COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health,
[2008] 2 R.C.S. 574, 2008 CSC 44
Date : 20080717
Dossier : 31755
Entre :
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
Appelant
et
Blood Tribe Department of Health
Intimé
‑ et ‑
Procureur général du Canada,
Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada,
Commissariat à l’information du Canada,
Bureau de l’ombudsman du Nouveau-Brunswick,
Information and Privacy Commissioner of British Columbia,
Commissaire à l’information et à la protection de la vie
privée de l’Ontario, Advocates’ Society, Association du Barreau
canadien et Information and Privacy Commissioner of Alberta
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 35)
Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein)
______________________________
Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.C.S. 574, 2008 CSC 44
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada Appelant
c.
Blood Tribe Department of Health Intimé
et
Procureur général du Canada,
Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada,
Commissaire à l’information du Canada,
Bureau de l’Ombudsman du Nouveau‑Brunswick,
Information and Privacy Commissioner of British Columbia,
Commissaire à l’information et à la protection de la vie
privée de l’Ontario, Advocates’ Society, Association du Barreau
canadien et Information and Privacy Commissioner of Alberta Intervenants
Répertorié : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health
Référence neutre : 2008 CSC 44.
No du greffe : 31755.
2008 : 21 février; 2008 : 17 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Sharlow, Pelletier et Malone), [2007] 2 R.C.F. 561, 274 D.L.R. (4th) 665, 354 N.R. 302, 61 Admin. L.R. (4th) 1, 53 C.P.R. (4th) 273, [2006] A.C.F. no 1544 (QL), 2006 CarswellNat 4539, 2006 CAF 334, qui a rejeté une décision du juge Mosley, [2005] 4 R.C.F. 34, 265 F.T.R. 276, 40 C.P.R. (4th) 7, 133 C.R.R. (2d) 124, [2005] A.C.F. no 406 (QL), 2005 CarswellNat 2285, 2005 CF 328. Pourvoi rejeté.
Steven Welchner et Patricia Kosseim, pour l’appelant.
Eugene Creighton, c.r., Gary Befus et Ken McLeod, pour l’intimé.
Christopher Rupar, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Bruce T. MacIntosh, c.r., Angus Gibbon et Garner A. Groome, pour l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.
Marlys Edwardh, Daniel Brunet et Diane Therrien, pour l’intervenant le Commissaire à l’information du Canada.
Christian Whalen, pour l’intervenant le Bureau de l’Ombudsman du Nouveau‑Brunswick.
Susan E. Ross, pour l’intervenant Information and Privacy Commissioner of British Columbia.
William S. Challis et Stephen McCammon, pour l’intervenant le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario.
Benjamin Zarnett et Julie Rosenthal, pour l’intervenante Advocates’ Society.
Mahmud Jamal et Craig Lockwood, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.
Ritu Khullar et Vanessa Cosco, pour l’intervenant Information and Privacy Commissioner of Alberta.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] Le juge Binnie — Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à résoudre un conflit entre, d’une part, le pouvoir que la loi accorde au Commissaire à la protection de la vie privée d’avoir accès aux renseignements personnels au sujet d’un plaignant afin de veiller au respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (« LPRPDE »), et, d’autre part, le droit de la personne visée par la plainte (en l’espèce, un ancien employeur de la plaignante) de préserver la confidentialité des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat. À mon avis, si l’on applique aux termes généraux utilisés dans la LPRPDE les principes appropriés d’interprétation des lois, le droit de la personne ou de l’organisation visée par la plainte de préserver la confidentialité des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat doit l’emporter.
[2] L’article 12 LPRPDE confère expressément au Commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d’obliger une personne à produire les documents qu’il juge nécessaires pour examiner une plainte dont il est saisi, « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives », et de « recevoir les éléments de preuve ou les renseignements [. . .] qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux ». La commissaire soutient de ce fait qu’elle peut, à l’instar d’un tribunal judiciaire, examiner des documents à l’égard desquels le privilège du secret professionnel de l’avocat est revendiqué pour déterminer si la revendication est justifiée. Je ne suis pas d’accord. La Commissaire à la protection de la vie privée est un agent du Parlement chargée de fonctions administratives très importantes mais, s’agissant de l’examen des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat, elle n’est pas dans la même situation d’indépendance et d’autorité qu’un tribunal judiciaire. Il est bien établi qu’une disposition législative conférant des pouvoirs au titulaire d’une fonction comme celle de protecteur du citoyen ou à une autorité de réglementation, dans des termes aussi généraux que ceux employés à l’art. 12 LPRPDE, ne confère pas un droit d’accès aux documents visés par le secret professionnel de l’avocat, même à seule fin de déterminer si le secret professionnel est invoqué à bon droit. Ce rôle est réservé aux tribunaux judiciaires. Des termes exprès sont nécessaires pour permettre à une autorité de réglementation ou à tout autre titulaire d’une fonction créée par la loi de passer outre au privilège. La LPRPDE ne comporte pas de telles dispositions claires et explicites. C’est le point de vue exprimé par la Cour d’appel fédérale, auquel je souscris. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.
I. Faits
[3] Annette Soup a été congédiée par le Blood Tribe Department of Health au printemps 2002. L’employeur avait consulté ses avocats à propos de ce congédiement. Le dossier d’emploi de Mme Soup renfermait donc la correspondance échangée entre l’employeur et ses avocats. Rien n’indique que cette correspondance comportait quoi que ce soit d’irrégulier par son objet ou son contenu.
