La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/06/2003 | CANADA | N°2003_CSC_32

Canada | Starson c. Swayze, 2003 CSC 32 (6 juin 2003)


Starson c. Swayze, [2003] 1 R.C.S. 722, 2003 CSC 32

Dr Russel Fleming Appelant

c.

Professeur Scott Starson, alias Scott Jeffery Schutzman Intimé

et

Société canadienne de schizophrénie, Centre de

toxicomanie et de santé mentale,

Mental Health Legal Committee et Mental

Health Legal Advocacy Coalition Intervenants

Répertorié : Starson c. Swayze

Référence neutre : 2003 CSC 32.

No du greffe : 28799.

2003 : 15 janvier; 2003 : 6 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobuc

ci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cou...

Starson c. Swayze, [2003] 1 R.C.S. 722, 2003 CSC 32

Dr Russel Fleming Appelant

c.

Professeur Scott Starson, alias Scott Jeffery Schutzman Intimé

et

Société canadienne de schizophrénie, Centre de

toxicomanie et de santé mentale,

Mental Health Legal Committee et Mental

Health Legal Advocacy Coalition Intervenants

Répertorié : Starson c. Swayze

Référence neutre : 2003 CSC 32.

No du greffe : 28799.

2003 : 15 janvier; 2003 : 6 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2001), 201 D.L.R. (4th) 123, 146 O.A.C. 121, 33 Admin. L.R. (3d) 315, [2001] O.J. No. 2283 (QL), qui a rejeté l’appel formé contre une décision de la Cour supérieure de justice (1999), 22 Admin. L.R. (3d) 211, [1999] O.J. No. 4483 (QL). Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Gonthier et LeBel sont dissidents.

Leslie McIntosh et Diana Schell, pour l’appelant.

Anita Szigeti, en qualité d’amicus curiae.

Daphne G. Jarvis et Barbara J. Walker‑Renshaw, pour l’intervenante la Société canadienne de schizophrénie.

Argumentation écrite seulement par Janice E. Blackburn et James P. Thomson, pour l’intervenant le Centre de toxicomanie et de santé mentale.

Marshall A. Swadron et Aaron A. Dhir, pour les intervenants Mental Health Legal Committee et Mental Health Legal Advocacy Coalition.

Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et des juges Gonthier et LeBel rendus par

La Juge en chef (dissidente) —

I. Introduction

1 Il s’agit en l’espèce de décider si la Commission du consentement et de la capacité de l’Ontario (« Commission ») a agi de façon déraisonnable en concluant que Scott Jeffery Schutzman (qui préfère se faire appeler « professeur Starson » ou simplement « Starson ») est, pour cause de maladie mentale, incapable suivant à la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, L.O. 1996, ch. 2, ann. A (« LCSS ») de consentir à un traitement. Je souscris à l’opinion du juge Major selon laquelle le critère de détermination de la capacité requiert davantage qu’une simple aptitude intellectuelle, ainsi qu’avec son opinion sur la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission. Toutefois, je n’estime pas que la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson était incapable de décider du traitement qu’il devait recevoir était déraisonnable. Contrairement au juge Major, je conclus que la Commission a bien appliqué les règles de droit pertinentes et qu’elle disposait d’amplement d’éléments de preuve lui permettant de conclure à l’incapacité. Par conséquent, j’accueillerais le pourvoi.

2 Le professeur Starson est un homme doté d’une intelligence exceptionnelle, qui a réalisé dans le passé des travaux remarquables dans le domaine de la physique et qui compte toujours des physiciens de renom parmi ses amis. Il souffre depuis longtemps de maladie mentale. Depuis 1985 au moins, il a dû être hospitalisé à de nombreuses reprises dans des établissements psychiatriques aux États‑Unis et au Canada. Sa maladie a occasionné chez lui des comportements étranges. La tendance qu’il a à proférer des menaces de mort contre des connaissances et des étrangers lui a souvent occasionné des problèmes avec la justice criminelle et c’est la raison pour laquelle il est présentement détenu. Le professeur Starson souffre de délires dont la gravité varie. Il parle de ses projets de diriger la [traduction] « Société Starson » à partir de l’unité d’observation dans laquelle il est hospitalisé; il affirme être [traduction] « à la fine pointe d’efforts déployés pour construire un vaisseau spatial »; il dit être un skieur et un adepte du tir au poignet (ou bras de fer) de calibre international; il prétend qu’il est le plus grand savant au monde et qu’il communique avec les extraterrestres. Le professeur Starson ne serait sans doute pas d’accord avec ce qui suit, mais sa maladie semble s’être aggravée et son état s’est détérioré.

3 Dans le passé, le professeur Starson a pris, à l’égard de sa maladie mentale, des médicaments qui ont permis de diminuer ses délires. Toutefois, ces médicaments produisaient des effets secondaires que le professeur Starson trouvait désagréables. Le plus grave de ces effets, de reprocher le professeur Starson, était qu’ils ralentissaient son esprit et diminuaient sa créativité. En raison de ses expériences antérieures avec des médicaments, le professeur Starson est décidé à refuser tout traitement fondé sur des médicaments. Il affirme catégoriquement que [traduction] « les médicaments ne lui procurent aucun effet bénéfique », et il refuse tout traitement à l’exception de la psychanalyse.

4 Les médecins du professeur Starson lui ont dit qu’il existait de nouveaux médicaments susceptibles de donner de bien meilleurs résultats, tout en produisant moins d’effets secondaires néfastes. Ils lui ont également expliqué que s’il ne prend pas de médicaments, son état continuera vraisemblablement à se détériorer. Toutefois, le professeur Starson refuse toujours d’être traité avec des médicaments. Ses médecins ont conclu que, dans son état actuel, celui‑ci ne comprend pas les effets bénéfiques d’un traitement utilisant les nouveaux médicaments, ni que, sans traitement, son état continuera vraisemblablement à se détériorer. Vu cette conclusion des médecins, qui pourrait avoir comme conséquence qu’on lui impose la médication proposée, le professeur Starson a demandé à la Commission de décider s’il est capable au sens de la LCSS et s’il peut, en conséquence, refuser le traitement proposé. La Commission a jugé le professeur Starson incapable. En appel, la juge Molloy a annulé la décision de la Commission, pour le motif qu’elle était déraisonnable. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision de la juge Molloy.

II. La norme de contrôle applicable

5 À l’instar de mon collègue le juge Major, j’estime que l’interprétation du droit applicable par la Commission doit être contrôlée au moyen de la norme de la décision correcte. En ce qui concerne l’application du droit aux faits, je suis d’accord pour affirmer que la décision de la Commission doit être contrôlée au moyen de la norme de la décision raisonnable. Le législateur a confié à la Commission la tâche d’entendre les témoins et d’apprécier la preuve. Lorsque le caractère déraisonnable de la décision ne peut être démontré, les tribunaux judiciaires ne sont pas justifiés de modifier les conclusions de fait ou les inférences tirées des faits. En conséquence, la conclusion de la Commission doit être confirmée si elle fait partie de celles que la Commission pouvait raisonnablement tirer eu égard au droit et à la preuve. Comme le précise le juge Binnie, au par. 33 de l’arrêt R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779, 2003 CSC 33 (rendu en même temps que la présente décision) : « En règle générale, la cour devrait s’abstenir d’intervenir si la décision de la Commission est telle que les membres de la Commission ayant une bonne connaissance des faits et une perception juste du droit applicable pourraient raisonnablement se trouver en désaccord ». Le fait que la cour saisie de la demande de révision n’aurait pas conclu de la même façon que la Commission ne suffit pas pour justifier l’annulation de la conclusion de celle-ci.

III. La définition légale de la capacité

6 La LCSS traite de l’épineux problème des circonstances dans lesquelles une personne atteinte d’une maladie mentale peut refuser un traitement. Le problème est épineux parce que s’opposent alors des valeurs fondamentales qui nous sont chères. La première de ces valeurs est l’autonomie — la faculté qu’a chacun de nous de prendre des décisions concernant son corps et, par conséquent, de décider du traitement médical qu’il recevra. La deuxième de ces valeurs est la possibilité de recevoir un traitement médical efficace — à savoir le fait que les personnes malades devraient être soignées et que la maladie elle-même ne devrait pas empêcher une personne de jouir pleinement de la vie. Une troisième valeur — la protection de la société — entre en jeu dans certains cas de maladie mentale. Lorsqu’une personne atteinte d’une telle maladie constitue une menace pour sa propre sécurité ou celle d’autrui, il peut être justifié de lui imposer l’hospitalisation, au motif que cette mesure est nécessaire pour assurer la sécurité du public : voir l’art. 672.54 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, qui habilite les tribunaux et les commissions d’examen à ordonner l’hospitalisation des contrevenants jugés non responsables criminellement pour cause de maladie mentale, et les par. 20(1) à (5) de la loi ontarienne intitulée Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1990, ch. M.7, qui autorisent, dans certaines circonstances, l’internement forcé de personnes atteintes de maladie mentale. Au moment de la demande, le professeur Starson était sous le coup d’une cure obligatoire de 12 mois ordonnée en vertu des dispositions du Code criminel, ayant été déclaré non responsable criminellement d’avoir proféré des menaces de mort. Cependant, comme la demande qui nous intéresse n’est pas fondée sur la protection de la sécurité du public, cette troisième valeur n’est pas en cause dans le présent pourvoi.

7 En droit, la valeur fondée sur l’autonomie l’emporte généralement sur celle fondée sur la possibilité de recevoir un traitement médical efficace. Peu importe la gravité de la maladie dont souffre une personne, peu importe la probabilité que cette personne décède ou que sa santé se détériore, c’est à elle — et à elle seule — qu’il appartient de décider si elle accepte ou non le traitement médical qu’on lui propose. Toutefois, lorsque l’intéressé est incapable de prendre la décision, il arrive que le droit permette qu’on écarte sa volonté et qu’on ordonne son hospitalisation. Par exemple, les jeunes enfants sont généralement incapables, du fait de leur âge, de prendre des décisions d’ordre médical. Par conséquent, ce sont les parents ou tuteurs de l’enfant concerné, et non pas ce dernier, qui décident du traitement médical qu’il devrait recevoir. Lorsqu’une maladie mentale prive une personne de la capacité de prendre une décision concernant un traitement médical, il arrive que le droit permette que les désirs exprimés par cette personne soient écartés. Le paragraphe 4(1) de la LCSS permet d’obtenir ce résultat.

8 Il n’est pas facile de déterminer dans quelles circonstances une personne souffrant d’une maladie mentale doit être déclarée incapable de prendre des décisions concernant un traitement médical. Les critères varient, selon les sociétés et selon les époques. Conformément au droit applicable en Ontario, une personne atteinte de maladie mentale peut être hospitalisée sans son consentement pour des raisons de sécurité du public (Code criminel et Loi sur la santé mentale) et pour cause d’absence de capacité (LCSS, par. 4(1)), disposition qui définit la capacité comme étant l’aptitude « à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant le traitement [. . .] et [. . .] à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision ». De plus, comme on le verra de manière plus approfondie plus loin, la définition de capacité dans la LCSS est large; l’incapacité ne se limite pas à l’absence de capacité rationnelle de comprendre, mais s’entend également de l’absence de la capacité d’« évaluer » ou de juger.

9 La décision du législateur ontarien de permettre que la décision prise par une personne souffrant de maladie mentale soit écartée lorsque la sécurité du public n’est pas menacée témoigne de l’importance accordée à la possibilité pour les personnes atteintes de maladie mentale de recevoir un traitement médical efficace. La définition de capacité dans la LCSS offre une façon de sortir de l’impasse qui surgit lorsque l’administration d’un traitement pour une maladie requiert le consentement du patient, mais que ce consentement n’est pas facile à obtenir en raison de la maladie. La solution à cette impasse consiste à reconnaître qu’il faut s’attacher non seulement au consentement mais aussi à la capacité de donner ce consentement. L’idée maîtresse du droit applicable est que, dans le cas où, en raison d’une maladie mentale, une personne est incapable de prendre une décision judicieuse et réfléchie concernant un traitement, cette personne ne devrait pas se voir priver, pour ce motif, d’un traitement médical qui peut l’aider à mieux fonctionner en plus d’alléger ses souffrances. Au contraire, il faudrait reconnaître que cette personne est incapable et désigner quelqu’un pour décider à sa place.

10 Par ailleurs, la LCSS protège la valeur que constitue l’autonomie individuelle. La maladie mentale n’est pas assimilée à l’incapacité. L’existence d’une maladie mentale n’écarte pas à elle seule la capacité et l’autonomie. Un traitement ne peut être imposé à une personne que si l’on peut démontrer que cette dernière n’est pas apte à comprendre les facteurs pertinents à l’égard du traitement et à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision concernant ce traitement.

11 La LCSS apporte une solution prudente et équilibrée au problème que pose la conciliation de l’autonomie individuelle des personnes malades et de l’objectif consistant à garantir un traitement efficace aux personnes atteintes de maladie mentale. Aux termes de la Loi, lorsqu’une personne atteinte d’une maladie mentale n’a pas la capacité pour comprendre et évaluer de façon suffisante sa situation, un traitement autorisé peut lui être imposé. Cette solution est sans doute influencée par une meilleure compréhension de la souffrance et du sentiment d’aliénation que provoquent les maladies mentales non violentes et par le choix de plus en plus varié de traitements disponibles, au fur et à mesure qu’augmentent nos connaissances sur les maladies mentales. Peu importe l’explication, le fait est que le législateur a choisi un critère reposant sur une conception nuancée de l’incapacité, qui inclut à la fois la capacité de comprendre et celle d’évaluer, et que c’est ce critère que l’organisme spécialisé doit appliquer. Les tribunaux judiciaires doivent respecter ce choix.

12 C’est sur cette toile de fond que j’aborde l’examen du critère de détermination de la capacité. Le paragraphe 4(1) de la LCSS est ainsi rédigé :

4. (1) Toute personne est capable à l’égard d’un traitement, de son admission à un établissement de soins ou d’un service d’aide personnelle si elle est apte à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant le traitement, l’admission ou le service d’aide personnelle, selon le cas, et apte à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision.

13 Je résumerais comme suit les quatre points importants :

1. La personne est présumée compétente et la norme de preuve applicable pour conclure à l’incapacité est la prépondérance des probabilités.

2. Le critère porte sur la capacité ou l’aptitude à comprendre et à évaluer, et non sur le résultat de ces opérations.

3. Le premier volet du critère de détermination de la capacité requiert que la personne soit « apte à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant le traitement » en cause.

4. Le deuxième volet du critère requiert que la personne soit « apte à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision ».

