Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown
Motifs de jugement (par. 1 à 42) : Le juge Brown (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon)
Motifs dissidents (par. 43 à 92) : La juge Abella (avec l’accord de la juge Côté)
Répertorié : Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc.
No du greffe : 36606.
2016 : 18 mai; 2016 : 9 décembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
Contrats — Equity — Recours — Rectification d’un instrument écrit qui consigne une entente antérieure — Souhait des parties que l’entente soit exécutée de façon neutre sur le plan fiscal — Résolutions d’une société portant rachat d’actions — Rachat d’actions entraînant des conséquences non souhaitées — Les juridictions inférieures ont‑elles commis une erreur en concluant que l’intention des parties peut justifier l’octroi d’une rectification? — Est‑il possible d’obtenir la rectification, une réparation en equity?
Droit commercial — Sociétés par actions — Fiscalité — La rectification du contrat est‑elle assimilable à une planification fiscale rétroactive?
Hôtels Fairmont Inc. a participé au financement de l’acquisition, par Legacy Hotels, de deux autres hôtels en dollars américains. L’entente de financement devait être exécutée de façon neutre sur le plan fiscal. Lorsque Fairmont a été acquise par la suite, cet objectif a toutefois été contrecarré, puisque l’acquisition aurait fait subir à Fairmont et à ses filiales une perte sur change présumée. Les parties à l’acquisition de Fairmont ont donc convenu d’un plan qui permettait à Fairmont, mais non à ses filiales, de se protéger du risque d’être tenue à une obligation fiscale prospective sur les opérations de change. Aucun plan n’a été échafaudé pour protéger les filiales de ce risque parce que la conception de ce plan a été reportée à plus tard. L’année suivante, Legacy Hotels a demandé à Fairmont de résilier leur entente de financement de façon à permettre la vente des deux autres hôtels. Par conséquent, Fairmont a racheté les actions qu’elle détenait dans ses filiales au moyen de résolutions adoptées par leurs administrateurs. Cette opération a toutefois fait naître une obligation fiscale imprévue. Fairmont a voulu se soustraire à cette obligation en faisant rectifier les résolutions des administrateurs. Tant le juge saisi de la demande que la Cour d’appel ont accordé cette rectification au motif que les parties recherchaient la neutralité fiscale.
Arrêt (les juges Abella et Côté sont dissidentes) : Le pourvoi est accueilli.
La juge en chef McLachlin et les juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown : Les deux juridictions inférieures ont commis une erreur en concluant que l’objectif de neutralité fiscale des parties pouvait justifier l’octroi d’une rectification. Une intention commune constante ne suffit pas. La rectification est une réparation en equity visant à corriger les erreurs dans la consignation de modalités dans des instruments juridiques écrits. Il n’y a rectification que dans les cas où un instrument écrit a consigné incorrectement l’entente antérieure entre les parties. Autrement dit, la rectification ne peut être accordée lorsqu’elle est fondée sur le désir de l’une des parties ou des deux de modifier non pas l’instrument consignant leur entente, mais l’entente elle‑même.
Lorsqu’on allègue que l’erreur résulte d’une erreur commune à toutes les parties à l’entente, le tribunal peut accorder la rectification de l’instrument s’il est convaincu qu’il y avait une entente antérieure dont les modalités sont déterminées et déterminables, que l’entente était toujours en vigueur au moment de la signature de l’instrument, que l’instrument ne consigne pas correctement l’entente et que l’instrument, s’il est rectifié, exécuterait l’entente antérieure des parties.
Il incombe à la partie qui sollicite la rectification de démontrer non seulement l’erreur putative, mais également la façon dont l’instrument devrait être rectifié afin de consigner correctement ce que les parties avaient l’intention de faire. La norme de preuve applicable à la preuve présentée à l’appui d’une demande de rectification est la prépondérance des probabilités. Le tribunal exigera généralement une preuve très claire, convaincante et solide avant de permettre que les modalités d’un instrument écrit soient remplacées par celles qui constateraient la véritable intention des parties. En matière de rectification, l’equity et le droit civil vont dans le même sens, malgré le fait que chaque système juridique arrive à une même conclusion par des voies différentes — le premier visant la correction du document, et le dernier étant axé sur son interprétation. Cette convergence est indubitablement souhaitable.
Ces principes doivent être appliqués dans un contexte fiscal exactement de la même manière que dans un contexte non fiscal afin d’éviter une planification fiscale rétroactive inadmissible. En l’espèce, l’application de ces principes mène inévitablement à la conclusion que la demande de rectification de Fairmont aurait dû être rejetée, puisqu’elle n’a pu démontrer qu’elle avait conclu une entente antérieure dont les modalités étaient déterminées et déterminables. Il est clair que Fairmont comptait limiter, voire éviter complètement, son obligation fiscale en annulant l’entente de financement. Et le rachat des actions a contrecarré cette intention. Sans plus, toutefois, ces faits ne justifient pas l’octroi d’une rectification. La rectification n’est pas équivalente en equity à un second essai. Les tribunaux rectifient des instruments qui ne consignent pas correctement une entente. Ils ne rectifient pas les ententes dont la consignation fidèle dans un instrument a mené à un résultat indésirable ou par ailleurs imprévu.
De même, Fairmont n’a pas démontré comment son intention, qu’elle partageait de manière constante avec ses filiales, devait être réalisée selon des modalités déterminées et déterminables tout en annulant l’entente de financement. Fairmont parle d’un plan visant à protéger ses filiales contre une obligation fiscale sur les opérations de change, mais ce plan n’était pas seulement imprécis. Il ne s’agissait même pas en fait d’un plan. Ce n’était tout au plus qu’un désir incomplet de protéger les filiales par des moyens non précisés.
Les juges Abella et Côté (dissidentes) : Il n’y a pas lieu de modifier le test de rectification dans une affaire de nature fiscale et, en l’espèce, ce test a été respecté. Les décisions des juridictions inférieures d’accorder la rectification reposent sur la conclusion de fait que les parties avaient l’intention constante et déterminable de réaliser l’opération sans incidences fiscales, ou de ne pas la réaliser du tout. L’approche de la majorité restreint toutefois indûment la portée de la doctrine de la rectification. L’intention commune, constante, déterminée et déterminable de réaliser une opération sans incidences fiscales satisfait habituellement au seuil d’octroi d’une rectification. L’exigence supplémentaire selon laquelle les parties doivent désigner clairement le mécanisme précis au moyen duquel elles ont l’intention d’atteindre la neutralité fiscale, ainsi que la manière dont ce mécanisme a été incorrectement transcrit dans le document, a pour effet de hausser le seuil et de contrecarrer l’objet de la réparation. Que l’erreur soit unilatérale ou commune, la rectification est, en définitive, une réparation d’equity qui vise à donner effet à la véritable intention des parties et à empêcher que des erreurs donnent lieu à des gains fortuits. La doctrine est aussi fondée sur le principe d’enrichissement injustifié, à savoir qu’il serait injuste de donner effet, de façon rigide, à une erreur qui enrichit l’une des parties au détriment de l’autre.
Certes, on semble avoir le plus souvent accordé la rectification dans des cas où les modalités convenues avaient été mal transcrites, mais puisque l’enrichissement injustifié peut résulter d’une erreur dans la réalisation de l’intention des parties, on peut aussi recourir à la rectification pour corriger les erreurs de mise en œuvre. Les tribunaux ont donc accordé la rectification demandée lorsqu’une transaction commerciale a été exécutée dans le mauvais ordre, lorsqu’une erreur de calcul sous‑jacente au contrat a été commise, et lorsque les étapes nécessaires d’une fusion ont été mal suivies.
Que l’erreur réside dans la transcription ou dans la mise en œuvre, les tribunaux peuvent refuser d’exercer leur pouvoir discrétionnaire si la rectification serait préjudiciable aux droits des tiers. Toutefois, la simple présence d’un tiers ne fait pas obstacle à la rectification. La rectification ne sera irrecevable que si le tiers en question s’est effectivement fondé sur l’entente erronée. La rectification peut empêcher une partie de donner effet à une erreur et de s’enrichir injustement parce que l’autre partie s’est trompée, tout comme elle peut empêcher un tiers qui ne s’est pas fié sur l’entente de donner effet à une erreur et d’en tirer profit.
Permettre aux autorités fiscales, une tierce partie, de tirer profit des erreurs commises dans une planification fiscale légitime, alors qu’il n’a été nullement porté atteinte à ses droits, équivaut à un enrichissement injustifié. Les entreprises et les particuliers ont légalement le droit d’organiser leurs affaires de manière à réduire le plus possible leur fardeau fiscal. Le fisc ne peut pas plus jouer à « Gotcha » que n’importe quel autre tiers qui ne s’est pas fondé à son détriment sur l’erreur. D’autre part, les entreprises et les particuliers ne devraient pas pouvoir recourir à la rectification pour procéder à une planification fiscale rétroactive.
La rectification en droit civil et celle en common law dans le domaine fiscal sont manifestement fondées sur des principes analogues, à savoir que la véritable intention des parties l’emporte sur les erreurs de transcription ou de mise en œuvre de l’entente en question, sous réserve des précisions nécessaires et des droits des tiers qui se fondent à leur détriment sur l’entente. Ainsi, aucune raison de principe ne permet, quel que soit le système juridique applicable, d’imposer une norme plus stricte dans le domaine fiscal du simple fait que c’est le gouvernement qui pourrait bénéficier d’une erreur.
En l’espèce, le juge saisi de la demande a conclu que Fairmont avait toujours eu l’intention claire de dénouer l’entente de financement sans incidences fiscales et n’avait jamais eu l’intention de racheter les actions. Fairmont ne tentait pas de s’écarter de son intention initiale à cause de conséquences fiscales imprévues. Elle avait prévu les conséquences fiscales d’un dénouement de l’arrangement par le rachat des actions, et elle avait explicitement rejeté cette démarche. Or, par erreur, les modalités de rachat des actions privilégiées ont été incluses dans les résolutions adoptées par les administrateurs. C’est exactement le genre d’erreur que la rectification vise à corriger. Une fois que le juge saisi de la demande a été convaincu de la véritable intention des parties, il avait le droit de lui donner effet en autorisant la rectification des résolutions des administrateurs.
Exiger une description détaillée de la manière dont le dénouement était censé se dérouler reviendrait à imposer un seuil exceptionnellement élevé à atteindre pour obtenir la rectification dans le domaine fiscal et permettrait à l’Agence du revenu du Canada, les autorités fiscales, de tirer un gain fortuit de l’erreur. Il n’y a aucune raison de permettre à l’Agence du revenu du Canada de tirer un gain fortuit auquel aucun autre tiers n’aurait eu droit.
Jurisprudence
Citée par le juge Brown
Arrêt renversé : Juliar c. Canada (Attorney General) (1999), 46 O.R. (3d) 104, conf. par (2000), 50 O.R. (3d) 728; arrêt examiné : Joscelyne c. Nissen, [1970] 2 Q.B. 86; arrêts mentionnés : Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157; Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678; Mackenzie c. Coulson (1869), L.R. 8 Eq. 368; Ship M. F. Whalen c. Pointe Anne Quarries Ltd. (1921), 63 R.C.S. 109; Hart c. Boutilier (1916), 56 D.L.R. 620; Re Slocock’s Will Trusts, [1979] 1 All E.R. 358; Racal Group Services Ltd. c. Ashmore (1995), 68 T.C. 86; Ashcroft c. Barnsdale, [2010] EWHC 1948, [2010] S.T.C. 2544; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; Harvest Operations Corp. c. Canada (Attorney General), 2015 ABQB 327, [2015] 6 C.T.C. 78; Crane c. Hegeman‑Harris Co., [1939] 1 All E.R. 662; Wasauksing First Nation c. Wasausink Lands Inc. (2004), 184 O.A.C. 84; Dynamex Canada Inc. c. Miller (1998), 161 Nfld. & P.E.I.R. 97; Frederick E. Rose (London) Ld. c. William H. Pim Jnr. & Co., [1953] 2 Q.B. 450; Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670; Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838; F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41; Thomas Bates and Son Ltd. c. Wyndham’s (Lingerie) Ltd., [1981] 1 W.L.R. 505.
