Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42
Conseil d’administration des services sociaux du district de
Parry Sound Appelant
c.
Syndicat des employés et employées de la fonction publique
de l’Ontario, section locale 324 Intimé
et
Commission ontarienne des droits de la personne Intervenante
Répertorié : Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324
Référence neutre : 2003 CSC 42.
No du greffe : 28819.
2003 : 24 janvier; 2003 : 18 septembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2001), 54 O.R. (3d) 321, 147 O.A.C. 183, 10 C.C.E.L. (3d) 290, 40 C.H.R.R. D/190, 2002 C.L.L.C. ¶210-005, [2001] O.J. No. 2316 (QL), qui a infirmé un jugement de la Cour divisionnaire (2000), 131 O.A.C. 122, 2000 C.L.L.C. ¶220-336, [2000] O.J. No. 475 (QL). Pourvoi rejeté, les juges Major et LeBel sont dissidents.
William G. Horton, Cathy Beagan Flood et Robert B. Budd, pour l’appelant.
Timothy G. M. Hadwen et Peggy E. Smith, pour l’intimé.
Naomi Overend et Prabhu Rajan, pour l’intervenante.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Gonthier, Iacobucci, Bastarache, Binnie, Arbour et Deschamps rendu par
1 Le juge Iacobucci — Le pourvoi soulève des questions au sujet de l’application des lois ayant trait aux droits de la personne et des autres lois ayant trait à l’emploi dans le cadre de la convention collective. Plus précisément, l’arbitre des griefs est‑il habilité à faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par ces lois et, le cas échéant, dans quelles circonstances? Comme je l’explique dans les présents motifs, il a le pouvoir et la responsabilité de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par ces lois comme s’ils faisaient partie de la convention collective. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
I. Le contexte
2 Joanne O’Brien travaillait à titre d’employée à l’essai pour l’appelant, le Conseil d’administration des services sociaux du district de Parry Sound, et était membre de l’intimé, le Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l’Ontario (le « Syndicat »). Ses conditions d’emploi étaient régies par la convention collective qu’avaient négociée les parties. Pour les besoins du pourvoi, la disposition la plus importante de la convention collective est l’art. 5.01.
[traduction]
ARTICLE 5 — DROITS DE GESTION
5.01 Le Syndicat reconnaît que la gestion des opérations et la direction du personnel sont déterminées exclusivement par l’employeur et demeurent exclusivement la prérogative de l’employeur, sauf disposition expresse contraire de la présente convention. Il reconnaît notamment qu’il est du ressort exclusif de l’employeur :
. . .
b) d’embaucher, d’affecter à un poste, de mettre à la retraite, de promouvoir, de rétrograder, de classer, de muter, d’orienter, de mettre à pied, de rappeler au travail, de suspendre ou de congédier pour un motif valable un employé à l’essai qui a réussi sa période d’essai, ou de lui imposer une peine disciplinaire, pourvu que la plainte de l’employé qui a été suspendu, visé par la peine disciplinaire ou congédié sans motif valable, puisse faire l’objet d’un grief conformément aux dispositions prévues aux présentes;
3 Aux termes de l’art. 5.01, le Syndicat reconnaît que la direction a le droit de gérer l’entreprise et de diriger son personnel, sous réserve seulement des dispositions expresses contraires de la convention collective. À première vue, l’art. 5.01 est suffisamment général pour comprendre le droit pour l’employeur de congédier un employé. En vertu de l’al. b), l’employé qui a réussi sa période d’essai peut présenter un grief s’il prétend avoir subi une peine disciplinaire sans motif valable. Le droit de l’appelant de gérer l’entreprise est donc subordonné à celui de l’employé qui a terminé sa période d’essai de ne pas être congédié sans motif valable. Aucune disposition ne limite le droit de l’employeur de congédier un employé à l’essai. Au contraire, sous la rubrique [traduction] « Procédure de règlement des griefs », l’al. 8.06a) prévoit que [traduction] « l’employeur peut, à son entière discrétion, congédier un employé à l’essai pour tout motif qu’il juge acceptable et une telle mesure ne peut faire l’objet d’un grief ni être soumise à l’arbitrage et ne constitue pas un différend entre les parties ».
4 Avant la fin de sa période d’essai, Mme O’Brien a pris un congé de maternité. Quelques jours après son retour au travail, elle a été congédiée. Le 26 juin 1998, elle a déposé devant le Syndicat un grief ainsi libellé :
[traduction] Je dépose un grief parce que j’ai été congédiée sans motif et que cette décision est arbitraire, discriminatoire, injuste et entachée de mauvaise foi.
À l’audience d’arbitrage, l’appelant a contesté en faisant valoir que le Conseil d’arbitrage (le « Conseil ») n’avait pas compétence sur la question faisant l’objet du grief. Il a affirmé que la convention collective indiquait clairement que les parties voulaient que le congédiement d’un employé à l’essai ne soit pas matière à arbitrage. Il a soutenu que les parties ont le droit de conclure un tel accord et que le Conseil commettrait une erreur de compétence s’il se prononçait sur le différend.
II. Les dispositions législatives pertinentes
5 Loi sur les normes d’emploi, L.R.O. 1990, ch. E.14
44 Nul employeur ne doit intimider, suspendre, mettre à pied ou congédier un employé ni lui imposer une peine disciplinaire ou prendre des sanctions à son égard du fait que celui‑ci est ou deviendra admissible à un congé de maternité ou à un congé parental ou du fait qu’il a l’intention de le prendre ou qu’il le prenne.
64.5 (1) Si un employeur conclut une convention collective, la Loi s’applique à l’employeur à l’égard des questions suivantes comme si elle faisait partie de la convention collective :
1. Une contravention à la Loi, ou l’inobservation de celle‑ci, qui est commise pendant que la convention collective est en vigueur.
. . .
(2) L’employé à qui une convention collective s’applique (y compris l’employé qui n’est pas membre du syndicat) n’a pas le droit de déposer ni de maintenir une plainte en vertu de la Loi.
(3) Malgré le paragraphe (2), le directeur peut permettre à un employé de déposer ou de maintenir une plainte en vertu de la Loi s’il estime qu’il est opportun de ce faire dans les circonstances.
(4) L’employé à qui une convention collective s’applique (y compris l’employé qui n’est pas membre du syndicat) est lié par une décision prise par le syndicat relativement à l’application de la Loi en vertu de la convention, y compris une décision de ne pas tenter d’appliquer la Loi.
Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, ch. 1, ann. A
48. (1) Chaque convention collective contient une disposition sur le règlement, par voie de décision arbitrale définitive et sans interruption du travail, de tous les différends entre les parties que soulèvent l’interprétation, l’application, l’administration ou une prétendue violation de la convention collective, y compris la question de savoir s’il y a matière à arbitrage.
. . .
(12) L’arbitre ou le président d’un conseil d’arbitrage, selon le cas, a le pouvoir :
a) d’exiger qu’une partie fournisse des détails avant ou pendant une audience;
b) d’exiger qu’une partie produise, avant ou pendant l’audience, des pièces ou des objets pouvant être pertinents;
c) de fixer la date de commencement des audiences et les dates où elles doivent se poursuivre;
d) d’assigner des témoins, de les contraindre à comparaître et à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, de la même manière qu’une cour d’archives en matière civile;
e) de faire prêter serment et de faire faire les affirmations solennelles,
et l’arbitre ou le conseil d’arbitrage, selon le cas, a le pouvoir :
f) de recevoir la preuve orale ou écrite qu’il estime, à sa discrétion, utile, qu’elle soit admissible ou non devant une cour de justice;
g) de pénétrer dans un local où les employés accomplissent ou ont accompli un travail ou dans lequel l’employeur exploite son entreprise, ou dans lequel se produisent ou se sont produits des événements relatifs à tout différend soumis à l’arbitre ou au conseil d’arbitrage, d’inspecter et d’examiner tout ouvrage, matériau, appareil, article ou toute machinerie qui s’y trouvent et d’interroger quiconque à ce sujet;
h) d’autoriser quiconque à exercer les pouvoirs énumérés à l’alinéa g) et de lui en faire rapport;
i) de rendre des ordonnances provisoires concernant des questions de procédure;
j) d’interpréter et d’appliquer les lois ayant trait aux droits de la personne ainsi que les autres lois ayant trait à l’emploi, malgré toute incompatibilité entre ces lois et les conditions de la convention collective.
Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19
5 (1) Toute personne a droit à un traitement égal en matière d’emploi, sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, l’existence d’un casier judiciaire, l’état matrimonial, le partenariat avec une personne de même sexe, l’état familial ou un handicap.
III. Les jugements antérieurs
A. Décision arbitrale (1er février 1999)
6 Le Conseil conclut à la majorité que la convention collective, considérée isolément, ne restreint nullement le droit de l’employeur de congédier des employés à l’essai. Le texte de la convention collective indique clairement que les parties ne veulent pas que le congédiement d’un employé à l’essai soit soumis à l’arbitrage.
7 Les membres majoritaires du Conseil examinent ensuite l’effet de l’al. 48(12)j) de la Loi de 1995 sur les relations de travail (« LRT »). D’après le Conseil, cette disposition oblige et habilite un conseil d’arbitrage à interpréter les conventions collectives selon le Code des droits de la personne. Autrement dit, l’al. 48(12)j) importe les droits substantiels reconnus par le Code des droits de la personne dans les conventions collectives qui relèvent de la compétence de l’arbitre. Le Conseil décide donc à la majorité qu’il a le pouvoir et la responsabilité d’entendre et de trancher la question précise de savoir si la discrimination a constitué un facteur dans le congédiement de Mme O’Brien.
8 Le conseiller O’Byrne est dissident parce qu’il estime que l’al. 48(12)j) de la LRT ne peut être invoqué que si l’arbitre a d’emblée compétence. À son avis, le fait que le différend ne concerne pas les dispositions expresses de la convention collective suffit pour trancher la question. Il conclut que le Conseil n’a pas compétence pour régler le différend.
B. Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) (2000), 131 O.A.C. 122
9 À propos d’une demande de contrôle judiciaire, le juge O’Leary statue que l’al. 48(12)j) de la LRT habilite le conseil d’arbitrage à interpréter et à appliquer le Code des droits de la personne s’il a déjà compétence pour entendre un grief, mais seulement dans ce cas. Selon cette interprétation, le Conseil n’a compétence qu’à l’égard des différends entre les parties que soulèvent l’interprétation, l’application, l’administration ou une prétendue violation des dispositions expresses de la convention collective. Comme le grief n’est pas un différend découlant de la convention collective, le juge O’Leary considère que le Conseil n’a pas compétence pour trancher le litige. Si le différend ne concerne pas la teneur même de la convention collective, l’al. 48(12)j) ne s’applique pas.
