COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40
Date : 20050628
Dossier : 30025
Entre :
Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
Appelant
c.
Léon Mugesera, Gemma Uwamariya, Irenée Rutema,
Yves Rusi, Carmen Nono, Mireille Urumuri
et Marie‑Grâce Hoho
Intimés
‑ et ‑
Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada,
PAGE RWANDA, Le Centre canadien pour la justice internationale,
Congrès juif canadien, University of Toronto, Faculty
of Law — International Human Rights Clinic,
et Human Rights Watch
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron
Motifs conjoints de jugement :
(par. 1 à 180)
La juge en chef McLachlin et des juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron
______________________________
Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40
Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Appelant
c.
Léon Mugesera, Gemma Uwamariya, Irenée Rutema,
Yves Rusi, Carmen Nono, Mireille Urumuri
et Marie‑Grâce Hoho Intimés
et
Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada,
PAGE RWANDA, Le Centre canadien pour la justice internationale,
Congrès juif canadien, University of Toronto, Faculty
of Law — International Human Rights Clinic,
et Human Rights Watch Intervenants
Répertorié : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)
Référence neutre : 2005 CSC 40.
No du greffe : 30025.
2004 : 8 décembre; 2005 : 28 juin.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Décary, Létourneau et Pelletier), [2004] 1 R.C.F. 3, 232 D.L.R. (4th) 75, 309 N.R. 14, 31 Imm. L.R. (3d) 159, [2003] A.C.F. no 1292 (QL), 2003 CAF 325, avec motifs supplémentaires (2004), 325 N.R. 134, 40 Imm. L.R. (3d) 1, [2004] A.C.F. no 710 (QL), 2004 CAF 157, qui a modifié une décision du juge Nadon (2001), 205 F.T.R. 29, [2001] 4 C.F. 421, [2001] A.C.F. no 724 (QL), 2001 CFPI 460. Pourvoi accueilli.
Michel F. Denis, Normand Lemyre et Louise‑Marie Courtemanche, c.r., pour l’appelant.
Guy Bertrand et Josianne Landry‑Allard, pour les intimés.
David Matas, pour les intervenants la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada, PAGE RWANDA et Le Centre canadien pour la justice internationale.
Argumentation écrite seulement par Benjamin Zarnett, Francy Kussner et Daniel Cohen, pour les intervenants le Congrès juif canadien, University of Toronto, Faculty of Law — International Human Rights Clinic, et Human Rights Watch.
Version française du jugement rendu par
La Juge en chef et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron —
I. Introduction
1 Notre Cour doit déterminer en l’espèce si la Cour d’appel fédérale a infirmé à tort la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section d’appel) a conclu à l’inadmissibilité de l’intimé au Canada en application des sous‑al. 27(1)a.1)(ii) et 27(1)a.3)(ii) et des al. 27(1)g) et 19(1)j) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2 (désormais remplacée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27).
2 L’issue du présent pourvoi tient à la qualification d’un discours prononcé par l’intimé Léon Mugesera au Rwanda en langue kinyarwanda, qui se trouve à l’origine de la série d’événements ayant mené à la présente instance devant notre Cour.
3 En résumé, la teneur du discours a amené les autorités rwandaises à lancer l’équivalent d’un mandat d’arrestation contre M. Mugesera, qui a fui le pays peu après pour se réfugier temporairement en Espagne. Le 31 mars 1993, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour lui‑même, son épouse, Gemma Uwamariya, et leurs cinq enfants, Irenée Rutema, Yves Rusi, Carmen Nono, Mireille Urumuri et Marie‑Grâce Hoho. La demande a été acceptée, et la famille a obtenu le droit d’établissement au Canada à son arrivée au pays en août 1993.
4 En 1995, après avoir pris connaissance d’allégations contre l’intimé, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a engagé la procédure prévue à l’art. 27 de la Loi sur l’immigration. Cette disposition prévoit qu’un résident permanent du Canada peut être expulsé s’il est établi, notamment, qu’il a commis un acte criminel ou une infraction avant ou après l’obtention du droit d’établissement. En l’espèce, le discours était tenu pour une incitation au meurtre, à la haine et au génocide et pour un crime contre l’humanité.
5 En juillet 1996, un arbitre a conclu à la validité des allégations et a ordonné l’expulsion de M. Mugesera et de sa famille. La Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« SAI ») a confirmé la décision de l’arbitre et rejeté l’appel des intimés ([1998] D.S.A.I. no 1972 (QL)). Les conclusions de fait et de droit de la SAI ont été soumises au contrôle judiciaire de la Section de première instance de la Cour fédérale (« C.F. 1re inst. ») ((2001), 205 F.T.R. 29, 2001 FCT 460), puis de la Cour d’appel fédérale (« CAF »). Au nom de la CAF, le juge Décary a infirmé plusieurs conclusions de fait de la SAI et annulé la mesure d’expulsion au motif que le ministre ne s’était pas acquitté de son fardeau de preuve ([2004] 1 R.C.F. 3, 2003 CAF 325, motifs supplémentaires (2004), 325 N.R. 134, 2004 CAF 157). Ce dernier a formé appel de la décision et demande à notre Cour de confirmer la mesure d’expulsion.
6 Le présent pourvoi soulève un certain nombre de questions. Premièrement, nous devons déterminer la norme de contrôle que le tribunal de révision doit appliquer à l’égard de conclusions de fait et de conclusions de droit. Deuxièmement, cette norme sera appliquée pour établir les faits, ce qui, en l’espèce, consiste essentiellement à interpréter le discours incriminé. Troisièmement, après avoir établi les faits pertinents — le contenu du discours de M. Mugesera — , il faut appliquer le droit à ces faits et décider si les conditions juridiques de l’expulsion sont réunies, ce qui exige l’examen des dispositions de la Loi sur l’immigration relatives à la norme de preuve applicable et de celles du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, relatives à l’incitation au meurtre, à la haine et au génocide et au crime contre l’humanité.
7 Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi. L’arrêt de la CAF doit être infirmé, et la décision de la SAI confirmant l’expulsion rétablie.
II. Contexte et historique judiciaire
A. Survol de l’histoire du Rwanda
8 Il est avéré que, du 7 avril à la mi‑juillet 1994, un génocide a eu lieu au Rwanda et que des crimes contre l’humanité y ont été perpétrés. Sans pour autant nier l’existence d’un lien entre les événements, il importe de rappeler que l’horreur de ce qui s’est produit en 1994 ne saurait établir l’inhumanité du discours du 22 novembre 1992. Les allégations formulées contre M. Mugesera doivent être analysées dans leur contexte, en se reportant au moment où le discours a été prononcé.
9 Pour bien comprendre sa teneur, il est nécessaire de situer le discours dans son contexte historique. « Nous avons affaire à un discours prononcé dans un cadre politique, devant un auditoire déjà au courant de plusieurs faits, mais pour lesquels nous avons besoin d’explications pour bien suivre » (jugement de la SAI, par. 134).
10 Sans exposer l’histoire du Rwanda en détail, nous rappellerons maintenant certains faits et événements pertinents pour le règlement des questions en litige.
(1) Le contexte politique et ethnique
11 Situé dans la région des Grands Lacs, le Rwanda est un petit pays très montagneux de l’Afrique centrale. En 1992, trois groupes ethniques y étaient officiellement reconnus : les Hutu, les Tutsi et les Twa. Les Hutu et les Tutsi formaient les deux principaux groupes ethniques, les Twa ne constituant qu’environ 1 pour 100 de la population.
12 Différentes thèses expliquent l’origine des deux principales ethnies et ce qui les distingue, mais la SAI a conclu que, en 1992, un grand nombre de Rwandais adhéraient apparemment à la théorie professée par les colonisateurs, savoir que les Tutsi formaient une race distincte, originaire d’Éthiopie. La croyance générale voulait aussi qu’ils aient envahi et conquis le Rwanda, puis réduit sa population, les Hutu, en esclavage (jugement de la SAI, par. 46). La distinction entre les groupes s’est figée avec la colonisation et l’établissement de cartes d’identité. Les autorités coloniales européennes, d’abord allemandes, puis belges, ont favorisé les Tutsi et eu recours à leurs services pour l’administration de la colonie.
13 En 1959, peu avant l’accession du pays à l’indépendance, les premiers partis politiques ont été créés, et ce, sur des bases ethniques plutôt qu’idéologiques. Le principal parti hutu, le Parmehutu, a remporté les élections tenues en juin 1960. La naissance de la première république en 1961 s’est accompagnée de la destruction complète de la structure politique et administrative tutsi. La violence et le harcèlement ont incité un grand nombre de Tutsi à fuir, principalement en Ouganda. La SAI a qualifié la révolution de 1959‑1961 de « point de référence crucial de trois décennies » (par. 50). Un cycle de violence a alors débuté. Les Tutsi en exil se sont livrés à des incursions au Rwanda. Chacune de leurs attaques a été suivie de représailles contre les Tutsi restés au pays. La SAI a décrit la situation comme suit (par. 27) :
Des réfugiés ont commencé à attaquer le Rwanda en 1961 et ont essayé d’envahir le pays une dizaine de fois. C’étaient les Inyenzi. Après chaque attaque, les Tutsi restés au Rwanda subissaient des représailles spontanées ou organisées par les autorités. Et à chaque fois des vagues de réfugiés quittaient le Rwanda. Des massacres plus importants ont eu lieu en 1963 (5 à 8 000 morts, seulement dans la préfecture de Gikongoro).
D’autres troubles et massacres poussent encore à l’exil des groupes importants. On estime à 600 000 le nombre de personnes ayant quitté le Rwanda de 1959 à 1973, essentiellement des Tutsi. [Notes omises.]
14 Entre 1963 et 1973, les massacres et la discrimination générale ont amené environ la moitié de la population tutsi à quitter le Rwanda (jugement de la SAI, par. 50).
15 Le 5 juillet 1973, le général Juvénal Habyarimana s’est emparé du pouvoir lors d’un « coup d’état », donnant ainsi naissance à la deuxième république. Le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (« MRND »), un parti politique hutu partisan de la ligne dure, est devenu le seul parti officiel. En juillet 1986, le gouvernement a décrété que seuls les réfugiés aptes à subvenir à leurs besoins pouvaient rentrer au pays. Le Rwanda n’était pas en mesure d’accueillir tous ceux qui avaient fui le pays. L’impossibilité où se trouvaient les réfugiés tutsi de retourner au Rwanda a mené à la création à Kampala, en Ouganda, du Front patriotique rwandais (« FPR »), composé de réfugiés rwandais et d’anciens membres de l’armée ougandaise. L’objectif des exilés était de rentrer au Rwanda.
16 Lors de la Conférence internationale des réfugiés rwandais tenue à Washington en 1988, le gouvernement rwandais est revenu sur sa position, et le droit inconditionnel des réfugiés de rentrer au pays a été confirmé. Une commission spéciale sur les problèmes des réfugiés rwandais vivant en Ouganda a été créée. Ses membres se sont réunis à quelques reprises pour établir un plan de retour. Même si ce processus a donné lieu à une « logique de l’affrontement », la période a été marquée par une paix relative (jugement de la SAI, par. 27).
(2) Le début des années 1990
17 Le 5 juillet 1990, le président Habyarimana a annoncé un « aggiornamento politique » et exprimé le vœu de créer un gouvernement multipartite dans le cadre d’une nouvelle Constitution. En septembre, une « Commission nationale de synthèse » a été créée pour étudier la réforme des institutions politiques. Ses travaux ont débuté en octobre suivant.
18 Le 1er octobre 1990, le FPR a envahi le nord du Rwanda. L’arrestation massive et la détention de présumés complices du FPR, dont 90 pour 100 étaient tutsi, ont suivi. Le ministre de la Justice considérait les intellectuels tutsi comme des complices du FPR. L’armée rwandaise a alors perpétré plusieurs massacres. À la fin d’octobre, elle avait repoussé les rebelles au-delà de la frontière ougandaise. La guerre classique a à ce moment pris fin pour faire place à une longue semi‑guérilla. Entre octobre 1990 et janvier 1993, environ 2 000 Tutsi ont été massacrés. Le FPR aurait également attaqué et tué des centaines de civils.
19 Fin mars 1991, un projet de charte politique et un avant‑projet de constitution ont été publiés. De nouveaux partis politiques ont vu le jour : le Mouvement démocratique républicain (« MDR »), le Parti social‑démocrate (« PSD »), le Parti libéral (« PL ») et le Parti démocrate‑chrétien (« PDC »). Seul le PL était plus ou moins identifié aux Tutsi. Le 28 avril 1991, le président Habyarimana a annoncé des changements : le MRND devenait le Parti républicain national pour le développement et la démocratie, et les membres de son Comité central allaient désormais être élus. Une nouvelle Constitution prévoyant le multipartisme a été adoptée le 10 juin 1991, puis une nouvelle loi sur les partis politiques a été promulguée le 18 juin.
20 En décembre 1991, le premier ministre Nsanzimana a annoncé la création d’un nouveau gouvernement entièrement formé de membres du MRND, à l’exception d’un représentant du PDC. Des milliers de personnes ont protesté contre cette décision. Les négociations ont donc repris en février 1992 entre le MRND et les partis d’opposition, menant à la formation, en avril, d’un gouvernement de transition multipartite. Les milices du MRND ont réagi en lançant des attaques dans plusieurs régions du pays.
21 Le FPR, qui n’avait pas participé aux négociations initiales, occupait en mai 1992 une petite partie du nord du pays, de sorte que le nouveau gouvernement a dû négocier avec lui. Trois accords sont intervenus à Arusha entre le gouvernement et le FPR : le cessez‑le‑feu du 12 juillet, le protocole du 18 août relatif à l’état de droit et l’accord initial relatif au partage du pouvoir signé le 30 octobre. Le lendemain de la signature du protocole, des Tutsi et des Hutu modérés ont été massacrés.
22 Le 15 novembre 1992, le président Habyarimana a qualifié les accords d’Arusha de chiffon de papier. Les mois suivants, la violence s’est intensifiée. Des massacres de Tutsi et d’opposants politiques ont été signalés. Les pourparlers d’Arusha ont néanmoins repris au mois de mars 1993 et, le 4 août suivant, le gouvernement et le FPR ont signé les accords finaux d’Arusha et mis fin à la guerre commencée le 1er octobre 1990.
23 C’est dans ce contexte de conflits politiques et ethniques internes que le discours a été prononcé. M. Mugesera était alors un homme instruit et influent. Après avoir fait une partie de ses études universitaires au Canada et y avoir obtenu un diplôme d’études supérieures, il était retourné au Rwanda, où il avait été enseignant et titulaire de charges publiques. Il s’était également engagé en politique. Il était membre actif du MRND, le parti hutu radical opposé aux accords d’Arusha.
24 Le 22 novembre 1992, quelques jours seulement après que le président Habyarimana eut qualifié les accords d’Arusha de chiffon de papier, M. Mugesera a prononcé le discours incriminé (voir l’annexe III; les paragraphes ont été numérotés pour faciliter la consultation) lors d’une assemblée du MRND tenue à Kabaya, dans la préfecture de Gisenyi, au Rwanda, devant environ 1 000 personnes. Rappelons que les propos qu’il a alors tenus sont à l’origine du mandat d’arrestation lancé contre lui et de son départ du Rwanda à destination du Canada, où il a trouvé refuge en août 1993.
B. Allégations formulées contre M. Mugesera
25 Après l’obtention de renseignements supplémentaires sur les activités de M. Mugesera au Rwanda, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a demandé l’expulsion de l’intimé et de sa famille sous le régime de l’art. 27 de la Loi sur l’immigration. Il a allégué que le discours en cause constituait une incitation (A) au meurtre, (B) au génocide et à la haine, ainsi qu’un (C) crime contre l’humanité. Il a ajouté que, en répondant « non », dans sa demande de résidence permanente, à la question de savoir s’il avait participé à un crime contre l’humanité, M. Mugesera avait donné une fausse indication sur un fait important et contrevenu à la Loi (D). Ces allégations sont résumées à l’annexe I.
26 Lors de l’audience devant notre Cour, le ministre a abandonné l’allégation de fausse indication sur un fait important. Comme la mesure d’expulsion qui les visait reposait sur cette seule allégation, le ministre ne requiert plus l’expulsion des membres de la famille de M. Mugesera.
C. Décisions des instances inférieures
27 L’audience devant l’arbitre Pierre Turmel a duré 29 jours, et 21 témoins ont été entendus. Dans sa décision du 11 juillet 1996, l’arbitre a ordonné l’expulsion de M. Mugesera, de son épouse et de leurs enfants. Ces derniers ont porté la décision en appel. Même si la SAI tient en fait une audience de novo et peut recevoir de nouveaux éléments de preuve, les parties ont convenu de verser au dossier la totalité de la preuve présentée en première instance. Chacune des parties a en outre fait entendre quatre témoins. L’audience a duré 24 jours. La SAI a conclu au bien‑fondé de chacune des allégations du ministre et a rejeté l’appel.
28 M. Pierre Duquette a rédigé les motifs principaux de la SAI. Se fondant sur son interprétation du discours, il a conclu au bien‑fondé des allégations d’incitation au meurtre, au génocide et à la haine. Il a également estimé que l’allégation de crime contre l’humanité était fondée. À son avis, selon la prépondérance des probabilités, la preuve de l’appartenance de M. Mugesera aux escadrons de la mort, de sa participation aux massacres ou du lien entre son discours et les tueries survenues au Rwanda par la suite était insuffisante. Les deux autres membres de la formation, M. Yves Bourbonnais et Mme Paule Champoux Ohrt, ont souscrit à ses motifs, sauf quant à l’incitation au meurtre et à la perpétration d’un ou de plusieurs meurtres en conséquence. Ils ont conclu, suivant la prépondérance des probabilités, que des meurtres avaient été commis le lendemain du discours et que certains d’entre eux y étaient directement liés. Ils ont également conclu que M. Mugesera était membre de l’Akazu et des escadrons de la mort et qu’il avait participé à des massacres. (L’Akazu était un réseau politico‑financier très proche du président Habyarimana et, plus particulièrement, de sa belle‑famille. Il s’agissait aussi d’une composante des escadrons de la mort.) Ces actes constituaient des infractions suivant le par. 91(4) du livre premier et l’art. 311 du livre deuxième du Code pénal du Rwanda, et auraient également constitué des actes criminels suivant les art. 22 et 235 et l’al. 464a) du Code criminel.
29 M. Mugesera a saisi la CF 1re inst. d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI. Le 10 mai 2001, après 14 jours d’audience, le juge Nadon a conclu que les allégations C (crime contre l’humanité) et D (fausse indication) n’étaient pas fondées, mais que les allégations A (incitation au meurtre) et B (incitation au génocide et à la haine) l’étaient. Il a estimé que M. Duquette avait minutieusement analysé le discours en s’appuyant sur la preuve. Il lui était donc impossible de conclure qu’il l’avait mal interprété et que les conclusions de fait de la SAI étaient déraisonnables. Même s’il a concédé au demandeur qu’une autre interprétation que celle privilégiée par M. Duquette était possible et aurait pu être retenue, le juge Nadon a estimé qu’il ne s’agissait pas d’un motif d’intervention. Les principes régissant le contrôle judiciaire sont clairs : si elles ne sont pas manifestement déraisonnables, les conclusions de fait de la SAI justifient une grande déférence. Le juge Nadon a donc rejeté la demande de contrôle judiciaire quant aux allégations A et B, mais l’a accueillie relativement aux allégations C et D. Au sujet de l’allégation C, comme M. Duquette n’avait pu relier le discours à des meurtres ou à des massacres, il a conclu que ce discours ne pouvait constituer un crime contre l’humanité dans les circonstances. Il a renvoyé l’affaire à la SAI pour réexamen de ce point de droit.
30 Le juge Décary a rédigé les motifs majoritaires de la CAF. Selon lui, un rapport de la Commission internationale d’enquête (« CIE ») datant de 1993 avait exercé une influence déterminante sur la décision initiale du ministre d’engager la procédure d’expulsion, ainsi que sur les décisions de l’arbitre, de la SAI et de la CF 1re inst. quant aux allégations d’incitation au meurtre, au génocide et à la haine. Il a estimé que, en s’appuyant sur les conclusions de fait de la CIE, la SAI avait agi de façon manifestement déraisonnable, que les conclusions de la CIE concernant M. Mugesera n’avaient aucune crédibilité et que son rapport n’aurait pas dû être pris en considération.
