COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. McRae, 2013 CSC 68, [2013] 3 R.C.S. 931
Date : 20131206
Dossier : 34743
Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
Stéphane McRae
Intimé
Traduction française officielle
Coram : Les juges LeBel, Fish, Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement conjoints :
(par. 1 à 41)
Les juges Cromwell et Karakatsanis (avec l'accord des juges LeBel, Fish, Abella, Moldaver et Wagner)
R. c. McRae, 2013 CSC 68, [2013] 3 R.C.S. 931
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Stéphane McRae Intimé
Répertorié : R. c. McRae
2013 CSC 68
N o du greffe : 34743.
2013 : 21 mai; 2013 : 6 décembre.
Présents : Les juges LeBel, Fish, Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel du québec
Droit criminel — Infractions — Proférer des menaces — Éléments de l'infraction — Actus reus — Mens rea — Intimé confiant à des codétenus qu'il allait causer la mort de la procureure de la Couronne, d'un policier‑enquêteur et des témoins impliqués dans son procès et/ou leur infliger des lésions corporelles — Est‑il nécessaire de prouver que les menaces ont été transmises aux personnes visées et/ou que l'accusé entendait qu'elles soient ainsi transmises? — Les juridictions inférieures ont‑elles commis une erreur en concluant que des éléments de l'infraction n'avaient pas été établis? — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 , art. 264.1(1) a).
Alors qu'il était détenu en attendant son procès, l'accusé a dit à des codétenus qu'il allait faire descendre des gars d'en haut pour arranger la face à la procureure de la Couronne et à un des témoins parce qu'il était d'avis que ce dernier l'avait dénoncé. L'accusé a ajouté qu'il avait retenu les services d'un détective privé pour trouver l'adresse de la procureure, et a demandé à un des détenus de faire le nécessaire pour trouver l'adresse du policier‑enquêteur. Il a en outre affirmé qu'une fois son procès terminé, il allait tuer les témoins qui l'avaient dénoncé. L'accusé a été acquitté de cinq chefs d'avoir proféré des menaces au motif que la mens rea de l'infraction n'avait pas été établie du fait qu'il ne s'était pas exprimé dans l'intention que ses paroles soient transmises aux personnes visées par les menaces pour tenter d'influencer leurs actions. La Cour d'appel a rejeté l'appel du ministère public.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli et la tenue d'un nouveau procès est ordonnée.
L' actus reus de l'infraction d'avoir proféré des menaces sera prouvé si une personne raisonnable tout à fait consciente des circonstances dans lesquelles les mots ont été proférés ou transmis les avait perçus comme une menace de mort ou de lésions corporelles. Le ministère public n'a pas besoin de prouver que le destinataire de la menace en a été informé ou, s'il en a été informé, qu'il a été intimidé par elle ou qu'il l'a prise au sérieux. De plus, il n'est pas nécessaire que les mots s'adressent à une personne en particulier; il suffit que la menace soit dirigée contre un groupe déterminé de personnes.
La mens rea de l'infraction est établie si l'accusé entendait que les mots proférés ou transmis intimident ou soient pris au sérieux. Il n'est pas nécessaire de prouver l'intention que les mots soient transmis à la personne visée par la menace ou que l'accusé entendait mettre la menace à exécution. Une norme subjective de faute s'applique. Toutefois, pour déterminer ce que l'accusé avait en tête, le tribunal devra souvent tirer des conclusions raisonnables des mots et des circonstances, y compris la façon dont les mots ont été perçus par ceux qui les ont entendus.
En l'espèce, tant le juge du procès que la Cour d'appel ont commis une erreur de droit en concluant que les éléments de l'infraction n'avaient pas été établis. Pour ce qui est de l' actus reus de l'infraction, la Cour d'appel a commis une erreur en concluant que les mots proférés par l'accusé n'équivalaient pas à des menaces parce qu'ils n'avaient pas été transmis à leurs destinataires et qu'ils n'avaient pas effrayé ni intimidé qui que ce soit. Il n'est pas nécessaire de prouver que les menaces ont été transmises à leurs destinataires ou que quelqu'un a effectivement été intimidé ou effrayé par elles pour établir l'acte prohibé de l'infraction. En ce qui concerne la mens rea de l'infraction, tant le juge du procès que la Cour d'appel ont eu tort de conclure que, pour établir l'élément de faute, il fallait prouver que l'accusé entendait que les paroles soient transmises aux personnes visées/destinataires et qu'il avait l'intention expresse d'intimider ceux qui étaient en définitive l'objet des menaces. Autrement dit, ils n'ont pas pris en considération le caractère disjonctif de l'élément de faute de l'infraction. Il aurait été suffisant que l'accusé veuille que les menaces soient prises au sérieux par ceux à qui les paroles étaient adressées.