14 Le second point, à savoir que le critère porte sur la capacité ou l’aptitude à comprendre et à évaluer, ressort de l’utilisation du mot « apte » avec les verbes « comprendre » et « évaluer ». Cela signifie qu’une personne ne saurait être jugée incapable parce qu’elle manque d’information sur sa maladie ou parce qu’elle n’est pas d’accord avec le diagnostic : voir le professeur D. N. Weisstub, Enquête sur la capacité mentale : Rapport final (1990), p. 281.

15 Bien que la différence entre l’aptitude à comprendre et à évaluer et le résultat de ces opérations soit facile à formuler, elle est peut-être moins facile à appliquer dans les faits. La capacité est un concept abstrait. Le principal moyen de déterminer la capacité ou l’aptitude d’une personne, et ce dans quelque contexte que soit, consiste à examiner ses propos et ses gestes. En conséquence, la Commission ne commet pas d’erreur en se demandant ce que la personne comprend ou quel est le résultat de son évaluation. Par ailleurs, le fait que l’intéressé ne tire pas la même conclusion que d’autres, par exemple les médecins, ne prouve pas en soi l’absence de compréhension ou de capacité. À cet égard, le professeur Weisstub, op. cit., ann. V, p. 476, dit ceci :

Ce critère est manifestement défini en fonction de l’aptitude du malade, même si la distinction entre la compréhension effective de sa propre situation et l’aptitude à comprendre cette situation demeure sans doute théorique. En principe, il est peut-être vrai que la compréhension effective est un bon indice de l’aptitude à comprendre. Cependant, la distinction pourrait demeurer importante dans le cas des malades qui seraient en mesure de mieux comprendre leur situation si on leur administrait moins de sédatifs ou, bien sûr, dans le cas de ceux qui n’ont pas été entièrement informés de leur situation.

16 Le premier volet du critère de détermination de la capacité requiert que la personne soit « apte à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant le traitement » en cause. La personne doit être capable d’analyser l’information pertinente à l’égard de son traitement, y compris les effets bénéfiques et néfastes potentiels du traitement. Deux sortes de données semblent pertinentes : premièrement, l’information concernant le traitement proposé; deuxièmement, l’information concernant les répercussions possibles du traitement sur la situation du patient en question. Parmi les renseignements pertinents à l’égard de cette décision, mentionnons les symptômes que montre la personne et l’effet qu’aurait le traitement proposé sur ceux‑ci. Le patient doit être capable d’admettre les symptômes qu’il présente pour être apte à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la décision concernant le traitement. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’il soit d’accord avec le diagnostic du professionnel de la santé ou avec l’« étiquette » utilisée pour qualifier l’ensemble des symptômes.

17 Le deuxième volet du critère requiert que la personne soit « apte à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision ». On a dit du critère relatif à l’évaluation qu’il est plus exigeant qu’un simple critère de compréhension, parce qu’il comporte à la fois un aspect cognitif et un aspect émotif : voir R. Macklin, « Some Problems in Gaining Informed Consent from Psychiatric Patients » (1982), 31 Emory L.J. 345. Pour être considéré capable, un patient doit être non seulement apte à comprendre les renseignements pertinents mais aussi apte à « évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision » : LCSS, par. 4(1). [traduction] « Le critère relatif à la compréhension met l’accent sur l’aptitude du patient à assimiler des renseignements alors que le critère relatif à l’évaluation s’attache à son aptitude à évaluer cette information » : Berg et autres, Informed Consent : Legal Theory and Clinical Practice (2e éd. 2001), p. 102. L’évaluation fait appel à la capacité d’une personne — par ailleurs apte à comprendre les faits (le premier volet) — de soupeser ou juger de l’information et, par conséquent, d’évaluer les conséquences prévisibles de l’acceptation ou du refus du traitement (le deuxième volet). La juge Arbour (maintenant juge de notre Cour) a décrit cette distinction de la manière suivante dans Khan c. St. Thomas Psychiatric Hospital (1992), 7 O.R. (3d) 303 (C.A.), p. 314 (citant un commentaire de la Commission d’examen) : [traduction] « il y a des situations où une personne peut comprendre, sur le plan intellectuel, le sujet pour lequel un consentement est exigé et comprendre également la nature de la maladie à l’égard de laquelle le traitement est proposé ainsi que le traitement lui-même, mais où sa capacité d’évaluer le traitement par rapport à sa situation particulière peut être réduite par des troubles mentaux ».

18 Les auteurs qui ont écrit sur le sujet ont dégagé trois [traduction] « indicateurs cliniques communs » de l’aptitude d’une personne à évaluer les conséquences de l’acceptation ou du refus du traitement : [traduction] « La personne est‑elle capable d’admettre qu’elle peut être affectée par l’état à l’égard duquel le traitement est recommandé? La personne est‑elle apte à évaluer en quoi le traitement proposé et les solutions de rechange, y compris l’absence de traitement, peuvent affecter sa vie ou sa qualité de vie? Le choix de la personne repose‑t‑il essentiellement sur des illusions? » : voir B. F. Hoffman, The Law of Consent to Treatment in Ontario (2e éd. 1997), p. 18. Ces indicateurs constituent un cadre utile pour déterminer ce que signifie concrètement l’expression « apt[itude] à évaluer ».

19 Tout comme à l’étape de la compréhension, il n’est pas nécessaire, à l’étape de l’évaluation, que le patient donne son assentiment à une conclusion particulière, professionnelle ou autre. Le patient peut considérer les arguments favorables et les arguments défavorables au traitement et arriver à une conclusion différente de celle des experts médicaux. Le critère relatif à l’évaluation n’équivaut pas non plus à une norme fondée sur « l’intérêt » du patient. Un patient capable a le droit de refuser un traitement, même si, d’un point de vue médical, ce traitement est dans son intérêt. Il est très important de ne pas interpréter un désaccord au sujet d’un diagnostic donné ou du traitement proposé comme constituant en soi une preuve d’incapacité. Cependant, autant il importe de respecter le désir qu’a exprimé un patient, pendant qu’il était capable, de refuser un traitement, autant il importe de veiller à ce que les patients qui sont incapables de prendre une décision concernant un traitement reçoivent un traitement approprié.

IV. L’application aux faits

20 Le comité de la Commission de révision du consentement et de la capacité — qui était composé en l’espèce d’un psychiatre, d’un avocat et d’un membre de la collectivité — a entendu le professeur Starson ainsi que deux de ses médecins et son avocate. Le comité a également pris acte de lettres écrites par des amis et des connaissances du professeur Starson, dans lesquelles ces personnes ont confirmé leur foi dans ses capacités mentales. À la lumière de cette preuve, le comité a tiré les conclusions suivantes : (1) [traduction] « [O]n a présenté des éléments de preuve clairs et décisifs démontrant que le patient souffre de troubles mentaux chroniques, vraisemblablement des troubles bipolaires comportant des caractéristiques psychotiques » (TO-98/1320, 24 janvier 1999, p. 15); (2) le professeur Starson nie [traduction] « presque totalement » souffrir de quelque maladie mentale que ce soit (p. 16); (3) s’il n’admet pas qu’il souffre de certains troubles mentaux et que son comportement est affecté par ces troubles, le professeur Starson [traduction] « ne peut pas comprendre les renseignements qui lui sont donnés [. . .] parce qu’il ne peut établir de lien entre ces renseignements et les troubles particuliers dont il souffre » (p. 17); (4) le professeur Starson [traduction] « ne peut pas comprendre les effets bénéfiques potentiels de la médication » proposée (p. 17) et il [traduction] « semble incapable de saisir que des efforts seront faits afin de réduire la fréquence des effets secondaires qui se sont produits dans le passé, par l’utilisation de médicaments moins forts » (p. 18); (5) [traduction] « en l’absence de traitement, il est peu probable que le [professeur Starson] fonctionne à nouveau comme auparavant » (p. 17); au contraire, [traduction] « il ressort clairement de la littérature que des troubles bipolaires non traités entraînent vraisemblablement une détérioration additionnelle de l’état avec le temps » (p. 17).

21 La Commission a conclu de tout ceci que, malgré le degré élevé de fonctionnement cognitif du professeur Starson, ses symptômes de manie et de délire l’empêchent de comprendre les renseignements pertinents et d’évaluer la nature de son état et les conséquences prévisibles du refus de consentir au traitement proposé.

22 La première question consiste à déterminer si la Commission a appliqué le bon critère légal. Sur ce point, la décision de la Commission se devait d’être exacte. À mon avis, elle a pris la bonne décision. Premièrement, il ressort clairement des motifs de la Commission qu’elle a tenu compte de la capacité du professeur Starson et non pas de la sagesse de la décision de celui-ci de refuser le traitement. La Commission a effectivement parlé de ce que le professeur Starson comprenait et admettait, mais c’était en rapport avec la question qu’elle devait trancher en bout de ligne, soit celle de savoir s’il était apte à comprendre sa maladie ainsi que les effets bénéfiques et les effets néfastes de la médication. La Commission a estimé que le fait que le professeur ne comprenait pas son état et ne l’admettait pas le rendait incapable de comprendre les facteurs pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant le traitement et incapable d’évaluer les conséquences de l’absence de traitement. Contrairement à ce qu’a laissé entendre la juge Molloy ((1999), 22 Admin. L.R. (3d) 211 (C.S.J. Ont.), par. 74), cette conclusion ne constituait pas une erreur, mais découlait plutôt de l’application de la méthode reconnue en matière de détermination de la capacité : voir Hoffman, op. cit., p. 18. Quant à la sympathie exprimée par la Commission au début de ses motifs à l’égard de la situation du professeur Starson, elle doit être interprétée pour ce qu’elle est — un témoignage de sollicitude. Elle n’indique pas que la Commission s’est attachée à la sagesse du refus du traitement plutôt qu’à la capacité du professeur Starson.

23 La seule question qui reste à trancher consiste à décider si la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson n’avait pas la capacité requise au sens du par. 4(1) de la LCSS était déraisonnable. Il ne s’agit pas de décider si cette conclusion était la meilleure eu égard à la preuve, mais plutôt de savoir si elle fait partie des conclusions que la Commission pouvait raisonnablement tirer. Ce n’est que si la conclusion de la Commission est déraisonnable, eu égard à l’ensemble de la preuve, qu’elle peut être annulée.

24 On prétend que la Commission a agi déraisonnablement en concluant (1) que le professeur Starson niait « presque totalement » sa maladie et (2) qu’il était incapable d’évaluer les conséquences du refus de consentir au traitement. On affirme que ces erreurs rendent déraisonnable la conclusion d’incapacité prononcée en bout de ligne par la Commission. En fait, les conclusions de la Commission sur ces questions sont amplement étayées par la preuve.

A. La négation par le professeur Starson de l’existence de sa maladie

25 Je vais d’abord examiner la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson nie « presque totalement » sa maladie. Toutefois, avant de voir quelles ont été les constations de la Commission à cet égard et si elles étaient appuyées par le dossier, je dois souligner que la négation par une personne de son état ou son refus de l’admettre est un des trois « indicateurs cliniques communs » de l’inaptitude à évaluer les conséquences de l’acceptation ou du refus du traitement, pour l’application du par. 4(1) de la LCSS : Hoffman, op. cit. La Commission a bien tenu compte de ce facteur et elle a dans une large mesure fondé ses constatations concernant l’incapacité du professeur Starson sur le fait qu’il était incapable d’admettre l’état à l’égard duquel le traitement était recommandé.

26 En toute déférence, la juge Molloy — dont les conclusions ont été adoptées par la Cour d’appel et par mon collègue le juge Major — semble avoir mal compris l’affirmation de la Commission selon laquelle le professeur Starson niait « presque totalement » sa maladie. La juge Molloy a considéré que la Commission voulait dire que le professeur Starson n’admettait pas souffrir de quelque problème de santé mentale que ce soit. Interprétant ces mots de cette façon, la juge Molloy a conclu que la Commission avait commis une erreur, étant donné que la preuve démontre une certaine conscience chez le professeur Starson de l’anormalité de son état mental.

27 Les médecins du professeur Starson, en particulier le Dr Swayze, ont témoigné que le professeur Starson niait l’existence de ses troubles mentaux. Cependant, ces témoignages ne visaient pas à indiquer que le professeur Starson niait tous les aspects de sa maladie mentale. La Commission a reconnu que le professeur Starson était conscient du fait que son cerveau fonctionnait différemment. À l’audience de la Commission, le professeur Starson a admis ceci : [traduction] « j’ai [. . .] présenté les symptômes correspondant aux étiquettes que vous utilisez ». Il réalisait parfaitement qu’il souffrait de troubles mentaux et qu’il avait de la difficulté à s’entendre avec les autres, et il était d’ailleurs disposé à suivre des traitements de psychothérapie pour soigner ces problèmes. La conclusion qu’a tirée la Commission est qu’il niait souffrir de troubles mentaux : [traduction] « Malgré l’abondante preuve à l’effet contraire, il continue de nier qu’il souffre de troubles mentaux ». La Commission a tiré cette conclusion dans le contexte suivant (aux p. 16-17) :

[traduction] Le patient nie presque totalement sa maladie. Lorsqu’il a été interrogé par le Dr Swayze, il a effectivement admis qu’il avait pu éprouver certaines difficultés, mais que celles-ci ne l’avaient pas amené à menacer autrui. Cette affirmation contredisait la preuve présentée, et son aveu au Dr Swayze lorsque interrogé par celui-ci, était en contradiction avec le déni total de l’existence d’un quelconque trouble qu’il avait exprimé antérieurement en présence du Dr Swayze et du Dr Posner. Par conséquent, même la mince concession faite au Dr Swayze admettant certaines difficultés dans le passé ne semblait pas constituer un aveu tangible de l’existence de sa maladie.

Reconnaissant qu’un patient [traduction] « ne devrait pas tout bonnement être présumé incapable parce qu’il n’accepte pas le diagnostic », la Commission a à juste titre répondu que [traduction] « la question est plus complexe » et que ce qui est requis c’est [traduction] « que le patient comprenne qu’il souffre de troubles mentaux donnés, si la preuve démontre la présence de tels troubles » (p. 16). C’est uniquement à ce moment-là et en ce sens-là que la Commission a déclaré que [traduction] « [l]e patient nie presque totalement » sa maladie, ajoutant expressément, dans la même phrase, que le professeur Starson « a effectivement admis [. . .] qu’il avait pu éprouver certaines difficultés, mais que celles‑ci ne l’avaient pas amené à menacer autrui » (p. 16).