C. Cour d’appel de l’Ontario (2001), 54 O.R. (3d) 321
10 Selon le juge Morden, la Cour divisionnaire a interprété trop restrictivement l’al. 48(12)j) de la LRT. À son avis, cette disposition oblige les arbitres à interpréter les conventions collectives en tenant compte des dispositions législatives pertinentes. Les conventions collectives doivent être interprétées d’après les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi. Les dispositions du Code des droits de la personne l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute convention collective. Appliquant ce raisonnement aux faits de l’espèce, le juge Morden considère que le droit conféré par la convention collective à l’employeur de congédier un employé à l’essai « pour tout motif qu’il juge acceptable » contrevient directement au par. 5(1) du Code des droits de la personne. Il conclut qu’il convient d’atténuer l’interprétation de l’art. 8.06 de sorte qu’il ne confère pas le pouvoir de congédier une personne pour des motifs discriminatoires.
11 En fin de compte, le juge Morden choisit toutefois de ne pas utiliser l’analyse qui précède pour trancher l’appel parce qu’il estime que l’exigence d’une incompatibilité explicite entre la loi et la convention collective pourrait donner lieu à une certaine incongruité. En effet, l’arbitre pourrait, selon lui, conclure que le différend est arbitrable et le trancher en fonction d’une loi non constitutive lorsque les parties ont prévu quelque chose qui est incompatible avec la loi, mais non lorsqu’elles n’ont rien prévu relativement à cette question. Soulignant que cette caractéristique de l’al. 48(12)j) donne lieu à une incertitude quant à sa portée, le juge Morden décide de ne pas se fonder sur cette disposition pour trancher l’affaire.
12 Le juge Morden se fonde plutôt sur la Loi sur les normes d’emploi (« LNE »), qui constitue selon lui un argument bien plus solide. Il fait tout d’abord remarquer que l’art. 44 de la LNE prévoit qu’un employeur ne peut congédier un employé qui prend un congé de maternité ou un congé parental. Il souligne ensuite qu’en vertu du par. 64.5(1) de la LNE, les dispositions de la loi s’appliquent à l’employeur comme si elles faisaient partie de la convention collective. La LNE étant directement incorporée dans la convention collective, le juge Morden conclut que le Conseil a compétence pour déterminer si le congédiement de Mme O’Brien contrevient à l’art. 44 de la LNE.
13 Le juge Morden rejette l’argument de l’appelant que la cour ne devrait pas trancher l’affaire en se fondant sur la LNE, celle‑ci n’ayant pas été invoquée devant le Conseil; à son avis, l’appelant ne subirait aucun préjudice si l’affaire était tranchée de cette manière. Ayant conclu que le Conseil avait compétence pour connaître du grief, le juge Morden accueille l’appel et rend une ordonnance par laquelle il rejette la demande de contrôle judiciaire.
IV. Les questions en litige
14 La question principale en l’espèce concerne la conclusion du Conseil que le grief de Mme O’Brien est arbitrable. Pour le contrôle de cette conclusion, il faut d’abord essentiellement se demander si les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans une convention collective relevant de la compétence du Conseil. Il faut ensuite se demander si la Cour d’appel a eu raison de décider qu’il y a matière à arbitrage du fait que les droits et obligations substantiels prévus par la LNE sont incorporés dans la convention collective.
15 Je souligne en outre que la Commission ontarienne des droits de la personne est intervenue en l’espèce afin de s’assurer que sa compétence ne soit pas écartée parce que l’employée lésée est assujettie à une convention collective à l’égard de laquelle le Conseil a compétence. Elle fait valoir que, si la Cour conclut que le grief est arbitrable, le Conseil et elle‑même ont compétence concurrente. À mon sens, il est inutile de trancher cette question pour le moment. Par conséquent, en concluant que l’arbitre des griefs a le pouvoir et la responsabilité de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne en l’espèce, je ne statue pas sur la question de savoir si la compétence de la Commission des droits de la personne est écartée par celle du Conseil.
V. Analyse
A. Quelle est la norme de contrôle appropriée?
16 Quand un conseil d’arbitrage est appelé à décider s’il y a matière à arbitrage, il est bien établi que la cour de révision ne peut intervenir qu’en cas d’erreur manifestement déraisonnable. Voir, par exemple, Volvo Canada Ltd. c. T.U.A., local 720, [1980] 1 R.C.S. 178, Douglas Aircraft Co. of Canada c. McConnell, [1980] 1 R.C.S. 245, Dayco (Canada) Ltd. c. TCA‑Canada, [1993] 2 R.C.S. 230, et Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487.
17 Ce degré élevé de retenue judiciaire à l’égard des décisions des conseils d’arbitrage des griefs est nécessaire pour maintenir l’intégrité de l’arbitrage des griefs. Comme le dit le juge Cory dans Conseil de l’éducation de Toronto, précité, par. 36, « le but de l’arbitrage des griefs est d’assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends concernant l’interprétation ou l’application d’une convention collective, ainsi que les mesures disciplinaires prises par les employeurs ». C’est une exigence de paix et d’harmonie qui est fondamentale dans le domaine des relations industrielles et qui est importante pour les parties et l’ensemble de la société. La clause de protection contenue dans le par. 48(1) de la LRT est la reconnaissance législative que la nature fondamentale des conflits de travail commande un règlement rapide et définitif par des tribunaux possédant l’expertise voulue.
18 La norme du caractère manifestement déraisonnable est une norme très stricte à laquelle il n’est pas aisé de satisfaire. Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 57, la Cour expose ainsi la différence entre une décision « déraisonnable » et une décision « manifestement déraisonnable » :
La différence [. . .] réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui‑ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s'il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable. Comme l'a fait observer le juge Cory dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la p. 963, « [d]ans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini : “Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente” ». Cela ne veut pas dire, évidemment, que les juges qui contrôlent une décision en regard de la norme du caractère manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier. Si la décision contrôlée par un juge est assez complexe, il est possible qu'il lui faille faire beaucoup de lecture et de réflexion avant d'être en mesure de saisir toutes les dimensions du problème. [. . .] Mais une fois que les contours du problème sont devenus apparents, si la décision est manifestement déraisonnable, son caractère déraisonnable ressortira. [Je souligne.]
Voir aussi S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29.
B. La décision arbitrale était‑elle manifestement déraisonnable?
19 Comme l’a fait remarquer le juge La Forest dans Dayco, précité, p. 251, la convention collective est le « fondement » de la compétence de l’arbitre des griefs. En l’absence d’une violation de la convention collective, l’arbitre des griefs n’a pas compétence; si la conduite reprochée ne constitue pas une violation de la convention collective, aucun motif ne permet de conclure que le différend est arbitrable.
20 En l’espèce, les parties sont convenues que les dispositions expresses de la convention collective en question ne restreignent aucunement le droit de l’employeur de congédier un employé à l’essai. Le Syndicat soutient toutefois que le par. 5(1) du Code des droits de la personne est implicite dans la convention collective entre les parties. Si tel est le cas, il est certain que le congédiement discriminatoire d’un employé à l’essai est arbitrable. Aux termes du par. 5(1), toute personne a droit à un traitement égal en matière d’emploi sans discrimination. Le grief de Mme O’Brien — elle aurait été congédiée pour des motifs discriminatoires — est nettement visé par le par. 5(1) du Code des droits de la personne. Si le par. 5(1) est implicite dans la convention collective entre les parties, le grief est nettement visé également par la convention collective. Mais si le par. 5(1) du Code des droits de la personne n’est pas incorporé dans la convention collective entre les parties, il est tout aussi évident que le renvoi discriminatoire d’un employé à l’essai n’est pas arbitrable.
21 Il est donc essentiel de déterminer à l’audience d’arbitrage si les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle le Conseil a compétence. Autrement dit, c’est seulement une fois que cette question aura été tranchée que les contours du problème se préciseront. Il s’agit là, à mon sens, d’une question que le Conseil doit trancher correctement. Comme la Cour l’a conclu dans Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, par. 49, il peut arriver que la décision d’un tribunal puisse être considérée comme raisonnable s’il a tranché correctement une question de droit en rendant cette décision. Si la question critique que le tribunal doit trancher est une question de droit qui échappe à son domaine d’expertise et que le législateur n’entendait pas lui confier, le tribunal doit trancher cette question correctement.
22 La question de savoir si les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle le Conseil a compétence n’est pas, selon moi, une question que le législateur entendait lui confier. L’expertise du Conseil ne réside pas dans les questions juridiques de portée générale, mais bien dans l’interprétation de conventions collectives et le règlement de conflits factuels y afférents. Voir, par exemple, Dayco, précité, p. 266, et Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, p. 336. Examiner si les droits et obligations substantiels prévus par une loi non constitutive sont incorporés dans une convention collective est une question de droit de portée générale qui déborde le domaine d’expertise fondamental de l’arbitre. Bien que le Conseil soit compétent pour décider si les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans la convention collective, la Cour a le droit d’intervenir s’il tranche la question incorrectement.
23 Pour les motifs exposés ci‑après, je juge que le Conseil a eu raison de conclure que les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle il a compétence. En vertu d’une convention collective, le droit général de l’employeur de gérer l’entreprise et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi aux dispositions du Code des droits de la personne et aux autres lois sur l’emploi.
(1) La jurisprudence
24 L’arrêt de principe exposant l’effet que les lois sur l’emploi ont sur la teneur des conventions collectives est McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517. Avant cet arrêt, on estimait généralement qu’un arbitre n’était pas autorisé à appliquer des lois dans le cadre de l’arbitrage si ce n’était pour l’aider à interpréter une convention collective : D. J. M. Brown et D. M. Beatty, Canadian Labour Arbitration (éd. feuilles mobiles), p. 2‑60. Selon ce point de vue, l’arbitre n’avait d’autre choix que d’interpréter et d’appliquer une convention collective conformément à ses dispositions expresses. Si le manquement allégué ne constituait pas une violation d’une disposition expresse de la convention collective, il n’y avait pas matière à arbitrage. Dans McLeod, la Cour a toutefois conclu qu’il est nécessaire d’aller au‑delà de la convention collective afin d’établir les droits et obligations substantiels des parties visées par la convention.