Le ministère public s'est acquitté de son fardeau de démontrer qu'il serait raisonnable de penser, dans les circonstances de l'espèce, que l'erreur commise par le juge du procès, à l'égard de l'élément de faute, a eu une incidence significative sur le verdict d'acquittement. En fait, si le juge du procès ne s'était pas trompé quant à cet élément de l'infraction, il aurait eu à se demander si l'accusé entendait que ses paroles menaçantes soient prises au sérieux; or, les témoignages de deux témoins donnaient des raisons de conclure que c'était le cas. Les acquittements doivent donc être annulés. Cependant, il ne s'agit pas d'une situation des plus claires où la Cour doit exercer son pouvoir de consigner un verdict de culpabilité. Un nouveau procès s'impose donc pour déterminer si les accusations portées contre l'accusé seront prouvées hors de tout doute raisonnable.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. Comeau , 2010 QCCQ 20939 (CanLII); R. c. McCraw , [1991] 3 R.C.S. 72; R. c. Clemente , [1994] 2 R.C.S. 758; R. c. O'Brien , 2013 CSC 2, [2013] 1 R.C.S. 7, conf. 2012 MBCA 6, 275 Man. R. (2d) 144; R. c. MacDonald (2002), 166 O.A.C. 121; R. c. Felteau , 2010 ONCA 821 (CanLII); R. c. LeBlanc , [1989] 1 R.C.S. 1583, inf. (1988), 90 R.N.‑B. (2 e ) 63; R. c. Rémy , [1993] R.J.Q. 1383, autorisation de pourvoi refusée, [1993] 4 R.C.S. vii; R. c. Upson , 2001 NSCA 89, 194 N.S.R. (2d) 87; R. c. Batista , 2008 ONCA 804, 62 C.R. (6th) 376; R. c. Neve (1993), 145 A.R. 311; R. c. Hiscox , 2002 BCCA 312, 167 B.C.A.C. 315; R. c. Noble , 2009 MBQB 98, 247 Man. R. (2d) 6, conf. par 2010 MBCA 60, 255 Man. R. (2d) 144; R. c. Heaney , 2013 BCCA 177 (CanLII); R. c. Rudnicki , [2004] R.J.Q. 2954; R. c. Beyo (2000), 47 O.R. (3d) 712; R. c. Hundal , [1993] 1 R.C.S. 867; R. c. Graveline , 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609; Lewis c. La Reine , [1979] 2 R.C.S. 821; R. c. Katigbak , 2011 CSC 48, [2011] 3 R.C.S. 326; R. c. Audet , [1996] 2 R.C.S. 171.
Lois et règlements cités
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 264.1(1) a ), 686(4) .
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (les juges Rochette et Giroux et le juge Viens ( ad hoc )), 2012 QCCA 236, [2012] J.Q. n o 757 (QL), 2012 CarswellQue 835, SOQUIJ AZ‑50828082, qui a confirmé les acquittements de l'accusé. Pourvoi accueilli.
Sébastien Bergeron‑Guyard et Thomas Jacques , pour l'appelante.
Stéphanie Carrier , pour l'intimé.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Les juges Cromwell et Karakatsanis —
I. Introduction
[1] Le présent pourvoi nous donne l'occasion de consolider et de clarifier les éléments de l'infraction consistant à proférer des menaces. Il soulève plus particulièrement deux questions :
(1) Pour établir l'infraction, est‑il nécessaire de prouver que les menaces ont été transmises aux personnes visées et/ou que l'accusé entendait qu'elles soient ainsi transmises?
(2) Si le juge du procès a commis une erreur à cet égard, le ministère public s'est‑il acquitté de son fardeau pour faire annuler les acquittements prononcés au procès?
[2] Nous concluons que, pour établir l'infraction, il n'est pas nécessaire de prouver que les menaces de l'accusé ont été transmises à la personne visée ou que quelqu'un a effectivement été intimidé par elles. En outre, le ministère public n'est pas tenu d'établir que l'accusé entendait que les menaces soient transmises à la personne visée ou qu'elles intimident qui que ce soit. Avec égards pour l'opinion contraire exprimée par la Cour d'appel, nous estimons que le juge du procès a commis des erreurs de droit dans son analyse de l'infraction et que le ministère public s'est acquitté de son fardeau de démontrer qu'il serait raisonnable de penser que ces erreurs ont eu une incidence significative sur la décision de prononcer un acquittement. En conséquence, nous sommes d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
II. Faits et historique judiciaire
A. Aperçu des faits
[3] En juin 2009, l'intimé Stéphane McRae était détenu en attendant son procès relativement à plusieurs accusations liées au trafic de stupéfiants. Pendant un certain temps, Louis‑Joseph Comeau, Édouard Collin et Patrick Cloutier étaient eux aussi incarcérés, au même centre de détention. L'intimé a présenté M. Comeau à M. Cloutier comme son « tueur à gages ». Parfois, M. Cloutier passait à l'intimé des messages de M. Comeau.
