est pas le cas. M. Chhina n’a pas remis en cause son statut d’immigration ni n’a contesté les mesures d’expulsion ou de mise en détention prises à son égard en soutenant que ces mesures ne respectaient pas la LIPR. Il a plutôt allégué que son maintien en détention était devenu illégal parce que la longueur de sa détention, les conditions dont elle était assortie ainsi que sa durée incertaine portaient atteinte aux droits qui lui sont garantis par la Charte. La LIPR ne prévoit pas de contrôle aussi large et aussi avantageux que ne le fait le recours en habeas corpus pour de telles questions. M. Chhina avait donc droit à ce que sa demande d’habeas corpus soit entendue par un juge de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.
II.            Faits
[8]                             L’intimé, Tusif Chhina, est entré au Canada sous un autre nom en décembre 2006, et il a obtenu le statut de réfugié approximativement deux ans plus tard. En février 2012, le statut de réfugié de M. Chhina a été annulé, et il a été déclaré interdit de territoire au Canada, à la fois parce que sa demande d’asile comportait de fausses déclarations et parce qu’il avait participé à des activités criminelles. Une mesure d’expulsion a été prise contre lui.
[9]                             Après avoir passé du temps en détention au criminel, M. Chhina a été mis en détention aux fins de l’immigration en avril 2013. Toutefois, étant donné les délais pour obtenir des documents de voyage de la part du Pakistan, M. Chhina a été mis en liberté sous conditions sept mois plus tard. Il n’a pas respecté les conditions qui lui avaient été infligées et il a disparu pendant un an. Il a toutefois fini par être remis en détention aux fins de l’immigration en novembre 2015. Il a été placé au Calgary Remand Center, une unité à sécurité maximale qui garde les détenus en confinement cellulaire 22 heures et demie par jour. Les agents de la fonction publique ont contrôlé le bien‑fondé de la détention de M. Chhina mensuellement, conformément à l’art. 57 de la LIPR, et ils ont conclu chaque fois qu’il y avait lieu de confirmer la décision de le détenir.
[10]                        M. Chhina a déposé sa demande d’habeas corpus en mai 2016, faisant valoir que sa détention aux fins de l’immigration était rendue illégale, parce qu’elle était devenue trop longue et d’une durée indéterminée, et parce que les conditions dont elle était assortie étaient [traduction] « inappropriées » (motifs de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, no 160576914X1, 2 septembre 2016 (décision non publiée), p. 2). Au moment de la présentation de sa demande devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, il avait passé un total de 13 mois en détention aux fins de l’immigration.
[11]                        Le juge siégeant en son cabinet a refusé d’exercer sa compétence pour examiner la demande d’habeas corpus de M. Chhina puisque, selon lui, la LIPR constituait un cadre législatif exhaustif qui satisfaisait à l’exception établie par l’arrêt Peiroo.
[12]                        La Cour d’appel de l’Alberta (2017 ABCA 248, 56 Alta. L.R. (6th) 1) a infirmé cette décision, et elle a déclaré que le juge siégeant en son cabinet aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande d’habeas corpus de M. Chhina. Étant donné l’importance du bref, elle a aussi fait remarquer que les exceptions à la disponibilité de l’habeas corpus devaient être restreintes et bien définies. Ainsi, un juge siégeant en son cabinet ne devrait refuser d’entendre des demandes d’habeas corpus que dans des circonstances limitées, au‑delà desquelles la décision par un tribunal de décliner sa compétence constitue une erreur de droit.
[13]                        Tout en prenant acte de ce qui avait été décidé dans l’arrêt Peiroo, la juge Greckol, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a conclu que l’exception n’empêchait pas de présenter des demandes d’habeas corpus dans toutes les affaires liées à l’immigration. Elle a distingué la remise en cause formulée par M. Chhina de celle plaidée dans Peiroo en soulignant que, contrairement à la demanderesse dans cette dernière affaire, M. Chhina ne contestait pas les décisions sur son interdiction de territoire ou sur son expulsion. Il remettait plutôt en cause la légalité de sa détention, accessoire à ces décisions, en se fondant sur la Charte. L’issue de la demande d’habeas corpus de M. Chhina n’aurait aucun effet sur son statut d’immigration ou sur la mesure d’expulsion prise contre lui, mais, si elle était accueillie, cela entraînerait immédiatement sa mise en liberté.
[14]                        De ce point de vue, la juge Greckol a perçu des différences manifestes entre le contrôle ainsi que la mesure de réparation qui existent dans le cadre du processus établi par la LIPR et ceux qui sont applicables dans le contexte d’une demande d’habeas corpus, ces derniers étant, selon elle, plus larges et plus avantageux lorsque la remise en cause est liée à la longueur et à la durée indéterminée de la détention. Ainsi, l’exception établie par l’arrêt Peiroo ne s’appliquait pas au cas de M. Chhina, et l’affaire a été renvoyée à la Cour du Banc de la Reine pour que celle‑ci tienne une audience sur le fond de la demande d’habeas corpus.
[15]                        Par la suite, des documents de voyage ont été obtenus pour M. Chhina et il a été renvoyé du Canada en septembre 2017. Les arguments au sujet de sa détention sont donc maintenant théoriques. Cela dit, comme l’illustre le cas de M. Chhina, les demandes d’habeas corpus échappent souvent à l’examen judiciaire, puisqu’un changement dans les faits a fréquemment pour résultat que la demande devient théorique avant de pouvoir être examinée en appel (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, par. 14). Étant donné l’importance de définir clairement les limites des exceptions à l’habeas corpus, il convient que la Cour étudie les questions juridiques soulevées par le pourvoi de M. Chhina, malgré son caractère théorique. Aucune partie ne s’est opposée à ce que la Cour procède à cet examen.
III.         Questions en litige
[16]                        Le présent pourvoi a trait à la portée et à l’application de l’exception établie par l’arrêt Peiroo, ce qui donne à la Cour une occasion de clarifier quand un régime législatif complet, exhaustif et spécialisé prévoit un examen aussi large et aussi avantageux que l’habeas corpus, de sorte qu’il sera interdit à un détenu de présenter une demande d’habeas corpus[1].
IV.         Analyse
[17]                        Les cours supérieures provinciales possèdent une compétence inhérente pour entendre les demandes d’habeas corpus (May, par. 29). Ce type de demande exige du demandeur qu’il établisse l’existence d’une privation de liberté et qu’il avance un motif légitime pour contester la légalité de cette privation. Une fois que cela est fait, le fardeau est renversé, et il appartient à l’autorité qui le détient de démontrer que la privation de liberté est légale. Pour qu’il en soit ainsi, le décideur doit avoir le pouvoir de l’ordonner, le processus décisionnel doit être équitable et la décision de mise en détention doit être raisonnable et conforme à la Charte (May, par. 77; R. c. Khela, 2009 CSC 4, [2009] 1 R.C.S. 104, par. 72). Les modifications qui sont apportées aux conditions ou aux ordonnances et qui mènent à d’autres privations de liberté peuvent également être contestées de la même manière. Lorsque, comme en l’espèce, la demande est assortie d’un certiorari auxiliaire, le tribunal qui entend la demande effectue son examen en fonction du dossier qui a donné lieu à la décision (J. Farbey, R. J. Sharpe et S. Atrill, The Law of Habeas Corpus (3e éd. 2011), p. 45; Établissement de Mission c. Khela, par. 35; R. c. Miller, 1985 CanLII 22 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 613, p. 624).
[18]                        La demande d’habeas corpus n’est pas un recours discrétionnaire; elle est accueillie d’office lorsque le demandeur réussit à remettre en cause la légalité d’une détention. Une cour supérieure provinciale ne peut décliner sa compétence d’entendre une telle demande simplement parce qu’il existe d’autres recours (May, par. 34 et 44). Elle peut le faire seulement lorsque le législateur a mis en place « un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus » (May, par. 40; R. c. Bird, 2019 CSC 7, [2019] 1 R.C.S. 409, par. 65). Comme l’illustre le cas de M. Chhina, l’analyse doit s’effectuer à la lumière de la nature de la remise en cause spécifique soulevée dans la demande d’habeas corpus quant à la légalité de la détention.
[19]                        L’habeas corpus — que l’on peut traduire à peu près par « que tu aies le corps pour le soumettre » — était une expression familière dans le domaine de la procédure civile anglaise au 13e siècle; cette procédure exigeait que l’on présente physiquement le défendeur à une action devant le tribunal (Farbey, Sharpe et Atrill, p. 2). Au cours des 15e et 16e siècles, l’habeas corpus a pris sa forme moderne, permettant à un demandeur de réclamer une justification pour sa détention (p. 4) et devenant le [traduction] « grand bref efficace pour tous les cas de détention illégale » (W. Blackstone, Commentaries on the Laws of England, Livre III : Of Private Wrongs (2016), par T. P. Gallanis, p. 89). L’habeas corpus n’a jamais été [traduction] « un recours statique, étroit et formaliste »; au cours des siècles, sa portée « s’est [plutôt] élargie afin qu’il puisse remplir son objet premier — la protection des individus contre l’érosion de leur droit de ne pas se voir imposer de restrictions abusives à leur liberté » (May, par. 21, citant Jones c. Cunningham, 371 U.S. 236 (1962), p. 243).
[20]                        L’habeas corpus continue d’occuper une place essentielle et prestigieuse dans le paysage juridique moderne au Canada. Avant l’adoption de la Charte, l’art. 2 de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, prescrivait qu’aucune loi du Canada ne serait interprétée ou ne s’appliquerait de manière à priver une personne de voir être jugée la validité de sa détention, et prévoyait que cette personne serait libérée si sa détention était déclarée illégale. En 1982, l’habeas corpus est devenu un droit constitutionnel, enchâssé à l’al. 10c) de la Charte :
                         10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
. . .
c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération.
[21]                        Le contrôle de la légalité d’une détention sous le régime de l’habeas corpus a une large portée, protégeant et interagissant souvent avec d’autres droits protégés par la Charte, notamment le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, protégé par l’art. 7; le droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires, protégé par l’art. 9; et le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités, protégé par l’art. 12.
[22]                        L’affaire Dumas c. Centre de détention Leclerc, 1986 CanLII 38 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 459, est utile pour illustrer différentes circonstances dans lesquelles peut survenir une privation de liberté et, de ce fait, différentes manières possibles de contester une détention. Une privation de liberté peut être liée à (1) la décision initiale exigeant la mise en détention, ou à une autre privation de liberté fondée sur (2) un changement dans les conditions de la détention ou (3) la continuation de la détention.
[23]                        Bien qu’elle ne soit pas exhaustive, cette liste peut s’avérer particulièrement utile pour déterminer la nature d’une remise en cause relativement à une privation de liberté fondée sur des motifs indépendants de ceux qui sous‑tendaient l’ordonnance initiale. Comme je le verrai plus en détail ultérieurement, ces trois catégories peuvent aider à expliquer la jurisprudence applicable. Par exemple, dans le contexte de l’immigration, une conclusion d’interdiction de territoire peut mener à une mesure de mise en détention constituant une privation initiale de liberté : il s’agit de la première catégorie de Dumas (Peiroo). Le transfèrement de détenus d’un établissement à sécurité moins élevée vers un établissement plus sécurisé est l’exemple type du deuxième type de privation : un changement de circonstances donnant lieu à une privation additionnelle de liberté (May). Le troisième type de privation exposé dans Dumas peut comprendre les détentions prolongées ou celles dont la durée est incertaine, qui peuvent mettre en jeu les art. 7 et 9 de la Charte, comme on l’a fait valoir en l’espèce (ainsi que dans Chaudhary c. Canada (Minister of Public Safety & Emergency Preparedness), 2015 ONCA 700, 127 O.R. (3d) 401, et Ogiamien c. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2017 ONCA 839, 55 Imm. L.R. (4th) 220).
[24]                        Sans égard à la manière dont une privation de liberté a lieu, l’importance du « grand bref de la liberté » sous‑tend la règle générale selon laquelle les exceptions à la disponibilité de l’habeas corpus doivent être circonscrites et bien définies.
[25]                        À ce jour, la Cour n’a reconnu que deux cas dans lesquels une cour supérieure provinciale peut refuser d’entendre une demande d’habeas corpus. Le premier permet à une telle cour de décliner sa compétence lorsqu’un détenu cherche à contester la légalité de sa déclaration de culpabilité ou de la peine infligée, ces décisions pouvant être remises en cause au moyen de mécanismes d’appel décrits dans le Code criminel (Gamble, p. 636). La seconde exception a émergé dans le contexte du droit de l’immigration. Dans Peiroo, la demanderesse visait à ce que soit délivré un bref d’habeas corpus assorti d’un certiorari auxiliaire, en contestant une conclusion selon laquelle sa demande d’asile n’avait aucun fondement crédible et en faisant valoir que, par conséquent, rien ne justifiait la prise d’une mesure de renvoi contre elle. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, c. I‑2, alors en vigueur, établissait un régime exhaustif régissant l’examen des demandes en matière d’immigration et la prise de décision à leur égard, de sorte que ce régime avait une [traduction] « portée [. . .] au moins aussi large que la portée traditionnelle de l’habeas corpus assorti d’un certiorari auxiliaire » (Peiroo, p. 261).
