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08/10/2010 | CANADA | N°2010_CSC_37

Canada | R. c. Willier, 2010 CSC 37 (8 octobre 2010)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Willier, 2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429

Date : 20101008

Dossier : 32769

Entre :

Stanley James Willier

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Procureur général de l'Ontario, Procureur général de la

Colombie‑Britannique, Directeur des poursuites pénales

du Canada, Criminal Lawyers' Association of Ontario,

British Columbia Civil Liberties Association et

Association canadienne des libertés civiles

Intervenants

Tra

duction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugemen...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Willier, 2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429

Date : 20101008

Dossier : 32769

Entre :

Stanley James Willier

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Procureur général de l'Ontario, Procureur général de la

Colombie‑Britannique, Directeur des poursuites pénales

du Canada, Criminal Lawyers' Association of Ontario,

British Columbia Civil Liberties Association et

Association canadienne des libertés civiles

Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 45)

Motifs concordants :

(par. 46 à 47)

Motifs concordants :

(par. 48)

La juge en chef McLachlin et la juge Charron (avec l'accord des juges Deschamps, Rothstein et Cromwell)

Le juge Binnie

Les juges LeBel et Fish (avec l'accord de la juge Abella)

______________________________

R. c. Willier, 2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429

Stanley James Willier Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Directeur des poursuites pénales du Canada,

procureur général de l'Ontario,

procureur général de la Colombie‑Britannique,

Criminal Lawyers' Association of Ontario,

Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique

et Association canadienne des libertés civiles Intervenants

Répertorié : R. c. Willier

2010 CSC 37

No du greffe : 32769.

2009 : 12 mai; 2010 : 8 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (les juges Ritter et Slatter et la juge Bielby (ad hoc)), 2008 ABCA 126, 89 Alta. L.R. (4th) 22, 429 A.R. 135, 421 W.A.C. 135, 230 C.C.C. (3d) 1, [2008] 7 W.W.R. 251, 168 C.R.R. (2d) 323, [2008] A.J. No. 327 (QL), 2008 CarswellAlta 404, qui a infirmé une décision du juge Gill, 2006 CarswellAlta 2120. Pourvoi rejeté.

Lauren L. Garcia et Mary MacDonald, pour l'appelant.

Goran Tomljanovic, c.r., et Brian Graff, pour l'intimée.

David Schermbrucker et Christopher Mainella, pour l'intervenant le Directeur des poursuites pénales du Canada.

John S. McInnes et Deborah Krick, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

M. Joyce DeWitt‑Van Oosten, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

P. Andras Schreck et Candice Suter, pour l'intervenante Criminal Lawyers' Association of Ontario.

Warren B. Milman et Michael A. Feder, pour l'intervenante l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.

Jonathan C. Lisus, Alexi N. Wood et Adam Ship, pour l'intervenante l'Association canadienne des libertés civiles.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Charron, Rothstein et Cromwell rendu par

La Juge en chef et la juge Charron —

I. Aperçu

[1] Le présent pourvoi, ainsi que les pourvois connexes, R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310, et R. c. McCrimmon, 2010 CSC 36, [2010] 2 R.C.S. 402, précise la nature et les limites du droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Plus particulièrement, la présente affaire porte sur un aspect particulier de la garantie de l'al. 10b), à savoir le droit à l'assistance de l'avocat de son choix.

[2] L'appelant, Stanley Willier, allègue que la police a violé la Charte en le privant de son droit à l'assistance d'un avocat. Son allégation résulte des circonstances qui suivent. Après son arrestation pour meurtre, la police l'a informé de son droit à l'assistance d'un avocat et l'a aidé à téléphoner à un avocat de l'aide juridique, avec qui il s'est brièvement entretenu. Le lendemain, lorsqu'on lui a donné une autre possibilité de parler à un avocat, il a tenté en vain de communiquer avec un avocat en particulier et lui a laissé un message sur son répondeur. Lorsqu'on lui a demandé s'il désirait parler à un autre avocat, il a déclaré qu'il préférait attendre l'appel de l'avocat qu'il avait choisi. Toutefois, après avoir été informé que l'avocat de son choix n'allait probablement pas rappeler avant l'ouverture de son bureau le lendemain et s'être vu rappeler qu'il pouvait bénéficier de l'aide juridique immédiatement et gratuitement, M. Willier a choisi de parler de nouveau à un avocat de garde. Peu après, la police a commencé son entretien à des fins d'enquête, en invitant, en guise de préambule, M. Willier à communiquer avec un avocat à tout moment durant l'échange. M. Willier s'est dit satisfait des conseils qu'il avait reçus de l'avocat de l'aide juridique et n'a pas retenté de communiquer avec un avocat avant de faire sa déclaration à la police.

[3] Un voir‑dire préalable au procès a confirmé les allégations de M. Willier qu'il y avait eu violation de l'al. 10b). Selon le juge du procès, après que M. Willier a tenté en vain de communiquer avec l'avocat de son choix et avant qu'il ne parle à l'avocat de garde, la police était tenue, conformément à l'al. 10b), de l'informer de son droit d'avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec l'avocat de son choix et de l'obligation de la police de s'abstenir de lui poser des questions jusqu'à ce qu'il ait cette possibilité. Sans une telle mise en garde, il ne pouvait renoncer à son droit à l'assistance de l'avocat de son choix. De plus, la police n'aurait pas dû dissuader M. Willier d'attendre l'appel de l'avocat de son choix et le diriger vers l'aide juridique. Bien que M. Willier ait parlé à deux reprises à un avocat de garde, le juge du procès a estimé que ces consultations étaient inadéquates compte tenu de leur brièveté, concluant qu'elles ne constituaient pas un [traduction] « exercice utile de son droit à l'assistance d'un avocat » (2006 CarswellAlta 2120, par. 119). Comme le juge du procès a écarté les déclarations de M. Willier, ce dernier a été acquitté.