Citée par la juge Abella (dissidente)
H. F. Clarke Ltd. c. Thermidaire Corp., [1973] 2 O.R. 57, inf. par [1976] 1 R.C.S. 319; Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678; Hart c. Boutilier (1916), 56 D.L.R. 620; Mitchell c. MacMillan (1980), 5 Sask. R. 160; Reed Shaw Osler Ltd. c. Wilson (1981), 17 Alta. L.R. (2d) 81; Bryndon Ventures Inc. c. Bragg (1991), 82 D.L.R. (4th) 383; Dynamex Canada Inc. c. Miller (1998), 161 Nfld. & P.E.I.R. 97; Wasauksing First Nation c. Wasausink Lands Inc. (2004), 184 O.A.C. 84; Joscelyne c. Nissen, [1970] 2 Q.B. 86; Peter Pan Drive‑In Ltd. c. Flambro Realty Ltd. (1978), 22 O.R. (2d) 291, conf. par (1980), 26 O.R. (2d) 746; Graymar Equipment (2008) Inc. c. Canada (Attorney General), 2014 ABQB 154, 97 Alta. L.R. (5th) 288; I.C.R.V. Holdings Ltd. c. Tri‑Par Holdings Ltd. (1994), 53 B.C.A.C. 72; McLean c. McLean, 2013 ONCA 788, 118 O.R. (3d) 216; Swainland Builders Ltd. c. Freehold Properties Ltd., [2002] EWCA Civ 560; Co‑operative Insurance Society Ltd c. Centremoor Ltd., [1983] 2 E.G.L.R. 52; Royal Bank of Canada c. El‑Bris Ltd., 2008 ONCA 601, 92 O.R. (3d) 779; Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157; GT Group Telecom Inc., Re (2004), 5 C.B.R. (5th) 230; Oriole Oil & Gas Ltd. c. American Eagle Petroleums Ltd. (1981), 27 A.R. 411; Prospera Credit Union, Re, 2002 BCSC 1806, 32 B.L.R. (3d) 145; Wise c. Axford, [1954] O.W.N. 822; Augdome Corp. c. Gray, [1975] 2 R.C.S. 354; Consortium Capital Projects Inc. c. Blind River Veneer Ltd. (1988), 63 O.R. (2d) 761, conf. par (1990), 72 O.R. (2d) 703; Kolias c. Owners : Condominium Plan 309 CDC, 2008 ABCA 379, 440 A.R. 389; Carlson, Carlson and Hettrick c. Big Bud Tractor of Canada Ltd. (1981), 7 Sask. R. 337; Love c. Love, 2013 SKCA 31, [2013] 5 W.W.R. 662; Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; Kanji c. Canada (Attorney General), 2013 ONSC 781, 114 O.R. (3d) 1; Pallen Trust, Re, 2015 BCCA 222, 385 D.L.R. (4th) 499; 771225 Ontario Inc. c. Bramco Holdings Co. (1995), 21 O.R. (3d) 739; Canada (Attorney General) c. Juliar (2000), 50 O.R. (3d) 728; McPeake c. Canada (Attorney General), 2012 BCSC 132, [2012] 4 C.T.C. 203; Slate Management Corp. c. Canada (Attorney General), 2016 ONSC 4216; Fraser Valley Refrigeration, Re, 2009 BCSC 848, [2009] 6 C.T.C. 73, conf. par 2009 BCCA 576, 280 B.C.A.C. 317; Birch Hill Equity Partners Management Inc. c. Rogers Communications Inc., 2015 ONSC 7189, 128 O.R. (3d) 1; Binder c. Saffron Rouge Inc. (2008), 89 O.R. (3d) 54; Re : Aboriginal Diamonds Group, 2007 NWTSC 37; Zhang c. Canada (Attorney General), 2015 BCSC 1256, 2015 DTC 5084; Husky Oil Operations Ltd. c. Saskatchewan (Minister of Finance), 2014 SKQB 116, 443 Sask. R. 172; JAFT Corp. c. Jones, 2014 MBQB 59, 304 Man. R. (2d) 86, conf. par 2015 MBCA 77, 323 Man. R. (2d) 57; Capstone Power Corp. c. 1177719 Alberta Ltd., 2016 BCSC 1274; Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, art. 1425.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl .), art. 245 .
Doctrine et autres documents cités
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Simmons, Cronk et Blair), 2015 ONCA 441, 45 B.L.R. (5th) 230, 2015 DTC 5073, [2015] O.J. No. 3172 (QL), 2015 CarswellOnt 8955 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge Newbould, 2014 ONSC 7302, 123 O.R. (3d) 241, [2015] 3 C.T.C. 9, 2015 DTC 5019, 36 B.L.R. (5th) 215, [2014] O.J. No. 6086 (QL), 2014 CarswellOnt 17975 (WL Can.). Pourvoi accueilli, les juges Abella et Côté sont dissidentes.
Daniel Bourgeois et Eric Noble, pour l’appelant.
Geoff R. Hall et Chia‑yi Chua, pour les intimées.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown rendu par
Le juge Brown —
I. Introduction
[1] Ce pourvoi porte sur les conditions régissant les situations où un contribuable peut demander au tribunal d’exercer sa compétence en equity pour rectifier un instrument juridique écrit, lorsque cet instrument a eu pour effet d’entraîner une conséquence fiscale imprévue. Comme je l’expliquerai, cela implique que l’on examine la nature et les particularités des modalités que le contribuable avait l’intention de consigner dans l’instrument, si l’instrument renferme ces modalités et, dans la négative, si ces modalités sont suffisamment précises pour qu’elles puissent maintenant être incluses dans l’instrument.
[2] Ce pourvoi découle d’une entente de financement que les parties entendaient, dès sa naissance et après, exécuter en assurant la neutralité fiscale. Le mécanisme de financement choisi a fait naître une obligation fiscale imprévue. Tant le juge siégeant en cabinet de la Cour supérieure de justice de l’Ontario que la Cour d’appel de l’Ontario ont accordé la rectification demandée au motif que les parties recherchaient la neutralité fiscale.
[3] Sans contester que la neutralité fiscale fût l’intention des parties, pour les motifs qui suivent, et soit dit en tout respect, je suis d’avis que les deux juridictions inférieures ont commis une erreur en concluant que cette intention pouvait justifier l’octroi d’une rectification. Il n’y a rectification que dans les cas où l’entente entre les parties n’a pas été correctement consignée dans l’instrument qui est devenu l’expression finale de leur entente : A. Swan et J. Adamski, Canadian Contract Law (3e éd. 2012), §8.229; M. McInnes, The Canadian Law of Unjust Enrichment and Restitution (2014), p. 817. Elle n’annule pas les effets imprévus de cette entente. Par conséquent, bien que le tribunal puisse rectifier un instrument qui consigne incorrectement l’entente conclue par une partie au sujet de ce qui devait être fait, il ne peut le faire pour épargner ce qu’une partie espérait obtenir. De plus, ces règles limitant la possibilité d’obtenir une rectification sont d’application générale, notamment dans les cas où (comme en l’espèce) l’effet imprévu prend la forme d’une obligation fiscale. Plus précisément, le tribunal ne peut modifier un instrument simplement parce qu’une partie a découvert que son exécution fait naître une obligation fiscale préjudiciable et imprévue. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.
II. Aperçu des faits et de la procédure
A. Contexte
[4] L’intimée Hôtels Fairmont Inc. et ses filiales FHIW Hotel Investments (Canada) Inc. et FHIS Hotel Investments (Canada) Inc. prient la Cour de rectifier des instruments consignant une entente de financement complexe conclue en 2002 et en 2003 entre Fairmont et Legacy Hotels REIT, une fiducie canadienne d’investissement immobilier dans laquelle Fairmont détenait une participation minoritaire. Bien que le but de Fairmont en participant à cette entente de financement fût d’obtenir le contrat de gestion des deux hôtels que Legacy a acquis avec les fonds prêtés, sa participation l’a exposée à une obligation fiscale potentielle sur les opérations de change, puisque le financement était en dollars américains. Dans le but d’assurer la neutralité fiscale des opérations de change, Fairmont — par l’intermédiaire de ses filiales FHIW et FHIS — a conclu des contrats de prêts réciproques avec Legacy qui ont tous été négociés en dollars américains.
[5] Lorsque Fairmont a été acquise par Kingdom Hotels International et Colony Capital LLC en 2006, toutefois, cet objectif de neutralité fiscale des opérations de change a été contrecarré, puisque cette acquisition aurait fait subir à Fairmont et à ses filiales une perte sur change présumée, sans gains sur change correspondants, par suite de l’entente de financement conclue avec Legacy. Fairmont, Kingdom Hotels et Colony Capital ont convenu d’un [traduction] « plan modifié » qui permettait à Fairmont, mais non à ses filiales, de réaliser ses gains et ses pertes en 2006, la protégeant ainsi totalement du risque d’être tenue à une obligation fiscale prospective sur les opérations de change. L’idée de protéger de la même façon les filiales a été reportée à plus tard, sans plan précis quant à savoir comment elle pourrait être menée à bien.
[6] En 2007, Legacy a demandé à Fairmont de résilier [traduction] « de toute urgence » les contrats de prêts réciproques de façon à permettre la vente des hôtels. Quatre jours plus tard, et supposant à tort que la question de la neutralité fiscale des opérations de change des filiales avait été réglée, Fairmont a accédé à la demande de Legacy en rachetant les actions qu’elle détenait dans ses filiales au moyen de résolutions adoptées par les administrateurs de FHIW et de FHIS. Cette opération a fait naître une obligation fiscale imprévue, découverte seulement après que l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») eut vérifié les déclarations de revenus de 2007 de FHIW et de FHIS et ait questionné Fairmont au sujet de ces déclarations.
[7] Les intimées veulent maintenant soustraire Fairmont à cette obligation en priant la Cour de rectifier les résolutions adoptées en 2007 par les administrateurs de FHIW et de FHIS. Plus précisément, elles désirent convertir le rachat des actions par Fairmont en un prêt au moyen duquel FHIW et FHIS prêteront à Fairmont la même somme qu’elles lui ont versée pour le rachat des actions.
B. Historique judiciaire
(1) Cour supérieure de justice — Le juge Newbould (2014 ONSC 7302, 123 O.R. (3d) 241)
[8] S’appuyant sur l’arrêt Juliar c. Canada (Attorney General) (1999), 46 O.R. (3d) 104 (C.S.J.), conf. par (2000), 50 O.R. (3d) 728 (C.A.), de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge siégeant en cabinet a accueilli la demande de rectification. Il a conclu que, depuis 2002, Fairmont souhaitait que son entente de financement avec Legacy atteigne la neutralité fiscale et que cette intention a subsisté après l’acquisition de Fairmont en 2006 par Kingdom Hotels et Colony Capital (par. 32).
[9] Le juge siégeant en cabinet a également conclu que, comme les filiales de Fairmont s’exposaient à un risque fiscal sur les opérations de change en raison de cette acquisition, Fairmont voulait régler [traduction] « ultérieurement » le problème de « la position non couverte de [FHIW] et de [FHIS] afin de préserver la neutralité fiscale [. . .], tout en n’ayant aucune idée précise de la façon dont elle s’y prendrait » (par. 33). Faisant observer (par. 42) que l’obligation fiscale a pris naissance à cause de l’inattention d’un membre de la haute direction de Fairmont, le juge siégeant en cabinet a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’« un cas où la planification fiscale a été faite rétroactivement après une vérification de l’ARC », mais plutôt d’un cas où le « rachat des actions privilégiées a été choisi par erreur comme moyen » d’« annuler les prêts de façon neutre sur le plan fiscal » (par. 43). Il a conclu que [traduction] « le rejet de la demande de rectification entraînerait un fardeau fiscal que Fairmont a cherché à éviter depuis la naissance du contrat de prêts réciproques de 2002 » tout en « donn[ant] à l’ARC un gain non intentionnel » (par. 44). Et, quoi qu’il en soit, il a souligné qu’il était lié par l’arrêt Juliar dans les circonstances (par. 41).
