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23/01/1992 | CANADA | N°[1992]_1_R.C.S._3

Canada | Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3 (23 janvier 1992)


Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3

Sa Majesté la Reine du Chef de l'Alberta,

représentée par le ministre des Travaux publics,

des Approvisionnements et des Services Appelante

et

Le ministre des Transports et le ministre des Pêches

et des Océans Appelants

c.

Friends of the Oldman River Society Intimée

et

Le procureur général du Québec,

le procureur général du Nouveau‑Brunswick,

le procureur général du Manitoba,

le procureur général d

e la Colombie‑Britannique,

le procureur général de la Saskatchewan,

le procureur général de Terre‑Neuve,

le ministre de la Justice des Terr...

Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3

Sa Majesté la Reine du Chef de l'Alberta,

représentée par le ministre des Travaux publics,

des Approvisionnements et des Services Appelante

et

Le ministre des Transports et le ministre des Pêches

et des Océans Appelants

c.

Friends of the Oldman River Society Intimée

et

Le procureur général du Québec,

le procureur général du Nouveau‑Brunswick,

le procureur général du Manitoba,

le procureur général de la Colombie‑Britannique,

le procureur général de la Saskatchewan,

le procureur général de Terre‑Neuve,

le ministre de la Justice des Territoires du Nord‑Ouest,

la Fraternité des Indiens du Canada/l'Assemblée des Premières Nations,

la Nation dénée et l'Association des Métis des Territoires du Nord‑Ouest,

le Conseil national des autochtones du Canada (Alberta),

le Sierra Legal Defence Fund,

l'Association canadienne du droit de l'environnement,

le Sierra Club of Western Canada,

Survie culturelle (Canada),

les Amis de la Terre et

l'Alberta Wilderness Association Intervenants

Répertorié: Friends of the Oldman River Society c. Canada (ministre des Transports)

No du greffe: 21890.

1991: 19, 20 février; 1992: 23 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Stevenson et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1990] 2 C.F. 18, 68 D.L.R. (4th) 375, [1991] 1 W.W.R. 352, 108 N.R. 241, 76 Alta. L.R. (2d) 289, 5 C.E.L.R. (N.S.) 1, qui a infirmé un jugement de la Section de première instance, [1990] 1 C.F. 248, [1990] 2 W.W.R. 150, 30 F.T.R. 108, 70 Alta. L.R. (2d) 289, 4 C.E.L.R. (N.S.) 137. Pourvoi rejeté, sauf qu'il ne sera pas délivré de bref de la nature d'un mandamus ordonnant au ministre des Pêches et des Océans de se conformer au Décret sur les lignes directrices. Le juge Stevenson est dissident.

D. R. Thomas, c.r., T. W. Wakeling et G. D. Chipeur, pour l'appelante Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta.

E. R. Sojonky, c.r., B. J. Saunders et J. de Pencier, pour les appelants le ministre des Transports et le ministre des Pêches et des Océans.

B. A. Crane, c.r., pour l'intimée.

J.‑K. Samson et A. Gingras, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

P. H. Blanchet, pour l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

G. E. Hannon, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

G. H. Copley, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

R. G. Richards, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

B. G. Welsh, pour l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve.

R. A. Kasting et J. Donihee, pour l'intervenant le ministre de la Justice des Territoires du Nord‑Ouest.

P. W. Hutchins, D. H. Soroka et F. S. Gertler, pour l'intervenante la Fraternité des Indiens du Canada/l'Assemblée des Premières Nations.

J. J. Gill, pour les intervenants la Nation denée et l'Association des Métis des Territoires du Nord‑Ouest, et le Conseil national des autochtones du Canada (Alberta).

G. J. McDade et J. B. Hanebury, pour les intervenants le Sierra Legal Defence Fund, l'Association canadienne du droit de l'environnement, le Sierra Club of Western Canada, Survie Culturelle (Canada) et les Amis de la Terre.

M. W. Mason, pour l'intervenante l'Alberta Wilderness Association.

//La Forest J.//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci par

Le juge La Forest — La protection de l'environnement est devenue l'un des principaux défis de notre époque. Pour y faire face, les gouvernements et les organismes internationaux ont participé à la création d'un éventail important de régimes législatifs et de structures administratives. Au Canada, les gouvernements fédéral et provinciaux ont mis sur pied des ministères de l'environnement, qui existent maintenant depuis environ vingt ans. Cependant, on s'est récemment rendu compte qu'un ministère de l'environnement est entouré d'un grand nombre d'autres ministères dont les politiques entrent en conflit avec ses objectifs. En conséquence, le gouvernement fédéral a pris des mesures pour confier au ministère de l'Environnement un rôle central et élargir le rôle d'autres ministères et organismes gouvernementaux pour s'assurer qu'ils tiennent compte des préoccupations touchant l'environnement dans la prise de décisions susceptibles d'entraîner des incidences environnementales.

À cette fin, en vertu de l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985), ch. E‑10, le ministre peut par arrêté, au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la qualité de l'environnement et avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir des directives à l'usage des ministères et des organismes fédéraux dont ceux de réglementation dans l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions. Conformément à cette disposition, le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement ("Décret sur les lignes directrices") a été pris et approuvé en juin 1984, DORS/84‑467. Dans l'ensemble, ces lignes directrices exigent de tous les ministères et organismes fédéraux qui exercent un pouvoir de décision à l'égard d'une proposition, c'est‑à‑dire une entreprise ou activité susceptible d'entraîner des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale, qu'ils procèdent à un examen initial de cette proposition afin de déterminer si elle peut éventuellement comporter des effets néfastes sur l'environnement. Advenant le cas où une proposition risque d'avoir un effet néfaste important sur l'environnement, on prévoit la tenue d'un examen public effectué par une commission d'évaluation environnementale dont les membres doivent faire preuve d'objectivité, être à l'abri de l'ingérence politique et posséder des connaissances et une expérience particulières se rapportant aux effets de la proposition sur les plans technique, environnemental et social.

Le présent pourvoi soulève la validité constitutionnelle et législative du Décret sur les lignes directrices et porte sur la nature et l'applicabilité de celui‑ci. Ces questions s'inscrivent dans un contexte où l'intimée, la Friend of the Oldman River Society (la "Société"), un groupe environnemental de l'Alberta, par demande de bref de certiorari et de bref de mandamus, cherche à forcer deux ministères fédéraux, le ministère des Transports et le ministère des Pêches et des Océans, à procéder à une évaluation environmentale publique conformément au Décret sur les lignes directrices relativement à un barrage construit sur la rivière Oldman par le gouvernement de l'Alberta. Ce dernier a lui‑même procédé à d'importantes études environnementales qui ont donné lieu à des consultations publiques. Toutefois, puisque le projet touche des eaux navigables, des pêcheries, des Indiens et des terres indiennes, il comporte des questions de compétence fédérale. Plus particulièrement, la Société soutient que le ministre des Transports doit approuver le projet en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N‑22, et que, ce faisant, il doit prévoir la tenue d'une évaluation publique du projet conformément au Décret sur les lignes directrices. Elle soutient également que le ministre des Pêches et des Océans, a une obligation similaire dans l'exécution de ses fonctions en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14.

Le présent pourvoi soulève aussi la question de savoir si le juge des requêtes a bien exercé son pouvoir discrétionnaire dans sa décision concernant la délivrance d'un bref de certiorari ou de mandamus. En conséquence, les faits pertinents doivent être présentés en détail.

Les faits

L'historique du projet débute en mai 1958 au moment où le gouvernement de l'Alberta a demandé à l'Administration du rétablissement agricole des Prairies ("ARAP") du ministère fédéral de l'Agriculture d'évaluer la possibilité de la construction d'un réservoir pour le stockage de l'eau de la rivière Oldman à un endroit appelé Livingston Gap. En décembre 1966, l'ARAP a déposé son rapport et proposé la réalisation d'une étude plus poussée relativement à un autre emplacement le long de la rivière Oldman, en l'occurrence Three Rivers. Entre 1966 et 1974, une étude fédérale‑provinciale sur l'approvisionnement en eau a été réalisée. Après quoi, en juillet 1974, le ministère de l'Environnement de l'Alberta a entrepris des études visant à examiner les besoins en eau et à déterminer quels emplacements sur la rivière Oldman et ses affluents seraient susceptibles de servir au stockage de l'eau. Ces études devaient se dérouler en deux étapes.

