COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, [2005] 3 R.C.S. 425, 2005 CSC 70
Date : 20051124
Dossier : 30090
Entre :
Sa Majesté la Reine ex rel. Linda Merk
Appelante
et
Association internationale des travailleurs en ponts,
en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771
Intimée
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, LeBel, Deschamps, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 48)
Motifs dissidents :
(par. 49 à 61)
Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Major, LeBel, Abella et Charron)
La juge Deschamps
______________________________
Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, [2005] 3 R.C.S. 425, 2005 CSC 70
Sa Majesté la Reine ex rel. Linda Merk Appelante
c.
Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771 Intimée
Répertorié : Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771
Référence neutre : 2005 CSC 70.
No du greffe : 30090.
2005 : 10 février; 2005 : 24 novembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, LeBel, Deschamps, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel de la saskatchewan
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (les juges Tallis, Cameron et Gerwing) (2003), 238 Sask. R. 234, 305 W.A.C. 234, 233 D.L.R. (4th) 61, 28 C.C.E.L. (3d) 179, [2004] 7 W.W.R. 290, 2004 CLLC ¶210‑005, [2003] S.J. No. 640 (QL), 2003 SKCA 103, qui a infirmé un jugement du juge Ball (2003), 229 Sask. R. 37, [2003] 6 W.W.R. 746, 2003 CLLC ¶220‑045, [2003] S.J. No. 15 (QL), 2003 SKQB 9, qui avait infirmé un jugement de la juge McMurtry, [2002] S.J. No. 555 (QL), 2002 SKPC 78. Pourvoi accueilli, la juge Deschamps est dissidente.
Roger J. F. Lepage, Kerri A. Froc et Alison Mitchell, pour l’appelante.
Roderick M. Gillies, pour l’intimée.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Binnie, LeBel, Abella et Charron rendu par
1 Le juge Binnie — Le syndicat intimé cherche en l’espèce à restreindre la protection accordée aux employés par la disposition législative de la Saskatchewan relative aux dénonciateurs, l’art. 74 de la Labour Standards Act, R.S.S. 1978, ch. L‑1 (mod. par S.S. 1994, ch. 39 (la « Loi »), art. 41). Cette demande plutôt surprenante de la part d’un syndicat, c’est‑à‑dire la réduction plutôt que l’élargissement des droits des employés, s’explique par le fait que l’intimé est poursuivi par l’une de ses propres employées, Linda Merk.
2 Madame Merk affirme qu’elle a été renvoyée de son poste d’aide‑comptable et de directrice de bureau de la Section locale 771 parce qu’elle a dénoncé des malversations qu’auraient commises ses superviseurs immédiats, le président de la Section, Charles Gumulcak, et son directeur administratif, Bert Royer.
3 Je souscris à l’opinion dissidente du juge Cameron de la Cour d’appel de la Saskatchewan, selon laquelle la lettre envoyée par Linda Merk au président général de l’Association internationale des travailleurs en fer pour dénoncer ces présumées malversations constituait une plainte soumise à une « lawful authority » ([traduction] « autorité légalement compétente ») au sens de la Loi et avait pour effet de permettre à Mme Merk de bénéficier de la protection de cette loi. Selon leur sens ordinaire, les mots « autorité légalement compétente » désignent ceux qui exercent l’autorité, tant en contexte privé qu’en contexte public. Si le législateur avait voulu limiter le champ d’application de l’art. 74 aux plaintes adressées à une « autorité publique », il l’aurait dit. Comme nous le verrons plus loin, la justesse de l’interprétation large est renforcée par l’objet et le contexte de l’art. 74. À la lumière des conclusions de fait de la juge du procès, le congédiement de Mme Merk contrevenait à la Loi. Il y a lieu d’accueillir le pourvoi et d’inscrire une déclaration de culpabilité.
I. Les faits
4 À l’automne 2000, Bert Royer a reçu une carte de crédit Visa pour le paiement des dépenses faites pour le compte du syndicat. Peu après, Mme Merk s’est rendu compte que M. Royer réclamait en double ses dépenses soit en les faisant porter au compte Visa (qui était payé directement par la Section locale 771) même s’il avait déjà touché une avance pour ces dépenses, soit en soumettant un compte de dépenses comme s’il avait personnellement déboursé les sommes. La juge du procès a conclu qu’il y avait eu détournement de fonds. Par exemple, pour un voyage effectué du 6 au 10 septembre 2000, Royer avait reçu une avance de 1 099,40 $ au titre des frais d’hébergement, alors que la note d’hôtel réelle s’établissait à 917,81 $. Aucun élément de preuve n’indiquait qu’il avait remis le solde au syndicat. Le 28 octobre 2000, alors qu’il avait touché une avance de 154,10 $ pour frais d’hébergement, il a fait porter sa note d’hôtel de 162,64 $ au compte Visa du syndicat. Il n’y a aucune preuve que le syndicat a été remboursé. Relativement à un voyage à Saskatoon les 19 et 20 octobre 2000, il avait obtenu une avance pour vidange d’huile et kilométrage, mais avait fait porter les frais en question (48 $) au compte Visa du syndicat. Madame Merk a allégué que M. Gumulcak touchait lui aussi des remboursements de dépenses auxquels il n’avait pas droit.
5 Les remontrances de Mme Merk à M. Royer lui ayant valu la colère de celui‑ci, le père de cette dernière (ancien agent d’affaires de la Section locale 771) et trois autres membres du syndicat ont écrit au président général de l’Association internationale des travailleurs en fer à Washington, Joseph Hunt, pour se plaindre du fait que les dépenses de MM. Royer et Gumulcak n’étaient pas remboursées conformément aux statuts du syndicat. Le président général a nommé un enquêteur de l’Association internationale des travailleurs en fer, M. Fred Marr, lequel s’est rendu en Saskatchewan rencontrer les intéressés, dont Mme Merk. Dans son rapport, M. Marr a exprimé l’avis que l’unique problème posé par les doubles demandes de remboursement provenait du fait que les règlements administratifs de la Section locale 771 n’interdisaient pas explicitement les doubles remboursements. Selon la juge du procès, M. Marr estimait que la modification des règlements permettrait de régler les plaintes. La juge a fait le commentaire suivant :
[traduction] C’est ridicule. Il ne devrait pas être nécessaire d’écrire en toutes lettres dans des règlements administratifs que les dépenses ne doivent être remboursées qu’une seule fois.
([2002] S.J. No. 555 (QL), 2002 SKPC 78, par. 8)
Après avoir reçu le « rapport » de M. Marr, l’exécutif de la Section locale 771 s’est réuni le 21 septembre 2001 et a autorisé le congédiement de Mme Merk. Cette dernière n’a pas été informée de cette autorisation et, pendant quelques semaines, ses supérieurs ont décidé de ne pas y donner suite.
6 Après l’« enquête » de M. Marr, Mme Merk a attendu un certain temps une réponse de l’Association internationale des travailleurs en fer, puis a décidé d’écrire elle‑même au président général de celle‑ci, Joseph Hunt, le 19 octobre 2001. Après avoir exposé l’objet de sa plainte, elle a ajouté ceci :
[traduction] J’espère que vous comprendrez mes préoccupations et que, d’ici le 25 octobre 2001, vous m’aurez fait connaître vos décisions ainsi que les mesures que vous prendrez au sujet de ces graves problèmes. Votre réponse dictera la conduite que j’aurai peut‑être à adopter. Toute attente supplémentaire ne ferait que mettre le syndicat local en péril, ce qui pourrait malheureusement porter un coup à l’effectif syndical et à l’organisation dans son ensemble.