(2) Cour d’appel — les juges Simmons, Cronk et Blair (2015 ONCA 441, 45 B.L.R. (5th) 230)
[10] Dans de brefs motifs de jugement, la Cour d’appel a confirmé la décision du juge siégeant en cabinet et a pris note de ses conclusions concernant le fait que l’intention constante de Fairmont, dès 2002, était que son entente de financement avec Legacy soit exécutée de façon neutre sur le plan fiscal, que cette intention a subsisté après l’acquisition de Fairmont en 2006, que la conséquence fiscale négative résulte d’une erreur commise en 2007 par un membre de la haute direction de Fairmont et que l’objectif des résolutions de 2007 n’était pas de racheter les actions, mais plutôt [traduction] « d’annuler [les opérations de Legacy] de façon neutre sur le plan fiscal » (par. 7).
[11] La Cour d’appel a également formulé des commentaires sur le fardeau de la preuve qui incombe à la partie sollicitant la rectification. Selon elle, l’arrêt Juliar [traduction] « n’exige pas que la partie sollicitant la rectification ait déterminé les mécanismes ou les moyens précis par lesquels [son] intention ferme d’obtenir un résultat fiscal précis serait réalisée » (par. 10). En fait, « l’arrêt Juliar indique que la condition essentielle de la rectification est la preuve d’une intention constante et précise d’effectuer une ou des opérations sur un fondement fiscal particulier » (par. 10). En l’espèce, la Cour d’appel était donc d’avis qu’il était inutile pour Fairmont de prouver qu’elle était déterminée à se servir d’« un mécanisme opérationnel précis — des prêts — pour atteindre le résultat fiscal voulu » (par. 12). En fait, les conclusions du juge siégeant en cabinet au sujet de l’intention de Fairmont, jumelées à la directive de l’arrêt Juliar concernant l’intention préalable pour obtenir une rectification, lui permettaient de trancher la demande en faveur des intimées.
III. Analyse
A. Principes généraux et application de la rectification
[12] Si, par erreur, un instrument juridique ne correspond pas à la véritable entente qu’il était censé consigner — parce qu’une modalité a été omise, qu’une modalité non voulue a été incluse ou qu’une modalité exprime incorrectement l’entente des parties — le tribunal peut exercer sa compétence en equity pour rectifier l’instrument de façon à ce qu’il corresponde à la véritable entente entre les parties. Autrement dit, la rectification permet au tribunal d’assurer la correspondance entre l’entente des parties et le contenu d’un instrument juridique visant à consigner cette entente lorsqu’il y a une divergence entre les deux. Elle a pour but de donner effet aux véritables intentions des parties, plutôt qu’à une transcription erronée de ces véritables intentions (Swan et Adamski, §8.229).
[13] Comme la rectification permet aux tribunaux de réécrire ce que les parties voulaient initialement que soit l’expression finale de leur entente, elle constitue [traduction] « une réparation puissante » (Snell’s Equity (33e éd. 2015), par J. McGhee, p. 417‑418). Comme la Cour l’a maintes fois affirmé (Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157, par. 56, citant Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678, par. 31), elle doit être utilisée « avec grande prudence », puisque « [t]out assouplissement de l’application de la rectification qui en ferait un substitut à l’exercice de diligence raisonnable lors de la signature d’un document aurait pour effet d’ébranler la confiance du monde des affaires à l’égard des contrats écrits » : Performance Industries, par. 31. Il convient de réitérer que la rectification se fait uniquement dans les cas où un instrument écrit a consigné incorrectement l’entente antérieure entre les parties (Swan et Adamski, §8.229). La rectification ne vise pas les erreurs commises simplement lors de la formation de cette entente antérieure : E. Peel, The Law of Contract (14e éd. 2015), par. 8‑059; Mackenzie c. Coulson (1869), L.R. 8 Eq. 368, p. 375 ([traduction] « Les tribunaux d’equity ne rectifient pas les contrats; ils peuvent rectifier et rectifient les instruments »). Bref, la rectification ne peut être accordée lorsqu’elle est fondée sur le désir de l’une des parties ou des deux de modifier non pas l’instrument consignant leur entente, mais l’entente elle‑même. Plus important encore pour le présent pourvoi, et comme la Cour l’a dit dans l’arrêt Performance Industries (par. 31), « [l]a tâche des tribunaux dans une affaire de rectification [. . .] consiste à reconstituer le marché original conclu par les parties, et non à rectifier une erreur de jugement qu’une partie aurait reconnue tardivement ».
[14] Hormis ces lignes directrices générales, la nature de l’erreur doit être prise en compte : Swan et Adamski, §8.233. Deux sortes d’erreur peuvent donner ouverture à une rectification. La première survient lorsque les deux parties souscrivent à un instrument sur la foi d’une erreur commune selon laquelle il consigne correctement les modalités de l’entente antérieure. En pareilles circonstances, une ordonnance de rectification sera rendue si le demandeur démontre que les parties étaient parvenues à une entente antérieure dont les modalités sont déterminées et déterminables, que l’entente était toujours en vigueur lors de la signature de l’instrument, que l’instrument ne consigne pas correctement l’entente antérieure et que s’il est rectifié tel que proposé, l’instrument exécuterait l’entente : Ship M. F. Whalen c. Pointe Anne Quarries Ltd. (1921), 63 R.C.S. 109, p. 126; McInnes, p. 820; Snell’s Equity, p. 424; Hanbury and Martin Modern Equity (20e éd. 2015), par J. Glister et J. Lee, p. 848‑849; Hart c. Boutilier (1916), 56 D.L.R. 620 (C.S.C.), p. 622.
[15] Dans l’arrêt Performance Industries (par. 31) et de nouveau dans Shafron (par. 53), la Cour a confirmé qu’il peut également y avoir rectification lorsque l’erreur invoquée est unilatérale — soit parce que l’instrument officialise un acte unilatéral (comme la création d’une fiducie), soit parce que (comme dans Performance Industries et Shafron) l’instrument vise à consigner l’entente intervenue entre les parties, mais que l’une d’entre elles dit que l’instrument ne le fait pas correctement, alors que l’autre affirme le contraire. Dans Performance Industries (par. 31), la rectification de l’erreur unilatérale putative a été assujettie à « certains préalables rigoureux » : plus précisément, que la partie qui s’oppose à la rectification connaissait ou aurait dû connaître l’existence de l’erreur et que le fait de permettre à cette partie de tirer profit de l’erreur constituerait « une fraude ou l’équivalent d’une fraude » (par. 38).
B. L’arrêt Juliar
[16] Comme je l’ai déjà dit, les deux juridictions inférieures ont estimé que l’arrêt Juliar de la Cour d’appel, jumelé aux conclusions du juge siégeant en cabinet, permettaient de trancher le pourvoi. À mon humble avis, toutefois, l’arrêt Juliar est incompatible avec la jurisprudence de la Cour et les circonstances très restreintes auxquelles la Cour a limité le recours en rectification.
[17] Dans l’affaire Juliar, les parties avaient, au moyen d’une entente écrite et dans le cadre de la restructuration d’une entreprise familiale, transféré leurs actions à une autre entreprise en échange de billets à ordre d’un montant égal à la valeur des actions estimée par les parties. Après avoir découvert que la valeur des billets à ordre était supérieure à celle des actions (de sorte que la partie assujettie à l’impôt a fait l’objet d’une cotisation comme si elle avait reçu un dividende réputé imposable), les parties ont sollicité une rectification afin de convertir ce qui avait été initialement structuré comme un transfert d’actions en contrepartie de billets à ordre en un échange d’actions (dont l’imposition aurait été reportée). S’exprimant pour la Cour d’appel, et citant l’arrêt Re Slocock’s Will Trusts, [1979] 1 All E.R. 358 (Div. chanc.), le juge Austin a conclu que l’entente écrite pouvait être rectifiée telle qu’on l’avait demandé et a cité la conclusion du juge de première instance selon laquelle les parties avaient [traduction] « une intention commune constante » de transférer les actions de façon à éviter toute obligation fiscale immédiate (par. 19). Le juge Austin a affirmé que pour atteindre cet objectif, il fallait « procéder à un échange d’actions » (par. 25).
[18] Ce raisonnement présente plusieurs difficultés. Premièrement, comme bon nombre de commentateurs l’ont fait remarquer, il est indéniable que l’arrêt Juliar a assoupli les exigences à respecter pour obtenir une rectification, et qu’il a élargi en conséquence la portée des cas où la rectification peut être sollicitée et accordée au‑delà de celle permise par les principes applicables (C. Brown et A. J. Cockfield, « Rectification of Tax Mistakes Versus Retroactive Tax Laws : Reconciling Competing Visions of the Rule of Law » (2013), 61 Rev. fisc. can. 563, p. 571; N. Brooks et K. Brooks, « The Supreme Court’s 2013 Tax Cases : Side‑Stepping the Interesting, Important and Difficult Issues » (2015), 68 S.C.L.R. (2d) 335, p. 385; K. Janke‑Curliss et autres, « Rectification in Tax Law : An Overview of Current Cases », dans Tax Dispute Resolution, Compliance, and Administration in Canada (2013), 21:1, p. 21:8 et 21:9).
[19] Je souscris à cette observation. Comme je l’ai souligné, il est possible de recourir à la rectification pour corriger non pas une erreur de jugement commise par une partie dans la conclusion d’une entente en particulier, mais une erreur dans la consignation de cette entente dans un instrument juridique. Autrement dit, la rectification fait correspondre l’instrument avec ce que les parties ont convenu de faire, et non avec, en rétrospective, ce qu’elles auraient dû convenir de faire. Dans l’affaire Juliar, toutefois, l’erreur des parties ne résidait pas dans la consignation de l’entente dont elles avaient convenu, soit de transférer des actions en contrepartie d’un billet à ordre, mais plutôt dans le fait d’avoir choisi ce mécanisme au lieu d’un échange d’actions. En accordant le changement de mécanisme sollicité après coup, la Cour d’appel a, dans Juliar, voulu « rectifier » non seulement l’instrument consignant l’entente antérieure des parties, mais l’entente elle‑même, dans la mesure où elle ne permettait pas d’atteindre le résultat voulu, ou entraînait une conséquence fâcheuse imprévue — c’est‑à‑dire, dans la mesure où elle résultait d’une erreur de jugement. Comme l’a fait remarquer J. Berryman (dans The Law of Equitable Remedies (2e éd. 2013), p. 510) :
[traduction] Dans Juliar, les demandeurs avaient agi directement sur le conseil de leur comptable. Le comptable s’est mépris sur la nature du capital‑actions de l’entreprise et sur l’impôt qui avait été payé avant la formation de l’entente qu’il avait conseillé à ses clients de conclure. Il n’y a pas lieu d’accorder la rectification en l’espèce. Les clients entendaient utiliser le document que leur comptable leur avait remis. Leur motivation était peut‑être d’éviter de payer de l’impôt, mais celle‑ci est différente de leur intention, qui était d’utiliser le formulaire dont ils disposaient.
