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10/06/1993 | CANADA | N°[1993]_2_R.C.S._482

Canada | R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482 (10 juin 1993)


R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482

Gifford Aalders Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Aalders

No du greffe: 22617.

1993: 3 mars; 1993: 10 juin.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1991] R.J.Q. 2097, 39 Q.A.C. 175, 69 C.C.C. (3d) 154, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité relativement à une accusation de meurtre au premier degré. Pou

rvoi rejeté, le juge Sopinka est dissident.

Gervais Labrecque, pour l'appelant.

Georges Letendre, pour l'intimée.

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R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482

Gifford Aalders Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Aalders

No du greffe: 22617.

1993: 3 mars; 1993: 10 juin.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1991] R.J.Q. 2097, 39 Q.A.C. 175, 69 C.C.C. (3d) 154, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité relativement à une accusation de meurtre au premier degré. Pourvoi rejeté, le juge Sopinka est dissident.

Gervais Labrecque, pour l'appelant.

Georges Letendre, pour l'intimée.

//Le juge Cory//

Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et Cory rendu par

Le juge Cory — Le présent pourvoi soulève deux questions principales. La première vise à déterminer si le juge du procès a commis une erreur en permettant au ministère public de présenter une contre‑preuve. La seconde vise à savoir si les directives du juge au jury étaient appropriées relativement aux aspects critiques du meurtre au premier degré, notamment quant à la préméditation et au propos délibéré.

I. Les faits

Le 20 janvier 1986, l'appelant Aalders a tiré un coup mortel sur Lawrence Ford dans la maison de ce dernier, à St‑Basile. Plus tôt dans la matinée, Aalders s'était fait conduire chez les Ford par un ami, qui l'a laissé à une certaine distance de la maison. Aalders fréquentait régulièrement la famille de la victime et en connaissait les habitudes. Il savait que personne ne serait à la maison à huit heures du matin un jour de semaine. Il savait qu'il n'y aurait personne dans la maison jusqu'à ce que M. Ford y retourne aux environs de midi. L'appelant a sonné à la porte principale, mais n'a pas reçu de réponse. Il est ensuite allé vers la porte arrière, qu'il a ouverte au moyen d'un tourne‑vis qu'il avait par hasard sur lui et s'est introduit par effraction. Une fois entré, il est immédiatement descendu au sous‑sol où il a pris et chargé une carabine 30.30. Il est ensuite retourné au rez‑de‑chaussée. Lorsqu'il est descendu au sous‑sol, le chien de la maison, Tuppy, s'était mis à aboyer en tentant loyalement de défendre la maison familiale. En revenant au rez‑de‑chaussée, Aalders est entré dans la chambre à coucher où se trouvait le chien et a fait feu sur lui.

Après avoir tué le chien, l'appelant a entrepris la fouille de la maison. Il est tout d'abord allé dans la chambre à coucher principale et a fouillé les tiroirs des tables de nuit et des commodes et en a vidé le contenu sur le plancher. Il a trouvé un pistolet de calibre .32 non chargé. Il a ensuite trouvé le chargeur qui contenait deux balles. Il a continué à chercher des munitions pour le pistolet et a finalement tiré sur la serrure d'un coffret au sous‑sol, dans lequel il en a trouvées. Dans sa déclaration à la police, Aalders a dit qu'il avait chargé le pistolet de calibre .32 parce qu'il n'était pas aussi lourd et encombrant que la carabine 30.30. Il a ensuite placé le pistolet chargé dans sa ceinture avant de remonter. Il a dit avoir fait cela au cas où quelqu'un entrerait dans la maison car il ne voulait pas être surpris.

En cherchant des munitions dans les placards de la maison, Aalders avait trouvé des bocaux remplis d'argent. Après avoir trouvé et chargé le pistolet, il est retourné dans la chambre à coucher principale et a sorti les bocaux des placards. Il est ensuite allé dans la chambre de Laura Jane Ford, la fille de la victime, où il a aussi trouvé de l'argent, qu'il a pris. Il est alors retourné en bas et a trouvé plusieurs sacs dans lesquels il a mis l'argent et les autres armes (les fusils et la carabine) qu'il avait trouvés dans la maison. Pour se nourrir, il a pris trois bouteilles de vin qu'il a mises dans des bars portatifs ainsi que deux sacs de biscuits.

Une partie de l'argent pris dans la résidence des Ford se composait d'anciens billets canadiens et américains que la victime et sa fille avaient collectionnés. Le poids total de tous les articles saisis dans la maison était de 190 livres. Aalders avait placé tous ces articles sur le plancher près de la porte où il était entré. Il a dit que son intention était de les cacher dans le bois près de la maison et de revenir les chercher plus tard. On peut également déduire que le vol avait été soigneusement planifié de façon à se dérouler pendant l'absence des occupants de la maison, qu'Aalders avait besoin d'une voiture pour transporter les biens volés et qu'il était armé et attendait le retour de M. Ford dans sa voiture vers midi.

Quoi qu'il en soit, l'appelant a témoigné qu'il est retourné en haut et qu'il était dans la salle de bains lorsqu'il a entendu le bruit d'une porte en bas. Il s'est alors rendu compte que quelqu'un était dans la maison. Il est ensuite entré dans la baignoire et a sorti le pistolet qu'il avait à la ceinture. Aalders a vu une ombre devant la salle de bains et ensuite le reflet d'un homme de dos dans le miroir de la salle de bains. L'homme se trouvait dans la chambre à coucher principale où l'appelant avait tué le chien de la famille. Lorsqu'il a vu la personne dans la chambre se retourner, l'appelant est sorti de la salle de bains et s'est dirigé vers la chambre à coucher avec le pistolet à la main. Dans son témoignage au procès, il a dit avoir visé les jambes de la personne dans la chambre, avoir fermé les yeux et appuyé sur la détente. Il a dit qu'il voulait seulement s'enfuir de la maison et qu'il n'avait pas l'intention de tuer la victime. Toutefois, il importe de signaler que dans sa longue déclaration à la police, Aalders n'a pas mentionné qu'il avait pointé l'arme sur les jambes de la victime ou qu'il avait seulement voulu s'enfuir. Selon le rapport d'autopsie, M. Ford a été atteint de huit projectiles, dont un seul s'est logé dans la région des jambes, les autres s'étant pour la plupart logés dans la région du torse et du cou.

Après avoir tiré la victime, Aalders a quitté la pièce et s'est rendu à la voiture de M. Lawrence Ford. Lorsqu'il s'est rendu compte que les clés n'y étaient pas, Aalders est retourné dans la maison et a fouillé les poches de M. Ford jusqu'à ce qu'il les trouve. Il a pris les clés ainsi qu'une somme de 50 à 60 $ qui se trouvait dans le porte‑monnaie de la victime. L'appelant a ensuite pris les biens volés, y compris la carabine, les fusils et le vin, les a placés dans le coffre de la voiture et il est parti. Il a été arrêté trois jours plus tard à Charlesbourg.

II. Les juridictions inférieures

1. L'exposé du juge du procès au jury

Le juge du procès a expliqué au jury que, conformément à la règle générale, le meurtre exige une intention de tuer au sens des sous‑al. 212a)(i) et (ii) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34 (maintenant L.R.C. (1985), ch. C-46, sous-al. 229a)(i) et (ii)). Il a dit au jury qu'il devait tout d'abord examiner si l'appelant avait l'intention de tuer au sens de la règle générale. Dans l'affirmative, il devait ensuite examiner si l'appelant, lorsqu'il a eu cette intention, avait agi avec préméditation et de propos délibéré. Le juge du procès a dit au jury qu'il devait déclarer l'appelant coupable de meurtre au premier degré s'il était convaincu hors de tout doute raisonnable qu'il avait eu l'intention de tuer la victime et que le meurtre avait été commis avec préméditation et de propos délibéré. Toutefois, il devait le déclarer coupable de meurtre au deuxième degré s'il était d'avis que l'appelant avait eu l'intention de tuer la victime, mais qu'il subsistait un doute raisonnable quant à la préméditation et au propos délibéré.