La première consistait en une évaluation initiale des emplacements dans le bassin de la rivière Oldman aux fins du stockage de l'eau et a été réalisée par un comité consultatif technique composé de représentants de plusieurs organismes et ministères du gouvernement provincial, notamment Environnement, Culture et Multiculturalisme, l'Energy Resources Conservation Board, la division du poisson et de la faune de l'Agriculture, ainsi que de représentants des districts municipaux et de l'industrie. Le comité a déposé son rapport le 14 juillet 1976; et, par la suite, une série de consultations publiques s'est tenue auprès des autorités locales et d'autres groupes et particuliers. On a procédé à l'évaluation des réponses reçues et déterminé les questions qui en découlaient en vue de les examiner au cours de la seconde étape.

La seconde étape a commencé le 4 février 1977 au moment de l'annonce par le ministre de l'Environnement de la mise sur pied du "Oldman River Study Management Committee" (le comité de gestion de l'étude sur la rivière Oldman), qui était formé de six représentants du public et de trois représentants du gouvernement provincial. Ce comité devait examiner les questions soulevées par le public au cours de la première étape et présenter des recommandations sur la gestion globale des eaux du bassin de la rivière, devant notamment tenir compte des préoccupations des résidents de la région. Cette étape devait être plus approfondie que la première et comporter notamment l'étude de questions touchant l'ensemble du bassin de la rivière, savoir la salinisation, la sédimentation, les loisirs, l'habitat du poisson et d'autres questions environnementales. On a encouragé le public à participer, une série de rencontres et d'ateliers publics ont eu lieu et divers groupes d'intérêts, dont les bandes indiennes et les groupes environnementaux, ont présenté des observations orales et écrites. Le comité de gestion a soumis son rapport final en 1978.

La même année, un groupe a été constitué au sein de l'Environment Council of Alberta; on lui a ordonné de tenir des audiences publiques sur la gestion des ressources en eau dans le bassin de la rivière Oldman. Plusieurs audiences publiques ont de nouveau eu lieu dans tout le sud de l'Alberta et le conseil a reçu de nombreux exposés représentant les vues d'un large échantillon de la population albertaine, notamment le milieu des affaires, le secteur agricole, les gouvernements locaux et les bandes indiennes. L'Environment Council of Alberta a soumis son rapport au ministre de l'Environnement en août 1979 et a recommandé un nouvel emplacement, à Brocket, situé sur la réserve indienne de Peigan, dans l'hypothèse où un barrage serait nécessaire.

Le gouvernement provincial a ensuite examiné ce rapport et celui de 1978 et a annoncé le 29 août 1980 qu'il avait décidé de construire un barrage sur la rivière Oldman. Il a précisé que l'emplacement de Three Rivers était l'emplacement privilégié, mais qu'il reportait sa décision définitive quant à ce choix jusqu'à ce que la bande indienne de Peigan ait pu présenter une proposition concernant la construction du barrage à Brocket. En novembre 1983, la bande de Peigan a présenté sa position au ministre de l'Environnement et précisé l'indemnisation qu'elle prévoyait dans l'hypothèse où le barrage serait construit à Brocket.

Le 8 août 1984, le premier ministre de l'Alberta a annoncé que le gouvernement avait décidé de construire le barrage à l'emplacement de Three Rivers. Toutefois, avant cette annonce, le projet de construction du barrage avait été examiné par le Comité régional de sélection et de coordination ("CRSC"), un comité du ministère fédéral de l'Environnement. Le CRSC devait s'assurer que les projets susceptibles d'entraîner une incidence sur les domaines de compétence fédérale soient soumis à une évaluation environnementale, et il a suivi l'évolution du projet de construction du barrage jusqu'à ce qu'il soit décidé qu'il ne serait pas construit sur les terres indiennes.

Après l'annonce de la construction du barrage à Three Rivers, l'Alberta a entrepris la conception du barrage et l'élaboration d'un plan d'atténuation ou d'exploitation des incidences environnementales qui a donné lieu à d'autres études environnementales et à la tenue de rencontres publiques. Le ministère provincial de l'Environnement a alors ouvert un bureau d'information sur le projet, situé à proximité de Three Rivers, afin de répondre aux demandes de renseignements du public. Le district municipal de Pincher Creek a ensuite constitué plusieurs sous‑comités afin de faire connaître au ministère albertain de l'Environnement les préoccupations d'intérêt local concernant notamment l'utilisation des terres, le poisson et la faune, les loisirs et l'agriculture. En outre, le ministre provincial de l'Environnement a demandé la constitution d'un comité consultatif local chargé de le conseiller sur des questions touchant le réaménagement des routes, les préoccupations dans le domaine de la pêche et de la faune et les possibilités offertes en matière de loisirs. Après avoir recueilli des renseignements au cours de rencontres publiques, le comité a soumis au ministre son rapport accompagné de recommandations au sujet des pêches, de la faune, des ressources historiques, de l'agriculture, des loisirs et du transport.

En 1987, le CRSC fédéral a de nouveau participé au projet, à la demande du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, afin d'en examiner l'incidence sur les intérêts fédéraux, notamment sur la réserve indienne de Peigan située à environ 12 kilomètres en aval de l'emplacement du barrage. L'Alberta avait déjà octroyé à la bande indienne de Peigan des fonds pour qu'elle effectue une étude indépendante de l'incidence du projet sur la réserve et ses habitants. La bande a soumis son rapport au ministre provincial de l'Environnement en février 1987. Il portait notamment sur l'irrigation, les questions des eaux de surface et des eaux souterraines, la sécurité du barrage, l'évaluation des pêches et l'incidence du projet sur les plans spirituel et culturel. Le rapport préparé sur l'ordre du CRSC en juillet 1987 concluait que les effets du projet sur la réserve seraient favorables ou atténuables, mais faisait ressortir la possibilité de répercussions environnementales négatives sur la réserve, soit un accroissement des tourbillons de poussière, une augmentation du niveau de mercure dans le poisson et l'extinction des forêts de peupliers dans le périmètre d'inondation.

J'arrive maintenant à une étape d'importance primordiale. Le 10 mars 1986, le ministère de l'Environnement de l'Alberta a demandé au ministre fédéral des Transports d'approuver l'ouvrage en vertu de l'art. 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables. Cette disposition prévoit qu'il est interdit de construire un ouvrage dans les eaux navigables à moins qu'il n'ait préalablement été approuvé par le ministre. Dans l'évaluation de la demande, le ministre a examiné l'incidence du projet sur la navigation et l'a approuvé, le 18 septembre 1987, sous réserve de certaines conditions relatives à la navigation. Je tiens toutefois à indiquer qu'il n'a pas assujetti la demande à une évaluation en vertu du Décret sur les lignes directrices. Comme nous le verrons, plusieurs des principales questions soulevées dans le présent pourvoi découle de la question de savoir s'il aurait dû le faire.

Ce n'est qu'ensuite que la Société intimée commence à jouer un rôle. En effet, l'intimée a été constituée en société le 8 septembre 1987 pour s'opposer au projet et a été informée que le ministre des Transports avait approuvé le projet le 16 février 1988. Toutefois, certains particuliers, qui sont ensuite devenus membres de la Société lors de sa constitution, s'étaient efforcés d'empêcher l'évolution du projet. À l'été 1987, le Southern Alberta Environmental Group avait écrit au ministre des Pêches et des Océans pour lui demander de procéder à une évaluation initiale en vertu du Décret sur les lignes directrices. Cette demande fut refusée au motif que les problèmes possibles avaient été pris en charge et en raison de l'existence des [traduction] "arrangements administratifs qui régissent depuis longtemps la gestion des pêches en Alberta". Ce refus, à l'instar des mesures susmentionnées prises par le ministre des Transports, joue un rôle important dans l'argumentation juridique qui a suivi. Dans une lettre du 3 décembre 1987, la Société intimée a demandé au ministre de l'Environnement d'assujettir le projet à l'évaluation en vertu du Décret sur les lignes directrices; cette demande a de nouveau été refusée, cette fois principalement au motif que le projet de barrage relevait fondamentalement de la compétence provinciale et qu'Environnement Canada était convaincu que le plan d'atténuation proposé par l'Alberta devait pallier tout effet néfaste sur les ressources halieutiques. Le 22 février 1988, la Société a de nouveau tenté d'inciter le ministre de l'Environnement à invoquer l'application du Décret sur les lignes directrices, mais a de nouveau essuyé un refus en juin 1988 pour le même motif de compétence.