[4] Les juges majoritaires de la Cour d'appel de l'Alberta ont infirmé cette décision, concluant à l'absence de violation de la Charte (2008 ABCA 126, 89 Alta. L.R. (4th) 22). Selon eux, l'al. 10b) n'impose pas à la police, contrairement à ce qui a été statué lors du voir‑dire, une obligation d'information supplémentaire lorsque le détenu ne réussit pas à communiquer avec un avocat en particulier et choisit de parler à un autre avocat. Le juge du procès a également commis une erreur en fondant sa conclusion qu'il y avait eu violation de l'al. 10b) sur la présumée insuffisance des conseils juridiques offerts à M. Willier. Compte tenu du caractère privilégié des confidences du client à son avocat, la police n'est pas tenue de s'assurer que les conseils juridiques répondent à une norme de qualité particulière. M. Willier n'a pas été privé du droit que lui garantit l'al. 10b). Étant donné qu'il a consulté à plus d'une reprise un avocat de l'aide juridique, qu'il s'est dit satisfait des conseils reçus et qu'il a refusé l'offre de parler à un avocat lorsqu'il a eu de nouveau cette possibilité avant l'entretien, la police était en droit de poursuivre ses questions. En l'absence d'une violation de la Charte, rien ne justifiait l'exclusion de la déclaration que M. Willier avait faite à la police.

[5] Par contre, la juge Bielby (ad hoc), souscrivant au résultat, a confirmé la violation de l'al. 10b) constatée lors du voir‑dire. Le bref intervalle entre la tentative de M. Willier de communiquer avec l'avocat qu'il privilégiait et le début de l'entretien ne lui a pas donné de possibilité raisonnable de consulter l'avocat de son choix, surtout étant donné la gravité de l'accusation et l'absence d'urgence de commencer l'enquête. Les brèves conversations téléphoniques que M. Willier a eues avec un avocat de l'aide juridique ne lui ont pas permis de [traduction] « communiquer de façon utile » avec un avocat et donc d'exercer son droit à l'assistance d'un avocat (par. 77).

[6] Pour les motifs qui suivent, nous sommes d'accord avec la majorité de la Cour d'appel, concluons qu'il n'y a pas eu violation de l'al. 10b) et rejetons le pourvoi.

II. Les faits

[7] Aux alentours du 25 février 2005, Brenda Moreside a été retrouvée assassinée à coups de couteau dans sa maison à High Prairie, en Alberta. Étant donné sa relation antérieure avec la défunte, Stanley Willier a été identifié comme suspect par la GRC et a été arrêté pour meurtre à l'appartement de son frère, à Edmonton, le 26 février 2005, à midi.

[8] Lors de son arrestation, M. Willier a admis avoir récemment consommé des pilules achetées au marché noir. Après quelques brèves questions sur sa consommation de drogue et son bien‑être physique, les policiers qui ont procédé à son arrestation ont commencé à craindre pour sa santé et ont décidé de le conduire à l'hôpital. Ils l'ont informé qu'ils avaient l'intention de lui parler après sa visite à l'hôpital, ce à quoi il a répondu : [traduction] « D'accord, vous avez terminé les gars (incompréhensible) je veux parler à un avocat, je ne veux pas être interrogé » (d.a., vol. 2, p. 168).

[9] À 17 h 40, dans la salle des urgences, la police a informé M. Willier des motifs de son arrestation et de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. Elle lui a dit qu'il pouvait appeler l'avocat de son choix, l'a informé qu'un avocat de garde était disponible gratuitement et lui a fourni un annuaire téléphonique ainsi que le numéro sans frais de l'aide juridique. Lorsqu'on lui a demandé s'il comprenait ces droits, M. Willier a répondu par l'affirmative. La police lui a ensuite demandé s'il voulait appeler un avocat, précisant que l'aide juridique, contrairement à ce qu'il croyait, n'était pas offerte gratuitement uniquement à ceux qui en avaient préalablement fait la demande, et l'informant qu'il pouvait en bénéficier immédiatement. Comme il avait avisé la police qu'il préférait attendre au lendemain pour communiquer avec un avocat, elle lui a promis qu'un téléphone serait mis à sa disposition dès qu'il déciderait d'en appeler un.

[10] Lorsque M. Willier a reçu son congé de l'hôpital vers minuit ce soir‑là, la police l'a amené au détachement de la GRC de Sherwood Park. Après avoir été informé encore une fois de son droit à l'assistance d'un avocat, il a demandé à parler gratuitement à un avocat. Après qu'on lui eut fourni une pièce fermée, un téléphone et divers numéros de téléphone, il a eu une conversation de trois minutes avec un avocat de garde. Il a ensuite été ramené à sa cellule pour la nuit.

[11] Le lendemain matin, un dimanche, l'agent de police Lahaie a obtenu la confirmation de M. Willier qu'il avait parlé à un avocat la nuit précédente et lui a donné une autre possibilité de communiquer avec un avocat. M. Willier a indiqué qu'il désirait parler à un avocat en particulier, Me Peter Royal; l'agent Lahaie a composé le numéro de téléphone de Me Royal, a remis le combiné à M. Willier et l'a laissé seul pour qu'il puisse, en privé, laisser un message sur son répondeur. Après que M. Willier eut raccroché, l'agent Lahaie lui a demandé s'il voulait communiquer avec un autre avocat. Il a décliné l'offre, indiquant qu'il préférait attendre. Lorsque l'agent Lahaie l'a informé que Me Royal ne serait probablement pas disponible avant le lendemain, étant donné que son bureau était fermé, et qu'il pouvait bénéficier immédiatement de l'aide juridique, M. Willier a choisi de parler de nouveau à un avocat de garde. Voici la discussion ayant amené M. Willier à appeler un avocat de l'aide juridique une deuxième fois :

[traduction]

Lahaie : Vous avez laissé un message, n'est‑ce pas?

Willier : Oui.

Lahaie : Voulez‑vous parler à un autre avocat ce matin . . .

Willier : Non.

Lahaie : . . . pour, pour parler directement à un avocat? Nous pouvons téléphoner de nouveau à ce numéro, le numéro après les heures de travail, si vous le voulez.

Willier : Non, je crois que je vais simplement attendre (inaudible). Je viens juste de dire ça à l'avocat.

Lahaie : Bien, leurs bureaux sont fermés, comme l'indique . . .

Willier : Ouais.

Lahaie : . . . son répondeur. Ils ne seront donc pas disponibles avant demain.

Willier : Oh (inaudible).

Lahaie : À moins qu'ils ne vérifient leurs messages durant la fin de semaine. Si vous voulez parler directement à un avocat aujourd'hui, vous pouvez appeler. C'est pour ça que nous avons ce service après les heures de travail, que l'aide juridique offre ce service.