Le juge du procès a remis aux membres du jury une description écrite des éléments de l'acte criminel qu'est le meurtre au premier degré. Voici cette description:

Dans cette cause, la poursuite avait le fardeau de prouver, hors de tout doute raisonnable, les éléments constitutifs suivants:

1. Que l'accusé, Gifford Aalders, le ou vers le vingt (20) janvier mil neuf cent quatre‑vingt‑six (1986), à Portneuf Station, district de Québec;

2. a causé illégalement la mort de Monsieur Lawrence Ford;

3. avec l'intention de causer sa mort ou de lui causer des lésions corporelles qu'il savait être de nature à causer sa mort et qu'il lui était indifférent que sa mort s'ensuive ou non;

4. et ce, avec préméditation et de propos délibérés.

Le juge du procès a dit au jury de retrancher le paragraphe 4 pour obtenir la description des éléments du meurtre au deuxième degré.

Pour expliquer le sens de l'expression «préméditation et de propos délibérés», il a dit:

En droit criminel, cette expression signifie le dessein réfléchi qui a précédé l'exécution d'un acte illégal. C'est l'accomplissement d'un acte illégal après y avoir pensé.

En d'autres mots, on peut résumer en disant: C'est un acte planifié et voulu. Une personne commet donc un crime avec préméditation et de propos délibérés lorsqu'elle l'a planifié, qu'elle a prévu cette éventualité et qu'elle s'est préparée en conséquence, en pleine connaissance de cause. En d'autres mots, elle s'est préparée.

Le juge du procès a alors abordé l'examen de l'exception visée à l'al. 213d) (maintenant l'al. 230d)) du Code. Il a dit au jury que, s'il avait, par rapport à la règle générale, un doute raisonnable quant à l'intention de tuer de l'accusé, il devait alors tenir compte de l'exception prévue à l'al. 213d). Si le jury était d'avis que l'accusé avait eu l'intention de commettre un vol qualifié et qu'il avait causé la mort de la victime pendant la perpétration de ce vol qualifié, il devait le déclarer coupable de meurtre au deuxième degré. Le juge du procès a également présenté au jury une liste des éléments constitutifs du meurtre par imputation en vertu de l'al. 213d) du Code. Il a dit au jury qu'il devait acquitter l'accusé s'il avait des doutes quant à l'intention de tuer la victime, quant aux éléments de préméditation et de propos délibéré ou quant à l'existence des éléments prévus à l'al. 213d).

En réponse à une question posée par le jury sur la préméditation, le juge du procès a dit:

Je vais donc débuter en vous expliquant à nouveau la signification de l'expression «préméditation et de propos délibérés», qu'on peut résumer par le mot «planifier» ou le mot «planification».

Souvent on emploie, au lieu de toujours employer l'expression au long «préméditation et de propos délibérés», bien on peut résumer en disant «planifier, préparer à l'avance, y avoir pensé à l'avance, penser à quelque chose à l'avance», c'est un peu ça la préméditation.

Il a aussi affirmé:

Alors en droit criminel, l'expression «préméditation et de propos délibérés» signifie: le dessein réfléchi qui a précédé l'exécution d'un acte illégal. Alors c'est l'accomplissement d'un acte illégal après y avoir pensé. C'est un acte planifié et voulu.

En conséquence, le jury a déclaré l'appelant coupable de meurtre au premier degré.

2. La Cour d'appel

L'appelant a soulevé quatre moyens d'appel: l'admissibilité de la déclaration qu'il a faite aux policiers; l'exposé du juge au jury relativement au meurtre au premier degré; l'absence de directives sur l'homicide involontaire coupable et l'admissibilité de la contre‑preuve. La Cour d'appel à l'unanimité a conclu à l'admissibilité de la déclaration, mais le juge Proulx était dissident relativement aux trois autres moyens: [1991] R.J.Q. 2097. (L'appelant a demandé à notre Cour l'autorisation de se pourvoir contre l'admissibilité de la déclaration, mais cette demande a été rejetée le 6 février 1992, [1992] 1 R.C.S. v.)

a) Le juge Proulx (dissident)

Le juge Proulx était d'avis d'accueillir l'appel et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

(i) La préméditation et le propos délibéré

Selon le juge Proulx, le juge du procès n'a pas, dans son exposé au jury, établi de distinction entre la préméditation et le propos délibéré. Le juge Proulx a précisé que ces deux éléments sont distincts et qu'ils doivent coexister pour qu'une personne puisse être déclarée coupable de meurtre au premier degré: R. c. Nygaard, [1989] 2 R.C.S. 1074, et R. c. Widdifield (1963), 6 Crim. L.Q. 152 (H.C. Ont.). Il a affirmé, à la p. 2102:

Alors que la préméditation s'entend d'un projet bien arrêté et dont la nature et les conséquences ont été examinées et soupesées, encore est‑il requis que le sujet, par son propos délibéré, considère ce qu'il a planifié, c'est‑à‑dire qu'il prenne le temps de réfléchir sur la portée du geste qu'il se propose d'accomplir.

Pour le juge Proulx, le «propos délibéré» nécessite que la personne prenne le temps de réfléchir une fois le plan arrêté. Il affirme: «le processus de délibération implique que son auteur, comme je l'ai souligné, prenne le temps de réfléchir». Il a également fait sienne la déclaration contenue dans l'arrêt Pilon c. The Queen (1965), 46 C.R. 272 (B.R. Qué.), à la p. 286:

. . . le propos délibéré procède de la volonté éclairée par une intelligence qui a pu réfléchir à la nature et à la qualité de l'acte incriminé.

En s'appuyant sur les arrêts More c. The Queen, [1963] R.C.S. 522, McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484, et R. c. Mitchell, [1964] R.C.S. 471, le juge Proulx a précisé qu'un meurtre peut être prémédité, mais non commis de propos délibéré et vice‑versa. À son avis, lorsque le meurtre a été prémédité, mais que le geste final a été accompli sous le coup d'une impulsion soudaine plutôt qu'après réflexion, il n'y aurait pas de propos délibéré.

Le juge Proulx a aussi indiqué que si le meurtre survient à l'occasion de la perpétration d'une autre infraction, il est essentiel d'éviter, dans l'exposé au jury, la confusion entre la préméditation et le propos délibéré requis pour cette autre infraction et la préméditation et le propos délibéré requis pour le meurtre au premier degré.

Examinant l'ensemble de l'exposé au jury, le juge Proulx a conclu que le juge du procès a omis de faire ces distinctions. L'exposé laissait entendre que le propos délibéré était compris dans la notion de «préméditation». Le juge Proulx a dit: «le premier juge [. . .] n'a soumis véritablement qu'une seule question au jury, à savoir: le meurtre a‑t‑il été planifié, voulu, prémédité?» (p. 2105). Il a aussi indiqué que le juge du procès a omis de définir «le propos délibéré».

Selon le juge Proulx, l'exposé n'était pas clair sur la différence entre l'intention de tuer, et l'intention requise pour le meurtre au premier degré. À son avis, en disant qu'«un meurtre planifié est un meurtre voulu ou encore préparé» (p. 2106), le juge du procès a omis de faire une distinction entre un meurtre prémédité et un meurtre intentionnel.