[26]                        Ces deux exceptions reconnaissent l’élaboration de véhicules procéduraux sophistiqués dans notre système juridique moderne ainsi que le fait que ceux‑ci sont en mesure d’offrir une protection complète des droits fondamentaux, au même titre que l’habeas corpus.
[27]                        En matière criminelle, les appels prévus par la loi, qui étaient antérieurement circonscrits par les brefs de certiorari et l’erreur en common law, ont été introduits quelque 500 ans après l’habeas corpus (V. M. Del Buono, « The Right to Appeal in Indictable Cases : A Legislative History » (1978), 16 Alta. L.R. 446, p. 448). Bien que la Cour ait confirmé dans Gamble l’exception relative au Code criminel dans le contexte d’une contestation fondée sur la Charte, la règle écartant les demandes d’habeas corpus dans les cas où un appel prévu par la loi pouvait être interjeté a existé bien avant la Charte (voir : In re Trepanier (1885), 1885 CanLII 66 (SCC), 12 R.C.S. 111; In re Sproule (1886), 1886 CanLII 51 (SCC), 12 R.C.S. 140, p. 204; Goldhar c. The Queen, 1960 CanLII 65 (SCC), [1960] R.C.S. 431, p. 439; Morrison c. The Queen, 1965 CanLII 94 (SCC), [1966] R.C.S. 356; Karchesky c. The Queen, 1967 CanLII 92 (SCC), [1967] R.C.S. 547, p. 551; Korponay c. Kulik, 1980 CanLII 207 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 265).
[28]                        La LIPR, quant à elle, est un produit de l’avènement de l’état administratif moderne : un système de justice parallèle au système judiciaire afin de faciliter l’accès à une instance spécialisée et expéditive pour un large éventail de demandes. Par exemple, l’arrêt rendu dans Pringle c. Fraser, 1972 CanLII 14 (CSC), [1972] R.C.S. 821, — dans lequel la Cour a jugé que la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, c. 325, écartait la compétence des cours supérieures provinciales d’entendre une demande de bref de certiorari — constituait une reconnaissance précoce de la possibilité qu’une législature puisse créer d’autres modes d’examen par l’entremise d’organismes administratifs.
[29]                        Ces deux exceptions visent à répondre à des préoccupations similaires, soit principalement à « la nécessité d’endiguer la multiplication des moyens indirects de contester des déclarations de culpabilité ou d’autres privations de la liberté » (May, par. 35). En confirmant de tels régimes législatifs, la norme énoncée dans May garantit que le droit constitutionnel à l’habeas corpus est protégé, tout en faisant une économie des ressources judiciaires, en évitant le dédoublement des instances et en réduisant la possibilité que des décisions incohérentes soient rendues ainsi que la recherche du tribunal le plus favorable.
[30]                        La question à trancher dans le présent pourvoi est celle de la portée de l’exception établie par l’arrêt Peiroo et, plus précisément, celle de savoir si cette exception écarte le recours à l’habeas corpus relativement à toutes les décisions prises sous le régime législatif applicable en matière d’immigration. L’appelant fait valoir que tel est bel et bien le cas. Il invoque la description qu’a faite la Cour de l’exception établie par l’arrêt Peiroo dans May, où nous avons affirmé que, « en droit de l’immigration, le recours de l’habeas corpus est écarté parce que le législateur a mis en place un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus » (May, par. 40).
[31]                        À mon avis, cette affirmation n’a jamais eu pour but d’écarter l’examen au regard de l’habeas corpus relativement à toutes les mises en détention en contexte d’immigration, quelle que soit la nature de la remise en cause de la légalité de la détention. Selon moi, l’arrêt May ne fait pas une proposition aussi large, et ce, pour trois raisons.
[32]                        Premièrement, la LIPR n’était pas en cause devant la Cour lorsque celle‑ci a été saisie de la cause May. Dans cette affaire, un certain nombre de détenus dans des établissements fédéraux avaient été transférés d’un établissement à sécurité minimale à un autre à sécurité moyenne. Ils ont présenté des demandes d’habeas corpus pour remettre en cause ce transfèrement vers une forme de détention plus contraignante. Le directeur de l’établissement a fait valoir que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20 (LSCMLC), établissait un régime législatif complet qui offrait des recours comparables à l’habeas corpus — une proposition que la Cour n’a pas acceptée. Dans ce contexte, cette dernière a comparé la LSCMLC, non pas à la LIPR (même si cette dernière était en vigueur), mais plutôt à la Loi sur l’immigration examinée dans Peiroo. Elle a conclu que, contrairement au régime applicable en matière d’immigration, la loi en matière correctionnelle ne garantissait pas la tenue d’un contrôle impartial, ne créait pas de mesures de réparation spécifiques et efficaces, ou même ne fournissait pas de motifs clairs en fonction desquels les décisions de transfèrement pouvaient être examinées (May, par. 62).
[33]                        Deuxièmement, la jurisprudence sur laquelle s’est fondée la Cour dans May — soit les arrêts Peiroo, Pringle et Reza c. Canada, 1994 CanLII 91 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 394, — n’appuyait pas la proposition générale selon laquelle il ne serait jamais possible de recourir à l’habeas corpus lorsque la détention est liée aux questions d’immigration. Il faut interpréter l’arrêt May à la lumière des causes citées; la Cour n’a pas eu l’intention d’étendre leurs conclusions. Ni l’arrêt Pringle ni l’arrêt Reza n’ont traité spécifiquement de l’habeas corpus. L’arrêt Pringle portait sur le certiorari, un bref qui, contrairement à celui d’habeas corpus, n’est pas protégé par la Constitution. L’arrêt Reza ne concernait pas non plus une demande d’habeas corpus, mais bien une contestation de la constitutionnalité de la Loi sur l’immigration pour d’autres motifs. Même l’arrêt Peiroo n’a pas prescrit que l’habeas corpus ne pourrait jamais servir dans le contexte de l’immigration. Il a simplement décidé que la Loi sur l’immigration alors en vigueur était « au moins aussi large » que l’habeas corpus pour des [traduction] « questions d’immigration » comme celle de Mme Peiroo. Celle‑ci avait soutenu que le décideur avait commis une erreur en concluant qu’elle n’avait aucun fondement crédible pour sa demande d’asile et que sa détention était donc illégale.
[34]                        Enfin, l’arrêt May lui‑même nous a incités à interpréter restrictivement les exceptions qui limitent l’accès à l’habeas corpus :
                        L’importance historique de l’habeas corpus dans la protection de diverses formes de liberté justifie un examen soigneux de toute évolution jurisprudentielle restreignant la compétence en matière d’habeas corpus et ne permet pas de le laisser se développer sans contrôle. Il importe que les exceptions à la compétence en matière d’habeas corpus et les circonstances dans lesquelles une cour supérieure peut décliner compétence demeurent bien définies et circonscrites. [par. 50]
[35]                        Pour ces motifs, j’estime qu’il ne faudrait pas donner à l’arrêt May un sens qui serait tel que l’exception établie par l’arrêt Peiroo écarte toutes les demandes d’habeas corpus qui se présentent dans le contexte de l’immigration, sans égard aux motifs invoqués pour remettre en cause la détention.
[36]                        Deux arrêts récents de la Cour d’appel de l’Ontario — Chaudhary et Ogiamien — ont reconnu que l’exception établie par l’arrêt Peiroo n’interdisait pas toutes les demandes d’habeas corpus visant une privation de liberté découlant du régime législatif applicable en matière d’immigration.
[37]                        Dans l’arrêt Chaudhary, le juge Rouleau, au nom de la Cour d’appel, a distingué l’affaire dont il était saisi de l’affaire Peiroo, en faisant remarquer que la demanderesse dans cette dernière avait remis en cause des aspects de son statut même de réfugiée — une décision en matière d’immigration pour laquelle la LIPR prévoyait un contrôle aussi large que l’habeas corpus — alors que les multiples demandeurs dans l’affaire Chaudhary contestaient leur détention au motif que leur durée prolongée ou leur caractère indéterminé contrevenaient à l’art. 7 de la Charte. La Cour d’appel a conclu que la LIPR n’avait pas une portée aussi large ou avantageuse que l’habeas corpus en rapport avec de telles questions. De plus, les demandeurs ne remettaient en cause que leur détention; l’issue des demandes n’allait avoir aucun effet sur leur statut en matière d’immigration. En fin de compte, la compétence des cours supérieures provinciales constituait un complément nécessaire au régime législatif pour protéger le droit constitutionnel à l’habeas corpus.
[38]                        Le juge Sharpe de la Cour d’appel s’est penché sur des faits similaires dans l’arrêt Ogiamien, et il a conclu qu’une détention de 25 mois — en raison d’une mesure d’expulsion toujours en vigueur — était sujette à un examen par voie d’habeas corpus. Bien que la Cour d’appel ait conclu qu’il n’était pas nécessaire de prendre en considération la prétention de M. Ogiamien selon laquelle il aurait dû être détenu dans un centre de surveillance de l’immigration plutôt que dans un établissement à sécurité maximale — étant donné que cette plainte spécifique avait été étudiée dans le cadre d’une demande distincte —, elle a fait remarquer que le principe appliqué dans l’arrêt Chaudhary n’était pas limité aux situations comportant de longues détentions dont la durée était incertaine. Au lieu de cela, le principe reposait sur la vaste compétence résiduelle de la Cour supérieure d’entendre les demandes d’habeas corpus, sous réserve seulement du cadre établi dans May (Ogiamien, par. 38‑42).
[39]                        Je souscris à l’approche préconisée par les arrêts Chaudhary et Ogiamien, qu’a adoptée la Cour d’appel dans la présente affaire. Cette approche découle comme il se doit des principes énoncés par la Cour dans May.
[40]                        En somme, l’exception établie par l’arrêt Peiroo peut être exprimée plus clairement ainsi : une demande d’habeas corpus n’est écartée que lorsqu’il existe un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus, à la lumière des remises en cause de la détention énoncées dans la demande d’habeas corpus. Un régime administratif peut suffire pour sauvegarder les droits protégés par l’habeas corpus relativement à certains types de contestations, mais il peut s’avérer nécessaire de l’examiner à nouveau dans d’autres cas. Il est donc essentiel de prendre en compte la manière dont la remise en cause de la légalité de la détention est formulée dans la demande d’habeas corpus.
A.           La détermination des circonstances dans lesquelles s’applique l’exception
[41]                        Comment, alors, un tribunal détermine‑t‑il s’il existe « un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus », de sorte qu’un demandeur sera empêché de présenter une demande d’habeas corpus (May, par. 40)?
[42]                        Premièrement, il faut se demander quel est le fondement de la remise en cause de la légalité de la détention. En d’autres termes, il faut déterminer quels sont les motifs invoqués au soutien de la demande d’habeas corpus. La référence aux catégories énumérées dans Dumas peut être utile à cet examen. Le demandeur conteste‑t‑il une décision initiale qui a entraîné la détention, comme une mesure de renvoi? Conteste‑t‑il les conditions de sa détention? Ou conteste‑il la durée de sa détention et son caractère incertain ? Il est nécessaire de circonscrire précisément les fondements de la demande d’habeas corpus afin de déterminer s’il existe un recours légal efficace pour répondre à ces motifs.
[43]                        Deuxièmement, il faut se demander s’il existe une procédure complète, exhaustive et spécialisée qui soit aussi large et avantageuse que l’habeas corpus relativement aux fondements spécifiques de la demande d’habeas corpus. Certains éléments du régime de contrôle de la détention établi par la LIPR permettent d’affirmer que le régime est complet, exhaustif et spécialisé. Toutefois, la principale question en litige en l’espèce, et celle sur laquelle se sont concentrées les observations des parties, est celle de savoir si le processus de contrôle établi par la LIPR est aussi large et avantageux que l’habeas corpus en ce qui a trait aux fondements spécifiques de la remise en cause par M. Chhina de la légalité de sa détention. Dans le cadre de cet examen, il peut s’avérer utile d’examiner si le régime légal est muet quant aux fondements énoncés dans la demande d’habeas corpus. Si c’est le cas, ce régime n’est pas aussi large et avantageux que l’habeas corpus. Le régime ne pourra pas non plus écarter l’habeas corpus s’il prévoit un examen fondé sur les motifs invoqués dans la demande, mais que cet examen n’est pas aussi large et avantageux que celui de l’habeas corpus, en prenant en considération tant la nature de la procédure d’examen que tous les avantages pouvant être offerts par chacun des véhicules procéduraux.
[44]                        Comme je l’expliquerai, si on applique ce cadre aux faits de l’affaire de M. Chhina, on observe que, bien que le régime établi par la LIPR (y compris le contrôle judiciaire) puisse prévoir une procédure d’examen adéquate en rapport avec certaines questions, il ne peut répondre efficacement à la remise en cause formulée dans la demande de M. Chhina d’une manière aussi large et avantageuse que ne le ferait l’habeas corpus.