Willier : D'accord, appelons‑les. [d.a., vol. 2, p. 241]

Après une brève conversation d'une minute avec un avocat de l'aide juridique, M. Willier a été ramené à sa cellule.

[12] Environ 50 minutes plus tard, le sergent Gillespie a commencé l'entretien avec M. Willier. Après avoir fait confirmer que celui‑ci avait consulté un avocat de l'aide juridique, il l'a informé de nouveau de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et lui a donné une autre possibilité de communiquer avec un avocat avant de poursuivre l'entretien. M. Willier s'est dit satisfait des conseils reçus de l'avocat de l'aide juridique. Le sergent Gillespie lui a fait une nouvelle mise en garde relative à son droit de garder le silence, l'informant que tout ce qu'il dirait pourrait servir de preuve contre lui. Il lui a demandé de répéter la mise en garde pour s'assurer qu'il en comprenait la signification, ce qu'a fait ce dernier. Il a indiqué qu'il procéderait à l'entretien, mais que M. Willier serait libre, à tout moment, d'arrêter et d'appeler un avocat :

[traduction]

Gillespie : Eh bien, dans la mesure où vous êtes satisfait des conseils que vous avez reçus, je pense que nous allons partir de là. Mais je veux que vous sachiez que ah, à tout moment, si vous désirez arrêter et appeler un avocat, vous êtes plus que bienvenu de le faire. Je ne veux vous priver de ce droit d'aucune façon.

Willier : D'accord.

Gillespie : Alors, si, si vous désirez parler à un avocat, vous n'avez qu'à dire, hey Charlie, je veux parler à un avocat.

Willier : Hmm hmm.

Gillespie : C'est beau?

Willier : Oui.

Gillespie : D'accord. Avez‑vous d'autres questions sur quoi que ce soit, eh?

Willier : Non. [d.a., vol. 2, p. 259]

Durant l'échange qui a suivi, M. Willier a fait une longue déclaration concernant son implication dans la mort de Mme Moreside.

III. Historique judiciaire

[13] L'instance judiciaire a commencé par un voir‑dire pour déterminer si les déclarations de M. Willier étaient admissibles en common law et si, selon la Charte, elles pouvaient être écartées.

[14] Le juge du procès a statué que les déclarations étaient volontaires et donc admissibles en vertu de la règle des confessions, faisant remarquer que M. Willier était [traduction] « alerte, attentif et rationnel » pendant tout l'entretien, qu'il n'y a pas eu d'incitation inacceptable de la part de la police et que les techniques de persuasion utilisées étaient raisonnables. Il a cependant écarté les déclarations après avoir découvert que la police avait violé le droit de M. Willier à l'assistance d'un avocat que lui garantit l'al. 10b) de la Charte.

[15] La première violation découlait du fait que la police n'avait pas informé M. Willier de son droit à l'assistance d'un avocat et ne lui avait pas donné la possibilité d'exercer ce droit au moment de son arrestation, obligations remplies seulement plus tard à l'hôpital. Même si ce délai constituait une violation de l'al. 10b), le juge du procès a signalé, au par. 105, qu'il n'était [traduction] « peut‑être pas important » puisque la police n'a recueilli aucun élément de preuve ayant un lien étroit avec la violation de la Charte. En l'espèce, personne ne prétend que le délai mis à informer M. Willier de son droit à l'assistance d'un avocat constituait une violation de l'al. 10b), et nous sommes d'accord avec le juge du procès au sujet de son insignifiance, étant donné l'absence de lien entre le délai et la production de la déclaration.

[16] Le juge du procès a estimé que la police avait violé une deuxième fois l'al. 10b) en privant M. Willier de son droit d'avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec l'avocat de son choix, comme le démontrent les actions de l'agent Lahaie, qui l'[traduction] « a dissuadé activement » d'attendre l'appel de Me Royal et l'a dirigé vers l'aide juridique, et le commencement de l'interrogatoire mené par le sergent Gillespie peu après (par. 111‑113). Compte tenu de l'ensemble des circonstances, notamment l'absence d'urgence à commencer l'enquête et d'indication que Me Royal ne serait pas disponible dans un délai raisonnable, le fait que la police n'a pas suspendu l'interrogatoire constituait une violation de l'al. 10b). M. Willier n'avait pas renoncé à son droit d'avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec l'avocat de son choix en optant pour un avocat de garde puisque la police ne l'avait pas informé de ce droit. Même s'il a communiqué à deux reprises avec un avocat de l'aide juridique, M. Willier n'a pas exercé son droit d'avoir une possibilité valable d'avoir recours à l'assistance d'un avocat compte tenu de la brièveté des conversations. Ayant conclu à la violation de l'al. 10b), le juge du procès a écarté les déclarations de M. Willier en vertu du par. 24(2) de la Charte. Comme le ministère public n'a pas été en mesure de présenter par la suite d'autres éléments de preuve, M. Willier a été acquitté.

[17] Les juges majoritaires de la Cour d'appel de l'Alberta ont accueilli l'appel, infirmé l'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès.

[18] À titre préliminaire, le juge Slatter, au nom de la majorité, a statué que l'al. 10b) n'oblige pas la police à contrôler la qualité des conseils reçus. Il a écrit que [traduction] « [l]a police est tenue d'aviser le détenu de son droit à l'assistance d'un avocat, non pas de vérifier les conseils une fois donnés » (par. 28). Comme ce genre de communication est protégé par le secret professionnel de l'avocat, la police n'a pas le droit d'en connaître le contenu. Même si le détenu dévoilait volontairement à la police les conseils reçus, il serait malavisé de la part de la police de deviner s'ils sont adéquats. Ainsi, le juge du procès a commis une erreur en concluant à une violation de la Charte d'après l'insuffisance présumée des conseils juridiques offerts à M. Willier.