[4] Sur le fondement de déclarations de MM. Collin et Cloutier, diverses accusations d'avoir proféré des menaces ont été portées contre l'intimé et M. Comeau. Dans un procès distinct, M. Comeau a été déclaré coupable d'avoir proféré des menaces ( R. c. Comeau , 2010 QCCQ 20939 (CanLII)). Le présent pourvoi soulève la question des cinq chefs d'avoir sciemment transmis à Patrick Cloutier et à Édouard Collin, à diverses occasions entre le 1 er juin 2009 et le 5 septembre 2009, des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles — infraction décrite à l' al. 264.1(1) a ) du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 — à la procureure de la Couronne, à un policier‑enquêteur et à quatre témoins impliqués dans l'affaire instruite contre l'intimé et M. Comeau relativement au trafic de stupéfiants.
[5] Au procès, il a notamment été établi que l'intimé avait (1) dit à M. Collin qu'il allait faire descendre des gars d'en haut pour arranger la face à la procureure de la Couronne et à un des témoins parce qu'il était d'avis que ce dernier l'avait dénoncé, (2) informé M. Cloutier qu'il avait retenu les services d'un détective privé pour trouver l'adresse de la procureure de la Couronne, (3) demandé à M. Cloutier de faire le nécessaire pour trouver l'adresse du policier‑enquêteur, et (4) dit à M. Cloutier qu'une fois son procès terminé, il allait tuer les témoins qui l'avaient dénoncé (2010 QCCQ 9043 (CanLII), par. 6).
B. Cour du Québec, 2010 QCCQ 9043 (le juge Decoste)
[6] L'intimé n'a pas témoigné au procès (décision de la Cour d'appel, 2012 QCCA 236 (CanLII), par. 18). Le juge du procès a conclu que MM. Cloutier et Collin étaient des témoins crédibles (par. 12), mais que l'élément de faute (la mens rea ) des infractions n'avait pas été établi parce que l'intimé ne s'était pas exprimé dans l'intention que ses paroles soient transmises aux personnes visées par les menaces pour tenter d'influencer leurs actions (par. 14-15). À son avis, l'intimé voulait plutôt se venger une fois le procès terminé et avait tenu les propos en cause sous le coup de la colère et de la frustration (par. 14 et 16).
C. Cour d'appel, 2012 QCCA 236 (les juges Rochette et Giroux et le juge Viens (ad hoc))
[7] La Cour d'appel a confirmé la décision du juge du procès relativement à l'élément de faute (par. 16‑18) et ajouté que l'acte prohibé (l' actus reus ) n'avait pas été établi parce que les paroles avaient été proférées dans un « cercle fermé » ― c'est‑à‑dire avec une expectative de confidentialité ― et ne pouvaient donc pas susciter de crainte chez les personnes visées par les menaces (par. 8‑9). La Cour d'appel a également confirmé la conclusion du juge du procès selon laquelle l'intimé avait agi sous le coup de la frustration et qu'il avait l'intention de se venger, plutôt que d'intimider (par. 16).
III. Analyse
A. Droit applicable
[8] L'intimé est accusé de l'infraction d'avoir proféré des menaces prévue à l' al. 264.1(1) a ) du Code criminel :
264.1 (1) Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace :
a ) de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu'un;
[9] La Cour a déjà examiné cette infraction dans R. c. McCraw , [1991] 3 R.C.S. 72, R. c. Clemente , [1994] 2 R.C.S. 758, et plus récemment dans R. c. O'Brien , 2013 CSC 2, [2013] 1 R.C.S. 7. Les éléments de l'infraction comprennent : (1) le fait de proférer ou de transmettre une menace de causer la mort ou des lésions corporelles, et (2) l'intention de menacer. Nous allons examiner ci‑après le droit relatif à chacun de ces éléments.
(1) L'acte prohibé ( actus reus )
[10] L'acte prohibé de l'infraction est « le fait de proférer des menaces de mort ou de blessures graves » ( Clemente , p. 763). Les menaces peuvent être proférées, transmises ou reçues de quelque façon que ce soit par qui que ce soit. La question de savoir si des mots constituent une menace est une question de droit qui doit être tranchée suivant une norme objective. Le juge Cory l'a exprimée en ces termes dans McCraw :
La structure et le libellé de l' al. 264.1(1) a ) indiquent que la nature de la menace doit être examinée de façon objective; c'est‑à‑dire, comme le ferait une personne raisonnable ordinaire. . .