[4] Après son congédiement, Mme Soup a demandé d’avoir accès à son dossier personnel parce qu’elle soupçonnait l’employeur d’avoir irrégulièrement recueilli des renseignements inexacts et de les avoir utilisés pour la discréditer auprès de son conseil d’administration. L’employeur a refusé de lui communiquer ces renseignements, sans fournir de motifs. Madame Soup a alors déposé une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée en vue d’avoir accès aux renseignements personnels relatifs à son emploi. Le Commissaire à la protection de la vie privée a demandé les documents relatifs à l’emploi de Mme Soup. L’employeur en a fourni un certain nombre, mais il a refusé de communiquer ce qu’il a décrit comme [traduction] « une liasse de lettres » provenant de ses avocats, à l’égard desquelles il invoquait le privilège du secret professionnel de l’avocat en se fondant sur l’al. 9(3)a) LPRPDE, ainsi libellé :
9. . . .
(3) Malgré la note afférente à l’article 4.9 de l’annexe 1, l’organisation n’est pas tenue de communiquer à l’intéressé des renseignements personnels dans les cas suivants seulement :
a) les renseignements sont protégés par le secret professionnel liant l’avocat à son client;
[5] Le 16 juillet 2003, le Commissaire à la protection de la vie privée, par l’entremise de son avocat général, a répondu comme suit :
[traduction] Dans votre lettre, vous avez formulé la question de droit de la façon suivante : « La tribu des Blood est‑elle légalement tenue de communiquer au Commissariat à la protection de la vie privée les documents visés par le secret professionnel de l’avocat? »
Nous répondons à cette question par un oui sans réserve. [. . .] [Le Commissaire à la protection de la vie privée estime que] pour remplir sa mission conformément à ses critères, il doit être absolument certain que l’exception prévue à l’al. 9(3)a) a été invoquée à bon droit. Pour s’en assurer, le commissaire ou son délégué doit avoir accès aux documents en question. [Souligné dans l’original.]
Le Commissaire à la protection de la vie privée a ensuite ordonné, aux termes des al. 12(1)a) et c) LPRPDE, la production des documents auxquels le privilège s’applique. L’employeur a présenté une demande de contrôle judiciaire afin de contester la légalité de cette ordonnance. Le juge des requêtes a rejeté la demande de contrôle judiciaire, mais la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel, a annulé la décision de la Cour fédérale et a cassé l’ordonnance du Commissaire à la protection de la vie privée relative à la production des documents visés par le secret professionnel de l’avocat.
II. Dispositions législatives pertinentes
[6] Voir l’annexe.
III. Historique judiciaire
A. Cour fédérale, [2005] 4 R.C.F. 34, 2005 CF 328
[7] Le juge Mosley a relevé que selon l’al. 12(1)c) LPRPDE, le Commissaire à la protection de la vie privée a le pouvoir de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements « indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux ». Ces mots donnaient à penser, selon lui, que le législateur n’a pas voulu que l’examen des plaintes par le commissaire soit entravé par des questions de privilège. Le juge a fait une analogie avec la Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 111, ann. II (maintenant L.R.C. 1985, ch. P‑21), qui, selon les tribunaux, confère au Commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d’examiner des renseignements pour déterminer si une exemption fondée sur la sécurité nationale est invoquée à bon droit. Le juge Mosley y a vu « le signe de la confiance du législateur dans la capacité du commissaire de protéger les renseignements sensibles » (par. 55). Le Commissaire à la protection de la vie privée est investi de pouvoirs extraordinaires qui lui permettent de procéder efficacement à l’examen des plaintes, pouvoirs qu’il peut exercer « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives » (al. 12(1)a)). Une cour supérieure, a ajouté le juge Mosley, a le pouvoir d’exiger la production de documents pour étudier les revendications du privilège du secret professionnel de l’avocat. De plus, « [s]i le législateur avait voulu empêcher le commissaire d’évaluer le bien‑fondé d’une revendication de privilège, il aurait pu expressément exclure ce pouvoir, comme il l’a fait dans plusieurs autres lois » (par. 57).
B. Cour d’appel fédérale (les juges Sharlow, Pelletier et Malone), [2007] 2 R.C.F. 561, 2006 CAF 334
[8] Le juge Malone, s’exprimant au nom de la cour, a constaté que la demande de communication des documents de l’employeur faite par la Commissaire à la protection de la vie privée était rédigée « en des termes très généraux » (par. 7). Selon lui, l’abrogation du privilège du secret professionnel de l’avocat dans un texte législatif doit être claire et non équivoque : Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809, 2004 CSC 31. De plus, « [a]u vu du présent dossier, aucun fait n’a[vait] été avancé montrant pourquoi les documents confidentiels [étaient] de quelque manière nécessaires pour l’enquête du commissaire » (par. 18). Le paragraphe 20(5) LPRPDE, a ajouté le juge Malone, permet au Commissaire à la protection de la vie privée de faire part au procureur général des renseignements qu’il détient à l’égard de la perpétration d’infractions. Bien que l’al. 12(1)a) LPRPDE confère au commissaire des pouvoirs semblables à ceux d’une cour supérieure, il ne lui attribue pas pour autant la compétence d’une cour supérieure. Il l’autorise simplement à décerner des citations et à rendre des ordonnances ayant force de loi à l’égard de questions qui relèvent par ailleurs de son pouvoir d’enquête. Pour le juge Malone, au par. 29, « [d]es mots qui confèrent à un tribunal administratif le pouvoir de contraindre des témoins à déposer, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure [. . .] ne sauraient élargir la compétence de ce tribunal administratif ou d’une commission » à des questions touchant le secret professionnel de l’avocat.