[19] Le juge Slatter a estimé que la police s'était conformée à ses obligations d'information et de mise en application prévues à l'al. 10b), et que l'allégation de violation de la Charte n'était pas fondée. La conduite de l'agent Lahaie, en informant M. Willier qu'il pouvait bénéficier de l'aide juridique après sa tentative infructueuse de communiquer avec Me Royal, n'a rien de mal à propos : elle est tout à fait conforme à l'obligation de la police de s'assurer que le détenu est au courant de la possibilité de bénéficier d'une consultation juridique immédiate et gratuite (par. 47). La police a donné à M. Willier une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat. En effet, il a consulté un avocat de l'aide juridique à deux reprises, s'est dit satisfait des conseils reçus et a refusé l'offre de parler à un avocat lorsqu'on lui a de nouveau offert cette possibilité avant l'entretien. Le juge Slatter a écrit : [traduction] « Puisqu'elle s'était acquittée de son obligation d'informer l'intimé de son droit à l'assistance de l'avocat de son choix et que celui‑ci avait effectivement parlé à un avocat, la police était en droit de tenter d'obtenir une déclaration de sa part tant qu'il ne demandait pas de nouveau à parler à l'avocat de son choix » (par. 56).

[20] Le juge Slatter a également conclu que M. Willier avait renoncé à son droit de parler à un avocat, puisqu'il s'était dit satisfait des conseils de l'avocat de l'aide juridique. Cette renonciation a mis fin à l'obligation de la police de suspendre ses questions, l'autorisant ainsi à poursuivre comme elle l'a fait.

[21] En l'absence d'une violation de la Charte, il n'y avait pas lieu d'écarter la déclaration visée au par. 24(2). Le juge Slatter a néanmoins relevé des erreurs commises par le juge du procès dans son analyse fondée sur le par. 24(2) qui justifiaient également la tenue d'un nouveau procès.

[22] Souscrivant au résultat, la juge Bielby a conclu que la police avait violé le droit garanti à M. Willier par l'al. 10b) parce qu'elle n'avait pas attendu un délai raisonnable pour permettre à l'avocat choisi par M. Willier de rappeler, avant de commencer son entretien. En concluant que l'intervalle de 50 minutes entre la tentative de M. Willier d'appeler Me Royal et le début de l'entretien était déraisonnable, elle a insisté sur la gravité de l'accusation et l'absence d'urgence à commencer l'enquête. Elle a également signalé que les deux brèves conversations que M. Willier a eues avec l'aide juridique ne lui ont pas permis [traduction] « de communiquer de façon utile avec un avocat et de recevoir des conseils satisfaisants » (par. 77). Elle a aussi conclu que le ministère public n'avait pas prouvé que M. Willier avait renoncé à son droit d'attendre d'obtenir d'autres conseils juridiques de l'avocat de son choix, car la police ne l'avait pas informé de ce droit et de son obligation de suspendre ses questions. Toutefois, malgré la violation de la Charte, la juge Bielby a conclu que l'analyse fondée sur le par. 24(2) du juge du procès était inadéquate et a finalement souscrit à l'opinion de la majorité selon laquelle la tenue d'un nouveau procès était nécessaire.

[23] M. Willier se pourvoit maintenant devant la Cour.

IV. Analyse

[24] Comme nous l'avons indiqué dès le départ, le présent pourvoi porte principalement sur le droit à l'assistance de l'avocat de son choix garanti par l'al. 10b) de la Charte et l'obligation correspondante de la police de faciliter ce choix. Certes, le droit de choisir son avocat est un aspect de la garantie de l'al. 10b), mais la Charte ne garantit pas aux détenus le droit absolu d'avoir recours à l'assistance d'un avocat particulier à l'étape initiale de l'enquête sans égard aux circonstances. Il faut tenir compte de l'objectif de la garantie pour comprendre ce que comporte le droit à l'assistance d'un avocat.

A. Le texte et l'objectif de l'al. 10b)

[25] Voici le texte de l'al. 10b) :

10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention :

. . .

b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;

[26] Le texte de l'al. 10b) demeure le point de départ pour l'interprétation de cette disposition, mais il est essentiel de comprendre les objectifs sous‑jacents de la disposition pour pouvoir bien en saisir le contenu. Cela est particulièrement vrai en l'espèce, car le texte de l'al. 10b) ne prévoit pas expressément le droit à l'assistance de l'avocat de son choix.

[27] Comme nous l'avons précisé dans Sinclair, le droit au silence qui découle de l'art. 7 et le droit à l'assistance d'un avocat prévu à l'al. 10b) s'allient pour « faire en sorte que le suspect soit en mesure d'exercer un choix libre et éclairé quant à la décision de parler ou non aux enquêteurs de la police » (par. 25). L'alinéa 10b) vise la réalisation de cet objectif en prévoyant que les détenus ont la possibilité d'être informés des droits et obligations qui leur sont reconnus par la loi et d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits et de remplir ces obligations. Comme l'a écrit le juge en chef Lamer dans R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, à la p. 191 :

Cette possibilité lui est donnée, parce que, étant détenue par les représentants de l'État, elle est désavantagée par rapport à l'État. Non seulement elle a été privée de sa liberté, mais encore elle risque de s'incriminer. Par conséquent, la personne « détenue » au sens de l'art. 10 de la Charte a immédiatement besoin de conseils juridiques, afin de protéger son droit de ne pas s'incriminer et d'obtenir une aide pour recouvrer sa liberté : Brydges, à la p. 206; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, aux pp. 176 et 177; et Prosper. L'alinéa 10b) habilite la personne détenue à recourir de plein droit à l'assistance d'un avocat « sans délai » et sur demande. Comme l'a dit notre Cour dans l'arrêt Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383, à la p. 394, le droit à l'assistance d'un avocat prévu à l'al. 10b) vise à assurer le traitement équitable dans le processus pénal des personnes arrêtées ou détenues. [Soulignement omis.]

[28] En conséquence, l'al. 10b) donne aux détenus la possibilité de communiquer avec un avocat lorsqu'ils sont privés de leur liberté et sous le contrôle de l'État, et que, de ce fait, ils se trouvent à la merci de son pouvoir et courent un risque sur le plan juridique. L'objectif de l'al. 10b) est de donner aux détenus la possibilité d'atténuer ce désavantage juridique.

B. Les droits et obligations découlant de l'al. 10b)

[29] L'alinéa 10b) vise à établir et à définir les droits et obligations qui découlent de la garantie. Dans Bartle, le juge en chef Lamer les a résumés du point de vue des obligations imposées aux représentants de l'État qui arrêtent une personne ou la mettent en détention (p. 192). L'alinéa 10b) impose à la police les obligations suivantes :

(1) informer la personne détenue de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et de l'existence de l'aide juridique et d'avocats de garde;

(2) si la personne détenue a indiqué qu'elle voulait exercer ce droit, lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d'urgence ou de danger);

(3) s'abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d'urgence ou de danger).