Selon le juge Proulx, si le jury avait reçu les directives appropriées, le verdict n'aurait pas nécessairement été le même, car la preuve laissait d'importantes questions sans réponse. Par exemple, l'appelant a‑t‑il planifié le meurtre? A‑t‑il donné suite à son plan de propos délibéré? De l'avis du juge Proulx, seul un jury ayant reçu des directives appropriées peut répondre à ces questions.

(ii) La contre‑preuve

Appliquant les principes formulés dans l'arrêt R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466, le juge Proulx a conclu que la contre‑preuve du ministère public n'était pas admissible parce qu'elle portait seulement sur une question incidente. À son avis, il n'est pas suffisant que la preuve soit pertinente, elle doit aussi être importante ou essentielle.

Il a fait remarquer que l'appelant n'a pas soulevé de faits nouveaux dans son témoignage. C'est plutôt l'intimée, lors du contre‑interrogatoire de l'appelant, qui a introduit l'idée que l'argent trouvé en la possession de l'appelant au moment de son arrestation provenait d'allocations d'aide sociale. La question de la provenance de l'argent était pertinente relativement à la possession récente d'objets volés. Toutefois, selon le juge Proulx, puisque l'appelant avait déjà admis qu'il avait dérobé des sommes d'argent tant sur la personne de la victime que dans la résidence, le témoignage des fonctionnaires de l'aide sociale n'était aucunement essentiel. À son avis, le contre‑preuve ne visait qu'à attaquer la crédibilité de l'appelant; même si la crédibilité était en cause, cela ne rendait pas pour autant admissible la contre‑preuve sur une question incidente: Krause, précité; John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476; Latour c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 361, et R. c. Perry (1977), 36 C.C.C. (2d) 209 (C.A. Ont.).

(iii) L'homicide involontaire coupable

De l'avis du juge Proulx, le juge du procès a commis une erreur en ne soumettant pas au jury la question de l'homicide involontaire coupable. Dans son témoignage, l'appelant a dit qu'il n'avait pas l'intention de tuer la victime. En conséquence, puisque l'intention de tuer était en litige, le juge Proulx était d'avis que la question de l'homicide involontaire coupable aurait dû être présentée au jury. Selon le juge Proulx, le juge du procès avait l'obligation de traiter de tous les moyens de défense découlant de la preuve: Lampard c. The Queen, [1969] R.C.S. 373, et Schuldt c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 592.

b) Le juge Chouinard (souscrivant à l'opinion du juge Tourigny)

(i) La préméditation et le propos délibéré

Tenant compte de la preuve que l'appelant savait que la victime venait quotidiennement à sa résidence à l'heure du déjeuner, de la confession de l'appelant et du fait qu'il s'est approprié les armes dès son arrivée sur les lieux, le juge Chouinard a affirmé que la théorie de la défense (quant à la surprise et à la panique de l'appelant au moment de l'arrivée de la victime) était peu crédible. Il a dit: «Ainsi, le verdict de meurtre au premier degré rendu par le jury me semble raisonnable, conforme à celui qu'un jury convenablement instruit aurait rendu dans une cause semblable» (p. 2111).

Tout en convenant qu'un crime prémédité peut ne pas être commis de propos délibéré, le juge Chouinard ne croyait pas, contrairement au juge Proulx, que cette question était en litige en l'espèce. L'appelant a attendu quelque quatre heures l'arrivée de la victime et l'a alors criblée de huit balles. Selon la thèse du ministère public, il y a eu une longue préparation du plan et une exécution accomplie avec froideur et lucidité. De l'avis du juge Chouinard, cette thèse constituait une inférence raisonnable à tirer de la preuve et elle n'était pas conciliable avec la crainte, la surprise et l'impulsion soudaine. Le jury l'a de toute évidence rejetée. Par ailleurs, le juge Chouinard a affirmé que l'ensemble de l'exposé au jury établissait clairement une distinction entre les notions de préméditation et de propos délibéré.

(ii) La contre‑preuve

Selon le juge Chouinard, la possession récente de la voiture et des objets de la victime, y compris son argent, lors de l'arrestation de l'accusé, rendait la provenance de ces choses un fait important même s'il ne contestait pas le vol comme tel.

c) Le juge Tourigny

(i) La contre‑preuve

Le juge Tourigny a estimé que, dans le contexte des prétentions de l'appelant quant à l'origine de l'argent, la contre‑preuve était admissible. Les faits en l'espèce sont différents de ceux de l'affaire Krause, précitée, dans laquelle il n'y avait aucune preuve d'une déclaration faite aux policiers, la question de déclarations contradictoires s'était présentée en contre‑interrogatoire et la crédibilité de Krause portait sur une question incidente seulement. En l'espèce, la crédibilité n'était pas une question incidente; c'était une question essentielle qui touchait la mens rea. Le juge Tourigny a dit que la preuve des employés de l'aide sociale n'aurait pas pu être amenée en preuve principale, car le ministère public ne pouvait prévoir que l'appelant changerait sa version des faits.

D'après le juge Tourigny, la présente affaire diffère également de l'affaire Latour, précitée, dans laquelle l'accusé avait présenté une défense d'alibi, affirmant qu'il n'était jamais allé à l'endroit en question. Le ministère public avait amené en contre‑preuve que l'accusé avait été vu à cet endroit, quelque trois mois après le crime. Dans cette affaire, l'attaque de la crédibilité portait sur une question incidente. En l'espèce, de l'avis du juge Tourigny, l'appelant, en changeant sa version des faits quant à son intention de voler et à son intention de tuer, a fait de sa crédibilité une question principale.

(ii) L'homicide involontaire coupable

Le juge Tourigny a conclu que le juge du procès n'a pas commis d'erreur en ne soumettant pas au jury la question de l'homicide involontaire coupable puisque, à son avis, rien dans la preuve n'appuyait pareille prétention. Quoi qu'il en soit, le jury a décidé qu'il ne s'agissait ni d'un meurtre au deuxième degré, ni d'un meurtre par imputation, mais bien d'un meurtre au premier degré. Selon le juge Tourigny, ce verdict est raisonnable si par ailleurs l'exposé à cet égard est adéquat.

(iii) La préméditation et le propos délibéré

Le juge Tourigny a reproduit des extraits de l'exposé ainsi qu'un document que le juge du procès avait remis au jury. Ce document présentait les éléments de l'infraction au jury et mentionnait la préméditation et le propos délibéré en tant qu'éléments nécessaires du meurtre au premier degré. Elle a conclu, à la p. 2123:

J'avoue, pour ma part, ne pas trouver d'erreur dans les directives données par le juge; certes, comme je l'ai déjà dit, il n'a pas à chaque fois répété les mots précis mais il me paraît cependant que, compte tenu des propos qu'il avait tenus et des références faites au document qu'il avait distribué, le jury n'a pu être amené à comprendre autre chose que la nécessité de la présence hors de tout doute raisonnable de tous les éléments constitutifs du meurtre au premier degré, y compris le caractère «planifié et de propos délibérés».

III. Questions en litige

1.Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en permettant au ministère public de présenter une contre‑preuve relativement à la question de savoir si l'appelant était bénéficiaire d'aide sociale?

2.L'exposé du juge du procès au jury était‑il approprié relativement à la préméditation et au propos délibéré du meurtre au premier degré?

3.L'exposé du juge du procès au jury était‑il insuffisant en ce qu'il ne mentionnait pas la possibilité d'un verdict d'homicide involontaire coupable?