IV. Analyse
[9] Le secret professionnel de l’avocat est essentiel au bon fonctionnement du système de justice. Étant donné la complexité des règles de droit et de procédure, il est impossible, de manière réaliste, de s’y retrouver sans les conseils d’un avocat. On dit que celui qui se défend lui‑même a un imbécile pour client, mais la valeur des conseils d’un avocat est fonction de la qualité des renseignements factuels que lui fournit son client. Nous savons par expérience que les personnes aux prises avec un problème juridique se refuseront souvent à dévoiler la totalité des faits à un avocat s’ils n’ont pas une garantie de confidentialité « aussi absolu[e] que possible » :
. . . le secret professionnel de l’avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas.
(R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14, par. 35, cité et approuvé dans Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61, par. 36.)
Il est dans l’intérêt public que la libre circulation des conseils juridiques soit favorisée. Autrement, l’accès à la justice et la qualité de la justice dans notre pays seraient sérieusement compromis. Le privilège du secret professionnel appartient au client et non à l’avocat. Dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 188, le juge McIntyre a affirmé une fois de plus que la Cour n’autorisera pas un avocat à divulguer des renseignements confidentiels donnés par un client.
[10] Dans la présente affaire, la possibilité que l’employeur ait ou non envisagé un procès au moment où il a consulté son avocat n’a aucune importance. Bien que le privilège du secret professionnel de l’avocat ait d’abord été considéré comme une règle de preuve, il constitue sans aucun doute maintenant une règle de fond applicable à toutes les communications entre un client et son avocat lorsque ce dernier donne des conseils juridiques ou agit, d’une autre manière, en qualité d’avocat et non en qualité de conseiller d’entreprise ou à un autre titre que celui de spécialiste du droit : Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 837; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 885‑887; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., [2004] 1 R.C.S. 456, 2004 CSC 18, par. 40‑47; McClure, par. 23‑27; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, 2006 CSC 39, par. 26; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), [2006] 2 R.C.S. 32, 2006 CSC 31; Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., [2006] 2 R.C.S. 189, 2006 CSC 36; Juman c. Doucette, [2008] 1 R.C.S. 157, 2008 CSC 8. Il existe une rare exception, qui ne s’applique pas en l’espèce : aucun privilège ne protège les communications criminelles en elles‑mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle (voir Descôteaux, p. 881; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565). La nature extrêmement restreinte de cette exception fait ressortir, plutôt que l’atténuer, la suprématie de la règle générale selon laquelle le privilège du secret professionnel de l’avocat est établi et préservé de façon « aussi absolu[e] que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (McClure, par. 35).
[11] Pour donner effet à ce principe de droit fondamental, notre Cour a statué que les dispositions législatives susceptibles (si elles sont interprétées de façon large) d’autoriser des atteintes au privilège du secret professionnel de l’avocat doivent être interprétées de manière restrictive. Le privilège ne peut être supprimé par inférence. On considérera ainsi qu’une disposition d’acception large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat : Lavallee, par. 18; Pritchard, par. 33. Ce principe s’applique parfaitement à la présente affaire.
A. La procédure d’examen des plaintes de la LPRPDE
[12] La LPRPDE s’applique aux « renseignements personnels [. . .] qui concernent un de ses employés [d’une organisation] et [que celle‑ci] recueille, utilise ou communique dans le cadre d’une entreprise fédérale » (LPRPDE, al. 4(1)b)). La personne qui croit qu’une telle entreprise ou organisation a violé la LPRPDE en refusant de lui communiquer les renseignements personnels la concernant peut déposer une plainte en vertu du par. 11(1). Une fois la plainte déposée, le Commissaire à la protection de la vie privée est tenu, selon l’art. 12 LPRPDE, de procéder à son examen. À la suite de cet examen et dans l’année suivant la date du dépôt de la plainte, le commissaire dresse un rapport où il présente ses conclusions et recommandations (art. 13). Même dans les cas où il conclut qu’une organisation comme celle de l’intimée a irrégulièrement refusé la communication de renseignements personnels, le commissaire n’a pas le pouvoir de lui en ordonner la communication. Il présente ses conclusions et recommandations. Il est alors loisible au plaignant d’exercer un recours devant les tribunaux (art. 14), seuls habilités à ordonner à une organisation telle que l’intimé de communiquer au plaignant les renseignements qui le concernent : Englander c. TELUS Communications Inc., [2005] 2 R.C.F. 572, 2004 CAF 387. L’article 15 autorise le Commissaire à la protection de la vie privée à présenter lui‑même une demande à la Cour fédérale relativement à toute question visée à l’art. 14, avec le consentement du plaignant et dans le délai prévu à ce dernier article. À ce stade, si ce n’est avant, le commissaire se trouve dans un rapport antagoniste avec l’entreprise ou l’organisation faisant l’objet de la plainte.
B. La nécessité d’une vérification indépendante
[13] Bien des gens ne sont pas au courant de la nature et de la portée des renseignements personnels à leur sujet recueillis et conservés par diverses organisations privées, dont les employeurs. Certains de ces renseignements peuvent être tout à fait inexacts.
[traduction] Non seulement les renseignements proviennent de sources inconnues ou périmées, mais ils sont combinés et appariés avec d’autres renseignements censés concerner les mêmes individus. Les données numérisées concernant un consommateur peuvent être combinées et appariées avec celles concernant d’autres consommateurs qui, subjectivement, semblent appartenir à la même catégorie de comportement socio‑économique. Peu de « sujets » voient jamais les renseignements les concernant qui sont détenus et échangés de façon nominative; un plus petit nombre encore est en mesure de faire corriger ces renseignements ou d’en faire cesser la diffusion.
(I. B. Lawson, Privacy and Free Enterprise (2e éd. 1997), p. 32)
Le législateur a, pour cette raison, reconnu aux individus, en corollaire à la protection de la vie privée, le droit d’avoir accès, pour en vérifier l’exactitude, aux renseignements les concernant qui sont détenus par d’autres personnes.