25 Dans McLeod, l’employé appelant a allégué avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir refusé de travailler plus de 48 heures dans une même semaine. La convention collective liant les parties contenait une clause générale sur les droits de gestion indiquant expressément que le contrôle des opérations et du personnel, y compris le droit d’imposer des peines disciplinaires ou d’établir le calendrier des opérations, était du ressort exclusif de l’employeur, sous réserve seulement des dispositions expresses de la convention collective. Aucune disposition de la convention collective ne limitait le droit de l’employeur d’exiger qu’un employé travaille plus de 48 heures par semaine. L’arbitre a conclu qu’en l’absence d’une disposition limitant le pouvoir général conféré à l’employeur, ce dernier avait le droit, dans la mesure où la convention collective était concernée, d’imposer une peine disciplinaire à l’employé qui refusait de travailler au‑delà de 48 heures dans une semaine.
26 La Cour a toutefois statué que l’arbitre doit aller au‑delà de la convention collective pour déterminer les limites du pouvoir de gestion des opérations que possède l’employeur. En vertu d’une convention collective, ce droit est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention, mais aussi aux dispositions législatives comme le par. 11(2) de la Employment Standards Act, 1968, S.O. 1968, ch. 35 (la « Loi de 1968 »). Le juge Martland dit à la p. 523 :
La disposition fondamentale de la Loi est celle qui fixe la durée maximum du travail d’un employé à huit heures par jour et à quarante‑huit heures par semaine. Toute disposition d’une convention qui prétendrait donner à l’employeur un droit non restreint d’exiger de ses employés du travail au‑delà de cette durée serait illégale, et les dispositions de l’art. 2.01 de la convention collective, qui prévoit que certains droits de la gestion demeurent du ressort de la compagnie, ne peuvent pas, dans la mesure où elles conservent à la compagnie le droit d’exiger du travail supplémentaire de ses employés, habiliter celle‑ci à demander qu’ils travaillent au‑delà de cette durée maximum.
En d’autres termes, l’absence d’une disposition qui interdit expressément à l’employeur d’exiger qu’un employé travaille plus de 48 heures par semaine ne signifie pas que le droit de gestion des opérations comporte le droit de violer le par. 11(2) de la Loi de 1968. Les droits de gestion doivent être exercés non seulement conformément aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi conformément aux droits conférés à l’employé par la loi. Le juge Martland a ajouté : « [d]e par l’effet de la Loi, le droit d’exiger d’un employé quelconque qu’il travaille au‑delà d’une période de quarante‑huit heures par semaine avait été retiré à l’employeur et devenait assujetti aux droits de l’employé prévus au par. (2) de l’art. 11 » (p. 524).
27 Le juge Major est d’avis que cet arrêt permet d’affirmer que le syndicat et l’employeur ne peuvent conclure une convention contraire à la loi. Cette règle, dit‑il, n’est que l’application moderne d’une ancienne règle selon laquelle les tribunaux ne forceront pas l’exécution de contrats illégaux ou contraires à l’ordre public. Cela est peut‑être vrai, mais je crois qu’il importe d’analyser attentivement ce qui était répréhensible dans la convention collective en cause dans McLeod. Dans cette affaire‑là, la convention collective ne précisait pas expressément que l’employeur était autorisé à obliger un employé à travailler plus de 48 heures par semaine. Elle renfermait cependant une clause générale sur les droits de gestion reconnaissant que le contrôle des opérations et du personnel, y compris le droit d’imposer des peines disciplinaires ou d’établir le calendrier des opérations, était du ressort de l’employeur. Ce qui était répréhensible dans la convention collective, c’est qu’elle conférait à l’employeur une autorité suffisamment générale pour comprendre le pouvoir pour l’employeur de violer les droits de ses employés prévus au par. 11(2) de la Loi de 1968.
28 En pratique, cela signifie que les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l’emploi sont contenus implicitement dans chaque convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. Une convention collective peut accorder à l’employeur le droit général de gérer l’entreprise comme il le juge indiqué, mais ce droit est restreint par les droits conférés à l’employé par la loi. L’absence d’une disposition expresse qui interdit la violation d’un droit donné ne permet pas de conclure que la violation de ce droit ne constitue pas une violation de la convention collective. Les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi fixent plutôt un minimum auquel l’employeur et le syndicat ne peuvent pas se soustraire par contrat.
29 Par conséquent, on ne peut pas déterminer les droits et obligations substantiels des parties à une convention collective en se reportant uniquement aux intentions réciproques qu’ont exprimées les parties contractantes dans la convention. En vertu de l’arrêt McLeod, certaines dispositions sont implicites dans la convention, quelles que soient les intentions réciproques des parties contractantes. Plus précisément, il est interdit qu’une convention collective réserve le droit de l’employeur de gérer les opérations et de diriger le personnel autrement que conformément aux droits garantis par la loi aux employés, que ce soit expressément ou par omission de préciser les limites à ce que certains arbitres considèrent comme le droit inhérent de la direction de gérer l’entreprise comme elle le juge indiqué. Les droits reconnus aux employés par la loi constituent un ensemble de droits que les parties peuvent élargir mais auquel elles ne peuvent rien enlever.
30 D’une certaine manière, l’arrêt McLeod ne concorde pas avec le point de vue traditionnel selon lequel une convention collective est un contrat privé entre des parties égales et les parties à la convention sont libres de déterminer ce qui constitue ou non un différend arbitrable. Mais le souci de tenir compte de facteurs autres que l’intention exprimée par les parties se concilie avec le fait que la négociation collective et l’arbitrage ont une fonction qui est à la fois privée et publique. La convention collective est un contrat privé, mais un contrat qui sert une fonction publique : le règlement pacifique des conflits de travail. Voir, par exemple, le professeur P. Weiler, « The Remedial Authority of the Labour Arbitrator : Revised Judicial Version » (1974), 52 R. du B. can. 29, p. 31. Cette double fonction ressort du fait que le contenu d’une convention collective est fixé, en partie, par des lois non constitutives. Par exemple, le par. 48(1) de la LRT prescrit que chaque convention collective doit contenir une disposition sur le règlement, par voie de décision arbitrale définitive, de tout différend que soulève cette convention. Le paragraphe 64.5(1) de la LNE prévoit que cette loi s’applique à l’employeur comme si elle faisait partie de la convention collective. Dans chaque convention collective, certaines exigences procédurales et certains droits et obligations substantiels sont obligatoires. Dans McLeod, la Cour a déterminé que c’est le cas notamment de l’obligation pour l’employeur d’exercer ses droits de gestion conformément aux droits reconnus aux employés par la loi.
(2) Application de la jurisprudence
31 Comme dans McLeod, la convention collective en cause en l’espèce reconnaît expressément le droit général de l’employeur de gérer l’entreprise et de diriger le personnel comme il le juge indiqué, sous réserve seulement des dispositions expresses contraires. Sous la rubrique [traduction] « Droits de gestion », l’art. 5.01 prévoit ce qui suit :
[traduction]
5.01 Le Syndicat reconnaît que la gestion des opérations et la direction du personnel sont déterminées exclusivement par l’employeur et demeurent exclusivement la prérogative de l’employeur, sauf disposition expresse contraire de la présente convention. . .
Selon le point de vue traditionnel, les droits de gestion reconnus dans cette disposition sont illimités, sauf dispositions expresses contraires de la convention collective. En l’absence, dans la convention collective, d’une disposition qui limite le droit de l’employeur de congédier un employé à l’essai pour des motifs discriminatoires, le grief de Mme O’Brien est non arbitrable.
32 En vertu de l’arrêt McLeod, une convention collective ne peut pas accorder à l’employeur le droit de violer les droits reconnus aux employés par la loi. Au contraire, le pouvoir général de l’appelant de gérer les opérations et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention, mais aussi aux droits reconnus aux employés par la loi. Tout comme la convention collective dans McLeod ne pouvait pas accorder à l’employeur le droit d’exiger des heures supplémentaires au‑delà de 48 heures, la convention collective en l’espèce ne peut pas conférer à l’appelant le droit de renvoyer un employé pour des motifs discriminatoires. En vertu d’une convention collective, comme sous le régime des lois d’application générale, le droit de diriger le personnel ne comprend pas celui de congédier un employé à l’essai pour des motifs discriminatoires. L’obligation de l’employeur de gérer l’entreprise et de diriger le personnel est subordonnée non seulement aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi aux droits reconnus aux employés par la loi, y compris le droit à un traitement égal, sans discrimination.
33 La caractéristique qui distingue la présente affaire de McLeod est qu’il y a davantage d’éléments de preuve indiquant que les parties à la convention se sont spécifiquement penchées sur la question qui fait l’objet du grief et ont convenu qu’elle n’était pas arbitrable. Dans McLeod, la convention collective contenait une clause générale sur les droits de gestion, mais ne traitait pas directement du droit de l’employeur d’exiger que ses employés travaillent plus de 48 heures par semaine. Il est donc difficile de prouver avec certitude que les parties voulaient toutes les deux que la convention collective accorde à l’employeur le droit d’exiger du temps supplémentaire en violation du par. 11(2) de la Loi de 1968. En l’espèce, la convention collective comporte une clause générale sur les droits de gestion et une mention expresse que [traduction] « [m]algré toute disposition de la présente convention, l’employeur peut, à son entière discrétion, congédier un employé à l’essai pour tout motif qu’il juge acceptable et une telle mesure ne peut faire l’objet d’un grief ni être soumise à l’arbitrage et ne constitue pas un différend entre les parties ». On pourrait considérer que l’al. 8.06a) est l’expression explicite de la volonté réciproque des parties que le congédiement discriminatoire d’un employé à l’essai ne puisse être soumis à l’arbitrage.
34 En réponse à cet argument, il me faut préciser que je ne suis pas tout à fait à l’aise avec l’idée de prêter cette intention aux parties. Même si le libellé de l’al. 8.06a) est général, on ne peut pas établir automatiquement que les parties en sont arrivées à conclure d’un commun accord que le congédiement discriminatoire d’un employé à l’essai est non arbitrable. À mon avis, il est plus probable que leur intention réciproque était de confirmer le droit de congédier un employé à l’essai qui n’exécute pas ses tâches à la satisfaction de l’employeur. Comme le juge O’Leary l’a fait observer à juste titre, il est parfois difficile pour un employeur d’évaluer un candidat sans tout d’abord l’embaucher pour une période d’essai; il n’est pas déraisonnable que l’employeur ait le droit d’examiner si l’employé à l’essai a rempli correctement les exigences du poste. J’estime qu’il est toutefois peu probable que les parties aient eu l’intention commune de confirmer le droit de l’employeur de congédier un employé à l’essai pour l’un des motifs relatifs aux droits de la personne, c’est‑à‑dire la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, l’existence d’un casier judiciaire, l’état matrimonial, le statut de partenaire de même sexe, l’état familial ou un handicap.