La Société a également tenté à l'échelon provincial de faire arrêter le projet. Le 26 octobre 1987, elle a présenté une demande auprès de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta sollicitant l'annulation d'un permis provisoire délivré en vertu de la Water Resources Act, R.S.A. 1980, ch. W‑5. Ce permis a été annulé le 8 décembre 1987 et un second permis provisoire délivré le 5 février 1988; la Société a de nouveau demandé à la Cour du Banc de la Reine d'annuler ce permis. Toutefois, cette demande a été rejetée le 21 avril 1988. La Société a également demandé à l'Alberta Energy Resources Conservation Board de tenir une audience publique en vertu de l'Hydro and Electric Energy Act, R.S.A. 1980, ch. H‑13, mais cette demande a été refusée. La Cour d'appel de l'Alberta a confirmé cette décision. En août 1988, la vice‑présidente de la Société a déposé une plainte devant un juge de paix, alléguant qu'il y avait eu contravention à la Loi sur les pêches du fédéral; toutefois, le procureur général de l'Alberta a ordonné un arrêt des procédures.

Le contrat de construction du barrage a été octroyé en février 1988 et, le 31 mars 1989, les travaux étaient achevés à 40 pour 100. La présente action a été intentée le 21 avril 1989 devant la Section de première instance de la Cour fédérale, [1990] 1 C.F. 248. Dans cette action, la Société sollicitait une ordonnance cassant par voie de certiorari l'approbation donnée par le ministre des Transports ainsi qu'un bref de la nature d'un mandamus ordonnant au ministre des Transports et au ministre des Pêches et des Océans de se conformer au Décret sur les lignes directrices. Le juge en chef adjoint Jerome a rejeté la demande, mais la Société a eu gain de cause devant la Cour d'appel fédérale, [1990] 2 C.F. 18. Notre Cour a accordé l'autorisation de pourvoi le 13 septembre 1990, [1990] 2 R.C.S. x.

Les dispositions législatives

Avant de poursuivre, il est utile de présenter les principales parties des textes législatifs pertinents. La Loi sur le ministère de l'Environnement:

4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédéraux et liés:

a) à la conservation et l'amélioration de la qualité de l'environnement naturel, notamment celle de l'eau, de l'air et du sol;

. . .

5. Dans le cadre des pouvoirs et fonctions que lui confère l'article 4, le ministre:

a) lance, recommande ou entreprend à son initiative et coordonne à l'échelle fédérale des programmes visant à:

(i) favoriser la fixation ou l'adoption d'objectifs ou de normes relatifs à la qualité de l'environnement ou à la lutte contre la pollution,

(ii) faire en sorte que les nouveaux projets, programmes et activités fédéraux soient, dès les premières étapes de planification, évalués en fonction de leurs risques pour la qualité de l'environnement naturel, et que ceux d'entre eux dont on aura estimé qu'ils présentent probablement des risques graves fassent l'objet d'un réexamen dont les résultats devront être pris en considération,

(iii) fournir, dans l'intérêt public, de l'information sur l'environnement à la population;

b) favorise et encourage des comportements tendant à protéger et améliorer la qualité de l'environnement, et coopère avec les gouvernements provinciaux ou leurs organismes, ou avec tous autres organismes, groupes ou particuliers, à des programmes dont les objets sont analogues;

c) conseille les chefs des divers ministères ou organismes fédéraux en matière de conservation et d'amélioration de la qualité de l'environnement naturel.

6. Au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la qualité de l'environnement, le ministre peut par arrêté, avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir des directives à l'usage des ministères et organismes fédéraux et, s'il y a lieu, à celui des sociétés d'État énumérées à l'annexe III de la Loi sur la gestion des finances publiques et des organismes de réglementation dans l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions.

Conformément à l'art. 6, le ministre a par arrêté, avec l'approbation du gouverneur en conseil, établi le Décret sur les lignes directrices, dont les dispositions pertinentes sont:

2. Les définitions qui suivent s'appliquent aux présentes lignes directrices.

. . .

"ministère responsable" Ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l'égard d'une proposition.

. . .

"promoteur" L'organisme ou le ministère responsable qui se propose de réaliser une proposition.

"proposition" S'entend en outre de toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions.

3. Le processus est une méthode d'auto‑évaluation selon laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l'égard desquelles il exerce le pouvoir de décision.

. . .

6. Les présentes lignes directrices s'appliquent aux propositions

a) devant être réalisées directement par un ministère responsable;

b) pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale;

c) pour lesquelles le gouvernement du Canada s'engage financièrement; ou

d) devant être réalisées sur des terres administrées par le gouvernement du Canada, y compris la haute mer.

On doit aussi mentionner l'art. 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables:

5. (1) Il est interdit de construire ou de placer un ouvrage dans des eaux navigables ou sur, sous, au‑dessus ou à travers de telles eaux à moins que:

a) préalablement au début des travaux, l'ouvrage, ainsi que son emplacement et ses plans, n'aient été approuvés par le ministre selon les modalités qu'il juge à propos;

b) la construction de l'ouvrage ne soit commencée dans les six mois et terminée dans les trois ans qui suivent l'approbation visée à l'alinéa a) ou dans le délai supplémentaire que peut fixer le ministre;

c) la construction, l'emplacement ou l'entretien de l'ouvrage ne soit conforme aux plans, aux règlements et aux modalités que renferme l'approbation visée à l'alinéa a).

L'historique judiciaire

La Section de première instance

Le juge en chef adjoint Jerome a présenté les quatre questions principales de la façon suivante: (1) la requérante a‑t‑elle qualité pour présenter la demande en l'espèce? (2) les ministres fédéraux nommés sont‑ils tenus d'invoquer le Décret sur les lignes directrices? (3) la décision Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1989] 3 C.F. 309 (1re inst.), confirmée par (1989), 99 N.R. 72 (C.A.F.), s'applique‑t‑il aux faits de la présente espèce? (4) la cour devait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder les redressements demandés? En ce qui concerne la première question, il a simplement tenu pour acquis, sans en décider, que la Société avait la qualité voulue pour présenter la demande.

En ce qui concerne le Décret sur les lignes directrices, le juge en chef adjoint Jerome a tout d'abord statué que le ministre des Transports n'était pas tenu de l'appliquer dans l'évaluation de la demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables et, en fait, il a conclu que, s'il avait invoqué le Décret sur les lignes directrices, le ministre aurait excédé les limites de sa compétence. Le raisonnement était que la Loi n'établit pas d'obligation de tenir un examen des incidences environnementales, mais limite plutôt le ministre à prendre en considération seulement les facteurs touchant la navigation. Par ailleurs, le ministre des Pêches et des Océans n'avait pas compétence pour appliquer le Décret sur les lignes directrices parce que son ministère n'avait pas entrepris de projet. Par contre, dans l'hypothèse où le Décret sur les lignes directrices pouvait être étendu aux projets lancés par les provinces, il ne se serait appliqué que dans les cas où un ministère fédéral aurait reçu une "proposition" exigeant son approbation. Comme la Loi sur les pêches ne prévoit pas de procédure d'approbation qui serait applicable à un permis ou à une licence, le Décret sur les lignes directrices ne s'applique pas. En outre, les facteurs environnementaux ne sont soulevés ni dans la Loi sur les pêches ni dans la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C. (1985), ch. F‑15.

Le juge en chef adjoint Jerome examine ensuite l'arrêt Fédération canadienne de la faune. Dans cette affaire, que j'analyserai plus à fond plus loin, la Cour d'appel fédérale a statué que le ministre de l'Environnement devait approuver le projet en question, le barrage Rafferty‑Alameda, avant sa mise en {oe}uvre. Le juge en chef adjoint Jerome estime que cette affaire se distingue de celle de l'espèce pour deux raisons. Premièrement, il était question d'une autorisation requise aux termes de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux, L.R.C. (1985), ch. I‑20, nécessitant l'approbation préalable du ministre de l'Environnement; en l'espèce, l'approbation en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables peut être accordée une fois la réalisation du projet entamée. Deuxièmement, le projet de construction du barrage de Rafferty‑Alameda faisait intervenir le ministre de l'Environnement à qui la Loi sur le ministère de l'Environnement imposait l'obligation de se prononcer sur des facteurs environnementaux.