[14] L’article 4.9 de l’énoncé des principes à l’annexe I de la LPRPDE elle‑même prévoit ce qui suit :
Une organisation doit informer toute personne qui en fait la demande de l’existence de renseignements personnels qui la concernent, de l’usage qui en est fait et du fait qu’ils ont été communiqués à des tiers, et lui permettre de les consulter. Il sera aussi possible de contester l’exactitude et l’intégralité des renseignements et d’y faire apporter les corrections appropriées.
[15] La Commissaire à la protection de la vie privée soutient que
[traduction] dans la présente affaire, il s’agit d’obliger le secteur privé à justifier ses revendications de privilège à l’égard de documents comportant des renseignements personnels concernant d’autres personnes. Que ces revendications s’avèrent parfaitement fondées, honnêtement équivoques, trop générales, mal fondées par inadvertance ou délibérément trompeuses, elles doivent être soumises à une vérification indépendante si l’on veut donner son sens véritable au droit fondamental d’une personne d’avoir accès aux renseignements personnels la concernant. [Transcription, p. 2]
Je suis d’accord. Toutefois, la question soulevée dans ce pourvoi est de savoir si cette vérification indépendante doit être confiée, en premier lieu, au tribunal judiciaire ou à la Commissaire à la protection de la vie privée elle‑même.
C. Le caractère généralisateur de l’argument de la Commissaire à la protection de la vie privée
[16] Nul ne conteste qu’en l’espèce, l’employeur a à juste titre invoqué dans un affidavit le privilège du secret professionnel de l’avocat. À cette étape, il y avait « une présomption de fait, réfragable toutefois, selon laquelle l’ensemble des communications entre le client et l’avocat et des informations seraient considérées prima facie de nature confidentielle » (Foster Wheeler, par. 42). Il n’y a pas eu de contre‑interrogatoire au sujet de l’affidavit de l’employeur. La Commissaire à la protection de la vie privée n’a invoqué aucun fait tendant à démontrer que le privilège n’a pas été valablement revendiqué. Quant à la plaignante, c’est ce que l’employeur avait fait qui l’intéressait, et non les conseils juridiques sur lesquels il avait pu se fonder pour le faire.
[17] La seule raison donnée en l’espèce par la Commissaire à la protection de la vie privée pour contraindre la production et l’inspection des documents était que l’employeur avait fait savoir que les documents en question existaient. La commissaire n’invoque aucune nécessité découlant des circonstances de cet examen en particulier. Elle réclame donc l’accès systématique à de tels documents chaque fois que le privilège du secret professionnel de l’avocat est invoqué dans le cadre d’un examen. Même les tribunaux refusent d’examiner des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat pour statuer sur l’existence du privilège, à moins que des éléments de preuve ou des arguments démontrent la nécessité de le faire pour trancher la question en toute justice : voir par exemple Ansell Canada Inc. c. Ions World Corp. (1998), 28 C.P.C. (4th) 60 (C. Ont. (Div. gén.)), par. 20. Or, de l’avis de la Commissaire à la protection de la vie privée, la levée du privilège deviendrait la norme et non l’exception dans son travail quotidien.
D. L’argument de la Commissaire à la protection de la vie privée repose sur une fausse analogie entre elle‑même et le tribunal judiciaire
[18] Les parties s’entendent pour dire que la LPRPDE ne confère pas expressément au Commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d’examiner des documents à l’égard desquels le privilège du secret professionnel de l’avocat est revendiqué — soit pour vérifier le bien‑fondé de la revendication du privilège, soit pour toute autre fin. La question est donc de savoir si la loi lui confère implicitement ce pouvoir.
[19] À l’appui de sa position, la Commissaire à la protection de la vie privée insiste sur l’indépendance de sa charge par rapport aux parties et sur le fait que l’art. 12 LPRPDE lui confère certains pouvoirs semblables à ceux d’un tribunal judiciaire. Elle soutient que la reconnaissance d’un pouvoir d’examen des revendications d’un privilège s’accorderait avec l’objectif du législateur, qui a voulu créer un mécanisme peu coûteux et expéditif : [traduction] « Tout comme les tribunaux judiciaires sont tenus de vérifier les revendications d’un privilège pour s’assurer de l’intégrité et du bon fonctionnement du système de justice », plaide‑t‑elle, « la commissaire doit vérifier les revendications du privilège du secret professionnel de l’avocat pour s’assurer de l’intégrité et du bon fonctionnement du régime législatif visant la protection de droits fondamentaux en matière de vie privée » (m.a., par. 38).
[20] La Commissaire à la protection de la vie privée est un agent du Parlement chargé d’effectuer des « enquêtes impartiales, indépendantes et objectives » : Cie H.J. Heinz du Canada ltée c. Canada (Procureur général), [2006] 1 R.C.S. 441, 2006 CSC 13, par. 33. C’est un enquêteur administratif et non une autorité décisionnelle. Elle soutient pourtant qu’une [traduction] « approche conforme au bon sens ferait reconnaître que le pouvoir exprès conféré par la loi qui lui est nécessaire n’a pas à être formulé de façon aussi spécifique et explicite que ce qu’exige la Cour d’appel, ni à être évalué tout à fait isolément de l’ensemble du régime ou du contexte législatif » (m.a., par. 64 (en italique dans l’original)). À son avis, l’al. 12(1)a) pourrait difficilement avoir une portée plus large, puisqu’il accorde à la commissaire les mêmes pouvoirs que ceux d’une cour supérieure d’archives. Une telle cour peut contraindre la production de documents à l’égard desquels le privilège est invoqué et les examiner. La Commissaire à la protection de la vie privée soutient donc être investie d’un pouvoir analogue à l’égard des documents au sujet desquels est invoqué le privilège du secret professionnel de l’avocat. Le Commissaire à l’information, intervenant à l’appui de la Commissaire à la protection de la vie privée, signale que [traduction] « la vérification du privilège est l’objet même de la fonction de protecteur du citoyen confiée par la loi au Commissaire [à la protection de la vie privée], et non une simple étape préliminaire pour déterminer l’utilisation du dossier pour une autre fin » (m.i., par. 21).