IV. Analyse

1. La contre‑preuve

Dans l'arrêt Krause, précité, notre Cour a formulé les principes régissant la présentation d'une contre‑preuve. La règle générale porte que le substitut du procureur général, en contre‑interrogeant un accusé, n'est pas limité aux sujets qui se rattachent strictement aux questions essentielles d'une affaire. Les avocats jouissent, en matière de contre‑interrogatoire, d'une grande liberté qui leur permet de vérifier et d'attaquer les dépositions des témoins et leur crédibilité. Toutefois, lorsque le substitut du procureur général pose des questions qui ne se rattachent pas à une question essentielle aux fins de la détermination de l'affaire, le ministère public est lié par les réponses données et ne peut présenter de contre‑preuve pour contester les déclarations faites par le témoin. Le bien‑fondé de cette règle a été expliqué par le juge McIntyre dans l'arrêt Krause, aux pp. 473 et 474:

Cette règle empêche les surprises injustes, les préjudices et la confusion qui pourraient résulter si le ministère public ou le demandeur était autorisé à scinder sa preuve, c'est‑à‑dire, à présenter une partie de ses éléments de preuve — autant qu'il l'estime nécessaire au départ — pour ensuite terminer la présentation de sa preuve et, après la fin de l'argumentation de la défense, ajouter d'autres éléments de preuve à l'appui de la position présentée au début. La raison d'être de cette règle est que le défendeur ou l'accusé a le droit à la fin de la présentation de la preuve du ministère public de disposer de la preuve complète du ministère public de manière à savoir, dès le début, ce à quoi il doit répondre.

Toutefois, il y a exception à cette règle lorsque la défense soulève de nouvelles questions ou de nouveaux moyens de défense dont le ministère public n'a pas eu l'occasion de traiter dans sa preuve principale et qu'il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Le juge McIntyre a fait la mise en garde suivante relativement à cette exception, à la p. 474:

. . . la contre‑preuve n'est pas permise en ce qui a trait à des questions qui confirment ou renforcent simplement des éléments de preuve soumis précédemment dans le cadre de la preuve du ministère public et qui auraient pu être soumis avant la présentation de la défense. Elle ne sera autorisée que si elle est nécessaire pour assurer qu'à la fin de l'audience chaque partie aura eu une chance égale d'entendre les arguments complets de l'autre et d'y répondre.

Il a ajouté les commentaires suivants relativement à la règle interdisant la présentation d'une contre‑preuve sur des questions incidentes:

Lorsqu'un élément nouveau ressort du contre‑interrogatoire, nouveau dans le sens que le ministère public n'a pas eu l'occasion d'en traiter dans sa preuve principale (c.‑à‑d. qu'il n'avait aucune raison de prévoir que la question serait soulevée), et lorsque la question porte sur le fond de l'affaire (c.‑à‑d. sur une question essentielle pour statuer sur l'affaire), le ministère public peut alors être autorisé à présenter une contre‑preuve. Toutefois, lorsque la nouvelle question est incidente, c'est‑à‑dire, non déterminante quant à une question soulevée dans les plaidoiries ou dans l'acte d'accusation ou sans rapport avec des questions dont la preuve est nécessaire pour trancher l'affaire, aucune contre‑preuve ne sera autorisée. [Je souligne.]

En l'espèce, on a soutenu que la contre‑preuve servait seulement à confirmer que l'appelant avait volé de l'argent dans la résidence des Ford. L'appelant a admis avoir volé des articles dans la maison des Ford; en conséquence, on a soutenu que la contre‑preuve n'était pas déterminante quant aux éléments qui doivent être prouvés pour trancher le présent pourvoi.

À mon avis, la question primordiale en ce qui concerne l'admission d'une contre‑preuve n'est pas de savoir si la preuve que le ministère public cherche à présenter est déterminante quant à une question essentielle, mais bien de savoir si elle se rapporte à une question essentielle qui peut être déterminante pour trancher l'affaire. Si la contre‑preuve porte sur un élément essentiel du litige et si le ministère public ne pouvait prévoir que cette preuve serait nécessaire, alors elle est généralement admissible. En conséquence, lorsqu'un témoin fait, au cours de son témoignage au procès, une déclaration qui entre en conflit avec d'autres éléments de preuve portant sur une question essentielle, la contre‑preuve sera autorisée pour résoudre ce conflit.

Il est vrai que le ministère public ne peut scinder sa preuve pour obtenir un avantage injuste. Il ne devrait pas non plus être autorisé à présenter une contre‑preuve relativement à une question purement incidente. Toutefois, la présentation d'une contre‑preuve peut être autorisée si elle se rapporte à une question essentielle de l'affaire. Dans ces circonstances, il serait erroné de priver le juge des faits d'une preuve importante se rapportant à un élément essentiel du litige. Un procès, plus particulièrement un procès criminel, doit se dérouler conformément aux règles d'équité de façon à garantir la protection de la personne accusée. Toutefois, les règles ne devraient pas aller jusqu'à priver le juge des faits d'éléments de preuve importants, susceptibles d'être utiles à la solution d'un élément essentiel du litige.

Examinons maintenant la situation en l'espèce. Le ministère public devait nécessairement établir qu'Aalders avait commis un vol à la résidence des Ford, et, à la fois, que ce vol était prémédité et que le meurtre de Lawrence Ford avait été commis avec préméditation et de propos délibéré. Le ministère public tenait beaucoup à faire ressortir l'importance du vol qualifié pour Aalders. En réalité, vu le volume et le poids des articles volés, Aalders avait besoin d'un véhicule pour les transporter. Il devait donc attendre dans la maison le retour de M. Ford à l'heure du déjeuner pour pouvoir tirer sur lui et prendre son véhicule. En outre, afin d'établir l'importance du vol qualifié pour Aalders, le ministère public devait nécessairement établir qu'Aalders avait en sa possession l'argent qu'il avait pris à la résidence des Ford et qu'il en avait besoin.

Au procès, Aalders a témoigné qu'il n'avait pas l'intention de voler lorsqu'il est arrivé à la maison, mais qu'il voulait simplement demander à M. Ford de le ramener de la gare plus tard. Il a admis avoir commis le vol une fois entré dans la maison, mais il a dit que c'est sa mère ou sa grand-mère qui lui avait donné les deux billets de cinq dollars et le billet de deux dollars (qui paraissaient assez anciens) qui étaient en sa possession lorsqu'il a été arrêté. Toutefois, selon le témoignage du fils de la victime, ces billets pourraient bien faire partie de la collection de billets anciens conservée par son père et sa s{oe}ur. Aalders a aussi témoigné que la somme de 141 $ qu'il avait sur lui lors de son arrestation provenait d'un chèque d'aide sociale qu'il avait reçu et encaissé. On a cherché à faire paraître le vol qualifié comme quelque chose de spontané, commis sur un coup de tête et comme un incident qui avait relativement peu d'importance pour Aalders puisqu'il avait d'autres sources de revenus.

Le ministère public n'avait aucun moyen de savoir que l'appelant allait témoigner ainsi vu la déclaration antérieure qu'il avait faite. Il n'est pas suffisant de dire qu'Aalders a admis avoir commis le vol qualifié parce qu'il a aussi nié d'importants aspects de ce vol de manière à le présenter non seulement sous un jour plus favorable pour lui mais aussi d'une façon erronée et trompeuse. Les témoignages des fonctionnaires de l'aide sociale qui ont affirmé qu'Aalders n'a jamais été bénéficiaire d'aide sociale étaient pertinents et importants parce qu'ils servaient à établir que le vol qualifié était, selon toute probabilité, la source de toutes les sommes d'argent trouvées en la possession de l'appelant lors de son arrestation. Ces témoignages étaient aussi importants relativement à l'accusation de meurtre puisqu'ils pouvaient raisonnablement permettre de déduire que le vol était important pour Aalders. On peut déduire de la preuve que le meurtre de Ford, dans le but d'obtenir la voiture de ce dernier, faisait partie intégrante du vol qualifié. Les témoignages concernant les détails du vol constituaient une partie importante de la preuve du ministère public. La nature et les détails du vol n'étaient pas une question incidente; ils étaient plutôt un aspect essentiel de la preuve. Dans les circonstances de l'espèce, le ministère public était justifié de présenter une contre‑preuve pour établir l'importance du vol qualifié pour Aalders.