28 L’appréciation de la Commission, y compris sa conclusion que le patient nie « presque totalement » sa maladie est pleinement étayée par le dossier. La Commission n’a jamais affirmé que le professeur Starson niait tous ses problèmes et ses symptômes; de fait, elle a expressément reconnu qu’il les admettait. Elle a toutefois dit, à raison, que le professeur Starson ne considérait pas ses symptômes et ses difficultés comme une maladie ou un problème pertinent à l’égard des traitements qu’on proposait.

29 Je ne vais citer que certains extraits du dossier pour démontrer qu’il existait des éléments de preuve qui auraient permis à la Commission de conclure raisonnablement que le professeur Starson niait ses troubles mentaux. Ses médecins ont affirmé ce qui suit :

Dr Swayze :

‑ De fait, selon sa vision des choses, il ne souffre pas ni n’a jamais souffert de quelque trouble psychotique que ce soit, particulièrement de troubles de l’humeur ou de troubles psychiatriques.

‑ Le professeur Starson affirme qu’[traduction] « [i]l ne souffre d’aucun trouble ».

Dr Posner :

‑ Il ne comprend pas [traduction] « qu’il souffre d’une maladie mentale ».

‑ Il [traduction] « ne comprenait aucunement qu’il souffrait d’une maladie mentale . . . ».

‑ Il démontre une [traduction] « [a]bsence totale de conscience de sa propre maladie mentale ».

30 Le professeur Starson a refusé de répondre directement à la question de savoir s’il souffre ou non de troubles mentaux. Toutefois, le témoignage qu’il a rendu à d’autres moments étaye la prétention selon laquelle il nie souffrir de maladie mentale. [traduction] « J’ai souffert il y a 13 ans de problèmes mentaux qu’il m’était difficile, voire presque impossible de gérer. Mon désaccord tient à ce que pour moi la cause de ces problèmes n’était pas une maladie mentale ». Les notes médicales le concernant indiquent que, lorsqu’on lui a demandé son opinion relativement à la question de savoir s’il souffrait de troubles, il à répondu : [traduction] « [J]e n’ai pas d’opinions. Vous êtes une religion. Je possède l’esprit scientifique parfait. Vous êtes les seuls à dire que je souffre d’une maladie ».

31 La Commission était amplement justifiée de conclure, à la lumière de cette preuve, que le professeur Starson niait sa maladie mentale en général, et non seulement le diagnostic particulier.

32 Ce déni était exacerbé par le refus du professeur Starson de reconnaître quelque effet bénéfique que ce soit à la médication, même dans l’abstrait. Bien que je fonde mon opinion selon laquelle la conclusion de la Commission était raisonnable principalement sur l’absence manifeste de compréhension par le professeur Starson des conséquences prévisibles du refus de consentir au traitement, il semble également qu’il n’avait pas, comme l’exige la LCSS, la capacité de comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant le traitement. À l’instar des patients atteints du cancer à qui l’on conseille de suivre des traitements de chimiothérapie ou des diabétiques à qui l’on conseille de s’injecter de l’insuline, le patient souffrant d’une maladie mentale à qui l’on conseille de prendre des antipsychotiques doit être capable de comprendre les effets bénéfiques et les inconvénients de ces médicaments afin d’être présumé capable de prendre une décision concernant un traitement. Corollairement, cela requiert du patient qu’il soit disposé à tenir compte — qu’il accepte ou non en définitive de suivre le traitement — de la preuve scientifique concernant l’efficacité de celui-ci. Il ressort du dossier que le professeur Starson a non seulement refusé de faire cela, mais que, dans les faits, il était incapable de le faire en raison de son délire.

33 À titre d’exemple, je cite les passages suivants du dossier :

Dr Swayze :

[traduction] Nous avons ensuite tenté d’examiner, ou plutôt j’ai tenté d’examiner les risques et les effets bénéfiques de ces médicaments et, une fois de plus, j’ai été rapidement interrompu : toutes les substances chimiques ont été rejetées et, selon ce que j’ai compris, aucun médicament n’était approprié pour traiter les troubles bipolaires ou psychotiques et il n’était aucunement question que ces médicaments puissent être appropriés dans quelque circonstance que ce soit.

J’ai tenté de mettre l’accent sur les effets bénéfiques de ces médicaments. « Il n’en existe aucun. » Puis j’ai examiné la question du risque que comporte le refus de prendre des médicaments et je me suis fait dire une fois de plus, en termes non équivoques, que les médicaments étaient des substances chimiques. Ils doivent être rejetés et il n’y a aucun risque à les rejeter, car, en fait, ils seraient dommageables à quiconque serait assez stupide pour les prendre. [Je souligne.]

Dr Posner :

[traduction] Je voulais tenter de faire appel à son esprit objectif d’antan en lui expliquant que l’exemple de deux patients [qui, a-t-il affirmé, seraient décédés parce qu’ils avaient pris de l’Haldol] ne permet pas d’en tirer une règle. Deux patients constituent deux observations. Vous savez, en science, lorsque nous tentons de recueillir des données en psychiatrie, lorsque nous tentons de recueillir des données sur les effets et les effets néfastes des médicaments neuroleptiques ou quoi que ce soit d’autre, nous examinons des données sur des populations, nous étudions des collections de nombreux rapports différents sur les effets secondaires indésirables. Et, effectivement, il est possible de trouver un médicament auquel on peut rattacher deux décès — bien qu’on puisse peut-être dire, vu qu’il est tellement concerné — qu’il a pu exagérer l’importance des décès dans son cas.

Mais il m’a fait tomber à la renverse, au figuré s’entend, lorsqu’[il] a expliqué que l’Haldol était un agent toxique. Que ce médicament tuait des gens. Il a poursuivi en affirmant qu’on tuait des gens avec l’Haldol. Cela faisait partie de la religion ou — de la religion que constitue la façon dont la psychiatrie [. . .] Puis, il a pratiquement cessé de parler après cela. Nous avons en quelque sorte mis fin à notre discussion.

Mais cela m’a convaincu que non seulement il ne comprenait aucunement qu’il souffrait d’une maladie mentale, mais également qu’il était impossible à ce moment-là de discuter avec lui des effets bénéfiques des médicaments de toute évidence parce que cela requérerait qu’il comprenne qu’il avait besoin de les prendre, ou qu’il donne le feu vert au traitement. Mais, également, de discuter des effets secondaires indésirables quels qu’ils soient. [Je souligne.]

34 La Commission pouvait raisonnablement conclure, eu égard à la preuve dont elle disposait, que malgré ses grandes connaissances dans le domaine de la physique le professeur Starson était incapable de comprendre les renseignements pertinents à l’égard d’une décision concernant un traitement relatif à sa santé mentale.

B. L’incapacité du professeur Starson d’évaluer les conséquences du refus de consentir au traitement

35 La Commission n’a pas non plus fait erreur en concluant que le professeur Starson était incapable d’évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles de l’acceptation ou du refus du traitement. Ici encore, j’estime en toute déférence que, dans son analyse, la juge Molloy semble, d’une part, avoir mal interprété la conclusion de la Commission et considéré qu’elle signifiait que la médication proposée promettait la guérison du professeur Starson et la reprise de ses travaux scientifiques, puis, d’autre part, avoir avancé que ces affirmations ne sont pas étayées par le dossier. Dans la même veine, mon collègue le juge Major souligne qu’il était incertain que le traitement proposé « favoriserait un “fonctionnement normal” » (par. 98).

36 En toute déférence, là n’est pas la question. Il ne s’agit pas de se prononcer sur l’efficacité du traitement proposé ou sur ce qui est dans l’intérêt du patient, mais plutôt sur la capacité du professeur Starson de prendre des décisions concernant le traitement au regard du par. 4(1) de la LCSS — c’est-à-dire se demander si le professeur Starson est apte « à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision ». En pratique, on tient une audience relative à la capacité d’un patient lorsque les médecins croient qu’un traitement améliorerait le fonctionnement de ce dernier. Toutefois, l’audience ne porte pas sur le bien-fondé de la médication ou de tout autre traitement proposé, mais sur la capacité du patient de comprendre et d’évaluer les effets bénéfiques et les désavantages du traitement ou de l’absence de traitement.

37 Il y avait amplement de preuve au dossier pour appuyer la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson était incapable d’évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles de l’acceptation ou du refus du traitement. Je cite ci‑dessous certains extraits des témoignages :

Dr Swayze :

[traduction] [Il] ne comprend pas les répercussions sur sa personne, il ne saisit pas qu’il existe des traitements qui sont légitimes, il ne comprend pas les risques du rejet de ces solutions.

Dr Posner :

[traduction]

‑ J’estime qu’il n’est pas capable de donner son consentement — de prendre lui‑même, de quelque façon que ce soit, des décisions en matière de traitement. On ne peut même pas discuter avec le professeur Starson d’une maladie mentale le concernant. On ne peut aborder avec lui l’utilisation de médicaments relativement à son état.

‑ [T]out ce qui précède exclut virtuellement toute discussion ou évaluation des conséquences de l’absence de médication.

‑ . . . le professeur Starson, malgré le fait qu’il soit capable de réciter — et il est doté d’une bonne mémoire je n’ai aucun doute à cet égard — des effets secondaires comme ceux mentionnés dans des documents tel le CPS, je ne crois pas qu’il comprenne de quelque façon que ce soit les conséquences de ces effets secondaires en ce qui le concerne. Et je ne crois pas qu’il soit capable d’avoir une quelconque discussion qui lui permettrait d’en apprendre sur ce sujet. Je veux dire, à tout le moins, discuter d’une manière rationnelle. Non, je ne crois pas qu’il puisse faire cela.

Par conséquent, je ne crois pas qu’il satisfasse à l’un ou l’autre des critères relatifs à la capacité de prendre des décisions en matière de traitement et je ne pense pas — je ne crois même pas qu’il soit près d’y satisfaire.

- . . . je peux affirmer qu’aucune de ses connaissances [en physique] ne joue un quelconque — n’a un quelconque rôle dans sa compréhension — ne contribue à sa compréhension de la maladie mentale. En fait, de manière indirecte, toutes ces connaissances renforcent peut-être son délire. Il est possible qu’il les utilise pour perpétuer des choses. Peut-être à un rythme plus rapide ou plus impressionnant que le patient moyen souffrant de délire.

Un des aspects du délire est que, lorsque quelqu’un est atteint de ce genre de maladie, cette personne ne peut évaluer d’une manière efficace ce qui se passe autour d’elle, alors elle commence à bâtir sa propre réalité. Parfois elle l’emprunte à la Bible, à la science-fiction, à une autre source. Parfois, surtout s’il s’agit d’une personne suffisamment intelligente, possédant assez d’intelligence brute, elle bâtit sa propre réalité, peut-être sur les bases de quelque chose d’autre. Et je crois que c’est à cela que s’est attachée l’intelligence ici. Je ne crois pas qu’il l’ait vraiment appliquée à comprendre qu’il souffre d’une maladie mentale. [Je souligne.]

38 Ces conclusions d’ordre médical étaient solidement étayées par des éléments de preuve plus précis. La Commission a conclu que, eu égard à la preuve dont elle disposait, le professeur Starson n’était pas apte à évaluer les conséquences du refus de consentir au traitement, et ce parce qu’il était incapable d’évaluer trois choses : (1) les effets bénéfiques possibles de la médication; (2) le fait que, sans cette médication, il est peu probable qu’il fonctionne à nouveau comme autrefois, et que son état pourrait continuer à se détériorer; (3) le lien entre l’absence de traitement et les décisions futures de la Commission ontarienne d’examen (prononcées en vertu de la partie XX.1 du Code criminel). Je vais examiner, tour à tour, chacune de ces conclusions et démontrer en quoi elles étaient appuyées par la preuve.

39 Selon la première de ces conclusions, le professeur Starson était incapable d’évaluer les « effets bénéfiques possibles » du traitement. La Commission a bien posé la question et s’est non pas demandé si le professeur Starson reconnaît qu’un traitement donné lui sera bénéfique (comme le suggère la juge Molloy), mais plutôt s’il est apte à évaluer les « effets bénéfiques possibles » du fait de recevoir des traitements. La raison étayant la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson n’avait pas cette capacité est son inaptitude à comprendre et à admettre son état. Une personne ne peut évaluer les effets bénéfiques d’un traitement à moins de comprendre et d’évaluer le besoin d’être traitée. En raison de cette incapacité, le professeur Starson n’est tout simplement pas en mesure, pour reprendre les propos de la Commission, [traduction] d’« établir de lien [entre le traitement] et les troubles particuliers dont il souffre » (p. 17). Deux aspects interviennent ici : l’aptitude à évaluer et les effets bénéfiques possibles du traitement. J’ai examiné plus tôt la preuve concernant la capacité d’apprécier les questions relatives au traitement. Quant au deuxième aspect, la juge Molloy souligne à juste titre que le dossier ne fait état d’aucune promesse par les médecins du professeur Starson qu’il recommencerait à fonctionner tout à fait normalement. La Commission disposait d’éléments de preuve indiquant que le traitement proposé offrait une possibilité raisonnable d’amélioration et comportait moins d’effets secondaires néfastes. Le fait que les médecins n’aient pas garanti la guérison ne rendait pas déraisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson était incapable d’évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles du traitement. Il y avait amplement de preuves que les nouveaux médicaments pourraient entraîner des effets bénéfiques concrets tout en produisant moins d’effets secondaires néfastes. Voici certaines références de la Commission à la preuve qui n’ont pas été contestées :

[traduction]

- Le Dr Swayze a souligné qu’il existe enfin une occasion propice pour traiter le patient. (p. 6)

‑ [I]l [le Dr Swayze] se proposait de traiter le patient avec de nouveaux médicaments neuroleptiques (antipsychotiques) qui produiraient moins d’effets secondaires que ceux utilisés dans le passé. (p. 7)

‑ Lorsqu’on a suggéré que le patient craignait que la médication ralentisse le fonctionnement de son cerveau, le [Dr Swayze] a répondu qu’il n’avait pas l’intention d’émousser l’esprit du patient au‑delà ce qui était nécessaire pour stabiliser son état. (p. 7‑8)

- [S]i l’on excepte la fois où l’Haldol (un vieux médicament neuroleptique) a été administré, aucun autre médicament n’avait fait l’objet d’essais adéquats. (p. 9)

‑ [Le Dr Swayze] ne croyait pas que les médicaments ne seraient pas bénéfiques, parce qu’il existe une abondante preuve dans la littérature quant à l’efficacité du traitement. (p. 8)

40 Je conclus que le dossier étaye amplement la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson était incapable d’évaluer les effets bénéfiques prévisibles découlant d’un traitement à base de médicaments plus modernes.