7 La réponse ne fut pas celle que Mme Merk attendait. Celle‑ci a reçu une lettre de congédiement datée du 5 novembre 2001 et signée par MM. Royer et Gumulcak, dans laquelle on pouvait lire :
[traduction] À cause d’un certain nombre d’événements survenus pendant votre emploi, le moindre n’étant pas celui qui s’est produit quelques jours avant que vous ne quittiez les lieux de travail, de même que l’envoi de votre lettre du 19 octobre 2001 à Joseph Hunt [. . .] et les faits s’y rapportant, la Section locale a jugé nécessaire de mettre fin à votre emploi. [Je souligne.]
II. Les dispositions législatives
8 L’article 74 de la Labour Standards Act est rédigé ainsi :
[traduction]
74(1) Il est interdit à un employeur de congédier un employé, de menacer de le congédier ou de prendre toute mesure discriminatoire à son endroit, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :
a) l’employé a signalé ou projeté de signaler à une autorité légalement compétente une activité qui constitue ou est susceptible de constituer une infraction à une loi de la Législature ou du Parlement du Canada,
b) l’employé a témoigné ou peut être appelé à témoigner au cours d’une enquête ou d’une instance fondée sur une loi de la Législature ou du Parlement du Canada.
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas lorsque les actes de l’employé sont vexatoires.
III. Les décisions des juridictions inférieures
A. La juge du procès ([2002] S.J. No. 555 (QL), 2002 SKPC 78)
9 Après examen du droit applicable, la juge McMurtry de la Cour provinciale a tiré la conclusion suivante :
[traduction] Madame Merk a indubitablement été congédiée parce qu’elle a soumis la question des dépenses de M. Royer au syndicat. Quand M. Royer a estimé que l’enquête du syndicat l’exonérait, il a jugé qu’il pouvait sans crainte congédier Mme Merk. [par. 18]
10 La juge du procès a donc dit être [traduction] « convaincue hors de tout doute raisonnable que Mme Merk a été congédiée parce qu’elle a formulé une plainte au sujet des dépenses de M. Royer » (par. 15). Suivant les termes de l’art. 74, la conduite de M. Royer correspondait à une [traduction] « activité qui constitue ou est susceptible de constituer une infraction à une loi de la Législature ou du Parlement du Canada ». Toutefois, la Loi exige aussi que le congédiement soit lié à une plainte soumise à une « autorité légalement compétente ». Sur ce point, la juge du procès a fait les observations suivantes :
[traduction] Si le texte de la disposition me permettait de considérer un membre de la hiérarchie syndicale comme une autorité légalement compétente, j’aurais conclu à la culpabilité. Toutefois, il faut donner à l’expression « autorité légalement compétente » le sens de personne ou entité autorisée par la loi à faire enquête sur des infractions. Si je fais erreur et que, vu sa capacité de révoquer tout dirigeant, le président général du syndicat constitue une autorité légalement compétente, la plainte de Mme Merk à M. Marr, l’enquêteur désigné par le président, répondrait à cette exigence. Je suis convaincue que c’est parce qu’elle a fourni des renseignements à M. Marr que Mme Merk a été congédiée. [Je souligne; par. 19.]
Autrement dit, si elle n’avait pas interprété restrictivement les mots « autorité légalement compétente » et considéré que cette expression ne vise que les agents de l’État (et non ceux des entités privées tels les syndicats), elle aurait inscrit une déclaration de culpabilité.
B. Le juge d’appel des poursuites sommaires — le juge Ball ((2003), 229 Sask. R. 37, 2003 SKQB 9)
11 Le juge de la Cour du Banc de la Reine a retenu l’interprétation donnée par la juge de première instance au terme « autorité légalement compétente », mais il a accueilli l’appel pour d’autres motifs (non pertinents pour le présent pourvoi) et a substitué une déclaration de culpabilité (par. 51).
C. La Cour d’appel ((2003), 238 Sask. R. 234, 2003 SKCA 103)
12 Les juges Gerwing et Tallis ont accueilli l’appel, mais souscrit à l’interprétation étroite de l’expression « autorité légalement compétente » adoptée par les juridictions inférieures. Se fondant en partie sur les dispositions législatives antérieures, la juge Gerwing a exprimé l’opinion suivante :
[traduction] . . . l’autorité légalement compétente doit être en mesure d’exercer des pouvoirs — c’est‑à‑dire contraindre à l’obéissance — à l’égard de la conduite signalée, en tant qu’infraction. En l’espèce, l’infraction que l’on menaçait de signaler, et la seule susceptible de donner lieu à des accusations, est la fraude, et bien que la hiérarchie syndicale puisse faire respecter ses propres règlements administratifs, elle n’est d’aucune façon habilitée à agir à l’égard des activités concernées en tant qu’« infraction ». [par. 20]
13 Le juge Cameron, dissident, aurait maintenu la déclaration de culpabilité, mais pour des motifs différents de ceux de la cour d’appel des poursuites sommaires. À son avis, le président général était une « autorité légalement compétente », parce que [traduction] « la meilleure façon de réaliser » l’objet de la loi sur les dénonciateurs « est d’interpréter libéralement l’expression pour y inclure d’autres personnes en situation d’autorité, notamment celles qui sont légalement investies du pouvoir d’agir au nom d’une personne morale pour donner suite à la dénonciation d’une faute » (par. 46).
IV. Analyse
14 Les lois sur la protection des dénonciateurs créent une exception à l’habituel devoir de loyauté des employés envers leur employeur. En contexte gouvernemental, ces dispositions visent bien sûr à prévenir le gaspillage de fonds publics ou d’autres abus de privilèges ou pouvoirs accordés par l’État. En contexte privé (comme en l’espèce), leur but conserve un caractère public, puisqu’il s’agit de prévenir les actes répréhensibles [traduction] « qui constitue[nt] ou [sont] susceptible[s] de constituer une infraction à une loi » (c’est cette condition requérant l’existence d’une « infraction » qui confère aux dispositions relatives à la dénonciation leur caractère public et a pour effet d’exclure les plaintes plus générales présentées en milieu de travail). L’idée sous‑jacente est d’associer les employés à la lutte de l’État contre les conduites illicites, et ce, en leur accordant une certaine immunité contre les représailles des employeurs. [traduction] « [L]es signalements provenant de l’intérieur permettent de détecter et de réduire rapidement les préjudices, diminuent les besoins de surveillance publique et d’enquête, ainsi que les dépenses y afférentes, et peuvent en bout de ligne avoir un effet dissuasif » (E. S. Callahan, T. M. Dworkin et D. Lewis, « Whistleblowing : Australian, U.K., and U.S. Approaches to Disclosure in the Public Interest » (2004), 44 Va. J. Int’l L. 879, p. 882).