B.            La détermination des fondements de la remise en cause invoqués par M. Chhina
[45]                        Il faut avant tout identifier les fondements de la demande d’habeas corpus. M. Chhina a contesté la légalité de sa détention pour deux motifs : parce qu’il était détenu dans des conditions inappropriées et parce que la durée de sa détention était devenue indéterminée et excessivement longue. M. Chhina a fait valoir que la longueur et la durée de sa détention violait ses droits protégés par les art. 7 et 9 de la Charte, parce qu’il n’y avait aucune perspective raisonnable que les objectifs liés à l’immigration qui justifiaient sa détention soient atteints dans un délai raisonnable. Les tribunaux d’instance inférieure ont fondé leur décision sur ce deuxième motif, à savoir que la détention prolongée d’une durée indéterminée violait la Charte.
[46]                        Contrairement à la demande en cause dans l’affaire Peiroo, la demande d’habeas corpus de M. Chhina n’avait rien à voir avec la question de savoir si les décisions sur son interdiction de territoire ou son expulsion étaient bien fondées ou erronées.
C.            Le régime légal d’examen établi par la LIPR
[47]                        Pour décider si le régime prévoit un examen aussi large et aussi avantageux que l’habeas corpus, le tribunal doit examiner les solutions de rechange véritables au contrôle de la détention dont peut réalistement se prévaloir quelqu’un qui se trouve dans la situation de M. Chhina. Comme l’a déclaré la Cour dans May, une « démarche téléologique oblige [. . .] à l’examen de l’ensemble du contexte », qui, dans cette affaire, comprenait les inconvénients relatifs au contrôle judiciaire devant la Cour fédérale (May, par. 65). Cet examen peut notamment viser à vérifier l’existence de recours à des arbitres ou à des tribunaux administratifs, de mécanismes d’appel internes ou de processus de contrôle judiciaire ou d’appel prévus par la loi. En l’espèce, je tiens compte tant de la Section de l’immigration que des processus de contrôle judiciaire qui peuvent se dérouler devant les Cours fédérales.
[48]                        Je commencerai en donnant un aperçu général de la façon dont fonctionne le régime établi par la LIPR. J’examinerai ensuite s’il donne lieu à un contrôle aussi large et avantageux que l’habeas corpus. La LIPR prévoit un régime détaillé qui permet le contrôle de la détention dans le contexte de l’immigration. Tout comme dans le contexte criminel, une privation de liberté ordonnée au titre de la LIPR doit toujours être justifiée. La mise en liberté est l’option par défaut, sauf lorsque le ministre démontre que le détenu constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement à une procédure; lorsque le ministre enquête sur l’interdiction de territoire en raison de risques de sécurité, d’atteinte aux droits de la personne ou de criminalité; ou lorsqu’il est préoccupé par le fait que l’identité de la personne n’a pas été prouvée (LIPR, par. 58(1)). Chacun de ces motifs de détention est déterminé en fonction d’une liste de critères spécifiques à l’immigration dressée dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 244 à 249 (RIPR).
[49]                        Une fois que la mesure initiale de mise en détention a été prise, la procédure d’examen de la LIPR en prévoit le contrôle interne périodique par des commissaires de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, nommés conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, c. 22 (LIPR, art. 151 et par. 172(2)). Un premier contrôle doit être effectué par un commissaire de la Section de l’immigration dans les 48 heures suivant le début de la détention aux fins de l’immigration; il doit ensuite y avoir un nouveau contrôle dans les 7 jours suivants, puis d’autres tous les 30 jours par la suite (LIPR, art. 57).
[50]                        La LIPR prévoit en outre explicitement le contrôle judiciaire de ces décisions par la Cour fédérale (LIPR, art. 72). Un appel de ce contrôle judiciaire peut être interjeté devant la Cour d’appel fédérale sur une question certifiée de portée générale (LIPR, al. 74d)). Les procédures d’examen sont toutes intimement liées, puisque le contrôle judiciaire est circonscrit par le mandat que la loi confère au premier décideur.
[51]                        En dernier lieu, soulignons que les fonctionnaires de l’immigration sont experts dans l’exercice du mandat que leur confère la loi. Vu son rôle lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a elle aussi acquis une connaissance approfondie du contexte de l’immigration et apporte un surcroît d’expertise en cette matière.
[52]                        Comme la présente analyse le révèle, le processus de contrôle établi par la LIPR est détaillé et clair. Les motifs pour ordonner la détention ou son maintien sont clairs. L’examen indépendant est assuré par un contrôle judiciaire qu’effectuent les Cours fédérales. Il existe une mesure de réparation évidente, soit la mise en liberté.
[53]                        Toutefois, comme je l’expliquerai, la procédure prescrite par la LIPR ne prévoit pas un contrôle aussi large et avantageux que celle en habeas corpus en ce qui a trait au fondement spécifique de la contestation par M. Chhina de la légalité de sa détention.
D.           Le contrôle sous le régime de la LIPR est‑il aussi large et avantageux que l’habeas corpus?
[54]                        La portée du contrôle prévue par la LIPR doit, bien entendu, effectivement viser les motifs invoqués par M. Chhina.
[55]                        Une fois que le ministre a établi les motifs de la détention, les agents d’immigration et les commissaires de la Section de l’immigration doivent prendre en compte des critères, dont la liste est dressée à l’art. 248 du RIPR, qui peuvent favoriser la mise en liberté :
a)            le motif de la détention;
b)            la durée de la détention;
c)            . . . l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, [la durée de cette prolongation];
d)            les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère, de l’Agence des services frontaliers ou de l’intéressé;
e)            l’existence de solutions de rechange à la détention.
[56]                        À cette liste, la Cour d’appel fédérale a ajouté que le décideur devait prendre en compte les principes applicables à l’art. 7 de la Charte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572, par. 14).
[57]                        Monsieur Chhina a contesté la durée de sa détention, le caractère incertain de cette durée ainsi que les conditions de cette détention. Il importe de noter que nulle part dans le texte de l’art. 248 de la RIPR n’est‑il question des conditions dans lesquelles une personne est détenue. Le procureur de l’appelant l’a d’ailleurs reconnu, ajoutant que les conditions de détention relèvent des autorités correctionnelles provinciales ou de l’Agence des services frontaliers du Canada, et non de la Section de l’immigration (Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 710, 25 Admin. L.R. (6th) 191, par. 138). La Section de l’immigration n’est investie d’aucun pouvoir explicite de contrôler les conditions difficiles ou illégales. En revanche, l’habeas corpus permet l’examen de toute forme illégale de détention. Si un régime est incapable de traiter le motif particulier soulevé dans une demande d’habeas corpus, il s’ensuit que ce régime n’écarte pas l’habeas corpus. Cela dit, la Cour d’appel n’a pas traité de ce motif de la demande d’habeas corpus de M. Chhina, et il n’a pas non plus été plaidé devant la Cour.
[58]                        Contrairement à ce qu’il en est relativement aux conditions de la détention, le règlement prévoit effectivement la prise en compte de sa durée et du fait qu’elle est susceptible de se prolonger (RIPR, al. 248c) et d)). La question est donc de savoir si l’examen de la durée et de la prolongation de la détention sous le régime de la LIPR est aussi large et avantageux que celui qui découle d’une demande d’habeas corpus. Pour trancher cette question, il faut se pencher sur la nature de la procédure d’examen ainsi que sur tous les avantages fournis par chacun des véhicules procéduraux.
[59]                        Je conclus que la LIPR ne permet pas un contrôle aussi large et aussi avantageux que celui mené dans le contexte d’une demande d’habeas corpus lorsque le demandeur allègue que sa détention aux fins de l’immigration est illégale au motif qu’elle est longue et de durée incertaine. Considéré globalement, le régime est insuffisant à au moins trois égards importants. Premièrement, le fardeau dont doit s’acquitter le détenu lors du contrôle de sa détention sous le régime de la LIPR lui est moins favorable que celui qui lui incombe dans le cadre d’une instance d’habeas corpus. Deuxièmement, la portée du contrôle devant les Cours fédérales est plus étroite que celle de l’examen par une cour supérieure provinciale d’une demande d’habeas corpus. Troisièmement, l’habeas corpus fournit un recours plus rapidement accessible que celui du contrôle judiciaire.
[60]                        Sous le régime de la LIPR, il suffit que le ministre établisse une preuve prima facie qu’il y a lieu de maintenir la détention (p. ex., en indiquant que le détenu risque toujours de prendre la fuite) pour qu’il incombe au détenu de justifier sa mise en liberté. Si la LIPR impose bel et bien au ministre le fardeau d’établir un motif de détention (LIPR, art. 58), le règlement affirme simplement que le temps passé en détention et la durée probable de celle‑ci (entre autres facteurs) « doivent être pris[es] en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté » (RIPR, art. 248). La Cour fédérale a interprété le règlement comme imposant le fardeau au détenu de démontrer que la poursuite de sa détention serait illégale à la lumière des facteurs énumérés à l’art. 248 (Thanabalasingham, par. 16; Chaudhary, par. 86; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2016 CF 1199, [2017] 3 R.C.F. 428). Cette interprétation est conforme au principe général selon lequel l’auteur d’une demande fondée sur la Charte a le fardeau d’en établir l’atteinte. En outre, même si l’art. 248 prévoit qu’un commissaire de la Section de l’immigration doit examiner certains facteurs, le règlement ne donne aucune ligne directrice quant à la façon de prendre en compte la durée et sa prolongation ainsi que, et cela est crucial, quant au moment où ces critères pourraient être écartés par d’autres — comme le fondement de la détention. Par conséquent, comme l’a souligné à juste titre le juge Rouleau de la Cour d’appel, la LIPR n’oblige pas le ministre à expliquer ou à justifier la durée d’une détention et le caractère incertain de cette durée, car il suffit qu’il établisse un seul des motifs énoncés à l’art. 58 du régime pour déplacer le fardeau sur le détenu (Chaudhary, par. 86). Cela contraste nettement avec la procédure d’habeas corpus, dans le cadre de laquelle le ministre a le fardeau de justifier la légalité de la détention à tous égards, à moins que ne soit soulevée un doute quant à la légalité de la restriction à sa liberté. Comme l’a souligné la Cour dans Établissement de Mission c. Khela, le fardeau de la preuve dans le contexte d’une demande d’habeas corpus revêt une importance historique particulière :
        Ce déplacement particulier du fardeau de la preuve est propre au bref d’habeas corpus. L’attribution de ce fardeau aux autorités carcérales exprime le fondement même du droit en matière d’habeas corpus, selon lequel une privation de liberté n’est autorisée que lorsque la personne qui l’a ordonné peut démontrer qu’elle est justifiée. [par. 40]
[61]                        En outre, dans le cadre d’un contrôle judiciaire en Cour fédérale, le fardeau d’établir que la décision est déraisonnable repose carrément sur le demandeur (Établissement Mission c. Khela, par. 40).
[62]                        De plus, suivant la LIPR, le ministre peut s’acquitter de son fardeau en se fondant sur des motifs donnés lors d’une audience antérieure sur la détention. Cette pratique a été encouragée par les Cours fédérales qui ont jugé que, bien qu’il ne soit pas lié par les décisions antérieures relatives à la détention, « il faut, dans les cas où un commissaire décide d’aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés » (Thanabalasingham, par. 10; voir aussi, notamment : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Mehmedovic, 2018 CF 729, par. 19 (CanLII); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Torres, 2017 CF 918, par. 20 (CanLII); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Karimi‑Arshad, 2010 CF 964, par. 16 (CanLII)). Autrement dit, un agent d’immigration peut se fier entièrement aux motifs prononcés par les agents qui l’ont précédé pour ordonner le maintien en détention, et toujours se conformer en tout point au régime créé par la LIPR. En pratique, les examens périodiques prévus par la LIPR sont susceptibles de faire l’objet d’un raisonnement autoréférentiel, au lieu de constituer un examen nouveau et indépendant de la situation du détenu.
[63]                        En conséquence, le régime n’offre pas au détenu le contrôle nouveau et précis que procure l’habeas corpus, où le ministre assume le fardeau. Les nouveaux éléments de preuve déposés devant la Cour mettent en évidence les points susmentionnés. Une vérification externe demandée par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés donne, en temps opportun, un portrait franchement désolant de la façon dont le régime est administré pour les personnes en détention de longue durée. La vérification de 2018 souligne comment, en pratique, les détenus ne tirent pas pleinement parti du régime :
-            en principe, la Section de l’immigration devrait imposer au ministre le fardeau pour le maintien de la détention; en pratique, elle omet souvent de le faire (2017/2018, vérification, p. 18);
-            en principe, la Section de l’immigration devrait reprendre à neuf chaque contrôle de la détention; en pratique, elle s’appuie excessivement sur des décisions antérieures en matière de contrôle de la détention (2017/2018, vérification, p. 31‑32);
-            en principe, la Section de l’immigration devrait être impartiale et indépendante de l’Agence des services frontaliers du Canada; en pratique, dans bien des cas, la Section de l’immigration s’appuie excessivement sur les observations de l’Agence canadienne des services frontaliers (2017/2018, vérification, p. 17‑18);
-            en principe, la Section de l’immigration devrait examiner les détentions ordonnées sous le régime de la LIPR pour juger de leur conformité au regard des art. 7, 9 et 12 de la Charte; en pratique, faute de reprendre à neuf chaque contrôle de la détention, elle ne le fait pas (2017/2018, vérification, p. 31‑32).