Enfin, en ce qui concerne le caractère discrétionnaire du redressement recherché, le juge en chef adjoint Jerome n'a pas fait droit à la demande de la Société en raison du retard et du chevauchement inutile qui s'ensuivraient. Entre l'approbation accordée le 18 septembre 1987 et le début de la présente action le 21 avril 1989, il précise qu'aucune mesure n'a été prise pour faire annuler cette approbation et forcer l'application du Décret sur les lignes directrices. À la date où la présente action a été intentée, le projet était déjà complété à environ 40 pour 100. Par ailleurs, la province d'Alberta avait déjà procédé à un examen exhaustif des incidences environnementales du projet qui "a permis le recensement complet des questions pouvant faire l'objet de préoccupations sociales environnementales, en sorte de donner à tous les citoyens, y compris les membres de l'organisation requérante, l'entière possibilité d'exprimer leur opinion et de se mobiliser en vue de contester le projet" (pp. 273 et 274). Cela étant, l'application du Décret sur les lignes directrices serait inutilement répétitive. Il a donc rejeté la demande.

La Société a alors interjeté appel auprès de la Cour d'appel fédérale.

La Cour d'appel

Le juge Stone, s'exprimant au nom de la cour, a tout d'abord fait remarquer que la construction du barrage sur la rivière Oldman peut avoir des répercussions environnementales sur au moins trois domaines de compétence fédérale, soit les pêcheries, les Indiens et les terres indiennes. Il n'est pas d'accord avec la proposition selon laquelle le ministre des Transports pouvait seulement prendre en considération les facteurs touchant la navigation. Il a conclu que le projet de barrage était visé par le Décret sur les lignes directrices et que le ministère des Transports était le "ministère responsable" aux fins de l'application de ce décret, ce qui en déclenchait l'application. Le juge Stone s'appuie ensuite sur l'arrêt Fédération canadienne de la faune pour déclarer que le Décret sur les lignes directrices est une règle d'application générale et qu'il impose au ministre une fonction qui "s'ajoute" à l'exercice des autres pouvoirs qui lui sont conférés par des lois. Il n'existe pas de conflit entre, d'une part, le fait d'exiger dans le Décret sur les lignes directrices qu'un examen soit effectué "le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables" et, d'autre part, le pouvoir de redressement permettant au ministre d'accorder une approbation après le début des travaux, en vertu de l'art. 6 de la Loi sur la protection des eaux navigables. Selon le juge Stone, ce pouvoir constitue une exception à la règle générale énoncée à l'art. 5 de la Loi selon laquelle il faut obtenir une approbation avant le début de la construction et, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, rien n'empêche le ministre d'appliquer le Décret sur les lignes directrices.

Le juge Stone examine ensuite la question de savoir si le ministre des Pêches et des Océans était tenu d'appliquer le Décret sur les lignes directrices. Il tente tout d'abord de déterminer si le ministre était saisi d'une "proposition" au sens de la Loi de façon à déclencher l'application du Décret sur les lignes directrices. Il arrive à une conclusion affirmative. Selon le juge Stone, le terme "proposition" est un terme défini dont la portée est beaucoup plus large que sa portée courante. En particulier il n'est pas limité à quelque chose de la nature d'une demande. Une demande n'est qu'un moyen, parmi d'autres, d'attirer l'attention du ministre sur l'existence d'une "entreprise ou activité". Un ministre peut aussi être mis au courant par une démarche d'un particulier sollicitant des mesures spécifiques aux termes d'une loi, comme en l'espèce, et, puisque le ministre était au courant d'un projet dans un domaine de compétence fédérale, il existait une "proposition" au sens du Décret sur les lignes directrices. Par ailleurs, la décision du ministre de ne pas intervenir faisait de lui celui qui "exerce le pouvoir de décision", déclenchant ainsi ses obligations en vertu du Décret sur les lignes directrices.

Le juge Stone examine ensuite la question du pouvoir discrétionnaire et analyse les principes pertinents applicables à une cour d'appel quant à la modification d'une décision rendue par un juge de première instance dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Bref, une cour d'appel ne serait pas justifiée de modifier en appel la décision, sauf si le juge de première instance a agi sur le fondement d'un principe erroné ou d'une appréciation fautive des faits ou si l'ordonnance prononcée n'est pas juste et raisonnable. Entre parenthèses, et dans la note en bas de page, le juge Stone se dit d'avis que la décision de refuser la délivrance du bref de prérogative parce que les procédures auraient été intentées trop tard n'est pas "bien fondée dans son principe", parce que les faits expliquent le retard, particulièrement que l'intimée n'a eu connaissance de la décision du ministre des Transports d'accorder l'approbation que deux mois avant le début des procédures. Par ailleurs, l'intimée avait tenté de contester le permis provincial délivré et ce n'est qu'à la veille du commencement des procédures que la Section de première instance de la Cour fédérale a décidé, dans l'affaire Fédération canadienne de la faune, que le ministre de l'Environnement était lié par le Décret sur les lignes directrices.

En ce qui concerne la répétition inutile à laquelle pourrait donner lieu l'octroi de la réparation demandée, le juge Stone a statué que le processus provincial d'examen en matière d'environnement échoue sous deux aspects lorsqu'on le compare au processus d'évaluation des incidences environnementales prévu dans le Décret sur les lignes directrices. Premièrement, les textes législatifs provinciaux n'accordent pas la même importance à la participation du public au processus que le Décret sur les lignes directrices. Deuxièmement, rien dans les textes législatifs provinciaux n'exige le même degré d'indépendance que celui qui est exigé de la commission d'examen.

La dernière question analysée par le juge Stone et qui est aussi soulevée dans le présent pourvoi est celle de savoir si la Loi sur la protection des eaux navigables lie la Couronne du chef de l'Alberta. En se fondant sur la décision rendue par notre Cour dans Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, le juge Stone a statué que la Loi, tout particulièrement l'art. 4 examiné dans son contexte, permet de constater une intention de lier la Couronne. Par ailleurs, la Loi serait privée de toute efficacité si ses dispositions ne liaient pas la Couronne, puisqu'il est notoire qu'un grand nombre d'ouvrages obstruant des eaux navigables sont construits sous l'égide des gouvernements.

En conséquence, l'appel a été accueilli, l'approbation a été annulée et le ministre des Transports et celui des Pêches et des Océans ont été enjoints de se conformer au Décret sur les lignes directrices.

Le pourvoi devant notre Cour

Comme je l'ai déjà mentionné, une autorisation de pourvoi a été demandée à notre Cour, qui l'a accordée, et le Juge en chef a formulé la question constitutionnelle suivante le 29 octobre 1990:

Le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467, est‑il général au point de contrevenir aux art. 92 et 92A de la Loi constitutionnelle de 1867 et d'être, par conséquent, constitutionnellement inapplicable au barrage de la rivière Old Man appartenant à l'appelante Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta?

Des interventions ont ensuite été déposées par les procureurs généraux du Québec, du Nouveau‑Brunswick, du Manitoba, de la Colombie‑Britannique, de la Saskatchewan et de Terre‑Neuve, le ministre de la Justice des Territoires du Nord‑Ouest et un certain nombre de groupes environnementaux, notamment le Sierra Legal Defence Fund, l'Association canadienne du droit de l'environnement, le Sierra Club of Western Canada, Survie culturelle (Canada), les Amis de la Terre et l'Alberta Wilderness Association, ainsi que par plusieurs organisations indiennes, notamment la Fraternité des Indiens du Canada et l'Assemblée des premières nations, la Nation dénée et l'Association des Métis des Territoires du Nord‑Ouest ainsi que le Conseil national des autochtones du Canada (Alberta).

Les questions en litige

Les parties ont présenté de diverses façons dans leur mémoire les nombreuses questions soulevées dans le présent pourvoi, mais je préfère les analyser dans l'ordre suivant:

1. La validité législative du Décret sur les lignes directrices

a.Le Décret sur les lignes directrices est‑il autorisé par l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement?

b.Le Décret sur les lignes directrices est‑il incompatible avec la Loi sur la protection des eaux navigables et la Loi sur les pêches?