15 Le débat terminologique devant les tribunaux de la Saskatchewan concernant la portée des mots « autorité légalement compétente » de l’art. 74, lesquels désignent à mon avis, selon leur sens ordinaire, tant une autorité privée qu’une autorité publique, s’inscrit dans une perspective plus philosophique. Respecte‑t‑on davantage l’intention de l’assemblée législative de la Saskatchewan en réservant la protection prévue par l’art. 74 aux employés qui formulent leur plainte à la police ou à un autre fonctionnaire public habilité à [traduction] « agir à l’égard de l’allégation en tant qu’infraction », comme l’a affirmé la Cour d’appel de la Saskatchewan (par. 21), ou en étendant cette protection aux employés qui suivent « la filière hiérarchique » au sein de l’organisation de l’employeur dans le but de faire cesser l’« activité » plutôt que de faire engager des poursuites à cet égard? Une lecture contextuelle et téléologique de l’art. 74 confirme son sens ordinaire. L’objet et le contexte sont importants, comme l’a écrit, il y a plus de 30 ans, le juge Laskin (plus tard Juge en chef du Canada) :
[traduction] La distinction que je fais est entre une conception purement formelle et mécanique, du droit, aseptique et détachée, et une conception qui part de l’objet visé par le droit et le rattache au contexte social et économique, le faisant servir aux fins qui traduisent les principes organisateurs de notre société.
(B. Laskin, « The Function of the Law » (1973), 11 Alta. L. Rev. 118, p. 119)
En l’espèce, le législateur parle d’une « autorité légalement compétente », une notion bien connue. Par exemple, le propriétaire qui ordonne à un intrus de quitter sa propriété agit en tant qu’« autorité légalement compétente », et ce, tout autant que le ferait un policier (dont le pouvoir légal découle d’une source différente). La question n’est pas de savoir si l’autorité est publique ou privée, mais plutôt si elle est légale.
16 Les principes généraux des relations du travail établissent, à mon avis, le cadre approprié. En droit de l’emploi, selon le consensus général qui se dégage en la matière, c’est la « filière hiérarchique » qui permet le mieux de concilier le devoir de loyauté des employés et l’intérêt public assuré par la dénonciation. Le législateur de la Saskatchewan n’a pas été insensible aux réalités du monde du travail.
A. Les règles d’interprétation applicables
17 À l’article 10 de la Loi d’interprétation de 1995, L.S. 1995, ch. I‑11,2, le législateur de la Saskatchewan a indiqué aux tribunaux que « [c]haque texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large et libérale qui soit compatible avec la réalisation de son objet. » L’article 74 a pour « objet » de mieux protéger les employés qui non seulement découvrent une « activité » illégale, mais la signalent à une « autorité légalement compétente » capable d’agir à cet égard. La question est de savoir quelle est la meilleure façon de réaliser cet objet.
18 L’article 10 de la Loi d’interprétation de 1995 va de pair avec la méthode contextuelle d’interprétation des lois formulée par E. A. Driedger : [traduction] « [I]l faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). Notre Cour a régulièrement adopté et appliqué cette méthode : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42. Cette analyse comporte plusieurs étapes.
(1) Sens ordinaire et grammatical
19 La juge Gerwing a conclu que seule une personne [traduction] « en mesure d’agir à l’égard de l’allégation en tant qu’infraction » (par. 21) peut constituer une « autorité légalement compétente ». À son avis, la présence du mot « infraction » à l’art. 74 colore le sens des mots « autorité légalement compétente », mais il me semble que ce mot ne fait que circonscrire le genre d’« activité » que le législateur souhaite mettre au jour. L’intention du législateur est que de telles « activité[s] » soient signalées à une personne (publique ou privée) « légalement compétente » pour apporter une solution au problème. Bien que la réponse à une conduite illicite puisse aller jusqu’à l’engagement de poursuites, elle peut également comporter la prise de mesures moins rigoureuses par l’employeur ou par une autre autorité privée légalement habilitée à faire cesser la conduite fautive. L’intention du législateur est de faire en sorte que le milieu de travail soit exempt d’activités illicites. Il n’a pas précisé que les poursuites constituaient la seule façon ni même la façon privilégiée de parvenir à ce résultat. En l’espèce, par exemple, le président général de l’Association internationale des travailleurs en fer, Joseph Hunt, n’était pas un fonctionnaire de l’État, mais il possédait, grâce aux pouvoirs dévolus au syndicat international, le pouvoir légal de faire cesser le détournement des fonds des membres de la Section locale 771. Il n’y a rien dans le sens « ordinaire et grammatical » de l’art. 74 qui vienne mettre en doute cette interprétation élargie du terme « autorité légalement compétente ».
(2) L’économie de la Loi
20 La loi intitulée Labour Standards Act est essentiellement une loi visant à protéger les employés. En 1994, le législateur a élargi la disposition relative à la dénonciation ainsi que d’autres dispositions de la Loi. Ces mesures ont été justifiées en ces termes à l’Assemblée législative par le ministre du Travail :
[traduction] Le but premier du présent projet de loi est de corriger de réelles injustices — injustices dont la plupart des gens de bonne foi admettent l’existence et qui, de l’avis de ceux‑ci, doivent être corrigées, même si ces gens n’approuvent peut‑être pas les moyens que nous avons choisis pour le faire.
(Saskatchewan, Assemblée législative, Debates and Proceedings (Hansard), 4e sess., 22e lég., 22 avril 1994, p. 1785)
21 L’une des injustices que les modifications apportées à la Labour Standards Act visaient à redresser était le problème des représailles exercées contre les employés dénonçant des conduites illicites. Les tribunaux de la Saskatchewan ont appelé à une interprétation généreuse de la Loi. Par exemple, dans l’arrêt Kolodziejski c. Auto Electric Service Ltd. (1999), 177 Sask. R. 197 (C.A.), s’exprimant pour la cour, le juge Lane a donné les explications suivantes au par. 18, mais dans un contexte un peu différent :
[traduction] Les dispositions législatives régissant les normes du travail constituent des « lois accordant des avantages ». Elles doivent de ce fait recevoir une interprétation généreuse, et tout doute résultant du libellé d’une disposition doit être résolu en faveur du plaignant. [Je souligne.]
22 L’appelante réclame la protection de la Loi. Le syndicat intimé prétend pour sa part qu’elle n’y a pas droit.
(3) L’objet de la Loi
23 L’article 74, comme il a été indiqué plus tôt, cherche à concilier le devoir de loyauté de l’employé envers son employeur et l’intérêt du public dans la suppression des activités illicites. Selon une jurisprudence constante et de longue date en matière de relations du travail, on réalise mieux l’équilibre entre ces deux objectifs en encourageant les employés « loyaux » à résoudre les problèmes à l’interne plutôt qu’à s’adresser immédiatement à la police, c’est‑à‑dire en faisant appel aux mesures internes avant de recourir aux mécanismes publics. Pourtant, l’interprétation que la Cour d’appel de la Saskatchewan a faite de l’art. 74 prive de protection l’employé « loyal » : un tel employé n’est protégé que lorsqu’il adresse sa plainte non pas à l’employeur, mais à la police ou à une autre autorité publique. C’est l’antithèse d’une saine politique générale de relations du travail, comme l’a signalé J. M. Weiler, il y a près d’un quart de siècle, dans la sentence arbitrale Re Ministry of Attorney‑General, Corrections Branch and British Columbia Government Employees’ Union (1981), 3 L.A.C. (3d) 140, p. 163 :
[traduction] L’obligation de loyauté n’oblige pas les Daniel Ellsberg et Karen Silkwood de ce monde à garder le silence sur les contraventions qu’ils constatent dans leur milieu de travail. Ce n’est ni dans l’intérêt du public ni dans l’intérêt à long terme de l’employeur que, par crainte de perdre leur emploi, ces employés soient intimidés au point de ne pas porter un acte fautif à l’attention des personnes susceptibles d’y remédier. Toutefois, l’obligation de loyauté impose à l’employé d’épuiser les mécanismes internes avant de se prévaloir des « mécanismes publics ». De tels mécanismes internes visent à faire en sorte que la réputation de l’employeur ne soit pas entachée par des accusations injustifiées, s’appuyant sur des renseignements inexacts. L’enquête interne offre un moyen approprié de faire appel à l’expérience et aux connaissances de plusieurs personnes pour régler tout problème qui pourrait ne viser qu’un seul employé. [Je souligne.]