[20] Deuxièmement, même si l’on tient compte des énoncés de l’arrêt Juliar comme tels, cet arrêt élargit le recours en rectification d’une façon qui ne saurait être justifiée. En effet, dans l’affaire sur laquelle s’est fondé le juge Austin, Re Slocock’s Will Trusts, la demanderesse était bénéficiaire d’un intérêt viager sur le reliquat de la succession de son père, dont le capital et le revenu devaient être transmis, après le décès de la demanderesse, aux descendants qu’elle désignerait. Elle a désigné ses enfants. Plus tard, les terres appartenant à la famille de son père ont été vendues à une société de développement, et le produit de la vente a été versé à une société de gestion et réparti par celle‑ci. La société de gestion a émis au nom de la demanderesse des actions en proportion de son intérêt dans le produit. Après avoir discuté avec un conseiller juridique, la demanderesse et ses enfants ont décidé qu’elle devrait céder par acte sa participation viagère dans ce produit ainsi que ses actions dans la société de gestion (p. 359‑360). Toutefois, l’acte ne consignait pas fidèlement l’entente des parties, car il ne prévoyait que la renonciation de la demanderesse à ses actions dans la société de gestion, et non la renonciation à son intérêt bénéficiaire dans le produit de la vente (p. 360).
[21] Bien que le résultat recherché par la demanderesse et ses enfants aurait également assuré un avantage fiscal aux enfants (plus précisément, éviter de payer des droits de cession au décès de la demanderesse), le juge Graham a accordé la rectification non pas pour assurer cet avantage fiscal, mais sur la foi de sa conclusion (Re Slocock’s Will Trusts, p. 361) selon laquelle l’acte tel que rédigé passait sous silence le produit de la vente des terres, et ne consignait donc pas entièrement les modalités de l’entente initiale entre les parties. Par conséquent, le juge a appliqué la doctrine de la rectification dans son sens ordinaire pour corriger une omission dans l’instrument consignant l’entente antérieure. Rien dans l’arrêt Re Slocock’s Will Trusts ne justifie le seuil modifié dans l’arrêt Juliar pour accorder une rectification uniquement dans le but d’éviter une obligation fiscale imprévue. L’arrêt Re Slocock’s Will Trusts a simplement confirmé que, pourvu que le mécanisme sous‑jacent au moyen duquel les parties avaient convenu de produire un résultat fiscal en particulier ait été omis ou consigné incorrectement, et pourvu que toutes les autres conditions d’octroi d’une rectification soient réunies, le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire d’accorder la rectification. L’examen est demeuré axé à bon droit sur la question de savoir si ce mécanisme dont les parties avaient convenu au départ était adéquatement constaté, et non sur la question de savoir s’il avait atteint le résultat fiscal désiré ou s’il avait produit un résultat fiscal non désiré ou imprévu pour une partie.
[22] Des décisions anglaises subséquentes confirment que l’arrêt Re Slocock’s Will Trusts n’a établi aucun critère distinct permettant d’accorder la rectification dans le contexte fiscal. Dans Racal Group Services Ltd. c. Ashmore (1995), 68 T.C. 86 (C.A.), la Cour d’appel d’Angleterre a indiqué clairement que la simple intention d’atteindre un objectif fiscal est insuffisante pour fonder une demande de rectification : [traduction] « . . . le tribunal ne peut rectifier un document simplement au motif qu’il n’a pas atteint l’objectif fiscal du concédant. L’intention précise du concédant quant à la façon dont l’objectif devait être atteint doit être démontrée pour que le tribunal ordonne la rectification » (p. 106). De même, le tribunal dans Ashcroft c. Barnsdale, [2010] EWHC 1948, [2010] S.T.C. 2544 (Div. chanc.), a conclu qu’il ne pouvait rectifier un instrument [traduction] « simplement parce qu’il n’atteint pas les objectifs fiscaux des parties » : par. 17 (en italique dans l’original). Voir aussi D. Hodge, Rectification : The Modern Law and Practice Governing Claims for Rectification for Mistake (2e éd. 2016), par. 4‑145 :
[traduction] Une simple erreur quant aux conséquences fiscales de la signature d’un document donné ne justifiera pas une ordonnance visant sa rectification. L’intention précise des parties (ou du concédant ou du covenantant) quant à la façon dont l’objectif devait être atteint doit être démontrée pour que le tribunal ordonne la rectification. [Italiques omis.]
[23] Enfin, l’arrêt Juliar ne tient pas compte de la directive donnée par la Cour dans Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 45, selon laquelle un contribuable devrait s’attendre à être imposé « en fonction de ce qu’il a fait, et non de ce qu’il aurait pu faire ». Bien que cet énoncé dans Shell Canada ait été appliqué à l’appui de la proposition qu’un contribuable ne devrait pas se voir refuser un objectif fiscal sollicité après coup simplement parce que d’autres ne se sont pas prévalus du même avantage, il joue également dans l’autre sens : les contribuables ne devraient pas se voir accorder un avantage par les tribunaux uniquement sur la base de ce qu’ils auraient fait s’ils avaient su.
[24] Cela m’amène à l’argument des intimées selon lequel [traduction] « [l]a rectification est nécessaire pour [. . .] éviter que la Couronne ne s’enrichisse sans cause » (m.i., par. 76), qui reprend la préoccupation exprimée par la Cour d’appel dans Juliar (par. 33‑34, citant Re Slocock’s Will Trusts, p. 363) à l’égard du [traduction] « gain accidentel et inattendu » de la Couronne et la préoccupation du juge siégeant en cabinet dans la présente affaire (par. 44) au sujet du « gain non intentionnel » de l’ARC et (par. 52) du « gain fiscal fortuit » de la Couronne. Soit dit en tout respect, la prémisse de ces préoccupations n’a rien à voir avec la question qui nous occupe, dans la mesure où elle concerne l’ARC. Les conséquences fiscales, y compris celles qui font suite à une cotisation de l’ARC, découlent directement d’ententes juridiques librement choisies, et non des effets recherchés ou non recherchés de ces ententes, peu importe que ce soit le contribuable ou le trésor public qui les subissent. La question qui se pose en l’espèce ne concerne pas plus le « gain fortuit » du trésor public lorsqu’un contribuable perd un avantage qu’elle ne concerne le « gain fortuit » du contribuable lorsqu’il obtient un avantage. Il s’agit plutôt de savoir ce que le contribuable a convenu de faire. L’arrêt Juliar s’est écarté à tort de ce principe et, ce faisant, il a autorisé une planification fiscale rétroactive inadmissible : Harvest Operations Corp. c. Canada (Attorney General), 2015 ABQB 327, [2015] 6 C.T.C. 78, par. 49.
C. Deux autres préoccupations
[25] Avant d’appliquer le critère de rectification — critère qui, je le souligne, doit être appliqué dans un contexte fiscal exactement de la même manière que dans un contexte non fiscal — aux faits du présent pourvoi, je me pencherai sur deux questions qui nécessitent des précisions, dont la première a été soulevée par les intimées.
(1) L’« intention commune constante » d’éviter une obligation fiscale
[26] Les intimées font valoir que, dans le cas d’une erreur commune, il n’est pas nécessaire pour la partie qui sollicite la rectification de prouver l’existence d’une entente antérieure relative à la ou aux modalités dont la rectification est demandée. Elles affirment plutôt que la preuve d’une [traduction] « intention commune constante » — en l’espèce, leur intention commune constante que la valeur des actions dans FHIW et FHIS devrait être transférée d’une façon qui permettrait d’échapper à une obligation fiscale immédiate — devrait suffire à accorder une rectification.
[27] Évidemment, ce point de vue était aussi celui de la Cour d’appel, tant dans l’arrêt Juliar que dans le présent pourvoi. Les intimées se sont également appuyées sur l’arrêt Joscelyne c. Nissen, [1970] 2 Q.B. 86, dans lequel la Cour d’appel d’Angleterre (p. 95) a approuvé l’affirmation suivante du juge Simonds dans Crane c. Hegeman‑Harris Co., [1939] 1 All E.R. 662 :
[traduction] . . . pour que le tribunal puisse exercer son pouvoir de rectifier un instrument écrit, il n’est pas nécessaire de conclure à l’existence d’un contrat conclu et exécutoire entre les parties qui précède l’entente dont la rectification est sollicitée. [. . .] [I]l suffit de conclure à l’existence d’une intention commune constante à l’égard d’une clause ou d’un aspect précis de l’entente. Si l’on conclut, à l’égard d’un point en particulier, que les parties étaient d’accord jusqu’au moment où elles ont signé leur instrument officiel, et que cet instrument officiel ne correspond pas à cette entente commune, notre cour a compétence pour accorder la rectification, bien qu’il se peuve qu’avant la signature de l’instrument officiel, aucun contrat exécutoire entre les parties n’ait été conclu. [p. 664]
[28] L’affirmation de l’arrêt Joscelyne sur le caractère suffisant d’une intention commune constante a été adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario dans Wasauksing First Nation c. Wasausink Lands Inc. (2004), 184 O.A.C. 84, par. 77, et par la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador dans Dynamex Canada Inc. c. Miller (1998), 161 Nfld. & P.E.I.R. 97 (C.A.), par. 23 et 27. Toutefois, il n’est pas évident à première vue que cette affirmation étaye la thèse des intimées en l’espèce. Dans Joscelyne, la cour parle d’une [traduction] « intention commune constante à l’égard d’une clause ou d’un aspect précis de l’entente », et de la découverte après coup que « l’instrument officiel ne correspond pas à cette entente commune », ce qui donne fortement à penser que — peu importe le nombre de fois où l’arrêt Joscelyne a été considéré comme suggérant le contraire par les tribunaux canadiens — cet arrêt n’établit pas que, dans le cas d’une erreur commune, quelque chose de moins qu’une entente antérieure à propos de la modalité à rectifier suffit pour accorder une rectification. Bien que l’arrêt Joscelyne ouvre la porte aux situations où un contrat ne sera pas exécutoire avant la signature d’un instrument écrit correspondant (par exemple, dans le cas du transfert d’un intérêt dans un bien immobilier) et à celles où les parties ne se sont peut‑être pas entendues sur toutes les conditions essentielles avant la signature de l’instrument écrit, cela ne diminue en rien son affirmation implicite selon laquelle la rectification nécessite que les parties démontrent l’existence d’une entente antérieure à propos de la ou des modalités dont la rectification est demandée.
[29] Quoi qu’il en soit, on ne doit pas considérer que l’arrêt Joscelyne autorise tout écart par rapport à la directive de la Cour selon laquelle la partie qui cherche à corriger un instrument écrit erronément rédigé sur le fondement d’une erreur commune doit d’abord démontrer qu’il ne correspond pas à une entente antérieure au sujet de la modalité en cause. Dans Shafron, la Cour a rejeté sans équivoque l’idée qu’il suffit de démontrer de simples intentions pour fonder une rectification, insistant plutôt sur des modalités mal consignées. Comme le juge Denning l’a affirmé dans Frederick E. Rose (London) Ld. c. William H. Pim Jnr. & Co., [1953] 2 Q.B. 450 (C.A.), p. 461 (cité dans Shafron, par. 52) :
[traduction] La rectification concerne les contrats et les documents, et non les intentions. Pour obtenir une rectification, il faut démontrer que les parties étaient parfaitement d’accord sur les stipulations du contrat, mais qu’elles ont fait une erreur lorsqu’elles les ont consignées par écrit; et il n’y a pas davantage lieu à cet égard, pour établir les conditions du contrat conclu, de sonder la pensée des parties — de sonder leurs intentions — qu’il n’y a lieu de le faire à propos de la formation de tout autre contrat.
[30] L’affirmation de la Cour dans l’arrêt Performance Industries (par. 31) selon laquelle « [l]a rectification est fondée sur l’existence d’un contrat verbal préalable dont les conditions sont déterminées et déterminables » va dans le même sens. Encore une fois, le fait est que la rectification corrige la consignation d’une entente (visant en l’espèce à racheter des actions) dans un instrument. La rectification ne se fait pas simplement parce qu’une entente n’a pas produit l’effet voulu (en l’espèce, la neutralité fiscale) — peu importe si l’intention d’obtenir cet effet était « commune » et « constante ».