41 Deuxièmement, la Commission a estimé que le professeur Starson était incapable de saisir que son état mental se détériorerait vraisemblablement en l’absence de traitement.

42 Mon collègue le juge Major admet que la Commission disposait d’éléments de preuve émanant du Dr Posner et étayant cette conclusion, preuve qu’il a toutefois qualifiée de « maigre » (par. 105). Il affirme également que le fait que le professeur Starson n’ait pas été interrogé sur cette question à l’audience empêchait la Commission de conclure qu’il n’évaluait pas les risques de l’absence de traitement (par. 105). En toute déférence, je ne puis souscrire à l’opinion de mon collègue sur ces deux points.

43 Le fait de qualifier la preuve de « maigre » ne change rien au fait que la Commission disposait de cette preuve et que, pourvu que ses inférences soient raisonnables, elle avait le droit de se fonder sur celle-ci. En fait, l’examen du dossier révèle, d’une part, que les deux médecins qui ont témoigné étaient d’avis que, en l’absence de traitement, l’état du professeur Starson se détériorerait vraisemblablement, et, d’autre part, qu’il n’y avait aucune preuve à l’effet contraire. Je vais me contenter de reproduire quelques extraits des témoignages.

Le Dr Swayze :

[traduction]

- Je ne peux que qualifier [cet état] [. . .] essentiellement de troubles irréversibles.

‑ Ce qui m’inquiète, c’est que cet [état] restera irréversible, que son intensité variera, cependant il ne retrouvera pas son état initial, c’est‑à‑dire son degré antérieur de fonctionnement et de stabilité, qu’il a vraisemblablement perdu au début des années 80.

‑ [C]es observations augurent mal. Elles suggèrent un état chronique, irréversible qui est vraisemblablement ce avec quoi devrait vivre le professeur Starson, s’il ne reçoit pas de traitement.

Le Dr Posner :

[traduction]

‑ . . . je ne partage pas l’opinion que les troubles constituent un état psychotique stable. En fait, ils sont plutôt un état psychotique progressif et il existe de très bons éléments de preuve qui étayent cela.

‑ Ce que [ces menaces à l’endroit d’un travailleur hospitalier] signifie[nt] pour moi, c’est que la maladie a pris une autre dimension. Si une provocation aussi objectivement légère ou innocente [. . .] a pu inciter un tel emportement, je trouve ça inquiétant, parce qu’il y a dix ou quinze ans, je ne crois pas que cela se serait produit.

‑ [L]a littérature concernant les troubles bipolaires révèle que des [. . .] manies [. . .] qui ne sont pas traitées peuvent s’aggraver et, de fait, s’aggravent souvent, alors il ne s’agit pas de maintenir le statu quo. Si rien n’est fait, il y aura dommage au niveau physiologique, dont témoigne la détérioration de son état, que perçoivent les autres.

44 Comme l’a signalé la Commission, le Dr Posner a témoigné que la maladie du professeur Starson avait [traduction] « progressé de façon constante » depuis 1994. Avant cette date, le patient avait écrit un certain nombre de publications qui [traduction] « paraissaient crédibles ». Après 1995, [traduction] « certains ont mis en doute la validité de ses références suggérant un changement dans ses vues ». Le Dr Postner a dit estimer que [traduction] « la maladie était passée d’un état hypomaniaque à un état de plus grande irritabilité ». Il a ensuite déclaré qu’une personne « qui aurait pu apporter une énorme contribution à la société était maintenant perdue dans un monde psychotique » (p. 8‑9).

45 Le Dr Posner a témoigné que des collègues avaient observé une détérioration et que, en général, [traduction] « des troubles bipolaires tendent à s’aggraver avec le temps » (p. 9). Ce témoignage, conjugué aux éléments de preuve indiquant que le professeur Starson niait être malade, étaye largement la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson était incapable d’évaluer la vraisemblance de la détérioration de son état s’il ne subissait pas de traitement. Le fait que le professeur Starson n’ait pas été interrogé directement sur le lien entre le traitement et la détérioration future n’enlève rien à la force de cette preuve. Vu le refus du professeur Starson de reconnaître que son état mental puisse avoir quelque effet négatif que ce soit, il aurait été inutile de l’interroger sur toute détérioration additionnelle. Il ressort clairement de la preuve que le professeur Starson s’en tient à son idée qu’il continue de bien fonctionner sans médication, malgré toute la preuve objective à l’effet contraire.

46 En plus du témoignage de ses médecins, le témoignage du professeur Starson lui‑même étaye la conclusion de la Commission selon laquelle il ne se rend pas compte que l’absence de traitement entraînera vraisemblablement une hospitalisation prolongée et une détérioration additionnelle de son état mental. Le professeur Starson a maintenu que, sans traitement, il [traduction] « retournerait à [ses] activités antérieures, et ce encore plus fort qu’avant ». Il a rejeté toutes les suggestions selon lesquelles la Commission du consentement et de la capacité ou la Commission d’examen pourrait prolonger son hospitalisation, disant qu’il s’agissait d’[traduction] « une situation hypothétique qui ne se produira pas ». Le manque d’ouverture du professeur Starson est palpable d’un bout à l’autre du dossier; lorsque le Dr Swayze lui a parlé de ses symptômes maniaques, il a répondu ceci : [traduction] « ils ne sont peut‑être pas bons pour les autres, mais peu de gens font ce que je fais. Je suis à la fine pointe de mon domaine. Je tente actuellement de définir la physique qui nous permettra un jour de construire un vaisseau spatial. D’accord? C’est là l’objet même de l’antigravité. »

47 La preuve appuie l’opinion voulant que l’état délirant du professeur Starson l’ait rendu incapable de comprendre que, sans le traitement proposé, son état mental ne s’améliorerait pas et se détériorerait vraisemblablement. La Commission avait le droit de tenir compte de tous ces éléments de preuve pour décider si, malgré ses capacités intellectuelles, le professeur Starson était incapable de faire le lien entre les renseignements concernant le traitement et son état personnel et d’évaluer de manière réfléchie les risques et les effets bénéfiques du traitement. La Commission a conclu, au regard de la preuve, qu’il n’en est pas capable.

48 Enfin, la Commission a estimé que le professeur Starson [traduction] « semblait incapable de faire le lien entre les conséquences [de l’absence de traitement] [. . .] et les décisions futures de la Commission ontarienne d’examen » (p. 17). Bien que, même sans cet élément, la preuve étayât amplement la conclusion d’incapacité tirée par la Commission, il s’agissait d’un indice additionnel de l’incapacité du professeur Starson d’évaluer les conséquences du refus de consentir au traitement. Compte tenu de l’escalade des menaces, on disait qu’il était vraisemblable que, en l’absence du traitement proposé, la Commission d’examen [traduction] « hésiterait de plus en plus à renvoyer le patient dans la collectivité » (p. 17). Néanmoins, le professeur Starson croyait toujours qu’il continuerait à [traduction] « l’emporter sur le système », comme il l’avait fait dans le passé, alors qu’il était détenu en vertu de mandats du lieutenant‑gouverneur (p. 17). Cet élément étayait la conclusion selon laquelle le professeur Starson n’était pas capable de faire le lien entre le traitement et sa situation personnelle.

49 En résumé, la Commission disposait de nombreux éléments de preuve appuyant la conclusion selon laquelle, malgré sa très grande intelligence, le professeur Starson était incapable, en raison de son état délirant, de comprendre les renseignements pertinents à l’égard du traitement ou d’évaluer les effets bénéfiques des nouveaux médicaments proposés, de comprendre que son état se détériorerait vraisemblablement en l’absence de traitement et, enfin, d’évaluer ses chances de succès dans le futur devant la Commission d’examen s’il ne se fait pas traiter. La conclusion de la Commission a de solides assises dans la preuve et ne saurait être qualifiée de déraisonnable.

C. La Commission a-t-elle fondé sa décision sur l’intérêt du professeur Starson?

50 En plus de contester les conclusions de la Commission au regard de la preuve, mon collègue le juge Major affirme que cette dernière n’a pas rendu sa décision en se fondant sur la capacité du professeur Starson, mais plutôt sur sa propre conception de l’intérêt de ce dernier.

51 En toute déférence, je dois exprimer mon désaccord. Rien dans les motifs de la Commission ne tend à indiquer qu’elle s’est éloignée de la question dont elle était saisie — à savoir la capacité du professeur Starson de prendre lui‑même des décisions d’ordre médical le concernant. La Commission a dès le départ considéré que l’analyse exigeait l’application des critères [traduction] « qui doivent être satisfaits pour qu’une personne soit jugée capable de prendre une décision à l’égard d’un traitement » et elle a ensuite analysé la question de la « capacité » (p. 15-16 (je souligne)). En l’espèce, comme il a été indiqué plus tôt, l’élément clef de la capacité était l’aptitude du professeur Starson à évaluer les troubles dont il souffre, leurs conséquences et les traitements possibles.

52 Poursuivant dans cette veine, la Commission a examiné cette question en profondeur. À maintes reprises, elle a mentionné que la preuve démontrait que le professeur Starson [traduction] « ne peut pas établir de lien entre [les renseignements] et les troubles particuliers dont il souffre », que « le patient est incapable d’évaluer les effets bénéfiques possibles de la médication », que « le patient a semblé incapable de faire le lien entre les conséquences et les décisions futures de la Commission ontarienne d’examen, que « le patient semble incapable de saisir que des efforts seront faits afin de réduire . . . [l]es effets secondaires », qu’« [i]l ne comprend pas les conséquences du refus de consentir à la médication » (p. 17-18 (je souligne)). Après avoir brièvement examiné certains éléments de preuves extrinsèques, la Commission a prononcé directement sa conclusion aux p. 18-19 :

[traduction] Pour les motifs qui précèdent, la Commission confirme que le patient est incapable en ce qui concerne le traitement proposé par le médecin traitant . . .

53 Il est donc clair que la Commission s’est attachée à la capacité tout au long de son analyse et qu’elle a fondé sa conclusion sur des éléments de preuve touchant uniquement à cet aspect. La Commission n’a pas parlé une seule fois de l’intérêt du patient. Avant d’amorcer son analyse, la Commission a dit, à titre de remarques liminaires, que la situation du professeur Starson [traduction] « l’attristait énormément » et elle a déclaré que, « [m]alheureusement, son potentiel a été perturbé à maintes reprises par des séjours dans des établissements psychiatriques » (p. 15). La Commission a toutefois expressément affirmé qu’il s’agissait de remarques préalables à l’analyse de la capacité, qui ne faisaient pas partie de l’analyse elle-même. Elle a d’ailleurs commencé ce bref passage par les mots suivants : [traduction] « Avant d’examiner les critères particuliers qui doivent être satisfaits pour qu’une personne soit jugée capable » (p. 15). En toute déférence, cette remarque préliminaire ne saurait être assimilée à une erreur indiquant que l’affaire aurait été décidée en fonction de l’intérêt du patient plutôt que de sa capacité.

D. Résumé

54 Mon analyse étant terminée, il serait utile que je résume les points sur lesquels mon collègue et moi sommes d’accord et ceux sur lesquels nous divergeons d’opinions.

55 En ce qui concerne les faits, à l’instar de mon collègue le juge Major j’estime que certains éléments de preuve indiquaient que le professeur Starson souffrait d’une grave maladie mentale, qu’il admettait présenter des symptômes d’une maladie mentale qui lui avait créé des ennuis dans le passé et à l’égard de laquelle il était prêt à recevoir des traitements de psychothérapie, qu’il n’était pas d’accord avec ses médecins quant au diagnostic de cette maladie et que, sans le traitement médical proposé, son état pourrait continuer à se détériorer. Nous sommes également tous les deux d’avis que le professeur Starson ne désirait pas suivre la thérapie à base de médicaments proposée, en raison des effets qu’avait eus sur lui antérieurement une telle thérapie, notamment le ralentissement de ses facultés intellectuelles.

56 En ce qui concerne le droit, mon collègue et moi sommes d’accord pour dire que la Commission aurait tort de conclure à l’incapacité simplement parce que le patient n’accepte pas le diagnostic de ses médecins ou parce que le traitement est dans l’intérêt du patient.

57 Mon collègue et moi divergeons fondamentalement d’opinions à l’égard de deux points : la question de savoir si la conclusion de la Commission était étayée par certains éléments de preuve et la question de savoir si la Commission a fait erreur et appliqué un critère fondé sur l’intérêt du professeur Starson.

58 À mon humble avis, la preuve étaye amplement la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson est incapable de comprendre les renseignements pertinents à l’égard du traitement et d’évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision. La Commission n’a pas non plus, selon moi, fait erreur et appliqué une norme fondée sur « l’intérêt » du professeur Starson; au contraire, elle s’est plutôt attachée à la question de la capacité tout au long de son analyse. Vu cette preuve et l’application par la Commission des critères juridiques appropriés, je ne vois aucune raison justifiant une cour siégeant en révision d’annuler la décision de la Commission.

V. Conclusion

59 J’estime que la Commission a bien appliqué les règles de droit pertinentes et que sa conclusion selon laquelle le professeur Starson n’avait pas la capacité requise au sens du par. 4(1) de la LCSS est raisonnable et amplement étayée par la preuve.

60 J’accueillerais le pourvoi et je rétablirais la décision de la Commission.

Version française du jugement des juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et Deschamps rendu par

61 Le juge Major — L’intimé, un adulte qui préfère se faire appeler professeur Starson, a refusé le traitement médical que propose son psychiatre à l’égard de ses troubles bipolaires. La Commission du consentement et de la capacité de l’Ontario (« Commission ») a jugé que le professeur Starson n’avait pas capacité pour prendre cette décision.

62 La décision de la Commission a été annulée par suite d’une demande de révision judiciaire. Les principales questions en litige dans le présent pourvoi consistent à décider si la juge siégeant en révision a contrôlé la décision de la Commission selon la norme appropriée et si elle a bien interprété le critère de détermination de la capacité établi par la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, L.O. 1996, ch. 2, ann. A (« Loi »).

63 J’estime que la juge siégeant en révision a eu raison de déclarer déraisonnable la décision de la Commission concluant à l’incapacité de l’intimé et de juger que cette dernière avait mal appliqué le critère établi par la Loi. La Commission a accordé une importance prépondérante à ce qui, selon elle, était l’intérêt de l’intimé, et elle n’a pas tenu compte adéquatement de l’aspect fondamental du présent pourvoi, c’est‑à‑dire la question de savoir si le professeur Starson était capable de décider lui-même s’il voulait prendre ou non des médicaments.