[30] La première obligation touche à l'information, tandis que les deuxième et troisième participent de l'obligation de mise en application et ne prennent naissance que si les détenus indiquent qu'ils désirent exercer leur droit à l'assistance d'un avocat. Comme l'a expliqué la Cour dans R. c. Suberu, 2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460, ces obligations s'appliquent dès l'arrestation d'une personne ou sa mise en détention, étant donné que « les problèmes de l'auto‑incrimination et de l'entrave à la liberté auxquels l'al. 10b) tente de répondre se posent dès la mise en détention » (par. 41).

[31] L'obligation d'information imposée à la police est relativement simple. Toutefois, si le détenu indique concrètement qu'il ne comprend pas son droit à l'assistance d'un avocat, la police ne peut se contenter de la récitation rituelle de la mise en garde relative à ce droit; elle doit en faciliter la compréhension : R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869. Par ailleurs, dans des circonstances particulières et bien définies, l'al. 10b) impose à la police une obligation d'information supplémentaire. Dans R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, le juge en chef Lamer a décrit cette obligation et les circonstances qui la font naître (p. 274) :

Dans les cas où la personne détenue a manifesté sa volonté de se prévaloir de son droit à l'assistance d'un avocat et où elle a été raisonnablement diligente dans l'exercice de ce droit sans pour autant réussir à joindre un avocat parce qu'aucun avocat de garde n'était disponible au moment de la détention, les tribunaux doivent s'assurer qu'on n'a pas conclu trop facilement à la renonciation au droit à l'assistance d'un avocat garanti par la Charte. En fait, j'estime qu'il y aura naissance d'une obligation d'information supplémentaire de la part de la police dès que la personne détenue, qui a déjà manifesté son intention de se prévaloir de son droit à l'assistance d'un avocat, indique qu'elle a changé d'avis et qu'elle ne désire plus obtenir de conseils juridiques. À ce moment, la police sera tenue de l'informer de son droit d'avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l'obligation de la police, au cours de cette période, de s'abstenir, tant que la personne n'aura pas eu cette possibilité raisonnable de prendre toute déposition ou d'exiger qu'elle participe à quelque processus qui pourrait éventuellement être incriminant. Grâce à cette exigence supplémentaire en matière d'information imposée à la police, la personne détenue qui maintient qu'elle veut renoncer à son droit à l'assistance d'un avocat saura ce à quoi elle renonce.

[32] Par conséquent, lorsque le détenu qui a fait preuve de diligence mais n'a pas réussi à joindre un avocat change d'avis et décide de ne plus tenter de communiquer avec un avocat, l'al. 10b) oblige la police à l'informer expressément de son droit d'avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l'obligation de la police de suspendre ses questions jusque‑là. Cette obligation d'information supplémentaire, appelée obligation de faire une « mise en garde de type Prosper » dans le présent pourvoi, est justifiée dans de telles circonstances, car elle offre les garanties suivantes : le détenu est informé que ses tentatives infructueuses de joindre un avocat n'ont pas épuisé son droit garanti par l'al. 10b), le choix de parler à la police ne découle pas d'une telle méprise et la décision de renoncer au droit à l'assistance d'un avocat a été prise en toute connaissance de cause.

[33] Les détenus qui choisissent d'exercer leur droit garanti par l'al. 10b) en communiquant avec un avocat déclenchent les obligations de mise en application qui incombent à la police. Selon ces obligations, la police doit donner au détenu une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et s'abstenir de lui poser des questions jusqu'à ce qu'il ait eu cette possibilité. Toutefois, ces obligations sont subordonnées à la diligence raisonnable dont fait preuve le détenu qui tente de communiquer avec un avocat : R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435; R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138; R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368. Ce qui constitue une diligence raisonnable dans l'exercice du droit de communiquer avec un avocat dépend de l'ensemble des circonstances particulières. Comme la juge Wilson l'a affirmé dans Black :

Ces obligations des policiers sont soumises à une condition : l'accusé doit faire preuve de diligence raisonnable en tentant d'obtenir les services d'un avocat s'il souhaite le faire. Si l'accusé ne fait pas preuve de diligence à cet égard, l'obligation correspondante qu'ont les policiers de s'abstenir de l'interroger est suspendue : voir R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435. [p. 154‑155]

[34] Une telle limite aux droits d'un détenu est nécessaire, comme le juge Lamer (plus tard Juge en chef) l'a souligné dans Smith, « puisque sans elle, il serait possible de retarder inutilement et impunément une enquête et même, dans certains cas, de faire en sorte qu'une preuve essentielle soit perdue, détruite ou impossible à obtenir. Les droits énoncés dans la Charte, et en particulier le droit à l'assistance d'un avocat, ne sont pas des droits absolus et illimités. Ils doivent être exercés d'une façon qui soit conciliable avec les besoins de la société » (p. 385).

[35] Si les détenus décident d'exercer leur droit à l'assistance d'un avocat en parlant à un avocat précis, l'al. 10b) leur accorde une possibilité raisonnable de communiquer avec l'avocat de leur choix avant d'être questionnés par la police. Si l'avocat choisi n'est pas immédiatement disponible, ils peuvent refuser de parler à un autre avocat et attendre pendant un délai raisonnable que l'avocat de leur choix leur réponde. Ce qui constitue un délai raisonnable dépend de l'ensemble des circonstances, notamment de facteurs comme la gravité de l'accusation et l'urgence de l'enquête : Black. Si l'avocat choisi n'est pas disponible dans un délai raisonnable, les détenus sont censés exercer leur droit à l'assistance d'un avocat en communiquant avec un autre avocat, sinon l'obligation qui incombe à la police d'interrompre ses questions est suspendue : R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; et Black. Comme le juge Lamer l'a souligné dans Ross, le détenu doit également faire preuve de diligence dans l'exercice du droit à l'assistance de l'avocat de son choix :

Notons que comme l'a dit cette Cour dans l'arrêt R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435, un prévenu ou un détenu, bien qu'il ait le droit de choisir un avocat, doit faire preuve de diligence raisonnable dans l'exercice de ses droits, sinon les obligations corollaires qui, selon l'arrêt Manninen, sont imposées aux policiers, sont suspendues. La diligence raisonnable dans l'exercice du droit de choisir son avocat dépend de la situation dans laquelle se trouve l'accusé ou le détenu. Au moment de son arrestation, par exemple, le détenu a un besoin immédiat de conseils juridiques et doit faire preuve de diligence raisonnable en conséquence. Par contre, lorsqu'il cherche le meilleur avocat pour un procès, l'accusé n'est pas dans une telle situation d'urgence. Néanmoins, l'accusé ou le détenu a le droit de choisir son avocat et ce n'est que si l'avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable qu'on doit s'attendre à ce que le détenu ou l'accusé exerce son droit à l'assistance d'un avocat en appelant un autre avocat. [p. 11]

[36] Ces principes étant posés, nous allons répondre à la question soulevée en l'espèce.