31 Le juge Décary a ajouté que la SAI avait aussi commis une erreur manifestement déraisonnable en ne retenant pas le témoignage de l’un des experts cités par M. Mugesera, le professeur Angenot. Après analyse du discours, ce témoin avait laissé entendre que certains passages avaient été mal interprétés. Le discours pouvant être qualifié de politique, la CAF a estimé que son auteur avait droit à une grande latitude et à une protection substantielle sous le régime de l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. D’un point de vue objectif, le message transmis, si on analysait le discours dans son contexte global, n’incitait pas au meurtre, à la haine ou au génocide. En ce qui concerne l’allégation de crime contre l’humanité, le juge Décary a conclu que, de prime abord, le discours ne satisfaisait pas à l’exigence qu’un tel crime s’inscrive dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile pour des raisons liées, en l’occurrence, à l’origine ethnique. Aucun élément de preuve n’établissait que le discours du 22 novembre 1992 se situait alors dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique. Le juge Décary a donc conclu que l’allégation de crime contre l’humanité n’était pas fondée.
III. Dispositions législatives applicables
32 Les dispositions de la Loi sur l’immigration, de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F‑7, du Code criminel et du Code pénal du Rwanda qui s’appliquaient pendant la période considérée sont reproduites à l’annexe II.
IV. Questions en litige
33 Notre Cour doit examiner trois questions connexes. Premièrement, quel est le contenu factuel du discours et la CAF a‑t‑elle outrepassé sa compétence en substituant sa propre appréciation de la preuve à celle de la SAI sans manifester la déférence voulue à l’égard des conclusions de fait de cette dernière? Deuxièmement, comment le discours doit‑il être qualifié sur le plan juridique, et la CAF a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que M. Mugesera n’avait pas incité à la haine, au meurtre et au génocide? Troisièmement, la CAF a‑t‑elle commis une erreur de droit en statuant qu’aucun motif raisonnable ne permettait de conclure que M. Mugesera avait commis un crime contre l’humanité au Rwanda?
V. Analyse
A. Norme de contrôle
34 Premièrement, la CAF a‑t‑elle substitué à tort ses propres conclusions de fait à celles de la SAI? Pour trancher, il faut examiner la mission confiée à la CAF lors d’un contrôle judiciaire et la manière dont cette dernière s’en est acquittée en l’espèce.
(1) Le rôle de la Cour d’appel fédérale
35 Le rôle du tribunal siégeant en appel de la décision sur la demande de contrôle judiciaire se limite à décider si le tribunal de révision a choisi et appliqué la bonne norme de contrôle. Il s’agit d’une question de droit qui s’apprécie au regard de la norme de la décision correcte : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, par. 43.
36 En l’espèce, nous sommes d’avis que la CAF a omis de s’en tenir à un contrôle judiciaire, et s’est plutôt engagée dans une révision générale et une nouvelle appréciation des conclusions de fait de la SAI. Elle a écarté ces conclusions et procédé à sa propre évaluation de la preuve, même en l’absence de toute démonstration, compte tenu de la norme de la raisonnabilité, que la SAI avait commis une erreur susceptible de révision. Puis, se fondant sur les conclusions de fait qu’elle avait ainsi irrégulièrement tirées, elle a commis des erreurs de droit relativement à des questions juridiques, assujetties à la norme de la décision correcte.
37 L’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale régit la demande de contrôle judiciaire visant une décision administrative rendue sous le régime de la Loi sur l’immigration. Les alinéas 18.1(4)c) et d) disposent plus particulièrement que les mesures prévues ne peuvent être prises que si l’office fédéral a commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. Pour les besoins de ces dispositions, la norme de révision de la décision correcte s’applique à l’égard des questions de droit.
38 En ce qui concerne la question de fait, le tribunal de révision ne peut intervenir que s’il est d’avis que l’office fédéral, en l’occurrence la SAI, « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » (al. 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale). La SAI peut fonder sa décision sur les éléments de preuve qui lui sont présentés et qu’elle estime crédibles et dignes de foi dans les circonstances : par. 69.4(3) de la Loi sur l’immigration. Le tribunal de révision doit manifester une grande déférence à l’égard de ses conclusions. La CAF a d’ailleurs elle‑même statué que la norme de contrôle applicable à une décision sur la crédibilité et la pertinence de la preuve était celle de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315, par. 4.
(2) La Cour d’appel fédérale a‑t‑elle mal appliqué la norme de contrôle?
39 En statuant que, « en ce qui a trait à l’explication et à l’analyse du discours », les conclusions de la SAI étaient manifestement déraisonnables (par. 242), la CAF n’a manifesté aucune déférence à l’égard des conclusions de fait de la SAI et a excédé les limites de sa mission de contrôle judiciaire.
40 Le juge Décary s’est fondé sur sa propre appréciation de la preuve pour tirer cette conclusion. Il a reconsidéré la pertinence du rapport de la CIE et le poids à y accorder, réévalué la décision de la SAI de rejeter l’interprétation du discours proposée par le professeur Angenot et apprécié de nouveau la fiabilité et la crédibilité des témoins. Sans le préciser, la CAF a appliqué la norme de la décision correcte et a soupesé la preuve comme si elle avait été le juge des faits. Or, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le tribunal de révision ne peut écarter une décision au motif qu’il aurait tiré une conclusion différente. La CAF ne s’est pas demandé si les conclusions de la SAI étaient raisonnables, mais bien si elles étaient correctes, compte tenu de sa propre appréciation de la preuve.
41 Selon nous, M. Duquette, de la SAI, a tiré ses conclusions à l’issue d’un examen minutieux de l’ensemble de la preuve présentée à l’arbitre et à la SAI. Il a analysé chacun des passages du discours à la lumière de tous les témoignages d’experts. Il a relevé les éléments de preuve qu’il jugeait crédibles et dignes de foi et fondé sa décision sur eux. Ses conclusions factuelles étaient bien étayées, renvoyant à la preuve et précisant le poids qui lui était accordé. M. Duquette a expliqué pourquoi il avait préféré un témoignage à un autre, a fait expressément état d’éléments de preuve qui permettaient de tirer des conclusions différentes et a exposé les raisons pour lesquelles il les avait écartés.
42 Ses conclusions de fait étaient raisonnables et n’auraient pas dû être modifiées. La CAF aurait dû examiner les allégations du ministre en fonction des constatations de la SAI. Rien ne la justifiait de réexaminer la preuve ou les conclusions de fait de la SAI quant à l’interprétation du discours.
43 Saisi de la première demande de contrôle judiciaire, le juge Nadon, de la CF 1re inst., a écarté à juste titre les conclusions de M. Bourbonnais et de Mme Champoux Ohrt au motif qu’elles étaient manifestement déraisonnables. Il a estimé que « rien dans la preuve ne justifi[ait] les conclusions » (par. 43). Comme l’avait conclu M. Duquette, aucun élément de preuve irréfutable n’établissait que M. Mugesera avait fait partie de l’Akazu ou des escadrons de la mort, qu’il avait pris part aux massacres ou que des meurtres avaient été commis par suite de son discours du 22 novembre 1992. Faute de preuve étayant les conclusions, le juge de révision a eu raison de les tenir pour manifestement déraisonnables et de les rejeter.
44 Les allégations formulées par le ministre contre M. Mugesera seront donc analysées en fonction des conclusions de fait tirées par M. Duquette au nom de la SAI, y compris son interprétation du discours de l’intimé.
(3) L’interprétation du discours et la détermination de sa teneur par la SAI
45 Puisque les allégations du ministre se fondent sur la signification véritable du discours, avant de les examiner, nous devons nous pencher sur l’analyse du sens général de ce discours par M. Duquette.
46 Le discours de M. Mugesera a été enregistré puis transcrit. Lors de l’audience devant l’arbitre, il a été démontré que la transcription de la cassette (« composite no 4 ») versée au dossier correspondait en tous points au discours prononcé. M. Mugesera l’a reconnu officiellement au cours d’une conférence préparatoire tenue le 30 janvier 1997 (jugement de la SAI, par. 135). À l’audience initiale devant la SAI, un certain nombre de traductions de la transcription en français ont été examinées. L’arbitre a été invité à choisir entre celle de M. Thomas Kamanzi (proposée par le ministre) et celle de M. Eugène Shimamungu (proposée par l’intimé). L’arbitre a retenu la version de M. Kamanzi. La question du choix de la traduction a été longuement débattue, mais lors des plaidoiries finales, les intimés ont convenu que celle de M. Kamanzi reflétait fidèlement le texte en kinyarwanda.
47 L’avocat de M. Mugesera a fait valoir que le discours n’incitait pas au meurtre ou à la violence, mais prônait plutôt la tenue d’élections, l’application de la loi, la justice et la légitime défense. Il a également soutenu que l’emploi du conditionnel excluait toute incitation.
48 Même s’il a reconnu que M. Mugesera avait parlé d’élections dans son discours, M. Duquette a conclu que « l’appel aux élections n’effa[çait] pas les appels précédents à la violence » (par. 253). Comme il l’a signalé, lorsque M. Mugesera avait parlé d’élections, il avait continuellement qualifié les autres partis d’« inyenzi » — littéralement, de cancrelats — et affirmé qu’ils devaient partir :
Faites donc les (sic) plier bagage, qu’ils prennent le chemin du départ, de façon que plus personne ne revienne ici prendre la parole et que plus personne n’apporte des chiffons prétendus être des drapeaux! [par. 28]
M. Duquette a donc rejeté la prétention de M. Mugesera selon laquelle le discours avait été prononcé dans un esprit démocratique et avait appelé par‑dessus tout à la tenue d’élections.
49 Il a également refusé de voir dans le discours un plaidoyer en faveur de la justice, de l’application de la loi et de la légitime défense. Le discours ne pouvait être justifié par la légitime défense, car il « ne peut pas y avoir légitime défense en cas de menace d’un mal futur, ni pour se faire justice de façon préventive, ni pour se venger d’un événement passé » (par. 252). Le discours exhortait la population à se faire justice elle‑même. Il ne laissait pas simplement entendre que l’application régulière de la loi était nécessaire au rétablissement de l’ordre dans le pays. M. Mugesera aurait pu, par exemple, préconiser raisonnablement la poursuite en justice de ceux qui recrutaient des soldats pour les armées ennemies. Or, il ne s’est pas contenté de prôner l’application de la loi lorsqu’il a appelé la population à « exterminer » ces gens :
Pourquoi n’arrête‑t‑on pas ces parents qui ont envoyé leurs enfants et pourquoi ne les extermine‑t‑on pas? Pourquoi n’arrête‑t‑on pas ceux qui les amènent et pourquoi ne les extermine‑t‑on pas tous? Attendons‑nous que ce soit réellement eux qui viennent nous exterminer? [par. 16]
50 Vu le contexte dans lequel le discours avait été prononcé, M. Duquette n’a pas retenu l’explication de M. Mugesera selon laquelle il fallait entendre par « extermination » le recours à la peine de mort (autorisé par le Code pénal rwandais) :
Ce n’est pas ma lecture du discours. D’abord, le verdict est déjà tombé : les accusés sont coupables et doivent être condamnés à la peine capitale. S’ils ne le sont pas, la population doit s’en occuper. Les accusés sont parfois bien identifiés et parfois font partie d’un groupe et sont coupables de faire partie du groupe. [par. 257]
51 À l’appui de sa conclusion, M. Duquette a également relevé de nombreux passages où la population était encouragée à attaquer avant de l’être elle‑même (par. 260).
52 L’avocat de M. Mugesera a fait valoir que chacune des mesures encouragées par M. Mugesera était subordonnée à une condition qui ne s’était pas réalisée, de sorte qu’il n’y avait pas eu d’incitation à passer aux actes. Après réflexion, M. Duquette a jugé l’argument non fondé (par. 261‑266). Le discours laissait entendre que les conditions s’étaient réalisées : il ne faisait aucun doute que l’orateur incitait l’auditoire à passer à l’action.
53 L’exemple donné par M. Duquette l’illustrait bien et justifiait ses conclusions :
. . . si on te donne une gifle sur une joue, tu leur en donneras deux sur une joue et ils s’effondreront par terre pour ne plus reprendre leurs esprits! [par. 9]
Il était bel et bien entendu que le premier coup avait déjà été porté :
. . . si un jour quelqu’un se voit attaquer au fusil par eux, vous ne veniez pas nous dire que nous qui représentons le parti ne vous avons pas averti (sic)! [par. 19]
Dans le contexte du discours, le mot « si » signifiait « quand ».
54 Enfin, même lorsque l’énoncé pouvait à juste titre être qualifié d’hypothétique, la menace demeurait réelle et le recours au conditionnel ne l’atténuait d’aucune façon :
Si quelqu’un pénètre dans la cellule, surveillez‑le du regard et écrasez‑le; s’il est complice qu’il ne puisse plus en sortir! Oui, qu’il ne puisse plus en sortir! [par. 24]
55 M. Duquette a conclu aux par. 270-273 :
Ce discours a été prononcé en temps de guerre (même s’il y avait alors une (sic) cessez‑le‑feu) et au moment où le multipartisme naissait. On peut donc s’attendre dans ce contexte à un langage véhément. Mais le discours s’insérait dans un autre contexte nécessairement connu de l’orateur et de l’auditoire : celui des massacres ethniques. À la mi‑octobre 1990, peu de temps après le déclenchement de la guerre, 348 Tutsi furent tués en 48 heures à Kibilira et 18 à Satinsyi, deux communes près de Kabaya où fut prononcé le discours. En mars 1992, 5 Tutsi furent tués à Kibilira. Également en mars 1992, toujours dans la préfecture de Gisenyi et dans la préfecture voisine de Ruhengeri, 300 Bagogwe (sous‑groupe de Tutsi), suivant les statistiques officielles, furent assassinés. Entre octobre 1990 et février 1993, 2 000 personnes en tout, la plupart Tutsi, ont perdu la vie dans des massacres semblables au Rwanda. Ces personnes ont été tuées, parce qu’on considérait qu’elles étaient des complices des inyenzi. Il ne s’agissait pas de militaires, ni de combattants, mais de civils qu’on assimilait à l’ennemi à cause de leur appartenance à un groupe ethnique. Dans ces circonstances, le discours ne peut pas être innocent.
Monsieur Mugesera a recommandé à la foule de ne pas se laisser envahir d’abord par le FPR et ensuite par ceux qui lui sont assimilés, les membres des partis d’opposition et les Tutsi de l’intérieur.
Les partis d’opposition ont comme chefs des traîtres à la patrie, Twagiramungu, Nsengiyaremye, et Ndasingwa (Lando). Ces partis doivent quitter la région. Le langage utilisé est extrêmement violent et est une incitation au meurtre. Il recommande à la population de se faire justice elle‑même en exterminant avant d’être exterminée, utilisant ainsi un langage de panique. Et il se sert de l’argument d’autorité du parti : « [. . .] Vous ne veniez pas nous dire que nous qui représentons le parti ne vous avons pas avertis! »
Quant aux Tutsi, dès le paragraphe 6, l’on comprend que les Hutu doivent se défendre d’eux. J’ai conclu que ceux qui recrutent les jeunes sont des Tutsi. Enfin, la proposition du paragraphe 25 est claire : il ne faut pas refaire l’erreur de 1959 en laissant sortir les Tutsi, il faut les jeter à la rivière. Tout cela est une incitation au génocide. [Notes omises; nous soulignons.]
56 La CAF ayant substitué, à tort selon nous, ses propres conclusions de fait à celles de la SAI, il nous faut maintenant, après examen de son contenu factuel, déterminer la nature juridique du discours au regard des allégations du ministre et de la norme de preuve que prévoient les dispositions applicables de la Loi sur l’immigration. Nous retenons à cette fin les conclusions de fait de la SAI relatives à la traduction et à l’interprétation du discours. Nous examinerons tour à tour les motifs d’expulsion invoqués par le ministre.
B. Incitation au meurtre, au génocide et à la haine
57 Le ministre allègue premièrement que M. Mugesera a commis le crime d’incitation au meurtre, contrairement au par. 91(4) et à l’art. 311 du Code pénal du Rwanda, ainsi qu’aux art. 22 et 235 et à l’al. 464a) du Code criminel. Il affirme également que l’intimé a commis le crime d’incitation à la haine, contrairement à l’art. 393 du Code pénal du Rwanda et à l’art. 319 du Code criminel. Enfin, il soutient que l’intimé a commis le crime d’incitation au génocide, contrairement à l’art. 166 du Code pénal du Rwanda et au décret‑loi 08/75 du 12 février 1975 portant adhésion du Rwanda à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 78 R.T.N.U. 277, 9 décembre 1948 (« Convention sur le génocide »), de même qu’au par. 318(1) du Code criminel.
58 La preuve offerte à l’appui de ces allégations doit satisfaire à la norme civile de la prépondérance des probabilités. Les alinéas 27(1)a.1) et a.3) de la Loi sur l’immigration dispose :
27. (1) L’agent d’immigration ou l’agent de la paix doit faire part au sous‑ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui‑ci, selon le cas :
. . .
a.1) est une personne qui a, à l’étranger :
. . .
(ii) soit commis, de l’avis, fondé sur la prépondérance des probabilités, de l’agent d’immigration ou de l’agent de la paix, un fait — acte ou omission — qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s’il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d’une loi fédérale, par mise en accusation, d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans,
. . .
a.3) avant que le droit d’établissement ne lui ait été accordé, a, à l’étranger :
. . .
(ii) soit commis, de l’avis, fondé sur la prépondérance des probabilités, de l’agent d’immigration ou de l’agent de la paix, un fait — acte ou omission — qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s’il était commis au Canada, constituerait une infraction visée à l’alinéa a.2),
. . .
59 Comme nous l’avons expliqué, la norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte. La SAI a droit à la déférence lorsqu’elle se prononce sur la crédibilité et la pertinence, mais pas lorsqu’elle définit les éléments constitutifs du crime ou qu’elle détermine si le ministre s’est acquitté de son fardeau de preuve, c’est‑à‑dire s’il a démontré, compte tenu des faits établis suivant la prépondérance des probabilités, que le discours constituait une incitation à l’assassinat, au génocide ou à la haine, ou à tous ces actes. Dans le cas d’un crime qui aurait été perpétré à l’étranger, lorsque les éléments constitutifs du crime seront établis en droit criminel canadien, nous tiendrons pour acquis, comme l’ont fait les tribunaux inférieurs, qu’ils le sont également pour les besoins du droit criminel étranger, celui du Rwanda en l’occurrence. Nul ne conteste que les éléments constitutifs des crimes en cause sont fondamentalement les mêmes dans les deux systèmes de droit.
(1) L’incitation au meurtre
60 Selon M. Duquette, même si des éléments de preuve établissaient que des meurtres avaient été commis à la suite du discours de l’intimé, ils ne suffisaient pas pour relier directement les meurtres au discours (par. 338). Cette conclusion de fait rend inapplicable l’art. 22 du Code criminel et exclut l’infraction consistant à conseiller la commission d’une infraction qui est ensuite commise.
61 Toutefois, suivant l’al. 464a) du Code criminel, constitue une infraction le fait de conseiller à une autre personne de commettre une infraction, même s’il n’y a pas passage à l’acte. Le Code pénal du Rwanda dispose également que l’incitation au meurtre constitue un crime, qu’elle soit ou non suivie de la commission d’une infraction.
a) Conseiller un meurtre qui n’est pas commis : Éléments constitutifs
62 L’alinéa 464a) du Code criminel prévoit :
464. Sauf disposition expressément contraire de la loi, les dispositions suivantes s’appliquent à l’égard des personnes qui conseillent à d’autres personnes de commettre des infractions :
a) quiconque conseille à une autre personne de commettre un acte criminel est, si l’infraction n’est pas commise, coupable d’un acte criminel et passible de la même peine que celui qui tente de commettre cette infraction;
63 Suivant le par. 22(3) du Code criminel, « conseiller » s’entend d’« amener » et d’« inciter », et « conseil », de l’encouragement visant à amener et à inviter. Inciter veut dire exhorter, exciter ou provoquer : R. c. Ford (2000), 145 C.C.C. (3d) 336 (C.A. Ont.), par. 28.