2. L'obligation des ministres de se conformer au Décret sur les lignes directrices

a.Le paragraphe 4(1) de la Loi sur le ministère de l'Environnement écarte‑t‑il l'application aux ministres du Décret sur les lignes directrices?

b.Le Décret sur les lignes directrices s'applique‑t‑il aux projets autres que les nouveaux projets fédéraux?

c. Les ministres sont‑ils des "ministères responsables"?

d.La Loi sur la protection des eaux navigables lie‑t‑elle la Couronne du chef de l'Alberta?

3. La question constitutionnelle

Le Décret sur les lignes directrices est‑il général au point de contrevenir aux art. 92 et 92A de la Loi constitutionnelle de 1867, et d'être, par conséquent, constitutionnellement inapplicable au barrage de la rivière Oldman appartenant à l'Alberta?

4. Le pouvoir discrétionnaire

La Cour d'appel fédérale a‑t‑elle commis une erreur en modifiant la décision de refuser d'accorder les réparations demandées, prise par le juge en chef adjoint Jerome dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?

La validité législative du Décret sur les lignes directrices

Le Décret sur les lignes directrices est‑il autorisé par l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement?

L'Alberta soutient que le Décret sur les lignes directrices est ultra vires parce qu'il n'est pas compris dans les pouvoirs prévus dans le texte habilitant, soit l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement. Par souci de commodité, je reproduis la disposition en question:

6. Au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la qualité de l'environnement, le ministre peut par arrêté, avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir des directives à l'usage des ministères et organismes fédéraux et, s'il y a lieu, à celui des sociétés d'État énumérées à l'annexe III de la Loi sur la gestion des finances publiques et des organismes de réglementation dans l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions.

Le principal motif invoqué à l'appui de la prétention que le Décret sur les lignes directrices n'est pas valide est que l'emploi du terme "directives" à l'art. 6 ne permet pas l'adoption de textes réglementaires impératifs, mais envisage seulement l'établissement de directives purement administratives qui ne visent pas à lier juridiquement ceux à qui elles s'adressent. Il n'y a pas de doute que le pouvoir d'adopter des textes réglementaires doit être prévu dans la loi habilitante et c'est celle‑ci que l'on doit examiner pour déterminer si la Loi peut appuyer l'adoption d'un texte réglementaire impératif, dont la violation peut entraîner une demande de bref de prérogative.

Cette question a été analysée dans l'arrêt Fédération canadienne de la faune, précité. Dans cette affaire, la requérante contestait la délivrance d'un permis par le ministre de l'Environnement en vertu de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux et sollicitait une ordonnance de la nature d'un certiorari annulant le permis, et un mandamus enjoignant au ministre de l'Environnement de se conformer au Décret sur les lignes directrices. Le juge Cullen de la Section de première instance a statué que le Décret sur les lignes directrices est un texte ou un règlement au sens du par. 2(1) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985) ch. I‑21:

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

"règlement" Règlement proprement dit, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle judiciaire ou autre, règlement administratif, formulaire, tarif de droits, de frais ou d'honoraires, lettres patentes, commission, mandat, résolution ou autre acte pris:

a) soit dans l'exercice d'un pouvoir conféré sous le régime d'une loi fédérale;

b) soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité.

"texte" Tout ou partie d'une loi ou d'un règlement.

Le juge Cullen conclut à la p. 322:

Par conséquent, le Décret n'est pas un simple énoncé de politique ou de programme; il est susceptible de créer des droits qu'on peut faire respecter par voie de mandamus (voir Young c. Ministre de l'emploi et de l'immigration (1987), 8 F.T.R. 218 (C.F. 1re inst.), à la p. 221).

En Cour d'appel, le juge Hugessen s'est fondé sur les versions française et anglaise de l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement pour statuer que cette loi pouvait appuyer l'existence d'un pouvoir d'adopter un texte réglementaire impératif. "Le mot "directives" en lui‑même, a‑t‑il précisé, est neutre à cet égard". Quant à la question de savoir si les Lignes directrices avaient été rédigées de façon à les rendre impératives, il écrit aux pp. 73 et 74:

En dernier lieu, rien dans le textes des Directives elles‑mêmes n'indique qu'elles ne sont pas impératives; au contraire, l'emploi répété du verbe "shall" [. . .] dans la version anglaise des Directives, et particulièrement aux articles 6, 13 et 20, montre l'intention évidente que les Directives aient force obligatoire pour tous ceux qu'elles visent, y compris le ministre de l'Environnement lui‑même.

Je suis d'accord avec lui sur ces deux points. La première question dépend de l'intention du législateur. Les lignes directrices, établies en vertu de la Loi que notre Cour a analysée dans le Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, par exemple, étaient clairement impératives. Je suis convaincu que l'art. 6 de la Loi permet l'adoption de lignes directrices impératives et que les Lignes directrices sont formulées de façon à les rendre impératives.

En l'espèce, rien n'indique que le Décret sur les lignes directrices ne constitue qu'une autre forme de directive administrative qui ne peut établir de droits exécutoires, comme dans l'arrêt Martineau c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118. Dans cette affaire, la question était de savoir si l'on était "légalement" soumis, au sens de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.C. 1970‑71‑72, ch. 1, à une directive concernant les mesures disciplinaires prises contre les détenus, adoptée en vertu du par. 29(3) de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, ch. P‑6, de façon que la Cour fédérale avait compétence pour examiner une décision disciplinaire prononcée par le Comité. Notre Cour à la majorité a statué que la décision du comité ne se trouvait pas, au sens de l'art. 28, "légalement" soumise au processus prescrit par la directive. Le juge Pigeon indique à la p. 129:

Il est significatif qu'il n'est prévu aucune sanction pour elles et, bien qu'elles soient autorisées par la Loi, elles sont nettement de nature administrative et non législative. Ce n'est pas en qualité de législateur que le commissaire est habilité à établir des directives, mais en qualité d'administrateur. Je suis convaincu qu'il aurait l'autorité d'établir ces directives même en l'absence d'une disposition législative expresse. [Je souligne.]

Il y a peu de doute qu'un ministre possède habituellement un pouvoir implicite d'établir des directives visant l'application d'une loi dont il est responsable; voir, par exemple, l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2. Il est également évident que la violation de ces directives ne donnerait lieu qu'à une sanction administrative et non judiciaire puisque celles‑ci n'ont pas force de loi.

Cependant, en l'espèce, il s'agit d'une directive qui n'est pas simplement autorisée par une loi, mais qui doit être officiellement adoptée par "arrêté" et promulguée en vertu de l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement, sur approbation du gouverneur en conseil. Ce processus contraste vivement avec le processus habituel d'établissement de directives de politique interne ministérielle destinées à exercer un contrôle sur les fonctionnaires relevant de l'autorité du ministre. À mon avis, il s'agit là d'une distinction essentielle. Voici comment R. Dussault et L. Borgeat décrivent l'effet de cette distinction dans Traité de droit administratif (2e éd. 1984), t. I, à la p. 429:

Lorsqu'un gouvernement juge nécessaire de régir une situation par des normes de comportement, il peut faire adopter une loi ou édicter lui‑même un règlement, ou bien procéder administrativement par voie de directives. Dans le premier cas, il doit s'astreindre aux formalités de l'adoption des lois et des règlements; par contre, il sait que, une fois ces formalités respectées, les nouvelles normes entreront dans le cadre de la "légalité" et qu'en vertu de la Rule of law elles seront appliquées par les tribunaux. Dans le second cas, c'est‑à‑dire s'il choisit de procéder par directives, que celles‑ci soient ou non autorisées législativement, il opte plutôt pour la voie moins formalisée de l'autorité hiérarchique, dont les tribunaux n'ont pas à assurer le respect. Attribuer à des directives l'effet de règlements, c'est aller au‑delà de l'intention du législateur. Celui‑ci ne parlant pas pour ne rien dire, il faut respecter sa volonté implicite de laisser une situation hors du cadre strict de la "légalité".

On ne doit pas examiner le terme "directives" en vase clos; il faut interpréter l'art. 6 dans son ensemble. On se rend alors compte que le législateur fédéral a opté pour l'adoption d'un mécanisme de réglementation auquel on est soumis "légalement" et dont on peut obtenir l'exécution par bref de prérogative.