C. M. Willier a‑t‑il été privé de son droit à l'assistance d'un avocat qui lui est garanti par l'al. 10b)?

[37] M. Willier prétend que la police a violé la Charte en ne lui donnant pas une possibilité raisonnable de consulter l'avocat de son choix. Reprenant les conclusions du voir‑dire, il soutient que l'al. 10b) étend l'application de la mise en garde de type Prosper aux cas où les détenus ne réussissent pas à joindre l'avocat de leur choix et décident de communiquer avec un autre avocat. N'ayant pas été informé de son droit d'avoir une possibilité raisonnable de consulter l'avocat de son choix et de l'obligation incombant à la police de s'abstenir de lui poser des questions jusqu'à ce qu'il se voit accorder cette possibilité, M. Willier ne pouvait validement renoncer à ce droit avant de parler à l'avocat de garde et de faire finalement une déclaration à la police durant les questions (m.a., par. 51). Il affirme également que les consultations avec l'avocat de garde, compte tenu de leur brièveté, ne lui permettaient pas d'exercer utilement son droit à l'assistance d'un avocat et donc de se prévaloir de la protection de l'al. 10b).

[38] Les circonstances qui ont conduit la Cour à énoncer l'obligation d'information supplémentaire dans Prosper diffèrent foncièrement de celles de l'espèce. Comme nous l'avons vu, la mise en garde de type Prosper est justifiée lorsque le détenu fait preuve de diligence mais ne réussit pas à communiquer avec un avocat, puis refuse toute possibilité de consulter un avocat. Le droit prévu à l'al. 10b) d'avoir une possibilité raisonnable de consulter un avocat constitue une garantie fondamentale visant à atténuer la vulnérabilité juridique du détenu alors qu'il se trouve sous le contrôle de l'État. Cette disposition offre aux détenus la possibilité d'obtenir des renseignements sur leur protection contre l'auto‑incrimination et leur droit à la liberté : Bartle. La mise en garde de type Prosper leur permet de savoir que leurs tentatives infructueuses de communiquer avec un avocat n'ont pas épuisé leur droit à l'assistance d'un avocat. Cette protection supplémentaire en matière d'information est justifiée lorsque le détenu annonce son intention de renoncer totalement aux protections de l'al. 10b), de sorte que ce choix est fait en toute connaissance de cause. Dans Prosper, le détenu a rejeté toute possibilité d'atténuer son désavantage juridique et de bénéficier des protections offertes par l'al. 10b), ce qui a déclenché l'application de l'obligation d'information supplémentaire sous forme de mise en garde.

[39] Les circonstances de l'espèce sont différentes. Les préoccupations à l'origine de la mise en garde de type Prosper n'entrent pas en jeu lorsque le détenu ne réussit pas à joindre un avocat précis et décide simplement de parler à un autre avocat. M. Willier n'a en aucune façon tenté de renoncer à son droit à l'assistance d'un avocat et donc à une possibilité d'atténuer son désavantage juridique. Il n'a pas tenté d'abdiquer son droit garanti par l'al. 10b). Comme il n'avait pas réussi à communiquer avec Me Royal, il a plutôt exercé son droit à l'assistance d'un avocat en choisissant de parler à un avocat de l'aide juridique. En conséquence, la police n'était pas tenue de lui faire une mise en garde de type Prosper, et cette omission ne prouve pas qu'il y ait eu violation de la Charte.

[40] En outre, nous ne pouvons souscrire à l'argument de M. Willier que ses consultations avec l'avocat de garde ne permettaient pas de respecter son droit d'avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat en vertu de l'al. 10b), puisqu'elles ne constituaient pas un exercice utile de ce droit. Reprenant les conclusions du juge du procès lors d'un voir‑dire, il affirme que ses deux consultations avec un avocat de l'aide juridique étaient insuffisantes vu leur brièveté, et que l'obligation incombant à la police d'interrompre ses questions ne pouvait donc être suspendue. En fait, son argument suppose que la police est tenue de s'assurer que les conseils juridiques que reçoit le détenu répondent à une certaine norme qualitative avant de pouvoir procéder à l'entretien à des fins d'enquête.

[41] Il est vrai que l'al. 10b) oblige la police à accorder au détenu une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et à faciliter cette communication, mais il ne l'oblige pas à contrôler la qualité des conseils une fois la communication établie. La relation avocat‑client a un caractère confidentiel en raison du secret professionnel. Vu la nécessité de respecter l'intégrité de cette relation, la police ne saurait être tenue responsable, à titre d'arbitre, du contrôle de la qualité des conseils juridiques reçus par le détenu. Imposer une telle obligation à la police serait incompatible avec la nature confidentielle de la relation. On ne peut exiger de la police qu'elle impose une certaine norme qualitative à l'égard des conseils juridiques, et elle n'a pas le droit non plus de se renseigner sur la teneur des conseils donnés. Par ailleurs, même si une telle obligation était justifiée, la norme applicable quant au caractère suffisant n'est pas clairement établie. Dans R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 27, la Cour a reconnu l'existence du « large éventail de l'assistance professionnelle raisonnable », de sorte que ce qu'on considère être des conseils raisonnables, suffisants ou adéquats est mal défini et très variable.