24 Des tribunaux et d’autres arbitres du travail ont également favorisé cette méthode, dite de la « filière hiérarchique ». Dans Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (1re inst.), la juge Tremblay‑Lamer s’est exprimée ainsi au par. 120 :
Les demandeurs ont tenté à plusieurs occasions d’obtenir qu’on examine leurs préoccupations à l’interne, sans succès. En règle générale, la critique publique sera justifiée lorsque des tentatives raisonnables de régler la question à l’interne n’ont pas été couronnées de succès. [Je souligne.]
Voir également Read c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 990 (QL), 2005 CF 798, le juge Harrington, par. 123; Re Simon Fraser University and Association of University and College Employees, Local 2 (1985), 18 L.A.C. (3d) 361 (R. B. Bird); Forgie and Treasury Board (Immigration Appeal Board), [1986] C.P.S.S.R.B. No. 310 (QL) (M. Bendel); Re Treasury Board (Employment & Immigration) and Quigley (1987), 31 L.A.C. (3d) 156 (J. M. Cantin); et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Health Care Corp. of St. John’s, [2001] Nfld. L.A.A. No. 1 (QL) (P. Kelsey), par. 292‑294, 298‑299 et 312. Beaucoup de ces affaires mettaient en cause des employés du secteur public, où la dénonciation présente peut‑être un intérêt public plus évident. Cependant, la nécessité d’établir un juste équilibre est néanmoins la même dans le secteur privé.
(4) Le débat sur les questions de principe
25 La Saskatchewan n’est pas seule à vouloir protéger les dénonciateurs qui agissent légitimement. Au nombre des initiatives plus ou moins contemporaines sur la question, mentionnons le rapport sur l’opportunité de modifier la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C‑34, présenté au gouvernement fédéral par l’ancien juge en chef de l’Ontario, Charles L. Dubin, dans lequel ce dernier se prononçait lui aussi en faveur de la méthode de la « filière hiérarchique » :
[I]l ressort des décisions arbitrales rendues relativement à des griefs présentés par des employés dénonciateurs que l’obligation de loyauté envers l’employeur est une obligation substantielle et qu’elle n’est généralement pas respectée lorsque l’employé critique son employeur publiquement ou communique des renseignements qui portent atteinte aux intérêts de l’employeur. Un employé peut être justifié de dénoncer publiquement l’acte fautif ou illégal de son employeur. Or, pour qu’il soit fondé de le faire, l’employé doit d’abord tenter d’obtenir un redressement à l’interne. Le même principe s’appliquerait probablement dans le cadre d’une action pour congédiement injustifié intentée sur le fondement de la common law par un employé non syndiqué, mais il semble n’y avoir aucun jugement publié sur le sujet. [Je souligne.]
(C. L. Dubin et J. Terry, Étude relative à la dénonciation (1997), p. 22)
L’absence de tentative d’« obtenir un redressement à l’interne » est condamnée par des tribunaux, des arbitres du travail et d’autres commentateurs, qui la considèrent comme une conduite à première vue déloyale et répréhensible. Il serait paradoxal de considérer que le recours à des organismes externes constitue une condition préalable à la protection prévue à l’art. 74.
26 L’expérience acquise dans d’autres ressorts confirme la justesse de l’interprétation élargie. En Grande‑Bretagne, par exemple, pour se prévaloir de la protection prévue par l’Employment Rights Act 1996 (R.‑U.), 1996, ch. 18, les employés dénonciateurs doivent (sauf circonstances particulières) tenter de bonne foi de se faire entendre à l’interne, soit de l’employeur (al. 43C(1)a)), soit d’une autre personne, s’ils croient raisonnablement que le problème se rapporte à la conduite de cette personne ou qu’elle est légalement responsable de la question. En Nouvelle‑Zélande, la Protected Disclosures Act 2000 (N.‑Z.), 2000, No. 7, qui s’applique à la fois au secteur privé et au secteur public, exige (à quelques exceptions près) que les dénonciateurs suivent les voies internes avant de faire une dénonciation publique (art. 7). En Europe, le document connu sous le nom de « Charte de 1999 du signalement des dysfonctionnements », qui est appliqué par l’Office européen de lutte antifraude de la Commission européenne, établit une procédure obligeant les employés à recourir d’abord aux voies internes pour signaler des actions fautives. (Voir l’art. 2 de la décision de la Commission du 28 avril 1999 (1999/352/CE, CECA, Euratom), [1999] J.O. L. 136/20, et la décision connexe du Conseil datée du 25 mai 1999 (1999/394/CE, Euratom), [1999] J.O. L. 149/36; et les art. 22 bis et 22 ter du Statut des fonctionnaires des Communautés européennes, [1968] J.O. L. 56/1 (modifié par le Règlement (CE, Euratom) no 723/2004 du Conseil daté du 22 mars 2004, [2004] J.O. L. 124/1.) Rien dans l’art. 74 ou dans son contexte n’indique qu’en 1994 le législateur de la Saskatchewan entendait laisser sans recours les employés « loyaux » qui s’exposent à des représailles de leur employeur.
(5) Prévention des résultats absurdes
27 L’argument voulant qu’un employeur puisse congédier sans crainte de poursuite l’employé qui lui signale une faute grave par voie interne, mais qu’il ne puisse le faire si l’employé s’adresse à des autorités externes, doit être rejeté pour cause d’irrationalité, conformément au principe formulé dans R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 246 :
[traduction] L’interprétation qui conduit à infliger un traitement pire à qui en mérite un meilleur et vice versa constitue un autre type de distinction irrationnelle.
Voir aussi P.‑A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 567‑569. Dans R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, 2000 CSC 18, notre Cour a, dans le cas d’une disposition en matière de détermination de peine, refusé d’entériner une interprétation qui « aurait pour effet de profiter aux délinquants les plus dangereux et de pénaliser les délinquants les moins dangereux » (par. 42). En l’espèce, l’adoption d’une interprétation étroite des mots « autorité légalement compétente » conduirait à un illogisme similaire.