64 Considérées objectivement, les déclarations doivent encourager activement ou préconiser la commission de l’infraction en cause : R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 56. Elles sont criminelles lorsqu’elles (1) sont de nature à inciter à la perpétration de l’infraction et (2) visent la commission de l’infraction : R. c. Dionne (1987), 38 C.C.C. (3d) 171 (C.A.N.‑B.), p. 180. L’intention d’obtenir le résultat criminel, c’est‑à‑dire la volonté de l’instigateur que l’infraction conseillée soit perpétrée, établira évidemment l’élément moral requis pour l’infraction consistant à conseiller un acte criminel.
b) Conclusions relatives à l’acte criminel
65 M. Duquette a conclu que le discours du 22 novembre 1992 constituait une incitation à assassiner les Tutsi et les membres des partis d’opposition. Pour déterminer si la commission de l’acte criminel — conseiller la perpétration d’un meurtre qui n’est pas commis — a été établie, nous examinerons certains passages clés du discours, ainsi que l’explication et l’analyse de M. Duquette s’y rapportant.
66 M. Duquette a tout d’abord analysé le passage suivant, où l’orateur invitait son auditoire à résister à l’invasion :
Le deuxième point dont j’ai décidé de vous entretenir, c’est de ne pas vous laisser envahir. À tout prix, vous quitterez ces lieux en emportant avec vous cette parole, à savoir ne pas vous laisser envahir. Dis‑donc, toi homme, toi père ou mère ici présents, si quelqu’un vient un jour s’installer dans ton enclos et y défèque, accepteras‑tu encore réellement qu’il y revienne? Cela est tout à fait interdit. Sachez que la première chose importante [. . .] vous avez vu ici nos frères de Gitarama. Leurs drapeaux, c’est moi qui les ai distribués lorsque je travaillais au siège de notre Parti. Partout à Gitarama, on les a hissés. Mais, quant (sic) tu viens de Kigali, que tu continues d’avancer pour pénétrer dans Kibilira, plus aucun drapeau du M.R.N.D. ne s’y trouve : on les a descendus! Quoi qu’il en soit, vous le comprenez vous‑mêmes, les prêtres nous ont appris de bonnes choses; notre Mouvement aussi est un Mouvement pour la paix. Cependant, il faut qu’on sache que, pour notre paix, il n’y a pas d’autre moyen de l’avoir que de se défendre soi‑même. Certains ont cité l’adage suivant : « Qui veut la paix prépare toujours la guerre ». C’est ainsi donc que, dans notre Préfecture de Gisenyi, c’est la quatrième ou cinquième fois que j’en parle, ce sont eux qui ont agi les premiers. Il est écrit dans l’Évangile que si l’on te donne une gifle sur une joue, tu offriras l’autre pour qu’on tape dessus. Moi, je vous dis que cet Évangile a changé dans notre Mouvement : si on te donne une gifle sur une joue, tu leur en donneras deux sur une joue et ils s’effondreront par terre pour ne plus reprendre leurs esprits! Ici donc, plus rien de se (sic) qui s’appelle leur drapeau, plus rien de se (sic) qui s’appelle leur bonnet, plus rien même de se (sic) qui s’appelle leur Militant ne doit venir sur notre sol pour y prendre la parole; je veux dire dans tout Gisenyi, sur toute son étendue! [par. 9]
67 Au paragraphe 9, M. Mugesera a abordé le deuxième thème de son discours en quatre parties : ne pas se laisser envahir. M. Duquette a convenu avec le professeur Angenot que le message lancé aux Rwandais était de ne se laisser envahir ni par les agresseurs du FPR ni par les opposants politiques. Il a relevé que, tout au long du discours, les opposants politiques étaient « systématiquement qualifiés d’inyenzi » ou de cancrelats (par. 172).
68 M. Duquette a expliqué le sens du mot « inyenzi » :
L’expression « complices des inyenzi » mérite une explication. Le terme « inyenzi » a été utilisé durant les années 1960 pour désigner un groupe de réfugiés armés qui tentaient des incursions de l’étranger contre le Rwanda. Inyenzi signifie littéralement cancrelats, par allusion aux insectes qui s’infiltrent, sont partout la nuit et qu’on ne voit pas le jour. Par extension, monsieur Mugesera — et beaucoup d’autres sûrement — ont appelé inyenzi ceux qui attaquaient le Rwanda dans les années 1990, soit le FPR. Celui‑ci utilisait plutôt le terme inkotanyi (littéralement, combattants tenaces) faisant référence à des militants du roi au XIXe siècle. Dans le dictionnaire produit sous M‑4‑9, on retrouve comme troisième sens « membre d’un groupe d’incursion Tutsi, à l’époque de l’indépendance du Rwanda; maquisard ». [Notes omises; par. 160.]
69 Au paragraphe 13 de son discours, M. Mugesera a tenté d’établir un lien entre les combattants des années 1960 et le FPR. Pour lui, c’étaient tous des « inyenzi » :
Une autre chose qu’on peut appeler « ne pas se laisser envahir » dans le pays, vous connaissez des gens qu’on appelle « Inyenzi » (Cancrelats), ne les appelez plus « Inkotanyi » (combattants tenaces), car ce sont tout à fait des « Inyenzi ». Ces gens appelés Inyenzi ce (sic) sont mis en route pour nous attaquer.
Il a qualifié les « inkotanyi » d’« inyenzi », et M. Duquette a conclu : « On fera nécessairement le lien également avec tous ceux qu’il appelle inyenzi dans le discours » (par. 181).
70 Au paragraphe 15, M. Mugesera a ajouté que ceux qui recrutaient des soldats pour les armées ennemies devraient être arrêtés et traduits en justice :
Vous savez ce que c’est, chers parents, « ne pas se laisser envahir », ou vous le savez. Vous savez qu’il y a au pays des « Inyenzi » qui ont profité de l’occasion pour envoyer leurs enfants au front, pour aller secourir les « Inkotanyi ». Ça c’est quelque chose dont vous entendez parler vous‑mêmes. Vous savez qu’hier je suis rentré de Nshili dans Gikongoro à la frontière du Burundi, en passant par Butare. Partout on m’a fait rapport du nombre des jeunes qui sont partis. On m’a dit : « Là où ils passent, ainsi que celui qui les conduit [. . .] pourquoi ne sont‑ils pas arrêtés en même temps que leurs familles? » Je vous le dis donc maintenant, cela est écrit dans la Loi, dans le livre du Code pénal : « Sera passible de peine de mort toute personne qui recrutera des soldats en les cherchant parmi la population, en cherchant partout des jeunes qu’elle ira donner aux forces armées étrangères qui attaqueront la République ». C’est écrit.
Ce n’étaient pas des paroles excessives. M. Duquette a estimé que même si M. Mugesera n’avait pas affirmé que les gens devaient être arrêtés parce qu’ils étaient tutsi, des éléments de preuve permettaient de conclure que, à cette époque au Rwanda, il était bien compris que les recruteurs étaient des extrémistes tutsi. M. Mugesera l’a d’ailleurs confirmé à une journaliste du quotidien Le Soleil (par. 192).
71 M. Duquette a vu un appel au meurtre dans les deux passages suivants :
Pourquoi n’arrête‑t‑on pas ces parents qui ont envoyé leurs enfants et pourquoi ne les extermine‑t‑on pas? Pourquoi n’arrête‑t‑on pas ceux qui les amènent et pourquoi ne les extermine‑t‑on pas tous? Attendons‑nous que ce soit réellement eux qui viennent nous exterminer?
Je voudrais vous dire que maintenant nous demandons que ces gens‑là soient mis sur une liste et qu’ils soient traduits en justice pour qu’ils soient jugés en notre présence. Au cas où il arriverait qu’ils (les juges) refusent, il est écrit dans la constitution que « ubutabera bubera abaturage ». En français, cela veut dire que « LA JUSTICE EST RENDUE AU NOM DU PEUPLE ». Au cas où donc la justice n’est plus au service du peuple, comme cela est écrit dans notre constitution que nous avons votée nous‑mêmes, c’est dire qu’à ce moment, nous autres composantes de la population au service de laquelle elle devrait se mettre, nous devons le faire nous‑mêmes en exterminant cette canaille. Ceci, je vous le dis en toute vérité, comme c’est écrit dans l’Évangile : « Lorsque vous accepterez qu’en venant vous mordre un serpent reste attaché sur vous avec votre accord, c’est alors vous qui serez anéantis ». [par. 16‑17]
72 M. Duquette a écarté l’explication de M. Mugesera selon laquelle il avait fait référence à la peine de mort lorsqu’il avait parlé d’« extermination ». L’orateur avait clairement laissé entendre que le système de justice ne fonctionnait pas et que la population devait se faire justice elle‑même. Il a même proposé la sentence : l’extermination.
73 Le paragraphe 24 du discours transmettait le même message : « tuer ou être tué » :
Une chose importante que je demande encore à tous ceux qui travaillent et qui sont au sein du M.R.N.D. : « Unissez‑vous! » Que celui qui est chargé des finances, comme les autres s’en servent, lui aussi apporte l’argent pour que nous nous en servions. Qu’il en soit de même pour celui qui en a à son propre compte. Le M.R.N.D. le lui a donné pour l’aider et le soutenir, afin que, lui aussi, puisse subvenir à ses besoins en sa qualité d’homme. Comme ils ont l’intention de lui couper le cou, qu’il l’apporte (l’argent) pour que [[nous nous défendions en leur coupions (sic) les cous]]! Souvenez‑vous que la base de notre Mouvement est la cellule, que la base de notre Mouvement est le secteur et la Commune. Il (le Président) vous a dit qu’un arbre qui a des branches et a des feuilles sans avoir des racines meurt. Nos racines sont fondamentalement là‑bas. Unissez‑vous encore, bien sûr vous n’êtes plus rémunérés, que nos membres des cellules se mettent ensemble. Si quelqu’un pénètre dans la cellule, surveillez‑le du regard et écrasez‑le; s’il est complice qu’il ne puisse plus en sortir! Oui, qu’il ne puisse plus en sortir!
74 M. Mugesera a avancé que la première partie de ce paragraphe ne devait s’entendre que comme un simple appel à des contributions pour soutenir l’effort de guerre : il demandait à son auditoire d’aider le gouvernement à acheter des armes. M. Duquette a rejeté cette explication, la jugeant trop subtile pour être comprise de l’auditoire (par. 212). En effet, le discours de M. Mugesera affirmait que des gens voulaient couper des cous et que les ressources disponibles devaient être mises en commun pour tuer ces gens.
75 Dans la deuxième partie du même paragraphe, M. Mugesera a parlé des individus qui pouvaient pénétrer dans la « cellule », la plus petite unité administrative au Rwanda. La préfecture se compose de communes, elles‑mêmes constituées de cellules. Le message transmis était de ne pas laisser sortir de la cellule les complices qui y pénétraient. Selon M. Duquette, cela signifiait qu’ils ne devaient pas en sortir vivants. M. Mugesera a prétendu avoir simplement voulu dire qu’il fallait interroger l’étranger pour établir son identité et le traduire en justice. Or, M. Duquette a jugé son explication totalement déraisonnable, car l’auditoire ne pouvait voir cette possibilité tacite dans les mots « qu’il ne puisse plus en sortir! ».
76 Enfin, dans sa conclusion, l’orateur avait à nouveau appelé au meurtre :
Pour que je puisse terminer donc, je voudrais vous rappeler toutes les choses importantes dont je viens de vous entretenir : la plus essentielle est de ne pas nous laisser envahir, de peur que même ceux‑là qui agonisent n’emportent personne parmi vous. N’ayez pas peur, sachez que celui à qui vous ne couperez pas le cou, c’est celui‑là même qui vous le coupera. Je vous dis donc que ces gens là devraient commencer à partir pendant qu’il est encore temps et à aller habiter parmi les leurs ou aller même parmi les « Inyenzi » au lieu d’habiter parmi nous en conservant des fusils, pour que quand nous serons endormis, ils nous tirent dessus. Faites donc les (sic) plier bagage, qu’ils prennent le chemin du départ, de façon que plus personne ne revienne ici prendre la parole et que plus personne n’apporte des chiffons prétendus être des drapeaux! [par. 28]
M. Mugesera a invité l’auditoire à ne pas s’exposer à l’invasion. Il l’a mis en garde : « celui à qui vous ne couperez pas le cou, c’est celui‑là même qui vous le coupera ». Pour M. Duquette, il ne s’agissait pas de réagir à une attaque, mais de prendre l’initiative. L’orateur a aussi conseillé aux membres des autres partis politiques de partir avant qu’il ne soit trop tard. M. Duquette a conclu que, même s’il ne constituait pas un appel direct au meurtre, ce conseil était néanmoins « extrêmement menaçant à cause de ce qui [venait] d’être dit » (par. 245).
77 Les conclusions de fait de la SAI étayent la conclusion qu’il faut voir dans le discours de M. Mugesera une incitation à tuer les Tutsi et les membres des partis d’opposition. Les éléments de l’actus reus sont réunis : considéré objectivement, le message était de nature à inciter au meurtre et avait ce but. M. Mugesera a expliqué à son auditoire, en des termes extrêmement violents, qu’il devait choisir entre exterminer les Tutsi, leurs complices et les opposants politiques ou être exterminé par eux.
c) Conclusions relatives à l’intention criminelle
78 En ce qui concerne la mens rea, M. Duquette a conclu que, dans le contexte, M. Mugesera savait que son discours serait interprété comme une incitation au meurtre. Le contexte en question correspondait aux massacres ethniques survenus avant et après le discours :
Entre octobre 1990 et février 1993, 2 000 personnes en tout, la plupart Tutsi, ont perdu la vie dans des massacres semblables au Rwanda. Ces personnes ont été tuées, parce qu’on considérait qu’elles étaient des complices des inyenzi. Il ne s’agissait pas de militaires, ni de combattants, mais de civils qu’on assimilait à l’ennemi à cause de leur appartenance à un groupe ethnique. [Note omise; par. 270.]
79 Cette conclusion de fait établit la mens rea requise pour l’infraction de conseiller un acte criminel qui n’est pas commis. Il en ressort que, dans les faits, M. Mugesera a non seulement prononcé le discours de manière délibérée, mais il a voulu que la perpétration de meurtres en résulte.
80 Nous sommes d’avis que la SAI a eu raison de conclure au bien‑fondé de l’allégation d’incitation au meurtre qui n’est pas perpétré et que la CAF a infirmé cette conclusion à tort. Il nous faut maintenant examiner les allégations relatives au crime d’incitation au génocide.
(2) L’incitation au génocide
81 La deuxième infraction que M. Mugesera aurait commise en prononçant son discours est la préconisation ou la fomentation du génocide. Nous nous pencherons maintenant sur les éléments constitutifs de l’infraction et déterminerons s’ils sont établis au vu des conclusions de fait de M. Duquette.
82 Le droit international se trouve à l’origine du crime de génocide. Il est donc appelé à jouer un rôle décisif dans l’interprétation du droit interne, plus particulièrement dans la détermination des éléments constitutifs du crime d’incitation au génocide. En effet, le par. 318(1) du Code criminel reprend presque textuellement la définition de génocide figurant à l’art. II de la Convention sur le génocide, et l’allégation B du ministre renvoie expressément à l’adhésion du Rwanda à cette convention. Le Canada est également lié par la Convention sur le génocide. Outre les obligations conventionnelles, l’on reconnaît que les principes juridiques qui sous‑tendent la Convention sur le génocide font partie du droit international coutumier (voir Cour internationale de justice, avis consultatif du 28 mai 1951, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, C.I.J. Recueil 1951, p. 15). Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 69‑71, notre Cour a souligné l’importance d’interpréter le droit interne conformément aux principes du droit coutumier international et aux obligations conventionnelles du Canada. Dans ce contexte, les sources internationales comme la jurisprudence récente des tribunaux pénaux internationaux revêtent une grande importance pour les besoins de l’analyse.
a) Incitation au génocide : Éléments constitutifs
83 Le paragraphe 318(1) du Code criminel interdit l’incitation au génocide : « Quiconque préconise ou fomente le génocide est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans. » Le paragraphe 318(2) définit le génocide comme le fait de tuer les membres d’un groupe identifiable ou de les soumettre délibérément à des conditions de vie propres à entraîner leur destruction physique, avec l’intention de détruire totalement ou partiellement ce groupe. À l’époque considérée, le par. 318(4) disposait qu’un « groupe identifiable » s’entendait de « toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion ou l’origine ethnique ». Au Canada, aucun arrêt de jurisprudence ne porte précisément sur l’application du par. 318(1) du Code criminel.
(i) Le génocide doit‑il être prouvé?
84 Dans Procureur c. Akayesu, Affaire no ICTR‑96‑4-T, 2 septembre 1998, la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour le Rwanda (« TPIR ») a établi une distinction entre les éléments constitutifs du crime de complicité de génocide et ceux du crime d’incitation au génocide. Dans une affaire de complicité, la poursuite doit prouver qu’un génocide a effectivement eu lieu. Toutefois, dans le cas d’une accusation d’incitation, cette preuve n’est pas nécessaire :
De l’avis de la Chambre, ce qui justifie que ces actes soient exceptionnellement réprimés est le fait qu’ils sont, en eux‑mêmes, des actes particulièrement dangereux parce que porteurs d’un très grand risque pour la société, même s’ils ne sont pas suivis d’effet. La Chambre considère que le génocide relève évidemment de cette catégorie de crimes dont la gravité est telle que l’incitation directe et publique à le commettre doit être pénalisé en tant que telle, même dans les cas où l’incitation n’aurait pas atteint le résultat escompté par son auteur. [par. 562]
85 Comme il allègue l’incitation au génocide, le ministre n’a pas à démontrer l’existence d’un lien de causalité direct entre le discours et un meurtre ou un acte de violence. Vu son caractère inachevé, l’incitation est punissable en elle‑même, sans égard au résultat. Elle constitue un crime qu’elle produise ou non l’effet escompté : voir également Procureur c. Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, Affaire no ICTR‑99‑52‑T (TPIR, Chambre de première instance I) (« affaire des Médias »), 3 décembre 2003, par. 1029. Le ministre n’est donc pas tenu de prouver que des personnes ayant assisté au discours de M. Mugesera ont tué ou tenté de tuer des membres d’un groupe identifiable.
(ii) L’acte criminel : Incitation directe et publique
86 Dans le cas de l’incitation au génocide, la perpétration de l’acte criminel comporte deux éléments : que l’incitation soit directe et qu’elle soit publique : Akayesu, Chambre de première instance, par. 559. Se reporter également à l’al. IIIc) de la Convention sur le génocide. Le discours était public. Il ne reste donc qu’à examiner son caractère direct.
87 Dans la décision Akayesu, la Chambre de première instance du TPIR a statué que le caractère direct « veut que l’incitation prenne une forme directe et provoque expressément autrui à entreprendre une action criminelle et qu’une simple suggestion, vague et indirecte, soit quant à elle insuffisante pour constituer une incitation directe » (par. 557). Ce caractère direct doit être évalué « à la lumière d’une culture et d’une langue donnée » (par. 557). Selon l’auditoire, un discours donné pourra être perçu comme direct dans un pays, et indirect dans un autre. L’analyse requise par la recherche du caractère direct du discours doit donc être axée sur le problème de déterminer si les personnes composant l’auditoire visé comprennent immédiatement les conséquences de ce discours (par. 558). Les mots employés doivent être suffisamment clairs pour être immédiatement compris par l’auditoire visé. Insinuations et propos obscurs ne suffisent pas.
(iii) L’intention criminelle sous‑jacente à l’incitation directe et publique au génocide
88 L’intention criminelle requise pour conclure à l’incitation au génocide est « l’intention de directement amener ou provoquer autrui à commettre un génocide » (Akayesu, Chambre de première instance, par. 560). Elle suppose la volonté de mettre autrui dans l’état d’esprit nécessaire à la commission d’un acte énuméré au par. 318(2) du Code criminel. L’incitateur doit également avoir l’intention spécifique de perpétrer un génocide : l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe identifiable, c’est‑à‑dire toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion ou l’origine ethnique (par. 318(2) et (4) du Code criminel).