La question à trancher peut être énoncée de la manière suivante. Considérés de façon objective, dans le contexte de tous les mots écrits ou énoncés et compte tenu de la personne à qui ils s'adressent, les termes visés constituent‑ils une menace de blessures graves pour une personne raisonnable? [p. 82‑83]
[11] Le point de départ de l'analyse doit toujours être le sens ordinaire des mots proférés. Lorsqu'ils constituent manifestement une menace et qu'il n'y a aucune raison de croire qu'ils avaient un sens secondaire ou moins évident, il n'est pas nécessaire de pousser plus loin l'analyse. Toutefois, dans certains cas, le contexte révèle que des mots qui seraient à première vue menaçants ne constituent peut‑être pas des menaces au sens où il faut l'entendre pour l'application de l' al. 264.1(1) a ) (voir, p. ex., O'Brien , par. 10‑12). Dans d'autres cas, des facteurs contextuels peuvent avoir pour effet d'élever au rang de menaces des mots qui seraient, à première vue, relativement anodins (voir, p. ex., R. c. MacDonald (2002), 166 O.A.C. 121, où les paroles proférées étaient [ traduction ] « t'es la prochaine »).
[12] Par exemple, dans R. c. Felteau , 2010 ONCA 821 (CanLII), l'accusé avait dit à une intervenante en santé mentale qu'il allait suivre M me G, son ancienne agente de probation, et qu'il allait [ traduction ] « l'agresser » (par. 1‑2). Selon le juge du procès, les propos ne constituaient pas une menace parce que la menace devait être de causer la mort ou des lésions corporelles et que l'« agression » dont parlait l'accusé ne comprenait pas nécessairement de lésions corporelles (par. 3). La Cour d'appel de l'Ontario a pour sa part estimé que le juge du procès avait eu tort de considérer le mot « agresser » isolément, sans égard aux circonstances (par. 7). À son avis, parmi les facteurs pertinents qui permettaient de déterminer le sens des mots, il y avait les faits suivants : l'accusé faisait une fixation sur M me G et il avait très récemment été déclaré coupable de l'avoir harcelée; il était en colère contre M me G lorsqu'il avait proféré les paroles; il lui reprochait d'être la cause de son arrestation et de sa détention; et il était mentalement instable, avait consommé de la cocaïne et avait des antécédents connus de violence grave dirigée contre les femmes (par. 8). Elle a donc conclu que les paroles de l'accusé, compte tenu de ces circonstances, transmettraient une menace de lésions corporelles à une personne raisonnable (par. 9).
[13] Par conséquent, la question de droit consistant à savoir si l'accusé a proféré une menace de mort ou de lésions corporelles tient uniquement au sens qu'une personne raisonnable donnerait aux mots, eu égard aux circonstances dans lesquelles ils ont été proférés ou transmis. Le ministère public n'a pas besoin de prouver que le destinataire de la menace en a été informé ou, s'il en a été informé, qu'il a été intimidé par elle ou qu'il l'a prise au sérieux ( Clemente , p. 763; O'Brien , par. 13; R. c. LeBlanc , [1989] 1 R.C.S. 1583 (confirmant la directive du juge du procès selon laquelle il n'était même pas nécessaire que « la personne menacée soit consciente que la menace a[vait] été proférée » : (1988), 90 R.N.-B. (2 e ) 63 (C.A.), par. 13)). De plus, il n'est pas nécessaire que les mots s'adressent à une personne en particulier; il suffit que la menace soit dirigée contre un groupe déterminé de personnes ( R. c. Rémy , [1993] R.J.Q. 1383 (C.A. Qué.), p. 1389-1390, autorisation de pourvoi refusée, [1993] 4 R.C.S. vii (menace contre les « policiers » en général); R. c. Upson , 2001 NSCA 89, 194 N.S.R. (2d) 87, par. 31 (menace contre les « membres de la race noire » en général)).
[14] Le critère de la personne raisonnable doit être appliqué à la lumière des circonstances particulières de l'espèce. Comme l'a expliqué la Cour d'appel de l'Ontario dans in R. c. Batista , 2008 ONCA 804, 62 C.R. (6th) 376 :
[traduction ] La personne raisonnable ordinaire qui examine objectivement une menace reprochée serait renseignée sur toutes les circonstances pertinentes. La Cour suprême du Canada a examiné les caractéristiques de la personne raisonnable dans R. c. S. (R.D.) , [1997] 3 R.C.S. 484 (C.S.C.), dans le contexte du critère de la partialité. Dans cette affaire, les juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin, par. 36, ont décrit cette personne comme ceci :
une personne raisonnable, bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique [. . .] Cette personne n'est pas « de nature scrupuleuse ou tatillonne », c'est plutôt une personne sensée qui connaît les circonstances de la cause.
Pareillement, dans R. c. Collins , [1987] 1 R.C.S. 265 (C.S.C.), p. 282, dans le contexte du critère de la déconsidération de l'administration de la justice, le juge Lamer, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a décrit la personne raisonnable comme quelqu'un d'« objectif et bien informé de toutes les circonstances de l'affaire » : voir aussi R. c. Burlingham , [1995] 2 R.C.S. 206 (C.S.C.), par. 71.
Il s'ensuit que la personne raisonnable qui étudie la question de savoir si les mots en cause équivalent à une menace en droit est une personne objective, bien renseignée, sensée, pratique et réaliste. [Je souligne; par. 23-24.]