(6) Historique législatif
28 Le « contexte global » mentionné par Driedger comprend l’historique législatif. L’opinion majoritaire de la Cour d’appel, rédigée par la juge Gerwing, reposait en partie sur la perception qu’elle avait de l’art. 74, savoir qu’il ne faisait qu’ajouter à une clause antérieure d’immunité prévue à l’art. 64 (devenu plus tard l’art. 74), laquelle était limitée à la collaboration avec les autorités publiques :
[traduction]
64. Il est interdit à un employeur de congédier un employé, de menacer de le congédier ou de prendre toute mesure discriminatoire à son endroit parce que l’employé a témoigné ou est sur le point de témoigner au cours d’une enquête ou d’une instance tenue ou devant se tenir en application de la présente loi ou parce que l’employé a déposé une plainte devant le ministre ou son représentant ou leur a fourni des renseignements sous le régime de la présente loi.
(The Labour Standards Act, 1969, S.S. 1969, ch. 24)
Se fondant sur cette disposition, la juge Gerwing a tiré la conclusion suivante :
[traduction] L’actuel art. 74 a étendu la protection à d’autres lois, mais rien dans son libellé ou dans l’historique législatif n’indique que la portée de l’expression « autorité légalement compétente » devrait être élargie à des personnes qui ne sont pas en mesure d’agir à l’égard de l’allégation en tant qu’infraction. [par. 21]
29 Certes, cette conception étroite se retrouve dans d’autres dispositions législatives. Par exemple, l’art. 425.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, protège les employés qui font une dénonciation à une « personne dont les attributions comportent le contrôle d’application d’une loi fédérale ou provinciale ». Signalons toutefois que le texte de cet article fait ressortir beaucoup plus explicitement la portée restreinte de la disposition. Avec égards pour l’opinion contraire, la décision de la majorité en Cour d’appel de la Saskatchewan a pour effet d’introduire dans l’art. 74 la formulation plus restrictive du Code criminel, sans justification textuelle ou contextuelle.
30 Les dispositions qui ont précédé l’art. 74 avaient pour but d’encourager les employés à collaborer avec les fonctionnaires en matière de relations du travail et correspondaient à la protection offerte dans la plupart des codes canadiens du travail : voir, par exemple, Employment Standards Act, R.S.B.C. 1996, ch. 113, art. 83; Employment Standards Code, R.S.A. 2000, ch. E‑9, art. 125; Code des normes d’emploi, L.M. 1998, ch. 29, art. 133; Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, ch. 41, art. 74; Loi sur les normes du travail, L.R.Q., ch. N‑1.1, art. 122; Loi sur les normes d’emploi, L.N.‑B. 1982, ch. E‑7.2, art. 28; Employment Standards Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. E‑6.2, art. 35; Labour Standards Code, R.S.N.S. 1989, ch. 246, art. 30; Labour Standards Act, R.S.N.L. 1990, ch. L‑2, art. 78; Loi sur les normes du travail, L.R.T.N.‑O. 1988, ch. L‑1, art. 67.1; Loi sur les normes du travail (Nunavut), L.R.T.N.‑O. 1988, ch. L‑1, art. 67.1; Loi sur les normes d’emploi, L.R.Y. 2002, ch. 72, art. 108.
31 Au cours des dernières années, toutefois, l’horizon législatif s’est élargi. L’article 74 ne paraît pas à première vue viser la collaboration entre employés et fonctionnaires. Compte tenu des observations déjà énoncées, il me semble qu’il faut voir l’art. 74 comme une composante d’une réforme législative plus large et non comme l’ajout limité auquel a conclu la Cour d’appel de la Saskatchewan.
(7) Disposition pénale
32 Le syndicat intimé soutient que l’art. 74 est une disposition pénale et qu’elle doit en conséquence être interprétée restrictivement. Au paragraphe 25 de son jugement, la juge Gerwing a indiqué qu’« il faut interpréter une disposition pénale ambiguë de la façon qui favorisera le plus l’accusé » : R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, par. 38‑39.
33 J’estime en toute déférence que cette façon de voir n’est guère utile lorsqu’il s’agit d’interpréter une loi de nature réglementaire comme la Labour Standards Act. Si, eu égard à toutes les circonstances pertinentes, la conclusion est que le législateur voulait que son texte de loi reçoive une interprétation large, c’est cette interprétation qui sera retenue. Dans R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398, la Cour a examiné la définition d’« arme prohibée » énoncée au Code criminel et souligné que, bien que suivant l’une des deux interprétations possibles de cette définition l’arme de l’accusé était visée par l’interdiction, l’autre n’avait pas cet effet. Pour trancher la question, le juge Cory a fait sien un dictum formulé antérieurement par le juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Goulis (1981), 125 D.L.R. (3d) 137 :
[traduction] . . . même dans le cas des lois pénales, il faut rechercher la véritable intention du législateur et appliquer le sens qui correspond à ses objets. [p. 413]
Sullivan a elle aussi dit ceci, p. 387 :
[traduction] La règle [de l’interprétation stricte] se concilie difficilement avec la loi fédérale et les lois provinciales sur l’interprétation, lesquelles portent que toute loi est censée apporter une solution de droit et doit recevoir une interprétation large et téléologique. Cette prescription du législateur énonce on ne peut plus clairement que les doutes et les ambiguïtés que peuvent receler les lois pénales doivent être tranchés d’une façon qui favorise l’objet qu’elles poursuivent, quels qu’en soient les effets sur les accusés.
Voir aussi Côté, p. 600.
34 On consultera également avec intérêt l’ouvrage de R. N. Graham, Statutory Interpretation : Theory and Practice (2001), p. 210‑215, et celui de F. A. R. Bennion, Statutory Interpretation : A Code (4e éd. 2002), p. 706 :
[traduction] Conformément aux règles fondamentales d’interprétation, un texte de loi pénal ne sera pas interprété de façon stricte si d’autres facteurs d’interprétation pèsent plus lourd dans la balance.
35 En l’espèce, je suis d’avis que « d’autres facteurs d’interprétation » l’emportent sur le principe de l’interprétation stricte des lois pénales invoqué par l’intimée.
B. Conclusion sur la portée de la protection offerte aux employés par l’art. 74
36 L’interprétation de l’art. 74 retenue par les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Saskatchewan décourage le traitement à l’interne d’allégations d’inconduite du fait qu’elle n’accorde la protection contre les représailles qu’aux employés qui s’adressent à « l’externe », c’est‑à‑dire aux autorités de l’État chargées du contrôle d’application des lois. Pour les motifs que j’ai exposés, je crois qu’une telle interprétation des mots « autorité légalement compétente » est trop étroite. La protection prévue à l’art. 74 doit bénéficier aux employés qui commencent par dénoncer les inconduites au patron ou à d’autres personnes constituant, à l’intérieur de l’organisation de l’employeur, une « autorité légalement compétente » pour résoudre le problème. Si aucune solution n’est apportée à l’interne, les employés peuvent alors s’adresser « à l’externe », c’est‑à‑dire à la police ou à un autre organisme d’application de la loi, mais il n’est pas nécessaire qu’ils le fassent pour jouir de la protection prévue à l’art. 74.