89 L’intention peut s’inférer des circonstances. Notre Cour peut donc, pour un acte donné, déduire l’intention génocidaire de la perpétration systématique d’autres actes répréhensibles contre le groupe, de l’échelle des atrocités commises et de leur caractère général dans une région ou un pays, ou encore du fait que les victimes ont été délibérément et systématiquement choisies en raison de leur appartenance à un groupe, alors que les membres d’autres groupes ont été épargnés (Akayesu, Chambre de première instance, par. 523). Un discours prononcé dans un climat génocidaire aura une portée accrue. Par conséquent, le contexte dans lequel un discours est prononcé peut devenir révélateur de l’intention de l’orateur (affaire des Médias, par. 1022).
b) Conclusions relatives à l’acte criminel
90 La conclusion de M. Duquette selon laquelle M. Mugesera a préconisé le génocide dans son discours du 22 novembre 1992 repose sur divers éléments factuels, le plus important étant son interprétation du tristement célèbre « passage de la rivière » au par. 25 :
Dernièrement, j’ai dit à quelqu’un qui venait de se vanter devant moi d’appartenir au P.L. Je lui ai dit : « L’erreur que nous avons commise en 1959 est que, j’étais encore un enfant, nous vous avons laissés sortir ». Je lui ai demandé s’il n’a pas entendu raconter l’histoire des Falashas qui sont retournés chez eux en Israël en provenance de l’Éthiopie? Il m’a répondu qu’il n’en savait rien! Je lui ai dit : « Ne sais‑tu pas donc ni écouter ni lire? Moi, je te fais savoir que chez toi c’est en Éthiopie, que nous vous ferons passer par la Nyabarongo pour que vous parveniez vite là‑bas ».
91 La première conclusion de fait pertinente qu’il tire de ce passage est que la personne à qui l’orateur s’adressait dans cette histoire était un Tutsi. Comme il l’a expliqué, M. Mugesera parlait à un membre d’un parti d’opposition, le PL. Il renvoyait précisément aux événements de 1959 où de nombreux Tutsi étaient partis en exil et faisait mention de l’Éthiopie. Selon la croyance populaire, les Tutsi étaient originaires de ce pays. C’est même ce que l’on enseignait aux élèves du primaire et du secondaire au Rwanda.
92 La deuxième conclusion de fait pertinente est que M. Mugesera avait alors suggéré de renvoyer les corps des Tutsi en Éthiopie. M. Mugesera a prétendu avoir simplement exposé à son auditoire que, tout comme les Falashas avaient quitté l’Éthiopie pour retourner à leur lieu d’origine, Israël, les Tutsi devaient rentrer en Éthiopie. Dans leur cas, le voyage de retour se serait effectué par la rivière Nyabarongo, qui coule vers l’Éthiopie en traversant le Rwanda. Or, cette rivière n’était pas navigable, et le retour ne pouvait s’effectuer par bateau. Lors de massacres précédents, les corps des Tutsi assassinés avaient été jetés dans la Nyabarongo.
93 La mention de l’année 1959 était également importante, car le groupe qui avait alors été exilé se composait principalement de Tutsi. C’est dans ce groupe que l’on recrutait les « inyenzi » et les « inkotanyi ». Tout au long de son discours, M. Mugesera a établi des liens entre les deux groupes. M. Duquette a aussi conclu que l’orateur conseillait clairement de ne pas laisser « sortir » ces « envahisseurs » et ces « complices », laissant entendre que l’erreur commise en 1959 avait été de chasser les Tutsi du Rwanda, avec pour résultat qu’ils attaquaient maintenant le pays.
94 Résumant ses conclusions sur le sens de ce passage, M. Duquette a écrit :
On comprend donc que l’interlocuteur est un Tutsi et quand monsieur Mugesera dit « nous vous ferons passer par la Nyabarongo », le « vous » signifie les Tutsi et le « nous », les Hutu. On comprend également que l’orateur souligne à l’auditoire que c’était une erreur de faire sortir les Tutsi du Rwanda en 1959, puisque maintenant ils attaquent. On comprend enfin qu’il suggère de renvoyer les corps des Tutsi par la rivière Nyabarongo. [par. 225]
Ce message a été communiqué au cours d’une assemblée publique tenue dans un lieu public et pouvait être clairement compris par l’auditoire.
95 M. Duquette a conclu que, considérés individuellement, les éléments du « passage de la rivière » n’étaient pas déterminants mais que, ensemble, ils constituaient un appel délibéré à l’assassinat de Tutsi : « Demander de jeter les Tutsi dans la rivière en faisant référence à 1959 donnait une indication très claire » (par. 352). Sur le fondement de ces conclusions de fait, M. Duquette a jugé que M. Mugesera avait préconisé l’assassinat des membres d’un groupe identifiable caractérisé par son origine ethnique, les Tutsi, dans l’intention de détruire partiellement ce groupe.
c) Conclusions relatives à l’intention criminelle
96 À propos de la question de savoir si M. Mugesera avait eu l’intention criminelle requise, M. Duquette a écrit : « Sachant qu’environ 2 000 Tutsi avaient été tués depuis le 1er octobre 1990, ce contexte ne fait pas de doute sur son intention » (par. 352) et « il avait spécifiquement l’intention de soulever les citoyens les uns contre les autres » (par. 353). La conclusion que M. Mugesera avait visé la destruction totale ou partielle de ses seuls opposants politiques n’aurait pas établi l’existence de la mens rea requise pour le crime d’incitation au génocide. En effet, le groupe politique n’est pas un groupe identifiable au sens du par. 318(4) du Code criminel. La SAI est allée plus loin et a conclu que M. Mugesera avait préconisé la destruction des Tutsi, c’est‑à‑dire d’un groupe ethnique distinct et identifiable.
97 Se penchant sur les éléments constitutifs du crime, M. Duquette a conclu que M. Mugesera avait tenté d’inciter les citoyens à s’en prendre les uns aux autres (ce qui constituait un élément de l’infraction prévue à l’art. 166 du Code pénal du Rwanda). Il a précisé que les citoyens en question étaient « soit les partisans du MRND contre les partis d’opposition, soit les Hutu contre les Tutsi » (par. 353). Cette conclusion, jumelée à celle que M. Mugesera savait que des massacres ethniques avaient lieu, permet de déduire l’existence de l’élément moral nécessaire pour la perpétration du crime d’incitation au génocide.
98 L’allégation d’incitation au crime de génocide est fondée. La conclusion de la SAI à cet égard était juste sur le plan du droit.
(3) L’incitation à la haine
a) Incitation à la haine : Éléments constitutifs
99 Le ministre a invoqué comme autre motif d’expulsion que M. Mugesera s’était rendu coupable d’incitation à la haine, contrairement à l’art. 319 du Code criminel, dont voici le texte :
319. (1) Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable [d’une infraction].
(2) Quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable est coupable [d’une infraction].
100 L’article 319 crée deux infractions distinctes d’incitation à la haine contre un groupe identifiable. Son premier paragraphe prohibe la communication en un endroit public de déclarations qui incitent à la haine et qui sont susceptibles d’entraîner une violation de la paix. Le deuxième vise uniquement la fomentation volontaire de la haine contre un groupe identifiable par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée. Le terme « groupe identifiable » conserve le même sens qu’à l’art. 318.
101 « Fomenter » s’entend du soutien actif ou de l’instigation. Il faut plus qu’un simple encouragement : R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697. Pour les besoins de l’art. 319, le mot « haine » désigne « une émotion à la fois intense et extrême qui est clairement associée à la calomnie et à la détestation » : Keegstra, p. 777. Seules les formes d’aversion les plus intenses sont en cause.
102 Il n’est pas nécessaire de prouver que la communication a effectivement suscité la haine. Dans l’arrêt Keegstra, notre Cour a reconnu qu’il est difficile d’établir un lien de causalité entre le message communiqué et la haine contre un groupe identifiable. Le législateur a voulu non seulement empêcher qu’un préjudice soit effectivement causé, mais aussi prévenir le risque de préjudice grave. Le risque que la propagande haineuse engendre la haine est très réel, et c’est ce préjudice qui justifie l’engagement de poursuites sous le régime de cette disposition du Code criminel (p. 776). Dans l’affaire des Médias, le TPIR a statué que [traduction] « le dénigrement de gens fondé sur leur origine ethnique ou leur appartenance à un autre groupe peut, en soi et en raison des autres conséquences pouvant en découler, causer un préjudice irréparable » (par. 1072).
103 Afin de déterminer si la communication exprimait la haine, le tribunal se demande quelle compréhension en aurait une personne raisonnable dans le contexte : Canadian Jewish Congress c. North Shore Free Press Ltd. (No. 7) (1997), 30 C.H.R.R. D/5 (T.D.P.C.‑B.), par. 247. Pour décider si l’orateur entendait véritablement fomenter la « haine », le juge des faits se livre à une interprétation subjective du message communiqué, mais il ne suffit pas qu’il le désapprouve ou le tienne pour offensant : Keegstra, p. 778. L’analyse visant à déterminer si le discours était haineux doit porter sur l’auditoire ainsi que sur le contexte historique et social. Une analyse purement abstraite du discours ne permettrait pas de saisir la nature véritable du message de son auteur.
104 Dans un passage de l’arrêt R. c. Buzzanga and Durocher (1979), 49 C.C.C. (2d) 369 (C.A. Ont.), p. 384‑385, que notre Cour a cité en l’approuvant dans Keegstra, le juge Martin a comparé les deux paragraphes de l’art. 319. Il a conclu que l’intention criminelle requise au par. (1) correspondait à une infraction moins grave que la fomentation intentionnelle de la haine et que, vu l’emploi du mot « volontairement », l’infraction prévue au par. (2) n’était perpétrée que si l’accusé avait le dessein conscient de fomenter la haine contre le groupe identifiable ou était certain que la communication aurait cet effet et qu’il communiquait néanmoins les déclarations. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de prouver le lien de causalité, l’auteur des déclarations doit vouloir que le message provoque la haine.
105 Dans Keegstra, notre Cour a noté que pour déterminer si la fomentation de la haine était intentionnelle, « le juge des faits, se fondant sur les déclarations en question, fait normalement une inférence quant à la mens rea requise » (p. 778). Souvent, l’élément moral ressortira de la preuve des éléments constitutifs de l’infraction. La nature des déclarations permettra d’inférer l’intention criminelle nécessaire.
106 Pour déterminer s’il y a eu incitation à la haine, le juge des faits doit, comme pour l’incitation au génocide, considérer les déclarations d’un point de vue objectif, mais tenir compte des circonstances dans lesquelles elles sont faites, de la manière et du ton employés, ainsi que de leurs destinataires.
b) Conclusions relatives à l’acte criminel et à l’intention criminelle
107 En s’appuyant sur ses conclusions de fait, M. Duquette a jugé fondée l’allégation d’incitation à la haine. Nous sommes d’accord avec lui. Le discours de M. Mugesera visait les Tutsi et incitait à la haine et à la violence contre eux. La virulence de ses propos et les renvois non équivoques aux massacres ethniques antérieurs ont rendu encore plus précaire la situation des Tutsi au Rwanda au début des années 1990. L’analyse du discours par la SAI permet d’inférer que M. Mugesera entendait inciter à la haine.
108 Il ressort des conclusions de fait de M. Duquette que chacun des éléments constitutifs des infractions d’incitation au meurtre, à la haine et au génocide a été établi. Contrairement à la CAF, nous sommes d’avis que, suivant la prépondérance des probabilités, M. Mugesera a commis les actes prohibés et qu’il est donc non admissible au Canada par application des sous‑al. 27(1)a.1)(ii) et 27(1)a.3)(ii) de la Loi sur l’immigration.
109 La CAF a appliqué à tort la norme de l’observateur raisonnable formulée dans les arrêts Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, 2002 CSC 85, et Société St‑Jean‑Baptiste de Montréal c. Hervieux‑Payette, [2002] R.J.Q. 1669 (C.A.). Elle a oublié que l’auditoire auquel s’adresse l’orateur constitue un facteur important aux fins de déterminer la nature du discours. Si l’on ne tient pas compte de la perception probable du discours par l’auditoire, l’on ne peut prévenir le préjudice que les dispositions visent à empêcher.
110 Les conclusions de la CAF reposent sur sa propre interprétation du discours. Après avoir qualifié le discours de purement politique, le juge Décary a estimé qu’il n’incitait ni à la haine ni au génocide :
En l’espèce, pour les raisons que j’ai exposées plus haut, le message qu’a livré M. Mugesera n’est pas, objectivement parlant, c’est‑à‑dire après analyse de l’ensemble du discours et du contexte, un message d’incitation au meurtre, à la haine ou au génocide. Il ne l’est pas davantage subjectivement parlant, dans la mesure où rien dans la preuve ne permet de croire que M. Mugesera ait eu l’intention, sous le couvert d’un discours belliqueux, qui serait justifié dans les circonstances, d’entraîner dans le racisme et le meurtre un auditoire qu’il savait enclin à le suivre dans cette voie. Il n’y a tout simplement pas de preuve, selon la règle de la prépondérance des probabilités, que M. Mugesera ait eu une intention coupable. [par. 210]
111 La CAF n’a pas pris en considération un facteur contextuel d’importance, soit la nature de l’auditoire cible. Elle a donc appliqué à tort le critère abstrait de l’« auditeur raisonnable », se méprenant de ce fait sur la nature du discours. En conséquence, elle a commis une erreur de droit en concluant que le discours du 22 novembre 1992 ne constituait pas une incitation au meurtre, au génocide ou à la haine.
C. Crimes contre l’humanité
112 Puisque nous avons conclu que la CAF a eu tort de substituer ses propres conclusions de fait à celles de la SAI et de ne pas recourir au critère juridique approprié pour qualifier le discours de M. Mugesera, nous devons maintenant examiner la dernière question que soulève le présent pourvoi : des motifs raisonnables permettent‑ils de penser que M. Mugesera a commis un crime contre l’humanité, le rendant de ce fait non admissible au Canada suivant l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration? C’est ce que le ministre prétend à l’allégation C.
113 Voici le libellé de l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration :
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :
. . .
j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles ont commis, à l’étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l’époque de la perpétration.
Cet alinéa exige donc que nous répondions à deux questions essentielles en l’espèce. Premièrement, que signifie l’énoncé « dont on peut penser, pour des motifs raisonnables »? Deuxièmement, qu’est‑ce qu’un crime contre l’humanité au sens des par. 7(3.76) et (3.77) du Code criminel? Quels éléments constituent ce crime?
(1) La norme de preuve : Motifs raisonnables de penser
114 La première question que soulève l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration est celle de la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables [de penser] » qu’une personne a commis un crime contre l’humanité. La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), p. 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), par. 60. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.).
115 En prévoyant l’application de cette norme à l’égard du crime de guerre et du crime contre l’humanité dans la Loi sur l’immigration, le législateur a clairement indiqué que ces crimes classés parmi les plus graves justifient une sanction extraordinaire. Ainsi, une personne ne sera pas admissible au Canada s’il existe des motifs raisonnables de penser qu’elle a commis un crime contre l’humanité, même si ce crime n’est pas établi selon une norme de preuve plus stricte.
116 Pour l’application de la norme des « motifs raisonnables [de penser] », il importe de distinguer entre la preuve d’une question de fait et le règlement d’une question de droit. En effet, cette norme de preuve ne s’applique qu’aux questions de fait : Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), p. 311. Dans la présente affaire, elle s’applique pour décider si M. Mugesera a prononcé le discours en cause et pour établir le contenu du message communiqué par celui‑ci et son contexte. Par contre, lorsqu’il s’agit de décider si ces faits satisfont aux exigences d’un crime contre l’humanité, la question devient une question de droit. Le règlement d’une question de droit n’est pas assujetti à la norme des « motifs raisonnables [de penser] », car l’existence de simples motifs raisonnables de penser que le discours pourrait être considéré comme un crime contre l’humanité ne suffit pas pour satisfaire au critère juridique applicable à la perpétration d’un tel crime. Les faits établis selon la norme des « motifs raisonnables [de penser] » doivent prouver que le discours constituait un crime contre l’humanité.
117 Les éléments de preuve pris en compte par M. Duquette, de la SAI et auxquels il s’est fié satisfont clairement à cette norme de preuve en ce qu’ils correspondent à des renseignements concluants et dignes de foi offrant un fondement objectif à ses conclusions de fait. À partir de ces conclusions de fait, nous devons trancher la question de droit que soulève en l’espèce l’application de l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration : les faits établis selon la norme des motifs raisonnables de penser prouvent‑ils que le discours constituait en droit un crime contre l’humanité?
(2) Crime contre l’humanité : Éléments constitutifs
118 À l’époque considérée dans le présent pourvoi, les par. 7(3.76) et (3.77) du Code criminel définissaient et prohibaient comme suit le crime contre l’humanité :
7. . . .
(3.76) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
. . .
« crime contre l’humanité » Assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes — qu’il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l’époque et au lieu de la perpétration — et d’autre part, soit constituant, à l’époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel, soit ayant un caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations.
. . .
(3.77) Sont assimilés à un fait, aux définitions de « crime contre l’humanité » et « crime de guerre », au paragraphe 3.76, la tentative, le complot, la complicité après le fait, le conseil, l’aide ou l’encouragement à l’égard du fait.
Les paragraphes 7(3.76) et (3.77) du Code criminel ont depuis été abrogés. Le crime contre l’humanité est désormais défini et proscrit aux art. 4 et 6 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24. La définition du crime contre l’humanité donnée par ces dispositions diffère légèrement de celle que prévoyaient les dispositions du Code criminel applicables en l’espèce. Ces nuances n’ont toutefois aucune pertinence pour les besoins de l’analyse qui suit.
119 Ainsi que nous le verrons, le Code criminel et les principes de droit international considèrent un acte criminel comme un crime contre l’humanité lorsque quatre conditions sont remplies :
1. Un acte prohibé énuméré a été commis (ce qui exige de démontrer que l’accusé a commis l’acte criminel et qu’il avait l’intention criminelle requise).
2. L’acte a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique.
3. L’attaque était dirigée contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes.
4. L’auteur de l’acte prohibé était au courant de l’attaque et savait que son acte s’inscrirait dans le cadre de cette attaque ou a couru le risque qu’il s’y inscrive.
120 Dans la présente affaire, même s’ils se sont essentiellement fondés sur les mêmes arrêts de jurisprudence, les instances inférieures ont déterminé et appliqué différemment les éléments constitutifs du crime contre l’humanité au sens du par. 7(3.76) du Code criminel. Il convient de faire état brièvement de leurs points de vue.
121 S’appuyant sur l’arrêt R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701, de notre Cour, la SAI, sous la plume de M. Duquette, a conclu qu’un crime contre l’humanité doit être commis contre une population civile ou un groupe identifiable, être cruel et choquer la conscience de tous les gens sensés (par. 362). Elle a également statué que l’auteur du crime doit être conscient des conditions qui rendent l’acte inhumain et avoir une intention discriminatoire (par. 366‑367). Sur le fondement de l’arrêt Sivakumar, elle a posé l’exigence supplémentaire d’une perpétration généralisée et systématique (par. 368).
122 Appliquant ces principes aux faits, M. Duquette a estimé que conseiller un assassinat qui n’est pas commis par la suite constitue bel et bien un crime contre l’humanité, surtout lorsque des meurtres ont été perpétrés de façon généralisée et systématique (par. 373). Selon lui, M. Mugesera avait eu une intention discriminatoire. Homme instruit, il connaissait l’histoire de son pays et la situation politique d’alors et il savait que des civils étaient massacrés (par. 367). Il était donc conscient des circonstances qui faisaient de son discours un crime contre l’humanité.
123 Appelé à réviser la décision de la SAI, le juge Nadon n’a pas apporté de précisions sur les éléments constitutifs du crime contre l’humanité. Il s’est contenté de conclure que M. Duquette avait commis une erreur de droit, car conseiller l’assassinat et inciter à la haine, faute de preuve que des meurtres avaient effectivement été commis en conséquence, n’était pas « cruel et atroce » au point de constituer un crime contre l’humanité (par. 55‑56). Invoquant l’arrêt Finta à l’appui (p. 814), il a statué que les actes allégués devaient présenter un élément supplémentaire d’inhumanité.