[31] À cet égard, ma collègue la juge Abella s’appuie sur la conclusion du juge siégeant en cabinet [traduction] « qu’en 2006, au moment de procéder à l’opération, Fairmont entendait régler ultérieurement le problème de la position non couverte de [FHIW et de FHIS] sans incidences fiscales ou comptables, tout en n’ayant aucune idée précise de la façon dont elle s’y prendrait » (par. 33, cité par la juge Abella au par. 87). Avec égards toutefois, je suis d’avis que le juge siégeant en cabinet a eu tort d’accorder quelque importance que ce soit à cette conclusion. La rectification ne corrige ni les erreurs de jugement communes qui vont à l’encontre des aspirations des parties contractantes, ni, comme en l’espèce, des « idées » imprécises; elle corrige les erreurs communes commises dans les instruments qui consignent les modalités auxquelles les parties ont convenu, judicieusement ou imprudemment, de poursuivre ces aspirations. Bien que ma collègue laisse entendre que la jurisprudence de la Cour affaiblit ce raisonnement (par. 79-85), cette même jurisprudence oblige la partie sollicitant la rectification d’un instrument à démontrer non pas une « intention » vague ou par ailleurs mal définie, mais la modalité d’une entente préalable qui n’a pas été correctement consignée dans cet instrument : Performance Industries, par. 37.
[32] Il incombe donc à la partie qui sollicite la rectification de démontrer non seulement l’erreur putative dans l’instrument, mais également la façon dont l’instrument devrait être rectifié afin de consigner correctement ce que les parties avaient l’intention de faire. « La tâche des tribunaux dans une affaire de rectification est de corriger et non de faire des supputations » : Performance Industries, par. 31. Par conséquent, lorsqu’une partie cherche à rectifier un instrument consignant une mesure convenue, elle doit indiquer les modalités qui ont été omises ou consignées incorrectement et qui, si elles étaient correctement consignées, seraient suffisamment précises pour constituer les modalités d’une entente exécutoire. L’inclusion de modalités imprécises dans un instrument n’est pas, à elle seule, suffisante pour obtenir une rectification; sans preuve de ce que les parties avaient précisément convenu de faire, il n’est pas possible de recourir à la rectification. Bien qu’une imprécision puisse justifier l’annulation d’un instrument, elle ne peut amener les tribunaux à conclure à l’existence d’une entente lorsqu’il n’y en a pas. C’est pour cette raison que la Cour a, dans l’arrêt Shafron, refusé d’exécuter la clause restrictive couvrant « l’agglomération de la ville de Vancouver ». L’expression était imprécise, mais « rien ne permet[tait] de croire que les parties auraient convenu d’une chose, puis inscrit par erreur quelque chose d’autre dans le contrat écrit » : Shafron, par. 57.
[33] Comme il appert des motifs de mon collègue le juge Wagner dans l’arrêt Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670, à cet égard, l’equity et le droit civil vont dans le même sens, malgré le fait que chaque système juridique arrive à une même conclusion par des voies différentes — le premier visant la correction du document, et le dernier étant axé sur son interprétation. Cette convergence est indubitablement souhaitable dans l’application des lois fiscales fédérales. Plus particulièrement, la mise en garde formulée par la Cour dans Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838, par. 54, concernant l’« intention commune » à titre de facteur pour réécrire les ententes des parties en vertu de l’art. 1425 du Code civil du Québec — mise en garde sur laquelle s’est fondé expressément le juge Wagner dans Jean Coutu (par. 21) — est tout aussi pertinente dans l’application de la doctrine de la rectification en equity :
En effet, les contribuables ne devraient pas interpréter [cela] comme une invitation à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses, en se disant qu’il leur sera toujours possible de refaire leurs contrats rétroactivement en cas d’échec de ces planifications. L’intention d’un contribuable de réduire ses obligations fiscales ne saurait à elle seule constituer l’objet de l’obligation au sens de l’art. 1373 C.c.Q., compte tenu de son caractère insuffisamment déterminé ou déterminable, ni même l’objet du contrat au sens de l’art. 1412 C.c.Q. En l’absence d’un objet plus précis et mieux défini, aucun contrat ne serait formé. L’article 1425 ne pourrait dans un tel cas être invoqué pour justifier la recherche de l’intention commune des parties afin de lui donner effet, malgré les termes des écrits préparés pour la constater.
(2) Norme de preuve
[34] Le deuxième point qui nécessite des précisions est la norme de preuve. Dans l’arrêt Performance Industries, par. 41, la Cour a conclu que la partie qui sollicite une rectification devra satisfaire à tous les éléments du critère applicable par une « preuve convaincante », qui est décrite comme « une preuve qui peut être bien inférieure à la norme applicable en matière criminelle, mais qui excède toutefois la preuve qui satisfait péniblement à la norme de la “prépondérance des probabilités” applicable en matière civile ». Comme l’a fait observer la Cour dans Performance Industries, il s’agit là d’un assouplissement de la norme établie dans la jurisprudence antérieure de la Cour, où la norme de preuve en matière criminelle a été appliquée : voir Ship M. F. Whalen, p. 127; Hart, p. 630, le juge Duff.
[35] Cependant, à la lumière de l’énoncé plus récent de la Cour dans l’arrêt F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41, par. 40, selon lequel il n’existe, « en common law, qu’une seule norme de preuve en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités », il faut évidemment se demander si la description de la norme — selon laquelle les éléments du critère à satisfaire pour obtenir la rectification doivent être prouvés — donnée par la Cour dans Performance Industries s’applique toujours.
[36] À mon sens, la norme de preuve applicable à la preuve présentée à l’appui d’une demande de rectification est celle qui est désignée dans l’arrêt McDougall comme la norme généralement applicable à toutes les affaires civiles : la prépondérance des probabilités. Or, cela désigne simplement la norme, et non la qualité de la preuve nécessaire pour satisfaire à cette norme. Comme la Cour l’a également dit dans McDougall (par. 46), « la preuve doit toujours être claire et convaincante ». Il sera difficile pour la partie qui sollicite la rectification de satisfaire à cette norme, car la preuve doit convaincre le tribunal que la véritable substance de son intention unilatérale ou de son entente avec une autre partie n’a pas été consignée correctement dans l’instrument auquel elle a néanmoins souscrit. Le tribunal exigera généralement une preuve très claire, convaincante et solide avant de permettre que les modalités d’un instrument écrit soient remplacées par celles qui constateraient la véritable intention des parties, si elle a été exprimée uniquement de vive voix. Cette idée a été utilement résumée dans le contexte d’une demande de rectification d’une erreur commune par le juge Brightman dans l’arrêt Thomas Bates and Son Ltd. c. Wyndham’s (Lingerie) Ltd., [1981] 1 W.L.R. 505 (C.A.), p. 521 :
[traduction] La norme de preuve à laquelle il faut satisfaire dans une action en rectification pour établir l’intention commune des parties est, à mon sens, la norme civile de la prépondérance des probabilités. Or, puisque l’intention commune présumée contredit l’instrument écrit, une preuve convaincante est nécessaire pour pouvoir contrebalancer la preuve solide de l’intention des parties exprimée par l’instrument lui‑même. J’estime qu’il ne s’agit pas d’une norme de preuve élevée, différente de la norme civile ordinaire, mais de l’exigence nécessaire en matière de preuve pour contrebalancer la probabilité inhérente que l’instrument écrit représente véritablement l’intention des parties puisqu’il s’agit d’un document signé par les parties.
[37] En somme, bien que la norme de preuve applicable soit la prépondérance des probabilités, l’objectif essentiel dans l’arrêt Performance Industries demeure pertinent, soit (par. 42) « de renforcer l’utilité des ententes écrites en prévenant une “avalanche” d’affaires limites qui affaibliraient des exigences perçues à juste titre comme de rigoureux préalables à la rectification ».
D. Application au présent pourvoi
[38] En résumé, la rectification est une réparation en equity visant à corriger les erreurs dans la consignation de modalités dans des instruments juridiques écrits. Lorsqu’on allègue que l’erreur découle d’une erreur commune à toutes les parties à l’entente, le tribunal peut accorder la rectification s’il est convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, il y avait une entente antérieure dont les modalités sont déterminées et déterminables, que l’entente était toujours en vigueur au moment de la signature de l’instrument, que l’instrument ne consigne pas correctement l’entente et que l’instrument, s’il est rectifié, exécuterait l’entente antérieure des parties. Dans le cas d’une erreur unilatérale, la partie qui sollicite la rectification doit également démontrer que l’autre partie connaissait ou aurait dû connaître l’existence de l’erreur et que le fait de permettre à l’autre partie de tirer profit de cette entente mal rédigée constituerait une fraude ou l’équivalent d’une fraude.
[39] Une application pure et simple de ces principes au présent pourvoi mène inévitablement à la conclusion que la demande de rectification des intimées aurait dû être rejetée, puisqu’elles n’ont pu démontrer qu’elles avaient conclu une entente antérieure dont les modalités étaient déterminées et déterminables. J’ai déjà souligné (1) la conclusion du juge siégeant en cabinet selon laquelle, en 2006, Fairmont entendait régler le problème de la « position non couverte de [FHIW et de FHIS] sans incidences fiscales et comptables, tout en n’ayant aucune idée précise de la façon dont elle s’y prendrait » (par. 33); (2) la description par la Cour d’appel de l’intention de Fairmont comme étant celle « d’annuler [les opérations de Legacy] de façon neutre sur le plan fiscal » (par. 7). Il est donc clair que Fairmont comptait limiter, voire éviter complètement, son obligation fiscale en annulant les opérations de Legacy. Et le rachat des actions en 2007 a contrecarré cette intention. Sans plus, toutefois, ces faits ne justifient pas l’octroi d’une rectification. L’erreur commise par les juridictions inférieures va de pair avec le vice principal que j’ai relevé dans le raisonnement de la Cour d’appel dans l’arrêt Juliar. La rectification n’est pas équivalente en equity à un deuxième essai. Les tribunaux rectifient des instruments qui ne consignent pas correctement une entente. Ils ne « rectifient » pas les ententes dont la consignation fidèle dans un instrument a mené à un résultat indésirable ou par ailleurs imprévu.
[40] Dans le même ordre d’idées, les intimées ne démontrent pas comment l’intention de Fairmont, qu’elle partageait de manière constante avec FHIW et FHIS, devait être réalisée selon des modalités déterminées et déterminables tout en annulant les opérations de Legacy. Le mémoire des intimées renvoie au [traduction] « plan initial de 2006 », mais ce plan n’était pas seulement imprécis. Il ne s’agissait même pas en fait d’un plan. Ce n’était tout au plus qu’un désir incomplet de protéger, par des moyens non précisés, FHIW et FHIS contre une obligation fiscale sur les opérations de change.
[41] La demande de rectification des intimées ne satisfait donc pas à la première exigence. Elles n’ont démontré aucune entente antérieure dont les modalités étaient déterminées et déterminables.
IV. Conclusion et dispositif
[42] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, avec dépens devant la Cour et les juridictions inférieures.
Version française des motifs des juges Abella et Côté rendus par
[43] La juge Abella (dissidente) — Je conviens qu’il n’y a pas lieu de modifier le test de rectification lorsque l’affaire en cause est de nature fiscale. Avec égards, toutefois, je ne partage pas l’opinion que ce test n’a pas été respecté en l’espèce.
[44] La doctrine de la rectification comporte de multiples facettes. La jurisprudence en la matière traite des erreurs de transcription et d’exécution de documents, de différents types d’erreurs, des droits des tiers et de la façon dont la réparation s’applique dans divers contextes juridiques. L’approche cohérente adoptée à l’égard de toutes ces facettes découle de la théorie sous‑jacente qu’on ne devrait pas empêcher les parties de réaliser leurs véritables intentions en raison de telles erreurs. La rectification est, après tout, une réparation en equity visant à prévenir l’injustice qui découle du fait d’avoir donné effet à une erreur, y compris l’injustice inhérente à l’enrichissement injustifié et aux gains fortuits.