[64]                        Le deuxième désavantage du régime créé par la LIPR réside dans la portée du contrôle. Sur le plan pratique, comme je l’ai déjà mentionné, la Section de l’immigration ne procède pas à neuf chaque fois qu’elle fait un examen périodique des motifs de la détention; ainsi, la portée du contrôle devant les Cours fédérales est comparativement plus étroite que celle du contrôle par voie d’habeas corpus. Le large examen que permet de faire une demande d’habeas corpus porte sur la détention dans son ensemble. Par exemple, la présente cause requérait un examen global des droits que la Charte garantit à M. Chhina et de la façon dont ils ont pu être violés — non pas par une décision en particulier, mais par le contexte général de sa détention. Ce type d’analyse est étroitement lié à l’expertise des cours supérieures provinciales (May, par. 68; voir aussi Établissement de Mission c. Khela, par. 45; Chaudhary, par. 102). En revanche, on ne peut demander une réparation au moyen d’un contrôle judiciaire qu’à l’encontre d’une seule décision, laquelle, dans le contexte de la LIPR, est habituellement celle rendue à l’issue du plus récent contrôle aux 30 jours des motifs de détention (Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, art. 302).
[65]                        De plus, les réparations auxquelles le contrôle judiciaire donne ouverture sont plus limitées et moins avantageuses pour un détenu que celles auxquelles peut mener une demande d’habeas corpus. Bien que les Cours fédérales détiennent des pouvoirs limités pour rendre des ordonnances de mandamus — le pouvoir d’obliger un décideur à prendre une mesure concrète, par exemple d’obliger la Section de l’immigration à libérer un détenu —, je n’ai connaissance d’aucune affaire où la libération a été ordonnée. Dans la mesure où ce pouvoir peut être exercé, la réparation n’est accordée que « lorsque certaines conditions préalables relativement rares sont réunies » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, par. 28 (CanLII)). Généralement, une demande de contrôle judiciaire accueillie donne plutôt lieu à une ordonnance de réexamen, lequel nécessite la tenue d’audiences supplémentaires pour obtenir la libération et allonge de ce fait la détention. En revanche, dans le cas d’une demande d’habeas corpus, la libération est ordonnée dès que l’autorité compétente n’a pas été en mesure de justifier la privation de liberté.
[66]                        Enfin, l’habeas corpus permet d’obtenir une réparation plus rapidement que ne le permet la LIPR. Le contrôle judiciaire d’une décision relative à une détention sous le régime de la LIPR requiert l’obtention préalable d’une autorisation. Or, la mise en état d’une demande d’autorisation de contrôle judiciaire peut prendre jusqu’à 85 jours (LIPR, al. 72(2)b); Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, par. 10(1) et art. 11 et 13). Comme l’a reconnu la Cour fédérale, même dans le meilleur des cas, il est donc impossible d’obtenir le contrôle judiciaire avant la tenue du prochain contrôle de la détention, soit dans un délai de 30 jours, rendant théorique le résultat du contrôle judiciaire en question (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B386, 2011 CF 175, [2012] 4 R.C.F. 220, par. 13; Chaudhary, par. 94). La réparation sous forme de réexamen fait recommencer le processus de contrôle, occasionnant d’autres délais. Cette succession de résultats à caractère théorique au stade du contrôle judiciaire fait obstacle à une réparation efficace applicable en temps opportun.
[67]                        Par contre, l’importance de l’habeas corpus en tant que [traduction] « recours rapide et impératif » est reconnue depuis longtemps (Établissement de Mission c. Khela, par. 3; In re Storgoff, 1945 CanLII 17 (SCC), [1945] R.C.S. 526, p. 591). Des ressorts partout au pays l’ont reconnu en adoptant des règles faisant en sorte de prioriser l’audition des demandes d’habeas corpus. Le bref d’habeas corpus est « rapportable immédiatement » devant un juge d’une cour supérieure de l’Ontario et l’instruction d’une demande d’habeas corpus a priorité sur toutes les autres affaires dont le tribunal est saisi au Québec et en Nouvelle‑Écosse (Loi sur l’habeas corpus, L.R.O. 1990, c. H.1, par. 1(1); Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, art. 82 al. 3; Règles de procédure civile de la Nouvelle-Écosse, par. 7.13(1); voir aussi Règles de procédure en matière criminelle de la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest, TR/98‑78, art. 103 à 107). Les avantages offerts par l’habeas corpus en ce qui a trait à la promptitude sont particulièrement pertinents à l’égard d’une demande comme celle de M. Chhina, qui portait principalement sur la durée de sa détention.
[68]                        En résumé, la LIPR n’offre pas un recours aussi large et avantageux que la demande d’habeas corpus pour répondre à la remise en cause de M. Chhina quant à la légalité de la durée de sa détention ou de son caractère incertain.
V.           La requête en modification du dossier
[69]                        Dans le cadre du pourvoi devant la Cour, l’intimé a présenté une requête en modification de dossier et pour être autorisé à déposer de nouveaux éléments de preuve. Ceux‑ci comprenaient une vérification troublante qui a relevé des exemples de mauvaise administration au sein du régime créé par la LIPR, faisant en sorte que plusieurs détenus sont maintenus en un cycle de détention de longue durée.
[70]                        Les éléments de preuve en question n’étaient pas nécessaires pour trancher le présent pourvoi, mais ils sont admissibles, en application de l’arrêt Palmer c. La Reine, 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 759, p. 775. Ces éléments de preuve sont nouveaux, pertinents, plausibles et confirmatifs, en ce qu’ils offrent des éléments statistiques pour appuyer l’argument selon lequel le régime de la LIPR n’est pas aussi large et avantageux que celui de l’habeas corpus eu égard aux détentions de longue durée, en particulier au regard du fardeau imposé au demandeur à chacun des contrôles successifs de sa détention. Dans la présente affaire, même en ne tenant pas compte de ces éléments de preuve, il est évident que le régime légal, y compris le contrôle judiciaire en Cour fédérale, n’est pas aussi avantageux que l’habeas corpus, vu la nature de la remise en cause.
VI.         Conclusion
[71]                        L’habeas corpus constitue un recours fondamental et historique qui permet à des personnes de solliciter une décision quant à la légalité de leur détention. Une cour supérieure provinciale ne devrait refuser d’exercer sa compétence relative à l’habeas corpus que lorsqu’elle est en présence d’un régime complet, exhaustif et spécialisé qui prévoit une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus, relativement aux motifs soulevés par le demandeur. L’évolution de notre système juridique se poursuit, mais l’habeas corpus « demeure aussi fondamental dans notre conception moderne de la liberté qu’il l’était à l’époque du Roi Jean », et toute exception à sa disponibilité doit être circonscrite avec soin (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, par. 28). Il a bel et bien été jugé que le régime de la LIPR était complet, exhaustif et spécialisé pour les questions d’immigration de manière générale, mais il ne peut répondre à la remise en cause formulée par M. Chhina d’une façon aussi vaste et avantageuse que l’habeas corpus. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a donc commis une erreur en refusant d’entendre sa demande d’habeas corpus. Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir la requête en en production de nouveaux éléments de preuve et de rejeter le pourvoi avec les dépens adjugés conformément à l’entente convenue par les parties.
                    Version française des motifs rendus par
[72]                        La juge Abella (dissidente) — Je conviens avec la majorité que la légalité de toute privation de liberté devrait faire l’objet d’un examen ferme et rigoureux. C’est pourquoi, à mon avis, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR), doit être interprétée de telle sorte qu’elle garantit le contrôle le plus exhaustif qui soit des motifs de la détention, notamment des conditions de détention. Je ne vois rien dans la Loi qui empêche un contrôle aussi exhaustif. En fait, j’estime que toute son économie l’exige. Par ailleurs, une interprétation qui restreint la portée du contrôle porte indûment atteinte aux droits du détenu et ne respecte pas l’intention du législateur qui souhaitait une intégration complète et généreuse de ces droits avec l’objet de l’ensemble du régime.
[73]                        Qui plus est, une interprétation de la Loi qui écarte la possibilité d’examiner tous les aspects de la détention aux fins de l’immigration, y compris ses conditions et sa légalité, exclut à toutes fins utiles et de manière inappropriée le processus de contrôle des motifs de la détention établi par la LIPR. Pourquoi un détenu se contenterait‑il d’un contrôle partiel de sa détention en application de la LIPR s’il peut bénéficier d’un examen plus large en recourant à l’habeas corpus? En restreignant la portée du contrôle des motifs de la détention que prévoit la LIPR, l’interprétation préconisée par les juges majoritaires fait en sorte que l’habeas corpus devient le seul recours utile dont disposent les détenus qui souhaitent obtenir un contrôle complet de leur détention. En plus de reléguer le rôle de la Loi au second plan, cette interprétation crée un processus de contrôle de la détention à deux niveaux dans le cadre duquel ceux qui choisissent le menu prévu par la Loi disposent d’un buffet de mesures de réparation plus restreint.
[74]                        Il est préférable de continuer à interpréter les dispositions de la LIPR d’une manière qui soit aussi large et avantageuse que l’habeas corpus et qui assure l’examen complet, exhaustif et spécialisé de la détention aux fins de l’immigration qu’elle était censée offrir, comme l’a fait toute la jurisprudence antérieure de la Cour. Une interprétation qui insuffle le plus d’éléments réparateurs possible dans la Loi s’harmonise bien davantage avec l’économie de celle‑ci qu’une interprétation qui incite à toutes fins utiles les détenus à éviter le régime exclusif et à exercer leurs recours analogues ailleurs.
I.               Faits
[75]                        Tusif Ur Rehman Chhina est né au Pakistan. Il est entré au Canada en décembre 2006 et a obtenu le statut de réfugié sous un faux nom. Lorsque le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a été mis au courant de la fausse déclaration de M. Chhina, il a demandé à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de retirer à M. Chhina son statut de réfugié.
[76]                        La Section de la protection des réfugiés a fait droit à la demande du ministre en février 2012. Elle a conclu que M. Chhina était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et a pris une mesure d’expulsion contre lui. Par suite de cette mesure, l’Agence des services frontaliers du Canada a entrepris des démarches pour obtenir les titres de voyage nécessaires au retour de M. Chhina au Pakistan.
[77]                        Avant même que la mesure d’expulsion puisse être exécutée, M. Chhina a été déclaré coupable de diverses infractions criminelles et il a été incarcéré pendant trois ans. Lorsqu’il a été mis en liberté en avril 2013, M. Chhina a immédiatement été placé dans un centre de détention aux fins de l’immigration au motif qu’il constituait un danger pour la sécurité publique et qu’il se soustrairait vraisemblablement à son renvoi du Canada s’il était mis en liberté.
[78]                        Ainsi que l’exige la Loi, un commissaire de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a procédé au contrôle des motifs de la détention de M. Chhina dans les 48 heures, puis à nouveau 7 jours plus tard. Par la suite, la Section de l’immigration a procédé à un nouveau contrôle des motifs de la détention de M. Chhina au moins tous les 30 jours. La commissaire Leeann King a ordonné la mise en liberté sous condition de M. Chhina après un contrôle des motifs de sa détention effectué en novembre 2013. Voici les explications qu’elle a alors données :
                    [traduction] [U]ne période indéterminée s’écoulera avant que les autorités du Pakistan délivrent un titre de voyage, si jamais elles le font, parce qu’il n’y a aucun moyen de savoir à ce moment‑ci ce qui empêche les choses d’avancer, malgré l’entière collaboration de M. Chhina et de sa famille . . .
                    Je dois donc tenir compte des facteurs énumérés à l’art. 248 du Règlement, qui sont tirés textuellement de la décision Sahin. Celle‑ci concerne l’art. 7 de la Charte et la détention de personnes pour des périodes longues et indéterminées lorsqu’existent des solutions de rechange à la détention qui pourraient réduire les risques connexes.
(d.a., vol. II, p. 106)
[79]                        M. Chhina n’a pas respecté les conditions de sa mise en liberté en omettant de se présenter à l’Agence des services frontaliers du Canada, comme il devait le faire. L’Agence a délivré un mandat d’arrestation contre lui en décembre 2013, mais M. Chhina a disparu pendant un an. Il a finalement été arrêté par la police en décembre 2014 pour des crimes commis après sa mise en liberté. Il a été détenu relativement à ces accusations criminelles jusqu’en novembre 2015, après quoi il a été de nouveau conduit directement dans un centre de détention aux fins de l’immigration.
[80]                        La Section de l’immigration a procédé au contrôle des motifs de la détention de M. Chhina le lendemain et a ordonné le maintien de celle‑ci au motif qu’il se soustrairait vraisemblablement à son renvoi du Canada et qu’il constituait un danger pour la sécurité publique. La Section de l’immigration a continué à contrôler les motifs de la détention de M. Chhina, ainsi que l’exigent les art. 57 et 58 de la LIPR et l’art. 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (Règlement), qui garantissent aux personnes détenues aux fins de l’immigration, comme M. Chhina, la possibilité de contester la légalité de leur détention devant la Section de l’immigration au moins tous les 30 jours.