64 Lorsque l’intimé a pris sa décision, il était capable de reconnaître que son état nécessitait un traitement. Il savait également que les médecins avaient bon espoir que la nouvelle médication améliorerait son état malgré l’inefficacité des médicaments administrés dans le passé. Il a choisi, comme il en avait le droit, de ne rien changer et de poursuivre sa thérapie psychiatrique, en dépit de son état et de l’espoir que nourrissaient les autres. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

I. Les faits

65 De l’avis général, le professeur Starson est un homme exceptionnel, doté d’une intelligence extraordinaire. Bien qu’il n’ait pas comme tel étudié cette matière, il est indéniable que la physique est sa principale passion dans la vie. Il a publié de nombreux articles sur le sujet : voir notamment « Discrete Anti‑Gravity » (1991), article écrit en collaboration avec le professeur H. P. Noyes de l’Université Stanford. Ce dernier aurait affirmé que les idées de l’intimé sur la question sont [traduction] « dix années en avance sur son temps ». Même si l’intimé n’est pas professeur à la suite d’études universitaires, ses pairs du monde scientifique lui permettent d’utiliser ce titre en reconnaissance de ses réalisations.

66 Malheureusement, depuis 1985, l’intimé a souvent été hospitalisé dans des établissements psychiatriques aux États‑Unis et au Canada. La plupart du temps, on a conclu qu’il souffrait de troubles bipolaires. Le professeur Starson ne s’est jamais infligé de blessures et il n’a pas non plus blessé autrui. Il lui est arrivé de réagir violemment lorsqu’on voulait le contraindre à prendre des médicaments. Sa plus récente admission à l’hôpital est survenue après qu’il a été déclaré non responsable criminellement d’avoir proféré des menaces de mort. La Commission ontarienne d’examen (« COE ») a ordonné qu’il soit détenu pendant une période de 12 mois.

67 Les médecins de l’intimé ont proposé de traiter ses troubles bipolaires au moyen, notamment, de médicaments neuroleptiques, de psychorégulateurs, de médicaments anxiolytiques et de médicaments antiparkinsoniens. L’intimé a refusé de prendre cette médication. Il reconnaît qu’il souffre de problèmes de santé mentale, mais il n’admet pas qu’il souffre d’une maladie. Il dit avoir absolument besoin de toutes ses facultés intellectuelles pour être en mesure d’effectuer ses recherches scientifiques. Il croit que tous les médicaments analogues qui lui ont été prescrits auparavant ont considérablement amoindri sa capacité de raisonner et l’ont, de ce fait, empêché de travailler comme physicien. Bien qu’il trouve la vie généralement très agréable, les médicaments l’ont toujours rendu malheureux par le passé.

68 Le médecin traitant a conclu que le professeur Starson était incapable de décider s’il devait accepter ou rejeter le traitement médical proposé. Le professeur Starson a demandé à la Commission de réviser cette décision. La confirmation par la Commission de la conclusion d’incapacité a subséquemment été infirmée au terme d’une procédure de décision judiciaire en Cour supérieure de justice de l’Ontario. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé les conclusions de la juge siégeant en révision. Le psychiatre en chef de l’hôpital où réside présentement le professeur Starson se pourvoit contre cette décision.

II. Les dispositions législatives pertinentes

69 Voici les dispositions législatives pertinentes :

Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, L.O. 1996, ch. 2, ann. A

4. (1) Toute personne est capable à l’égard d’un traitement, de son admission à un établissement de soins ou d’un service d’aide personnelle si elle est apte à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant le traitement, l’admission ou le service d’aide personnelle, selon le cas, et apte à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision.

(2) Toute personne est présumée capable à l’égard d’un traitement, de son admission à un établissement de soins et de services d’aide personnelle.

80. (1) Une partie à une instance devant la Commission peut interjeter appel de la décision de celle‑ci devant la Cour supérieure de justice sur une question de droit ou une question de fait, ou les deux.

. . .

(9) Le tribunal entend l’appel d’après le dossier, y compris la transcription, mais il peut recevoir de nouvelles preuves ou des preuves additionnelles, selon ce qu’il juge équitable.

(10) Le tribunal qui est saisi de l’appel peut :

a) exercer tous les pouvoirs de la Commission;

b) substituer son opinion à celle d’un praticien de la santé, d’un appréciateur, d’un mandataire spécial ou de la Commission;

c) renvoyer la question à la Commission, avec des directives, pour qu’elle l’entende à nouveau, en tout ou en partie.

III. Historique des procédures

70 La décision de la Commission (TO-98/1320, 24 janvier 1999) concluant à l’incapacité de l’intimé de prendre une décision concernant le traitement médical proposé repose principalement sur les opinions des psychiatres traitants. La Commission a [traduction] « essentiellement écarté » les témoignages des amis et collègues de l’intimé qui contredisaient ceux des psychiatres. La Commission a accordé peu d’importance au témoignage du professeur Starson. Elle a finalement conclu que, malgré la preuve convaincante de l’existence de troubles mentaux, le patient nie [traduction] « presque totalement » sa maladie. La Commission a souligné que, s’il n’admet pas qu’il est malade, le patient ne peut pas faire le lien entre les renseignements qu’on lui donne et les troubles dont il souffre, et qu’il ne peut, de ce fait, comprendre les conséquences de l’acceptation ou du refus de la médication proposée. Elle a également précisé que l’intimé ne comprenait pas bien les risques et les effets bénéfiques d’une décision concernant le traitement proposé. Par conséquent, la Commission a conclu que le professeur Starson n’avait pas la capacité requise.

71 La juge Molloy de la Cour supérieure de justice de l’Ontario ((1999), 22 Admin. L.R. (3d) 211) a infirmé la décision de la Commission. Elle a jugé que la décision de la Commission devait être révisée en fonction de la norme de la décision raisonnable : voir l’arrêt T. (I.) c. L. (L.) (1999), 46 O.R. (3d) 284 (C.A.). Elle a estimé que la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson niait totalement sa maladie était déraisonnable eu égard à la preuve. De plus, aucune preuve n’étayait bon nombre des conclusions de la Commission selon lesquelles le professeur Starson souffrait de délire. La juge Molloy a fait remarquer que la Commission avait, d’une manière déraisonnable, écarté le témoignage des amis et collègues du professeur Starson, qu’elle avait fait des inférences injustifiables relativement au comportement criminel du professeur Starson en s’appuyant sur de vagues preuves par ouï‑dire et que les assises factuelles des prétendus effets bénéfiques du traitement proposé souffraient de lacunes fondamentales.

72 La juge Molloy a de plus considéré que la Commission n’avait pas pris en compte la mesure dans laquelle les troubles psychiatriques du professeur Starson et son présumé délire avaient affecté sa capacité de comprendre les renseignements à l’égard du traitement proposé ou d’évaluer les conséquences de celui-ci. La juge a déclaré qu’une telle omission constituait une application erronée du critère légal de détermination de la capacité. Finalement, elle a conclu que la Commission avait mal interprété les raisons pour lesquelles le professeur Starson rejetait le traitement proposé et que celle-ci avait en définitive laissé son appréciation subjective de l’intérêt du professeur Starson influencer indûment sa décision. La juge Molloy a estimé que rien ne permettait à la Commission de conclure raisonnablement qu’on avait réfuté la présomption de capacité du professeur Starson.

73 La Cour d’appel de l’Ontario a, à l’unanimité, souscrit à l’opinion de la juge Molloy : (2001), 33 Admin. L.R. (3d) 315. La cour a confirmé que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable et elle a conclu que la juge Molloy avait bien appliqué cette norme. La Cour d’appel a fondé sa décision sur trois facteurs ressortant du dossier. Premièrement, l’intimé a clairement reconnu qu’il souffre de problèmes de santé mentale. Deuxièmement, il n’a été présenté aucun élément de preuve indiquant que les médicaments qui lui avaient été administrés antérieurement lui avaient été bénéfiques. Troisièmement, élément particulièrement important, son refus d’accepter le traitement reposait d’abord et avant tout sur les effets préjudiciables de celui-ci sur ses activités scientifiques. La Cour d’appel a jugé que, bien que le refus de l’intimé d’accepter le traitement proposé ne soit peut‑être pas objectivement dans son intérêt, rien dans la preuve ne permettait de conclure qu’il était incapable et, par conséquent, la décision de refuser le traitement proposé relevait de lui.

IV. Les questions en litige

74 Le présent pourvoi soulève les questions suivantes :

3. La juge siégeant en révision a‑t‑elle bien appliqué la norme de la décision raisonnable pour contrôler la conclusion d’incapacité tirée par la Commission?

4. La juge siégeant en révision a‑t‑elle eu raison de conclure que la Commission avait mal appliqué le critère établi par la Loi pour statuer sur la capacité?

5. La juge siégeant en révision s’est‑elle trompée dans son approche à l’égard de la preuve par ouï‑dire?

6. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve?

V. Analyse

A. La Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé

75 Le droit de refuser un traitement médical non souhaité est fondamental pour la dignité et l’autonomie d’une personne. Ce droit est tout aussi important dans le contexte du traitement de la maladie mentale : voir les propos suivants du juge Robins dans l’arrêt Fleming c. Reid (1991), 4 O.R. (3d) 74 (C.A.), p. 88 :

[traduction] Peu de procédures médicales sont plus envahissantes que l’injection forcée de puissants psychotropes, lesquels produisent souvent des effets secondaires nocifs graves et parfois irréversibles.

Une déclaration d’incapacité injustifiée porte sérieusement atteinte au droit d’une personne à l’autodétermination. Dans certains cas, néanmoins, l’État doit intervenir pour assurer le bien‑être de patients qui n’ont pas la capacité de prendre des décisions d’ordre médical : voir l’arrêt E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388, p. 426. La Loi vise à concilier les intérêts opposés que sont la liberté de l’individu et son bien‑être : voir B. F. Hoffman, The Law of Consent to Treatment in Ontario (2e éd. 1997), p. 3. Ni l’une ni l’autre des parties n’a contesté la constitutionnalité de la Loi dans le présent pourvoi.

76 Le mandat confié par la Loi à la Commission consiste uniquement à décider de la capacité du patient. L’opinion de la Commission sur les mesures qui sont dans l’intérêt du patient n’est pas pertinente à l’égard de cette décision. Comme l’a souligné la juge siégeant en révision, [traduction] « [u]n patient compétent a le droit absolu de prendre des décisions que toute personne raisonnable considérerait comme insensée » (par. 13). Le juge Quinn dans l’affaire Koch (Re) (1997), 33 O.R. (3d) 485 (Div. gén.), p. 521, affirmait de façon fort juste :

[traduction] Le droit d’agir sciemment de façon insensée n’est pas dénué d’importance; le droit de prendre volontairement certains risques doit être respecté. L’État n’a pas à s’ingérer dans l’un ou l’autre cas. La dignité de l’intéressé est en jeu.

En l’espèce, la seule question dont était saisie la Commission consistait à déterminer si le professeur Starson était capable de prendre une décision quant au traitement médical qu’on lui proposait. La sagesse de cette décision n’a aucune pertinence à cet égard.

77 En droit, une personne est présumée capable de décider d’accepter ou de refuser un traitement médical : par. 4(2) de la Loi. À une audience portant sur la capacité, il incombe au médecin traitant de prouver que le patient est incapable. À l’instar de la Cour d’appel, j’estime que la norme de preuve applicable est celle appliquée en matière civile, savoir la prépondérance des probabilités. Par conséquent, les patients souffrant de troubles mentaux sont présumés avoir le droit de décider eux-mêmes s’ils veulent suivre un traitement. Dans son ouvrage intitulé Enquête sur la capacité mentale : Rapport final (1990), p. 130 (« Rapport Weisstub »), le professeur D. N. Weisstub souligne que, depuis longtemps, cette présomption n’est pas toujours respectée :

Depuis très longtemps, il existe une tendance à confondre la maladie mentale et l’incapacité, surtout dans le cas d’internement involontaire. Malgré les modifications législatives en la matière depuis une vingtaine d’années, les attitudes et les croyances mettent du temps à emboîter le pas. C’est pourquoi il faut accorder une importance toute particulière aux principes de l’autonomie et de l’autodétermination lorsqu’il s’agit d’évaluer les personnes de cette catégorie.

La Commission doit éviter l’erreur qui consiste à assimiler la présence de troubles mentaux à l’incapacité. En l’espèce, l’intimé n’a pas renoncé à son droit à l’autodétermination lorsqu’il a été admis à l’établissement psychiatrique : voir l’arrêt Fleming c. Reid, précité, p. 86. La présomption de capacité ne peut être réfutée que par la preuve que le patient ne satisfait pas aux critères établis par la Loi pour établir sa capacité.

78 Ces critères sont décrits au par. 4(1) de la Loi :

Toute personne est capable à l’égard d’un traitement, de son admission à un établissement de soins ou d’un service d’aide personnelle si elle est apte à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant le traitement, l’admission ou le service d’aide personnelle, selon le cas, et apte à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision.

La détermination de la capacité exige l’application de deux critères. Premièrement, la personne concernée doit être apte à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant un traitement. Pour ce faire, cette personne doit avoir la capacité cognitive d’analyser, de retenir et de comprendre les renseignements pertinents. Il ne fait aucun doute que l’intimé a satisfait à ce critère. Deuxièmement, la personne concernée doit être apte à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision. Pour cela, cette personne doit être apte à appliquer les renseignements pertinents à sa situation et à évaluer les risques et les avantages prévisibles découlant d’une décision ou de l’absence de décision. La Commission a conclu à l’incapacité en se fondant sur son opinion selon laquelle le professeur Starson avait échoué à cet égard.

79 Avant d’analyser la décision de la juge siégeant en révision, quelques commentaires s’imposent sur deux points importants concernant le test prévu par la Loi. Premièrement, pour que le patient soit considéré apte à appliquer les renseignements pertinents à sa situation personnelle, il n’est pas nécessaire que le patient soit d’accord avec son médecin traitant sur le diagnostic. La psychiatrie n’est pas une science exacte et il faut s’attendre à ce que des personnes par ailleurs capables donnent des interprétations divergentes de l’information : voir le Rapport Weisstub, op. cit., p. 259. Bien qu’un patient n’ait pas à être d’accord avec un diagnostic particulier, s’il est démontré qu’il est dans un « état » psychologique donné, le patient doit être apte à reconnaître la possibilité qu’il puisse être affecté par cet état. Le professeur Weisstub fait le commentaire suivant à cet égard (à la p. 282, note 443) :

L’état s’applique aux manifestations plus larges de la maladie plutôt qu’à l’existence d’une pathologie discrète sujette au diagnostic. Le terme « état » permet à l’exigence de compréhension de se concentrer sur les manifestations objectivement perceptibles de la maladie plutôt que sur l’interprétation qui en est donnée.