124 Le juge Décary, de la CAF, qui semble s’être appuyé lui aussi sur les arrêts Finta et Sivakumar, est parvenu à un résultat complètement différent, tant à l’égard du droit que de son application aux faits. Il a estimé qu’un crime contre l’humanité devait s’inscrire dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre les membres d’une population civile et revêtir un caractère discriminatoire (par. 57). Après avoir annulé les conclusions de fait de la SAI, il a conclu que rien ne prouvait que le discours s’inscrivait dans un tel cadre puisque les massacres qui avaient eu lieu jusque‑là n’avaient pas été concertés et qu’aucune preuve n’indiquait que le discours de M. Mugesera faisait partie d’une stratégie d’attaque globale (par. 58).
125 Les décisions des instances inférieures illustrent bien la grande confusion entourant la détermination des éléments constitutifs du crime contre l’humanité. Notre Cour s’est déjà prononcée sur cette question, en particulier dans l’arrêt Finta, mais des clarifications supplémentaires s’imposent.
126 Depuis cet arrêt rendu en 1994, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (« TPIY ») et le TPIR ont établi une vaste jurisprudence internationale. Par leur analyse judicieuse des sources, de l’évolution et de l’application du droit international coutumier, ils ont créé un ensemble de décisions internationales unique. Les décisions du TPIY et du TPIR ne lient pas notre Cour, mais vu l’expertise de ces tribunaux et leur autorité en matière de droit international coutumier, les cours de justice canadiennes appliquant des dispositions de droit interne, tels les par. 7(3.76) et (3.77) du Code criminel, qui incorporent expressément le droit international coutumier, ne devraient pas les écarter à la légère. Par conséquent, l’arrêt Finta mérite un réexamen dans la mesure où sa clarification s’impose et où il n’est pas conforme à la jurisprudence du TPIY et du TPIR.
127 Comme tous les crimes, celui qui est perpétré contre l’humanité comporte deux éléments constitutifs : (1) un acte criminel et (2) une intention criminelle. Il convient d’examiner chacun de ces éléments.
a) L’acte criminel constituant le crime contre l’humanité
128 Il appert du par. 7(3.76) du Code criminel que dans le cas d’un crime contre l’humanité, l’acte criminel (actus reus) consiste dans la commission d’un acte prohibé énuméré qui contrevient au droit international coutumier ou conventionnel ou qui revêt un caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations. L’exigence de la transgression du droit international renvoie au contexte dans lequel l’acte prohibé énuméré est commis. En droit international coutumier, un acte prohibé constitue un crime contre l’humanité lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile. Par conséquent, l’acte criminel constituant un crime contre l’humanité comporte trois éléments essentiels : (1) commission de l’un des actes prohibés énumérés, (2) perpétration dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique et (3) attaque dirigée contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes. Nous examinerons successivement chacun de ces éléments.
(i) L’acte prohibé
129 Les actes prohibés énumérés au par. 7(3.76) du Code criminel établissent une première condition essentielle à la perpétration d’un crime contre l’humanité : une « infraction sous‑jacente » doit être commise. Essentiellement, les actes énumérés représentent différentes façons de commettre un crime contre l’humanité. Différents actes peuvent devenir des crimes contre l’humanité si les autres éléments constitutifs du crime sont établis. Le paragraphe 7(3.76) précise qu’il s’agit de l’assassinat, de l’extermination, de la réduction en esclavage, de la déportation, de la persécution ou d’un autre fait — acte ou omission — inhumain.
130 La preuve d’un acte énuméré exige que l’on établisse l’élément physique et l’élément moral de cet acte. Par exemple, la personne accusée d’un assassinat assimilé à un crime contre l’humanité doit (1) avoir causé la mort d’une autre personne et (2) avoir eu l’intention de causer cette mort ou d’infliger des sévices physiques graves qu’elle savait susceptibles de causer la mort. Cela établi, le tribunal examine la question de savoir si l’assassinat s’inscrivait dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes. Nous reviendrons sur cette exigence.
131 Il convient maintenant de déterminer si, comme le prétend le ministre, le discours de M. Mugesera remplit la première condition, celle de la commission d’un acte criminel. Nous avons conclu que, dans son discours, M. Mugesera a conseillé des assassinats qui n’ont pas été commis et a incité à la haine et au génocide. Deux questions se posent. Conseiller un assassinat qui n’est pas commis satisfait‑il à l’exigence première d’un acte criminel pour qu’il y ait assassinat constituant un crime contre l’humanité et un discours incitant à la haine satisfait‑il à l’exigence première d’un acte criminel pour qu’il y ait persécution constituant un crime contre l’humanité?
1. Conseiller un acte énuméré qui n’est pas commis et assassinat constituant un crime contre l’humanité
132 La première question que soulèvent les faits de l’espèce est de savoir si conseiller la perpétration d’assassinats qui ne sont pas commis remplit la première condition pour qu’il y ait crime contre l’humanité : la commission d’un acte criminel. Suivant le par. 7(3.77) du Code criminel, le « conseil » à l’égard d’un fait énuméré au par. 7(3.76) suffit pour remplir cette condition. L’assassinat est l’un des actes énumérés au par. 7(3.76). M. Duquette a tiré la conclusion de fait que, dans son discours, M. Mugesera avait conseillé de commettre des assassinats, ce qui, nous l’avons vu, permet d’affirmer que l’élément physique et l’élément moral de l’« infraction sous‑jacente » — conseiller un assassinat qui n’est pas commis — sont établis.
133 L’analyse ne prend pas fin pour autant. Comme nous l’avons indiqué, la définition de crime contre l’humanité figurant au par. 7(3.76) de notre droit interne incorpore expressément les principes du droit international coutumier. Nous devons donc nous demander maintenant si les principes du droit international en vigueur appuient notre analyse initiale. Il ressort de la jurisprudence du TPIY et du TPIR que ce n’est pas le cas.
134 Le statut du TPIY (N.U. Doc. S/RES/827 (1993)) et celui du TPIR (N.U. Doc. S/RES/955 (1994)) n’emploient pas les mots « conseil » ou « conseiller ». Les décisions de ces tribunaux peuvent néanmoins donner des indications sur les conditions auxquelles le fait de conseiller un acte criminel peut constituer un crime contre l’humanité. Les deux statuts prévoient que la personne qui « incite » autrui à commettre un acte prohibé s’expose à des poursuites selon le droit international. Dans l’arrêt Sharpe, notre Cour a statué au par. 56 que, d’un point de vue objectif, conseiller s’entend d’encourager activement. Le TPIR a pour sa part estimé que l’incitation « consiste dans le fait de provoquer autrui à commettre une infraction » (Akayesu, Chambre de première instance, par. 482). Les deux notions sont clairement connexes. Par conséquent, nous pouvons nous inspirer de la jurisprudence du TPIY et du TPIR sur l’incitation pour décider si conseiller une infraction qui n’est pas commise remplit la première condition pour qu’il y ait crime contre l’humanité au sens du par. 7(3.76) du Code criminel : la commission d’un acte criminel.
135 Dans Procureur c. Rutaganda, Affaire no ICTR‑96‑3‑T (Chambre de première instance I), 6 décembre 1999, le TPIR a passé en revue la jurisprudence du TPIY et du TPIR sur la responsabilité criminelle individuelle. Il a conclu alors que l’incitation à commettre un crime (autre que le génocide) consiste à (1) provoquer directement et publiquement autrui à commettre l’acte prohibé, mais (2) uniquement lorsqu’elle a abouti à la commission effective de l’infraction voulue par l’instigateur : par. 38; voir aussi Akayesu, Chambre de première instance, par. 482. Il convient de signaler que la seconde condition n’équivaut pas à exiger que l’infraction n’eût pas été commise « sans » l’incitation. Il est toutefois nécessaire d’établir un lien de causalité suffisant : Procureur c. Kordic et Cerkez, Affaire no IT‑95‑14/2‑T (TPIY, Chambre de première instance III), 26 février 2001, par. 387.
136 M. Duquette n’a pu conclure au nom de la SAI que des assassinats avaient effectivement été commis sur le conseil de M. Mugesera. Suivant les par. 7(3.76) et (3.77) du Code criminel interprétés à la lumière du droit international coutumier, conseiller l’assassinat comme l’a fait M. Mugesera ne suffit pas pour remplir la première condition d’un crime contre l’humanité.
2. Discours incitant à la haine et persécution constituant un crime contre l’humanité
137 La présente affaire soulève une seconde question : indépendamment du conseil, un discours incitant à la haine, comme celui de M. Mugesera, remplit‑il la condition première pour qu’il y ait persécution constituant un crime contre l’humanité, soit la commission d’un acte criminel? Encore une fois, l’incorporation expresse du droit international coutumier au par. 7(3.76) nous invite à tenir compte de la jurisprudence du TPIY et du TPIR pour trancher.
138 Tant le TPIR que le TPIY ont rattaché le discours incitant à la haine à la « persécution », un acte énuméré au par. 7(3.76) du Code criminel et qui, à certaines conditions, peut constituer un crime contre l’humanité.
139 Il peut être difficile de déterminer si un acte constitue de la persécution. Contrairement aux autres actes énumérés au par. 7(3.76), la persécution comme telle ne constitue un crime ni au Canada ni à l’étranger : M. Cherif Bassiouni, Crimes Against Humanity in International Criminal Law (2e éd. rév. 1999), p. 327. Notre droit interne ne définit d’ailleurs pas clairement la persécution, contrairement à l’assassinat par exemple.
140 Ces difficultés expliquent pourquoi le TPIY et le TPIR ont étudié longuement l’élément physique et l’élément moral (l’acte criminel et l’intention criminelle) de la persécution. Dans Procureur c. Tadic, Affaire no IT-94-1-T (Chambre de première instance II), 7 mai 1997, appelé à se pencher sur l’acte criminel de persécution, le TPIY a conclu, après avoir passé en revue la jurisprudence et la doctrine pertinentes, que la persécution « est une certaine forme de discrimination [fondée sur des motifs traditionnellement reconnus tels que la race, la religion ou l’opinion politique] qui entend constituer un déni des droits fondamentaux d’un individu et se traduit par un tel déni » (par. 697).
141 Pareille définition de l’acte criminel de persécution risque cependant d’englober des actes beaucoup moins graves que les autres actes susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité. L’on ne saurait banaliser le crime contre l’humanité en y assimilant une situation de fait ne justifiant pas l’opprobre général inhérent à la sanction pénale internationale. Ainsi, dans Procureur c. Kupreskic, Affaire no IT‑95‑16‑T (Chambre de première instance II), 14 janvier 2000, le TPIY a conclu que, pour remplir la condition de la perpétration d’un acte criminel, la persécution alléguée devait atteindre le même degré de gravité que les autres actes énumérés. Pour être considérée comme un crime contre l’humanité, la persécution doit constituer un « déni manifeste ou flagrant, pour des raisons discriminatoires, d’un droit fondamental consacré par le droit international coutumier ou conventionnel, et atteignant le même degré de gravité que les autres actes prohibés » (par. 621).
142 Dans le cas de l’élément moral de la persécution, nous sommes d’avis que l’accusé doit avoir eu l’intention de commettre l’acte de persécution et avoir été animé d’une intention discriminatoire. Cette dernière exigence demeure propre à la persécution. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit respectée pour établir la commission des autres crimes contre l’humanité (p. ex. l’assassinat). Ce point de vue a été défendu de façon convaincante dans l’appel de la décision Tadic de la Chambre de première instance. Au terme d’un examen approfondi des principes de droit international relatifs à l’intention discriminatoire et aux crimes contre l’humanité, la Chambre d’appel du TPIY a décidé que l’exigence de l’intention discriminatoire ne s’appliquait qu’au crime contre l’humanité revêtant la forme de la persécution : Affaire no IT-94-1-A, 15 juillet 1999, par. 287‑292.
143 Le TPIR a également reconnu que l’intention discriminatoire n’était pertinente qu’en matière de persécution : Procureur c. Akayesu, Affaire no ICTR‑96‑4‑A (Chambre d’appel), 1er juin 2001, par. 460‑469. Cette conclusion prend d’autant plus d’importance du fait que les crimes contre l’humanité définis à l’art. 3 du Statut du TPIR doivent être commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, « en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse ». À cet égard, l’arrêt Finta, de notre Cour, paraît incompatible avec la jurisprudence récente du TPIR et du TPIY. Vu la relation étroite existant entre notre droit interne et le droit international en la matière, il convient d’harmoniser le plus possible la nature et la définition des crimes contre l’humanité avec la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux.
144 Nous ne voyons aucune raison de ne pas faire nôtres les conclusions bien motivées et convaincantes du TPIY et du TPIR sur l’intention discriminatoire. Dans la mesure où, à la p. 813, il donne à penser qu’une intention discriminatoire est requise pour tous les crimes contre l’humanité, l’arrêt Finta ne doit plus être suivi à cet égard.
145 À la lumière de cette analyse, nous concluons que l’acte criminel de persécution s’entend de la négation manifeste ou flagrante d’un droit fondamental pour un motif discriminatoire. L’élément moral correspond à l’intention discriminatoire sous‑tendant la négation de ce droit. Reste maintenant à trancher la question de savoir si le discours de M. Mugesera constituait une négation manifeste ou flagrante d’un droit fondamental pour un motif discriminatoire, de sorte qu’il équivalait en gravité aux autres actes énumérés au par. 7(3.76).
146 Le TPIR et le TPIY se sont tous les deux demandé si un discours haineux pouvait jamais satisfaire à lui seul à l’exigence d’un acte criminel dans le cas de la persécution. Dans une affaire célèbre, le TPIR a statué qu’il était « évident » qu’un discours haineux prononcé contre une population en raison de son origine ethnique ou pour un autre motif discriminatoire égalait en gravité les autres actes énumérés : affaire des Médias, par. 1072. Dans l’affaire Kordic, le TPIY a pour sa part conclu que le discours mentionné dans l’acte d’accusation n’emportait pas persécution, car son prononcé n’atteignait pas le même degré de gravité que les autres actes visés (par. 209). La Chambre de première instance a distingué entre le discours haineux susceptible de fonder un crime contre l’humanité et le discours haineux mentionné dans l’acte d’accusation, lequel ne comportait aucune incitation à l’assassinat, à l’extermination ou au génocide (note 272). Un seul critère doit donc nous guider : l’acte de persécution allégué équivaut‑il à un déni manifeste ou flagrant de droits fondamentaux dont la gravité est égale à celle des autres actes énumérés?
147 Dans Keegstra, notre Cour a affirmé que non seulement un discours haineux portait atteinte à l’estime de soi des membres du groupe cible, mais qu’il pouvait aussi trouver créance et fomenter ainsi la discrimination, voire la violence (p. 748). Cette conclusion laisse entendre qu’un discours haineux nie toujours des droits fondamentaux. Les droits des membres du groupe cible à l’égalité, à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne ne peuvent qu’être touchés : voir p. ex. Procureur c. Ruggiu, Affaire no ICTR-97-32-I (TPIR, Chambre de première instance I), 1er juin 2000, par. 22. Cette négation de droits fondamentaux peut, dans certains cas, être manifeste ou flagrante et équivaloir en gravité aux autres actes énumérés au par. 7(3.76), surtout lorsque le discours préconise ouvertement la violence extrême (p. ex. l’assassinat ou l’extermination) contre le groupe cible, mais pas uniquement dans une telle situation. Dans le cas de la persécution, contrairement au crime de conseiller un acte violent énuméré, il importe peu de savoir si elle a provoqué des actes de violence : affaire des Médias, par. 1073.
148 Comment juger alors le discours de M. Mugesera? Selon M. Duquette, le discours de M. Mugesera incitait à la haine contre les Tutsi et ses opposants politiques (par. 364), notamment en encourageant des actes d’une violence extrême, telle l’extermination (par. 365). Puisqu’un acte de persécution doit être évalué dans son contexte, la conclusion de M. Duquette selon laquelle le discours de M. Mugesera avait été prononcé dans un climat explosif caractérisé par des tensions ethniques endémiques et une instabilité politique ayant déjà donné lieu à des massacres s’avère également déterminante (par. 364-367). Une allocution comme celle considérée en l’espèce, où M. Mugesera a encouragé activement la haine, l’assassinat et l’extermination et fait naître chez son auditoire le sentiment d’une menace imminente et le besoin de recourir à la violence contre une minorité ethnique et des opposants politiques, porte la marque d’un acte manifeste ou flagrant de discrimination équivalant en gravité aux autres actes sous‑jacents énumérés au par. 7(3.76). L’exigence d’un acte criminel sous‑jacent, la persécution, se trouve donc remplie.
149 Il convient maintenant de se demander si l’élément moral de la persécution est établi. M. Duquette a conclu que M. Mugesera avait été animé par une intention discriminatoire lorsqu’il avait prononcé son discours (par. 364). Il a estimé que celui‑ci visait les Tutsi et les opposants politiques en raison de leur seule origine ethnique ou affiliation politique, et ce, dans le but de pousser son auditoire à s’en prendre à eux. Les conclusions de fait de la SAI étayent donc amplement la conclusion que M. Mugesera a non seulement commis l’acte criminel sous‑jacent, la persécution, mais qu’il avait aussi l’intention discriminatoire requise.
150 En somme, l’exigence de la commission d’un acte criminel pour qu’il y ait crime contre l’humanité au sens des par. 7(3.76) et (3.77) du Code criminel comporte deux volets principaux : (1) l’accusé a commis l’un des actes énumérés et (2) cet acte contrevenait au droit international. En ce qui concerne le premier volet, l’élément physique de l’acte sous‑jacent comme son élément moral doivent être établis. En l’espèce, deux actes sous‑jacents sont possibles : conseiller l’assassinat et persécuter en prononçant un discours haineux. En droit international, pour qu’il y ait crime contre l’humanité, le fait de conseiller l’assassinat doit se solder par la perpétration d’un assassinat. Par conséquent, la conclusion de M. Duquette selon laquelle aucune preuve n’indiquait que le discours avait donné lieu à des assassinats empêche de conclure que M. Mugesera a conseillé l’assassinat au sens du par. 7(3.76). L’autre acte criminel sous‑jacent possible, la persécution, consiste dans la négation manifeste ou flagrante d’un droit fondamental, pour un motif discriminatoire, équivalant en gravité aux autres actes énumérés au par. 7(3.76). Le discours haineux, spécialement lorsqu’il préconise des actes de violence graves, peut constituer un acte de persécution. C’est le cas en l’espèce.
(ii) La transgression du droit international coutumier ou conventionnel ou le caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations
151 Examinons maintenant le second volet de l’exigence d’un acte criminel pour qu’il y ait crime contre l’humanité : l’acte prohibé doit transgresser le droit international. Ce second volet définit le contexte dans lequel est commis l’acte énuméré (premier volet). En droit international coutumier, un acte énuméré devient un crime contre l’humanité s’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes. Cette exigence contextuelle supplémentaire distingue le crime contre l’humanité du crime ordinaire : Tadic, Chambre de première instance, par. 648 et 653; voir aussi G. Mettraux, « Crimes Against Humanity in the Jurisprudence of the International Criminal Tribunals for the Former Yugoslavia and for Rwanda » (2002), 43 Harv. Int’l L.J. 237, p. 244.
152 Pour décider s’il existe des motifs raisonnables de penser que l’acte de persécution auquel s’est livré M. Mugesera constituait un crime contre l’humanité, nous devons donc nous demander si le discours s’inscrivait dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile. Comme cette exigence découle entièrement du droit international coutumier, la très grande pertinence de la jurisprudence du TPIY et du TPIR se confirme encore une fois.