Il y a lieu d'autoriser la présentation d'une contre‑preuve en l'espèce non seulement parce que cette contre‑preuve permettra d'attaquer la crédibilité d'Aalders, tout témoignage étant, dans une certaine mesure, assujetti à un test de crédibilité, mais plutôt parce que l'élément de preuve en question porte sur un élément essentiel de la preuve et que le ministère public ne pouvait prévoir que l'accusé allait témoigner de cette façon, ce qui rend la contre‑preuve admissible. L'aveu même de la perpétration du vol qualifié, fait par l'appelant au cours de son témoignage dans lequel il a faussé la nature de ce vol et changé d'importants détails, ne peut donner lieu à la conclusion que la contre‑preuve porte seulement sur des questions incidentes. Les déclarations faites par Aalders aux policiers, déclarées admissibles au procès, différaient de son témoignage; il était donc important que soit clarifiée toute confusion entre les déclarations et le témoignage sur ce point essentiel. Cette clarification ne pouvait être obtenue que par contre‑preuve. On ne peut alors affirmer que la contre‑preuve permettait au ministère public de scinder sa preuve.

À l'appui de sa position, l'appelant a invoqué deux arrêts. Le premier est l'arrêt Krause, précité. Comme je l'ai indiqué, l'admission de la contre‑preuve en l'espèce ne va pas à l'encontre des principes formulés dans l'arrêt Krause. Il importe également de tenir compte des faits fort différents de cet arrêt. Krause avait témoigné non seulement en ce qui concerne les circonstances qui entouraient le meurtre, mais aussi relativement à sa collaboration avec la police dans le cours de l'enquête sur le meurtre. Le ministère public avait contre‑interrogé Krause relativement aux déclarations qu'il avait faites aux policiers et avait alors demandé, conformément à l'art. 11 de la Loi sur la preuve au Canada, d'être autorisé à présenter une contre‑preuve après la présentation de la défense.

Le juge McIntyre, s'exprimant au nom de notre Cour à l'unanimité, a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en déclarant admissible et en autorisant le contre‑interrogatoire au sujet de la déclaration faite à la police puisque l'accusé n'avait fait aucune déclaration incompatible dans le cours de son témoignage. Notre Cour a statué que l'élément de preuve à l'égard duquel la présentation de la contre‑preuve a été autorisée traitait de la déclaration de l'accusé selon laquelle les policiers l'avaient harcelé avant son arrestation. Notre Cour a statué que cela était une question incidente qui n'était ni pertinente ni importante en ce qui a trait à la question de savoir si l'accusé avait tué la victime. Le témoignage de l'accusé portait atteinte seulement à l'intégrité de la police mais il ne touchait pas à la question de sa culpabilité ou de son innocence. Les faits étaient fort différents de ceux de l'espèce. En l'espèce, la contre‑preuve touchait à une question essentielle à la détermination du litige.

L'appelant a aussi invoqué l'arrêt Latour, précité. Latour avait été accusé de vol qualifié dans une bijouterie. Lors du procès, on a soutenu que Latour avait un alibi. En tentant d'attaquer ce moyen de défense, le ministère public avait demandé à Latour s'il s'était rendu dans une certaine bijouterie, à des dates spécifiées, trois mois après le vol en question. Le ministère public avait présenté une contre‑preuve seulement relativement à la question incidente de la présence de Latour dans une autre bijouterie à une date ultérieure. Notre Cour a statué que la contre‑preuve n'aurait pas dû être autorisée puisqu'elle ne se rapportait à aucun des éléments concernant le vol qualifié, ni à l'alibi ni, en fait, à aucune autre question substantielle soulevée. La contre‑preuve visait seulement à discréditer le témoignage de l'appelant en attaquant sa crédibilité relativement à une question purement incidente. Cette contre‑preuve était en conséquence irrégulière et inadmissible. Encore une fois, cet arrêt est fort différent du présent pourvoi et se distingue facilement d'avec ce dernier où la contre‑preuve portait sur une question essentielle qui faisait partie intégrante de la preuve de la poursuite.

2. Le caractère approprié de l'exposé sur le meurtre au premier degré

Il n'y a aucun doute que la préméditation et le propos délibéré sont des éléments distincts du meurtre au premier degré, lesquels doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable. Dans l'arrêt More, précité, le juge Cartwright (alors juge puîné) écrit aux pp. 533 et 534:

[traduction] La preuve à l'effet que l'appelant avait projeté le meurtre était très concluante, mais, comme le savant juge de première instance l'a signalé au jury avec raison, les jurés ne pouvaient trouver l'accusé coupable de meurtre qualifié à moins d'être convaincus hors de tout doute raisonnable non seulement que l'accusé avait projeté de commettre le meurtre, mais aussi qu'il l'avait commis de propos délibéré. Le savant juge de première instance a, à juste titre, indiqué au jury que le mot «délibéré» à l'art. 202A(2)a) signifie «réfléchi, non impulsif».

Les autres sens que l'Oxford Dictionary donne au mot «deliberate» (délibéré) sont [traduction] «peu empressé dans sa décision», «lent à décider», et «intentionnel». Dans ce paragraphe, le mot «délibéré» ne peut pas avoir uniquement le sens de «intentionnel» parce que c'est seulement si son acte a été intentionnel que l'accusé peut être déclaré coupable de meurtre. Ce paragraphe exige la preuve d'un élément de plus pour qu'un prévenu puisse être déclaré coupable de meurtre qualifié.

L'appelant soutient que le juge du procès a omis de faire la distinction qui s'impose entre les éléments concernant la préméditation et le propos délibéré. Je ne peux accepter cette prétention. Il ressort de la lecture de l'ensemble de l'exposé que le jury a reçu les directives appropriées relativement aux éléments «préméditation» et «propos délibéré». À plusieurs reprises, le juge du procès a dit au jury que, pour déclarer l'appelant coupable de meurtre au premier degré, il devait conclure que l'acte avait été «planifié et voulu». Dans la description écrite des éléments du meurtre au premier degré qu'il a remise au jury, le juge du procès indique clairement dans le dernier paragraphe que le ministère public a le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que le meurtre a été commis «avec préméditation et de propos délibérés». Ces directives ont été répétées plusieurs fois au jury. À titre d'exemple, la directive ci‑après indique clairement au jury le sens distinct des termes «avec préméditation» et de «propos délibéré»:

Alors en droit criminel, l'expression «préméditation et de propos délibérés» signifie: le dessein réfléchi qui a précédé l'exécution d'un acte illégal. Alors c'est l'accomplissement d'un acte illégal après y avoir pensé. C'est un acte planifié et voulu.

Le jury a demandé une question sur la préméditation et le propos délibéré. Le juge du procès doit bien entendu répondre aux questions du jury avec précision et suffisamment de détails. L'appelant soutient que la réponse du juge du procès a jeté une certaine confusion. Cependant, à mon avis, cette réponse était appropriée. Pour définir le terme «planifié», le juge du procès a dit:

Souvent on emploie, au lieu de toujours employer l'expression au long «préméditation et de propos délibérés», bien on peut résumer en disant «planifier, préparer à l'avance, y avoir pensé à l'avance, penser à quelque chose à l'avance», c'est un peu ça la préméditation.