Par conséquent, le patient n’est pas obligé de décrire son état psychologique comme une « maladie » ou de qualifier autrement son état en termes négatifs. Le patient n’est pas non plus obligé d’être d’accord avec le médecin traitant quant à la cause de cet état. Néanmoins, si l’état du patient a pour conséquence que celui‑ci n’est pas apte à reconnaître qu’il est affecté par les manifestations de cet état, il ne sera pas apte à appliquer les renseignements pertinents à sa situation et à évaluer les conséquences de sa décision.

80 Deuxièmement, la Loi exige qu’un patient ait la capacité d’évaluer les conséquences de sa décision. Elle n’exige pas une évaluation concrète de ces conséquences. La distinction est subtile mais importante : voir L. H. Roth, A. Meisel et C. W. Lidz, « Tests of Competency to Consent to Treatment » (1977), 134 Am. J. Psychiatry 279, p. 281‑282, et le Rapport Weisstub, op. cit., p. 281. En pratique, pour statuer sur la capacité il faut d’abord se demander si le patient comprend vraiment les paramètres de la décision qui est prise, c’est-à-dire la nature et l’objet du traitement proposé, les effets bénéfiques et les risques prévisibles du traitement, les autres traitements possibles et les conséquences prévisibles du fait de ne pas subir le traitement. Si le patient montre qu’il comprend ces paramètres — peu importe qu’il juge les renseignements d’une manière différente de celle de son médecin traitant ou qu’il ne leur accorde pas la même valeur, et qu’il ne soit pas d’accord avec le traitement recommandé — , il est apte à évaluer la décision qu’il prend : voir Roth, Meisel et Lidz, loc. cit., p. 281.

81 Toutefois, le fait qu’un patient ne soit pas en mesure de démontrer qu’il comprend concrètement ces paramètres n’amène pas inexorablement à conclure à son incapacité. Cette lacune peut découler de causes qui ne réduisent pas sa capacité d’évaluer les conséquences. Par exemple, le fait qu’il ne soit pas capable de comprendre les paramètres indique peut être que son médecin traitant ne l’a pas informé adéquatement des conséquences de sa décision : voir le Rapport Weisstub, op. cit., p. 281. Par conséquent, il est absolument nécessaire que la Commission examine les raisons pour lesquelles le patient n’est pas capable d’évaluer les conséquences. Une conclusion d’incapacité n’est justifiée que si ces raisons démontrent que les troubles mentaux du patient lui enlèvent sa capacité d’évaluer les conséquences prévisibles de sa décision.

B. La décision de la juge siégeant en révision

82 La juge Molloy a infirmé la décision de la Commission en se fondant sur deux motifs : premièrement, la conclusion d’incapacité tirée par la Commission était déraisonnable, compte tenu de la preuve qui lui avait été soumise; deuxièmement, la Commission a commis une erreur dans l’application du critère établi par la Loi pour statuer sur la capacité. L’appelant reconnaît que la norme de contrôle est la décision raisonnable, mais il prétend que la juge siégeant en révision a mal appliqué cette norme ainsi que le critère prévu par la Loi. Je ne suis pas d’accord.

(1) La norme de contrôle

83 La démarche acceptée en matière de contrôle judiciaire a été établie dans l’arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, et précisée dans les arrêts Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982. En résumé, la Cour y a adopté la méthode pragmatique et fonctionnelle, qui a supplanté l’ancienne démarche fondée sur la question de la compétence : voir l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, par. 21. Conformément à la méthode pragmatique et fonctionnelle, les tribunaux doivent tenir compte d’une série de facteurs afin de dégager la norme de contrôle applicable à la question particulière en litige. Ces facteurs sont l’existence d’une clause privative ou d’un droit d’appel d’origine législative, l’expertise relative du tribunal, l’objet de la loi et de la disposition particulière et la nature de la question en litige; voir l’arrêt Pushpanathan, précité, le juge Bastarache, par. 29‑38. Comme on le précise dans l’arrêt Dr Q, précité, par. 26, ces facteurs — qui ne sont pas nécessairement exclusifs — doivent être examinés globalement et ils ne doivent pas être appliqués machinalement. Dans ce contexte, nous pouvons déterminer si la norme de contrôle appropriée en l’espèce est la décision correcte, la décision raisonnable ou la décision manifestement déraisonnable.

84 La question qui nous est soumise vise la détermination par la Commission de la capacité d’un patient. Il s’agit d’une question mixte de droit et de fait : la Commission doit appliquer le critère établi par la Loi pour statuer sur la capacité, et ce au regard de la preuve qui lui est présentée. En l’absence d’erreur de droit, il s’agit d’une question dont la réponse tient principalement aux faits : voir l’arrêt Southam, précité, par. 35‑37. Si on applique la méthode pragmatique et fonctionnelle à cette question, il est clair que la norme de contrôle appropriée est la décision raisonnable.

85 D’une part, la Loi établit un large droit d’appel à la Cour supérieure de justice l’Ontario sur une question de fait ou une question de droit, ou les deux : par. 80(1). La cour détient de vastes pouvoirs de contrôle : elle peut exercer tous les pouvoirs de la Commission, substituer son opinion à celle de la Commission ou renvoyer l’affaire à cette dernière pour qu’elle l’entende à nouveau : par. 80(10). Par ailleurs, les audiences relatives à la capacité sont principalement de nature juridictionnelle. La Commission a pour seule tâche de décider si le patient a la capacité de donner son consentement. Il s’agit d’une décision importante pour l’autonomie du patient. Chacun de ces facteurs milite contre l’application d’une norme de contrôle invitant à la déférence : Dr Q, précité, par. 27 et 32.

86 D’autre part, la Commission possède vraisemblablement une certaine expertise institutionnelle en matière de détermination de la capacité. La Loi ne précise pas la qualification minimale requise des membres de la Commission, sauf dans les cas où un membre siège seul : par. 71(3) et 73(2). La Loi indique simplement que les membres sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil : par. 70(2). Toutefois, à la différence des tribunaux de révision ordinaires, les membres de la Commission sont susceptibles d’avoir acquis, durant leur mandat, de l’expérience en matière d’évaluation de la capacité. La Commission est exceptionnellement bien placée en ce qu’elle entend de vive voix les témoignages du patient et des médecins. Ces facteurs tendent à indiquer que la détermination de la capacité est une question qui devrait généralement être confiée à l’appréciation de la Commission vu son expertise relative en la matière : voir Dr Q, précité, par. 29 et 38.

87 De plus, l’objet principal de la Loi étant de faciliter le traitement des patients incapables (art. 1), la réalisation de cet objectif exige que les décisions sur la capacité soient prises rapidement afin d’éviter de retarder le début des traitements. La Loi établit le cadre propre à permettre à la Commission de s’acquitter de cette tâche. En effet, la Commission doit tenir une audience dans les sept jours qui suivent le dépôt d’une demande et rendre sa décision dans la journée qui suit le jour où l’audience prend fin : art. 75. L’une ou l’autre des parties peut demander à la Commission les motifs de sa décision, auquel cas celle-ci doit les fournir dans les deux jours ouvrables qui suivent le jour de réception de cette demande. La révision de novo des conclusions de la Commission par un tribunal judiciaire retarderait considérablement l’application des décisions ordonnant un traitement. De tels délais seraient contraires à l’objectif de la Loi.

88 Vu ces considérations opposées, la décision de la Commission relativement à la capacité doit être contrôlée au regard de la norme de la décision raisonnable. Cette norme « demande non pas la soumission mais une attention respectueuse » aux motifs de la Commission : voir Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, par. 49. Une décision déraisonnable est une décision qui « n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé » : voir l’arrêt Southam, précité, par. 56.

89 Par conséquent, il s’agit uniquement de décider si la juge siégeant en révision a bien appliqué cette norme. À mon avis, il est clair qu’il faut répondre par l’affirmative à cette question. La juge Molloy a expressément fait état de la norme de la décision raisonnable au début de ses motifs. Son analyse indique qu’elle ne s’est à aucun moment écartée de cette norme. De fait, l’appelant n’a pu signaler, dans l’analyse de la juge siégeant en révision, aucun passage suggérant qu’elle aurait appliqué une norme de contrôle accordant moins de déférence.

90 Qui plus est, la preuve étaye amplement la décision de la juge siégeant en révision. La décision de la Commission relativement à la capacité reposait sur deux conclusions : le fait que le patient niait « presque totalement » l’existence des troubles mentaux et son inaptitude à évaluer les conséquences de sa décision. Si on laisse de côté, pour le moment, la question de savoir si la Commission a bien appliqué le critère de détermination de la capacité, il ressort d’un examen attentif de la preuve que ni l’une ni l’autre de ces conclusions n’est fondée.

91 À mon avis, comme je l’ai mentionné précédemment, la Commission semble avoir été indûment influencée par sa conviction que la médication était dans l’intérêt du professeur Starson. La Commission est arrivée à cette conclusion parce qu’elle a omis de se concentrer sur la considération prépondérante dans le présent pourvoi, c’est‑à‑dire la question de savoir si le patient adulte concerné avait la capacité mentale de décider d’accepter ou de refuser la médication prescrite. L’injection de psychotropes, contre le gré de l’intimé, constitue une atteinte très importante à sa dignité et à son autonomie et elle doit être évitée, sauf si l’on démontre qu’il n’était pas capable de prendre lui-même la décision à cet égard.

92 En mettant l’accent sur l’intérêt de l’intimé, la Commission a fait abstraction d’éléments prouvant de façon évidente sa capacité. Le professeur Starson a admis souffrir de troubles mentaux et il comprenait l’objectif de la médication proposée et les effets bénéfiques qu’elle pourrait avoir selon ses médecins. L’intimé avait suivi sans succès d’autres traitements dans le passé. Rien dans la preuve n’indiquait qu’un traitement forcé améliorerait vraisemblablement son état. Le professeur Starson préférait son état anormal à ce qu’il a appelé l’ennuyeuse normalité. La raison principale pour laquelle il refuse la médication est qu’elle a pour effet d’émousser sa pensée, ce qui l’empêche de s’adonner à ses activités de physicien. Bien qu’elle ait conclu que l’intimé ne comprenait pas que son état puisse se détériorer, la Commission ne lui a posé aucune question à ce sujet. Puisqu’il admettait les effets négatifs de sa maladie et le besoin d’être traité, il était déraisonnable de conclure, sans avoir approfondi davantage ce point, qu’il était incapable de comprendre que son état puisse se détériorer.

a) Reconnaissance de l’existence de troubles mentaux

93 Au paragraphe 31 de ses motifs, la juge siégeant en révision a dit que rien n’étaye la conclusion de la Commission selon laquelle le professeur Starson nie « presque totalement » son état. Comme l’a souligné la juge, le professeur Starson a expressément admis devant la Commission qu’il présente des symptômes de troubles bipolaires (au par. 30):

[traduction] J’ai certainement présenté les symptômes correspondant aux étiquettes que vous utilisez [. . .] et j’ai certainement présenté des signes qui seraient considérés comme maniaques.

Le professeur Starson a également déclaré avoir souffert [traduction] « il y a 13 ans de problèmes mentaux qu’il [lui] était difficile, voire presque impossible de gérer ». Bien qu’il ne croit pas que ces problèmes découlaient d’une maladie mentale, il n’est pas obligé, comme je l’ai mentionné plus tôt, de reconnaître son état dans ces termes précis. Lorsque le médecin traitant lui a demandé si ces problèmes avaient été résolus, le professeur Starson a répondu [traduction] « non », et il a poursuivi en affirmant : « je vais apprendre à composer avec [eux] [. . .] quand j’y aurai travaillé avec le Dr Posner ». Il a de plus déclaré que, comme il avait besoin d’une thérapie, il ne quitterait pas l’hôpital à ce moment‑là, même si on le lui permettait. Finalement, il a reconnu que sa propre perception de la réalité était différente de celle des autres. Comme l’a souligné la juge Molloy au par. 32 de ses motifs, cette vision des choses a été confirmée dans des lettres écrites par des amis de longue date du patient.

94 Il est vrai que le Dr Swayze a exprimé l’opinion que l’intimé niait l’existence des troubles dont il souffre. Toutefois, la Commission a omis de creuser les motifs étayant cette opinion. Le Dr Swayze a déclaré qu’il avait beaucoup de difficulté à obtenir l’opinion du professeur Starson concernant son état. Il a en bout de ligne inféré que le patient n’était pas conscient de son état de la déclaration suivante de ce dernier : [traduction] « [v]ous êtes les seuls à dire que je souffre d’une maladie ». Cette déclaration démontre uniquement que le professeur Starson n’accepte pas que l’on qualifie de maladie le fonctionnement particulier de son esprit. Par conséquent, la conclusion tirée par le médecin traitant reposait sur une mauvaise compréhension du critère légal pertinent. En fait, le Dr Swayze a semblé plus tard accepter que le professeur Starson était conscient que le fonctionnement de son esprit n’est pas normal :

[traduction] Sa situation personnelle, sa capacité de fonctionner dans la collectivité ont été considérablement affectées et ces troubles et leurs manifestations, à propos desquels le professeur Starson semble parfois très à l’aise et enthousiaste, n’ont été d’aucun bénéfice pour lui et n’ont fait que lui nuire. [Je souligne.]

Il est intéressant de se demander comment le professeur Starson pouvait être « très à l’aise et enthousiaste » à propos de ses troubles et de leurs manifestations sans être conscient de leur existence.

95 En conséquence, la juge Molloy a eu raison de conclure qu’il n’existait aucun motif raisonnable permettant à la Commission de décider que le patient niait presque totalement son état. Au contraire, la preuve démontre que le patient ne percevait pas son état comme une maladie mais que, malgré cela, il était parfaitement conscient que son cerveau ne fonctionnait pas normalement.

b) La capacité d’évaluer les conséquences d’une décision concernant le traitement

96 La Commission a en outre conclu que le patient ne comprenait pas les effets bénéfiques du traitement et les risques découlant du refus de le suivre. Je vais examiner ces deux aspects à tour de rôle.

(i) Les effets bénéfiques du traitement

97 La Commission a estimé que le patient ne comprenait pas les effets bénéfiques prévisibles du traitement, effets qu’elle a décrits ainsi : [traduction] « amélioration de son état délirant, meilleures chances de succès devant la Commission ontarienne d’examen dans le futur et reprise possible de la poursuite de ses objectifs scientifiques » (p. 18). Comme l’a souligné la juge Molloy au par. 60 de ses motifs, ces conclusions ne trouvent aucun appui dans le dossier.