L'Alberta prétend également que le Décret sur les lignes directrices est ultra vires au motif que l'étendue du sujet traité dans la législation déléguée va bien au‑delà de ce qui est autorisée par la Loi sur le ministère de l'Environnement. Plus particulièrement, l'Alberta soutient que le pouvoir du ministre de prendre des directives au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la "qualité de l'environnement" ne comprend pas l'établissement d'un processus d'évaluation des incidences environnementales, comme celui que prévoit le Décret sur les lignes directrices, dans l'exécution duquel le décideur doit tenir compte de facteurs socio‑économiques. On fait valoir plutôt que la Loi permet seulement l'adoption de textes réglementaires qui visent strictement les questions portant sur la qualité de l'environnement, prise dans un sens physique.

Je ne puis accepter que le concept de la qualité de l'environnement se limite à l'environnement biophysique seulement; une telle interprétation est indûment étroite et contraire à l'idée généralement acceptée que l'"environnement" est un sujet diffus; voir l'arrêt R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401. Ce point a été énoncé par le Conseil canadien des ministres des Ressources et de l'Environnement, à la suite du "Rapport Brundtland" de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement, dans le Rapport du Groupe de Travail national sur l'environnement et l'économie, 24 septembre 1987, à la p. 2:

Nos recommandations reflètent des principes que nous partageons avec la Commission mondiale sur l'environnement et le développement. Nous croyons notamment que la planification environnementale et la planification économique ne peuvent pas se faire dans des milieux séparés. La croissance économique à long terme dépend de l'environnement. Elle affecte aussi l'environnement de bien des façons. Pour assurer un développement économique durable et compatible avec l'environnement, nous avons besoin de la technologie et de la richesse produites par une croissance économique soutenue. La planification et la gestion de l'économie et de l'environnement doivent donc être intégrées.

Certes, les conséquences éventuelles d'un changement environnemental sur le gagne‑pain, la santé et les autres préoccupations sociales d'une collectivité font partie intégrante de la prise de décisions concernant des questions ayant une incidence sur la qualité de l'environnement, sous réserve, bien entendu, des impératifs constitutionnels, question que j'examinerai plus loin.

Je conclus en conséquence que le Décret sur les lignes directrices a été validement adopté conformément à la Loi sur le ministère de l'Environnement et qu'il est de nature impérative.

L'incompatibilité avec la Loi sur la protection des eaux navigables et la Loi sur les pêches

Les appelants, l'Alberta et les ministres fédéraux, prétendent que le Décret sur les lignes directrices est incompatible avec les exigences de la Loi sur la protection des eaux navigables pour ce qui est de l'obtention d'une approbation en vertu de l'art. 5 de cette loi et que celle‑ci doit avoir préséance sur le Décret. Plus particulièrement, ils disent que le ministre des Transports ne peut, en vertu de la Loi, tenir compte que des facteurs touchant la navigation et que le Décret sur les lignes directrices ne peut remplacer les critères prévus dans la Loi ni ajouter à ceux‑ci. L'Alberta soutient aussi que le Décret sur les lignes directrices est également incompatible avec la Loi sur les pêches; toutefois, pour les motifs exprimés plus loin, j'estime inutile d'analyser cette question.

On ne met pas en doute les principes fondamentaux du droit. Il ne peut y avoir incompatibilité entre le texte réglementaire et la loi en vertu duquel il est adoptée (Belanger c. The King (1916), 54 R.C.S. 265), pas plus qu'il ne peut y en avoir avec les autres lois fédérales (R. & W. Paul, Ltd. c. Wheat Commission, [1937] A.C. 139 (H.L.), sauf si la loi l'autorise (Re George Edwin Gray (1918), 57 R.C.S. 150). Normalement, la loi fédérale doit l'emporter sur le texte réglementaire incompatible. Toutefois, en matière d'interprétation, un tribunal préférera, dans la mesure du possible, une interprétation qui permet de concilier les deux textes. Dans ce contexte, l'"incompatibilité" renvoie à une situation où le texte législatif et le texte réglementaire ne peuvent être conciliés; voir l'arrêt Daniels c. White, [1968] R.C.S. 517. Dans cette affaire, la règle a été énoncée à l'égard de deux lois incompatibles dont l'une était réputée abroger l'autre en raison de l'incompatibilité. Toutefois, la justification fondamentale est la même que dans le cas où le texte réglementaire serait incompatible avec une autre loi fédérale — il existe une présomption que le législateur n'a pas eu l'intention d'adopter des textes contradictoires ou d'habiliter quiconque à le faire. Il existe également une ressemblance doctrinale avec le principe de la prépondérance dans les affaires de partage constitutionnel des compétences dans lesquelles l'incompatibilité a aussi été définie dans le sens de contradiction — c'est‑à‑dire lorsque le fait de [traduction] "se conformer à une loi signifie que l'on enfreint l'autre"; voir l'arrêt Smith c. The Queen, [1960] R.C.S. 776, à la p. 800.

L'incompatibilité invoquée est que la Loi sur la protection des eaux navigables empêche implicitement le ministre des Transports de tenir compte de facteurs autres que ceux touchant la navigation dans l'exercice de son pouvoir d'approbation en vertu de l'art. 5 de la Loi, alors que le Décret sur les lignes directrices exige tout au moins l'établissement d'une évaluation initiale des incidences environnementales. Les ministres appelants reconnaissent qu'il n'existe pas d'interdiction explicite de tenir compte des facteurs environnementaux, mais prétendent que l'objet et l'esprit de la Loi limitent le ministre des Transports à l'examen des effets possibles d'un ouvrage sur la navigation seulement. Si les appelants ont raison, il me semble que le ministre approuverait très peu d'ouvrages parce que plusieurs des "ouvrages" visés par l'art. 5 ne favorisent pas la navigation en tant que telle, mais la gênent plutôt, ou y font obstacle, en raison même de leur nature, par exemple, les ponts, les estacades, les barrages et autres choses du même genre. Si l'importance de l'incidence sur la navigation constituait le seul critère, il est difficile d'envisager l'approbation d'un barrage du même type que celui en l'espèce. Il est donc évident que le ministre doit tenir compte de plusieurs éléments dans toute analyse coûts‑avantages visant à déterminer s'il est justifié dans les circonstances de gêner d'une façon importante la navigation.

Il se peut que le ministre des Transports dans l'exercice de ses fonctions en vertu de l'art. 5 ait toujours tenu compte de l'incidence environnementale d'un ouvrage, tout au moins en ce qui concerne d'autres domaines de compétence fédérale, comme les Indiens ou les terres indiennes. Bien que cela puisse être le cas, le Décret sur les lignes directrices exige officiellement qu'il le fasse et, je ne vois rien là d'incompatible avec les fonctions que lui attribue l'art. 5. Comme le juge Stone de la Cour d'appel l'a indiqué, le Décret a créé une fonction qui "s'ajoute" à tout autre pouvoir qui lui est conféré par des lois et qui n'entre pas en conflit avec ce pouvoir. À mon avis, la fonction confiée au ministre en vertu du Décret sur les lignes directrices vient en fait s'ajouter à la responsabilité qu'il a en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables et il ne peut invoquer une interprétation trop étroite des pouvoirs qui lui sont conférés par des lois pour éviter de se conformer au Décret sur les lignes directrices.

L'article 8 du Décret sur les lignes directrices reconnaît déjà que l'évaluation des incidences environnementales ne recevra pas application s'il est incompatible avec les dispositions d'autres textes législatifs.

8. Lorsqu'une commission ou un organisme fédéral ou un organisme de réglementation exerce un pouvoir de réglementation à l'égard d'une proposition, les présentes lignes directrices ne s'appliquent à la commission ou à l'organisme que si aucun obstacle juridique ne l'empêche ou s'il n'en découle pas de chevauchement des responsabilités.

Une interprétation libérale de l'application du Décret sur les lignes directrices est compatible avec les objectifs mentionnés à la fois dans le Décret et dans la loi en vertu de laquelle il a été adopté — faire de l'évaluation des incidences environnementales un élément essentiel de la prise de décisions fédérales. Une analyse similaire a été adoptée aux États‑Unis relativement à la National Environmental Policy Act. Comme l'affirme le juge Pratt dans l'arrêt Environmental Defense Fund, Inc. c. Mathews, 410 F.Supp. 336 (D.D.C. 1976), à la p. 337:

[traduction] La National Environmental Policy Act ne l'emporte pas sur les autres fonctions conférées par des lois mais, dans la mesure où cette loi est conciliable avec ces fonctions, elle vient les compléter. On ne peut éviter de se conformer pleinement aux exigences de cette loi, sauf si la conformité entrerait directement en conflit avec d'autres fonctions existantes conférées par des lois.