[15] Par conséquent, pour l'application de ce critère objectif, bien que l'on puisse examiner le témoignage de personnes qui ont entendu la menace ou qui en ont été l'objet, la question relative à l'acte prohibé n'est pas de savoir si des personnes se sont effectivement senties menacées. Comme l'a dit la Cour d'appel de l'Ontario dans Batista , les opinions de témoins sont pertinentes pour l'application du critère de la personne raisonnable; toutefois, elles ne sont pas décisives, vu qu'elles équivalent à des opinions personnelles et [ traduction ] « ne satisf[ont] pas nécessairement aux exigences du critère juridique » (par. 26).
[16] Pour conclure sur ce point, l'acte prohibé de l'infraction d'avoir proféré des menaces sera prouvé si une personne raisonnable tout à fait consciente des circonstances dans lesquelles les mots ont été proférés ou transmis les avait perçus comme une menace de mort ou de lésions corporelles.
(2) L'élément de faute ( mens rea )
[17] L'élément de faute est prouvé s'il est démontré que les mots menaçants proférés ou transmis « visa[ie]nt à intimider ou à être pris au sérieux » ( Clemente , p. 763).
[18] Il n'est pas nécessaire de prouver que la menace a été proférée avec l'intention qu'elle soit transmise à son destinataire ( Clemente , p. 763) ou que l'accusé entendait mettre la menace à exécution ( McCraw , p. 82). De plus, l'élément de faute est disjonctif : on peut l'établir en démontrant que l'accusé avait l'intention d'intimider ou qu'il entendait que les menaces soient prises au sérieux (voir, p. ex., Clemente , p. 763; O'Brien , par. 7; R. c. Neve (1993), 145 A.R. 311 (C.A.); R. c. Hiscox , 2002 BCCA 312, 167 B.C.A.C. 315, par. 18 et 20; R. c. Noble , 2009 MBQB 98, 247 Man. R. (2d) 6, par. 28 et 32‑35, conf. par 2010 MBCA 60, 255 Man. R. (2d) 144, par. 16‑17; R. c. Heaney , 2013 BCCA 177 (CanLII), par. 40; R. c. Rudnicki , [2004] R.J.Q. 2954 (C.A.), par. 41; R. c. Beyo (2000), 47 O.R. (3d) 712 (C.A.), par. 46).
[19] L'élément de faute revêt ici un caractère subjectif; ce qui importe, c'est ce que l'accusé entendait effectivement faire. Toutefois, comme c'est généralement le cas, la décision quant à l'intention véritable de l'accusé peut dépendre de conclusions tirées de toutes les circonstances (voir, p. ex., McCraw , p. 82). Le fait de tirer ces conclusions ne revient pas à s'écarter de la norme subjective de faute. Dans R. c. Hundal , [1993] 1 R.C.S. 867, le juge Cory cite les propos suivants du professeur Stuart qui explique ce point :
[ traduction ] Il est loisible au juge des faits qui cherche à déterminer ce qui se passait dans l'esprit de l'accusé, ainsi que le commande la méthode subjective, de tirer des conclusions raisonnables des gestes ou des paroles de l'accusé soit au moment de l'acte qui lui est reproché soit à la barre des témoins. On peut croire l'accusé ou ne pas le croire. Conclure, sur la foi de la totalité de la preuve, que le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable que l'accusé a « dû » avoir l'état d'esprit entraînant la sanction ce n'est pas s'écarter de la norme fondamentale subjective. Le recours à une norme fondamentale objective n'a lieu que si on se dit que l'accusé « aurait dû s'en rendre compte s'il y avait réfléchi ». [Je souligne; p. 883.]
[20] L'arrêt O'Brien illustre ce qui précède. La personne visée par la menace ― l'ex‑petite amie de l'accusé ― avait affirmé dans son témoignage que les paroles de l'accusé ne l'avaient pas effrayée. La juge du procès s'est fortement appuyée sur ce témoignage pour conclure que, même si les paroles elles‑mêmes paraissaient menaçantes, il subsistait un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé avait l'intention nécessaire de menacer (2012 MBCA 6, 275 Man. R. (2d) 144, par. 34). La perception de la victime n'était pas directement en cause, mais constituait une preuve pertinente quant à l'intention de l'accusé.