35 Quoi qu’il en soit, même si l’al. 8.06a) démontre effectivement que les parties ne voulaient pas que le congédiement discriminatoire d’un employé à l’essai soit matière à arbitrage, j’estime que le grief de Mme O’Brien est arbitrable. Et ce, notamment, parce que le par. 48(1) de la LRT prévoit que chaque convention collective doit contenir une disposition sur le règlement, par voie de décision arbitrale définitive, de tout différend entre les parties que soulève cette convention. Le paragraphe 48(1) interdit aux parties de prendre des dispositions stipulant qu’une violation de la convention collective est non arbitrable. Par suite de l’application du par. 5(1) du Code des droits de la personne, le droit des employés à l’essai à un traitement égal, sans discrimination, est implicite dans la convention collective. Le congédiement discriminatoire d’un employé à l’essai constitue donc une violation de cette convention. Dans la mesure où il établit que l’allégation que le congédiement discriminatoire d’un employé à l’essai est non arbitrable, l’al. 8.06a) est nul parce qu’il est contraire au par. 48(1) de la LRT.
36 Ce qui est plus fondamental, c’est que l’interprétation de l’al. 8.06a) selon laquelle elle traduit une intention commune contrevient au principe qu’en vertu d’une convention collective, le droit de l’employeur de gérer les opérations et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi aux droits reconnus aux employés par la loi, peu importe les intentions subjectives des parties. Dans McLeod, la Cour dit que toute disposition visant à conférer à l’employeur le droit d’exiger que des employés travaillent plus de 48 heures par semaine est nulle. La même logique s’applique à toute disposition visant à conférer à l’employeur le droit de congédier un employé à l’essai pour des motifs discriminatoires. Même si les parties à la convention avaient adopté une disposition substantielle indiquant clairement que, dans la mesure où la convention collective est concernée, l’employeur a le droit de congédier un employé à l’essai pour des motifs discriminatoires, cette disposition serait nulle. En termes simples, certains droits et obligations existent indépendamment des intentions subjectives des parties. Il s’agit notamment du droit de l’employé à un traitement égal, sans discrimination, et de l’obligation correspondante de l’employeur de ne pas congédier un employé pour des motifs discriminatoires. Toute conclusion contraire affaiblirait la protection des droits de la personne en milieu de travail syndiqué en permettant aux employeurs et aux syndicats de traiter cette protection comme si elle était optionnelle, ce qui ne laisserait comme seul recours qu’une action en matière de droits de la personne.
37 L’effet de mon analyse est de modifier l’al. 8.06a). Selon cette analyse, la seule question qui n’oppose pas les parties porte sur le fait que l’employeur puisse, « à son entière discrétion légitime, congédier un employé à l’essai pour tout motif légitime qu’il juge acceptable ». Tout exercice de ce pouvoir discrétionnaire qui ne respecte pas les droits reconnus à l’employé à l’essai par le Code des droits de la personne et les autres lois sur l’emploi constitue un différend arbitrable selon la convention collective.
(3) Alinéa 48(12)j) de la LRT
38 Comme il a été déterminé que McLeod a établi que le droit de l’employeur de gérer les opérations et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective mais aussi au droit de chacun des employés à un traitement égal, sans discrimination, il s’agit de savoir si ce principe s’applique en vertu de l’al. 48(12)j) de la LRT. Autrement dit, l’adoption de l’al. 48(12)j) a‑t‑elle écarté ou restreint de quelque manière que ce soit les principes établis dans McLeod? Si ce n’est pas le cas, le Conseil a eu raison de conclure que les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont implicites dans une convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence.
39 Tout d’abord, je pense qu’il est utile d’insister sur la présomption que le législateur n’a pas l’intention de modifier le droit existant ni de s’écarter des principes, politiques ou pratiques établis. Dans Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614, par exemple, le juge Fauteux (plus tard Juge en chef) écrit : [traduction] « le législateur n’est pas censé s’écarter du régime juridique général sans exprimer de façon incontestablement claire son intention de le faire, sinon la loi reste inchangée ». Dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) écrit que « le législateur n’est pas censé, à défaut de disposition claire au contraire, avoir l’intention de modifier les règles de droit commun pré‑existantes ».
40 À mon avis, l’al. 48(12)j) n’indique pas clairement que le législateur avait l’intention de modifier les principes susmentionnés. Bien au contraire. Je crois que les modifications à la loi confirment que les arbitres des griefs ont non seulement le pouvoir mais aussi la responsabilité de mettre en œuvre et de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi comme s’ils faisaient partie de la convention collective. Si le droit de l’employeur de gérer les opérations et de diriger le personnel est subordonné à la fois aux dispositions expresses de la convention collective et aux droits reconnus aux employés par la loi, l’arbitre des griefs doit avoir le pouvoir de mettre en œuvre et de faire respecter ces droits.
41 Cette conclusion cadre bien avec la méthode moderne d’interprétation législative. Comme la Cour l’a maintes fois répété, la méthode appropriée d’interprétation législative est celle approuvée par le célèbre auteur E. A. Driedger, dans son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87 : [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». Voir, par exemple, Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21. L’examen de ces facteurs permet d’affirmer qu’en vertu de l’al. 48(12)j) de la LRT, l’arbitre a le pouvoir de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi qui, selon les principes juridiques établis dans McLeod, font partie de la convention collective.
(i) Le sens ordinaire de l’al. 48(12)j) de la LRT
42 Le principal facteur qui permet d’arriver à cette conclusion est le libellé même de l’al. 48(12)j), qui prévoit qu’un arbitre a le pouvoir « d’interpréter et d’appliquer les lois ayant trait aux droits de la personne ainsi que les autres lois ayant trait à l’emploi, malgré toute incompatibilité entre ces lois et les conditions de la convention collective ».
43 J’estime que le pouvoir d’interpréter et d’appliquer une loi comprend celui de mettre en œuvre et de faire respecter les droits et obligations substantiels qui y sont prévus. Selon le Trésor de la langue française (1974), t. 3, p. 302, le sens juridique de « appliquer » est « [m]ettre en pratique les dispositions d’une loi, d’un règlement dans tel cas particulier ». Le juge Major estime que ma conclusion ne respecte pas l’intention du législateur. À mon avis, le membre de phrase « d’interpréter et d’appliquer les lois ayant trait aux droits de la personne ainsi que les autres lois ayant trait à l’emploi » indique que le législateur entendait que l’arbitre ait le pouvoir non seulement de faire respecter les droits et obligations expressément prévus dans la convention collective, mais aussi ceux prévus dans les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi. Les motifs de mon collègue laissent entière la question de savoir à quel résultat s’attendait le législateur en incorporant explicitement dans la LRT le pouvoir de l’arbitre d’interpréter et d’appliquer les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi.
44 L’appelant fait valoir que le pouvoir d’interpréter et d’appliquer ces lois n’existe que lorsqu’il y a incompatibilité directe entre la convention collective et la loi. Selon son sens grammatical, l’al. 48(12)j) entraîne la conclusion exactement contraire. Cet alinéa ne prévoit pas que ce pouvoir n’existe que dans les cas où il y a incompatibilité entre la convention collective et la loi sur l’emploi, mais plutôt qu’il existe même en cas d’incompatibilité entre la convention et la loi. Il en découle manifestement que l’existence d’une incompatibilité entre la convention collective et une loi sur l’emploi n’est pas une condition préalable à l’exercice du pouvoir permettant de mettre la loi en application.
45 Pris isolément, le texte de l’al. 48(12)j) renforce les principes énoncés ci‑dessus, à savoir que le droit de l’employeur de gérer les opérations et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi aux droits reconnus à ses employés par la loi. Pour que cela soit possible, l’arbitre doit avoir le pouvoir de mettre en application et de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi. L’alinéa 48(12)j) n’écarte pas et ne restreint pas de quelque manière que ce soit les principes dont il a été question plus haut, mais, au contraire, il confirme que l’arbitre possède effectivement le pouvoir de mettre en application ces lois. De toute façon, j’estime que l’insertion, au chapitre des droits de gestion, d’une clause assez générale pour inclure le droit de la direction de congédier un employé à l’essai pour des motifs discriminatoires crée une incompatibilité entre la loi et la convention collective.
(ii) L’esprit de la Loi
46 L’appelant fait principalement valoir qu’un arbitre n’a le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi que s’il a déjà été déterminé qu’il a compétence sur la question faisant l’objet du grief. Selon l’appelant, l’arbitre tire essentiellement son pouvoir du par. 48(1), qui prévoit que chaque convention collective doit contenir une disposition sur le règlement, par voie de décision arbitrale définitive, de tout différend que soulève cette convention. Par contre, l’al. 48(12)j) énumère les pouvoirs que l’arbitre possède une fois qu’il a été déterminé qu’il y a matière à arbitrage. Selon cette conception, le pouvoir d’interpréter et d’appliquer d’autres lois fait simplement partie des neuf autres pouvoirs accessoires que l’arbitre peut exercer afin de régler un différend à l’égard duquel il a déjà compétence.
47 Je serais d’accord jusqu’à un certain point. La structure même de l’art. 48 semble effectivement indiquer que l’arbitre est censé interpréter et appliquer les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi afin de régler un différend arbitrable. Cette interprétation de l’al. 48(12)j) cadre bien avec le libellé de la disposition qu’il a remplacée, c’est‑à‑dire la disposition 45(8)3 de la Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1990, ch. L.2 :
45. . . .
(8) L’arbitre ou le conseil d’arbitrage procède au règlement définitif des différends entre les parties et, à cette fin, a les pouvoirs suivants :
. . .
3. Il peut interpréter et appliquer les exigences des lois ayant trait aux droits de la personne et des autres lois ayant trait à l’emploi, malgré toute incompatibilité entre ces exigences et les conditions de la convention collective. [Je souligne.]
L’ajout de l’expression « à cette fin » permet d’avancer que l’intention du législateur était que le grief doit être arbitrable avant que l’arbitre ait le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi.
48 Mais même s’il est vrai que le grief doit être arbitrable avant que l’arbitre ait le pouvoir d’interpréter et d’appliquer le Code des droits de la personne, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’une violation alléguée d’une disposition expresse d’une convention collective soit une condition préalable à son pouvoir de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l’emploi. En vertu de l’arrêt McLeod, le droit général de l’employeur de gérer les opérations et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective mais aussi aux droits reconnus à ses employés par la loi. Cela signifie que le droit d’un employé à l’essai à un traitement égal, sans discrimination, est implicite dans chaque convention collective. En contrepartie, cela veut dire que le congédiement d’un employé pour des motifs discriminatoires est effectivement un différend arbitrable et que l’arbitre a le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne pour régler ce différend.