1. Qu’est‑ce qu’une attaque généralisée ou systématique?
153 Une « attaque » peut consister en « un type de comportement entraînant des actes de violence » : Procureur c. Kunarac, Kovac et Vukovic, Affaire nos IT‑96‑23‑T & IT‑96‑23/1‑T (TPIY, Chambre de première instance II), 22 février 2001, par. 415. Il peut également s’agir d’un type de comportement qui ne se caractérisait pas par des actes de violence lorsqu’un système comme l’apartheid est imposé ou que des pressions sont exercées sur la population pour l’amener à agir d’une manière ou d’une autre, à condition que ce comportement se manifeste à grande échelle ou de manière systématique : Akayesu, Chambre de première instance, par. 581. Cependant, dans la plupart des cas, l’attaque se caractérise par des actes de violence. Cette définition rend bien l’idée que l’existence d’une attaque ne présuppose pas celle d’un conflit armé (bien qu’elle ne l’écarte pas).
154 Le caractère généralisé d’une attaque « résulte du fait que l’acte présente un caractère massif, fréquent, et que, mené collectivement, il revêt une gravité considérable et est dirigé contre une multiplicité de victimes »; il n’est donc pas nécessaire que l’attaque s’inscrive dans une stratégie, une politique ou un plan particulier : Akayesu, Chambre de première instance, par. 580, et Procureur c. Kayishema, Affaire no ICTR‑95‑1‑T (TPIR, Chambre de première instance II), 21 mai 1999, par. 123. Il peut s’agir d’une série d’actes ou d’un acte isolé de grande envergure : Mettraux, p. 260.
155 L’attaque systématique est « soigneusement organisé[e] selon un modèle régulier en exécution d’une politique concertée mettant en œuvre des moyens publics ou privés considérables », conformément à une politique ou à un plan, mais il n’est pas nécessaire que la politique soit une politique officielle de l’État et le nombre de victimes n’est pas déterminant : Akayesu, Chambre de première instance, par. 580; Kayishema, par. 123. Comme l’a fait remarquer la Chambre de première instance du TPIY dans la décision Kunarac, par. 429 : « L’adjectif “systématique” dénote le caractère organisé des actes de violence, et l’invraisemblance qu’ils se produisent fortuitement. C’est au scénario des crimes — c’est‑à‑dire à la répétition délibérée et régulière de comportements criminels similaires — que l’on reconnaît leur caractère systématique. »
156 Il suffit d’établir que l’attaque est généralisée ou systématique, et non de démontrer les deux conditions à la fois, pour que soit respectée la seconde exigence posée au par. 7(3.76) : Tadic, Chambre de première instance, par. 648; Kayishema, par. 123. Le tribunal déterminera si l’attaque était généralisée ou systématique à la lumière des moyens, des méthodes et des ressources mis en œuvre, ainsi que de ses conséquences pour la population civile : Kunarac, par. 430. Seule l’attaque, et non les actes de l’accusé, doit être généralisée ou systématique. S’étant appuyée sur l’arrêt Sivakumar, la SAI semble avoir confondu ces notions et, ce faisant, elle a commis une erreur de droit. Même un acte isolé peut constituer un crime contre l’humanité, à condition qu’il fasse partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile : Procureur c. Mrksic, Radic et Sljivancanin, Affaire no IT-95-13-R61 (TPIY, Chambre de première instance I), 3 avril 1996, par. 30.
157 Le caractère généralisé ou systématique exigé soulève une question litigieuse, celle de déterminer si l’attaque doit avoir été menée conformément à une politique ou à un plan de l’État. Pour certains auteurs, la nature du crime contre l’humanité et l’échelle à laquelle il est perpétré exigent que seule une attaque mettant en œuvre une politique gouvernementale y soit assimilée : voir p. ex. Bassiouni, p. 243‑246. D’autres répondent que l’existence d’une politique gouvernementale n’a jamais été requise et que le crime contre l’humanité revêt un caractère international du seul fait de l’existence d’une attaque généralisée et systématique : voir p. ex. Mettraux, p. 270‑282.
158 Dans l’arrêt Procureur c. Kunarac , Kovac and Vukovic, Affaire nos IT‑96‑23‑A & IT‑96‑23/1‑A, 12 juin 2002, la Chambre d’appel du TPIY a statué que rien n’exige que l’attaque résulte d’une politique ou d’un plan gouvernemental ou autre (par. 98). Elle a reconnu l’utilité d’une telle politique pour établir que l’attaque était dirigée contre une population civile ou qu’elle était généralisée ou systématique (en particulier, cette dernière caractéristique). Cependant, l’existence d’une politique ou d’un plan n’a de pertinence que sur le plan de la preuve, sans qu’elle constitue un élément distinct du crime (par. 98). Il semble que, à l’heure actuelle, le droit international coutumier n’exige pas qu’une politique sous‑tende l’attaque, mais nous n’écartons pas la possibilité qu’il évolue et pose un jour cette condition (voir p. ex. l’al. 7(2)a) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, A/CONF. 183/9, 17 juillet 1998).
159 Eu égard à tous ces facteurs, y avait‑il une attaque généralisée ou systématique au moment où M. Mugesera a prononcé son discours? Au sujet de la question du caractère généralisé de l’attaque, M. Duquette a relevé que près de 2 000 Tutsi avaient été massacrés au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 22 novembre 1992 (par. 365). Il a également tenu pour avéré qu’environ 8 000 personnes, dont 90 pour 100 de Tutsi, accusées à tort de complicité avec le FPR, avaient été arrêtées en octobre 1990 (par. 27). Les massacres se sont produits dans diverses parties du pays, et les victimes se sont comptées par milliers. On retrouve là toutes les apparences d’un acte d’envergure dirigé contre une multiplicité de victimes.
160 Quoi qu’il en soit, point n’est besoin de décider si l’attaque était généralisée, car les constatations de M. Duquette appuient la conclusion que l’attaque était à tout le moins systématique. Il a tenu pour avéré que le gouvernement rwandais avait mis en scène une attaque militaire à Kigali pour justifier l’arrestation des Tutsi et des opposants politiques et le recours incessant à la violence contre eux (par. 283). Selon M. Duquette, l’année 1990 avait marqué le début d’une série de massacres que les dirigeants du MRND et les militaires avaient encouragés ouvertement et auxquels ils avaient parfois participé. Ces massacres se poursuivaient toujours au moment où M. Mugesera avait prononcé son discours (par. 51). Nous avons vu précédemment que l’existence d’un type de comportement attentatoire, surtout lorsqu’il est cautionné ou adopté par le gouvernement ou les militaires, suffira souvent à établir que l’attaque a eu lieu conformément à une politique ou à un plan et qu’elle était de ce fait systématique. Il est indubitable qu’une politique d’attaque, de persécution et de violence était menée contre les Tutsi et les Hutu modérés au Rwanda lorsque M. Mugesera a prononcé son discours. L’acte de persécution s’inscrivait donc dans le cadre d’une attaque systématique.
2. Qu’est‑ce qu’une attaque « dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit »?
161 La simple existence d’une attaque systématique n’établit toutefois pas la perpétration d’un crime contre l’humanité. L’attaque doit également être dirigée contre une population civile, dont cette dernière doit être la « cible principale », et non seulement une simple victime indirecte : Kunarac, Chambre de première instance, par. 421. L’emploi du terme « population » indique que l’attaque est dirigée contre un groupe de personnes relativement important qui partagent des caractéristiques distinctives permettant de les identifier : Mettraux, p. 255.
162 L’exemple type d’une population civile est le groupe national, ethnique ou religieux. Ainsi, dans l’ex-Yougoslavie, les populations civiles prises pour cibles étaient identifiables sur la base de caractéristiques ethniques et religieuses. Signalons que, si elle le demeure essentiellement, la population ne cesse pas d’être civile à cause de la présence de non‑civils en son sein : Procureur c. Blaskic, Affaire no IT‑95‑14-T (TPIY, Chambre de première instance I), 3 mars 2000, par. 211.
163 Les Tutsi et les Hutu modérés, deux groupes identifiables en raison de leurs caractéristiques ethniques et politiques, constituaient une population civile au sens du droit international coutumier. Les conclusions de fait de M. Duquette ne laissent aucun doute sur le fait que des attaques systématiques étaient menées contre eux. Pour ces raisons, nous reconnaissons qu’une population civile faisait l’objet d’une attaque systématique au Rwanda au moment où M. Mugesera a prononcé son discours.
3. Qu’est‑ce qu’un acte commis « dans le cadre » d’une attaque systématique?
164 L’existence d’une attaque généralisée ou systématique contribue à soustraire le crime commis pour un motif purement personnel à l’application des dispositions relatives aux crimes contre l’humanité. La seule existence d’une attaque généralisée ou systématique ne suffira toutefois pas à exclure ce crime étant donné qu’il est commis en tout lieu et à toute époque. Pour assurer son exclusion, il faudra établir un lien entre l’acte et l’attaque qui commande l’examen au regard du droit international. On doit donc se demander en quoi consiste un acte commis « dans le cadre » d’une attaque généralisée ou systématique et déterminer si le discours de M. Mugesera s’inscrivait véritablement « dans le cadre » d’une attaque systématique menée au Rwanda au début des années 1990.
165 L’exigence d’un lien entre l’acte et l’attaque peut être formulée de diverses façons. Par exemple, les expressions « dans le contexte » ou « dans le cadre » sont courantes. Elles impliquent que l’acte de l’accusé [traduction] « doit s’inscrire objectivement dans le cadre de l’attaque, c’est‑à‑dire que, par sa nature ou ses conséquences, il doit être susceptible de soutenir l’attaque » : Mettraux, p. 251. Dans l’arrêt Tadic, la Chambre d’appel du TPIY a conclu que l’acte de l’accusé doit « avoir été commis dans le contexte » d’exactions généralisées ou systématiques contre des populations civiles ou soutenir objectivement l’attaque (par. 248).
166 Ce n’est pas parce qu’un acte doit appartenir à un ensemble d’exactions ou soutenir objectivement l’attaque qu’aucun motif personnel ne peut le sous‑tendre. Un tel motif ne change pas la nature de la question, qui demeure objective : l’acte s’inscrit‑il dans le cadre d’un ensemble d’exactions ou soutient‑il l’attaque?
167 Aussi, compte tenu tout particulièrement des conclusions du juge Décary, de la CAF, point n’est besoin non plus que l’acte prohibé constitue un élément déterminé d’une stratégie d’attaque. En substance, il doit soutenir l’attaque ou s’inscrire clairement dans l’ensemble des actes constituant l’attaque, mais il n’est pas nécessaire qu’il en forme une partie essentielle ou qu’il soit officiellement approuvé à ce titre. Ainsi, dans l’affaire Kunarac, où les trois accusés avaient profité de l’attaque généralisée et systématique pour violer et torturer sexuellement des femmes et des jeunes filles musulmanes, l’existence du lien requis a été établie : Chambre de première instance, par. 592. Les accusés connaissaient l’existence de l’attaque, leurs actes contre la population musulmane de Foca ont contribué à soutenir cette attaque et ils ont ainsi participé à un ensemble d’actes dirigés contre cette population.
168 Il ressort de ce qui précède que le juge Décary a commis une erreur de droit en concluant que la commission d’un crime contre l’humanité ne pouvait être établie parce que le discours de M. Mugesera ne faisait pas partie d’une « stratégie » (par. 58). Reste toutefois la question de savoir si, objectivement, le discours de M. Mugesera soutenait l’attaque ou en faisait partie.
169 Selon M. Duquette, le discours de M. Mugesera visait les Tutsi et les Hutu modérés (par. 364). Ces derniers étaient la cible de l’attaque systématique alors menée au Rwanda. Un discours prônant la persécution par la fomentation de la haine et de la violence contre un groupe donné soutient l’attaque menée contre celui‑ci. La proximité géographique s’avère également pertinente. Selon M. Duquette, bon nombre de massacres perpétrés au Rwanda entre 1990 et 1993 l’avaient été dans la préfecture de Gisenyi, lieu de l’allocution, ou dans les environs (par. 27 et 51). Il a également relevé que les dirigeants locaux du MRND avaient participé aux massacres et encouragé les exactions contre les Tutsi et les Hutu modérés. Ainsi, non seulement le discours de M. Mugesera a objectivement soutenu l’attaque, mais il s’est inscrit dans le cadre des exactions alors en cours. Nous concluons donc que le discours s’inscrivait « dans le cadre » de l’attaque systématique alors menée au Rwanda contre une population civile.
170 En résumé, l’exigence d’un acte criminel pour qu’il y ait crime contre l’humanité au sens des par. 7(3.76) et (3.77) comporte trois volets essentiels : (1) un acte prohibé, (2) qui est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, (3) laquelle est dirigée contre une population civile. Le premier volet commande que les deux éléments constitutifs de l’acte énuméré — l’élément physique et l’élément moral — soient établis. Les deuxième et troisième veulent que l’acte soit commis dans un contexte particulier, celui d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile. Chacune de ces conditions est remplie en l’espèce.
171 Cependant, nous le répétons, une fois l’acte criminel prouvé, l’existence de motifs raisonnables de penser que M. Mugesera a commis un crime contre l’humanité n’est pas pour autant établie. Ce dernier doit également avoir eu une intention criminelle. Nous devons donc examiner maintenant l’élément moral de l’infraction prévue au par. 7(3.76) du Code criminel.
b) L’intention criminelle sous‑jacente au crime contre l’humanité
172 La personne accusée d’un crime contre l’humanité doit avoir été animée de l’intention criminelle correspondant à l’infraction sous‑jacente. Contrairement à ce que notre Cour a écrit dans l’arrêt Finta, la preuve de l’intention discriminatoire n’est pas requise pour tous les crimes contre l’humanité, mais seulement dans le cas de la persécution. Reste donc à trancher une dernière question : outre l’élément moral correspondant à l’acte criminel sous‑jacent, quel élément moral doit être établi pour qu’il y ait crime contre l’humanité au sens du par. 7(3.76) du Code criminel?
173 La question de savoir si la preuve d’un élément moral supplémentaire s’impose dans le cas d’un crime contre l’humanité se situait au cœur du litige dans l’affaire Finta. Au nom des juges majoritaires, le juge Cory a conclu que l’accusé devait connaître les faits ou les circonstances qui entraîneraient l’acte dans la sphère d’un crime contre l’humanité (p. 819). Dissident, le juge La Forest a laissé entendre que l’élément moral requis pour l’infraction sous‑jacente suffisait et qu’aucun blâme moral n’était exigé en sus (p. 754). La jurisprudence internationale était alors peu abondante sur ce point. Il est désormais bien établi que l’accusé doit non seulement avoir l’intention de commettre l’infraction sous‑jacente, mais aussi connaître l’existence de l’attaque et savoir que son ou ses actes en font partie ou qu’il court le risque que son ou ses actes en fassent partie : voir p. ex. Tadic, Chambre d’appel, par. 248; Ruggiu, par. 20; Kunarac, Chambre de première instance, par. 434; Blaskic, par. 251.
174 Il suffit que l’auteur de l’acte soit conscient du lien entre son ou ses actes et l’attaque. Il n’est pas nécessaire qu’il ait eu l’intention de s’en prendre à la population cible. Ses motifs importent peu, une fois démontré qu’il connaissait l’existence de l’attaque et qu’il savait que son acte en faisait partie ou qu’il lui était indifférent que son acte se rattache à l’attaque : Kunarac, Chambre d’appel, par. 103. Même si la personne a agi pour des raisons purement personnelles, l’acte peut constituer un crime contre l’humanité s’il est prouvé qu’elle possédait la connaissance requise.
175 La connaissance peut s’inférer des circonstances : Tadic, Chambre de première instance, par. 657. Pour déterminer si l’accusé possédait la connaissance requise, le tribunal peut prendre en considération le rang de l’accusé dans la hiérarchie militaire ou gouvernementale, la notoriété publique de l’attaque, l’ampleur de la violence et le contexte historique et politique général dans lequel sont survenus les actes : voir p. ex. Blaskic, par. 259. Nul besoin que l’accusé connaisse le détail de l’attaque : Kunarac, Chambre d’appel, par. 102.
176 Dans l’arrêt Finta, les juges majoritaires de notre Cour ont décidé que l’accusé devait avoir une connaissance subjective des circonstances qui faisaient de son acte un crime contre l’humanité (p. 819). Cette exigence demeure en ce sens que l’accusé doit être au courant de l’attaque et savoir que son ou ses actes en font partie ou, du moins, courir le risque qu’ils en fassent partie.
177 Dans la présente affaire, les conclusions de la SAI ne laissent subsister aucun doute quant à l’existence de l’élément moral requis pour les besoins du par. 7(3.76) du Code criminel. M. Duquette a signalé que M. Mugesera était un homme instruit parfaitement au courant de l’histoire de son pays et des massacres de Tutsi dans le passé (par. 367). Il connaissait l’existence des tensions ethniques et savait que des civils étaient tués du seul fait de leur origine ethnique ou de leur affiliation politique (par. 367). De plus, selon M. Duquette, il ressortait du discours lui‑même que l’orateur était au courant de la situation violente et périlleuse qui existait au Rwanda au début des années 1990 (par. 367). Ces conclusions de fait indiquent clairement que M. Mugesera était au fait de l’attaque menée contre les Tutsi et les Hutu modérés. De plus, un homme aussi instruit, parvenu à un niveau élevé dans l’échelle sociale et influent sur la scène politique locale devait nécessairement savoir qu’un discours vilipendant le groupe cible et encourageant le recours à la violence contre lui soutiendrait l’attaque.
178 Face à certaines tragédies indescriptibles, comme la perpétration de crimes contre l’humanité, l’ensemble des nations doit parler d’une seule voix. L’interprétation et l’application des dispositions canadiennes sur les crimes contre l’humanité doivent par conséquent s’harmoniser avec le droit international. L’attachement profond de notre pays à la dignité humaine individuelle, à la liberté et aux droits fondamentaux n’exige rien de moins.
179 Vu les conclusions de fait de M. Duquette, chacun des éléments de l’infraction prévue au par. 7(3.76) du Code criminel a été établi. Nous sommes donc d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de penser que M. Mugesera a commis un crime contre l’humanité et qu’il est de ce fait non admissible au Canada suivant les al. 27(1)g) et 19(1)j) de la Loi sur l’immigration.
VI. Dispositif
180 Le pourvoi est accueilli. Pour les motifs qui précèdent, l’ordonnance d’expulsion rendue le 11 juillet 1996 contre M. Léon Mugesera est jugée valide. Aucuns dépens ne sont adjugés.
ANNEXE I
Résumé des allégations du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (dossier de l’appelant, vol. 38, p. 7629‑7630)
(A) Léon Mugesera est une personne décrite à l’al. 27(1)(a.1)(ii). En incitant d’autres personnes à commettre des meurtres, il a commis un acte qui constitue au Rwanda une infraction suivant le par. 91(4) et l’art. 311 du Code pénal rwandais et qui constituerait au Canada une infraction au sens des art. 22 et 235 et de l’al. 464a) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46.
(B) Léon Mugesera est une personne décrite au sous‑al. 27(1)a.3)(ii). En incitant les membres du MRND et les Hutu à tuer des Tutsi, il a commis un acte qui constitue une infraction selon l’art. 166 du Code pénal rwandais, du décret‑loi 08/75 du 12 février 1975 portant adhésion du Rwanda à la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide, ce qui constituerait au Canada une infraction suivant le par. 318(1) du Code criminel. Et, en les incitant à la haine contre les Tutsi, Léon Mugesera a aussi commis un acte qui constitue une infraction selon l’art. 393 du Code pénal rwandais et l’art. 319 du Code criminel.
(C) Léon Mugesera est une personne décrite à l’al. 27(1)g) du fait qu’il appartient à la catégorie non admissible visée à l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration. Il a commis des crimes contre l’humanité au sens du par. 7(3.76) du Code criminel en conseillant aux membres du MRND et aux Hutu de tuer des Tutsi, en participant aux massacres de Tutsi et en fomentant ou en préconisant le génocide des membres d’un groupe identifiable, savoir les Tutsi.
(D) Léon Mugesera est une personne décrite à l’al. 27(1)e) du fait qu’il a obtenu le droit d’établissement sur la foi d’une fausse indication sur un fait important en répondant « non » à la question 27‑F du formulaire de demande de résidence permanente demandant si, en période de paix ou de guerre, il avait participé à la commission d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité.
ANNEXE II
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F‑7
18.1 . . .
(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :
. . .
c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;
d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;
Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2
PARTIE III
EXCLUSION ET RENVOI
Catégories non admissibles
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :
. . .
j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles ont commis, à l’étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l’époque de la perpétration.