[42] Comme nous l'avons vu, l'al. 10b) vise à garantir que les détenus ont la possibilité d'être informés de leurs droits et obligations et d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits et de remplir ces obligations. Toutefois, à moins qu'ils n'indiquent, avec diligence et raisonnablement, que les conseils reçus sont insuffisants, la police peut présumer qu'ils sont satisfaits de la façon dont ils ont exercé leur droit à l'assistance d'un avocat et elle a le droit de commencer l'entretien à des fins d'enquête. En l'espèce, malgré la brièveté des conversations entre M. Willier et les avocats de l'aide juridique, M. Willier n'a pas laissé entendre que ces consultations étaient insuffisantes. Bien au contraire, il a affirmé au policier qui a mené l'entretien qu'il était satisfait des conseils juridiques, avant d'être questionné. M. Willier ne peut exprimer sa satisfaction, garder le silence lorsque la police lui offre de communiquer de nouveau avec un avocat, choisir de ne rien dire durant le voir‑dire au sujet des soi‑disant lacunes des conseils juridiques qu'il a reçus, puis demander à la Cour de conclure que les conseils étaient insuffisants en raison de leur brièveté. On ne peut se fonder sur l'insuffisance des conseils juridiques reçus par M. Willier pour conclure à la violation de l'al. 10b) de la Charte.

[43] Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, les juges majoritaires de la Cour d'appel ont conclu à bon droit que M. Willier n'a pas été privé de son droit à l'assistance d'un avocat que lui garantit l'al. 10b). La police n'a nullement porté atteinte au droit de M. Willier d'avoir une possibilité raisonnable de consulter l'avocat de son choix en lui rappelant simplement que l'aide juridique était disponible immédiatement et gratuitement après qu'il a tenté sans succès d'appeler Me Royal. Lorsque M. Willier a dit préférer attendre, l'agent Lahaie l'a informé avec raison qu'il était peu probable que Me Royal le rappelle rapidement étant donné que c'était un dimanche, et lui a rappelé qu'un avocat de garde était disponible immédiatement. On n'a pas dit à M. Willier qu'il ne pouvait attendre la réponse de Me Royal, ni que l'aide juridique était son seul recours. Rien n'indique que son choix d'appeler l'avocat de garde était le produit de la coercition. La police avait une obligation d'information visant à s'assurer que M. Willier était au courant de l'existence de l'aide juridique, et le fait de se conformer à cette obligation n'a pas porté atteinte à son droit d'avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec l'avocat de son choix. C'est à bon droit qu'on a présenté à M. Willier une autre voie lui permettant d'obtenir des conseils juridiques, une option dont il a choisi de se prévaloir de plein gré.

[44] Par ailleurs, le bref intervalle entre la tentative de M. Willier de communiquer avec Me Royal et le début de l'entretien à des fins d'enquête ne l'a pas privé d'une possibilité raisonnable de communiquer avec l'avocat de son choix. Il faut considérer la brièveté de l'intervalle en tenant compte de l'ensemble des circonstances précédant l'entretien. Après avoir parlé à un avocat de l'aide juridique et avant d'être questionné, M. Willier s'est dit satisfait des conseils reçus. Il ne s'est pas prévalu d'autres possibilités de communiquer avec Me Royal, bien qu'il se soit vu offrir la possibilité de communiquer en tout temps avec un avocat, et ce, avant et pendant l'entretien. Si M. Willier entretenait le désir constant de parler à Me Royal ou d'attendre que celui‑ci le rappelle, il n'a pas fait preuve de diligence dans l'exercice de ce droit. La police ne pouvait faire guère davantage dans ces circonstances pour accorder à M. Willier une possibilité raisonnable d'exercer les droits qui lui sont garantis par l'al. 10b). Il n'y a donc pas eu violation de son droit à l'assistance d'un avocat.

V. Dispositif

[45] Pour ces motifs, le pourvoi est rejeté.

Version française des motifs rendus par

[46] Le juge Binnie — Sous réserve du désaccord que j'ai exprimé dans R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310, au sujet de l'interprétation par la majorité de l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, je conviens avec la Juge en chef et la juge Charron que, au sujet de l'aspect du droit à l'assistance d'un avocat concernant le choix de l'avocat, « [s]i l'avocat choisi n'est pas disponible dans un délai raisonnable, les détenus sont censés exercer leur droit à l'assistance d'un avocat en communiquant avec un autre avocat, sinon l'obligation qui incombe à la police d'interrompre ses questions est suspendue » (par. 35). La situation en l'espèce n'est pas comparable à celle dans Sinclair. Comme le soulignent mes collègues, « [a]près avoir parlé à un avocat de l'aide juridique et avant d'être questionné, M. Willier s'est dit satisfait des conseils reçus. Il ne s'est pas prévalu d'autres possibilités de communiquer avec [l'avocat de son choix], bien qu'il se soit vu offrir la possibilité de communiquer en tout temps avec un avocat, et ce, avant et pendant l'entretien » (par. 44).

[47] J'estime par conséquent, moi aussi, qu'il y a lieu de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs des juges LeBel, Fish et Abella rendus par

[48] Les juges LeBel et Fish — En l'espèce, sous réserve des motifs que nous avons exposés dans R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310, et R. c. McCrimmon, 2010 CSC 36, [2010] 2 R.C.S. 402, nous sommes nous aussi d'avis de rejeter le pourvoi. Il ressort des faits que l'appelant a eu amplement la possibilité d'exercer les droits garantis par l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés qu'il réclamait, mais ne les a pas exercés avec diligence.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelant : Dawson Stevens & Shaigec, Edmonton.

Procureur de l'intimée : Procureur général de l'Alberta, Calgary.

Procureur de l'intervenant le Directeur des poursuites pénales du Canada : Service des poursuites pénales du Canada, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario : Procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

Procureurs de l'intervenante Criminal Lawyers' Association of Ontario : Schreck & Greene, Toronto.

Procureurs de l'intervenante l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : McCarthy Tétrault, Vancouver.

Procureurs de l'intervenante l'Association canadienne des libertés civiles : McCarthy Tétrault, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2010 CSC 37 ?
Date de la décision : 08/10/2010
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit à l'assistance d'un avocat - Choix de l'avocat - Non‑disponibilité de l'avocat choisi par l'accusé - Consultation par l'accusé de l'avocat de garde au lieu de l'avocat de son choix - Caractère adéquat des conseils reçus - Déclaration incriminante faite aux policiers pendant l'interrogatoire - Y a‑t‑il eu violation du droit de l'accusé à l'assistance d'un avocat? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 10b).