[45] J’estime que l’approche adoptée par mon collègue restreint indûment la portée de cette réparation. L’intention commune, constante, déterminée et déterminable de réaliser une opération sans incidences fiscales satisfait habituellement au seuil d’octroi d’une rectification. L’exigence supplémentaire selon laquelle les parties doivent désigner clairement le mécanisme précis au moyen duquel elles ont l’intention d’atteindre la neutralité fiscale, ainsi que la manière dont ce mécanisme a été incorrectement transcrit dans le document, a pour effet de hausser le seuil et de contrecarrer l’objet de la réparation. Cette exigence a également l’effet regrettable d’accorder une réparation plus restreinte en common law que celle qui existe en droit civil.
[46] Le juge saisi de la demande a conclu que l’intention des parties avait été mal réalisée et que la rectification était justifiée. La Cour d’appel a souscrit à cette conclusion. Tout comme moi. Compte tenu des conclusions de fait et de la jurisprudence applicable, le seuil a été respecté. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Contexte
[47] Hôtels Fairmont Inc. est une société de gestion hôtelière. En 2002 et 2003, Fairmont a consenti à aider Legacy Hotels REIT, une fiducie canadienne d’investissement immobilier dans laquelle elle possédait une participation minoritaire, à financer l’achat de deux hôtels situés à Washington (D.C.) et à Seattle (Washington). Pour des raisons fiscales, Legacy n’a pas acquis directement les hôtels. Legacy et Fairmont ont plutôt élaboré une structure complexe de prêts réciproques, en dollars américains, au moyen de laquelle chacune prêtait de l’argent à l’autre par l’entremise de ses filiales. La structure de prêts réciproques a été conçue pour que Fairmont ou ses filiales ne réalisent aucun gain ou perte sur change. Elle devait rester en place pendant 10 ans.
[48] En 2006, Fairmont a été acquise par deux sociétés, Kingdom Hotels International et Colony Capital LLC. Les conseillers fiscaux de Fairmont se sont rendu compte que le changement de contrôle ferait immédiatement subir à Fairmont et à ses filiales des pertes sur change nettes. Dans une note de service datée du 3 mars 2006, ils ont donc proposé au départ un plan visant à protéger Fairmont et ses filiales de ces pertes. Selon ce plan, la structure de prêts réciproques pourrait être ultérieurement dénouée au moyen d’un rachat d’actions privilégiées, et ce, sans provoquer de gains sur change imposables. Toutefois, les conseillers fiscaux de Kingdom Hotels et de Colony Capital ont dit craindre que ce plan pose d’autres problèmes fiscaux.
[49] Fairmont, Kingdom Hotels et Colony Capital ont finalement convenu d’un plan modifié, décrit dans une note de service datée du 23 mars 2006, selon lequel Fairmont enregistrerait certains gains et pertes sur change accumulés tout en se prémunissant des gains et pertes à venir. Ce plan modifié ne réglait pas la question des filiales de Fairmont qui, en raison de l’acquisition, ne seraient plus protégées contre le risque de change. Fairmont savait que ses filiales risquaient de réaliser un gain sur change imposable si la structure de prêts réciproques devait plus tard être dénouée au moyen d’un rachat d’actions. Puisqu’il était prévu que la structure reste en place pendant encore plusieurs années, Fairmont a décidé qu’elle déterminerait plus tard comment elle la dénouerait sans procéder par rachat d’actions pour éviter de réaliser une perte ou un gain accumulé.
[50] En 2007, Legacy a demandé à Fairmont de mettre fin au contrat de prêts réciproques avant terme de sorte qu’elle puisse vendre les deux hôtels qu’elle avait acquis en 2003. Le vice‑président des affaires fiscales de Fairmont, qui croyait à tort que l’on avait mis en œuvre le plan initial du 3 mars 2006, a donné pour instruction aux administrateurs des filiales de Fairmont d’adopter les résolutions nécessaires pour dénouer la structure de prêts réciproques au moyen d’un rachat d’actions. Les administrateurs ont adopté les résolutions mettant en œuvre le rachat des actions privilégiées le 14 septembre 2007.
[51] Le rachat d’actions n’aurait entraîné aucune incidence fiscale si l’on avait effectivement exécuté le plan initial. Cette erreur a engendré une obligation fiscale beaucoup plus importante que prévu.
[52] Fairmont a eu vent de l’erreur à la suite d’une vérification effectuée par l’Agence du revenu du Canada. Elle a demandé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario de rectifier les résolutions du 14 septembre 2007 par lesquelles les administrateurs avaient autorisé le rachat des actions privilégiées. Le juge Newbould a accordé la rectification de ces résolutions au motif que Fairmont n’avait jamais eu l’intention de racheter les actions privilégiées et avait toujours eu l’intention de dénouer la structure de prêts réciproques sans incidences fiscales.
[53] La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel à l’unanimité (les juges Simmons, Cronk et Blair).
Analyse
[54] La rectification est une réparation en equity vieille de plusieurs siècles qui confère aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de corriger les [traduction] « erreurs d’intégration » lorsque les documents ne reflètent pas la véritable intention des parties : voir John D. McCamus, The Law of Contracts (2e éd. 2012), p. 589; voir aussi Geoff R. Hall, Canadian Contractual Interpretation Law (3e éd. 2016), p. 188‑189. En présence d’une telle erreur, [traduction] « [l]e tribunal corrige [. . .] la convention [. . .] de façon à ce qu’elle soit conforme à la véritable intention des parties » (S. M. Waddams, The Law of Contracts (6e éd. 2010), p. 240).
[55] Le pouvoir discrétionnaire dont dispose le tribunal de réaliser rétroactivement la véritable intention des parties a été décrit comme suit :
[traduction] La Cour n’écrira pas un contrat pour des gens d’affaires ou autres, mais grâce à son pouvoir d’accorder une rectification lorsque les circonstances s’y prêtent, elle transposera dans leur contrat l’intention qu’ils avaient clairement exprimée et rejettera en conséquence les demandes ou moyens de défense qui pourraient être injustement accueillis en l’absence d’une rectification, afin que les affaires puissent se dérouler de façon équitable et éthique . . .
(H. F. Clarke Ltd. c. Thermidaire Corp., [1973] 2 O.R. 57 (C.A.), p. 65, le juge Brooke, inf. pour d’autres motifs, [1976] 1 R.C.S. 319, p. 323‑324. Voir aussi Waddams, p. 240-241; G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (6e éd. 2011), p. 776; McCamus, p. 587.)
[56] Bien que le recours en rectification ait depuis longtemps été limité aux cas d’erreur commune, la Cour en a étendu la portée dans Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., [2002] 1 R.C.S. 678, de façon qu’il s’applique aux cas d’erreur unilatérale.
[57] La raison d’être du recours est que nul ne devrait pouvoir [traduction] « tirer injustement avantage de l’erreur d’autrui » : lord Goff of Chieveley et Gareth Jones, The Law of Restitution (7e éd. 2007), p. 299; voir aussi Hall, p. 190-191. C’est pourquoi la rectification [traduction] « devrait non pas être circonscrite par des règles incongrues ou artificielles, mais être appliquée au besoin en vue d’améliorer l’application des principes d’equity » : I. C. F. Spry, The Principles of Equitable Remedies (9e éd. 2014), p. 632.
[58] Le test de rectification exige des tribunaux qu’ils déterminent la véritable intention des parties :
[traduction] Pour qu’il y ait ouverture à rectification, il est nécessaire d’établir la « véritable entente » qui précède l’écrit (et n’y est pas consignée avec exactitude). Cette entente peut elle‑même être constatée par écrit, mais elle peut être verbale et n’a nullement besoin d’avoir elle‑même la force d’un contrat.
(Snell’s Equity (31e éd. 2005), par John McGhee, dir., p. 332. Voir aussi Mitchell McInnes, The Canadian Law of Unjust Enrichment and Restitution (2014), p. 820; Angela Swan et Jakub Adamski, Canadian Contract Law (3e éd. 2012), p. 772-773; Goff et Jones, p. 295; Hart c. Boutilier (1916), 56 D.L.R. 20 (C.S.C.), p. 621-622 et 630; Mitchell c. MacMillan (1980), 5 Sask. R. 160 (C.A.), par. 8; Reed Shaw Osler Ltd. c. Wilson (1981), 17 Alta. L.R. (2d) 81 (C.A.), p. 89; Bryndon Ventures Inc. c. Bragg (1991), 82 D.L.R. (4th) 383 (C.A. C.‑B.), p. 402-403; Dynamex Canada Inc. c. Miller (1998), 161 Nfld. & P.E.I.R. 97 (C.A. T.‑N.), par. 23; Wasauksing First Nation c. Wasausink Lands Inc. (2004), 184 O.A.C. 84, par. 77.)
[59] Il n’est pas non plus nécessaire que l’intention préalable des parties constitue une entente pleinement exécutoire : Joscelyne c. Nissen, [1970] 2 Q.B. 86 (C.A.), appliqué dans Peter Pan Drive‑In Ltd. c. Flambro Realty Ltd. (1978), 22 O.R. (2d) 291 (H.C.J.), conf. par (1980), 26 O.R. (2d) 746 (C.A.). Comme l’a expliqué le juge Brown (maintenant juge de notre Cour) dans Graymar Equipment (2008) Inc. c. Canada (Attorney General) (2014), 97 Alta. L.R. (5th) 288 (B.R.) :
[traduction] Il y a ouverture à rectification [. . .] même si les parties n’ont conclu aucune entente, pourvu qu’il existe une preuve suffisamment convaincante de la volonté commune des parties. [par. 36]
(Voir aussi Snell’s Equity (33e éd. 2015), par John McGhee, p. 424-425; McCamus, p. 558; Waddams, p. 243.)
[60] Cette intention doit cependant être assez claire et certaine pour que les tribunaux puissent corriger l’erreur sans avoir à conjecturer ce que les parties voulaient faire au départ : voir I.C.R.V. Holdings Ltd. c. Tri‑Par Holdings Ltd. (1994), 53 B.C.A.C. 72.
[61] Bien que les parties qui sollicitent la rectification doivent produire la preuve de leur véritable intention, elles ne sont pas tenues de fournir [traduction] « une entente expresse antérieure pour que leur demande soit accueillie » : Peter Pan Drive‑In Ltd., p. 296. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que [traduction] « les termes exacts utilisés pour exprimer l’intention commune sont sans importance » (McLean c. McLean (2013), 118 O.R. (3d) 216 (C.A.), par. 46, citant Swainland Builders Ltd. c. Freehold Properties Ltd., [2002] EWCA Civ 560, par. 34 (BAILII); voir également Co‑operative Insurance Society Ltd. c. Centremoor Ltd., [1983] 2 E.G.L.R. 52 (C.A.), p. 54, le lord juge Dillon; Snell’s Equity (33e éd. 2015), p. 426-437). Autrement dit, comme l’explique la professeure Swan :
[traduction] . . . il « suffit que [la partie] établisse une intention commune constante à l’égard de la disposition précise en question ». Il n’est pas nécessaire de circonscrire la réparation par des exigences purement techniques ni d’exiger une entente précise sur chaque aspect de l’entente comme telle pour empêcher le tribunal d’accorder la réparation alors qu’il est manifestement fondé à le faire pour éviter une injustice. [Note en bas de page omise; p. 773.]
[62] En fait, ce qui importe, c’est « qu’il [soit] possible [de] dégager » la substance de l’intention « avec un degré de certitude raisonnable » : Performance Industries, par. 47. Pour établir cette intention, les tribunaux sont libres de tirer des conclusions logiques au vu de la preuve dont ils disposent. Dans McLean, par exemple, un mari et sa femme ont transféré leur propriété à leur fils et à leur bru. La femme a ensuite demandé la rectification du protocole d’entente qui contenait les modalités du transfert au motif que le prix d’achat total était incorrect. La Cour d’appel de l’Ontario a rectifié le protocole d’entente même si le prix qui était censé y figurer n’était pas évident à première vue. La Cour d’appel a déduit le bon prix de [traduction] « l’ensemble de la preuve » et a indiqué que « [c]e n’est que lorsque les documents connexes sont examinés dans leur ensemble que l’intention des parties se dégage » : par. 60 et 62. De même, dans l’affaire Royal Bank of Canada c. El‑Bris Ltd. (2008), 92 O.R. (3d) 779 (C.A.), le propriétaire d’une entreprise a signé par erreur une garantie personnelle pour 700 000 $ ainsi qu’une hypothèque accessoire pour le même montant, alors qu’il voulait seulement créer une dette. La Cour d’appel de l’Ontario a accordé la rectification du prêt garanti et de l’hypothèque sur le fondement de la véritable intention des parties, même si les formalités des opérations correctives nécessaires n’avaient jamais été établies auparavant.