Toute autre interprétation ne tiendrait pas compte, à mon avis, du régime législatif de protection de l'environnement envisagé par le législateur lorsqu'il a adopté la Loi sur le ministère de l'Environnement, et, plus particulièrement, l'art. 6.

Je ne crois pas non plus que l'art. 3 du Décret sur les lignes directrices, qui exige que l'évaluation soit réalisée "le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables", soit d'une façon quelconque incompatible avec l'art. 6 de la Loi sur la protection des eaux navigables. L'article 6 vise principalement à habiliter le ministre qui constate qu'un ouvrage a été construit sans qu'aient été respectées les exigences de l'art. 5 à prendre des mesures pour le faire détruire ou toute autre mesure de redressement nécessaire; toutefois, les appelants ont attiré notre attention sur le par. 6(4) qui habilite le ministre à approuver un ouvrage qui a déjà été construit. Sur ce point, je suis entièrement d'accord avec le juge Stone de la Cour d'appel, qui mentionne à la p. 41:

À mon avis, les dispositions de l'article 6 de la Loi concernent les pouvoirs de redressement que détient le ministre lorsqu'il détermine les mesures qu'il pourrait prendre advenant un défaut d'obtenir une approbation conformément à l'article 5 avant le début de la construction. Le pouvoir prévu au paragraphe (4) de l'article 6 constitue une exception à la règle générale; il est entièrement discrétionnaire et se trouve clairement subordonné à l'exigence fondamentale de l'alinéa 5(1)a) selon laquelle une approbation doit être obtenue avant le début de la construction. Je suis également incapable de trouver dans le Décret sur les lignes directrices une disposition qui empêcherait le ministre de se conformer à ses prescriptions dans toute la mesure du possible lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire sous le régime du paragraphe 6(4) de la Loi sur la protection des eaux navigables. Cela étant, je ne puis conclure à aucune incompatibilité et à aucun conflit entre ces deux textes de la législation fédérale.

Il me paraît donc évident non seulement que le Décret sur les lignes directrices s'inscrit dans le cadre des pouvoirs conférés par la Loi sur le ministère de l'Environnement, mais qu'il est entièrement compatible avec la Loi sur la protection des eaux navigables. Il faut donc se demander si le Décret s'applique en l'espèce.

L'obligation des ministres de se conformer au Décret sur les lignes directrices

Le paragraphe 4(1) de la Loi sur le ministère de l'Environnement

Voici le texte de l'al. 4(1)a) de la Loi sur le ministère de l'Environnement:

4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédéraux et liés:

a) à la conservation et l'amélioration de la qualité de l'environnement naturel, notamment celle de l'eau, de l'air et du sol;

L'Alberta prétend qu'en restreignant la compétence du ministre de l'Environnement aux "domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédéraux" (je souligne), l'art. 4 rend le Décret sur les lignes directrices inopérant en l'espèce. Parce que la Loi sur les pêches réglemente la gestion des ressources halieutiques du Canada, on soutient que la compétence du ministre de l'Environnement a été écartée à l'égard de toutes les questions concernant l'habitat du poisson. Cet argument peut être tranché rapidement. Il est fondé sur une interprétation tout à fait erronée des "domaines" visés par les divers textes législatifs. Le Décret sur les lignes directrices établit une méthode d'évaluation des incidences environnementales à l'intention de tous les ministères fédéraux dans l'exercice de leurs pouvoirs et dans l'exécution de leurs obligations et fonctions, alors que la Loi sur les pêches traite de la question de fond de la protection du poisson et de son habitat. Il existe certes un lien entre les deux, mais la différence essentielle est que l'une porte fondamentalement sur la procédure, alors que l'autre porte sur le fond. L'analyse proposée par les appelants rendrait pratiquement vide de sens le pouvoir conféré par l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement.

Les nouveaux projets fédéraux

L'Alberta s'attaque ensuite à la prétendue application du Décret sur les lignes directrices à des propositions autres que les "nouveaux projets, programmes et activités fédéraux" visés au sous‑al. 5a)(ii) de la Loi sur le ministère de l'Environnement:

5. Dans le cadre des pouvoirs et fonctions que lui confère l'article 4, le ministre:

a) lance, recommande ou entreprend à son initiative et coordonne à l'échelle fédérale des programmes visant à:

. . .

(ii) faire en sorte que les nouveaux projets, programmes et activités fédéraux soient, dès les premières étapes de planification, évalués en fonction de leurs risques pour la qualité de l'environnement naturel, et que ceux d'entre eux dont on aura estimé qu'ils présentent probablement des risques graves fassent l'objet d'un réexamen dont les résultats devront être pris en considération . . . [Je souligne.]

On soutient que le libellé de ce sous‑alinéa permet d'établir que le législateur avait l'intention de restreindre l'application du Décret sur les lignes directrices aux nouveaux projets fédéraux et que celui‑ci ne saurait en conséquence s'appliquer à un projet parrainé par une province. À mon avis, l'Alberta cherche encore ici à interpréter d'une façon trop étroite l'étendue des fonctions du ministre de l'Environnement en vertu de la l'art. 6 de la Loi. Le Décret sur les lignes directrices a été adopté en vertu de l'art. 6 et non de l'art. 5 et les pouvoirs et fonctions du ministre qui y sont mentionnés visent à englober des domaines qu'on trouve à l'art. 4 ainsi qu'à l'art. 5, y compris: "la conservation et l'amélioration de la qualité de l'environnement" (al. 4(1)a)). L'article 6 n'est donc pas limité aux nouveaux projets, programmes et activités. L'article 5 ne fait que décrire les fonctions minimales du ministre en vertu de l'art. 4, lequel est beaucoup plus vaste. C'est là que l'on trouve la véritable gamme des fonctions du ministre en matière de qualité de l'environnement relativement à laquelle des directives peuvent être établies.

Les ministères responsables

Au c{oe}ur des moyens invoqués par les ministres appelants est la question de savoir si le Décret sur les lignes directrices, de par son libellé, est applicable au projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman. L'Alberta n'a pas soulevé cette question et les ministres reconnaissent que le ministre des Transports est un ministère "responsable" mais ils soutiennent que le Décret sur les lignes directrices est incompatible avec la Loi sur la protection des eaux navigables et ne peut recevoir application. J'ai conclu que les deux textes sont compatibles pour les motifs déjà énoncés; il n'existe donc plus de controverse entre les parties quant à savoir si le ministre des Transports est régi par les dispositions du Décret sur les lignes directrices. En ce qui concerne le ministre des Pêches et des Océans, on soutient qu'il n'est pas tenu d'invoquer l'application du Décret sur les lignes directrices en l'espèce parce qu'il n'exerce pas un "pouvoir de décision" conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur les pêches. Puisque la question de l'application du Décret sur les lignes directrices a donné lieu à un profond désaccord devant les tribunaux d'instance inférieure, j'estime nécessaire d'analyser tout d'abord le Décret sur les lignes directrices pour interpréter les dispositions qui en déterminent l'application.

À mon avis, le point de départ est l'art. 6 du Décret sur les lignes directrices qui énonce son principe d'application. Il vaut la peine de le reproduire de nouveau:

6. Les présentes lignes directrices s'appliquent aux propositions

a) devant être réalisées directement par un ministère responsable;

b) pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale;

c) pour lesquelles le gouvernement du Canada s'engage financièrement; ou

d) devant être réalisées sur des terres administrées par le gouvernement du Canada, y compris la haute mer. [Je souligne.]

On ne peut sérieusement mettre en doute que le projet de barrage sur la rivière Oldman peut avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale, notamment les domaines visés par l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 déjà mentionnés, soit la navigation, les Indiens, les terres réservées aux Indiens et les pêcheries de l'intérieur. En conséquence, le Décret sur les lignes directrices s'applique si le projet en l'espèce constitue une "proposition" au sens de l'art. 2:

2. Les définitions qui suivent s'appliquent aux présentes lignes directrices.

. . .

"proposition" S'entend en outre de toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions. [Je souligne.]

Si une telle proposition existe, les art. 3 et 10 du Décret sur les lignes directrices confient l'application de la méthode d'évaluation au "ministère responsable", qui doit s'assurer d'une part, d'examiner à fond les répercussions environnementales de toute proposition dont il est saisi et d'autre part, de soumettre cette proposition à une évaluation initiale afin de déterminer la nature des effets néfastes qu'elle peut avoir sur l'environnement. L'article 2 définit aussi l'entité désignée comme "ministère responsable":

2. Les définitions qui suivent s'appliquent aux présentes lignes directrices.

. . .