49 Par conséquent, on ne peut pas déduire de l’esprit de la LRT que le législateur voulait écarter ou limiter de quelque manière que ce soit les principes juridiques établis dans McLeod. Les arguments de l’appelant concernant la structure de l’art. 48 se concilient avec la conclusion que les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont implicites dans chaque convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. S’il doit faire respecter par l’employeur son obligation d’exercer ses droits de gestion conformément aux dispositions législatives implicites dans chaque convention collective, l’arbitre doit avoir le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi. L’alinéa 48(12)j) confirme que l’arbitre possède effectivement ce pouvoir.
(iii) Considérations d’intérêt public
50 Pour ce qui est des considérations d’intérêt public, je ferai d’abord observer que l’attribution aux arbitres du pouvoir de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi permet de promouvoir les objectifs déclarés de la LRT, qui sont notamment la résolution rapide des conflits de travail. Comme la Cour l’a reconnu à de multiples reprises, le règlement rapide, définitif et exécutoire des conflits de travail revêt une importance fondamentale, tant pour les parties que pour l’ensemble de la société. Voir, par exemple, Heustis c. Commission d’énergie électrique du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768, p. 781, Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, p. 489, et Conseil de l’éducation de Toronto, précité, par. 36. Il est essentiel qu’il existe un moyen d’obtenir rapidement les décisions d’experts qui connaissent bien le milieu de travail, et que ces décisions puissent être considérées comme définitives et exécutoires par les deux parties.
51 Pour atteindre cet objectif, les gouvernements des provinces ont choisi l’arbitrage. Comme le dit le professeur P. Weiler, l’arbitrage est [traduction] à la fois « un antidote aux conflits de travail et [. . .] un instrument permettant d’obtenir justice en matière d’emploi » : Reconcilable Differences : New Directions in Canadian Labour Law (1980), p. 91-92. Le principal avantage de l’arbitrage est qu’il permet le règlement rapide, informel et peu coûteux des conflits de travail par un tribunal qui possède une expérience considérable du règlement de ce genre de différends. L’arbitrage offre à la fois l’accessibilité et l’expertise, deux attributs qui augmentent les chances d’obtenir un résultat équitable avec une perturbation minimale des rapports employeur‑employé. La reconnaissance du pouvoir des arbitres de faire respecter les droits conférés par la loi à l’employé sert essentiellement deux objectifs : (i) assurer la paix dans le domaine des relations industrielles et (ii) protéger les employés contre un usage abusif du pouvoir de gestion.
52 L’attribution aux arbitres du pouvoir de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi comporte en outre l’avantage de renforcer la protection des droits de la personne. Comme le juge Major le fait remarquer à juste titre, s’il n’y a pas matière à arbitrage, les employés lésés disposeront, pour défendre leurs droits fondamentaux de la personne, des mêmes mécanismes que tout autre membre de la société : ils peuvent déposer une plainte devant la Commission des droits de la personne. Mais le fait qu’il existe déjà un forum pour le règlement des conflits touchant les droits de la personne ne veut pas dire que l’attribution aux arbitres du pouvoir de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne ne permet pas de renforcer davantage la protection des droits de la personne. Comme je l’ai dit précédemment, l’arbitrage a l’avantage d’offrir à la fois l’accessibilité et l’expertise. On peut raisonnablement supposer que l’existence d’une instance accessible et peu coûteuse pour le règlement des conflits en matière de droits de la personne augmentera la possibilité pour les employés lésés de faire valoir leur droit à un traitement égal, sans discrimination et, du même coup, encouragera l’observation du Code des droits de la personne.
53 Par contre, la Commission des droits de la personne possède vraisemblablement une plus grande expertise que les arbitres des griefs en matière de règlement des violations des droits de la personne. À mon sens, toutefois, les avantages considérables liés à l’existence d’une instance accessible et informelle permettant qu’une décision soit rapidement rendue sur des allégations de violation de droits de la personne au travail l’emportent sur toutes les inquiétudes qui peuvent exister à cet égard. Il est très important que de tels conflits soient réglés rapidement et d’une manière qui ne coupe pas les rapports entre les parties. De plus, cette expertise n’est pas statique mais, au contraire, elle évolue au fur et à mesure que le tribunal est appelé à se prononcer sur des questions de façon répétée. Certes, la Commission des droits de la personne possède à l’heure actuelle une plus grande expertise que le Conseil en ce qui a trait aux violations des droits de la personne, mais ce n’est pas un motif suffisant pour conclure que l’arbitre ne devrait pas avoir le pouvoir de faire respecter les droits et obligations prévus par le Code des droits de la personne.
54 Cette conclusion est étayée par le document de travail de 1991 intitulé Projet de réforme de la Loi de l’Ontario sur les relations de travail dans lequel le ministère du Travail propose que l’on devrait considérer que toutes les conventions collectives comprennent les interdictions relatives à l’emploi prévues dans le Code des droits de la personne (p. 53). Cela signifie que le gouvernement estime que les arbitres des griefs possèdent déjà une expertise suffisante pour se prononcer sur les allégations qu’un employeur a contrevenu au droit de l’employé à un traitement égal, sans discrimination. De même, dans ses observations devant la Cour, l’intervenante, la Commission des droits de la personne, dit qu’elle croit que l’arbitrage a un rôle important à jouer dans le règlement des litiges en matière de droits de la personne. Elle n’est pas intervenue parce que les arbitres ne devraient pas être habilités à régler ce genre de litige, mais plutôt parce que les arbitres et le Conseil devraient avoir compétence concurrente. Cela permet de penser que la Commission croit elle aussi que les arbitres possèdent une expertise suffisante pour connaître des violations alléguées des dispositions du Code des droits de la personne.
(4) Conclusion
55 Pour ces motifs, le Conseil a eu raison de conclure que les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. Vu cette interprétation, une violation alléguée du Code des droits de la personne constitue une violation alléguée de la convention collective et relève directement de la compétence du Conseil. Il n’y a donc aucune raison de modifier la décision du Conseil que la question faisant l’objet du grief de Mme O’Brien est arbitrable. Sa conclusion que le congédiement discriminatoire d’un employé à l’essai est matière à arbitrage n’est pas manifestement déraisonnable.
C. L’application par la Cour d’appel de la LNE
56 L’analyse qui précède suffit pour trancher le pourvoi. La conclusion du Conseil que la question faisant l’objet du grief de Mme O’Brien est arbitrable n’est pas manifestement déraisonnable et devrait être confirmée. Toutefois, même si rien ne permettait de conclure que la violation alléguée du Code des droits de la personne est arbitrable, je persisterais à croire que l’analyse de la Cour d’appel fournirait des motifs suffisants pour conclure que le grief de Mme O’Brien donne à juste titre matière à arbitrage.
57 Sur le plan substantiel, il n’y a aucun doute que l’application de l’art. 44 et du par. 64.5(1) de la LNE mène à la conclusion que la question faisant l’objet du grief de Mme O’Brien est arbitrable. En vertu du par. 64.5(1), les conditions de la LNE s’appliquent à l’employeur comme si elles faisaient partie de la convention collective. En vertu de l’art. 44, il est interdit à l’employeur de congédier une employée parce qu’elle a l’intention de prendre ou prend un congé de maternité. En vertu de l’effet combiné de l’art. 44 et du par. 64.5(1), chaque convention collective est réputée contenir une disposition qui interdit le congédiement d’une employée à l’essai parce qu’elle a pris ou elle a l’intention de prendre un congé de maternité. Ainsi, la question qui fait l’objet du grief de Mme O’Brien constitue clairement un différend que soulève une convention collective à l’égard de laquelle le Conseil a compétence.
58 L’appelant a toutefois opposé divers arguments à la décision de la Cour d’appel de trancher l’affaire en se reportant à l’art. 44 et au par. 64.5(1) de la LNE. Pour les motifs qui suivent, j’estime que ces arguments sont insuffisants pour empêcher le règlement du différend sur ce fondement.
(1) Les limites du contrôle judiciaire
59 Le premier argument opposé par l’appelant est que la Cour d’appel a outrepassé sa compétence en examinant une question qui n’avait pas été soulevée à l’audience initiale. Selon l’appelant, le contrôle porte sur la conclusion du Conseil que le par. 5(1) du Code des droits de la personne s’applique à l’employeur comme s’il faisait partie de la convention collective. D’après lui, la Cour d’appel avait le pouvoir d’examiner si, comme l’avait conclu le Conseil, le par. 5(1) du Code des droits de la personne s’applique à l’employeur, mais n’était pas habilitée à faire de même en ce qui concerne l’art. 44 de la LNE. Bien que je souscrive au principe général que, lors d’un contrôle judiciaire, la cour de justice doit se limiter à examiner la décision du tribunal, je ne suis pas d’accord avec la façon dont l’appelant a caractérisé la conclusion visée par le contrôle. Encore une fois, c’est la conclusion que le grief de Mme O’Brien est arbitrable qui est visée par le contrôle et non la conclusion du Conseil que le par. 5(1) du Code des droits de la personne s’applique à l’employeur.
60 Dans son examen d’une décision en fonction de la norme du caractère manifestement déraisonnable, la cour de révision doit prendre en considération le processus décisionnel global, notamment l’omission du tribunal de tenir compte de tous les facteurs et principes juridiques pertinents. Cela signifie qu’une décision sera manifestement déraisonnable si le tribunal tire une conclusion sans prendre en compte les principes juridiques ou les dispositions législatives manifestement pertinents quant à la question à trancher : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, par. 29. Par conséquent, le simple fait qu’un conseil d’arbitrage ait déterminé qu’un grief est arbitrable en s’appuyant sur des motifs qui ne sont pas fondés en droit ne mènera pas inexorablement à la conclusion que la décision arbitrale doit être annulée. S’il existe des motifs subsidiaires juridiquement corrects qui permettent de conclure que le grief est arbitrable, l’annulation de la décision sans tenir compte de ces motifs serait abusive.