[21] Je n’accepte pas la validité de cette analogie entre la Commissaire à la protection de la vie privée et un tribunal judiciaire à cet égard. Le privilège ne concerne aucunement la Commissaire à la protection de la vie privée. Cette dernière prétend que, puisqu’elle est indépendante des parties, une décision de sa part sur la revendication du privilège ne constituerait pas une violation du privilège. Je ne suis pas de cet avis. La confiance du client est le fondement du privilège, dont la violation doit être évaluée du point de vue du client. Pour un client, la communication, sous la contrainte, de renseignements confidentiels à un fonctionnaire, même si les renseignements ne sont divulgués à personne d’autre, constituerait une violation de la confidentialité. L’objection est d’autant plus sérieuse lorsqu’il existe (comme en l’espèce) une possibilité que les renseignements visés par le privilège soient rendus publics ou soient utilisés contre la personne qui a droit au privilège : Lavallee, par. 44; Goodis, par. 21; Pocklington Foods Inc. c. Alberta (Provincial Treasurer), [1993] 5 W.W.R. 710 (C.A. Alb.). Même si l’art. 12 lui donne des pouvoirs de procédure similaires à ceux d’un tribunal judiciaire, la Commissaire à la protection de la vie privée n’est pas un tribunal judiciaire. Le libellé de l’al. 12(1)a) lui confère le pouvoir de contraindre des témoins à produire
les documents ou pièces qu’il juge nécessaires pour examiner la plainte dont il est saisi, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives;
Il s’agit d’une disposition de nature générale relative à la production de documents. Dans Pritchard, la Cour a rejeté un argument semblable à propos de l’art. 10 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire de l’Ontario. Nous avons conclu qu’une disposition générale relative à la production de documents qui ne précise pas clairement qu’elle s’applique aux documents à l’égard desquels est invoqué le privilège du secret professionnel de l’avocat n’est pas suffisante pour contraindre le détenteur de ces documents à les produire (Pritchard, par. 35). La Commissaire à la protection de la vie privée signale d’autre part que l’al. 12(1)c) lui permet de faire ce qui suit, dans l’exercice de ses pouvoirs d’examen :
c) de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements — fournis notamment par déclaration verbale ou écrite sous serment — qu’[elle] estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux;
Le pouvoir de recevoir des éléments de preuve de toutes sortes ne saurait être interprété comme autorisant la Commissaire à la protection de la vie privée à contraindre une personne à produire contre son gré des documents visés par le secret professionnel de l’avocat. Le texte de l’art. 12 ne justifie tout simplement pas la conclusion que la Commissaire à la protection de la vie privée voudrait en tirer.
[22] Quoi qu’il en soit, le pouvoir d’un tribunal judiciaire d’examiner un document privilégié en vue de statuer sur la revendication contestée du privilège ne découle pas de son pouvoir d’exiger la production de documents, mais de celui de statuer sur des demandes portant sur des droits. La Commissaire à la protection de la vie privée ne dispose pas de ce pouvoir.
E. La Commissaire à la protection de la vie privée peut avoir des intérêts opposés
[23] Une distinction importante entre la Commissaire à la protection de la vie privée et un tribunal judiciaire, dans le contexte qui nous occupe, tient au fait que dans l’exercice de son mandat, la commissaire peut avoir des intérêts opposés à ceux de l’organisation qui possède les documents auxquels la commissaire veut obtenir l’accès. Il n’en va pas ainsi d’un tribunal judiciaire. Non seulement la commissaire peut‑elle faire traduire en justice l’employeur récalcitrant, mais elle peut décider de communiquer les renseignements obtenus par la contrainte aux autorités chargées des poursuites, sans ordonnance judiciaire et sans le consentement de la personne qui a été obligée de les fournir. Bien que la non‑divulgation soit la règle, le par. 20(5) LPRPDE prévoit une telle exception :
20. . . .
(5) Dans les cas où, à son avis, il existe des éléments de preuve touchant la perpétration d’infractions au droit fédéral ou provincial par un cadre ou employé d’une organisation, le commissaire peut faire part au procureur général du Canada ou d’une province, selon le cas, des renseignements qu’il détient à cet égard.
Il est vrai, comme nous l’avons vu, que la common law écarte le privilège dans le cas de communications criminelles en elles‑mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle, mais la formulation du par. 20(5) (« éléments de preuve touchant la perpétration d’infractions ») est beaucoup plus large que l’exception restreinte prévue par la common law, et elle autoriserait la divulgation au ministère public d’une bonne partie des communications qui, selon la common law, sont visées par le secret professionnel de l’avocat.