Après l'arrestation de W pour meurtre, la police l'a informé de son droit à l'assistance d'un avocat et l'a aidé à téléphoner à un avocat de garde, avec qui il s'est brièvement entretenu. Le lendemain, lorsqu'on lui a donné une autre possibilité de parler à un avocat, il a tenté en vain de communiquer avec un avocat en particulier. Après avoir été informé que l'avocat n'allait probablement pas rappeler avant l'ouverture de son bureau le lendemain et s'être vu rappeler qu'il pouvait bénéficier immédiatement des services de l'avocat de garde, W a choisi de parler de nouveau à un avocat de garde. W s'est dit satisfait des conseils qu'il avait reçus de l'avocat de garde. Le policier a dit à W qu'il procéderait à l'entretien, mais que W serait libre, à tout moment, d'arrêter et d'appeler un avocat. W n'a pas retenté de communiquer avec son avocat avant de faire sa déclaration à la police lors de l'entretien à des fins d'enquête qui a suivi. À un voir‑dire, le juge du procès a statué que la déclaration était volontaire. Il a toutefois conclu qu'il y avait eu atteinte au droit à l'assistance d'un avocat que l'al. 10b) de la Charte garantit à W, car on ne lui a pas donné de possibilité raisonnable de consulter l'avocat de son choix avant l'entretien. Par ailleurs, même s'il a communiqué à deux reprises avec un avocat de garde, W n'a pas exercé son droit d'avoir une possibilité valable d'avoir recours à l'assistance d'un avocat compte tenu de la brièveté des conversations. La déclaration a été écartée et W a été acquitté. Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont conclu à l'absence de violation de la Charte, infirmé l'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

La juge en chef McLachlin et les juges Deschamps, Charron, Rothstein et Cromwell : W n'a pas été privé de son droit à l'assistance d'un avocat que lui garantit l'al. 10b). La police n'a nullement porté atteinte à son droit d'avoir une possibilité raisonnable de consulter l'avocat de son choix en lui rappelant simplement qu'un avocat de garde était disponible immédiatement après qu'il a tenté sans succès d'appeler un avocat en particulier. Lorsque W a dit préférer attendre, la police l'a informé avec raison qu'il était peu probable que son avocat le rappelle rapidement, étant donné que c'était un dimanche, et lui a rappelé qu'un avocat de garde était disponible immédiatement. On n'a pas dit à W qu'il ne pouvait attendre la réponse de son avocat, ni que l'avocat de garde était son seul recours. Rien n'indique que son choix d'appeler l'avocat de garde était le produit de la coercition. La police avait une obligation d'information visant à s'assurer que W était au courant de l'existence de l'avocat de garde, et le fait de se conformer à cette obligation n'a pas porté atteinte à son droit d'avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec l'avocat de son choix. C'est à bon droit qu'on a présenté à W une autre voie lui permettant d'obtenir des conseils juridiques, une option dont il a choisi de se prévaloir de plein gré.

Par ailleurs, le bref intervalle entre la tentative de W de communiquer avec son avocat et le début de l'entretien à des fins d'enquête ne l'a pas privé d'une possibilité raisonnable de communiquer avec l'avocat de son choix. Il faut considérer la brièveté de l'intervalle en tenant compte de l'ensemble des circonstances précédant l'entretien. Après avoir parlé à l'avocat de garde, W s'est dit satisfait des conseils reçus. Il ne s'est pas prévalu d'autres possibilités de communiquer avec son avocat, bien qu'il se soit vu offrir la possibilité de communiquer en tout temps avec un avocat, et ce, avant et pendant l'entretien. Si W entretenait le désir constant de parler à son avocat ou d'attendre que celui‑ci le rappelle, il n'a pas fait preuve de diligence dans l'exercice de ce droit. La police ne pouvait faire guère davantage dans ces circonstances pour accorder à W une possibilité raisonnable d'exercer les droits qui lui sont garantis par l'al. 10b).

À moins que le détenu n'indique, avec diligence et raisonnablement, que les conseils reçus sont insuffisants, la police peut présumer qu'il est satisfait de la façon dont il a exercé son droit à l'assistance d'un avocat et elle a le droit de commencer l'entretien à des fins d'enquête. Il est vrai que l'al. 10b) oblige la police à accorder au détenu une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et à faciliter cette communication, mais il ne l'oblige pas à contrôler la qualité des conseils une fois la communication établie. Imposer une telle obligation à la police serait incompatible avec la nature confidentielle de la relation avocat‑client. En l'espèce, malgré la brièveté des conversations entre W et l'avocat de garde, W n'a pas laissé entendre que ces consultations étaient insuffisantes. Bien au contraire, il a affirmé au policier qui a mené l'entretien qu'il était satisfait des conseils juridiques, avant d'être questionné. W ne peut exprimer sa satisfaction, garder le silence lorsque la police lui offre de communiquer de nouveau avec un avocat, choisir de se taire durant le voir‑dire au sujet des soi‑disant lacunes des conseils juridiques qu'il a reçus, puis demander à la Cour de conclure que les conseils étaient insuffisants en raison de leur brièveté.

Le juge Binnie : La situation en l'espèce n'est pas comparable à celle dans le pourvoi connexe R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310. W s'est dit satisfait des conseils reçus de l'aide juridique avant l'entretien. Il ne s'est pas prévalu d'autres possibilités de communiquer avec l'avocat de son choix, bien qu'il se soit vu offrir la possibilité de le faire.

Les juges LeBel, Fish, et Abella : W a eu amplement la possibilité d'exercer les droits garantis par l'al. 10b) de la Charte qu'il réclamait, mais il ne les a pas exercés avec diligence.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Willier

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge en chef McLachlin et la juge Charron
Distinction d'avec l'arrêt : R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236
arrêts mentionnés : R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310
R. c. McCrimmon, 2010 CSC 36, [2010] 2 R.C.S. 402
R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173
R. c. Suberu, 2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460
R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869
R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435
R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138
R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368
R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3
R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520.
Citée par le juge Binnie
Arrêt appliqué : R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310.
Citée par les juges LeBel et Fish
Arrêts appliqués : R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310
R. c. McCrimmon, 2010 CSC 36, [2010] 2 R.C.S. 402.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 10b), 24(2).

Proposition de citation de la décision: R. c. Willier, 2010 CSC 37 (8 octobre 2010)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2010-10-08;2010.csc.37 ?
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