61 En l’espèce, une fois que le Conseil a conclu qu’il y avait matière à arbitrage parce que le par. 5(1) du Code des droits de la personne est incorporé dans la convention collective, il était en fait inutile pour lui d’examiner l’effet possible de l’art. 44 et du par. 64.5(1) de la LNE. Mais s’il n’y avait eu aucun motif lui permettant de conclure que le par. 5(1) du Code des droits de la personne s’applique à l’employeur, le Conseil n’aurait pas pu décider que la question visée par le grief de Mme O’Brien était non arbitrable sans tout d’abord analyser l’effet possible de l’art. 44 et du par. 64.5(1) de la LNE. La Cour d’appel pouvait donc à bon droit tenir compte du fait que les droits et obligations substantiels prévus par la LNE sont incorporés directement dans chaque convention collective. Si elle avait maintenu la décision de la Cour divisionnaire d’annuler la décision arbitrale sans tenir compte de l’effet possible de l’art. 44 et du par. 64.5(1) de la LNE, on aurait pu soutenir qu’elle avait commis une erreur de droit.
62 Toutefois, même si la Cour d’appel pourrait, en théorie, trancher l’affaire sur ce fondement, l’appelant soutient que la LNE et la convention collective contiennent des dispositions procédurales qui empêchent le Syndicat de porter l’affaire en justice en faisant valoir que le manquement allégué constitue une violation de l’art. 44 de la LNE.
(2) Considérations de procédure
63 La principale observation de l’appelant relativement à cet argument est que le Syndicat ne peut pas légalement invoquer la LNE. Le paragraphe 64.5(4) de la LNE prévoit :
L’employé à qui une convention collective s’applique (y compris l’employé qui n’est pas membre du syndicat) est lié par une décision prise par le syndicat relativement à l’application de la Loi en vertu de la convention, y compris une décision de ne pas tenter d’appliquer la Loi.
Selon l’appelant, en vertu du par. 64.5(4), un syndicat est lié par sa décision antérieure de ne pas tenter de faire appliquer la LNE. D’après ce point de vue, le Syndicat intimé est lié par sa décision antérieure de ne pas tenter de faire appliquer l’art. 44 de la LNE à l’audience initiale. Toutefois, cette interprétation cadre mal tant avec le libellé qu’avec l’objectif fondamental de cette disposition.
64 Tout d’abord, le par. 64.5(4) indique clairement que l’employé est lié par la décision du syndicat relative à l’application de la Loi en vertu de la convention collective. Il ne prévoit cependant pas que le syndicat est lié par une décision de ne pas tenter de faire appliquer la LNE. Si l’objectif du par. 64.5(4) était de prévoir qu’un syndicat est lié par sa décision antérieure de ne pas tenter de faire appliquer la LNE, on peut supposer que le législateur aurait utilisé des termes l’indiquant. À première vue, le par. 64.5(4) vise non pas le Syndicat, mais plutôt l’employé; il n’a aucun rapport avec les cas où un syndicat est autorisé à tenter de faire appliquer la Loi.
65 Cette interprétation du par. 64.5(4) respecte non seulement son libellé mais aussi son objectif fondamental, qui est d’assurer que le syndicat est le seul responsable des questions relatives aux normes d’emploi soulevées pendant la durée d’une convention collective. Cela concorde avec les principes régissant les relations entre employés et employeurs. Par exemple, le par. 64.5(2) prévoit que l’employé auquel une convention collective s’applique n’a pas le droit de déposer ni de maintenir une plainte en vertu de la LNE. Par ailleurs, le par. 64.5(3) prévoit que, malgré le paragraphe (2), le directeur des normes d’emploi peut permettre à un employé de déposer ou de maintenir une plainte en vertu de la Loi s’il le juge indiqué dans les circonstances. Chacun de ces paragraphes semble indiquer qu’en vertu de la présomption par défaut, c’est le syndicat qui doit décider s’il y a lieu ou non de présenter un grief. Le paragraphe 64.5(4) vient renforcer ce principe en prévoyant qu’un employé est lié par la décision du syndicat de ne pas tenter de faire appliquer la LNE. Cette disposition n’a pas pour but d’obliger un syndicat à s’en tenir à sa décision antérieure de ne pas déposer de plainte en vertu de la LNE, mais plutôt de consacrer le principe qu’un employé visé par une convention collective n’a pas le droit de déposer ni de maintenir une plainte en vertu de la Loi.
66 Le paragraphe 64.5(4) n’a donc aucun effet en l’espèce. Il ne s’agit pas ici d’une employée qui tente de déposer ou de maintenir une plainte en vertu de la LNE malgré le fait que le Syndicat a décidé de ne pas tenter de faire appliquer les droits qui lui sont reconnus par la Loi. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner si le Syndicat a pris la « décision », pour reprendre le terme du par. 64.5(4), de ne pas tenter de faire appliquer la LNE.
67 L’appelant fait valoir comme moyen subsidiaire que le Syndicat ne peut tenter de faire appliquer l’art. 44 de la LNE, car il ne s’est pas conformé aux exigences procédurales de la convention collective. Selon l’al. 8.06a) de la convention, un grief en matière de congédiement doit préciser la disposition de la convention collective qui aurait été violée. Dans son grief initial, Mme O’Brien a toutefois simplement allégué qu’elle avait été congédiée « sans motif » et que la décision était « arbitraire, discriminatoire, injuste et entachée de mauvaise foi ». Elle n’y a pas soutenu que l’employeur avait violé l’art. 44 de la LNE ni qu’elle avait été congédiée parce qu’elle avait pris un congé de maternité. L’appelant prétend que l’omission du Syndicat d’alléguer que l’art. 44 de la LNE a été violé l’empêche d’invoquer ultérieurement cette disposition comme fondement éventuel de la responsabilité.
68 En règle générale, il est évidemment important que les parties à une convention collective se conforment aux exigences procédurales qui y sont prévues. Si un syndicat veut faire valoir que l’employeur a violé les droits reconnus à un employé par la loi, il doit, suivant la pratique généralement suivie, préciser la disposition de loi que l’employeur aurait violée. Cela dit, il importe de reconnaître le consensus général chez les arbitres que, dans la mesure du possible, un grief ne devrait pas être gagné ni perdu pour un vice de forme, mais plutôt en raison de son bien‑fondé. Dans Re Blouin Drywall Contractors Ltd. and United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 2486 (1975), 8 O.R. (2d) 103 (C.A.), p. 108, par exemple, le juge Brooke écrit :
[traduction] Certes, le conseil doit s’en tenir au grief dont il est saisi; celui‑ci doit toutefois être interprété libéralement de sorte que le grief véritable puisse être tranché et qu’il soit possible d’accorder la réparation appropriée pour donner effet aux dispositions de la convention et ce, que ce soit par une déclaration des droits ou des obligations, afin de verser des prestations ou d’assurer l’exécution des obligations, ou par l’octroi de l’indemnité pécuniaire requise afin de remettre les parties dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées si la convention avait été appliquée.
69 Cette approche a été reprise par de nombreux arbitres. Dans Spruce Falls Inc. and I.W.A.-Canada, Local 2995 (Trudel) (Re) (2002), 106 L.A.C. (4th) 41, p. 61, l’arbitre a fait remarquer qu’il faut [traduction] « interpréter le grief de manière que le “grief véritable” puisse être tranché et que la réparation appropriée soit accordée afin de régler les questions qui ont donné lieu au grief ». Dans Peel District School Board and O.P.S.T.F., District 19 (Havery) (Re) (2000), 84 L.A.C. (4th) 289, l’arbitre a rejeté la requête de l’employeur de rejeter le grief, pour le motif que celui‑ci n’avait subi aucun préjudice par suite de l’omission du syndicat de préciser la disposition de la convention collective dont on alléguait la violation. Voir aussi Re Harry Woods Transport Ltd. and Teamsters Union, Local 141 (1977), 15 L.A.C. (2d) 140, Aro Canada Inc. and I.A.M., Re (1988), 34 L.A.C. (3d) 255, et Liquid Carbonic Inc. and U.S.W.A., Re (1992), 25 L.A.C. (4th) 144. Ces décisions sont fondées sur l’idée que les exigences procédurales ne devraient pas être rigoureusement appliquées dans les cas où l’employeur ne subit aucun préjudice. Il est plus important de régler le différend d’ordre factuel qui est à l’origine du grief.
70 En l’espèce, l’employeur savait dès le départ que le grief portait essentiellement que Mme O’Brien avait été congédiée parce qu’elle avait pris un congé de maternité. Même si le grief écrit ne précisait pas que Mme O’Brien croyait avoir été congédiée parce qu’elle avait pris un congé de maternité ni que le manquement allégué constituait une violation de l’art. 44 de la LNE, l’employeur savait pertinemment que c’était le fondement factuel du grief. De plus, l’appelant a eu la possibilité de préparer et de présenter des observations sur ce point avant que la Cour d’appel détermine que le Conseil était autorisé à trancher le différend en se reportant à l’art. 44 de la LNE. Dans ce contexte, je conviens avec le juge Morden que la décision de la Cour d’appel de trancher l’affaire en se reportant à l’art. 44 de la LNE n’a causé aucun préjudice à l’employeur.
71 Ainsi, s’il avait été manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclure que le grief est arbitrable parce qu’il est habilité à appliquer le par. 5(1) du Code des droits de la personne comme s’il faisait partie de la convention collective, je ne crois pas qu’il aurait été incorrect pour la Cour d’appel de conclure que le grief était arbitrable parce que le manquement allégué constituait une violation de l’art. 44 de la LNE. Conclure que l’allégation de Mme O’Brien que la décision de la congédier était « arbitraire, discriminatoire, injuste et entachée de mauvaise foi » est suffisamment générale pour comprendre l’allégation qu’elle a été congédiée parce qu’elle a pris un congé de maternité permet d’assurer que le « grief véritable » soit tranché et que la question à l’origine du grief soit adéquatement réglée.
VI. Dispositif
72 Pour les motifs qui précèdent, le grief de Mme O’Brien est arbitrable. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Version française des motifs des juges Major et LeBel rendus par
73 Le juge Major (dissident) — Je ne peux en toute déférence souscrire aux motifs du juge Iacobucci.
74 L’ensemble des lois ayant trait à l’emploi et aux droits de la personne sont‑elles incorporées dans chaque convention collective? Les conventions collectives occupent une place importante dans les relations patronales‑syndicales au Canada. Les deux parties possédant de l’expérience dans diverses branches du droit du travail, dont les procédures de règlement des griefs, les tribunaux ne devraient intervenir qu’en cas de nécessité. En l’espèce, des solutions de rechange s’offraient aux parties. Celles‑ci ayant arrêté leur choix, la Cour d’appel n’aurait pas dû l’écarter de son propre chef. Puisque les tribunaux se doivent, à mon avis, de présumer que les parties peuvent circonscrire le périmètre de leurs ententes en l’absence de disposition législative dérogatoire expresse ou implicite et qu’il convient qu’elles soient liées, dans la forme et le fond, par le grief qu’elles ont déposé, j’accueillerais le pourvoi.