Renvoi après admission
27. (1) L’agent d’immigration ou l’agent de la paix doit faire part au sous‑ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui‑ci, selon le cas :
a) appartient à l’une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), k) ou l);
a.1) est une personne qui a, à l’étranger :
(i) soit été déclarée coupable d’une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d’une loi fédérale, par mise en accusation, d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si la personne peut justifier auprès du ministre de sa réadaptation et du fait qu’au moins cinq ans se sont écoulés depuis l’expiration de toute peine lui ayant été infligée pour l’infraction,
(ii) soit commis, de l’avis, fondé sur la prépondérance des probabilités, de l’agent d’immigration ou de l’agent de la paix, un fait — acte ou omission — qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s’il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d’une loi fédérale, par mise en accusation, d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si la personne peut justifier auprès du ministre de sa réadaptation et du fait qu’au moins cinq ans se sont écoulés depuis la commission du fait;
. . .
a.3) avant que le droit d’établissement ne lui ait été accordé, a, à l’étranger :
. . .
(ii) soit commis, de l’avis, fondé sur la prépondérance des probabilités, de l’agent d’immigration ou de l’agent de la paix, un fait — acte ou omission — qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s’il était commis au Canada, constituerait une infraction visée à l’alinéa a.2), sauf s’il peut justifier auprès du ministre de sa réadaptation et du fait qu’au moins cinq ans se sont écoulés depuis la commission du fait;
. . .
e) a obtenu le droit d’établissement soit sur la foi d’un passeport, visa — ou autre document relatif à son admission — faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d’une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d’un tiers;
. . .
g) appartient à la catégorie non admissible visée à l’alinéa 19(1)j) et a obtenu le droit d’établissement après l’entrée en vigueur de cet alinéa;
. . .
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46
7. . . .
(3.76) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
. . .
« crime contre l’humanité » Assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes — qu’il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l’époque et au lieu de la perpétration — et d’autre part, soit constituant, à l’époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel, soit ayant un caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations.
. . .
(3.77) Sont assimilés à un fait, aux définitions de « crime contre l’humanité » et « crime de guerre », au paragraphe (3.76), la tentative, le complot, la complicité après le fait, le conseil, l’aide ou l’encouragement à l’égard du fait.
21. (1) Participent à une infraction :
a) quiconque la commet réellement;
b) quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre;
c) quiconque encourage quelqu’un à la commettre.(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et que l’une d’entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d’elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l’intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l’infraction, participe à cette infraction.
22. (1) Lorsqu’une personne conseille à une autre personne de participer à une infraction et que cette dernière y participe subséquemment, la personne qui a conseillé participe à cette infraction, même si l’infraction a été commise d’une manière différente de celle qui avait été conseillée.
(2) Quiconque conseille à une autre personne de participer à une infraction participe à chaque infraction que l’autre commet en conséquence du conseil et qui, d’après ce que savait ou aurait dû savoir celui qui a conseillé, était susceptible d’être commise en conséquence du conseil.
(3) Pour l’application de la présente loi, « conseiller » s’entend d’amener et d’inciter, et « conseil » s’entend de l’encouragement visant à amener ou à inciter.
235. (1) Quiconque commet un meurtre au premier degré ou un meurtre au deuxième degré est coupable d’un acte criminel et doit être condamné à l’emprisonnement à perpétuité.
(2) Pour l’application de la partie XXIII, la sentence d’emprisonnement à perpétuité prescrite par le présent article est une peine minimale.
Propagande haineuse
318. (1) Quiconque préconise ou fomente le génocide est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans.
(2) Au présent article, « génocide » s’entend de l’un ou l’autre des actes suivants commis avec l’intention de détruire totalement ou partiellement un groupe identifiable, à savoir :
a) le fait de tuer des membres du groupe;
b) le fait de soumettre délibérément le groupe à des conditions de vie propres à entraîner sa destruction physique.
. . .
319. (1) Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
(2) Quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
464. Sauf disposition expressément contraire de la loi, les dispositions suivantes s’appliquent à l’égard des personnes qui conseillent à d’autres personnes de commettre des infractions :
a) quiconque conseille à une autre personne de commettre un acte criminel est, si l’infraction n’est pas commise, coupable d’un acte criminel et passible de la même peine que celui qui tente de commettre cette infraction;
b) quiconque conseille à une autre personne de commettre une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire est, si l’infraction n’est pas commise, coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Code pénal rwandais
LIVRE PREMIER — DES INFRACTIONS ET DE LA RÉPRESSION EN GÉNÉRAL
. . .
Titre III
Des personnes punissables
. . .
CHAPITRE V
De la participation criminelle
. . .
91. — Sont considérés comme complices :
. . .
4° ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches, exposés aux regards du public, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre cette action, sans préjudice des peines prévues contre les auteurs de provocation à des infractions, même dans le cas où ces provocations ne seraient pas suivies d’effet.
. . .
LIVRE DEUXIÈME — DES INFRACTIONS ET DE LEUR RÉPRESSION EN PARTICULIER
Titre premier
Des infractions contre la chose publique
CHAPITRE PREMIER
Des infractions contre la sûreté de l’état
. . .
Section II
Des atteintes à la sûreté intérieure de l’État
. . .
166. — Quiconque, soit par des discours tenus dans des réunions ou lieux publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques, affichés, distribués, vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, soit en répandant sciemment de faux bruits, aura soit excité ou tenté d’exciter les populations contre les pouvoirs établis, soit soulevé ou tenté de soulever les citoyens les uns contre les autres, soit alarmé les populations et cherché ainsi à porter les troubles sur le territoire de la République, sera puni d’un emprisonnement de deux à dix ans et d’une amende de deux mille à cent mille francs ou de l’une de ces peines seulement, sans préjudice des peines plus fortes prévues par d’autres dispositions du présent code.
. . .
Titre II
Des infractions contre les personnes
CHAPITRE PREMIER
De l’homicide et des lésions corporelles volontaires
. . .
Section première
Du meurtre et de ses diverses espèces
311. — L’homicide commis avec l’intention de donner la mort est qualifié meurtre; il emporte la peine d’emprisonnement à perpétuité.
. . .
CHAPITRE VIII
Des imputations dommageables et des injures
. . .
393. — Quiconque aura manifesté, par une diffamation ou une injure publique, de l’aversion ou de la haine envers un groupe de personnes appartenant, par leur origine, à une race, ou une religion déterminée, ou commis un acte de nature à provoquer cette aversion ou cette haine, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende n’excédant pas cinq mille francs, ou de l’une de ces peines seulement.
ANNEXE III
Au paragraphe 17 de ses motifs ([2004] 1 R.C.F. 3), le juge Décary, de la Cour d’appel fédérale, a reproduit le texte du discours de M. Mugesera traduit en français par M. Kamanzi, puis traduit en anglais à partir de la version française. La numérotation a été ajoutée pour faciliter la consultation.
DISCOURS PRONONCÉ PAR LÉON MUGESERA LORS D’UN MEETING DU M.R.N.D. TENU A KABAYA LE 22 NOVEMBRE 1992.
Notre Mouvement, longue vie [. . .]
Que le président Habyarimana ait longue vie [. . .]
Que nous les Militants du Mouvement ici réunis, nous ayons longue vie.
1. Militants de notre Mouvement, comme nous sommes tous ici réunis, je pense que vous saisirez le sens du mot que je vais vous adresser. Je vous parlerai de quatre points seulement. Dernièrement, je vous ai dit que nous avons refusé le mépris. Encore aujourd’hui, nous le refusons. Je n’y reviendrai plus.
2. Quand je considère la foule immense constituée par nous tous ici réunis, il est clair que je devrais omettre de vous parler du premier point à traiter car j’allais vous demander de vous méfier des coups de pied du M.D.R. agonisant. Cela est le premier point. Le deuxième point sur lequel je voudrais que nous échangions des idées, est qu’il ne faut pas que nous nous laissions envahir. Que ce soit ici où nous nous trouvons, que ce soit aussi à l’intérieur du pays. Cela est le deuxième point. Le troisième point dont je voudrais vous entretenir est également un point important à savoir la manière dont nous devons nous comporter pour que nous nous protégions contre les traîtres et contre ceux qui veulent nous porter préjudice. Ce par quoi je vais justement terminer, c’est cette manière dont nous devons nous comporter.
3. Le premier point donc, que je voudrais vous soumettre, est ce point important que je voudrais porter à votre connaissance. Comme M.D.R., P.L., F.P.R. ainsi que le fameux parti appelé P.S.D. et même le P.D.C. s’agitent ses (sic) jours‑ci. Sachez pourquoi ils s’agitent et ils s’agitent dans le but de porter atteinte au Président de la république, à savoir, lui le Président de notre Mouvement mais cela ne leur réussit pas. Ils s’agitent contre nos Militants; sachez la raison pour laquelle ces agitations sont en train de se produire : en fait, lorsque quelqu’un va mourir, c’est qu’il a déjà en lui la maladie!
4. Le voleur Twagiramungu s’est présenté à la Radio en sa qualité de Président du parti, et c’est lui qui en avait fait la demande, pour y aller parler contre la C.D.R. Mais il y fut terrassé par cette dernière. Après qu’elle l’y eut terrassé, dans tous les taxis, partout à Kigali, des Militants du M.D.R., du P.S.D., ainsi que les complices des Inyenzi, ont été profondément humiliés, jusqu’à en devenir presque morts! Et même Twagiramungu lui‑même, a complètement disparu. Il ne s’est même plus montré dans le bureau où il travaillait! Je vous assure que le parti de cet homme s’est couvert de honte : tout le monde a eu peur et ils ont failli en mourir!
5. Étant donné donc que ce parti ainsi que ceux‑là qui partagent ses opinions sont des complices des Inyenzi, quelqu’un de parmi eux du nom de Murego à son arrivée à Kibungo, a pris la parole pour dire : « Nous autre (sic), nous descendons des Bahutu et effectivement nous sommes des Bahutu ». On lui répondit : « Puisses‑tu perdre par la mort tes frères! Dis‑donc, de qui tiens‑tu ces propos relatif (sic) aux Bahutu? » Ils se fâchèrent jusqu’à en devenir presque morts!
6. C’est alors que le Premier Ministre du nom, dit‑on, de je ne sais pas s’il faut dire Nsengashitani (Je‑prie‑Satan) ou (Nseng) Iyaremye (Je‑prie‑le‑Créateur) s’est mis en route vers Cyangugu pour aller empêcher aux Bahutu de se défendre contre les Batutsi qui posaient des mines contre eux. Vous avez entendu cela à la Radio. Alors on l’a raillé, vous l’avez vous‑même entendu, et il a perdu la tête, lui et tous les Militants de son parti, ainsi que ceux des autres partis qui partagent ses opinions. C’est à ce moment où ces gens venaient d’essuyer un tel revers [. . .] vous avez entendu vous‑mêmes que le Président de notre parti, Son Excellence le Général‑Major Habyarimana Juvénal a pris la parole à son arrivée à Ruhengeri. L’« Invincible » s’est présenté solennellement, tandis que les autres‑là disparaissaient sous terre! Dans leurs agitations, ces gens étaient presque morts de s’agiter, car ils avaient appris que tout le monde, y compris même ceux qui se réclamaient d’autres partis, étaient en train de les quitter pour revenir dans notre parti, grâce au discours de notre Chef.
7. Leurs coups de pied menaceraient le plus averti. Néanmoins, étant donné notre nombre, je me rends compte que nous sommes si nombreux qu’ils ne pourraient pas trouver où les donner : ils perdent leur temps!
8. C’est donc là le premier point. Le M.D.R. et les partis qui partagent ses opinions sont en train d’agoniser. Évitez leurs coups de pied. Comme je l’ai constaté, même un coup d’ongle ne pourra vous effleurer!
9. Le deuxième point dont j’ai décidé de vous entretenir, c’est de ne pas vous laisser envahir. À tout prix, vous quitterez ces lieux en emportant avec vous cette parole, à savoir ne pas vous laisser envahir. Dis‑donc, toi homme, toi père ou mère ici présents, si quelqu’un vient un jour s’installer dans ton enclos et y défèque, accepteras‑tu encore réellement qu’il y revienne? Cela est tout à fait interdit. Sachez que la première chose importante [. . .] vous avez vu ici nos frères de Gitarama. Leurs drapeaux, c’est moi qui les ai distribués lorsque je travaillais au siège de notre Parti. Partout à Gitarama, on les a hissés. Mais, quant (sic) tu viens de Kigali, que tu continues d’avancer pour pénétrer dans Kibilira, plus aucun drapeau du M.R.N.D. ne s’y trouve : on les a descendus! Quoi qu’il en soit, vous le comprenez vous‑mêmes, les prêtres nous ont appris de bonnes choses; notre Mouvement aussi est un Mouvement pour la paix. Cependant, il faut qu’on sache que, pour notre paix, il n’y a pas d’autre moyen de l’avoir que de se défendre soi‑même. Certains ont cité l’adage suivant : « Qui veut la paix prépare toujours la guerre ». C’est ainsi donc que, dans notre Préfecture de Gisenyi, c’est la quatrième ou cinquième fois que j’en parle, ce sont eux qui ont agi les premiers. Il est écrit dans l’Évangile que si l’on te donne une gifle sur une joue, tu offriras l’autre pour qu’on tape dessus. Moi, je vous dis que cet Évangile a changé dans notre Mouvement : si on te donne une gifle sur une joue, tu leur en donneras deux sur une joue et ils s’effondreront par terre pour ne plus reprendre leurs esprits! Ici donc, plus rien de se (sic) qui s’appelle leur drapeau, plus rien de se (sic) qui s’appelle leur bonnet, plus rien même de se (sic) qui s’appelle leur Militant ne doit venir sur notre sol pour y prendre la parole; je veux dire dans tout Gisenyi, sur toute son étendue!
10. (Un proverbe) dit : « L’(hyène) mange les autres mais lorsqu’on va le manger elle se fait amère »! Qu’ils sachent qu’un homme en vaut un autre; notre enclos aussi (parti) ne se laisse pas non plus envahir. Sachez donc que se laisser envahir est interdit. Il y a également une autre chose dont je voudrais vous parler au sujet de « ne pas se laisser envahir » et que vous devez refuser car ce sont des choses effrayantes. Notre aîné Munyandamutsa vient de vous dire ce qu’il en est en ces mots : « Nos Inspecteurs actuellement au nombre de cinquante‑neuf à travers le pays viennent d’être chassés. Dans notre Préfecture de Gisenyi il y en a huit. Dites‑moi, chers parents ici réunis, avez‑vous jamais vu, je ne sais pas si elle est encore une mère de famille, avez‑vous jamais vu donc cette femme qui dirige le Ministère de l’Éducation, venir elle‑même savoir que vos enfants ont quitté la maison pour aller faire étude ou retourner à l’école? N’avez‑vous pas entendu qu’elle a dit que désormais plus personne ne retournera à l’école? Et maintenant elle s’en prend aux éducateurs! Je voulais porter à votre connaissance qu’elle les a convoqués à Kigali pour leur dire qu’elle ne veut plus entendre qui que ce soit dire qu’un Inspecteur‑éducateur s’est fait inscrire dans un parti politique ». Ils lui ont répondu : « Quitte d’abord ton parti parce que toi‑même tu es Ministre et tu te trouves dans un parti politique et alors nous suivrons ton exemple ». Elle y est encore! Vous avez entendu également à la Radio que ces jours elle insulte même notre Président! Avez‑vous jamais entendu une mère aller proférer des injures publiquement? Ce que je voudrais donc vous dire ici, et c’est la vérité, ce n’est pas un doute pour dire que ce serait ceci ou cela, c’est qu’il y aurait, paraît‑il, parmi eux des gens qui se seraient comportés d’une manière légère. Ils sont poursuivis pour leur appartenance au M.R.N.D., vous l’avez entendu? Ils sont poursuivis pour leur appartenance au M.R.N.D. Franchement, accepterons‑nous qu’ils viennent nous envahir pour nous arracher au M.R.N.D. et nous prendre nos hommes?
11. Je vous demande de mener deux actions très importantes. La première est que vous écriviez à cette femme éhontée qui profère des injures publiquement et sur les antennes de notre Radio à nous tous les rwandais. Que, vous lui écriviez pour lui faire savoir que ces éducateurs, qui sont des nôtres, sont irréprochables quant à leurs mœurs et comportements et qu’ils s’occupent avec soin de nos enfants; qu’il faut que ces éducateurs continuent d’éduquer nos enfants et qu’il faut qu’elle s’amende. Cela est la première action que je vous demande de mener. Et alors vous signeriez tous massivement : le papier ne manquera absolument pas. Si vous attendez quelques jours sans qu’elle réponde, environ sept jours seulement, car vous enverrez la lettre confiée à quelqu’un pour la faire parvenir à destination afin qu’il sache qu’elle l’a reçue, s’il se passe donc sept jours sans qu’elle réponde et qu’elle se permet de faire en sorte qu’une autre personne vienne remplacer les Inspecteurs en place, retenez‑le bien, si elle croit qu’il peut y avoir quelqu’un qui viendra le remplacer (l’Inspecteur), pour celui‑là qui viendra [. . .] l’endroit d’où le Ministre est originaire est le lieu appelé Nyaruhengeri, à la frontière du Burundi, (exactement) à Butare, vous demanderez à cette (sic) homme de prendre le chemin, avec sa provision de route sur la tête, pour aller être l’Inspecteur à Nyaruhengeri.
12. Que tous ceux qu’elle aura nommés se retrouvent là‑bas, qu’ils aillent à Nyaruhengeri pour s’occuper de l’éducation de ses enfants. Quant aux nôtres, ils poursuivront leur éducation par les nôtres. Ceci est encore un point important pour lequel nous devons prendre des décisions : c’est ne pas du tout nous laisser envahir : c’est un tabou!
13. Une autre chose qu’on peut appeler « ne pas se laisser envahir » dans le pays, vous connaissez des gens qu’on appelle « Inyenzi » (Cancrelats), ne les appelez plus « Inkotanyi » (combattants tenaces), car ce sont tout à fait des « Inyenzi ». Ces gens appelés Inyenzi ce (sic) sont mis en route pour nous attaquer.
14. Le Général‑Major Habyarimana Juvénal, aidé du Colonel Serubuga que vous avez vu ici présent et qui était son adjoint dans l’armée au moment où nous avons été attaqués, (les deux) se sont levés pour se mettre à l’œuvre. Ils ont repoussé les « Inyenzi » hors de la frontière d’où ils étaient arrivés. Et alors ici, permettez‑moi de vous faire rire! Entre temps étaient arrivés ces gens‑là qui convoitaient le pouvoir. Et après l’avoir obtenu, ils ont pris le chemin vers Bruxelles. À leur arrivée à Bruxelles, notez qu’il s’agit du M.D.R., du P.L. et du P.S.D., ils se mirent d’accord pour livrer, coûte que coûte la Préfecture de Byumba. Ça c’est une première chose. Ils se concertèrent pour décourager coûte que coûte nos soldats. Vous avez entendu ce que le Premier Ministre en personne a dit. Il a dit qu’ils allaient (les soldats) descendre dans les marais (cultiver) alors que la guerre faisait rage! C’est à ce moment‑là que ceux qui avaient un moral faible parmi eux ont abandonné leurs positions et les « Inyenzi » les ont occupées. En effet, ces derniers se sont rendus là‑bas à Byumba et eux (les soldats gouvernementaux) allèrent piller les magasins de nos commerçants de Byumba, de Ruhengeri et de Gisenyi. C’est d’ailleurs l’État qui devra les indemniser car c’est lui qui a créé cette situation. Ce n’est pas un de nos commerçants (qui l’a créé) car il ne demandait même pas de crédit! Pourquoi un crédit! Ce sont ces gens‑là donc qui nous ont poussés à nous laisser envahir. La punition de telles personnes n’est rien d’autre : « Toute personne qui démoralisera les forces armées du pays sur le front sera passible de la peine de mort ». Cela est prescrit par la Loi. Pourquoi ne tuerait‑on pas cet individu? Nsengiyaremye doit être traduit en justice pour être condamné. La Loi est là et elle est écrite. Il doit être condamné à la peine de mort comme c’est écrit. Mais ne vous effrayez pas par le fait même qu’il soit Premier Ministre. Vous avez entendu ces derniers temps dire à la Radio que même des Ministres français peuvent désormais être traduits en justice! Sera passible de peine de mort, en temps de guerre, toute personne qui livrera une portion du sol national, ne fût‑ce qu’un infime morceau. Twagiramungu l’a dit sur les antennes de la Radio et la C.D.R. lui a réglé son compte à la Radio. Les Militants de son (parti) ont alors perdu la tête, imaginez‑vous! Je voudrais porter à votre connaissance que cet homme qui a livré Byumba sur les antennes de la Radio tandis que nous tous rwandais, ainsi que tous les pays étrangers, l’entendions, cet homme subira la peine de mort. C’est écrit; interrogez les juges, ils vous montreront où cela se trouve, je ne vous mens pas! Sera passible de peine de mort toute personne qui livrera ne fût‑ce qu’un infime morceau du Rwanda. Et qu’attend encore cet individu?