98 Il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que la médication proposée améliorerait vraisemblablement l’état du professeur Starson. Le Dr Swayze a témoigné qu’il était [traduction] « incertain » que le traitement favoriserait un « fonctionnement normal » et il a ajouté que les traitements suivis par le professeur Starson dans le passé ne lui avaient jamais permis de fonctionner adéquatement. Le Dr Posner a souligné que, en règle générale, 60 p. 100 seulement des patients prenant des neuroleptiques répondent bien à un nouveau traitement. Rien dans la preuve n’indique que le professeur Starson ferait partie de cette catégorie. Celui‑ci a déclaré que les tentatives de traitement par médication [traduction] « ont toujours été les expériences les plus horribles de sa vie ». L’objectif ultime du traitement proposé était de faire prendre des psychorégulateurs au professeur Starson. Le Dr Swayze et le professeur Starson ont confirmé que ce dernier avait essayé différents psychorégulateurs dans le passé. L’intimé a déclaré : [traduction] « j’ai suivi le traitement complet [et] ça n’a pas fonctionné ».

99 De plus, le professeur Starson comprenait les effets escomptés de la médication : [traduction] « [j’]ai pris dans le passé les substances chimiques qu’on propose de me faire prendre — et j’en connais les effets, et je sais que ce qu’on veut accomplir c’est ralentir mon cerveau, essentiellement . . . ». Le médecin traitant a reconnu que l’objectif de la médication était de ralentir le cerveau du professeur Starson à un degré d’activité normal :

[traduction] S’il veut dire par là ralentir (inaudible) le débit de ses propos, le flot de ses pensées ou les pensées perturbatrices, qui sont des éléments caractéristiques d’un épisode maniaque, alors oui c’est là mon intention. Si c’est l’empêcher de déborder (inaudible) les variations normales d’humeur et le fonctionnement normal de l’esprit sans psychose, alors oui c’est là mon intention.

L’intimé a exprimé ainsi sa position sur les médicaments : [traduction] « si la personne concernée croit que les médicaments l’aident, alors de grâce qu’elle les prenne ». Toutefois, comme je l’ai indiqué plus tôt, les expériences antérieures du professeur Starson l’ont amené à croire que la médication proposée ne l’aiderait pas. Malgré le fait que le professeur Starson ne croyait pas que la médication affecterait son sens de la réalité, il n’y avait cependant aucune preuve claire, comme l’a souligné la juge siégeant en révision, concernant la nature et l’étendue du délire du professeur Starson ou [traduction] « le délire que la médication éliminerait ou maîtriserait » (motifs de la juge Molloy, par. 61).

100 Il n’y avait pas non plus de preuve que le traitement améliorerait les chances de succès du patient devant la COE. Comme l’a mentionné la juge Molloy, au par. 62 de ses motifs, la Commission n’est pas en mesure de prédire [traduction] « la décision future d’un tribunal administratif tout à fait distinct, qui doit appliquer un test légal et des critères différents ». Ni le Dr Swayze ni la Commission n’avaient même reçu les motifs de la décision de la COE. Dans ces circonstances, la conclusion de la Commission selon laquelle le traitement améliorerait les chances de succès du professeur Starson à l’occasion de futures auditions de sa cause par la COE relève entièrement de la conjecture.

101 Élément plus important encore, la Commission semble avoir vraiment mal compris les raisons pour lesquelles l’intimé refuse la médication. La Commission a seulement retenu qu’il manifestait [traduction] « une certaine aversion envers la médication parce qu’il avait souffert d’effets secondaires dans le passé » (p. 17). Dans l’arrêt Fleming c. Reid, précité, p. 84, le juge Robins de la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que les médicaments neuroleptiques emportent [traduction] « à court et à long terme des risques importants, souvent imprévisibles, d’effets secondaires dommageables ». Le professeur Starson comprenait clairement l’ampleur de ces risques. Toutefois, c’est principalement à l’objectif visé par la médication qu’il s’opposait.

102 Relativement à l’effet normalisant de la médication, le professeur Starson a dit ceci : [traduction] « [ce] serait pire que la mort pour moi, parce que j’ai toujours considéré que le terme normal évoque un concept si ennuyeux que ce serait comme la mort ». La preuve révèle que les effets abrutissants de la médication transformaient le professeur Starson [traduction] « en un “ivrogne” ayant de la difficulté à penser », ce qui l’empêchait de poursuivre ses recherches scientifiques. Le professeur Starson a déclaré de façon non équivoque que tous les médicaments qu’il avait essayés dans le passé avaient ralenti son esprit. Par conséquent, rien ne permettait à la Commission de conclure que l’un des effets bénéfiques possibles du traitement serait la reprise de son travail de physicien. En fait, la preuve suggère tout le contraire. Il ressort nettement du dossier que, pour le professeur Starson, sa capacité de travailler comme physicien domine tous les autres facteurs. Il est clair qu’il considère le traitement proposé par ses médecins plus dommageable que ses troubles mentaux.

(ii) Les risques découlant de l’absence de traitement

103 La Commission a de plus conclu que l’intimé [traduction] « ne comprend pas les conséquences du refus de prendre la médication, c’est‑à‑dire que ses troubles mentaux empireront vraisemblablement » (p. 18). On a laissé entendre que son état avait commencé à se détériorer, mais il y avait peu d’éléments de preuve permettant de juger de la validité de cette affirmation. Le Dr Swayze a souligné que, comme [traduction] « les épisodes maniaques tendent à disparaître spontanément, qu’ils soient traités ou non », il avait d’abord cru que l’état du patient s’améliorerait. Il a finalement conclu, à la lumière des hospitalisations antérieures du professeur Starson, à [traduction] « un état chronique, sans périodes d’accalmie », mais il n’a pas dit croire que l’état de celui-ci se détériorait.

104 Le Dr Posner n’a pas souscrit à cette opinion et il a dit estimer que la preuve indique [traduction] « un état psychotique progressif ». À la différence du Dr Swayze, il a souligné que la littérature suggère que les manies non traitées [traduction] « peuvent s’aggraver, et, de fait, le font souvent ». Le Dr Posner a estimé que le patient [traduction] « est en possession de ses moyens une bonne partie du temps, mais pas tout le temps ». Toutefois, il a fait remarquer que le professeur Starson n’avait pas écrit dans des revues scientifiques au cours des trois ou quatre années qui ont précédé l’audience et qu’il est ressorti de conversations avec d’autres psychiatres que le professeur Starson était relativement plus irritable qu’il l’avait été dans le passé. Par conséquent, il a jugé que l’état du patient allait vraisemblablement se détériorer. Cependant, comme l’a souligné le Dr Posner, on ne savait pas si la médication pouvait empêcher la détérioration de l’état du patient.

105 Abstraction faite de cette maigre preuve, à aucun moment au cours de l’audience on n’a demandé au professeur Starson s’il était conscient de la possibilité que son état se détériore en l’absence de traitement. La présomption est, bien sûr, que le patient a la capacité d’évaluer les conséquences d’une décision concernant un traitement. Il n’incombe pas au professeur Starson de prouver cette capacité. Comme je l’ai souligné plus tôt, le professeur Starson était conscient qu’il souffrait de problèmes mentaux et qu’il devait être hospitalisé pour recevoir des traitements à cet égard. Comme le professeur Starson était conscient qu’il avait besoin d’être traité, il n’était pas raisonnable pour la Commission de conclure, sans un examen plus poussé, que l’intimé ne comprenait pas que son état pourrait se détériorer.

106 En résumé, rien ne permettait de considérer que le professeur Starson était inconscient de son état ou qu’il ne comprenait pas les conséquences du traitement. En l’absence de telles constatations, rien ne justifiait la Commission de conclure à l’incapacité. Par conséquent, la juge Molloy a eu raison d’annuler la décision de la Commission.

107 Je ne peux souscrire à la conclusion de ma collègue la juge en chef McLachlin. En toute déférence, ses motifs semblent faire abstraction de la majeure partie du témoignage du professeur Starson. Ils ne font pas état des éléments suivants : la franche admission par l’intimé qu’il souffre de problèmes mentaux; sa compréhension évidente de l’objectif visé par la médication; le fait que les médecins reconnaissent qu’ils ne sont pas certains que le traitement améliorerait l’état du professeur Starson; l’inefficacité des psychorégulateurs dans le passé, médicaments dont l’administration était l’objectif du traitement proposé (voir le par. 98) et, enfin, la raison invoquée par l’intimé pour refuser la médication.

108 L’intimé a reconnu qu’il avait besoin de traitements, comme en témoigne d’ailleurs le fait qu’il a expressément demandé à demeurer hospitalisé pour trouver une solution à ses problèmes avec l’aide du Dr Posner. Bien qu’elle accepte que l’intimé était conscient de son état et de ses manifestations, la juge en chef McLachlin estime que le fait qu’il nie sa maladie le rend incapable. La conclusion selon laquelle l’intimé est incapable repose sur le fait qu’il est en désaccord avec le diagnostic de ses médecins. À mon humble avis, il s’agit là de l’erreur commise par la Commission. La conclusion de cette dernière, que la juge en chef McLachlin fait sienne, repose sur l’évaluation de l’intérêt du patient plutôt que sur l’appréciation, au regard de la preuve, de la capacité de celui-ci de décider.

(2) L’application erronée par la Commission du critère de détermination de la capacité

109 Bien que les conclusions qui précèdent suffisent pour trancher le pourvoi, ajoutons que la juge Molloy a également souligné que la Commission avait mal appliqué le critère prévu par la Loi pour statuer sur la capacité. Je suis d’accord avec cette conclusion.

110 L’interprétation de la norme légale concernant la capacité est une question de droit : voir l’arrêt Southam, précité, par. 35. Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la Commission sur cette question. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’existence d’un large droit d’appel et la nature juridictionnelle de la procédure militent contre la manifestation de déférence. De plus, les tribunaux judiciaires possèdent clairement une expertise relative à l’égard des questions générales d’interprétation législative. L’un des objectifs exprès de la Loi est de prévoir des règles qui s’appliquent de façon uniforme : art. 1. Pour assurer cette application uniforme, il faut que les tribunaux judiciaires veillent à ce que les comités de la Commission n’interprètent pas différemment les dispositions législatives. Finalement, il s’agit d’une question de droit qui a une large portée et qu’il n’est pas nécessaire de trancher à chaque appel. L’application, à l’égard de cette question, de la norme de la décision correcte ne fera pas obstacle au traitement rapide des patients.

111 La Commission a jugé que le professeur Starson ne comprenait pas bien les risques et les effets bénéfiques du traitement, mais elle a omis de se demander si cette incompréhension démontrait l’incapacité de l’intimé d’évaluer ces risques et ces effets bénéfiques. La juge Molloy a fait les observations suivantes, au par. 74 de ses motifs :

[traduction] Les conclusions [. . .] de la Commission semblent fondées sur sa perception selon laquelle le professeur Starson n’a pas compris les renseignements ou n’a pas bien évalué les conséquences, comme en fait foi son refus d’admettre qu’il devrait suivre le traitement recommandé, plutôt que sur une preuve démontrant que ses troubles mentaux l’empêchaient d’être capable de comprendre et d’évaluer. [En italique dans l’original.]

Comme je l’ai indiqué plus tôt, le fait qu’un patient ne reconnaisse pas l’existence de certaines conséquences ne signifie pas nécessairement qu’il est incapable de les évaluer. Il est essentiel que la Commission se demande si les raisons pour lesquelles un patient n’a pas bien évalué certaines conséquences démontrent que celui-ci est incapable, à cause de son état, de les évaluer. En l’espèce, la Commission a déclaré que le patient n’avait pas évalué les conséquences du traitement eu égard aux décisions futures de la COE. Toutefois, ni l’un ni l’autre des psychiatres qui a témoigné n’a discuté avec le patient de ces conséquences potentielles. Le défaut de compréhension dont le professeur Starson aurait, prétend-on, fait montre à cet égard reflète peut‑être simplement l’omission des psychiatres de l’informer de ces conséquences potentielles.

112 En outre, comme il a été mentionné précédemment, il ressort des motifs de la Commission qu’elle s’est éloignée du mandat que lui confie la Loi, à savoir décider uniquement de la capacité du patient. Dès le début de ses motifs, la Commission a déclaré que [traduction] « l’état du patient l’attristait énormément » (p. 15), et, plus loin, elle a souligné que « [l]a vie [de ce dernier] avait été dévastée par ses troubles mentaux » (p. 16). Abstraction faite du fait que l’intimé s’est dit en complet désaccord avec ces déclarations, la teneur de ces commentaires indiquent que la Commission n’a pas bien compris le rôle qui lui est confié. Cette dernière a pour unique tâche de décider de la capacité mentale du patient. La sagesse de la décision du professeur Starson concernant le traitement n’est pas pertinente à l’égard de cette décision. Si le professeur Starson est capable, il a parfaitement le droit de prendre une décision que la Commission, ou d’autres personnes raisonnables, peuvent considérer comme insensée. La Commission a laissé sa propre conception de l’intérêt du professeur Starson influencer indûment la conclusion qu’elle a tirée sur l’incapacité.

113 J’estime que la juge Molloy a à juste titre décidé que la Commission avait mal appliqué le critère légal de détermination de la capacité.

C. Questions touchant la preuve

114 L’appelant a soulevé deux autres arguments : la juge siégeant en révision s’est trompée relativement à la preuve par ouï‑dire; la Cour d’appel a commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve.

(1) La preuve par ouï‑dire

115 L’appelant prétend que la juge siégeant en révision a modifié à tort une décision qui relevait du pouvoir discrétionnaire de la Commission et concernait le poids à accorder à la preuve par ouï‑dire touchant les menaces que le patient aurait proférées par le passé. Cette conclusion était accessoire à la décision rendue par la juge siégeant en révision et n’a eu aucune influence sur la façon dont elle a tranché l’affaire. Par conséquent, la question n’a aucune importance quant à l’issue du pourvoi. Quoi qu’il en soit, la juge siégeant en révision n’a pas commis d’erreur en ce qui concerne la preuve par ouï‑dire. Comme elle l’a souligné, il est clair qu’une telle preuve est admissible devant la Commission : voir la Loi sur l’exercice des compétences légales, L.R.O. 1990, ch. S.22, par. 15(1). Les audiences doivent être menées avec diligence, afin que les décisions concernant les traitements puissent être prises sans délai indu. Pour s’acquitter de cette tâche, la Commission est souvent obligée de se fier à de la preuve par ouï‑dire pour recueillir toute l’information requise sur l’état d’un patient. Le poids qu’il convient d’accorder à une telle preuve est normalement une question qui est laissée à l’appréciation de la Commission. Néanmoins, cette dernière doit éviter d’accorder une importance trop grande à des éléments de preuve non corroborés et ne comportant pas suffisamment d’indices de fiabilité, règle dont elle a omis de tenir compte en l’espèce.