37 J’ajouterais qu’il pourrait fort bien se présenter des circonstances où un employé serait pleinement justifié de ne pas rechercher de solution à l’interne et de s’adresser directement à la police, par exemple lorsqu’il y a danger que l’employeur détruise des preuves. Ce sont les circonstances qui détermineront si un employé était justifié de ne pas utiliser les mécanismes internes. Je veux simplement dire que l’« autorité légalement compétente » peut se trouver à l’intérieur de l’organisation de l’employeur aussi bien qu’à l’extérieur de celle‑ci, et que si l’employé opte pour la voie interne et subit des représailles, il peut quand même se prévaloir de la protection prévue à l’art. 74.
38 Pour ces motifs, je conclus que les mots « autorité légalement compétente » de l’art. 74 désignent non seulement la police ou d’autres agents de l’État habilités à agir à l’égard de l’activité visée par la plainte « en tant qu’infraction », mais aussi des personnes qui, au sein de l’organisation de l’employeur, sont légalement habilitées à exercer un pouvoir sur les employés concernés par la plainte ou sur l’activité qui constitue ou est susceptible de constituer une infraction à la loi.
C. Modifications subséquentes apportées à l’art. 74
39 Ma collègue la juge Deschamps fait observer que, un an environ après l’arrêt de la Cour d’appel en l’espèce le législateur de la Saskatchewan a modifié l’art. 74 afin de préciser expressément que les mots « autorité légalement compétente » incluent les supérieurs « hiérarchiques » :
[traduction]
74 . . .
(3) Au présent article, « autorité légalement compétente » s’entend :
a) de tout service de police ou organisme d’application de la loi, relativement à une infraction relevant de son pouvoir d’enquête,
b) de toute personne dont les attributions comprennent le contrôle d’application de lois fédérales ou provinciales, relativement à une infraction relevant de son pouvoir d’enquête,
c) de toute personne directement ou indirectement chargée de la supervision de l’employé.
(The Labour Standards Amendment Act, 2005, S.S. 2005, ch. 16, art. 8)
40 Ma collègue en déduit que nous devrions conclure que le législateur a voulu élargir le sens d’« autorité légalement compétente » pour inclure les supérieurs. Je ne suis pas de cet avis. L’article 36 de la Loi d’interprétation de 1995 de la Saskatchewan interdit une telle inférence. Il dispose :
36(1) L’abrogation ou la modification d’une disposition d’un texte n’implique pas :
a) . . .
b) une déclaration sur l’état antérieur du droit;
c) une déclaration portant que les règles de droit antérieures à l’abrogation ou à la modification étaient différentes de celles du texte dans sa version modifiée.
(2) La nouvelle édiction, la révision, la refonte ou la modification d’une disposition d’un texte n’a pas valeur de confirmation de l’interprétation donnée, par décision judiciaire ou autrement, des termes du texte ou de termes analogues.
41 La modification apportée à l’art. 74 s’explique tout aussi bien (et plus vraisemblablement à mon avis) par l’intention du législateur de la Saskatchewan de signifier son désaccord avec la façon dont la Cour d’appel de cette province avait en l’espèce interprété le fruit de son labeur. Quoi qu’il en soit, toute conjecture dans un sens ou dans l’autre est interdite par l’art. 36 de la Loi d’interprétation de 1995.
D. Application en l’espèce
42 L’appelante a certainement opté pour le signalement à la « filière hiérarchique ». Avant d’être congédiée, elle avait progressivement signalé le problème du présumé détournement de fonds du syndicat par MM. Royer et Gumulcak (1) à M. Royer lui‑même, qui était son supérieur; (2) aux fiduciaires de la Section locale 771 chargés de rendre compte aux membres des finances du syndicat; (3) au vérificateur du syndicat, qui aurait pu signaler le problème dans sa vérification; (4) à M. Fred Marr, l’enquêteur nommé par le président général de l’Association internationale des travailleurs en fer; (5) au président général de l’Association internationale des travailleurs en fer; et, en dernier ressort, devant l’inaction de ces personnes, (6) à la police. J’aimerais souligner qu’il ne faut pas en conclure que Mme Merk n’a pas adressé sa plainte à une « personne en position d’autorité » lorsqu’elle a parlé aux fiduciaires de la Section locale 771 ou au vérificateur. Les deux parties ont fondé leur argumentation sur la plainte de l’appelante aux représentants de l’Association internationale des travailleurs en fer. Comme aucun argument n’a porté sur le statut des représentants locaux et qu’aucune disposition des règlements internes de la Section locale n’a été invoqué à l’appui de cette thèse, je ne m’attarderai pas davantage sur la protection que pourrait accorder l’art. 74 à cet égard.
43 Dans l’argumentation du syndicat, on donne à entendre que Mme Merk a agi de façon irresponsable ou de mauvaise foi en formulant ses allégations et que l’employeur (le syndicat) en a conclu qu’elle n’était pas apte à occuper son poste. De fait, le syndicat soutient qu’il n’a pas congédié l’employée en représailles de la dénonciation mais par suite de sa conclusion que Mme Merk n’avait pas les qualités requises, comme le démontraient ses déclarations irresponsables. Les conclusions de fait de la juge du procès réduisent elles aussi à néant cet argument :
[traduction] Jusqu’à la date de son congédiement, Mme Merk était justifiée de douter du caractère régulier des paiements et elle pouvait raisonnablement croire que certaines des dépenses de M. Royer équivalaient à des fraudes à l’égard du syndicat. À mon avis, cela suffit pour satisfaire aux exigences de l’art. 74. Il serait abusif d’exiger qu’elle dispose de preuves établissant hors de tout doute raisonnable qu’une infraction a été commise. [par. 16]
44 Eu égard aux faits de l’espèce, qui donc constitue une « autorité légalement compétente »? La juge du procès a également répondu à cette question. Si elle avait été convaincue que, juridiquement, les instances internes d’un syndicat ou d’une société constituaient une « autorité légalement compétente », elle aurait inscrit une déclaration de culpabilité. Je reprends ici la conclusion qu’elle a formulée au par. 19 de son jugement :
[traduction] Si je fais erreur et que, vu sa capacité de révoquer tout dirigeant, le président général du syndicat constitue une autorité légalement compétente, la plainte de Mme Merk à M. Marr, l’enquêteur désigné par le président, répondrait à cette exigence. Je suis convaincue que c’est parce qu’elle a fourni des renseignements à M. Marr que Mme Merk a été congédiée.
45 La raison pour laquelle la juge du procès a mis l’accent sur la divulgation faite à l’« enquêteur désigné par le président », plutôt que sur la lettre du 19 octobre 2001 adressée au président général lui‑même, est que l’exécutif de la Section locale 771 avait autorisé le congédiement de Mme Merk le 21 septembre 2001, soit presque un mois avant sa lettre au président général Hunt le 19 octobre 2001. Le syndicat affirme que cette lettre n’est pas pertinente.
46 Il faut toutefois considérer aussi le fait que le syndicat intimé n’a donné suite à cette « autorisation » que le 5 novembre 2001 et qu’il a expressément fait mention, dans la lettre de congédiement, de la « lettre du 19 octobre 2001 à Joseph Hunt [. . .] et [d]es faits s’y rapportant ». Ces « faits s’y rapportant » englobaient manifestement les remous que causait Mme Merk depuis l’automne 2000, soit depuis plus d’un an, au sujet des demandes de remboursement irrégulières.