[24] Pour réfuter l’objection fondée sur le par. 20(5), la Commissaire à la protection de la vie privée doit recourir à un argument contredisant à mon avis sa position concernant l’art. 12, qui devrait (selon elle) faire l’objet d’une interprétation large de façon à inclure les documents à l’égard desquels est revendiqué le privilège du secret professionnel liant l’avocat à son client. Par ailleurs, elle fait en effet valoir que le par. 20(5) doit faire l’objet d’une interprétation stricte, de façon à exclure les communications protégées par le secret professionnel liant l’avocat à son client, parce que son libellé [traduction] « ne vise pas clairement et sans équivoque à autoriser la commissaire à communiquer au procureur général des documents auxquels s’attache le privilège » (m.a., par. 48). Or, on ne peut faire une telle distinction entre l’art. 12 et le par. 20(5) parce que ces deux dispositions sont rédigées en termes tout aussi généraux et qu’aucune raison convaincante ne justifie qu’on les interprète suivant des principes opposés.
[25] L’argument invoqué par la Commissaire à la protection de la vie privée en faveur d’une interprétation restrictive du par. 20(5) est essentiellement le même, il est intéressant de le noter, que celui invoqué par l’intimé en faveur d’une interprétation stricte de l’art. 12 — à savoir qu’il faut une disposition législative formulée en termes clairs et non équivoques pour écarter le privilège du secret professionnel de l’avocat. Bien sûr, si, comme l’employeur le prétend, l’art. 12 ne permet pas à la Commissaire à la protection de la vie privée d’avoir accès à des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat, il n’est pas nécessaire d’atténuer la portée du par. 20(5) pour empêcher la communication de tels documents aux avocats du ministère public.
[26] C’est justement le caractère général du texte de l’art. 12, où il n’est fait aucune mention des questions que soulève le privilège du secret professionnel de l’avocat, qui montre l’importance de la règle, énoncée dans l’arrêt Pritchard, selon laquelle le privilège ne peut être supprimé par inférence. Une recherche sur l’emploi de l’expression « de la même façon et dans la même mesure » qu’un tribunal judiciaire révèle que le législateur a utilisé un libellé essentiellement identique (ou équivalent) à celui du par. 12(1) LPRPDE dans environ 14 autres lois fédérales, dont la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 99, la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes, L.R.C. 1985, ch. 44 (4e suppl.), art. 10.4, la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44, art. 29 (« au même titre »), la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C‑23, art. 50, et la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, art. 50 (« au même titre »). L’examen de ces dispositions dans le contexte législatif qui leur est propre montre que le législateur n’a certainement pas voulu supprimer dans tous ces cas le privilège du secret professionnel de l’avocat. Comme l’admet dans son mémoire le procureur général du Canada, intervenant en l’espèce :
[traduction] . . . le législateur doit être attentif à l’importance de ce privilège dans l’administration de la justice. Par conséquent, si le législateur a l’intention de supprimer le privilège du secret professionnel de l’avocat, il doit le faire en termes clairs, précis et non équivoques. La moindre ambiguïté dans la rédaction de la loi en cause doit être résolue en faveur de la protection du privilège et contre son abolition. [par. 1]
Le procureur général du Canada fait donc valoir que [traduction] « [l]e sens ordinaire et grammatical des termes utilisés au par. 12(1) de la LPRPDE, compte tenu de tout le contexte qui leur est propre, n’appuie pas la conclusion de la commissaire » (par. 2). Je suis d’accord.
F. La Commissaire à la protection de la vie privée fait une analogie avec les pouvoirs que lui confère la Loi sur la protection des renseignements personnels
[27] La Commissaire à la protection de la vie privée reproche à la Cour d’appel, dans sa décision dans la présente affaire, d’introduire des [traduction] « différences non justifiées entre les pouvoirs d’enquête conférés au commissaire par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la LPRPDE, contrairement au sens ordinaire des mots employés dans ces lois » (m.a., par. 120). Elle invoque le « principe d’interprétation qui présume l’harmonie, la cohérence et l’uniformité entre les lois traitant du même sujet » : R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, 2001 CSC 56, par. 52; R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 327‑328; P.-A. Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), p. 323‑324. Elle fait valoir que le législateur ne pouvait avoir l’intention de conférer au commissaire, dans ces deux textes législatifs, des pouvoirs d’enquête pratiquement identiques qui seraient contradictoires.
[28] La LPRPDE et la Loi sur la protection des renseignements personnels confèrent pourtant des pouvoirs différents à la Commissaire à la protection de la vie privée. Dans le cas qui nous occupe, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale, il suffit de constater que la LPRPDE ne contient pas de disposition explicite permettant l’accès aux renseignements confidentiels comme celle que l’on trouve au par. 34(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21 :
34. . . .
(2) Nonobstant toute autre loi fédérale ou toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à la protection de la vie privée a, pour les enquêtes qu’il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, qui relèvent d’une institution fédérale, à l’exception des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada auxquels s’applique le paragraphe 70(1); aucun des renseignements auxquels il a accès en vertu du présent paragraphe ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.
[29] La portée des pouvoirs que le par. 34(2) confère au Commissaire à la protection de la vie privée en ce qui concerne les communications protégées par le privilège du secret professionnel de l’avocat a fait l’objet d’interprétations divergentes par la Cour d’appel fédérale : voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2000] A.C.F. no 480 (QL), par. 11; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), [2005] 4 R.C.F. 673, 2005 CAF 199, par. 25‑26. La portée de ces pouvoirs n’est toutefois pas en litige en l’espèce. Il n’existe pas dans la LPRPDE de disposition équivalente au par. 34(2). Pour tenter d’expliquer l’absence d’une telle disposition, la Commissaire à la protection de la vie privée avance que le par. 34(2) [traduction] « a été adopté à seule fin de tenir compte du cas du secret d’intérêt public, qui ne se pose pas dans le secteur privé » (m.a., par. 124). Le fait est, toutefois, que le privilège du secret professionnel de l’avocat est régulièrement invoqué aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, et que la LPRPDE ne contient pas de disposition analogue au par. 34(2) qui permettrait à la Commissaire à la protection de la vie privée ne fût‑ce que de soutenir que, « [n]onobstant [. . .] toute immunité », elle peut examiner les renseignements auxquels s’attache le privilège et détenus par une entreprise ou une organisation privée. La question de l’interprétation correcte du par. 34(2) sera tranchée lorsqu’elle sera posée directement, dans le cadre d’un autre pourvoi. En l’espèce, sa pertinence tient uniquement à l’absence d’une disposition semblable dans la LPRPDE, absence dont nous pouvons tirer une conclusion défavorable. Si une telle disposition ne figure pas dans la LPRPDE, c’est soit que le législateur ne s’est pas arrêté à la question du privilège du secret professionnel de l’avocat, soit qu’il n’avait pas l’intention de conférer à la Commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir qu’elle revendique maintenant.