(2) Réception de nouvelles preuves en appel

116 L’appelant a présenté à la Cour d’appel une requête demandant à celle-ci de recevoir de nouvelles preuves. Ces preuves portaient sur l’état mental du professeur Starson à ce moment et sur une décision qui avait été rendue ultérieurement par la COE. Le paragraphe 80(9) de la Loi prévoit ce qui suit :

Le tribunal entend l’appel d’après le dossier, y compris la transcription, mais il peut recevoir de nouvelles preuves ou des preuves additionnelles, selon ce qu’il juge équitable.

117 L’appelant n’a donné aucun détail à la Cour relativement à la preuve qu’il voulait présenter. Par conséquent, il n’y a aucune base permettant d’évaluer la décision de la Cour d’appel de la rejeter.

118 La capacité d’un patient peut varier avec le temps. La Commission rend sa décision en fonction de la capacité du patient au moment de l’audience. Le fait de conclure à la capacité du professeur Starson peut avoir des répercussions importantes sur de futures décisions concernant les traitements. En effet, s’il devient incapable ultérieurement, le médecin traitant a besoin du consentement du mandataire spécial du patient : voir l’al.10(1)b) de la Loi. Le mandataire qui sait que, lorsqu’il était encore apte à le faire, l’incapable a exprimé un désir applicable aux circonstances, doit donner ou refuser son consentement conformément au désir ainsi exprimé : art. 21. Par conséquent, une décision antérieure de la Commission selon laquelle le professeur Starson était capable peut être pertinente pour décider si le patient avait exprimé des désirs applicables aux circonstances futures. Si tel est le cas, il a le droit de faire reconnaître juridiquement cette capacité, pour qu’on tienne suffisamment compte des désirs exprimés à ce moment‑là.

119 En conséquence, la tâche du tribunal judiciaire en cas de contrôle fondé sur la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé consiste à décider si la Commission a tiré une conclusion raisonnable eu égard à la capacité du patient au moment de l’audience. De nouveaux éléments de preuve concernant la détérioration de l’état de santé du patient après l’audience ne sont pas pertinents à l’égard de cette décision. Il faut distinguer la présente affaire de l’arrêt R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779, 2003 CSC 33, rendu à la même date, dans lequel la Cour a jugé que des éléments de preuve nouveaux concernant la détérioration de l’état mental d’une personne faisant l’objet d’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux étaient admissibles pour décider si cette personne devait se voir accorder une absolution inconditionnelle ou être maintenue en détention parce qu’elle représentait un risque important pour la sécurité du public. En l’espèce, la sécurité du public n’est pas en cause. Si l’état d’un patient se détériore après la tenue de l’audience sur la capacité, il est loisible au médecin traitant de conclure une fois de plus à l’incapacité du patient, conclusion que ce dernier pourra contester à nouveau devant la Commission. Compte tenu de son expertise relative en matière de décisions sur la capacité au regard des faits et de la manière expéditive avec laquelle elle peut tenir ses audiences, la Commission est manifestement le forum qui se prête le mieux à l’examen de nouveaux éléments preuve.

VI. Conclusion

120 La juge siégeant en révision a décidé à juste titre que la conclusion d’incapacité tirée par la Commission était déraisonnable et que cette dernière avait mal appliqué le critère de détermination de la capacité prévu par la Loi. Rien ne permet de conclure que l’une ou l’autre des décisions dont appel comporte une erreur sur les questions de preuve soulevées par l’appelant. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Gonthier et LeBel sont dissidents.

Procureur de l’appelant : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs nommés par la Cour en qualité d’amicus curiae : Hiltz Szigeti, Toronto.

Procureurs de l’intervenante la Société canadienne de schizophrénie : Borden Ladner Gervais, Toronto.

Procureurs de l’intervenant le Centre de toxicomanie et de santé mentale : Paterson MacDougall, Toronto.

Procureurs des intervenants Mental Health Legal Committee et Mental Health Legal Advocacy Coalition : Swadron Associates, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2003 CSC 32 ?
Date de la décision : 06/06/2003
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Médecins et chirurgiens —— Traitement médical - Consentement —— Commission du consentement et de la capacité de l’Ontario - Refus du patient de consentir au traitement médical proposé pour soigner ses troubles bipolaires - Patient jugé incapable par les médecins de prendre la décision concernant le traitement - Infirmation au terme d’une procédure de révision judiciaire de la décision de la Commission concluant à l’incapacité du patient - La juge siégeant en révision a‑t‑elle appliqué adéquatement la norme de la décision raisonnable à la conclusion d’incapacité prononcée par la Commission? - La juge siégeant en révision a‑t‑elle eu raison de conclure que la Commission avait mal appliqué le critère de détermination de la capacité prévu par la loi? - Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, L.O. 1996, ch. 2, ann. A.

Depuis 1985, l’intimé a souvent été hospitalisé dans des établissements psychiatriques aux États‑Unis et au Canada et, la plupart du temps, on a conclu qu’il souffrait de troubles bipolaires. Sa plus récente admission à l’hôpital est survenue après qu’il a été déclaré criminellement non responsable d’avoir proféré des menaces de mort et la Commission ontarienne d’examen a ordonné sa détention pendant une période de 12 mois. Les médecins de l’intimé ont proposé de traiter ses troubles bipolaires au moyen, notamment, de médicaments neuroleptiques, de psychorégulateurs, de médicaments anxiolytiques et de médicaments antiparkinsoniens. L’intimé a refusé de prendre cette médication et le médecin traitant a conclu que ce dernier était incapable de décider s’il devait accepter ou rejeter le traitement médical proposé. Conformément à la loi ontarienne intitulée Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, une personne peut être traitée sans son consentement, au motif qu’elle n’a pas la capacité de donner ce consentement, la capacité étant définie comme étant l’aptitude « à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant le traitement [. . .] et [. . .] à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision ». L’intimé a demandé à la Commission du consentement et de la capacité de l’Ontario de réviser cette décision. La confirmation par la Commission de la conclusion d’incapacité a subséquemment été infirmée au terme d’une procédure de révision judiciaire en Cour supérieure de justice. La Cour d’appel a confirmé les conclusions de la juge siégeant en révision.

Arrêt (la juge en chef McLachlin et les juges Gonthier et LeBel sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.

Les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et Deschamps : Suivant la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, une personne est présumée capable de décider d’accepter ou de refuser un traitement médical. Par conséquent, les patients souffrant de troubles mentaux sont présumés avoir le droit de décider eux‑mêmes s’ils veulent suivre un traitement. La présomption de capacité ne peut être réfutée que par la preuve que le patient ne satisfait pas aux critères établis par la Loi pour établir sa capacité. La détermination de la capacité exige l’application de deux critères. Premièrement, la personne concernée doit être apte à comprendre les renseignements pertinents à l’égard de la prise d’une décision concernant un traitement. Deuxièmement, cette personne doit être apte à évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles d’une décision ou de l’absence de décision. Le mandat confié par la Loi à la Commission du consentement et de la capacité consiste uniquement à décider de la capacité du patient. L’opinion de la Commission sur les mesures qui sont dans l’intérêt du patient n’est pas pertinente à l’égard de cette décision. La question en litige, à savoir la détermination par la Commission de la capacité d’un patient est une question mixte de droit et de fait : la Commission doit appliquer le critère établi par la Loi pour statuer sur la capacité, et ce au regard de la preuve qui lui est présentée. En l’absence d’erreur de droit, il s’agit d’une question dont la réponse tient principalement aux faits. Si on applique la méthode pragmatique et fonctionnelle à cette question, il est clair que la norme de contrôle appropriée est la décision raisonnable.

En l’espèce, la juge siégeant en révision a appliqué la norme de contrôle appropriée et a à juste titre décidé que la conclusion de la Commission était déraisonnable. La constatation d’incapacité faite par la Commission reposait sur deux conclusions : le fait que le patient niait « presque totalement » l’existence des troubles mentaux et son inaptitude à évaluer les conséquences de sa décision. Il ressort d’un examen attentif de la preuve que ni l’une ni l’autre de ces conclusions n’est fondée. Le patient ne percevait pas son état comme une maladie, mais il était néanmoins parfaitement conscient que son cerveau ne fonctionnait pas normalement. Il n’y avait également aucun élément de preuve indiquant que la médication proposée améliorerait vraisemblablement l’état de l’intimé. En outre, ce dernier comprenait les effets escomptés de la médication. La conclusion de la Commission selon laquelle le traitement améliorerait les chances de succès de l’intimé à l’occasion de futures auditions de sa cause par une commission d’examen relève entièrement de la conjecture. Rien ne permettait à la Commission du consentement et de la capacité de conclure que l’un des effets bénéfiques possibles du traitement serait la reprise par l’intimé de son travail de physicien. Enfin, à aucun moment au cours de l’audience on n’a demandé à celui‑ci s’il était conscient de la possibilité que son état se détériore en l’absence de traitement. Par conséquent, rien ne justifiait la Commission de conclure comme elle l’a fait à l’incapacité.

De plus, la Commission a mal appliqué le critère de détermination de la capacité prévu par la Loi. L’interprétation de cette norme légale est une question de droit. Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la Commission sur cette question et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Bien que la Commission ait jugé que l’intimé ne comprenait pas bien les risques et les effets bénéfiques du traitement, elle a omis de se demander si cette incompréhension démontrait l’incapacité de celui‑ci d’évaluer ces risques et ces effets bénéfiques. En outre, il ressort des motifs de la Commission qu’elle s’est éloignée du mandat que lui confie la Loi, à savoir décider uniquement de la capacité du patient. La sagesse de la décision de l’intimé concernant le traitement n’est pas pertinente pour trancher la question de la capacité. La Commission a laissé sa propre conception de l’intérêt de l’intimé influencer indûment la conclusion d’incapacité qu’elle a tirée.

La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier et LeBel (dissidents) : La Commission du consentement et de la capacité a bien appliqué les règles de droit pertinentes et rien dans ses motifs de décision ne tend à indiquer qu’elle s’est éloignée de la question dont elle était saisie — à savoir la capacité de l’intimé de prendre lui‑même des décisions d’ordre médical le concernant. La sympathie exprimée par la Commission à l’égard de la situation de l’intimé était uniquement un témoignage de sollicitude et n’indique pas que la Commission s’est attachée à l’intérêt de l’intimé plutôt qu’à la capacité de celui‑ci.

Il ne s’agit pas en l’espèce de décider si la conclusion de la Commission était la meilleure eu égard à la preuve, mais plutôt de savoir si elle fait partie de celles qu’elle pouvait raisonnablement tirer. Ce n’est que si la conclusion de la Commission est déraisonnable, à la lumière de l’ensemble de la preuve, qu’elle peut être annulée. Dans la présente affaire, la conclusion de la Commission selon laquelle l’intimé n’avait pas la capacité de prendre des décisions en matière de traitement a de solides assises dans la preuve et ne saurait être qualifiée de déraisonnable. La conclusion de la Commission selon laquelle l’intimé niait « presque totalement » sa maladie est amplement étayée par la preuve. Bien que la Commission n’ait jamais laissé entendre que l’intimé niait tous ses problèmes et ses symptômes, elle a effectivement dit, à raison, qu’il ne considérait pas ses symptômes et ses difficultés comme une maladie ou un problème pertinent à l’égard des traitements qu’on lui proposait. La Commission était justifiée de conclure, à la lumière de cette preuve, que l’intimé niait sa maladie mentale en général, et non seulement le diagnostic particulier. Ce déni était exacerbé par l’incapacité de l’intimé, en raison de son état délirant, de comprendre, comme le requiert la Loi, les renseignements pertinents à l’égard du traitement. De plus, il y avait au dossier amplement de preuve appuyant la conclusion de la Commission selon laquelle l’intimé était incapable d’évaluer les conséquences raisonnablement prévisibles de l’acceptation ou du refus du traitement du fait qu’il n’était pas apte à évaluer (1) les effets bénéfiques possibles de la médication, (2) le fait que, sans cette médication, il est peu probable qu’il fonctionne à nouveau comme autrefois et qu’il est possible que son état continue à se détériorer, et (3) le lien entre l’absence de traitement et les décisions futures de la Commission d’examen. Vu cette preuve et l’application par la Commission du consentement et de la capacité des critères juridiques appropriés, je ne vois aucune raison justifiant une cour siégeant en révision d’annuler la décision de cette dernière.


Parties
Demandeurs : Starson
Défendeurs : Swayze

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Major
Distinction d’avec l’arrêt : R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779, 2003 CSC 33
arrêts mentionnés : T. (I.) c. L. (L.) (1999), 46 O.R. (3d) 284
Fleming c. Reid (1991), 4 O.R. (3d) 74
E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388
Koch (Re) (1997), 33 O.R. (3d) 485
U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748
Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982
Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19
Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20.
Citée par la juge en chef McLachlin (dissidente)
R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779, 2003 CSC 33
Khan c. St. Thomas Psychiatric Hospital (1992), 7 O.R. (3d) 303.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, Partie XX.1, art. 672.54 [aj. 1991, ch. 43, art. 4].
Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, L.O. 1996, ch. 2, ann. A, art. 1, 4(1), (2), 10(1)b), 21, 70(2), 71(3), 73(2), 75, 80(1) [mod. 2000, ch. 9, art. 48], (9), (10).
Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1990, ch. M.7, art. 20(1) à (5).
Loi sur l’exercice des compétences légales, L.R.O. 1990, ch. S.22, art. 15(1).
Doctrine citée
Berg, Jessica W., et al. Informed Consent : Legal Theory and Clinical Practice, 2nd ed. New York : Oxford University Press, 2001.
Hoffman, Brian F. The Law of Consent to Treatment in Ontario, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1997.
Macklin, Ruth. « Some Problems in Gaining Informed Consent from Psychiatric Patients » (1982), 31 Emory L.J. 345.
Roth, Loren H., Alan Meisel and Charles W. Lidz. « Tests of Competency to Consent to Treatment » (1977), 134 Am. J. Psychiatry 279.
Weisstub, David N. Enquête sur la capacité mentale : Rapport final. Toronto : Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 1990.

Proposition de citation de la décision: Starson c. Swayze, 2003 CSC 32 (6 juin 2003)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2003-06-06;2003.csc.32 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award