47 Bien que l’autorisation par l’exécutif de congédier Mme Merk ait été donnée à MM. Royer et Gumulcak le 21 septembre 2001, l’intéressée n’en a rien su avant le 5 novembre 2001, date de prise d’effet du congédiement. Relativement à l’art. 74, l’actus reus n’a été complet que le 5 novembre 2001 et, à cette date, la lettre du 19 octobre 2001 envoyée au président général avait certes alimenté la mens rea de MM. Gumulcak et Royer, qui l’ont mentionnée dans la lettre de congédiement. Par conséquent, ce n’est que le 5 novembre 2001 que l’actus reus et la mens rea requise ont coïncidé et que les éléments de l’infraction à l’art. 74 ont été réunis. Comme le syndicat a fait état, dans sa lettre de congédiement, de la plainte transmise par Mme Merk à M. Hunt le 19 octobre 2001 relativement à de présumées malversations financières, il ne saurait maintenant prétendre que cette plainte n’a pas à tout le moins contribué au congédiement.
V. Conclusion
48 En résumé, d’après les conclusions de la juge du procès, Mme Merk a été congédiée parce qu’elle a signalé à une autorité légalement compétente (l’Association internationale des travailleurs en fer) les malversations financières de MM. Gumulcak et Royer. Cette présumée inconduite était une « activité qui constitu[ait] ou [était] susceptible de constituer une infraction » à la loi au sens de l’art. 74. L’infraction a été complète le 5 novembre 2001. Suivant l’interprétation qu’il convient de donner à l’expression « autorité légalement compétente », une déclaration de culpabilité aurait dû être prononcée. Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le pourvoi et d’inscrire une déclaration de culpabilité. Étant donné que, comme on nous l’a dit, il s’agit d’une poursuite privée, l’appelante a droit à ses dépens, taxés entre parties, tant devant notre Cour que devant les juridictions inférieures. L’affaire est renvoyée à la juge du procès pour détermination de la peine et examen de toute demande de réparation différente ou additionnelle présentée par l’appelante.
Version française des motifs rendus par
49 La juge Deschamps (dissidente) — Le présent pourvoi pose une pure question d’interprétation des lois. Plutôt que de cerner l’intention du législateur, les juges majoritaires se demandent si la meilleure façon de protéger les employés consiste à élargir la portée de l’art. 74 de la Labour Standards Act, R.S.S. 1978, ch. L‑1 (mod. par S.S. 1994, ch. 39, art. 41) aux employés dénonciateurs effectuant leur démarche au sein de leur organisation, ou à les priver de cette protection. Suivant le raisonnement de la majorité, comme il s’agit d’une disposition réparatrice, il convient de faire abstraction de son sens ordinaire de façon à fournir la protection la plus large possible. À mon avis, il s’agit là d’un raisonnement circulaire, qui s’écarte considérablement des principes d’interprétation législative. Il faudrait donc, selon moi, reformuler la question et se demander quelle est l’intention du législateur plutôt que de définir la protection souhaitable et se demander si le législateur aurait dû l’accorder aux employés.
50 Les juges majoritaires signalent un problème important à propos de la situation singulière créée par l’art. 74. On peut certes trouver discutable que l’employé qui dénonce à son supérieur une faute présumée ne reçoive pas la même protection que celui qui s’adresse directement à un organisme externe, mais je ne puis pour autant me rallier à l’interprétation large que la majorité donne à l’expression « lawful authority ». La modification des lois relève du législateur, et il n’appartient pas à la Cour d’étirer les règles de l’interprétation législative.
51 Telle qu’elle est employée à l’art. 74, l’expression « lawful authority » ([traduction] « autorité légalement compétente ») ne peut s’entendre que d’une personne ou entité investie du pouvoir de faire appliquer des lois fédérales ou provinciales. Pour y assimiler l’employeur, il faut, contrairement à la démarche interprétative de notre Cour, ajouter à la disposition des mots qui ne concordent pas avec son sens ordinaire.
I. Qu’est‑ce qu’une « autorité légalement compétente »?
52 La Cour a à maintes reprises affirmé qu’en matière d’interprétation des lois [traduction] « il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; voir également Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26).
53 À prime abord, l’expression « autorité légalement compétente » s’entend d’une personne ou entité autorisée à exercer un pouvoir public. Le fait qu’elle avoisine, à l’art. 74, les mots [traduction] « une infraction à une loi de la Législature ou du Parlement du Canada » renforce ce sens. Comme l’a signalé la juge Gerwing de la Cour d’appel, cette proximité indique que l’autorité légalement compétente doit avoir la capacité de [traduction] « contraindre à l’obéissance — à l’égard de la conduite signalée, en tant qu’infraction » (par. 20).
54 De l’avis de la majorité de la Cour, l’interprétation étroite d’« autorité légalement compétente » entraîne des conséquences irrationnelles et ne peut de ce fait être retenue. Le principe d’interprétation des lois suivant lequel le législateur n’est pas censé vouloir produire des conséquences absurdes, illogiques ou incohérentes est bien établi (Rizzo & Rizzo, par. 27). Avec égards pour l’opinion contraire, toutefois, le fait que les employés soient tenus de signaler aux autorités publiques les infractions dont ils soupçonnent la perpétration ne saurait être considéré comme irrationnel. Un certain nombre de raisons ont pu motiver le législateur à agir ainsi. Par exemple, les personnes ou entités exerçant des pouvoirs publics, telle la police, sont particulièrement bien placées pour faire respecter la loi et donner suite aux allégations relatives à des actes criminels ou quasi criminels. Comme l’a signalé le juge de la Cour du Banc de la Reine en l’espèce, encourager les employés à dénoncer à l’interne pourrait donc aller [traduction] « à l’encontre de l’objectif qui consiste à favoriser la divulgation à ceux qui sont chargés de faire appliquer des lois fédérales ou provinciales » ((2003), 229 Sask. R. 37, 2003 SKQB 9, par. 39). Quel que soit le but que poursuivait le législateur en créant l’obligation de dénonciation à l’externe, l’art. 74 est loin d’être « irrationnel ». Comme l’obligation de signalement à une entité autorisée à exercer des pouvoirs publics repose sur un fondement rationnel, il n’appartient pas à la Cour de remettre en question les décisions du législateur en ce qui concerne la formulation d’une politique du travail efficace.
55 Le fait de donner aux mots « lawful authority » leur sens ordinaire concorde également avec les emplois analogues de cette expression dans d’autres lois fédérales ou provinciales. Ces mots sont utilisés dans maintes dispositions du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, ainsi que dans de nombreuses lois provinciales aussi variées que l’Election Act de l’Alberta, R.S.A. 2000, ch. E‑1, la Loi sur les mines et les minéraux du Manitoba, L.M. 1991‑92, ch. 9, et la Highway Traffic Act de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, R.S.N.L. 1990, ch. H‑3. Bien que, dans ces textes de loi, les mots « lawful authority » et, selon le cas, leurs équivalents français ne soient pas expressément définis comme visant les policiers ou un organisme public, ils sont systématiquement utilisés en relation avec une action qui constituerait une infraction si elle n’était accomplie en vertu d’un pouvoir conféré par la loi ou par la common law. En ce sens, un employeur ne saurait être considéré une « autorité légalement compétente » pour l’application de l’art. 74 (voir, par exemple, Code criminel, art. 40, 279, 294 et 369; Alberta, Election Act, art. 161; Colombie‑Britannique, Forest and Range Practices Act, S.B.C. 2002, ch. 69, art. 58; Manitoba, Loi sur les mines et les minéraux, par. 232(1); Terre‑Neuve‑et‑Labrador, Highway Traffic Act, art. 109; Saskatchewan, The Federal‑Provincial Agreements Act, R.S.S. 1978, ch. F‑13, art. 9).