À mon avis, cette directive, était particulièrement appropriée compte tenu des faits de l'affaire. Tout au long du procès, le ministère public a soutenu que le vol qualifié et le meurtre avaient été longuement préparés et qu'ils avaient été exécutés avec froideur et lucidité. Je suis d'accord avec la description que le juge Chouinard de la Cour d'appel a présenté dans ses motifs, à la p. 2112:

Ces deux éléments étaient, dans l'espèce, particulièrement reliés. Comment en effet, concevoir que le meurtre de la victime, exécuté comme il le fut, pouvait dans l'esprit des jurés être isolé de la notion d'accomplissement longuement décrit, pour se restreindre à la préméditation? La thèse de la poursuite, je le répète, affirmait en effet une longue préparation et une exécution accomplie avec froideur et lucidité.

Les directives que le juge du procès a données au jury sur la question de la préméditation et du propos délibéré précisaient clairement qu'il s'agissait de deux concepts distincts, c'est‑à‑dire d'éléments distincts du meurtre au premier degré, lesquels devaient être prouvés hors de tout doute raisonnable. Il importe de signaler que le juge a répondu d'une façon longue et détaillée à la question du jury. Il a repris ses directives initiales et passé en revue la description écrite qu'il avait remise au jury. Les directives orales et écrites faisaient ressortir que le ministère public devait prouver, hors de tout doute raisonnable, et l'élément «préméditation» et l'élément «propos délibéré».

3. L'homicide involontaire coupable

L'appelant soutient que le juge du procès aurait dû informer le jury de la possibilité d'un verdict d'homicide involontaire coupable. S'il avait été vraisemblable, selon la preuve, de soutenir qu'Aalders n'avait pas eu l'intention de tuer Lawrence Ford ni de lui causer des lésions corporelles qu'il savait de nature à causer la mort, la possibilité d'un verdict d'homicide involontaire coupable aurait alors dû être présentée au jury. Voir les arrêts R. c. Squire, [1977] 2 R.C.S. 13; Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120, et R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S. 265.

La preuve présentée est le témoignage d'Aalders qui a dit ne pas avoir voulu tuer M. Ford, mais seulement lui tirer dans les jambes. À mon avis, pris dans le contexte de l'ensemble de la preuve, ce témoignage n'a aucune vraisemblance.

L'appelant est arrivé à la résidence des Ford à huit heures. Il connaissait les habitudes de la famille et savait fort bien que personne ne se trouverait à la maison. Il s'est introduit par effraction et a immédiatement trouvé et chargé la carabine 30.30, qu'il a aussitôt utilisée pour faire taire le chien. Il a ensuite pris le pistolet de calibre .32, plus petit et plus commode. Il est alors allé à l'étage et au sous‑sol pour chercher des munitions pour le pistolet. Il a fait feu sur la serrure d'un coffret où il a trouvé d'autres munitions. Il a ensuite chargé le pistolet et l'a placé dans sa ceinture. Dans son témoignage, il a dit avoir fait cela de crainte d'être surpris pendant le vol. Il a ensuite rassemblé tous les articles qu'il voulait voler et les a placés près de la porte arrière.

Il est difficile de croire que l'appelant n'aurait pu sortir les articles volés de la maison, les apporter dans le bois ou quitter les lieux avec l'argent s'il l'avait voulu. Il a plutôt guetté l'arrivée de Lawrence Ford qu'il attendait vers midi, soit plus de quatre heures après son introduction dans la maison. Il a pris soin de se cacher dans la salle de bains. Lorsque Ford a vu son chien mort et s'est retourné vers la salle de bains, Aalders s'est avancé vers lui et a fait feu. Ford a été atteint par huit balles, dont seulement une dans la région des jambes et le reste dans le torse et le cou. Ford a été exécuté et est décédé par suite des nombreux projectiles dont il a été atteint. Dans ces circonstances, je ne crois pas que le témoignage d'Aalders pourrait vraisemblablement être interprété de façon à soutenir qu'il permet de soulever la défense d'homicide involontaire coupable. Tout porte à croire que le meurtre a été commis de sang-froid, avec préméditation et de propos délibéré. Il n'aurait donc pas été approprié de mentionner au jury la possibilité d'homicide involontaire coupable.

V. Conclusion et dispositif

C'est à bon droit que la contre‑preuve du ministère public a été déclarée admissible. Les directives données au jury sur la préméditation et le propos délibéré étaient appropriées. Le moyen de défense d'homicide involontaire coupable n'avait aucune vraisemblance. En définitive, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs rendus par

Le juge Sopinka (dissident) — L'appelant soutient que le juge du procès a commis une erreur en permettant la présentation d'une contre‑preuve contredisant le témoignage de l'appelant qui, lors du contre‑interrogatoire, a affirmé avoir reçu des prestations d'aide sociale. Notre Cour a examiné les règles qui régissent la contre‑preuve dans R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466. Le juge McIntyre y a indiqué, à la p. 474:

Le demandeur ou le ministère public peut être autorisé à présenter une contre‑preuve après la fin de l'argumentation de la défense, lorsque la défense a soulevé de nouvelles questions ou de nouveaux moyens de défense dont le ministère public n'a pas eu l'occasion de traiter et que le ministère public ou le demandeur ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Toutefois, la contre‑preuve n'est pas permise en ce qui a trait à des questions qui confirment ou renforcent simplement des éléments de preuve soumis précédemment dans le cadre de la preuve du ministère public et qui auraient pu être soumis avant la présentation de la défense. Elle ne sera autorisée que si elle est nécessaire pour assurer qu'à la fin de l'audience chaque partie aura eu une chance égale d'entendre les arguments complets de l'autre et d'y répondre.

Les mêmes principes s'appliquent essentiellement au contre‑interrogatoire des témoins. En contre‑interrogeant un accusé, l'avocat du ministère public n'est pas limité aux sujets qui se rattachent strictement aux questions essentielles d'une affaire. Les avocats jouissent, en matière de contre‑interrogatoire, d'une grande liberté qui leur permet de vérifier et d'attaquer les dépositions des témoins et leur crédibilité. Lorsqu'un élément nouveau ressort du contre‑interrogatoire, nouveau dans le sens que le ministère public n'a pas eu l'occasion d'en traiter dans sa preuve principale (c.‑à‑d. qu'il n'avait aucune raison de prévoir que la question serait soulevée), et lorsque la question porte sur le fond de l'affaire (c.‑à‑d. sur une question essentielle pour statuer sur l'affaire), le ministère public peut alors être autorisé à présenter une contre‑preuve. Toutefois, lorsque la nouvelle question est incidente, c'est‑à‑dire, non déterminante quant à une question soulevée dans les plaidoiries ou dans l'acte d'accusation ou sans rapport avec des questions dont la preuve est nécessaire pour trancher l'affaire, aucune contre‑preuve ne sera autorisée. [Je souligne.]

Le rapport entre le contre‑interrogatoire et la contre‑preuve a été décrit en des termes semblables dans McCormick on Evidence (4e éd. 1992), vol. 1, aux pp. 182 et 183:

[traduction] Tous les moyens qui peuvent être utilisés en contre‑interrogatoire pour contester la déposition du témoin ont pour but, notamment, de vérifier sa crédibilité. L'utilisation plus restreinte d'une preuve extrinsèque visant à contredire un témoin est commandée par le risque de confondre les questions, d'induire le jury en erreur, de perdre déraisonnablement du temps et de causer un préjudice injuste par l'introduction de questions dites incidentes. Si une question est considérée incidente, la déposition du témoin donnée au cours de l'interrogatoire principal ou du contre‑interrogatoire tient, et le contre‑interrogateur doit s'en tenir à la réponse du témoin; la preuve extrinsèque, c'est‑à‑dire la preuve qui n'est pas déposée par le témoin lui‑même, et qui vise à le contredire, est interdite. Si la question n'est pas incidente, la preuve extrinsèque peut être introduite pour contester la déposition du témoin lors de l'interrogatoire principal ou sa négation de l'exactitude des faits avancés dans une question posée en contre‑interrogatoire.