[63] Que l’erreur soit unilatérale ou commune, la rectification est, en définitive, une réparation d’equity qui vise à donner effet à la véritable intention des parties et à empêcher que des erreurs donnent lieu à des gains fortuits. La doctrine est aussi [traduction] « fondée sur de simples notions de réparation en matière d’enrichissement injustifié », à savoir qu’il serait injuste de donner effet, de façon rigide, à une erreur qui enrichit l’une des parties au détriment de l’autre : Waddams, p. 240. Comme le souligne le professeur Waddams, « [l]a doctrine est un outil de justice à la fois souple et de grande portée » (p. 243). (Voir également McInnes, p. 820-821; Fridman, p. 782-783; El‑Bris, par. 13 et 36; McLean, par. 73; Patrick Hartford, « Clarifying the Doctrine of Rectification in Canada : A Comment on Shafron v. KRG Insurance Brokers (Western) Inc. » (2013), 54 Rev. can. dr. comm. 87, p. 88.)
[64] Les principes de common law en matière de rectification ont récemment été appliqués dans Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., [2009] 1 R.C.S. 157. Cette affaire portait sur un contrat de travail qui comportait une clause restrictive interdisant à M. Shafron de travailler à titre de courtier d’assurance dans « l’agglomération de la ville de Vancouver » pendant les trois années suivant son départ de KRG Western. L’expression « l’agglomération de la ville de Vancouver » n’était pas définie en droit, mais M. Shafron croyait qu’elle désignait la ville de Vancouver, alors que KRG Western estimait qu’elle visait le district régional de Vancouver.
[65] KRG Western a demandé que l’on rectifie le contrat en substituant les termes « district régional de Vancouver » aux termes « l’agglomération de la ville de Vancouver », afin d’empêcher M. Shafron de travailler comme courtier d’assurance dans la banlieue de Richmond. La Cour a conclu qu’il n’y avait pas ouverture à rectification parce que KRG Western ne pouvait démontrer l’existence d’une entente préalable définissant l’expression « l’agglomération de la ville de Vancouver » en termes suffisamment précis.
[66] Je reconnais que l’on semble avoir le plus souvent accordé la rectification dans des cas où les modalités convenues avaient été mal transcrites, puisque l’enrichissement injustifié peut également résulter d’une erreur dans la réalisation de l’intention des parties, mais on peut aussi recourir à la rectification pour corriger les erreurs de mise en œuvre. Les tribunaux ont donc accordé la rectification demandée lorsqu’une transaction commerciale a été exécutée dans le mauvais ordre (GT Group Telecom Inc., Re (2004), 5 C.B.R. (5th) 230 (C.S.J. Ont.)), lorsqu’une erreur de calcul sous‑jacente au contrat a été commise (Oriole Oil & Gas Ltd. c. American Eagle Petroleums Ltd. (1981), 27 A.R. 411 (C.A.)), et lorsque les étapes nécessaires d’une fusion ont été mal suivies (Prospera Credit Union, Re (2002), 32 B.L.R. (3d) 145 (C.S. C.‑B.)).
[67] Que l’erreur réside dans la transcription ou dans la mise en œuvre, les tribunaux peuvent refuser d’exercer leur pouvoir discrétionnaire si la rectification serait préjudiciable aux droits des tiers (Wise c. Axford, [1954] O.W.N. 822 (C.A.)). Toutefois, la simple présence d’un tiers ne fait pas obstacle à la rectification. Dans l’arrêt Augdome Corp. c. Gray, [1975] 2 R.C.S. 354, la Cour a conclu que la présence d’un tiers ne fait obstacle à la rectification que si le tiers en question s’est effectivement fondé sur l’entente erronée. Le juge Gray a ultérieurement expliqué ce principe dans la décision Consortium Capital Projects Inc. c. Blind River Veneer Ltd. (1988), 63 O.R. (2d) 761 (H.C.J.), p. 766, conf. par (1990), 72 O.R. (2d) 703 (C.A.) : [traduction] « . . . le critère applicable est celui de savoir si le tiers s’est fondé sur le document signé et s’il a agi sur la foi de ce document ». (Voir aussi McCamus, p. 595; Spry, p. 630-631; Kolias c. Owners : Condominium Plan 309 CDC (2008), 440 A.R. 389 (C.A.); Carlson, Carlson and Hettrick c. Big Bud Tractor of Canada Ltd. (1981), 7 Sask. R. 337 (C.A.), par. 24-26.)
[68] Ce principe respecte l’un des objectifs sous‑jacents de la rectification, à savoir prévenir l’enrichissement injustifié : Waddams, p. 240; El-Bris, par. 13 et 36; McLean, par. 73. La rectification peut empêcher une partie de donner effet à une erreur et de s’enrichir injustement parce que l’autre partie s’est trompée, tout comme elle peut empêcher un tiers qui ne s’est pas fié sur l’entente de donner effet à une erreur et d’en tirer profit. Cette théorie a été exposée dans l’arrêt Love c. Love, [2013] 5 W.W.R. 662 (C.A. Sask.). La Cour d’appel de la Saskatchewan a autorisé la rectification d’un contrat d’assurance‑vie dans lequel le mari avait désigné son épouse à titre de bénéficiaire. Lorsque le couple a divorcé, le mari a rempli un nouveau formulaire afin de désigner son fils plutôt que son ex‑épouse à titre de bénéficiaire. Il s’est trompé en remplissant le document. Après son décès, son ex‑femme et son fils ont tous deux réclamé le produit de la police d’assurance. La cour a rectifié le contrat pour qu’il exprime ce qu’elle estimait être la véritable intention du mari, soit désigner son fils comme bénéficiaire.
[69] Passons maintenant au contexte fiscal.
[70] Permettre aux autorités fiscales, une tierce partie, de tirer profit des erreurs commises dans une planification fiscale légitime, alors qu’il n’a été nullement porté atteinte à ses droits, équivaut à un enrichissement injustifié. Les entreprises et les particuliers ont légalement le droit d’organiser leurs affaires de manière à réduire le plus possible leur fardeau fiscal. La règle générale anti‑évitement prévue à l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl .), par exemple, permet les opérations qui visent avant tout à éviter l’impôt, pour autant qu’elles ne contournent pas la Loi de manière abusive : Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, [2011] 3 R.C.S. 721, par. 32. Il est donc intrinsèquement inéquitable de donner effet à une erreur de transcription ou de mise en œuvre qui permettrait aux autorités fiscales de réaliser un gain fortuit.
[71] Certes, le contribuable doit s’attendre à être imposé en fonction de ce qu’il a fait, et non de ce qu’il aurait pu faire (Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 45), mais ce principe n’empêche pas l’equity de jouer un rôle lorsque la véritable intention d’une ou des parties a été mal transcrite ou réalisée.
[72] Par contre, les parties ne devraient pas pouvoir recourir sans restriction à la rectification pour procéder à une planification fiscale rétroactive. Les tribunaux ne permettront pas aux parties de revenir sur leurs décisions simplement parce qu’elles les regrettent après coup. Le fait de permettre aux parties de réécrire des documents et de réorganiser leurs affaires simplement parce qu’elles préfèrent généralement et globalement payer moins d’impôt n’est pas compatible avec les principes d’equity qui régissent la rectification.
[73] Comme l’a signalé le juge de première instance dans la décision Kanji c. Canada (Attorney General) (2013), 114 O.R. (3d) 1 (C.S.J.), [traduction] « [i]l faut aborder avec prudence les demandes de rectification fondées sur des raisons fiscales, car le bon sens nous indique que la plupart des contribuables aimeraient réduire le plus possible l’impôt à payer au gouvernement » : par 36. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a exprimé des opinions semblables dans Pallen Trust, Re (2015), 385 D.L.R. (4th) 499 :
[traduction] Une analyse axée sur les faits devrait permettre d’enrayer le « fléau social » qu’est l’évitement fiscal agressif, lorsqu’il est juste de le faire, tout en ne pénalisant pas injustement le contribuable dont le comportement est raisonnable . . . [par. 53]
[74] Comment alors la rectification devrait‑elle être vue dans le domaine fiscal? À mon avis, les deux affaires de common law les plus instructives en la matière ont été tranchées par la Cour d’appel de l’Ontario. Dans 771225 Ontario Inc. c. Bramco Holdings Co. (1995), 21 O.R. (3d) 739 (C.A.), une femme avait acquis un bien immeuble en se servant d’une société dont elle était propriétaire, car elle voulait réduire le plus possible son impôt sur le revenu. Croyant à tort qu’il s’agissait d’une société ontarienne, elle a présumé qu’elle paierait le taux d’imposition de 2 pour 100 applicable aux cessions de biens‑fonds affectés à l’habitation. Il s’est avéré que la société était assujettie à un taux de 20 pour 100. Cette erreur s’est traduite par une dette de 1,7 million de dollars plutôt que de 84 745 dollars. La cour a refusé la rectification au motif qu’il s’agissait d’une [traduction] « tentative de réécrire l’histoire afin d’obtenir un traitement fiscal plus favorable » (p. 742). L’acheteuse voulait que cette opération génère le moins d’impôt possible sur son revenu — ce qui s’est produit — et a simplement été prise de court par les droits de cession immobilière qui en ont résulté.
[75] La Cour d’appel est parvenue à un résultat différent dans l’arrêt Canada (Attorney General) c. Juliar (2000), 50 O.R. (3d) 728. Deux couples exploitaient une chaîne de dépanneurs par l’entremise d’une société dont ils étaient copropriétaires. Ils ont décidé de séparer l’entreprise entre deux sociétés distinctes de sorte que chaque couple puisse agir de façon indépendante. Ils ont cru à tort, sur le fondement d’une prémisse erronée de leur conseiller fiscal, que l’opération ne générerait sur-le-champ aucun impôt sur le revenu. Constatant qu’elle en générait un, ils ont présenté une demande de rectification. Le juge Austin a accueilli la demande, affirmant ce qui suit :
[traduction] . . . la véritable entente intervenue entre les parties en l’espèce portait sur l’acquisition de la moitié de la participation dans [. . .] l’entreprise de tabac [. . .] d’une manière qui ne génère immédiatement aucun impôt sur le revenu.
. . .
. . . De toute évidence [. . .] le partage proposé devait être réalisé sans conséquence fiscale immédiate, ou ne pas être réalisé du tout. [par. 25 et 27]
[76] La Cour d’appel a établi une distinction entre cette affaire et Bramco, expliquant que, dans le premier cas, l’intention des couples d’échapper à l’impôt sur le revenu était l’objectif premier et continu de l’opération, alors que dans l’affaire Bramco, la question des droits de cession immobilière ne s’est posée qu’une fois l’opération menée à terme.
[77] Je sais que cette distinction a suscité quelques commentaires négatifs : Lionel Smith, « Can I Change My Mind? Undoing Trustee Decisions » (2008), 27 E.T.P.J. 284, p. 289-290; Swan et Adamski, p. 768-769. J’estime toutefois que la décision de la Cour d’appel d’autoriser la rectification dans Juliar s’explique facilement par les conclusions de fait du juge saisi de la demande et découle naturellement de ces conclusions. En particulier, la décision d’accorder la rectification repose sur la conclusion de fait que les Juliar avaient l’intention constante et déterminable de réaliser l’opération sans incidences fiscales, ou de ne pas la réaliser du tout. Vu sous cet angle, l’arrêt Juliar n’a pas assoupli les normes d’application de la rectification dans le domaine fiscal. Il s’agit plutôt d’un cas d’application pure et simple du test de rectification : voir Joel Nitikman, « Many Questions (and a Few Possible Answers) About the Application of Rectification in Tax Law » (2005), 53 Rev. fisc. can. 941, p. 963.