G. L’« interprétation contextuelle » du par. 9(3) LPRPDE
[30] Le Commissaire à l’information, qui est intervenu au soutien de la Commissaire à la protection de la vie privée, fait valoir que le législateur, en [traduction] « faisant figurer le secret professionnel de l’avocat [au par. 9(3)] parmi les six motifs énumérés justifiant le refus de communiquer des renseignements personnels demandés, a clairement indiqué son intention de faire en sorte que la Commissaire à la protection de la vie privée administre et vérifie les demandes d’exemption fondées sur le privilège du secret professionnel de l’avocat de la même manière qu’elle administre et vérifie les demandes fondées sur les cinq autres exceptions » (m.i., par. 24 (en italique dans l’original)). Cet argument suppose l’existence d’une parité, quant au statut juridique et à l’importance, entre les différents motifs énumérés au par. 9(3) qui, outre le secret professionnel de l’avocat, comprennent les « renseignements commerciaux confidentiels » et les renseignements recueillis « à l’insu de l’intéressé et sans son consentement » pour une des fins énumérées (al. 7(1)b)). Or cette parité n’existe pas. Le privilège du secret professionnel de l’avocat « commande en soi une place exceptionnelle dans le système juridique [. . .] [il fait] partie intégrante des rouages du système juridique lui‑même » (McClure, par. 31; Gruenke, p. 289). Un argument qui met le privilège du secret professionnel de l’avocat sur le même pied que les « renseignements commerciaux confidentiels » fait purement et simplement abstraction de l’importance fondamentale de ce privilège et montre comment la position de l’appelante en compromettrait la vitalité dans le contexte de la réglementation.
H. L’article 31 de la Loi d’interprétation
[31] On a fait référence au par. 31(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, ainsi rédigé :
31. . . .
(2) Le pouvoir donné à quiconque, notamment à un agent ou fonctionnaire, de prendre des mesures ou de les faire exécuter comporte les pouvoirs nécessaires à l’exercice de celui‑ci.
La Loi d’interprétation est une loi d’application générale. Il n’y est pas question des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat. Tous les arguments de l’appelante en faveur de « pouvoirs implicites » ou d’une « interprétation téléologique » de la LPRPDE sont en réalité des arguments en faveur d’une abrogation du privilège par inférence. La Commissaire à la protection de la vie privée soutient qu’il lui « faut systématiquement » examiner les documents protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat lorsque ce privilège est revendiqué. Toutefois, un tel accès systématique contredirait les principes énoncés il y a plus de 25 ans dans l’arrêt Descôteaux :
Lorsque la loi confère à quelqu’un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l’espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité [des communications entre client et avocat], la décision de le faire et le choix des modalités d’exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d’un souci de n’y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante. [Je souligne; p. 875.]
La Commissaire à la protection de la vie privée n’a pas établi que l’accès systématique aux communications protégées par le secret professionnel de l’avocat est « absolument nécessaire » à la réalisation des objectifs de la LPRPDE. Comme nous allons maintenant voir, il existe des mesures moins attentatoires.
I. La Commissaire à la protection de la vie privée dispose d’autres moyens efficaces pour faire vérifier les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat
[32] Le législateur a mis à la disposition de la Commissaire à la protection de la vie privée au moins deux autres moyens efficaces et rapides « d’exerc[er son] pouvoir » de manière à faire en sorte que les exigences de la LPRPDE soient respectées.
[33] Premièrement, comme la Commissaire à la protection de la vie privée l’a admis lors de l’audition du pourvoi, elle peut, en tout temps pendant son examen, renvoyer à la Cour fédérale une question relative au privilège du secret professionnel de l’avocat aux termes du par. 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, dont voici le texte :
18.3 (1) Les offices fédéraux peuvent, à tout stade de leurs procédures, renvoyer devant la Cour fédérale pour audition et jugement toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure.
[34] Deuxièmement, dans le cadre de la LPRPDE elle‑même, la Commissaire à la protection de la vie privée a le droit de signaler, dans le rapport qu’elle dresse suivant l’art. 13, les situations d’impasse relative au privilège et, avec le consentement du plaignant, d’exercer un recours devant la Cour fédérale sur le fondement de l’art. 15. La cour a le pouvoir, si elle l’estime nécessaire, d’examiner les documents en cause et de déterminer si le privilège du secret professionnel de l’avocat a été revendiqué à bon droit. Ce recours permet la vérification tout en préservant autant que possible le privilège. La disposition exigeant que le recours dont est saisi le tribunal soit « entendu et jugé sans délai et selon une procédure sommaire, à moins que la Cour ne l’estime contre‑indiqué » (par. 17(1)) vise à donner au plaignant un accès rapide à la justice. Le régime législatif, ainsi interprété, permet la réalisation des objectifs de la LPRPDE tout en préservant le privilège du secret professionnel de l’avocat de façon « aussi absolu[e] que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (McClure, par. 35).