75 Je suis d’accord avec la façon dont le juge Iacobucci qualifie les faits en l’espèce. Toutefois, un survol de l’historique des procédures mettra les présents motifs en perspective.
I. Historique des procédures judiciaires
76 En juin 1998, Joanne O’Brien, « conseillère/travailleuse occasionnelle sur le terrain » ayant un statut d’employée à l’essai, est congédiée par le Conseil d’administration des services sociaux de Parry Sound. Elle dépose un grief, alléguant en termes généraux qu’elle a été victime de discrimination, en vertu d’une convention collective entre le conseil de Parry Sound et le syndicat auquel elle appartient, le Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l’Ontario, section locale 324 (« SEEFPO »). Le conseil de Parry Sound fait valoir que Mme O’Brien n’a pas droit à l’arbitrage parce que, de façon explicite, la convention collective ne couvre pas le congédiement des employés à l’essai. Il soutient également que Mme O’Brien, qui n’a jamais mentionné la Loi sur les normes d’emploi, L.R.O. 1990, ch. E.14, dans son grief, n’a pas respecté les exigences procédurales énoncées à l’al. 8.06a) de la convention collective, qui lui prescrit d’invoquer [traduction] « les articles de la convention qui auraient été violés ». Puisque le par. 64.5(1) de la Loi précise qu’elle doit s’appliquer comme si elle faisait partie de la convention collective, le conseil de Parry Sound prétend qu’on aurait dû invoquer la Loi. Le syndicat réplique que le renvoi général à la discrimination dans le grief suffit, car Mme O’Brien ne s’appuie pas sur un article précis de la convention collective, mais plutôt sur l’incorporation implicite du Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19.
77 En février 1999, un conseil d’arbitrage conclut qu’il est habilité à examiner la question de savoir si Mme O’Brien a été victime de discrimination au regard du Code des droits de la personne. En janvier 2000, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) accueille la demande de contrôle judiciaire du conseil de Parry Sound, statuant que, puisque la convention ne couvre pas le congédiement des employés à l’essai, le conseil d’arbitrage n’a pas compétence sur le différend. Le syndicat interjette appel devant la Cour d’appel de l’Ontario.
78 Plusieurs mois après l’audience et des années après que le syndicat a initialement déposé le grief pour les motifs qu’il a définis, la Cour d’appel demande d’office aux parties de lui présenter des observations sur une nouvelle question : l’applicabilité de la Loi sur les normes d’emploi. En juin 2001, la Cour d’appel conclut, sur la base de ce nouvel argument, que le conseil d’arbitrage a compétence sur le grief. Dans des remarques incidentes, la cour tend à penser que la compétence de l’arbitre peut aussi trouver son assise dans l’incorporation implicite du Code des droits de la personne.
II. Questions en litige
79 Deux questions se posent dans le présent litige. Le Code des droits de la personne est‑il incorporé implicitement dans toutes les conventions collectives conclues sous le régime de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario, L.O. 1995, ch. 1, ann. A? Convenait‑il que la Cour d’appel, de son propre chef, fasse abstraction des exigences procédurales négociées par les parties et fonde une argumentation sur la Loi sur les normes d’emploi? Ne souscrivant pas aux motifs du juge Iacobucci, je répondrais aux deux questions par la négative.
80 Le juge Iacobucci conclut que le Code des droits de la personne est implicitement incorporé dans toutes les conventions collectives. Je ne partage pas cette conclusion. À moins que le législateur n’adopte une législation incorporant la substance de ses lois dans les conventions collectives, on doit présumer que syndicats et employeurs peuvent déterminer quels employés et différends sont couverts par la convention collective et ont donc accès à l’arbitrage obligatoire, dans la mesure où la convention n’entre pas en conflit avec une loi ou l’intérêt public. À défaut d’intervention législative, les tribunaux ne devraient pas, de leur propre initiative, modifier les termes d’une convention collective.
81 Le juge Iacobucci conclut également que la Loi sur les normes d’emploi peut s’appliquer au conseil de Parry Sound des années après le dépôt du grief initial, dont la procédure avait été négociée et convenue par les parties, parce que le conseil de Parry Sound n’en subirait aucun préjudice. Je ne puis souscrire à cette conclusion. Lorsque les parties ont négocié des garanties procédurales relativement aux délais, à la forme et au caractère spécifique des griefs, les tribunaux devraient s’abstenir d’intervenir. Le SEEFPO est une partie avisée, qui devrait être liée par sa décision de ne pas présenter de plainte en vertu de la Loi sur les normes d’emploi.
82 Mme O’Brien n’est pas sans recours. Elle peut faire appel aux mécanismes soigneusement conçus par le législateur pour assurer la défense de ses droits de la personne et elle peut porter plainte devant la Commission des droits de la personne. Le présent pourvoi ne met pas en cause des considérations touchant l’intérêt public et les droits de la personne. Il concerne la recherche de l’intention des parties et du législateur quant au forum où il convient de faire valoir ces droits.
III. Norme de contrôle
83 Je suis d’accord avec la façon dont le juge Iacobucci traite de la norme de contrôle : sur la question de savoir si le Code des droits de la personne est incorporé dans chaque convention collective, la décision de l’arbitre doit être correcte. Mais s’il a correctement jugé sur ce point, l’ensemble de sa décision ne peut alors être infirmé que si elle est manifestement déraisonnable.
IV. Le Code des droits de la personne est‑il incorporé dans toutes les conventions collectives?
A. L’intention des parties
84 Certains différends entre employeur et employé ne peuvent être soumis à l’arbitrage; selon le par. 48(1) de la Loi de 1995 sur les relations de travail, tous les différends entre les parties que soulève l’interprétation d’une convention collective doivent être soumis à l’arbitrage, « y compris la question de savoir s’il y a matière à arbitrage ». Une convention collective peut ne pas viser certaines décisions concernant des questions telles la formation ou les pensions, ou restreindre la portée des conditions de travail applicables à certains employés, tels les travailleurs temporaires. L’arbitre serait forcé de conclure qu’un différend de ce type n’est pas arbitrable.
85 En l’espèce, la convention collective ne couvre pas les griefs des employés à l’essai qui contestent leur congédiement. Comme pour tous les employés, les droits des employés à l’essai sont définis par la convention collective. L’une de ses dispositions prévoit que le droit de grief n’est pas reconnu aux employés à l’essai qui se plaignent d’avoir été congédiés pendant la période d’essai. L’alinéa 8.06a) de la convention collective dispose :
[traduction] Malgré toute disposition de la présente convention, l’employeur peut, à son entière discrétion, congédier un employé à l’essai pour tout motif qu’il juge acceptable et une telle mesure ne peut faire l’objet d’un grief ni être soumise à l’arbitrage et ne constitue pas un différend entre les parties.
Les termes « différend entre les parties » renvoient au libellé du par. 48(1) de la Loi de 1995 sur les relations de travail, lequel précise que les différends entre les parties doivent être soumis à l’arbitrage. L’intention des parties est claire : le conseil de Parry Sound et le SEEFPO ont explicitement choisi de ne pas prévoir dans leur convention collective que le congédiement des employés à l’essai pouvait être soumis à l’arbitrage. Le contrat est muet quant aux autres droits que l’employé ou le syndicat pourrait invoquer pour contester un congédiement ou y remédier.
B. L’intention du législateur
86 Le Code des droits de la personne accorde‑t‑il aux employés à l’essai des droits de grief en vertu de la convention collective malgré l’intention des parties de ne pas couvrir cette catégorie d’employés? Le nœud de la réponse à cette question réside dans l’interprétation juste du bref jugement rendu dans McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517.
87 Le juge Iacobucci dit que, selon McLeod, précité, toutes les lois ayant trait à l’emploi, y compris le Code des droits de la personne, sont implicitement incorporées dans chaque convention collective et que l’al. 48(12)j) de la Loi de 1995 sur les relations de travail a codifié cette interprétation tirée de la common law. Je conviens que la structure et le libellé de l’al. 48(12)j) ne traduisent aucune intention du législateur de modifier la règle de common law énoncée dans McLeod, mais mon opinion diffère quant à la substance de cette règle.
88 L’affaire McLeod portait sur un conflit entre une version antérieure de la Loi sur les normes d’emploi et une convention collective (Employment Standards Act, 1968, S.O. 1968, ch. 35). La loi antérieure exigeait que l’employé consente à faire des heures supplémentaires, mais la convention collective en cause dans McLeod donnait à la compagnie le pouvoir exclusif de gérer les opérations générales, notamment le droit « d’établir un calendrier des opérations, de les étendre, de les limiter, de les diminuer ou d’en refaire le calendrier lorsque, à sa seule discrétion, il lui apparaît raisonnable de le faire » (p. 521). La Cour a conclu, à la p. 523 :
Toute disposition d’une convention qui prétendrait donner à l’employeur un droit non restreint d’exiger de ses employés du travail au‑delà de cette durée serait illégale, et les dispositions [. . .] de la convention collective, qui prévoit que certains droits de la gestion demeurent du ressort de la compagnie, ne peuvent pas [. . .] habiliter celle‑ci à demander qu’ils travaillent au‑delà de cette durée maximum.
89 Le juge Iacobucci en dégage la proposition qu’« [e]n pratique, cela signifie que les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l’emploi sont contenus implicitement dans chaque convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence » (par. 28). Il dit plus loin qu’« une incompatibilité entre la convention collective et une loi sur l’emploi n’est pas une condition préalable à l’exercice du pouvoir permettant de mettre la loi en application » (par. 44) et conclut que toutes les protections prévues par la loi sont donc arbitrables en vertu de la convention collective, même si celle-ci ne vise pas le différend en cause.
90 J’arrive à une conclusion différente. Dans l’affaire McLeod, l’employeur se fondait sur le libellé explicite de la convention collective, qui lui donnait entière discrétion pour fixer les heures supplémentaires. Cette discrétion était en contradiction claire et directe avec la Loi sur les normes d’emploi de l’époque. La proposition qui se dégage de cet arrêt est plus limitée qu’il n’y paraît. On y conclut uniquement que le syndicat et l’employeur ne peuvent négocier une convention contraire à la loi. Cette règle n’est que l’application moderne d’une ancienne règle de common law en matière contractuelle : les tribunaux ne forceront pas l’exécution de contrats illégaux ou contraires à l’intérêt public. Voir Bank of Toronto c. Perkins (1883), 8 R.C.S. 603, où la Cour a refusé d’ordonner l’exécution d’un prêt garanti consenti en contravention de la Loi des banques. Les contrats de travail n’échappent pas à cette règle.