[81]                        L’Agence des services frontaliers du Canada a poursuivi ses démarches en vue de renvoyer M. Chhina au Pakistan. Elle a demandé des titres de voyage au Pakistan à trois reprises sur une période de trois ans et demi. Le Pakistan n’a pas obtempéré aux demandes en question. Même s’il avait déjà reconnu à un certain moment que M. Chhina était un citoyen pakistanais, le Pakistan est revenu sur cette position par la suite et a affirmé qu’il ne délivrerait pas de titre de voyage, parce qu’il ne pouvait pas vérifier la nationalité de M. Chhina. Après avoir appris en décembre 2015 que le Pakistan refusait de délivrer un titre de voyage, l’Agence des services frontaliers du Canada a entrepris des démarches pour établir la véritable identité de M. Chhina.
[82]                        M. Chhina a exercé les recours que la LIPR mettait à sa disposition pour contester la légalité de son maintien en détention. Cependant, il a également tenté de recourir à la procédure d’habeas corpus en insistant sur la nature constitutionnelle de sa contestation fondée sur les art. 7, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
[83]                        Le juge Mahoney, qui siégeait comme juge des requêtes à la Cour du Banc de la Reine, a refusé d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus au motif que les dispositions de la LIPR concernant le contrôle des motifs de la détention aux fins de l’immigration prévoyaient une procédure complète, exhaustive et spécialisée pour le contrôle des décisions de la Section de l’immigration. Il a conclu que l’affaire concernait une question d’immigration relevant de la compétence et de l’expertise de la Cour fédérale.
[84]                        La Cour d’appel de l’Alberta a conclu que le juge des requêtes avait commis une erreur en refusant d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus. De l’avis de la Cour d’appel, la procédure d’habeas corpus était plus avantageuse que le régime créé par la LIPR pour les détenus comme M. Chhina.
[85]                        En rendant cette décision, la Cour d’appel de l’Alberta a souscrit à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Chaudhary c. Canada (Minister of Public Safety & Emergency Preparedness) (2015), 2015 ONCA 700 (CanLII), 127 O.R. (3d) 401 (C.A.), mais s’est écartée des principes juridiques établis. En effet, la Cour a répété à maintes reprises que les dispositions de la LIPR concernant le contrôle des décisions relatives à la détention aux fins de l’immigration constituent un régime complet, exhaustif et spécialisé qui prévoit une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus. Je ne vois aucune raison de conclure différemment aujourd’hui. La présente affaire offre plutôt l’occasion de confirmer que les règles de procédure et de fond qui régissent le contrôle des motifs de la détention sous le régime de la LIPR devraient être aussi avantageuses que celles de l’habeas corpus, de manière à ce que les détenus puissent bénéficier en temps opportun du contrôle le plus complet qui soit des conditions de leur détention.
II.            Analyse
[86]                        Les fondements historiques de l’habeas corpus — la procédure traditionnelle servant à évaluer la privation de la liberté — sont aussi la source de différents recours d’origine législative qui visent à offrir les mêmes protections. Ces recours sont prévus notamment dans le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, qui habilite les cours d’appel à corriger les erreurs des juridictions d’instances inférieures et à libérer le demandeur (voir, par exemple, R. c. Gamble, 1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595, p. 636‑637; R. c. Pearson, 1992 CanLII 52 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 665 (révision de l’ordonnance de mise en liberté sous caution); Staetter c. British Columbia (Adult Forensic Psychiatric Services), 2017 BCCA 68 (ordonnances de détention de la Commission d’examen)).
[87]                        Des recours de cette nature sont également prévus dans la LIPR. Leur légitimité en tant que solution de rechange valable à la procédure d’habeas corpus a été examinée par les tribunaux et reconnue dans les arrêts Pringle c. Fraser, 1972 CanLII 14 (CSC), [1972] R.C.S. 821; Peiroo c. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1989), 1989 CanLII 184 (ON CA), 69 O.R. (2d) 253 (C.A.), autorisation d’appel refusée, [1989] 2 R.C.S. x; Reza c. Canada, 1994 CanLII 91 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 394; May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 809. Dans chacune de ces décisions, il a été reconnu que les recours semblables à l’habeas corpus qui peuvent être exercés en application d’un régime légal conçu pour être un régime exclusif avaient une [traduction] « portée au moins aussi large que celle traditionnelle de l’habeas corpus » (Peiroo, p. 261).
[88]                        Le présent pourvoi soulève la question de savoir si cela est toujours le cas, c’est‑à‑dire si le régime d’immigration peut continuer à offrir un éventail de protections aussi complet que la procédure d’habeas corpus, ou s’il n’offre plus des avantages analogues, ce qui justifierait de nous écarter de notre jurisprudence.
[89]                        Les régimes établis par des lois comme la LIPR qui remplacent l’habeas corpus par des recours tout aussi efficaces sont reconnus depuis longtemps (Judith Farbey et Robert. J. Sharpe, avec Simon Atrill, The Law of Habeas Corpus (3e éd. 2011), p. 49). Ainsi que la Cour d’appel de l’Ontario l’a récemment souligné dans l’arrêt Ogiamien c. Ontario (Community Safety and Correctional Services) (2017), 2017 ONCA 839 (CanLII), 55 Imm. L.R. (4th) 220 (C.A. Ont.), on ne peut pas se servir de l’habeas corpus pour contester incidemment des décisions en matière d’immigration pour lesquelles il existe déjà un processus du contrôle exhaustif (par. 14).
[90]                        Le régime légal établi par la LIPR, le Règlement et les Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229, en matière de contrôle des motifs de la détention aux fins de l’immigration exige un examen rapide, régulier, accessible et conforme à la Charte des décisions rendues en la matière par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui est un tribunal administratif quasi judiciaire indépendant possédant des connaissances spécialisées dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la détention aux fins de l’immigration.
[91]                        Le régime établi par la LIPR vise à assurer le même contrôle complet et conforme à la Charte de la détention aux fins de l’immigration que celui qu’offre l’habeas corpus. L’alinéa 3(3)d) de la LIPR codifie l’obligation qu’ont les commissaires de la Section de l’immigration d’exercer leur pouvoir discrétionnaire conformément à la Charte :
                    Interprétation et mise en œuvre
                    (3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :
                    . . .
                    d) d’assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui touche les principes, d’une part, d’égalité et de protection contre la discrimination et, d’autre part, d’égalité du français et de l’anglais à titre des langues officielles du Canada;
 
[92]                        La Charte encadre par conséquent l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la Loi et propose, en ce qui concerne l’interprétation du régime lui‑même, certaines balises qui permettent d’en interpréter les dispositions d’une manière qui assure le contrôle le plus complet possible de la privation de liberté du détenu. Il faut donc interpréter la Loi d’une manière qui n’en restreint pas l’objet, mais qui lui donne au contraire la plus large portée qui soit afin d’assurer la réalisation de ses objectifs par un contrôle rigoureux de la détention. L’application de la Charte au régime établi par la LIPR garantit aux détenus une protection qui découle de toute la panoplie des droits, ce qui comprend les questions de célérité et d’accès aux recours prévus par la loi, la nature du contrôle, le fardeau de la preuve et l’expertise.
[93]                          L’idée selon laquelle un examen complet de la détention ne peut avoir lieu que dans le cadre de l’habeas corpus s’explique sans doute par l’étiquette séduisante que l’on accole à cette procédure. Elle méconnaît toutefois qu’on restreint ainsi inutilement le contrôle exhaustif de la légalité de la détention prévu par la Loi. Elle fait également fi d’un principe qui fait consensus depuis longtemps dans la jurisprudence, soit que le régime établi par la LIPR pour assurer le contrôle des décisions relatives à la détention aux fins de l’immigration offre aux détenus un recours au moins aussi large et aussi avantageux que le contrôle exercé par voie d’habeas corpus. À mon avis, il n’y a aucune raison de principe qui justifie d’écarter le raisonnement solide suivi dans les arrêts Pringle, Peiroo, Reza et May.
[94]                        Au moment où la décision a été rendue dans l’affaire Pringle en 1972, le législateur venait de modifier la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, S.C. 1966‑67, c. 90, afin de créer un régime de contrôle des ordonnances d’expulsion par la Commission d’appel de l’immigration, un tribunal administratif indépendant investi de tous les pouvoirs d’une cour supérieure d’archives. Le demandeur avait interjeté appel auprès de la Commission après qu’un enquêteur en matière d’immigration eut rendu une ordonnance d’expulsion contre lui. Au même moment, il a présenté une demande de certiorari devant la cour supérieure afin de faire annuler cette ordonnance. Sa demande de certiorari a été rejetée en première instance, mais la Cour d’appel de l’Ontario y a fait droit. Devant la Cour, le pourvoi concernait la question de savoir si la cour supérieure avait compétence en matière de certiorari pour annuler une ordonnance d’expulsion rendue en application de la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, c. 325.
[95]                        Le juge Laskin a conclu que les modifications apportées à la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration en vue de constituer la Commission d’appel de l’immigration et de la doter de certains pouvoirs avaient « élargi, par rapport au régime antérieur, les voies de recours pour les appels au premier degré à l’encontre des ordonnances d’expulsion » (p. 825). Le juge Laskin a également formulé les remarques suivantes :
                    [La Loi sur la Commission d’appel de l’immigration] et la Loi sur l’immigration, ainsi que les règlements établis en vertu de chacune d’elles, constituent un code à la fois de l’administration des matières relatives à l’immigration et de la révision des procédures faites en ces matières. Il n’y a pas de common law de l’immigration. L’autorité du Parlement d’établir un tel code n’est pas contestée, pas plus que ne l’est son autorité de refuser ou d’enlever aux cours supérieures provinciales la compétence en matière de certiorari quant aux ordonnances d’expulsion. [p. 825-826]
[96]                        Le juge Laskin a décidé que la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration et son nouveau régime relatif au contrôle administratif des ordonnances d’expulsion avaient eu pour effet d’écarter la compétence de la cour supérieure en matière de certiorari. Il a rejeté l’argument selon lequel le législateur n’avait pas clairement exprimé, dans le nouveau régime d’immigration, son intention que le régime retire aux cours supérieures provinciales leur compétence en matière de certiorari. Au contraire, il a estimé que l’art. 22 du régime conférait expressément à la Commission d’appel de l’immigration la « compétence exclusive pour entendre et décider toutes questions de fait ou de droit, y compris les questions de compétence ». Selon le juge Laskin, le sens ordinaire du texte législatif illustre qu’il visait clairement à empêcher que tout autre cour de justice ou tribunal administratif soit saisi de la même demande :
                        La conclusion à laquelle j’en arriverais va au‑delà du sens littéral des termes de l’art. 22. Les faits de l’espèce démontrent que la juridiction d’appel conférée à la Commission est inconciliable avec le maintien de la compétence en matière de certiorari des cours supérieures provinciales. Il n’a pas été avancé que des procédures en annulation engagées en Cour suprême de l’Ontario feraient échouer l’appel interjeté à la Commission. En fait, Fraser n’a pas abandonné son appel en engageant des procédures en certiorari. Cependant, je n’ai pas l’intention de traiter cette affaire comme si un choix de recours s’était exercé et que ce choix dictait la décision à prendre. Certes, la possibilité de deux décisions contradictoires (chacune pouvant faire l’objet d’un appel ultime à cette Cour) n’a rien de recommandable. La seule solution pratique est de reconnaître l’exclusivité de la procédure spéciale prescrite par le Parlement. [p. 827]
[97]                        Après avoir comparé le certiorari à l’habeas corpus, le juge Laskin a conclu qu’il s’agissait, dans les deux cas, de mesures de réparation dont l’« application dépend de la question de savoir si la législature compétente le[s] prescrit comme recours » (p. 826, citant l’arrêt In re Storgoff, 1945 CanLII 17 (SCC), [1945] R.C.S. 526). Ces recours « ne s’appliqu[ent] pas nécessairement à toutes les matières à l’égard desquelles on pourrait [les] employer, si une loi valide d’exclusion est adoptée » (p. 827).
[98]                        Les principes formulés dans Pringle ont été adoptés dans l’arrêt Peiroo. Dans cette dernière affaire, la demanderesse avait présenté une demande d’asile au Canada. La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait conclu à l’absence de fondement crédible de cette demande et avait pris une mesure de renvoi conformément aux dispositions de ce qui était alors la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, c. I‑2. Madame Peiroo a été placée dans un centre de détention aux fins de l’immigration. Elle a tenté de contester la conclusion d’absence de fondement crédible et la mesure de renvoi en présentant à la cour supérieure provinciale une demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire. Sa demande a été rejetée et elle a interjeté appel devant la Cour d’appel de l’Ontario.
[99]                        La Cour d’appel s’est demandé si elle devait refuser d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus pour contrôler la détention de Mme Peiroo et si elle devait accorder la préférence aux autres recours dont celle‑ci disposait pour contester les décisions rendues contre elle en matière d’immigration. S’exprimant au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Catzman a souligné que l’habeas corpus était un recours extraordinaire qui ne pouvait généralement pas être exercé lorsqu’il existait un autre recours (voir Peiroo, p. 257, citant Cameron Harvey, The Law of Habeas Corpus in Canada (1974), p. 13; Roger Salhany, Canadian Criminal Procedure (4e éd. 1984), p. 521).