V. Dispositif
[35] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens devant notre Cour.
ANNEXE
Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5
4. (1) La présente partie s’applique à toute organisation à l’égard des renseignements personnels :
a) soit qu’elle recueille, utilise ou communique dans le cadre d’activités commerciales;
b) soit qui concernent un de ses employés et qu’elle recueille, utilise ou communique dans le cadre d’une entreprise fédérale.
. . .
9. . . .
(3) Malgré la note afférente à l’article 4.9 de l’annexe 1, l’organisation n’est pas tenue de communiquer à l’intéressé des renseignements personnels dans les cas suivants seulement :
a) les renseignements sont protégés par le secret professionnel liant l’avocat à son client;
b) la communication révélerait des renseignements commerciaux confidentiels;
c) elle risquerait vraisemblablement de nuire à la vie ou la sécurité d’un autre individu;
c.1) les renseignements ont été recueillis au titre de l’alinéa 7(1)b);
d) les renseignements ont été fournis uniquement à l’occasion d’un règlement officiel des différends.
Toutefois, dans les cas visés aux alinéas b) ou c), si les renseignements commerciaux confidentiels ou les renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement de nuire à la vie ou la sécurité d’un autre individu peuvent être retranchés du document en cause, l’organisation est tenue de faire la communication en retranchant ces renseignements.
. . .
12. (1) Le commissaire procède à l’examen de toute plainte et, à cette fin, a le pouvoir :
a) d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les documents ou pièces qu’il juge nécessaires pour examiner la plainte dont il est saisi, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives;
b) de faire prêter serment;
c) de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements — fournis notamment par déclaration verbale ou écrite sous serment — qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux;
. . .
13. (1) Dans l’année suivant, selon le cas, la date du dépôt de la plainte ou celle où il en a pris l’initiative, le commissaire dresse un rapport où :
a) il présente ses conclusions et recommandations;
b) il fait état de tout règlement intervenu entre les parties;
. . .
14. (1) Après avoir reçu le rapport du commissaire, le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l’objet de la plainte — ou qui est mentionnée dans le rapport — et qui est visée aux articles [. . .] de l’annexe 1 . . .
. . .
15. S’agissant d’une plainte dont il n’a pas pris l’initiative, le commissaire a qualité pour :
a) demander lui‑même, dans le délai prévu à l’article 14, l’audition de toute question visée à cet article, avec le consentement du plaignant;
b) comparaître devant la Cour au nom du plaignant qui a demandé l’audition de la question;
c) comparaître, avec l’autorisation de la Cour, comme partie à la procédure.
16. La Cour peut, en sus de toute autre réparation qu’elle accorde :
a) ordonner à l’organisation de revoir ses pratiques de façon à se conformer aux articles 5 à 10;
b) lui ordonner de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques, que ces dernières aient ou non fait l’objet d’une ordonnance visée à l’alinéa a);
c) accorder au plaignant des dommages‑intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie.
17. (1) Le recours prévu aux articles 14 ou 15 est entendu et jugé sans délai et selon une procédure sommaire, à moins que la Cour ne l’estime contre‑indiqué.
(2) À l’occasion des procédures relatives au recours prévu aux articles 14 ou 15, la Cour prend toutes les précautions possibles, notamment, si c’est indiqué, par la tenue d’audiences à huis clos et l’audition d’arguments en l’absence d’une partie, pour éviter que ne soient divulgués, de par son propre fait ou celui de quiconque, des renseignements qui justifient un refus de communication de renseignements personnels demandés en vertu de l’article 4.9 de l’annexe 1.
. . .
20. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), 13(3) et 19(1), le commissaire et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance par suite de l’exercice des attributions que la présente partie confère au commissaire.
. . .
(3) Il peut communiquer — ou autoriser les personnes agissant en son nom ou sous son autorité à communiquer — les renseignements qui, à son avis, sont nécessaires pour :
a) examiner une plainte ou procéder à une vérification en vertu de la présente partie;
b) motiver les conclusions et recommandations contenues dans les rapports prévus par la présente partie.
(4) Il peut également communiquer — ou autoriser les personnes agissant en son nom ou sous son autorité à communiquer — des renseignements soit dans le cadre des procédures intentées pour l’infraction visée à l’article 28 ou pour l’infraction visée à l’article 132 du Code criminel (parjure) se rapportant à une déclaration faite en vertu de la présente partie, soit lors d’une audience de la Cour prévue par cette partie ou lors de l’appel de la décision rendue par celle‑ci.
(5) Dans les cas où, à son avis, il existe des éléments de preuve touchant la perpétration d’infractions au droit fédéral ou provincial par un cadre ou employé d’une organisation, le commissaire peut faire part au procureur général du Canada ou d’une province, selon le cas, des renseignements qu’il détient à cet égard.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureur de l’appelant : Welchner Law Office, Ottawa.
Procureurs de l’intimé : Walsh Wilkins Creighton, Calgary.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : MacIntosh, MacDonnell & MacDonald, New Glasgow, N.‑É.
Procureur de l’intervenant le Commissaire à l’information du Canada : Commissaire à l’information du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le Bureau de l’Ombudsman du Nouveau‑Brunswick : Bureau de l’Ombudsman du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.
Procureure de l’intervenant Information and Privacy Commissioner of British Columbia : Susan E. Ross, Victoria.
Procureur de l’intervenant le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario : Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée Ontario, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Advocates’ Society : Goodmans, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.
Procureurs de l’intervenant Information and Privacy Commissioner of Alberta : Chivers Carpenter, Edmonton.