56 Dans les lois, peu nombreuses, où le législateur confère un sens plus large aux mots « lawful authority », cette intention ressort clairement de la disposition. La législature de la Saskatchewan, notamment, a élargi le sens ordinaire de l’expression dans deux dispositions. L’article 3 de la Privacy Act de la Saskatchewan, R.S.S. 1978, ch. P‑24, énonce que la preuve que quelqu’un a fait l’objet de surveillance sans son consentement [traduction] « ou celui d’une autre personne légalement autorisée à donner ce consentement » constitue une preuve prima facie d’atteinte à la vie privée. De même, le par. 28.2(1) de la Mental Health Services Act de la Saskatchewan, S.S. 1984‑85‑86, ch. M‑13.1, précise que le directeur d’un service de psychiatrie peut ordonner le renvoi d’une personne dans un autre ressort si [traduction] « une ordonnance intimant que l’intéressé soit soumis à un examen psychiatrique obligatoire a été rendue par une personne légalement compétente dans cet autre ressort pour rendre une telle ordonnance » (voir aussi la Privacy Act de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, R.S.N.L. 1990, ch. P‑22, art. 4, la Loi sur la santé mentale du Nouveau‑Brunswick, L.R.N.‑B. 1973, ch. M‑10, par. 1(1) « parent le plus proche »). En comparaison, comme l’art. 74 ne comporte aucun mot ayant pour effet d’élargir le sens de l’expression « lawful authority » aux supérieurs hiérarchiques, il faut en conséquence donner à cette expression son sens ordinaire.
57 Il s’agit manifestement d’une loi réparatrice et, à cette fin, l’art. 74 accorde un recours à ceux qui font appel à une autorité publique. Toutefois, le simple fait de conclure qu’il s’agit d’une loi réparatrice n’est pas en soi déterminant. Il faut en plus se demander jusqu’où le législateur voulait aller. Le texte de la disposition et son contexte n’indiquent pas, à mon avis, que le législateur entendait protéger les employés qui signalent à l’interne un présumé acte répréhensible. L’élargissement de la définition des mots « lawful authority » et de leurs équivalents en français pour qu’ils visent aussi les employeurs est par conséquent incompatible avec le sens ordinaire de la disposition en cause et les règles d’interprétation législative appliquées par notre Cour.
58 D’ailleurs, la législature de la Saskatchewan a déjà décidé d’exercer son pouvoir de légiférer pour renforcer la protection offerte aux dénonciateurs et elle a modifié l’art. 74. La disposition modifiée (S.S. 2005, ch. 16, art. 8), qui est entrée en vigueur le 27 mai 2005, élargit expressément la définition d’« autorité légalement compétente » :
[traduction]
74(1) Il est interdit à un employeur de congédier un employé, de menacer de le congédier ou de prendre toute mesure discriminatoire à son endroit, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :
a) l’employé a signalé ou projeté de signaler à une autorité légalement compétente une activité qui constitue ou est susceptible de constituer une infraction à une loi de la Législature ou du Parlement du Canada,
b) l’employé a témoigné ou peut être appelé à témoigner au cours d’une enquête ou d’une instance fondée sur une loi de la Législature ou du Parlement du Canada.
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas lorsque les actes de l’employé sont vexatoires.
(3) Au présent article, « autorité légalement compétente » s’entend :
a) de tout service de police ou organisme d’application de la loi, relativement à une infraction relevant de son pouvoir d’enquête,
b) de toute personne dont les attributions comprennent le contrôle d’application de lois fédérales ou provinciales, relativement à une infraction relevant de son pouvoir d’enquête,
c) de toute personne directement ou indirectement chargée de la supervision de l’employé.
Contrairement à ce que suggère mon collègue le juge Binnie, je ne fais pas état de la modification en vue de dégager l’intention du législateur, mais seulement pour souligner que, en élargissant explicitement la définition d’autorité légalement compétente pour y inclure les supérieurs hiérarchiques, celui‑ci a effectivement résolu le problème signalé par les juges de la majorité, sans fausser le sens ordinaire de l’expression.
II. Application aux faits
59 La juge du procès a estimé que l’exécutif du syndicat avait pris la décision de congédier Mme Merk le 21 septembre 2001. Bien que d’avis que [traduction] « Mme Merk a indubitablement été congédiée parce qu’elle a soumis la question des dépenses de M. Royer au syndicat », la juge McMurtry de la Cour provinciale a conclu que la décision de la congédier avait été prise avant que Mme Merk menace de s’adresser à la police dans sa lettre du 19 octobre ([2002] S.J. No. 555 (QL), 2002 SKPC 78, par. 18). Sa conclusion s’appuyait sur divers facteurs, notamment le procès‑verbal de la réunion de l’exécutif syndical au cours de laquelle le congédiement avait été autorisé, la similitude entre le projet de lettre de congédiement et la lettre finalement envoyée et le témoignage de M. Royer expliquant qu’il n’avait pas congédié immédiatement Mme Merk parce que cette dernière était malade. La juge conclut que, [traduction] « [q]uand M. Royer a estimé que l’enquête du syndicat l’exonérait, il a jugé qu’il pouvait sans crainte congédier Mme Merk » (par. 18).
60 La Cour d’appel a refusé de modifier la décision de la juge du procès, estimant qu’[traduction] « [i]l existait des éléments de preuve étayant [les facteurs] qu’elle a[vait] acceptés, mais aucune raison empêchant celle‑ci de ne pas retenir la menace implicite contenue dans la lettre » ((2003), 238 Sask. R. 234, 2003 SKCA 103, par. 18). Je partage l’opinion de la Cour d’appel sur ce point. La juge du procès aurait certes pu effectuer un examen plus exhaustif des événements postérieurs au 21 septembre, mais le rôle des cours d’appel est limité (R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 57; R. c. Morin, [1992] 3 R.C.S. 286). Rien ne justifie de modifier les conclusions de fait de la juge de première instance.
III. Conclusion
61 Les dispositions législatives doivent être interprétées au regard de l’ensemble de leur contexte et suivant leur sens ordinaire. L’élargissement par voie d’interprétation de la définition de « lawful authority » va à l’encontre de la tradition d’interprétation de notre Cour et crée des incohérences avec l’emploi qui est fait de cette expression dans d’autres contextes législatifs. C’est en définitive au législateur concerné qu’il appartient, comme ce fut le cas en l’espèce, d’élargir la portée d’une loi au moyen de modifications. Compte tenu de tous ces facteurs, je conclus que la Cour d’appel a eu raison de refuser d’intervenir. J’aurais rejeté le pourvoi.
Pourvoi accueilli avec dépens, la juge Deschamps est dissidente.
Procureurs de l’appelante : Balfour Moss, Regina.
Procureurs de l’intimée : Plaxton Gillies, Saskatoon.