[21] Pareillement, dans Noble , le tribunal devait déterminer si les mots [ traduction ] « on sait bien qui va passer au feu, pas vrai? », suivis immédiatement des mots « je blague » et de rires (décision de première instance, par. 1), visaient à être pris au sérieux. L'accusé avait tenu ces propos devant un officier du shérif à son retour en prison après avoir quitté le palais de justice où il venait d'être condamné à une peine pour avoir menacé de tuer la procureure de la Couronne qui avait réussi à le faire déclarer coupable de vol qualifié. Selon la juge du procès, malgré le caractère spontané des propos et l'absence de toute indication selon laquelle l'accusé était en colère ou perturbé lorsqu'il avait proféré les paroles, si on considérait ces dernières dans le contexte plus large, il appert que l'accusé savait que ces paroles, qui étaient très explicites, allaient être prises au sérieux en tant que menace contre cette même procureure de la Couronne (par. 33‑35). Après avoir été menacée une première fois par l'accusé, la procureure de la Couronne avait été victime d'une tentative de violation de domicile. Même si personne n'avait mis en cause l'accusé, ce dernier avait dit aux médias que la procureure de la Couronne avait eu ce qu'elle méritait. Après avoir été informée des propos de l'accusé relativement à une maison qui allait passer au feu, la procureure de la Couronne a pris la menace au sérieux et en a été très effrayée. En conséquence, son conjoint et elle ont vendu leur maison (décision de première instance, par. 2‑19). En plus de la réaction de la procureure de la Couronne aux menaces, le fait que l'accusé savait que les propos menaçants emportaient des sanctions pénales, vu qu'il venait d'être condamné à deux ans d'emprisonnement pour avoir proféré des menaces, était un autre facteur important quant à l'élément de faute dans cette affaire (par. 34). La juge du procès a conclu que les paroles pouvaient [ traduction ] « avoir été prononcées spontanément de façon irréfléchie, ou par bravade, mais [que], compte tenu de toutes les circonstances, [. . .] il ressort[ait] de la preuve que l'accusé savait qu'elles allaient être prises au sérieux » (par. 35).
[22] La Cour d'appel du Manitoba a confirmé les conclusions de fait de la juge du procès, particulièrement l'analyse contextuelle effectuée à l'égard de l'élément de faute ( Noble , par. 17).
[23] En somme, l'élément de faute de l'infraction est établi si l'accusé entendait que les mots proférés ou transmis intimident ou soient pris au sérieux. Il n'est pas nécessaire de prouver l'intention que les mots soient transmis à la personne visée par la menace. Une norme subjective de faute s'applique. Toutefois, pour déterminer ce que l'accusé avait en tête, le tribunal devra souvent tirer des conclusions raisonnables des mots et des circonstances, y compris de la façon dont les mots ont été perçus par ceux qui les ont entendus.
B. Première question : Le caractère confidentiel de la menace est‑il pertinent pour l'analyse?
[24] À notre avis, tant le juge du procès que la Cour d'appel ont commis une erreur de droit en concluant que les éléments de l'infraction n'avaient pas été établis parce que les menaces avaient été transmises dans un présumé « cercle fermé ». Même s'il est vrai que l'accusé pouvait s'attendre à ce que ses paroles demeurent confidentielles, une conclusion que nous ne serions pas nécessairement disposés à confirmer, cela n'empêche nullement de conclure que l'acte prohibé de même que l'élément de faute de l'infraction ont été établis. En effet, comme nous l'avons expliqué précédemment, il n'est pas nécessaire de prouver que les menaces ont été transmises à leurs destinataires (acte prohibé) ou que l'accusé voulait que les menaces soient ainsi transmises (élément de faute). En outre, il n'est pas nécessaire de prouver que quelqu'un a effectivement été intimidé par les menaces (acte prohibé) ou que l'accusé avait l'intention expresse d'intimider quelqu'un (élément de faute). La notion de « cercle fermé » est donc non fondée en droit. Les menaces sont des outils d'intimidation et de violence. Pour cette raison, dans toute situation où les menaces sont exprimées dans l'intention qu'elles soient prises au sérieux, même à des tiers, les éléments de l'infraction seront établis. Comme nous le verrons ci‑après, le juge du procès s'est trompé à ces deux égards quant à l'élément de faute, et la Cour d'appel s'est trompée à ces deux égards quant à l'acte prohibé et à l'élément de faute.
(1) L'acte prohibé
[25] Le juge du procès n'a pas spécifiquement traité de l'acte prohibé de l'infraction. Pour sa part, la Cour d'appel a conclu que « [l]es mots utilisés par l'intimé, considérés de façon objective, peuvent faire craindre, de façon sérieuse, que des gestes susceptibles de causer la mort ou des lésions corporelles seront posés à l'initiative de l'intimé », et que « [c]'est d'ailleurs ce que les codétenus de l'intimé ont compris » (par. 8). Elle a toutefois ajouté que, « lorsque ces mots et propos sont mis en contexte », ils ne constituent pas une menace (par. 8). Elle décrit ce contexte en ces termes :
Les propos transmis ou confiés par l'intimée [ sic ] à trois autres détenus ne peuvent être assimilés à « un moyen d'intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire », au même titre que la lettre menaçante qui n'est jamais mise à la poste. Ces échanges s'effectuaient dans un cercle fermé. Le simple fait d'extérioriser une pensée ne suffit pas pour imputer un geste criminel. Comme le souligne à bon droit le premier juge, il n'y a pas ici de « destinataire ». Les propos tenus sont « l'expression de la frustration et la révolte d'un criminel qui se sent coincé par le système judiciaire ». L'élément de crainte insufflé à une victime est dès lors absent. [par. 9]
[26] En somme, la Cour d'appel a conclu que les mots n'équivalaient pas à des menaces parce qu'ils n'avaient pas été transmis à leurs destinataires et qu'ils n'avaient pas effrayé ni intimidé qui que ce soit. Selon nous, vu les principes de droit examinés précédemment, la Cour d'appel s'est trompée en tirant cette conclusion : il n'est pas nécessaire à notre avis de prouver que les menaces ont été transmises à leurs destinataires ou que quelqu'un a effectivement été intimidé ou effrayé par elles pour établir l'acte prohibé de l'infraction.