[78] Je ne crois pas non plus que les tribunaux seront submergés par les demandes et incapables de faire la distinction entre les erreurs légitimes et les tentatives de planification fiscale rétroactive. Les tribunaux qui ont appliqué l’arrêt Juliar semblent avoir reconnu fort aisément cette distinction. La rectification a parfois été accordée (voir McPeake c. Canada (Attorney General), [2012] 4 C.T.C. 203 (C.S. C.‑B.), par. 21-22 et 46; Slate Management Corp. c. Canada (Attorney General), 2016 ONSC 4216, par. 10 et 16 (CanLII); Fraser Valley Refrigeration, Re, [2009] 6 C.T.C. 73 (C.S. C.‑B.), par. 22-24 et 48, conf. par (2009), 280 B.C.A.C. 317). Mais elle a été refusée dans d’autres cas lorsque les parties, qui souhaitaient de façon générale réduire au minimum leur fardeau fiscal, n’avaient pu démontrer que l’objectif fiscal constituait un aspect délibéré et fondamental de l’opération (Birch Hill Equity Partners Management Inc. c. Rogers Communications Inc. (2015), 128 O.R. (3d) 1 (C.S.J.), par. 32 et 40-41; Binder c. Saffron Rouge Inc. (2008), 89 O.R. (3d) 54 (C.S.J.), par. 16-18 et 22-25; Re : Aboriginal Diamonds Group, 2007 NWTSC 37, par. 38-43 (CanLII); Zhang c. Canada (Attorney General), 2015 DTC 5084 (C.S. C.‑B.), par. 21 et 34; Husky Oil Operations Ltd. c. Saskatchewan (Minister of Finance) (2014), 443 Sask. R. 172 (B.R.), par. 417 et 424-425; JAFT Corp. c. Jones (2014), 304 Man. R. (2d) 86 (B.R.), par. 31, 39 et 43-44, conf. par (2015), 323 Man. R. (2d) 57 (C.A.); Capstone Power Corp. c. 1177719 Alberta Ltd., 2016 BCSC 1274, par. 27-54 (CanLII); Kanji, par. 22 et 33).
[79] Cela nous amène à l’analyse la plus récente et, selon moi, la plus pertinente à laquelle la Cour s’est livrée sur la rectification en matière fiscale dans les pourvois connexes AES et Riopel (Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., [2013] 3 R.C.S. 838). Bien que le juge LeBel ait expressément refusé de commenter l’arrêt Juliar parce qu’il appliquait le Code civil du Québec, l’approche qu’il a adoptée à l’égard de la rectification des erreurs de planification fiscale s’accorde avec cet arrêt.
[80] Dans l’affaire AES, la société a fait l’objet d’une restructuration dans le cadre de laquelle elle avait convenu de céder 25 pour 100 de ses actions à une filiale. Elle voulait que l’opération n’entraîne aucune incidence fiscale, mais ses conseillers ont commis une erreur en calculant la valeur des actions, de sorte qu’elle s’est retrouvée avec une obligation fiscale importante, non voulue et entièrement évitable. De même, dans l’affaire connexe Riopel, un couple cherchait à fusionner deux sociétés. Afin de réduire le plus possible l’impôt à payer, ils ont prévu accomplir la fusion selon un ordre donné d’opérations comprenant la vente d’actions et l’émission de nouvelles actions et de billets à ordre. Les conseillers fiscaux du couple ont procédé sans suivre l’ordre donné, ce qui a entraîné une obligation fiscale importante. Le juge LeBel a expliqué que, selon le Code, lorsque la véritable intention est mal exprimée par écrit, les tribunaux corrigeront l’erreur pour autant que l’intention soit suffisamment précise :
. . . le débat en cours dans les deux appels que nous examinons concerne nécessairement l’[Agence du revenu du Québec] et l’[Agence du revenu du Canada]. En raison de leur position, il faut se demander si elles peuvent invoquer des droits acquis au maintien d’un écrit erroné, même si l’existence d’une erreur est établie et s’il est démontré que les documents transmis au fisc ne correspondent pas à la volonté réelle des parties.
. . .
. . . Il faut donc pour l’instant déterminer la nature réelle des opérations effectuées dans les affaires AES et Riopel. [. . .] Notre Cour doit décider si les actes juridiques accomplis par les parties et qui sont à l’origine des avis de cotisation correspondent à l’intention réelle commune des parties et si le fisc a droit au maintien d’une déclaration de volonté erronée. [par. 44‑46]
[81] Partant de ces principes, la Cour a accordé la rectification tant dans AES que dans Riopel. Comme l’a expliqué le juge LeBel, « dans les deux appels, les ententes entre les parties s’étaient valablement formées, puisqu’elles prévoyaient des obligations aux objets suffisamment déterminables » (par. 54).
[82] Le juge LeBel a conclu que « le fisc ne possède pas de droit acquis au bénéfice d’une erreur que les parties à un contrat auraient commise, puis corrigée de consentement mutuel » (AES, par. 52). En d’autres termes, le fisc ne pouvait tirer un gain fortuit des erreurs. Or, il a également souligné que ces principes n’autorisent pas les parties à se lancer dans une planification fiscale rétroactive :
En effet, les contribuables ne devraient pas interpréter cette reconnaissance de la primauté de la volonté interne — ou intention commune — des parties comme une invitation à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses, en se disant qu’il leur sera toujours possible de refaire leurs contrats rétroactivement en cas d’échec de ces planifications. [par. 54]
[83] Les conditions de rectification en matière fiscale qui sont énoncées dans AES sont, à mon humble avis, fonctionnellement équivalentes au critère de la common law. La rectification en droit civil et celle en common law dans le domaine fiscal sont manifestement fondées sur des principes analogues, à savoir que la véritable intention des parties l’emporte sur les erreurs de transcription ou de mise en œuvre de l’entente en question, sous réserve des précisions nécessaires et des droits des tiers qui se fondent à leur détriment sur l’entente.
[84] Ainsi, aucune raison de principe ne permet, en common law ou en droit civil, d’imposer une norme plus stricte dans le domaine fiscal du simple fait que c’est le gouvernement qui pourrait bénéficier d’une erreur. Le fisc ne peut pas plus jouer à « Gotcha » que n’importe quel autre tiers qui ne s’est pas fondé à son détriment sur l’erreur.
[85] Signalons que les affaires AES et Riopel portaient toutes deux sur des erreurs de mise en œuvre : dans AES, l’erreur tenait à un mauvais calcul, et dans Riopel, à l’ordre erroné dans lequel on avait procédé à une opération complexe. L’application de la rectification dans ces circonstances confirme clairement que cette réparation ne permet pas uniquement de corriger les modalités qui ont été omises, ajoutées par inadvertance ou formulées incorrectement dans un document écrit, mais qu’elle s’applique tout autant lorsque la véritable intention des parties a été mal réalisée.
[86] Dans l’affaire qui nous occupe, comme l’a souligné le juge saisi de la demande, Fairmont ne s’est pas simplement méprise sur les conséquences qu’occasionnerait le dénouement de la structure de prêts réciproques au moyen d’un rachat d’actions. Le juge Newbould a expressément tiré la conclusion de fait que Fairmont avait toujours eu l’intention de ne jamais dénouer cette structure en rachetant les actions privilégiées, parce que cela entraînerait des gains ou des pertes sur change imposables. Les parties, a‑t‑il conclu, savaient qu’en dénouant la structure de prêts réciproques par un rachat d’actions, elles se retrouveraient avec une importante obligation fiscale, et elles avaient expressément convenu, par des échanges de courriels et en personne, [traduction] « [qu’]aucun rachat des actions privilégiées ne devait avoir lieu à quelque moment que ce soit ». Elles avaient convenu de décider plus tard des mécanismes précis par lesquels elles dénoueraient la structure de prêts réciproques sans incidences fiscales.
[87] S’appuyant sur ces éléments de preuve, le juge Newbould a conclu :
[traduction] . . . à la présence d’une intention constante, de la part de Fairmont, dès la conclusion des contrats de prêts avec Legacy en 2002, que l’exécution de ces contrats n’ait aucune incidence fiscale ou comptable, ainsi qu’à une intention constante, à compter de l’opération par laquelle le contrôle de Fairmont est passé à l’acquéreur de ses actions, en 2006, que les actions privilégiées [des filiales de Fairmont] ne seraient pas rachetées eu égard au plan modifié qui était alors en voie de réalisation.
En toute équité, je crois pouvoir aussi conclure de la preuve [. . .] qu’en 2006, au moment de procéder à l’opération, Fairmont entendait régler ultérieurement le problème de la position non couverte de [ses filiales] sans incidences fiscales ou comptables, tout en n’ayant aucune idée précise de la façon dont elle s’y prendrait. [Italiques ajoutés.]
((2014), 123 O.R. (3d) 241, par. 32-33)
[88] Le juge Newbould était donc convaincu que Fairmont avait fait preuve d’une intention inébranlable de dénouer la structure de prêts réciproques de façon à ce qu’il y ait compensation entre les gains et les pertes sur change :
[traduction] En l’espèce, l’intention de Fairmont était, depuis 2002, d’exécuter les contrats de prêts réciproques conclus avec Legacy sans incidences fiscales ou comptables, de sorte que tous les gains sur change soient compensés par les pertes sur change correspondantes. Lorsque le contrôle de Fairmont a changé de mains, en 2006, cette intention est restée la même, et lorsque le dénouement des prêts a été réalisé, en 2007, cette intention est restée la même. . .
Je ne considère pas que nous sommes en présence d’une affaire où l’on se serait livré rétroactivement à une planification fiscale après une vérification de l’[Agence du revenu du Canada]. L’objet du dénouement des prêts réalisé en 2007 n’était pas de racheter les actions privilégiées des [filiales de Fairmont], mais de dénouer les prêts sans incidences fiscales. C’est par erreur que l’on a choisi de le faire par le rachat des actions privilégiées. [par. 42‑43]
[89] Cela signifie que Fairmont ne tentait pas de s’écarter de son intention initiale à cause de conséquences fiscales imprévues. Elle avait prévu les conséquences fiscales d’un dénouement de la structure de prêts réciproques par le rachat des actions privilégiées, et elle avait rejeté cette démarche.
[90] Selon le juge Newbould, Fairmont a plutôt toujours eu l’intention claire de dénouer la structure de prêts réciproques sans incidences fiscales et n’a jamais eu l’intention de racheter les actions privilégiées. Or, par erreur, les modalités de rachat des actions privilégiées ont été incluses dans les résolutions adoptées par les administrateurs. C’est exactement le genre d’erreur que la rectification vise à corriger. Une fois que le juge Newbould a été convaincu de la véritable intention des parties, il avait le droit de lui donner effet en permettant que les modalités de remplacement du contrat de prêt soient insérées dans les résolutions des administrateurs.
[91] Exiger une description détaillée de la manière dont l’opération était censée se dérouler reviendrait à imposer un seuil exceptionnellement élevé de rectification dans le domaine fiscal. Comme le juge Newbould l’a expliqué, le fait de rejeter la demande de rectification de l’entente dans les circonstances [traduction] « permettrait à [l’Agence du revenu du Canada] de tirer un gain fortuit de l’erreur » : par. 44. Il n’y a aucune raison de permettre à l’Agence du revenu du Canada de tirer un gain fortuit auquel aucun autre tiers n’aurait eu droit.
[92] Je rejetterais le pourvoi avec dépens.
Pourvoi accueilli avec dépens, les juges Abella et Côté sont dissidentes.
Procureur de l’appelant : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureurs des intimées : McCarthy Tétrault, Toronto.