[100]                     Le juge Catzman a comparé l’habeas corpus aux recours que la Loi sur l’immigration permettait d’exercer pour contester les mesures de renvoi et les conclusions relatives au fondement crédible. La Loi prévoyait expressément un appel devant la Cour fédérale du Canada, avec l’autorisation de celle‑ci. Le juge Catzman a souligné que les motifs et la portée du contrôle prévus par les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F‑7, en matière d’appel [traduction] « sont aussi larges, et — en ce qui concerne le pouvoir d’examiner des conclusions de fait erronées — probablement plus larges que ceux qui constituent le fondement de la compétence exercée par [la cour supérieure] dans les demandes d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire » (p. 258).
[101]                     Le juge Catzman a conclu que la portée des mécanismes de contrôle et d’appel prévus par la Loi était [traduction] « aussi large ou plus large que celle traditionnelle de l’habeas corpus ». En conséquence, le régime légal n’allait pas à l’encontre du principe selon lequel « il n’y a pas lieu de refuser l’accès à l’ancien recours en habeas corpus en raison de l’existence d’un autre recours moins rapide et moins avantageux » (p. 258, citant R. c. Governor of Pentonville Prison, ex parte Azam, [1973] 2 All E.R. 741 (C.A.), p. 758, conf. par [1973] 2 All E.R. 765 (H.L.)). Voici les explications qu’il a données à ce sujet :
                    [traduction] Le législateur a établi dans la [Loi sur l’immigration], plus particulièrement dans les modifications récentes concernant précisément le traitement des revendications de personnes dans la situation de l’appelante, un régime exhaustif comportant des procédures de contrôle et d’appel, devant la Cour fédérale du Canada, des décisions et ordonnances prises en vertu de la Loi, procédures dont la portée est au moins aussi large que celle de l’habeas corpus avec certiorari auxiliaire. En l’absence de quelque preuve que ce soit que les procédures de contrôle et d’appel prévues par le législateur sont inadéquates ou moins avantageuses que la compétence de la Cour suprême de l’Ontario en matière d’habeas corpus, je suis d’avis que la Cour devrait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser d’accorder la réparation demandée en l’espèce dans le cadre de la demande d’habeas corpus qui s’inscrit nettement dans le régime de contrôle et d’appel prévu par la Loi.
                        Cette conclusion est renforcée par le fait que des considérations similaires semblent avoir incité la Cour suprême du Canada à statuer que lorsque le législateur a instauré un régime ou un code complet pour l’administration et l’examen des procédures dans un domaine comme l’immigration (Pringle c. Fraser [. . .] 1972 CanLII 14 (CSC), [1972] R.C.S. 821), ou les droits de la personne (Seneca College c. Bhadauria [. . .] 1981 CanLII 29 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 181 [. . .]), il n’y a pas lieu de contourner ce régime, que ce soit en créant une nouvelle cause d’action (comme dans l’arrêt Bhadauria) ou en utilisant le bref de prérogative (comme dans l’arrêt Pringle). Tant la jurisprudence que la logique justifient la Cour de laisser le contrôle des affaires d’immigration à la Cour fédérale du Canada, qui est habilitée à réviser, que ce soit dans le cadre d’un appel ou d’un contrôle judiciaire, de nombreux aspects du droit de l’immigration et dont la compétence territoriale couvre l’ensemble du Canada, ce qui lui permet de traiter les demandes des demandeurs d’asile, quel que soit le lieu de leur point d’entrée. [p. 261-262]
[102]                     C’est ce qu’on en est venu à appeler l’« exception établie par l’arrêt Peiroo », selon laquelle, lorsque le législateur a instauré un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen de la détention aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus, les cours supérieures devraient refuser d’exercer leur compétence en matière d’habeas corpus et donner prépondérance au régime ainsi établi par la loi.
[103]                     La Cour a appliqué l’exception établie par l’arrêt Peiroo dans l’arrêt Reza, qui, comme l’affaire Peiroo, portait sur une revendication du statut de réfugié. M. Reza avait revendiqué au Canada le statut de réfugié au sens de la Convention. Un tribunal constitué sous le régime des dispositions transitoires de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, c. 28 (4e suppl.), avait conclu que la revendication de M. Reza n’avait pas de fondement crédible et avait donc pris une mesure d’expulsion contre lui. M. Reza n’a pas obtenu gain de cause dans sa demande de contrôle pour des considérations humanitaires soumise à un agent d’immigration. Il a ensuite demandé à la Cour fédérale l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent en question.
[104]                     Par la suite, M. Reza a contesté la constitutionnalité de la Loi sur l’immigration devant la cour supérieure. Le juge des requêtes a ordonné le sursis de la contestation constitutionnelle au motif que la Cour fédérale avait compétence concurrente sur la question et qu’il était plus approprié que ce soit cette dernière qui tranche la contestation constitutionnelle. S’estimant lié par l’arrêt Peiroo, le juge des requêtes a déclaré :
                    [traduction] En l’absence de toute preuve que les procédures de contrôle et d’appel sont inadéquates ou moins avantageuses que la compétence de notre Cour en matière d’habeas corpus, notre Cour devrait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser d’accorder la réparation demandée dans le cadre d’une demande d’habeas corpus. Tant la jurisprudence que la logique justifient notre Cour de laisser à la Cour fédérale du Canada le contrôle des affaires d’immigration : Re Peiroo (1989), 1989 CanLII 184 (ON CA), 69 O.R. (2d) 253 (C.A.O.). La décision de la C.A. dans Sheperd (1989) 1989 CanLII 4359 (ON CA), 52 C.C.C. (3d) 386 est au même effet. Je suis évidemment lié par ces arrêts.
                        En l’espèce, il ne s’agit pas d’une demande d’habeas corpus, mais la réparation demandée au moyen du jugement déclaratoire et de l’injonction, relève également du pouvoir discrétionnaire de notre Cour. La Cour fédérale a compétence pour accorder la réparation demandée et, à mon avis, les principes énoncés dans les arrêts de la C.A. Peiroo et Sheperd s’appliquent en l’espèce. Les circonstances décrites par Campbell dans Bembeneck 1991 CanLII 11763 (ON SC), 69 C.C.C. (3d) 34, qui ont amené la cour à exercer sa compétence, ne se retrouvent pas en l’espèce.
                    Quant à savoir si le processus est moins avantageux en Cour fédérale, comme on l’a indiqué, cette dernière peut accorder la réparation et, à mon avis, l’obligation d’obtenir son autorisation pour demander un jugement déclaratoire ne rend pas le processus moins avantageux. . .
                        En conséquence, je suis d’avis de surseoir à la présente procédure. [p. 399‑400]
[105]                     Les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario ont infirmé la décision du juge des requêtes. Notre Cour a fait droit à l’appel en raison de l’existence d’un régime complet portant sur les mêmes questions. La Loi sur l’immigration alors en vigueur conférait à la Cour fédérale un mandat exclusif en matière d’immigration. Comme dans l’arrêt Peiroo, la Cour a conclu que, en adoptant la Loi sur l’immigration et en attribuant à la Cour fédérale une compétence exclusive, le législateur souhaitait que cette dernière soit le tribunal approprié pour trancher les affaires d’immigration. Cette conclusion militait contre l’exercice d’une compétence concurrente et permettait plutôt de penser que l’attribution légale d’une compétence exclusive à la Cour fédérale démontrait que le législateur avait l’intention d’empêcher les particuliers d’exercer des recours parallèles devant les cours supérieures.
[106]                     Deuxièmement, les facteurs de l’expertise et de l’expérience favorisaient également le mandat exclusif de la Cour fédérale en matière d’immigration. En effet, la Cour fédérale possède une expertise en droit de l’immigration et en droit administratif, ainsi qu’en ce qui avait trait à sa procédure. Même si, à première vue, le cas de M. Reza semblait être d’ordre constitutionnel, sa contestation constitutionnelle était essentiellement liée à des questions de politique et de processus d’immigration.
[107]                     Troisièmement, lorsque la Cour fédérale a une compétence concurrente, les cours supérieures devraient refuser d’exercer leur compétence en matière d’immigration pour éviter les problèmes que représentent la recherche du tribunal le plus favorable, le manque d’uniformité des décisions et la multiplicité des instances (voir également Reference re Constitutional Act, 1867, s. 92(10)(a) (1988), 1988 CanLII 4634 (ON CA), 64 O.R. (2d) 393 (C.A.)).
[108]                     Le juge des requêtes a donc refusé à bon droit d’exercer sa compétence au motif que le législateur avait créé un régime complet de contrôle en matière d’immigration et que la Cour fédérale était un tribunal efficace et approprié.
[109]                     La Cour s’est penchée sur les arrêts Pringle, Peiroo et Reza dans l’affaire May où nous avons confirmé deux exceptions à la possibilité de recourir à l’habeas corpus. D’abord, on ne peut se prévaloir de l’habeas corpus pour contester la légalité d’une déclaration de culpabilité lorsqu’une loi prévoit un droit d’appel. Ensuite, le recours à l’habeas corpus est écarté « [en droit de l’immigration] parce que le législateur a mis en place un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus », ce qu’il est convenu d’appeler l’exception établie par l’arrêt Peiroo (par. 40).
[110]                     La procédure de règlement des griefs prévue au par. 81(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, était en litige dans l’affaire May :
                    81 (1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l’examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s’en désiste.
[111]                     La Cour a conclu que le libellé de cette disposition ne révélait pas une intention du législateur d’écarter la compétence des cours supérieures en matière d’habeas corpus (par. 60). Elle a plutôt estimé qu’on avait envisagé la possibilité qu’un détenu puisse choisir d’intenter un recours judiciaire, comme un recours en habeas corpus, en plus de déposer un grief administratif. Le libellé de la loi révélait l’intention du législateur de faire en sorte que le régime législatif s’applique conjointement avec la compétence des cours supérieures en matière d’habeas corpus.
[112]                     La Cour a jugé que, s’agissant des détenus cherchant à contester leur maintien en détention aux fins de l’immigration pour violation de leurs droits protégés par la Charte, le régime établi par la LIPR pour régir les questions relatives au droit de l’immigration constituait un régime complet, exhaustif et spécialisé prévoyant une procédure d’examen au moins aussi large et aussi avantageuse que celle de l’habeas corpus en ce qui avait trait à l’expertise, au fardeau de la preuve, à la nature du recours et à célérité. Les cours supérieures provinciales devaient par conséquent refuser d’exercer leur compétence concurrente pour contrôler les motifs de la détention aux fins de l’immigration par voie d’habeas corpus et reconnaître la compétence conférée à la Section de l’immigration et à la Cour fédérale par le régime établi par la LIPR.
[113]                     Le paragraphe 162(1) de la LIPR confirme que le législateur avait de toute évidence l’intention d’accorder à la Section de l’immigration une compétence exclusive sur les questions d’immigration :
                    Compétence exclusive
                    162 (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.
Dans l’arrêt Pringle, le juge Laskin a conclu que ce libellé empêchait les tribunaux de connaître du type de procédures en matière d’immigration pour lesquelles la loi avait attribué une compétence exclusive à la Commission. Cette expertise spécialisée et exclusive est à la base de l’exception établie par l’arrêt Peiroo en ce qui concerne la possibilité de recourir à l’habeas corpus en matière d’immigration.
[114]                     La Cour a constamment reconnu l’exception établie par l’arrêt Peiroo qui limite la possibilité d’exercer un recours en habeas corpus en matière d’immigration. À défaut de preuve que le « régime [d’examen] complet, exhaustif et spécialisé prév[u par la loi] » a une portée au moins aussi large que la procédure d’habeas corpus et est tout aussi avantageux, je ne vois aucune raison d’écarter la jurisprudence de la Cour en permettant l’exercice d’un autre recours qui se traduira par la recherche du tribunal le plus accommodant, un manque d’uniformité dans les décisions et une multiplication des instances, ce contre quoi la Cour a mis en garde dans l’arrêt Reza. Rien dans le libellé de la loi ne limite la portée du contrôle des motifs de la détention prévue par la LIPR à un contrôle partiel qu’il faut compléter par un habeas corpus. Au contraire, le régime de la LIPR est structuré de manière à accorder aux détenus au moins les mêmes droits que ceux qu’ils obtiendraient dans le cadre d’un contrôle par voie d’habeas corpus.
[115]                     Rappelons tout d’abord que, selon le mécanisme établi par la LIPR en matière de contrôle des motifs de la détention aux fins de l’immigration, toute détention doit faire l’objet de contrôles réguliers. Les individus détenus aux fins d’immigration ont le droit de comparaître devant la Section de l’immigration dans les 48 heures suivant le début de leur détention (par. 57(1)). Un autre contrôle doit avoir lieu dans les 7 jours suivant le premier contrôle, puis au moins tous les 30 jours par la suite (par. 57(2)). Le détenu peut demander à la Section de l’immigration le contrôle des motifs de sa détention avant l’expiration du délai de 7 jours ou de 30 jours, selon le cas (Règles de la Section de l’immigration, art. 9). Les contrôles sont structurés de manière à être rapides et accessibles et doivent se dérouler de façon aussi informelle et rapide que le permettent les circonstances, de même que les considérations d’équité et de justice naturelle.