L'intimée soutient que l'admission de la contre‑preuve était justifiée compte tenu des différences entre la déclaration de l'appelant aux policiers et son témoignage. Dans sa déclaration aux policiers, l'appelant a affirmé s'être rendu chez les Ford pour s'y introduire par effraction. Dans son témoignage, il a déclaré s'y être rendu pour demander une faveur à la victime. Dans sa déclaration, l'appelant n'a pas mentionné avoir pointé le pistolet en direction des jambes de la victime alors qu'il l'a déclaré dans son témoignage, en plus d'y affirmer n'avoir eu aucune intention de tuer la victime. La déclaration est muette sur la provenance de l'argent trouvé en possession de l'appelant au moment de son arrestation. Au cours de l'interrogatoire principal, l'appelant a soutenu avoir reçu de vieux billets de banques de sa mère ou de sa grand‑mère. Au cours du contre‑interrogatoire, il a prétendu que les autres sommes d'argent trouvées en sa possession provenaient d'un chèque d'aide sociale. Selon la contre‑preuve offerte par deux employés de l'aide sociale, l'appelant n'a jamais reçu d'aide, ses demandes ayant été rejetées.

L'intimée soutient que l'appelant a nié avoir eu l'intention de commettre un vol qualifié et que la contre‑preuve a démontré la possession récente d'objets volés, élément essentiel pour établir que le vol qualifié était intentionnel. L'intimée a invoqué la thèse du juge Tourigny de la Cour d'appel, qui a conclu que le témoignage de l'appelant «est à l'effet qu'il s'est rendu chez les Ford sans aucune intention criminelle et, à la rigueur, qu'il n'y a peut‑être même pas eu de vol avec effraction» ([1991] R.J.Q. 2097, à la p. 2118). Avec égards, la preuve n'étaye pas une telle analyse. Bien qu'il ait effectivement changé son récit sur la nature de ses intentions au moment où il se rendait chez les Ford, l'appelant n'a jamais modifié son récit sur le vol qualifié comme tel. La contre‑preuve n'était pertinente que relativement à ce second élément, qui avait été admis par l'appelant.

Dans son témoignage principal, l'appelant a précisément admis avoir commis un vol à la fois dans la résidence et sur la personne de la victime:

J'ai fouillé dans ses poches jusqu'à ce que je trouve les clés.

Et son portefeuille était dans la même poche, alors je l'ai sorti, je l'ai ouvert et j'ai pris tout l'argent qu'il y avait à l'intérieur. Je suis retourné en bas et j'ai pris l'argent, les armes et le vin et j'ai ramené tout ça en haut. J'ai pris les clés et j'ai ouvert le coffre arrière de la voiture et j'ai tout mis dans le coffre arrière de la voiture, et j'ai fermé le coffre. . .

Après ça, je suis entré dans la voiture, j'ai lancé le moteur et j'ai quitté la maison.

Au contre‑interrogatoire, le témoignage de l'appelant sur ces éléments n'a pas été directement remis en question, et l'appelant n'a pas tenté de nier le vol qualifié. Au contraire, comme l'échange suivant le démontre, il l'a admis à nouveau:

Q. L'argent que vous avez pris, il y avait des billets américains, il y avait des billets canadiens?

R. Je pense que oui.

La contre‑preuve offerte par les employés de l'aide sociale n'était pas pertinente quant à l'affirmation de l'appelant qu'il n'avait pas l'intention de tuer la victime, et elle était tout à fait inutile pour établir le vol qualifié, l'appelant lui‑même ayant admis, lors de son témoignage, l'avoir commis. L'intimée avait le droit de contre‑interroger l'appelant sur des faits incidents afin de miner sa crédibilité, mais une fois qu'elle l'avait fait, elle devait s'en tenir à ses réponses. Si on la replace dans le contexte, la contre‑preuve a attaqué la crédibilité de l'appelant sur la seule question de savoir s'il avait été bénéficiaire d'aide sociale, une question incidente soulevée pour la première fois lors du contre‑interrogatoire.

L'intimée a également invoqué les motifs du juge Tourigny, soutenant que l'appelant a fait de sa crédibilité un élément essentiel en offrant un témoignage différent de sa déclaration faite aux policiers. Le juge Tourigny a indiqué (à la p. 2118):

La crédibilité d'Aalders, par le choix qu'il a fait de son propre chef et non pas dans le cadre d'un contre‑interrogatoire, de changer sa version des faits, devient une question non pas collatérale ou accessoire, mais une question principale.

Chaque fois que l'accusé témoigne, sa crédibilité est en jeu. C'est interpréter beaucoup trop largement l'arrêt Krause que d'admettre une contre‑preuve simplement parce que l'accusé a choisi de faire de sa crédibilité une question en litige. Je suis d'accord avec le juge Proulx de la Cour d'appel lorsqu'il dit (à la p. 2109):

En l'espèce, il n'était pas contesté par l'appelant qu'il avait dérobé la victime de sommes d'argent non seulement sur sa personne mais dans la résidence. En effet, l'appelant l'avait admis dans sa déclaration et dans son témoignage; le juge, dans ses directives au jury, a même pris ce fait pour acquis. Dans ce contexte, comment pouvait‑il être pertinent et important ou essentiel au litige de démontrer que, contrairement à ce que l'appelant déclarait, l'argent trouvé en sa possession au moment de son arrestation, soit trois jours après la commission du vol et de l'homicide, ne provenait pas du Bien‑être social? [En italique dans l'original.]

On ne peut remédier à une erreur de cette nature en appliquant la réserve du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Dans John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476, notre Cour a affirmé (aux pp. 481 et 482):

Le sous‑alinéa 613(1)b)(iii) [maintenant l'al. 686(1)b)(iii)] du Code criminel ne peut être invoqué dans ces circonstances. La Cour d'appel ne peut, de façon vraiment réaliste, juger de nouveau l'affaire pour déterminer la valeur des témoignages qui restent après avoir retiré du dossier ceux offerts illégalement. La Cour d'appel n'a pas l'avantage de voir les témoins et, de toute façon, on n'a jamais voulu qu'elle remplace le jury en matière criminelle.

En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un nouveau procès.

Pourvoi rejeté, le juge SOPINKA est dissident.

Procureurs de l'appelant: Lévesque, Labrecque & Associés, Québec.

Procureur de l'intimée: Georges Letendre, Québec.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Preuve - Contre‑preuve - Contre‑preuve touchant une question essentielle à la détermination du litige - La contre‑preuve est‑elle admissible?.

Droit criminel - Meurtre - Meurtre au premier degré - Préméditation et propos délibéré - Exposé au jury - Les directives du juge du procès quant à la préméditation et au propos délibéré sont‑elles appropriées?.

Droit criminel - Exposé au jury - Possibilité d'un autre verdict - Meurtre - L'accusé, inculpé de meurtre au premier degré, a témoigné qu'il n'avait pas l'intention de tuer la victime - L'ensemble de la preuve démontre que le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré - Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en ne soumettant pas au jury la question de l'homicide involontaire coupable?.