15. Vous savez ce que c’est, chers parents, « ne pas se laisser envahir », ou vous le savez. Vous savez qu’il y a au pays des « Inyenzi » qui ont profité de l’occasion pour envoyer leurs enfants au front, pour aller secourir les « Inkotanyi ». Ça c’est quelque chose dont vous entendez parler vous‑mêmes. Vous savez qu’hier je suis rentré de Nshili dans Gikongoro à la frontière du Burundi, en passant par Butare. Partout on m’a fait rapport du nombre des jeunes qui sont partis. On m’a dit : « Là où ils passent, ainsi que celui qui les conduit [. . .] pourquoi ne sont‑ils pas arrêtés en même temps que leurs familles? » Je vous le dis donc maintenant, cela est écrit dans la Loi, dans le livre du Code pénal : « Sera passible de peine de mort toute personne qui recrutera des soldats en les cherchant parmi la population, en cherchant partout des jeunes qu’elle ira donner aux forces armées étrangères qui attaqueront la République ». C’est écrit.
16. Pourquoi n’arrête‑t‑on pas ces parents qui ont envoyé leurs enfants et pourquoi ne les extermine‑t‑on pas? Pourquoi n’arrête‑t‑on pas ceux qui les amènent et pourquoi ne les extermine‑t‑on pas tous? Attendons‑nous que ce soit réellement eux qui viennent nous exterminer?
17. Je voudrais vous dire que maintenant nous demandons que ces gens‑là soient mis sur une liste et qu’ils soient traduits en justice pour qu’ils soient jugés en notre présence. Au cas où il arriverait qu’ils (les juges) refusent, il est écrit dans la constitution que « ubutabera bubera abaturage ». En français, cela veut dire que « LA JUSTICE EST RENDUE AU NOM DU PEUPLE ». Au cas où donc la justice n’est plus au service du peuple, comme cela est écrit dans notre constitution que nous avons votée nous‑mêmes, c’est dire qu’à ce moment, nous autres composantes de la population au service de laquelle elle devrait se mettre, nous devons le faire nous‑mêmes en exterminant cette canaille. Ceci, je vous le dis en toute vérité, comme c’est écrit dans l’Évangile : « Lorsque vous accepterez qu’en venant vous mordre un serpent reste attaché sur vous avec votre accord, c’est alors vous qui serez anéantis ».
18. Je vous apprends qu’il y a un jour et une nuit, — je ne sais pas si c’est tout juste, à Kigali, un petit groupe d’hommes armés de fusils s’est rendu dans un cabaret pour exiger de présenter des cartes. Ils placèrent ceux du M.D.R. là‑bas à part. Ceux du P.L., vous vous en doutez, ils les placèrent là‑bas à part et même ces autres‑là qui se font passer pour des chrétiens, ils les placèrent là‑bas à part. Lorsqu’un membre du M.R.N.D. a exhibé sa carte, ils l’ont immédiatement mitraillé; je ne vous mens pas, qu’on vous le dise même à la Radio; ils ont tiré sur cet homme et se sont éclipsés dans les marais de Kigali pour prendre fuite, après avoir déclaré qu’ils étaient des « Inkotanyi ». Dites‑moi donc, ces jeunes gens s’en vont munis de notre carte d’identité, puis ils reviennent armés de fusils au nom d’« Inyenzi » ou de leurs complices, pour tirer sur nous! Je ne crois donc pas que nous accepterons qu’on tire sur nous! Qu’un représentant local du M.D.R. ne vive plus dans cette Commune ni dans cette Préfecture, parce (sic) c’est un complice! Les représentants de ces partis‑là qui collaborent avec les « Inyenzi », ceux qui représentent [. . .] je vous le dis sans vous mentir, c’est que [. . .] ils ne veulent que nous exterminer. Ils ne veulent que nous exterminer : ils n’ont pas d’autre objectif. Et nous devrons leur dire la vérité. Moi je ne leur cache rien du tout. L’objectif qu’ils poursuivent est bien celui‑là. Je voudrais vous dire donc que les représentants de ces partis‑là qui collaborent avec les « Inyenzi », à savoir le M.D.R., le P.L., le P.S.D., le P.D.C. et d’autres groupuscules rencontrés ici et là, qui s’y rattachent et ne font que vagabonder, tous ces partis, ainsi que leurs représentants doivent aller habiter à Kayenzi chez Nsengiyaremye; ainsi nous saurons où se trouvent ceux avec qui nous sommes en guerre.
19. Mes frères, Militants de notre Mouvement, ce que je vous dis là n’est pas une plaisanterie, c’est plutôt vous parler en toute vérité pour que, si un jour quelqu’un se voit attaquer au fusil par eux, vous ne veniez pas nous dire que nous qui représentons le parti ne vous avons pas averti (sic)! Maintenant donc, je vous le dis pour que vous le sachiez. Et si quelqu’un a envoyé un enfant parmi les « Inyenzi », qu’il les rejoigne avec sa famille et sa femme pendant qu’il est encore temps, car le temps est arrivé pour que nous aussi nous nous défendions, afin que [. . .] nous n’accepterons jamais de mourir parce que la Loi refuse de jouer son rôle!
20. Je vous apprends que le jour où on a fait des manifestations, le jeudi, ils ont battu nos hommes qui ont dû se réfugier dans l’Église se trouvant en bas du Rond‑Point. Ces gens dits chrétiens du P.D.C. les ont poursuivis et sont allés les battre dans l’Église. D’autres se sont réfugiés dans le Centre Culturel Français. Je voudrais donc vous dire qu’ils ont commencé à tuer. C’est tout, il en est ainsi! Ils s’attaquent aux habitations et tuent. Maintenant, celui dont on entend dire qu’il est membre du M.R.N.D. est battu et tué par eux; c’est ainsi que ça se passe. Maintenant donc, il faut que ces gens qui représentent leurs partis dans notre Préfecture prennent le chemin pour aller habiter avec les « Inyenzi », nous n’acceptons pas du tout que des gens qui vivent parmi nous nous tirent dessus tout en étant à nos côtés!
21. Un autre point important dont je voudrais vous entretenir pour que nous ne continuions pas à nous laisser envahir : vous entendez parler des pourparlers d’Arusha. Je n’en parlerai pas longtemps car le représentant du Secrétaire Général (du Mouvement) en parlera d’une manière détaillée. Mais ce que je vais vous dire c’est que les délégués dont vous entendez dire qu’ils sont à Arusha ne représentent pas le Rwanda. Ils ne représentent pas tout le Rwanda, et je vous le dis en toute vérité. Les délégués du Rwanda, qui sont dits du Rwanda, sont conduits par un « Inyenzi » qui y va pour s’entretenir avec les « Inyenzi », comme cela se dit dans un chant que vous entendez de temps en temps, où il est dit : « Il est Dieu né de Dieu ». De même eux, c’est « Inyenzi né d’Inyenzi qui parle au nom d’Inyenzi ». Quant à ce qu’ils vont dire à Arusha, c’est cela même que ces complices des « Inyenzi » vivant ici sont allés dire à Bruxelles. Ils vont travailler à Arusha pour que tout cela soit attribué au Rwanda alors qu’il n’y a rien qui ne soit de Bruxelles qui se passe là‑bas! Et même ce qui vient du Rwanda ne vient pas du tout de notre Gouvernement : c’est une affaire de Bruxelles qu’ils se mettent sur la tête pour l’emporter avec eux à Arusha! C’est donc un « Inyenzi » qui traite avec un autre! Quant à ce qu’on appelle « pourparlers », nous ne sommes pas contre les pourparlers. Je voudrais vous dire qu’ils ne viennent pas du Rwanda : ce sont des « Inyenzi » qui discutent avec des « Inyenzi » et sachez‑le une fois pour toutes! En tout cas, nous n’accepteront (sic) jamais ces choses qui proviendront de là‑bas!
22. Un autre point dont je vous ai entretenu est que nous devons nous défendre. J’en ai parlé brièvement. Mais, je vous dis qu’il faut que nous nous levions! On m’a chuchoté à l’oreille il y a un instant que ce ne sont pas les parents seuls qui doivent se lever en même temps que les enseignants au sujet du fameux problème de nos inspecteurs. Mais même celui qui n’a pas d’enfant à l’école, celui‑là aussi devrait les soutenir car lui aussi en aura un demain ou bien il en avait un avant‑hier. Levons‑nous donc tous et signons!
23. Le deuxième point dont je vous entretiendrai est le suivant : c’est que nous avons neuf ministres dans le présent gouvernement. De la même façon qu’ils se sont levés pour chasser nos inspecteurs en se fondant sur leur Ministère, qu’ils se sont levés pour chasser des enseignants des écoles secondaires [. . .] il y a quelques jours, vous avez entendu que la fameuse femme circulait dans les écoles. Aucun autre motif ne l’y poussait si ce n’est que de chasser les inspecteurs et les enseignants qui s’y trouvaient et qui n’étaient pas dans son Parti. Vous avez entendu ce qui se fait au Minitrape : il ne n’agit (sic) pas que de détournement, même on s’en est pris à nos travailleurs! Vous avez entendu ce qui se passe à la Radio, ainsi que l’émission de Byumba qu’on a étouffée. Vous avez entendu comment tout cela se passe. Je voudrais vous dire donc qu’il faut que nous demandions à nos Ministres que eux aussi, il y a des gens qui travaillent pour leurs partis et qui se trouvent dans nos Ministères [. . .] Vous avez entendu parler par exemple du Militant‑Ministre Ngirabatware, qui n’est pas présent ici parce que le pays lui a confié une mission importante. J’ai visité son Ministère jeudi. Il y avait là‑dedans une petite poignée de gens, ce n’est pas que je me sous‑estime parce que je suis dans le M.R.N.D., (une poignée de) quelques personnes du M.R.N.D., ceux qui s’y trouvent sont exclusivement des « Inyenzi » appartenant au P.L. et au M.D.R.! Ce sont eux qui se trouvent dans le Ministère du Plan! Vous comprenez que si ce Ministre disait : « Si vous touchez à nos inspecteurs, les vôtres également je vais les liquider ». Que se passerait‑il? Que nos Ministres eux aussi secouent le sac pour que la vermine qui se trouve chez eux disparaisse pour aller dans les Ministères des leurs.
24. Une chose importante que je demande encore à tous ceux qui travaillent et qui sont au sein du M.R.N.D. : « Unissez‑vous! » Que celui qui est chargé des finances, comme les autres s’en servent, lui aussi apporte l’argent pour que nous nous en servions. Qu’il en soit de même pour celui qui en a à son propre compte. Le M.R.N.D. le lui a donné pour l’aider et le soutenir, afin que, lui aussi, puisse subvenir à ses besoins en sa qualité d’homme. Comme ils ont l’intention de lui couper le cou, qu’il l’apporte (l’argent) pour que [[nous nous défendions en leur coupions (sic) les cous]]! Souvenez‑vous que la base de notre Mouvement est la cellule, que la base de notre Mouvement est le secteur et la Commune. Il (le Président) vous a dit qu’un arbre qui a des branches et a des feuilles sans avoir des racines meurt. Nos racines sont fondamentalement là‑bas. Unissez‑vous encore, bien sûr vous n’êtes plus rémunérés, que nos membres des cellules se mettent ensemble. Si quelqu’un pénètre dans la cellule, surveillez‑le du regard et écrasez‑le; s’il est complice qu’il ne puisse plus en sortir! Oui, qu’il ne puisse plus en sortir!
25. Dernièrement, j’ai dit à quelqu’un qui venait de se vanter devant moi d’appartenir au P.L. Je lui ai dit : « L’erreur que nous avons commise en 1959 est que, j’étais encore un enfant, nous vous avons laissés sortir ». Je lui ai demandé s’il n’a pas entendu raconter l’histoire des Falashas qui sont retournés chez eux en Israël en provenance de l’Éthiopie? Il m’a répondu qu’il n’en savait rien! Je lui ai dit : « Ne sais‑tu pas donc ni écouter ni lire? Moi, je te fais savoir que chez toi c’est en Éthiopie, que nous vous ferons passer par la Nyabarongo pour que vous parveniez vite là‑bas ».
26. Quant à ce que je vous dis, qu’il faut que nous nous levions, nous devons nous lever réellement. Ce par quoi je vais terminer est une chose importante. Hier j’étais à Nshili, vous avez appris que les Barundi nous ont calomniés, j’étais allé vérifier la vérité. Avant que je n’aille là, des gens m’avaient dit que je n’en reviendrais pas. Que j’y mourrai. J’ai répondu : « Si je meurs, je ne serai pas la première victime à être sacrifiée ». À Nshili donc, on a destitué le Bourgmestre qui y était avant, sous prétexte qu’il serait, parait‑il, vieux! Qu’il aurait commencé à travailler en 1960! Et pourtant, hier je l’ai vu, il est encore jeune homme! Mais parce qu’il était dans le M.R.N.D., il a quitté! Ils ont voulu y mettre un voleur; cela n’a pas marché non plus. Quand on y mit un homme honnête, ils (la population) l’ont refusé! Aujourd’hui, cette commune appelée Nshili est administrée par un conseiller qui, lui non plus ne sait que faire! À cet endroit donc dit Nshili, nous y avons des forces armées du pays qui gardent la frontière. Il y a là des gens appelés des J.D.R., pour la bonne raison que nos militaires nationaux sont disciplinés et ne tirent sur personne, surtout ils ne tireraient pas sur un rwandais, sauf si c’est un « Inyenzi », ces militaires n’ont pas su que toutes les personnes du M.D.R. étaient devenus des « Inyenzi »! Ils ne l’ont pas su! Ceux‑ci les ont encerclés et ont arrêtés (sic) nos gendarmes, à telle (sic) point qu’un citoyen qui n’est pas dans notre parti m’a dit personnellement : « Ce que je souhaite c’est qu’on nous apporte les élections pour que nous élisions un Bourgmestre. Sinon, avant qu’il ne vienne, qu’on réinstalle provisoirement celui‑là qui y était avant parce qu’à voir où en sont arrivées les choses, il ne pourra pas remettre les citoyens sur la bonne voie ».
27. Chers parents, chers frères, je voudrais vous dire une chose importante : les élections doivent avoir lieu, nous devons tous élire. Comme vous êtes maintenant tous réunis ici, y a‑t‑il quelqu’un qui a donné un coup d’ongle à un autre? On parle de sécurité. On dit que nous ne pouvons pas élire. N’allez‑vous pas à la messe dimanche? N’êtes‑vous pas venus ici au meeting? Au M.R.N.D., n’avez‑vous pas élu les responsables à tous les échelons? Ceux‑là même (sic) qui le disent, ne font‑il pas la même chose? N’ont‑ils pas élu? Pour ce prétexte qu’ils avancent, il n’y a aucune raison qui nous empêche d’élire à cause de la sécurité, parce que eux‑mêmes se promènent dans le pays et les troubles qui ont lieu, ce sont eux qui les provoquent. C’est là le mot que je voulais vous adresser : ils nous trompent tous, même ici où nous sommes, nous pouvons élire.
28. Deuxièmement, ils se fondent sur les déplacés de guerre se trouvant à Byumba. Je vous (sic) voudrais vous faire savoir que personne n’est allé demander à ces gens s’ils ne veulent pas élire. À moi personnellement ils ont dit qu’ils avaient auparavant des conseillers paresseux, que même certains parmi leurs Bourgmestres étaient des paresseux. Étant donné que le Ministère qui leur porte les vivres est surveillé par un « Inkotanyi » ou plutôt par l’« Inyenzi » Lando, celui‑ci a choisi des gens appelés « Inyenzi » et leurs complices qui sont dans ce pays et c’est à eux qu’il a confié la mission de porter les vivres à ces gens. Au lieu de les leur porter là‑bas, ils les vendent pour aller acheter des munitions qu’ils portent aux « Inyenzi » qui nous tirent dessus! Je voudrais vous dire qu’ils ont dit: « On tire sur nous par dernière (sic), et vous, vous tirez sur nous par devant en nous envoyant cette canaille nous apporter des vivres ». Je n’ai pas trouvé de quoi leur répondre et ils ont poursuivi : « Ce que nous souhaitons, disent‑ils, c’est que parmi nous, nous puissions élire des responsables, des conseillers, des responsables des cellules, un Bourgemestre (sic); que nous puissions savoir que nous sommes avec lui ici au camp, qu’il nous protège, qu’il nous cherche des vivres ». Vous comprenez que ce que m’ont dit ces hommes et ces femmes qui ont fui dans ces circonstances que vous entendez de temps en temps à gauche, à droite, c’est qu’ils souhaitent eux aussi des élections; tout le pays souhaite des élections pour qu’il soit dirigé par des braves comme cela se passait habituellement. Comprenez donc, ce que nous devrions tous faire, c’est cela, c’est réclamer ces élections. Pour que je puisse terminer donc, je voudrais vous rappeler toutes les choses importantes dont je viens de vous entretenir : la plus essentielle est de ne pas nous laisser envahir, de peur que même ceux‑là qui agonisent n’emportent personne parmi vous. N’ayez pas peur, sachez que celui à qui vous ne couperez pas le cou, c’est celui‑là même qui vous le coupera. Je vous dis donc que ces gens là devraient commencer à partir pendant qu’il est encore temps et à aller habiter parmi les leurs ou aller même parmi les « Inyenzi » au lieu d’habiter parmi nous en conservant des fusils, pour que quand nous serons endormis, ils nous tirent dessus. Faites donc les (sic) plier bagage, qu’ils prennent le chemin du départ, de façon que plus personne ne revienne ici prendre la parole et que plus personne n’apporte des chiffons prétendus être des drapeaux!
29. Autre chose d’important, c’est que nous devons nous lever, nous lever comme un seul homme [. . .] si quelqu’un touche à un des nôtre (sic), qu’il ne trouve pas où passer. Nos inspecteurs n’iront nulle part. Ceux qu’ils placeront prendront le chemin pour aller à Nyaruhengeri, chez la Ministre Agathe, s’occuper de l’éducation de ses enfants! Retenez‑le bien! Ce par quoi je termine, c’est une chose importante : c’est les élections. Et je vous remercie de m’avoir prêté l’oreille et je vous remercie aussi pour le courage que vous avez, dans vos bras et dans vos cœurs. Je sais que vous êtes des hommes, que vous êtes des jeunes filles adultes, des pères et des mères de famille qui ne se laissent pas envahir, qui refusent le mépris. Ayez une longue vie!
Au président Habyarimana, longue vie [. . .]
À vous, longue vie et prospérité [. . .]
Traduction en français par :
Prof. Thomas KAMANZI
Linguiste
Directeur du Centre Études Rwandaises
à l’Institut de Recherche Scientifique et Technologique (I.R.S.T.)
BUTARE — RWANDA
Pourvoi accueilli.
Procureur de l’appelant : Sous‑procureur général du Canada, Montréal.
Procureurs des intimés : Guy Bertrand & Associés, Québec.
Procureur des intervenants la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada, PAGE RWANDA et Le Centre canadien pour la justice internationale : David Matas, Winnipeg.
Procureurs des intervenants le Congrès juif canadien, University of Toronto, Faculty of Law — International Human Rights Clinic, et Human Rights Watch : Goodmans, Toronto.