(2) L'élément de faute
[27] Dans ses motifs, le juge du procès a seulement examiné l'élément de faute de l'infraction. Il a conclu que cet élément n'avait pas été prouvé parce que « la preuve n'établi[ssai]t pas que les paroles qu'adressait l'accusé à Messieurs Collin et Cloutier étaient prononcées dans l'intention qu'elles soient transmises à ces témoins possibles ou potentiels » (par. 14). Il en aurait été autrement à son avis si l'intimé avait eu l'intention de transmettre un message aux délateurs potentiels dans le but de les dissuader de témoigner (par. 14). Il a ajouté que l'intimé ne pouvait s'imaginer que, si MM. Cloutier et Collin avaient transmis les paroles à la procureure de la Couronne ou au policier‑enquêteur, leur attitude aurait pu changer (par. 15). Par conséquent, de l'avis du juge du procès, l'intimé n'avait pas l'intention nécessaire de proférer des menaces contre les plaignants.
[28] La Cour d'appel du Québec a confirmé les conclusions du juge du procès selon lesquelles les paroles « [n'avaient pas été] prononcées dans l'intention qu'elles soient transmises à ces témoins possibles ou potentiels » et que MM. Cloutier et Collin « [n']avaient [pas] le mandat tacite ou express ( sic ) de transmettre ce message aux personnes concernées » (par. 16). En somme, l'élément de faute n'a pas été établi parce qu'il n'y avait aucune intention d'intimider (par. 16). La cour a conclu en ces termes pour ce qui est de l'élément de faute :
L'intimé n'a pas fait de preuve et ne s'est pas fait entendre. Il est bien difficile de savoir ce qu'il avait en tête. Croyait‑il que ses propos seraient ébruités et pourraient apeurer les personnes visées par ses plans? Le juge rejette cette hypothèse qu'il n'estime ni vraisemblable ni logique. Peut‑être le juge spécule‑t‑il à ce sujet, mais il demeure que la preuve de l'intention coupable, de l'intention de l'intimé de chercher à intimider , était à la charge du ministère public qui n'a pas été en mesure de s'en acquitter. [Je souligne; par. 18.]
[29] À notre avis, tant le juge du procès que la Cour d'appel ont eu tort de conclure que, pour établir l'élément de faute, il fallait prouver que l'accusé entendait que les paroles soient transmises aux personnes visées/destinataires et qu'il avait l'intention expresse d'intimider ceux qui étaient en définitive l'objet des menaces. En effet, il aurait été suffisant que l'intimé veuille que les menaces soient prises au sérieux par ceux à qui les paroles étaient adressées.
C. Deuxième question : Y a‑t‑il lieu d'annuler les acquittements?
[30] Pour avoir gain de cause en appel d'un acquittement, le ministère public doit démontrer « qu'il serait raisonnable de penser, compte tenu des faits concrets de l'affaire, que l'erreur (ou les erreurs) du premier juge ont eu une incidence significative sur le verdict d'acquittement » ( R. c. Graveline , 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609, par. 14).
[31] Comme nous l'avons exposé précédemment, le juge du procès a commis une erreur à l'égard de l'élément de faute en concluant qu'il fallait prouver que l'intimé entendait que ses menaces soient transmises aux victimes visées dans le but de les intimider. Il a acquitté l'intimé en raison d'une absence d'intention de transmettre les menaces et il n'a pas pris en considération le caractère disjonctif de l'élément de faute de cette infraction : l'intention soit d'intimider, soit d'être pris au sérieux.
[32] Malgré cette erreur de droit, le juge du procès a tiré un certain nombre de conclusions qui peuvent être pertinentes relativement à l'intention de l'intimé. Nous devons donc nous demander si ces conclusions ont été altérées par l'erreur de droit et, dans la négative, si elles peuvent servir de fondement juridique à la décision du juge du procès de prononcer les acquittements. Pour autant que nous puissions en juger, les conclusions du juge sont inextricablement liées à son erreur de droit quant à l'intention nécessaire et ne sauraient servir de fondement juridique adéquat aux acquittements.