L'accusé a été inculpé du meurtre au premier degré d'une connaissance. Il s'est introduit par effraction dans la résidence de la victime tôt un matin et s'est rendu au sous‑sol, où il a pris et chargé une carabine 30.30, qu'il a utilisée pour tuer le chien de la victime. L'accusé, qui fréquentait régulièrement la famille, savait que personne ne serait à la maison jusqu'à ce que la victime y retourne aux environs de midi. Il a entrepris la fouille de la maison, a trouvé un pistolet de calibre .32 qu'il a chargé puis placé dans sa ceinture. Il a ensuite rassemblé tous les articles qu'il avait volés et les a placés près de la porte arrière. Lorsque la victime est revenue à la maison pour le déjeuner, l'accusé était encore dans la maison. La victime a vu son chien mort et s'est retournée vers la salle de bains où l'accusé s'était caché. L'accusé est sorti de la baignoire et a fait feu. La victime a été atteinte par huit balles, dont seulement une dans la région des jambes et le reste dans le torse et le cou. Après avoir tiré, l'accusé a pris l'argent et les clés de la voiture de la victime, a placé les biens volés dans la voiture et il est parti. Il a été arrêté trois jours plus tard. Dans sa déclaration à la police, l'accusé a dit s'être rendu à la résidence de la victime pour s'y introduire par effraction et il a admis avoir dérobé des sommes d'argent tant sur la victime que dans la résidence. Au procès, il a toutefois déclaré s'y être rendu seulement pour demander une faveur à la victime. Il est alors entré dans la maison en raison de la forte pluie et, une fois à l'intérieur, il a décidé de commettre un vol. Il a également déclaré avoir pointé le pistolet en direction des jambes de la victime et n'avoir eu aucune intention de le tuer, tentant seulement de s'enfuir. Lors de son contre‑interrogatoire, l'accusé a déclaré que l'argent trouvé en sa possession au moment de son arrestation provenait en partie d'allocations d'aide sociale. Le ministère public a été autorisé à présenter une contre‑preuve sur cette question, et, selon les témoignages offerts par deux employés de l'aide sociale, l'accusé n'a jamais reçu d'aide, ses demandes ayant été rejetées. Dans son exposé, le juge du procès a dit au jury qu'il devait déclarer l'accusé coupable de meurtre au premier degré s'il était convaincu hors de tout doute raisonnable qu'il avait eu l'intention de tuer la victime et que le meurtre avait été commis avec préméditation et de propos délibéré. Il a expliqué que l'expression «préméditation et de propos délibéré» signifiait «le dessein réfléchi qui a précédé l'exécution d'un acte illégal. C'est l'accomplissement d'un acte illégal après y avoir pensé. En d'autres mots, . . . [c]'est un acte planifié et voulu.» Le juge du procès a également donné au jury des directives sur le meurtre au deuxième degré, sans mentionner l'homicide involontaire coupable. L'accusé a été déclaré coupable de meurtre au premier degré, et la Cour d'appel à la majorité a confirmé la déclaration de culpabilité. Le présent pourvoi soulève trois questions: (1) Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en permettant au ministère public de présenter une contre‑preuve? (2) L'exposé du juge du procès au jury était‑il approprié relativement à la préméditation et au propos délibéré du meurtre au premier degré? (3) Le juge du procès aurait‑il dû informer le jury de la possibilité d'un verdict d'homicide involontaire coupable?

Arrêt (le juge Sopinka est dissident): Le pourvoi est rejeté.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Cory: La question primordiale en ce qui concerne l'admission d'une contre‑preuve n'est pas de savoir si la preuve que le ministère public cherche à présenter est déterminante quant à une question essentielle, mais bien de savoir si elle se rapporte à une question essentielle qui peut être déterminante pour trancher l'affaire. Si la contre‑preuve porte sur un élément essentiel du litige et si le ministère public ne pouvait prévoir que cette preuve serait nécessaire, alors elle est généralement admissible. En conséquence, lorsqu'un témoin fait, au cours de son témoignage au procès, une déclaration qui entre en conflit avec d'autres éléments de preuve portant sur une question essentielle, la contre‑preuve sera autorisée pour résoudre ce conflit. En l'espèce, la contre‑preuve était admissible. Les témoignages des fonctionnaires de l'aide sociale portaient sur un élément essentiel de la preuve, et le ministère public ne pouvait prévoir que l'accusé allait témoigner comme il l'a fait vu sa déclaration antérieure. L'aveu même de la perpétration du vol qualifié, fait par l'accusé au cours de son témoignage dans lequel il a faussé la nature de ce vol et changé d'importants détails, ne peut donner lieu à la conclusion que la contre‑preuve porte seulement sur des questions incidentes. Les témoignages concernant les détails du vol constituaient une partie importante de la preuve du ministère public, et il était donc important que soit clarifiée toute confusion entre les déclarations et le témoignage de l'accusé sur ce point essentiel. Cette clarification ne pouvait être obtenue que par contre‑preuve. On ne peut alors affirmer que la contre‑preuve permettait au ministère public de scinder sa preuve.

Il ressort de la lecture de l'ensemble de l'exposé que le jury a reçu les directives appropriées relativement aux éléments «préméditation» et «propos délibéré». Les directives que le juge du procès a données au jury précisaient clairement qu'il s'agissait de deux concepts distincts, c'est‑à‑dire d'éléments distincts du meurtre au premier degré, lesquels devaient être prouvés hors de tout doute raisonnable.

Le juge du procès n'a pas commis d'erreur en ne soumettant pas au jury la question de l'homicide involontaire coupable. Tout porte à croire que le meurtre en l'espèce a été commis de sang‑froid, avec préméditation et de propos délibéré. La défense d'homicide involontaire coupable soulevée par l'accusé n'avait pas de vraisemblance. Il n'aurait donc pas été approprié de mentionner au jury la possibilité d'homicide involontaire coupable.

Le juge Sopinka (dissident): Le juge du procès a commis une erreur en permettant au ministère public de présenter une contre‑preuve. Cette dernière n'était pas pertinente quant à l'affirmation de l'accusé qu'il n'avait pas l'intention de tuer la victime, et elle était tout à fait inutile pour établir le vol qualifié, l'accusé lui‑même ayant admis, lors de son témoignage, l'avoir commis. Le ministère public avait le droit de contre‑interroger l'accusé sur des faits incidents afin de miner sa crédibilité, mais une fois qu'il l'avait fait, il devait s'en tenir à ses réponses. Si on la replace dans le contexte, la contre‑preuve a attaqué la crédibilité de l'accusé sur la seule question de savoir s'il avait été bénéficiaire d'aide sociale, une question incidente soulevée pour la première fois lors du contre‑interrogatoire. Le ministère public a également soutenu que l'accusé a fait de sa crédibilité un élément essentiel en offrant un témoignage différent de sa déclaration aux policiers.

Chaque fois que l'accusé témoigne, sa crédibilité est en jeu. C'est interpréter beaucoup trop largement l'arrêt Krause que d'admettre une contre‑preuve simplement parce que l'accusé a choisi de faire de sa crédibilité une question en litige.

On ne peut remédier à une erreur de cette nature en appliquant la réserve du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Aalders

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêt examiné: R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466
distinction d'avec l'arrêt: Latour c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 361
arrêts mentionnés: R. c. Nygaard, [1989] 2 R.C.S. 1074
R. c. Widdifield (1963), 6 Crim. L.Q. 152
Pilon c. The Queen (1965), 46 C.R. 272, [1966] 2 C.C.C. 53
More c. The Queen, [1963] R.C.S. 522
McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484
R. c. Mitchell, [1964] R.C.S. 471
John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476
R. c. Perry (1977), 36 C.C.C. (2d) 209
Lampard c. The Queen, [1969] R.C.S. 373
Schuldt c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 592
R. c. Squire, [1977] 2 R.C.S. 13
Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120
R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S. 265.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466
John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 229a), 230d) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 40(2) (ann. I, no 2)], 686(1)b)(iii) [mod. 1991, ch. 43, art. 9 (ann. art. 8)].
Doctrine citée
McCormick, Charles Tilford. McCormick on Evidence, vol. 1, 4th ed. By John William Strong, General Editor. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1992.

Proposition de citation de la décision: R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482 (10 juin 1993)


Origine de la décision
Date de la décision : 10/06/1993
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1993] 2 R.C.S. 482 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-06-10;.1993..2.r.c.s..482 ?
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