[116]                     La LIPR prévoit que l’agent d’immigration est chargé d’amener le détenu devant la Section de l’immigration pour tous les contrôles de sa détention (par. 57(3)). La Section de l’immigration a le pouvoir correspondant d’ordonner aux autorités de l’immigration d’amener le détenu au lieu précisé par la Section de l’immigration (Règles de la Section de l’immigration, art. 23). La Section de l’immigration peut également faciliter l’exercice de ce recours en exigeant que les parties participent à une conférence pour discuter de toute question afin que les procédures soient plus équitables et efficaces, ou qu’elles collaborent à la préparation de l’échéancier de l’affaire (Règles de la Section de l’immigration, par. 20(1) et art. 21).
[117]                     Lors du contrôle des motifs de la détention, la Section de l’immigration peut ordonner le maintien en détention du détenu, sa mise en liberté sans condition ou sa libération aux conditions qu’elle juge nécessaires. Lorsqu’elle rend ses décisions, la Section de l’immigration tient compte des objets de la LIPR, notamment celui de protéger la sécurité publique et de garantir la sécurité de la société canadienne (al. 3(1)h)).
[118]                     Même si, la plupart du temps, le contrôle des motifs de la détention a lieu devant la Section de l’immigration, le détenu insatisfait d’une décision de cette dernière peut saisir la Cour fédérale d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire que ce soit ou non pour des motifs fondés sur la Charte (LIPR, par. 72(1)). Je souscris aux propos du juge Catzman qui, dans l’arrêt Peiroo, a écarté l’argument selon lequel l’obligation de demander l’autorisation d’interjeter appel des décisions en matière d’immigration devant la Cour fédérale rendait ce recours moins avantageux que l’habeas corpus, pour lequel aucune autorisation n’était requise. Voici ce que le juge Catzman a écrit :
                    [traduction] La distinction suggérée me semble plus apparente que réelle. Pour obtenir gain de cause dans sa demande d’habeas corpus, le demandeur doit démontrer l’existence de motifs raisonnables et probables justifiant sa plainte (Loi sur l’habeas corpus, L.R.O. 1980, c. 193, par. 1(1)). L’obligation d’obtenir une autorisation qui est énoncée au par. 83.1(1) est de toute évidence censée faire partie d’une série de mesures de filtrage prévues par la Loi pour décourager la présentation de demandes fallacieuses ou non fondées. J’ai du mal à accepter qu’un demandeur qui est en mesure de démontrer l’existence de motifs raisonnables et probables justifiant sa plainte en ce qui a trait à la décision ou à l’ordonnance dont il demande le contrôle n’obtienne pas l’autorisation requise pour présenter cette demande. En fait, les avocats ont indiqué que cette autorisation avait effectivement été accordée en l’espèce . . . [p. 259]
[119]                     La demande de contrôle judiciaire dont M. Chhina a saisi la Cour fédérale a effectivement fait l’objet d’un traitement accéléré. Son instruction et la décision à son égard ont nécessité une semaine de moins que la demande d’habeas corpus qu’il avait présentée à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.
[120]                     En tout état de cause, l’obligation d’obtenir de la Cour fédérale l’autorisation d’en appeler ne change rien à l’exhaustivité du contrôle des motifs de la détention qui est prévu par la LIPR et qui est encadré par l’art. 58 de la LIPR et par l’art. 248 du Règlement. La Section de l’immigration doit prononcer la mise en liberté du détenu, sauf si le ministre la convainc qu’il est satisfait à l’un ou l’autre des critères énumérés au par. 58(1) de la LIPR :
a) le détenu constitue un danger pour le public;
b) le détenu se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi du Canada, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi;
c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le détenu est interdit de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour grande criminalité, criminalité ou criminalité organisée;
d) l’identité du détenu n’a pas été prouvée, mais peut l’être;
e) si le détenu est un étranger désigné, le ministre est d’avis que l’identité du détenu n’a pas été prouvée.
[121]                     Dès lors que l’existence des motifs de détention énumérés à l’art. 58 est constatée, l’art. 248 du Règlement exige que la Section de l’immigration tienne compte des critères additionnels qui suivent pour décider si la détention doit être maintenue :
a) le motif de la détention;
b) la durée de la détention;
c) les éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention;
d) les retards ou le manque inexpliqué de diligence de la part du détenu ou du gouvernement;
e) les solutions de rechange à la détention.
[122]                     Les facteurs énumérés à l’art. 248 du Règlement codifient ceux que le juge Rothstein a énoncés dans le jugement Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1994 CanLII 3521 (CF), [1995] 1 C.F. 214 (1re inst.). La Cour a repris à son compte les facteurs énumérés à l’art. 248 dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 (CanLII), [2007] 1 R.C.S. 350. Ils garantissent qu’aucune période de détention prolongée n’enfreint la Charte.
[123]                     Comme le juge Rothstein l’a noté dans le jugement Sahin, au moyen de la LIPR, le législateur « traite du droit qu’a la société d’être protégée contre ceux qui constituent une menace pour la sécurité publique et du droit qu’a le Canada de contrôler ceux qui entrent et demeurent dans notre pays » (p. 229). Pour atteindre ces objectifs, le régime de la LIPR confère aux commissaires de la Section de l’immigration le pouvoir de détenir des individus en raison du danger qu’ils constituent pour le public ou du fait qu’ils se soustrairont vraisemblablement à leur renvoi du Canada.
[124]                     Lorsqu’elle décide de détenir ou de libérer un individu sous le régime de la LIPR, la Section de l’immigration doit toujours exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec la Charte (voir LIPR, al. 3(3)d)). Il existe une présomption légale pour la mise en liberté par la Section de l’immigration, qui « prononce la mise en liberté » du détenu, à moins qu’elle soit convaincue qu’il a été satisfait à au moins un des motifs énumérés à l’art. 58 de la LIPR, compte tenu des facteurs énumérés à l’art. 248 du Règlement.
[125]                     Il importe de signaler que le contrôle prescrit par l’art. 248 oblige la Section de l’immigration à se prononcer sur la légalité du maintien en détention de l’individu sans lui imposer quelque fardeau de preuve que ce soit. Contrairement aux demandes d’habeas corpus dans le cadre desquelles le détenu doit invoquer un motif légitime pour contester la légalité de sa détention, tout au long du processus établi par la LIPR c’est au ministre qu’il incombe de justifier la détention de l’intéressé devant la Section de l’immigration. Le détenu n’a pas à produire d’éléments de preuve en ce qui concerne les facteurs énoncés aux art. 58 de la LIPR et 248 du Règlement.
[126]                     Dans la mesure où elles ont conclu le contraire, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4 (CanLII), [2004] 3 R.C.F. 572, et la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Chaudhary, ont, à mon avis, rendu des décisions erronées. De plus, la conclusion formulée par la Cour d’appel dans l’arrêt Chaudhary — suivant laquelle le ministre peut se décharger du fardeau de la preuve qui lui incombe devant la Section de l’immigration [traduction] « en se contentant de reprendre les motifs exposés lors des contrôles antérieurs de la détention » (par. 87) — est incompatible avec l’obligation de la Section de l’immigration de reprendre depuis le début le contrôle de la légalité de la détention à chaque contrôle. En effet, lors de chaque audience de la Section de l’immigration, le détenu a droit au même nouveau contrôle de la légalité de sa détention qu’à celui auquel il aurait droit dans le cadre d’un recours en habeas corpus. Dans un cas comme celui de M. Chhina, la Section de l’immigration doit toujours réévaluer les éléments de preuve antérieurs à la lumière des moyens fondés sur la Charte qu’invoque le détenu.
[127]                     Plus particulièrement, lorsque le détenu conteste sa détention au motif qu’elle contrevient à la Charte, le temps qui s’est écoulé entre le contrôle précédent et le contrôle en cours constitue un nouvel élément de preuve dont la Section de l’immigration doit tenir compte pour appliquer les art. 58 de la LIPR et 248 du Règlement. Le ministre ne peut pas se contenter d’invoquer les décisions antérieures de la Section de l’immigration pour convaincre celle‑ci de l’existence des critères exigés dans le cadre du contrôle effectué en application des art. 58 et 248. L’intégrité du processus prévu par la LIPR dépend de la tenue d’un examen complet de la légalité de la détention, y compris de sa conformité avec la Charte, lors de chaque contrôle des motifs de la détention.
[128]                     La Charte à la fois encadre la façon dont sont rendues les décisions administratives discrétionnaires sous le régime de la LIPR et propose des balises sur l’interprétation du régime lui‑même. Le régime de la LIPR doit par conséquent être interprété en harmonie avec les valeurs consacrées par la Charte qui définissent les paramètres de son application. Ainsi que les juges Iacobucci et Arbour l’ont déclaré dans la Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42 (CanLII), [2004] 2 R.C.S. 248 :
                    L’approche contemporaine [en matière d’interprétation législative] tient compte de la nature diversifiée de l’interprétation législative. Les considérations relatives au texte doivent être interprétées de concert avec l’intention du législateur et les normes juridiques établies.
                         Cette approche est fondée sur la présomption que le texte législatif édicté respecte les normes constitutionnelles, y compris les droits et libertés consacrés par la Charte [. . .] Cette présomption reconnaît le rôle crucial des valeurs constitutionnelles dans le processus législatif et, de façon plus générale, dans la culture politique et juridique canadienne. [par. 34‑35]
[129]                     Transposer les principes consacrés par la Charte dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires administratifs prévus par la LIPR oblige les commissaires de la Section de l’immigration à appliquer ce régime d’une manière au moins aussi rigoureuse et équitable que n’est appliqué le recours en habeas corpus. Il ne suffit pas qu’un régime établi par une loi ait une portée au moins aussi large et soit aussi avantageuse en théorie que le recours en habeas corpus; encore faut‑il qu’on puisse appliquer ce régime de manière à protéger les droits des détenus et l’intégrité du processus de la façon la plus exhaustive possible.
[130]                     Il s’ensuit que, pour exercer les fonctions que leur confère le régime établi par la LIPR, les commissaires de la Section de l’immigration doivent veiller à ce que la détention aux fins de l’immigration fasse l’objet du contrôle le plus complet possible. Ceci comprend — et a toujours compris — l’obligation de mettre en balance les objets de la détention aux fins de l’immigration et les droits garantis aux détenus par les art. 7, 9 et 12 de la Charte. Le contrôle de la légalité de la détention auquel procèdent les commissaires de la Section de l’immigration doit tenir compte du droit que reconnaît l’art. 7 de la Charte au détenu de ne pas être privé de sa liberté, sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale, de son droit garanti par l’art. 9 de ne pas être détenu ou emprisonné arbitrairement et du droit que lui reconnaît l’art. 12 de ne pas être soumis à des traitements ou à des peines cruelles et inusitées. Ainsi que le juge Rothstein l’a souligné dans le jugement Sahin « l’arbitre ne tient pas cette compétence des termes de [la LIPR], mais de l’application des principes consacrés par la Charte à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu [par le régime] » (p. 230).
[131]                     À mon avis, cela comprend nécessairement la capacité de la Section de l’immigration de se pencher sur les conditions de détention. Une analyse exhaustive, fondée sur la Charte, de la détention aux fins de l’immigration peut révéler que la durée ou les conditions de détention sont telles que le maintien en détention n’est pas conforme aux principes de justice naturelle (art. 7), est arbitraire parce qu’elle ne permet pas la réalisation d’un objectif de l’État (art. 9) ou constitue une peine cruelle et inusitée (art. 12). L’application des art. 7, 9 et 12 de la Charte au régime de la LIPR fait ressortir l’obligation qu’a la Section de l’immigration d’évaluer la durée actuelle et future de la détention, ainsi que les conditions de celle‑ci lorsqu’elle met en balance les objectifs de l’État avec les droits individuels des détenus.
[132]                     Le régime de la LIPR assure donc la protection des autres droits garantis par la Charte en prescrivant que la Section de l’immigration se demande si la détention est devenue illégale du fait de sa durée, de l’incertitude de sa durée ou de ses conditions. Il n’existe aucune raison de principe pour interpréter les dispositions relatives au contrôle de telle sorte qu’elles empêchent l’examen des conditions de la détention. Pourquoi appliquer une interprétation étroite et restrictive à une loi réparatrice lorsqu’une interprétation plus large et qui assure une plus grande protection est non seulement disponible, mais exigée par l’objet sous‑jacent du régime? Comme les présents motifs visent à le clarifier, les facteurs énumérés à l’art. 248 offrent des repères à la Section de l’immigration pour déterminer, selon les critères suivants, si le maintien en détention est justifié au regard de la Charte :
a) le motif de la détention;
b) la durée de la détention;
c) les éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention;
d) les retards ou le manque inexpliqué de diligence de la part du détenu ou du gouvernement;
e) les solutions de rechange à la détention.