[33] Le juge du procès a estimé, à l'égard de l'élément de faute, que l'intention de l'intimé était « de se venger de [la] délation [des témoins] une fois le procès terminé » (par. 14). Il a conclu que les paroles de l'intimé étaient « l'expression de la frustration et la révolte d'un criminel qui se sent coincé par le système judiciaire », et que l'intimé ne faisait que « manifeste[r] sa colère : d'ailleurs il dira dans un cas qu'il posera ces gestes une fois sa peine purgée, et à une autre occasion demande qu'on l'aide à trouver l'adresse d'un policier » (par. 16).
[34] Le rôle qu'ont pu jouer ces conclusions dans l'acquittement de l'intimé est miné par l'erreur de droit commise par le juge du procès relativement à l'intention requise, à savoir, qu'à son avis, l'intention n'avait pas été prouvée parce que l'intimé n'entendait pas que ses paroles soient transmises aux personnes visées par les menaces. En raison de cette erreur, le juge du procès ne s'est pas demandé si l'intimé entendait que les menaces soient prises au sérieux.
[35] Le juge du procès a conclu que MM. Cloutier et Collin étaient des témoins crédibles, qu'ils estimaient tous les deux que les menaces étaient sérieuses et qu'ils craignaient que des meurtres soient commis (par. 12). Si le juge du procès ne s'était pas trompé quant à l'élément de faute de cette infraction, il aurait eu à se demander si l'accusé entendait que ses paroles menaçantes soient prises au sérieux; or, les témoignages de MM. Cloutier et Collin donnaient des raisons de conclure que c'était le cas (voir O'Brien (C.S.C.), par. 10‑12).
[36] De plus, malgré sa conclusion selon laquelle les paroles avaient été prononcées sous le coup de la colère ou de la frustration, il n'en demeure pas moins que le juge du procès a omis de se demander si l'intimé entendait que les paroles soient prises au sérieux. « [L]a frustration et la révolte [de l'intimé] qui [s'est senti] coincé par le système judiciaire » concernent le mobile qui l'a poussé à dire ce qu'il a dit, et non pas nécessairement son intention quant à la manière dont il voulait que ses paroles soient reçues. Comme notre Cour l'a noté dans Lewis c. La Reine , [1979] 2 R.C.S. 821, p. 831, « l'élément moral, [l'élément de faute] qui intéresse le tribunal, a trait à “l'intention” c'est‑à‑dire l'exercice d'une libre volonté d'utiliser certains moyens pour produire certains résultats plutôt qu'au “mobile” c'est‑à‑dire ce qui précède et amène l'exercice de la volonté ».
[37] Par conséquent, nous concluons que le ministère public s'est acquitté de son fardeau de démontrer « qu'il serait raisonnable de penser, compte tenu des faits concrets de l'affaire, que l'erreur [. . .] du premier juge [a] eu une incidence significative sur le verdict d'acquittement » ( Graveline , par. 14). Nous sommes donc d'avis d'annuler les acquittements.
[38] Bien que le ministère public demande à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en application du par. 686(4) du Code criminel et de consigner un verdict de culpabilité, nous sommes d'avis qu'un nouveau procès s'impose en l'espèce.
[39] Pour annuler un acquittement et consigner un verdict de culpabilité, nous devons être convaincus « que [. . .] les conclusions de fait du juge du procès étayent, au regard du droit applicable, une déclaration de culpabilité hors de tout doute raisonnable » ( R. c. Katigbak , 2011 CSC 48, [2011] 3 R.C.S. 326, par. 50). Or, ce pouvoir ne doit s'exercer que dans les situations les plus claires ( R. c. Audet , [1996] 2 R.C.S. 171, par. 48).
[40] Comme nous l'avons vu précédemment, le juge du procès n'a tiré aucune conclusion quant à l'intention de l'intimé d'être pris au sérieux. La conclusion du juge du procès selon laquelle l'intimé avait prononcé les paroles sous le coup de la colère ou de la frustration ou d'un désir de vengeance concerne le mobile qui l'a poussé à prononcer les paroles, et non pas nécessairement son intention. Il est raisonnablement possible qu'il ait été motivé par la colère ou la frustration, ou par un désir de vengeance, mais qu'il n'entendait pas pour autant être pris au sérieux. Les questions de mobile et d'intention doivent faire l'objet de deux examens distincts et, compte tenu des erreurs de droit commises par le juge du procès, nous ne saurions dire avec certitude quelles auraient été ses conclusions s'il avait examiné la bonne question de droit. Il ne s'agit pas d'une situation des plus claires. Par conséquent, un nouveau procès s'impose pour déterminer si les accusations portées contre l'intimé seront prouvées hors de tout doute raisonnable.
IV. Dispositif
[41] Nous sommes d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un nouveau procès.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l'appelante : Poursuites criminelles et pénales du Québec, Québec.
Procureur de l'intimé : Stéphanie Carrier, St‑Omer, Québec.