91 Le juge Iacobucci applique trop largement l’arrêt McLeod aux faits de l’espèce. Dans McLeod, une clause générale sur les droits de gestion a été jugée contraire aux droits reconnus aux employés par la Loi sur les normes d’emploi. Le juge Iacobucci conclut que « [t]out comme la convention collective dans McLeod ne pouvait pas accorder à l’employeur le droit d’exiger des heures supplémentaires au‑delà de 48 heures, la convention collective en l’espèce ne peut pas conférer à l’appelant le droit de renvoyer un employé pour des motifs discriminatoires » (par. 32).
92 Mais, ici, l’appelant n’invoque pas l’art. 5.01, qui accorde à la direction le pouvoir de congédier des employés à l’essai pour tout motif. Il invoque l’al. 8.06a), affirmant que les congédiements de ce type ne sont aucunement visés par la convention, qu’ils ne constituent pas un « différend » au sens de la Loi de 1995 sur les relations de travail et qu’ils ne sont donc pas arbitrables.
93 Cette distinction est cruciale. Dans McLeod, les parties avaient tenté de contourner explicitement les protections conférées par la loi, ce qui est clairement inadmissible. En l’espèce, les parties ont simplement décidé de ne pas conclure d’entente sur certains types de désaccords, choisissant explicitement de les soustraire à la compétence de l’arbitre. La règle de common law voulant que les parties ne puissent pas par convention aller à l’encontre de l’intérêt public n’exige pas qu’elles s’entendent pour soumettre à l’arbitrage les violations des droits conférés par la loi.
94 Selon cette interprétation plus restreinte de McLeod, précité, les directives législatives explicites l’emportent sur les dispositions contraires des conventions collectives, mais elles n’affectent pas la capacité des parties de définir les contours de leur entente. Les parties demeurent libres d’exclure certaines catégories d’employés, tels les employés à l’essai, à temps partiel ou temporaires, de certaines dispositions de la convention, tout comme elles conservent la faculté d’exclure certains types de différends de la compétence de l’arbitre. À cette fin, elles peuvent limiter la portée de la procédure de règlement des griefs pour certaines questions ou reconnaître qu’une partie conserve le droit de prendre unilatéralement une décision finale sur certaines questions.
95 Bien que ces conventions de travail soient conclues dans le cadre de la négociation collective établi par la Loi de 1995 sur les relations de travail, il s’agit essentiellement de contrats privés d’une grande importance pour le public. La décision d’y insérer des protections législatives est une décision sérieuse, bien qu’elle fasse clairement partie des prérogatives du législateur. Les tribunaux ne devraient pas modifier cette intention à la légère. Lorsque le législateur ontarien souhaite agir de la sorte, il sait comment le faire explicitement et clairement. Par exemple, le par. 64.5(1) de la Loi sur les normes d’emploi dispose :
Si un employeur conclut une convention collective, la Loi s’applique à l’employeur à l’égard des questions suivantes comme si elle faisait partie de la convention collective :
1. Une contravention à la Loi, ou l’inobservation de celle‑ci, qui est commise pendant que la convention collective est en vigueur.
Il n’existe pas de disposition équivalente dans le Code des droits de la personne.
96 Le juge Iacobucci dit dans ses motifs que le législateur doit avoir voulu que l’al. 48(12)j) confère aux arbitres compétence pour statuer sur des plaintes fondées sur les protections législatives. Mais, à mon sens, cette disposition, à la fin d’une longue liste de pouvoirs arbitraux incontestés (par exemple, le pouvoir d’ordonner la production de documents, celui de fixer des dates d’audience, d’assigner des témoins, de faire prêter serment, de recevoir des témoignages oraux ou écrits, etc.), ne fait que confirmer la règle énoncée dans McLeod. Les arbitres ne peuvent forcer l’application d’un contrat qui viole l’intérêt public en contournant les protections prévues par la loi. Interpréter cette disposition inoffensive comme si elle conférait le pouvoir extraordinaire de s’attribuer compétence sur toute plainte fondée sur une loi, malgré le désir manifeste des parties au contrat, est une subversion de l’intention du législateur. Si celui‑ci souhaitait élargir ainsi le pouvoir des arbitres, il aurait sûrement indiqué son intention plus clairement.
97 Il n’appartient pas à la cour mais plutôt au législateur de décider que des protections législatives particulières revêtent une importance telle qu’elles doivent être insérées dans chaque convention collective. La conclusion très large du juge Iacobucci repose sur une extension de la portée d’une affaire vieille de 30 ans et sur une conception inexplicable de l’intérêt public. Elle ne respecte pas l’intention des parties et du législateur et elle est incompatible avec la règle voulant que la cour laisse au législateur la charge de mettre en œuvre ce qui me semble constituer une nouvelle politique.
98 Une lecture plus restrictive de McLeod, précité, sert l’intérêt public. Elle permet aux employeurs et aux syndicats d’élaborer les ententes mutuellement avantageuses particulièrement adaptées à leur situation, sous réserve d’une directive législative explicite. Dans le présent pourvoi, une telle interprétation donne au conseil de Parry Sound la souplesse nécessaire pour embaucher des employés à l’essai, l’habilitant à réserver la gamme complète des avantages et des protections aux employés qui ont démontré leur valeur.
99 Cela ne signifie pas que les abus en matière de droits de la personne resteront impunis. Pour défendre leurs droits, les employés lésés disposeront des mêmes mécanismes que tout autre membre de la société : ils peuvent déposer une plainte devant la Commission des droits de la personne, comme le recommande l’employeur et comme l’a voulu le législateur.
100 Les conventions collectives sont l’aboutissement d’un processus de négociation parfois ardu. Le contenu de la convention peut refléter la reconnaissance du syndicat qu’il ne devrait pas être appelé à s’occuper de questions pour lesquelles il est mal outillé ou qui peuvent créer des conflits entre ses membres. Lorsqu’il existe ailleurs des recours, le silence de la convention peut traduire le souhait du syndicat de voir ces recours utilisés de préférence à ceux prévus dans la convention. Le silence de la convention ne signifie pas la privation d’un droit ou d’un recours. Par ailleurs, l’arbitrage des conflits de travail risque de ne pas être rapide ni rentable si la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage se trouve surchargée de questions que les parties n’entendent pas aborder par cette voie. La présente affaire parle d’elle‑même à cet égard.
101 Le congédiement de Mme O’Brien n’est pas matière à arbitrage parce que le syndicat et l’employeur ont convenu de ne pas inclure dans la convention collective le congédiement des employés à l’essai, et le législateur n’entendait pas exiger qu’ils le fassent. Elle doit défendre ses droits devant la Commission des droits de la personne, comme tout employé non visé par une convention collective.
V. L’argument tardif fondé sur la Loi sur les normes d’emploi
102 Comme le souligne le juge Iacobucci, il ne fait pas de doute que, si la section locale 324 du SEEFPO avait initialement déposé une plainte en vertu de l’art. 44 et du par. 64.5(1) de la Loi sur les normes d’emploi, cette plainte aurait été arbitrable. Toutefois, l’alinéa 8.06a) de la convention collective exige clairement du syndicat qu’il invoque [traduction] « les articles de la convention qui auraient été violés ». Le SEEFPO aurait donc dû invoquer l’art. 44 de la Loi sur les normes d’emploi, qui interdit la discrimination dans l’emploi fondée sur le « congé de maternité » et que le législateur a explicitement incorporé dans toutes les conventions collectives via le par. 64.5(1). Or, le SEEFPO a choisi de ne pas le faire. On aurait peut‑être pu remédier à l’omission d’invoquer la Loi sur les normes d’emploi ou la considérer comme un simple vice de procédure, mais le syndicat aurait au moins été tenu de soulever la question à l’étape de l’arbitrage.
103 À quatre étapes différentes, le syndicat a choisi de ne pas invoquer la violation de la Loi sur les normes d’emploi :
(i) au dépôt du grief en juin 1998,
(ii) à l’arbitrage en février 1999,
(iii) à son premier appel devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) en janvier 2000, et
(iv) à son second appel devant la Cour d’appel de l’Ontario.
Il s’agissait donc bel et bien d’une décision du syndicat de ne pas invoquer la Loi sur les normes d’emploi. Cette décision appartient au syndicat et à l’employé. Devant la Cour d’appel, l’employeur aurait dû pouvoir se fonder sur cette décision du syndicat. Malgré la décision du syndicat, la Cour d’appel a soulevé la question de son propre chef plusieurs mois après l’audience, a demandé des exposés à ce sujet et a tranché l’affaire sur la base de moyens qui n’avaient jamais été avancés dans le grief.
104 Le SEEFPO et le conseil de Parry Sound, deux entités averties, ont négocié une convention établissant certaines formalités procédurales — dont l’exigence que tout grief énonce avec précision l’article de la convention collective qui aurait été violé. De plus, la Loi sur les normes d’emploi dit clairement que c’est au syndicat et non au membre individuel qu’appartient la conduite d’une procédure de règlement des griefs en vertu de la Loi.
105 Texte du paragraphe 64.5(2) :
L’employé à qui une convention collective s’applique [. . .] n’a pas le droit de déposer ni de maintenir une plainte en vertu de la Loi.
106 Texte du paragraphe 64.5(4) :
L’employé à qui une convention collective s’applique [. . .] est lié par une décision prise par le syndicat relativement à l’application de la Loi en vertu de la convention, y compris une décision de ne pas tenter d’appliquer la Loi.
107 Le syndicat et Mme O’Brien devraient être liés par les plaintes spécifiques qu’ils ont déposées et par la manière dont ils l’ont fait. La Cour d’appel a commis une erreur en soulevant cette question, que les parties avaient décidé de ne pas invoquer.
VI. Conclusion
108 La plainte de Mme O’Brien fondée sur le Code des droits de la personne ne fait pas l’objet de la convention entre son employeur et son syndicat. Elle n’est donc pas arbitrable. Pour défendre ces droits, elle doit s’adresser à la Commission des droits de la personne.
109 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Major et LeBel sont dissidents.
Procureurs de l’appelant : Blake, Cassels & Graydon, Toronto.
Procureur de l’intimé : Syndicat des employées et employés de la fonction publique de l’Ontario, North York.
Procureur de l’intervenante : Commission ontarienne des droits de la personne, Toronto.