[133]                     L’alinéa 248a) exige que la Section de l’immigration mette en balance les objectifs de l’État en matière d’immigration et le droit du détenu de ne pas être privé de façon arbitraire ou indéfinie de sa liberté. Comme dans le cas d’un recours en habeas corpus dans le cadre duquel la conformité avec la Charte est évaluée, la Section de l’immigration doit évaluer la solidité des motifs justifiant la détention. Une décision antérieure de la Section de l’immigration, reposant sur des faits, selon laquelle l’individu risque de s’évader ou constitue un danger pour le public appelle la retenue tant lors d’un contrôle effectué dans le cadre de la LIPR que d’un recours en habeas corpus (voir Thanabalasingham, par. 10 (contrôle effectué dans le cadre de la LIPR) et Brown c. Canada (Public Safety) (2018), 2018 ONCA 14 (CanLII), 420 D.L.R. (4th) 124 (C.A. Ont.), par. 29 (contrôle effectué dans le cadre d’une demande d’habeas corpus)). Plus grand est le risque pour le public, plus solides sont les motifs justifiant le maintien en détention (Sahin, p. 231 (contrôle effectué dans le cadre de la LIPR); Ali c. Canada (Minister of Public and Emergency Preparedness) (2017), 2017 ONSC 2660 (CanLII), 137 O.R. (3d) 498 (C.A.), par. 24 (contrôle effectué dans le cadre d’une demande d’habeas corpus)).
[134]                     S’agissant de l’al. 248b), la force des motifs justifiant le maintien en détention faiblit au fur et à mesure que la durée de la détention se prolonge. Un facteur qui doit « peser lourd » dans la balance lorsque la Section de l’immigration se prononce sur le maintien en détention est la durée de la détention (voir Sahin, p. 231‑232). La solidité de l’argument de l’individu détenu aux fins de l’immigration suivant lequel son maintien en détention est devenu une violation de la Charte augmente avec chaque contrôle subséquent de sa détention. Les autorités qui le détiennent ont le fardeau corrélatif de justifier son maintien en détention lorsqu’est invoqué un moyen fondé sur la Charte qui ne cesse de prendre de la vigueur. Une période de détention qui se prolonge signifie que les autorités de l’immigration ont eu plus de temps pour procéder au renvoi, une mesure qu’elles sont censées exécuter dès qu’il est raisonnablement possible qu’elles le fassent. En conséquence, le fardeau de la preuve dont doivent s’acquitter les autorités qui détiennent l’intéressé pour justifier son maintien en détention s’alourdit au fur et à mesure que la détention se prolonge. Cette conception de la durée de la détention n’est pas différente de celle qui s’applique dans le cadre d’une demande d’habeas corpus (voir Chaudhary, Ali et Brown).
[135]                     La durée prévue de la détention dont il est question à l’al. 248c) du Règlement exige une estimation de la durée probable de la détention. Une détention légitime aux fins du renvoi peut devenir arbitraire et contraire à l’art. 9 de la Charte lorsqu’elle ne se rattache plus à ses fins d’immigration. Lorsque le renvoi semble peu probable et que la durée future de la détention ne peut pas être déterminée, ce facteur milite pour la libération (Sahin, p. 231; Charkaoui, par. 115).
[136]                     Il s’agit de la même analyse que dans le cadre d’une demande d’habeas corpus. Ainsi que le juge Rouleau l’a fait observer dans l’arrêt Chaudhary :
                    [traduction] [Une] détention n’est pas justifiée si elle n’est plus raisonnablement nécessaire pour faciliter les formalités d’immigration. Lorsqu’il n’y a aucune chance que les objectifs de la détention dans le contexte de l’immigration soient atteints dans un délai raisonnable — la question de savoir ce qui est raisonnable dépendant des circonstances —, le maintien en détention viole les droits garantis au détenu par les art. 7 et 9 de la Charte et sa détention n’est plus légale. [par. 81]
[137]                     La Section de l’immigration est par ailleurs mieux placée pour évaluer et trancher la question de la durée future de la détention que ne le sont les cours supérieures saisies d’une demande d’habeas corpus. Comme le juge Létourneau l’a déclaré dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Li, 2009 CAF 85 (CanLII), [2010] 2 R.C.F. 433 (C.A.), le court laps de temps de 30 jours qui s’écoule entre les contrôles effectués par la Section de l’immigration « permet d’effectuer une estimation fondée sur les faits concrets et les procédures en instance, au lieu de s’en remettre à une estimation fondée sur des spéculations portant sur des faits et des procédures éventuels » (par. 66). La Section de l’immigration obtient un portrait fidèle de la détention tous les 30 jours. Elle peut évaluer les progrès dans le temps en examinant les instances antérieures et en anticipant l’évolution de l’instance en cours pour éviter une violation des droits garantis au détenu par la Charte.
[138]                     L’alinéa 248d) exige que l’on tienne compte des retards ou du manque de diligence de la part du détenu ou des autorités de l’immigration. Ainsi que le juge Rothstein l’a déclaré dans le jugement Sahin et que la Cour l’a rappelé dans l’arrêt Charkaoui, les retards et les manques de diligence inexpliqués doivent être retenus contre la personne qui en est responsable (Sahin, p. 231; Charkaoui, par. 114). Les cours supérieures qui contrôlent la détention aux fins de l’immigration pour en vérifier la conformité avec les art. 7, 9 et 12 de la Charte se livrent à la même analyse. Elles examinent la complexité du renvoi du demandeur du Canada, le caractère raisonnable des mesures prises par les autorités de l’immigration pour procéder au renvoi et la mesure dans laquelle le demandeur a prolongé sa détention en refusant de collaborer à son renvoi avec les autorités (voir Brown, par. 36; Canada c. Dadzie, 2016 ONSC 6045, par. 46 (CanLII)).
[139]                     Dans l’affaire Dadzie, un ressortissant étranger détenu en application de la LIPR demandait sa mise en liberté par voie d’habeas corpus. Le juge Clark a appliqué les principes dégagés dans les décisions Charkaoui et Sahin au sujet des retards et du manque de diligence en matière de contrôle de la détention aux fins de l’immigration dans le contexte de l’habeas corpus (par. 36). Le manque de collaboration de M. Dadzie a amené le juge Clark à conclure qu’il ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que sa détention avait été exceptionnellement longue.
[140]                     Enfin, l’al. 248e) du Règlement oblige la Section de l’immigration à tenir compte de l’existence de solutions de rechange à la détention. Parmi celles‑ci, mentionnons la libération pure et simple, la mise en liberté sous caution, les obligations de se rapporter aux autorités, la résidence surveillée à un lieu précis et la détention sous une forme moins restrictive de liberté (Sahin, p. 231). L’évaluation des conditions de détention est un élément essentiel de l’analyse des solutions de rechange à la détention prévue à l’al. 248e). Comme la Loi confie à la Section de l’immigration la mission d’envisager des solutions de rechange à la détention et que les décisions de la Section de l’immigration doivent être conformes à la Charte et compte tenu du fait que la Section de l’immigration jouit d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les conditions de mise en liberté, son pouvoir de libérer un détenu sous conditions doit comporter celui de modifier ses conditions de détention. À l’instar des cours supérieures provinciales saisies d’une demande d’habeas corpus, la Section de l’immigration doit être considérée comme ayant le pouvoir de libérer un détenu d’une « prison au sein d’une prison » en vertu du par. 58(3) (voir R. c. Miller, 1985 CanLII 22 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 613, p. 637, le juge Le Dain; Robert J. Sharpe, The Law of Habeas Corpus (1976), p. 149).
[141]                     En somme, le processus de contrôle de la Section de l’immigration régi par les art. 58 de la LIPR et 248 du Règlement exige que la Section de l’immigration examine les motifs de la détention, sa durée, la durée anticipée du prolongement de la détention, les retards ou le manque de diligence, puis, l’existence, l’efficacité et l’opportunité des solutions de rechange à la détention, y compris les changements dans les conditions de détention. Il s’agit des mêmes considérations que celles dont une cour supérieure saisie d’une demande d’habeas corpus tient compte pour déterminer si le maintien de la détention de l’immigrant viole ou non les art. 7, 9 ou 12 de la Charte.
[142]                     La Section de l’immigration a le même mandat constitutionnel ainsi que l’obligation primordiale de donner effet à [traduction] « une mesure législative qui est censée établir un régime complet [. . .] pour l’administration et la révision des procédures [. . .] en matière d’immigration » (Peiroo, p. 262; voir également Reza c. Canada (1992), 1992 CanLII 2835 (ON CA), 11 O.R. (3d) 65 (C.A.), p. 80). M. Chhina tente de faire fi de l’organe expressément et exclusivement chargé de réaliser les objectifs de la LIPR en se parant du ruban de la Charte pour contester sa détention aux fins de l’immigration.
[143]                     Dans l’arrêt Reza, la Cour a déjoué des tentatives semblables faites par le demandeur pour passer outre au régime d’immigration en vue d’obtenir une solution constitutionnelle en sa faveur. Nous reconnaissions ainsi que l’expertise de la Section de l’immigration en matière d’immigration s’étendait aux aspects constitutionnels des questions d’immigration. Comme le juge La Forest l’écrivait dans l’arrêt Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 1991 CanLII 57 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 5 :
                    Il faut souligner que le processus consistant à rendre des décisions à la lumière de la Charte ne se limite pas à des ruminations abstraites sur la théorie constitutionnelle. Lorsque des questions relatives à la Charte sont soulevées dans un contexte de réglementation donné, la capacité du décisionnaire d’analyser des considérations de principe opposées est fondamentale . . .
                    . . .
                          Il est donc évident qu’un tribunal spécialisé [. . .] peut appliquer son expertise de façon très fonctionnelle et productive à trancher les questions relatives à la Charte qui requièrent cette expertise. [p. 16-18]
[144]                     Malgré les tentatives faites par M. Reza pour qualifier sa contestation de constitutionnelle, la Cour a reconnu que ses arguments fondés sur la Charte reposaient essentiellement sur des politiques d’immigration. Il en va de même pour les moyens que M. Chhina tire en l’espèce de la Charte et qui découlent des décisions de la Section de l’immigration de prolonger sa détention. Ce sont là des questions qui se situent au cœur même des politiques d’immigration. La Section de l’immigration est le forum qui convient le mieux pour intégrer les droits garantis par la Charte à l’économie de la LIPR et à ses objets.
[145]                     Il ressort de l’analyse qui précède que, si on l’interprète correctement, le régime de contrôle des motifs de la détention aux fins de l’immigration établi par la LIPR offre aux détenus un recours dont la portée est au moins aussi large et aussi avantageux que celle de la procédure d’habeas corpus. Ce régime prévoit l’examen le plus complet possible du bien‑fondé de la remise en cause de la détention aux fins de l’immigration. Et lorsque l’individu détenu par les autorités de l’immigration se prétend victime d’une violation des droits qui lui sont garantis par les art. 7, 9 et 12 de la Charte, le processus de contrôle de la Section de l’immigration, encadré par les art. 58 de la LIPR et 248 du Règlement, permet au moins le même examen approfondi que celui qu’effectue une cour supérieure saisie d’une demande d’habeas corpus.
[146]                     La Cour a affirmé à maintes reprises qu’il n’y a pas ouverture à l’habeas corpus si la solution de rechange prévue par la loi offre un recours tout aussi favorable. À mon avis, c’est effectivement le cas en l’espèce. Le cas de M. Chhina tombe par conséquent sous le coup de l’exception établie par l’arrêt Peiroo, ce qui le rend irrecevable à présenter une demande d’habeas corpus. La Cour supérieure a refusé à bon droit d’exercer sa compétence¸ en matière d’habeas corpus au profit du régime complet, exhaustif et spécialisé auquel M. Chhina pouvait avoir recours selon la Loi.
[147]                     Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.
 
                    Pourvoi rejeté, la juge Abella est dissidente.
                    Procureur des appelants : Procureur général du Canada, Vancouver.
                    Procureurs de l’intimé : Nota Bene Law, Calgary; Jackman, Nazami & Associates, Toronto; Laishley Reed, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant End Immigration Detention Network : Sekhar Law Office, Toronto; Maija Martin, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : Jared Will & Associates, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante Defence for Children International‑Canada : Wilson, Christen, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant Amnesty International Canada (English Branch) : Community Legal Services‑Ottawa, Ottawa; Université d’Ottawa, Ottawa.
                    Procureurs de l’intervenant Community & Legal Aid Services Programme : York University, Osgoode Hall Law School, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés : Edelmann & Co. Law Corporation, Vancouver.
                    Procureurs de l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic : Stockwoods, Toronto; Queen’s Prison Law Clinic, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant le Fonds Égale Canada pour les droits de la personne : Battista Smith Migration Law Group, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Frances Mahon Law, Vancouver.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Borden Ladner Gervais, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante Canadian Prison Law Association : Borys Law, Kingston; McCarten Wallace, Toronto.
 

[1] Même si M. Chhina a tenté de plaider devant la Cour que l’exception de common law établie par l’arrêt Peiroo contrevient à l’al. 10c) de la Charte et ne peut pas être justifiée au regard de l’article premier, il n’a pas déposé d’avis de question constitutionnelle dans les délais impartis. La Cour n’est donc pas saisie de cet argument dans le cadre du présent pourvoi.


Synthèse
Référence neutre : 2019CSC29 ?
Date de la décision : 10/05/2019

Analyses

corpus ; détentions ; immigration ; LIPR ; décisions ; recours ; Charte ; demandes ; régimes ; libertés ; conditions ; mises ; durée ; légalité ; cours supérieures ; remises


Parties
Demandeurs : Canada (Sécurité publique et Protection civile)
Défendeurs : Chhina
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 10 mai 2019, Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2019-05-10;2019csc29 ?

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