"ministère responsable" Ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l'égard d'une proposition. [Je souligne.]

On soutient que, dans la version anglaise, l'emploi de l'article défini "the" dans la définition de "initiating department", par opposition à l'emploi de l'article indéfini "a" dans la définition du terme "proposal", peut indiquer une intention de limiter l'application du Décret sur les lignes directrices aux projets sur lesquels le gouvernement fédéral exerce le principal ou le seul pouvoir de décision; voir, par exemple, C. J. Gillespie, "Enforceable Rights from Administrative Guidelines?" (1989‑1990), 3 C.J.A.L.P. 204. Je ne suis pas d'accord avec cette interprétation. À mon avis, la seule conséquence qu'entraîne le fait de passer de l'emploi de l'article indéfini dans la définition du terme "proposal" à celui de l'article défini dans la définition de "initiating department" est de désigner de façon précise, une fois établi que le gouvernement fédéral participe à la prise de décisions, l'autorité particulière au sein du gouvernement du Canada qui sera responsable de la mise en {oe}uvre du Décret sur les lignes directrices.

Dans l'arrêt Angus c. Canada, [1990] 3 C.F. 410 (C.A.), le juge Décary a adopté une analyse similaire relativement à l'interprétation du Décret sur les lignes directrices, mais dans un contexte différent. Dans cette affaire, la question en litige était de savoir si le Décret sur les lignes directrices s'appliquait à un décret pris par le gouverneur en conseil en vertu de l'art. 64 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985), ch. 28 (3e suppl.), qui ordonnait à VIA Rail d'éliminer ou de réduire certains services voyageurs. Bien que cette affaire ait porté sur la question précise de savoir si le gouverneur en conseil était tenu de se conformer au Décret sur les lignes directrices, ce qui n'est pas soulevé en l'espèce, et que le juge Décary ait été dissident sur ce point, l'analyse globale qu'il fait, à la p. 434, de l'application du Décret sur les lignes directrices est utile:

Le juge de première instance et les intimés ont mis l'accent sur les mots "ministère responsable" qui ont trait à l'administration des Lignes directrices. Je mettrais plutôt l'accent sur les mots "proposition" et "gouvernement du Canada" qui ont trait au "champ d'application" des Lignes directrices. Rien n'exige dans la définition du mot "proposition" que celle‑ci soit faite par un ministère responsable, au sens des Lignes directrices. L'intention du rédacteur semble être que les Lignes directrices doivent s'appliquer chaque fois qu'une activité peut avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale et quel que soit le preneur de décision au nom du gouvernement, qu'il s'agisse d'un ministère, d'un ministre ou du gouverneur en conseil, et cela devient alors une question purement pratique, lorsque le preneur de décision ultime n'est pas un ministère, de déterminer quel ministère ou ministre est le preneur de décision originel ou celui qui va effectivement mettre la décision à exécution, car il se trouve toujours un ministère ou un ministre qui est présent "à l'étape de planification" et "avant" que ne soient prises "des décisions irrévocables" ou qui voit à la "réalisation directe" de la proposition.

Puisque cette question n'est pas soulevée, je ne vois pas l'intérêt de faire des observations sur l'application au gouverneur en conseil du Décret sur les lignes directrices; toutefois, le passage précité permet de bien saisir l'essence de son application.

Je ne veux pas dire pour autant que le Décret sur les lignes directrices reçoit application chaque fois qu'un projet peut comporter des répercussions environnementales sur un domaine de compétence fédérale. Il doit tout d'abord s'agir d'une "proposition" qui vise une "entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions". (Je souligne.) À mon avis, l'interprétation qu'il faut donner à l'expression "participe à la prise de décisions" est que le gouvernement fédéral, se trouvant dans un domaine relevant de sa compétence en vertu de l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, doit avoir une obligation positive de réglementation en vertu d'une loi fédérale relativement à l'entreprise ou à l'activité proposée. On n'a pas pu vouloir que le Décret sur les lignes directrices soit invoqué chaque fois qu'il existe certaines possibilités de répercussions environnementales sur un domaine de compétence fédérale. En conséquence, l'expression "participe à la prise de décisions" dans la définition du terme "proposition" ne devrait pas être interprétée comme ayant trait à des questions relevant généralement de la compétence fédérale. Cette expression signifie plutôt une obligation légale. Si cette obligation existe, il s'agit alors de déterminer qui est le "ministère responsable" en la matière, puisque c'est ce ministère qui exerce le pouvoir de décision à l'égard de la proposition et qui doit donc entamer le processus d'évaluation visé par le Décret sur les lignes directrices.

La nécessité d'une obligation positive de réglementation pour que le gouvernement du Canada "participe à la prise de décisions" ressort d'autres dispositions du Décret sur les lignes directrices, qui laissent entendre que le ministère responsable doit détenir un certain pouvoir de réglementation sur le projet. Par exemple, l'art. 12 dispose que:

12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque proposition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer:

. . .

f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont inacceptables, auquel cas la proposition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nouvel examen ou évaluation initiale.

L'article 14:

14. Le ministère responsable voit à la mise en application de mesures d'atténuation et d'indemnisation, s'il est d'avis que celles‑ci peuvent empêcher que les effets néfastes d'une proposition sur l'environnement prennent de l'ampleur.

Ces dispositions amplifient le pouvoir de réglementation que doit avoir le gouvernement du Canada en vertu d'une loi fédérale avant de pouvoir participer à la prise de décisions.

Si on applique cette interprétation à l'espèce, on se rendra compte que le projet de barrage sur la rivière Oldman peut être qualifié de proposition dont le ministre des Transports seul est le ministère responsable. À mon avis, la Loi sur la protection des eaux navigables impose une obligation positive de réglementation au ministre des Transports. Cette loi a mis en place un mécanisme de réglementation qui prévoit qu'il est nécessaire d'obtenir l'approbation du ministre avant qu'un ouvrage qui gêne sérieusement la navigation puisse être placé dans des eaux navigables ou sur, sous, au‑dessus ou à travers de telles eaux. L'article 5 accorde au ministre le pouvoir de fixer les modalités qu'il juge à propos lorsqu'il approuve un ouvrage; si le propriétaire ne se conforme pas aux modalités, le ministre peut lui ordonner d'enlever l'ouvrage ou de le modifier. Pour ces motifs, je conclurais qu'il s'agit ici d'une "proposition" dont le ministre des Transports est un "ministère responsable".

La Loi sur les pêches ne renferme cependant pas de disposition de réglementation équivalente qui serait applicable au projet. L'article 35 interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson, et l'art. 40 assortit cette interdiction d'une sanction pénale. En vertu du par. 37(1), le ministre des Pêches et des Océans peut demander des renseignements à quiconque exploite ou se propose d'exploiter des ouvrages ou entreprises de nature à entraîner la détérioration, la perturbation ou la destruction de l'habitat du poisson. Toutefois, cette demande n'a pas pour objet la mise en {oe}uvre d'une procédure de réglementation; elle aide simplement le ministre à exercer le pouvoir législatif spécial, qui lui a été délégué en vertu du par. 37(2), d'autoriser une exception à l'interdiction générale. En voici le libellé:

37. . . .

(2) Si, après examen des documents et des renseignements reçus et après avoir accordé aux personnes qui les lui ont fournis la possibilité de lui présenter leurs observations, il est d'avis qu'il y a infraction ou risque d'infraction au paragraphe 35(1) ou à l'article 36, le ministre ou son délégué peut, par arrêté et sous réserve des règlements d'application de l'alinéa (3)b) ou, à défaut, avec l'approbation du gouverneur en conseil:

a) soit exiger que soient apportées les modifications et adjonctions aux ouvrages ou entreprises, ou aux documents s'y rapportant, qu'il estime nécessaires dans les circonstances;

b) soit restreindre l'exploitation de l'ouvrage ou de l'entreprise.

Il peut en ouvre, avec l'approbation du gouverneur en conseil dans tous les cas, ordonner la fermeture de l'ouvrage ou de l'entreprise pour la période qu'il juge nécessaire en l'occurrence. [Je souligne.]

À mon avis, le fait que le ministre possède le pouvoir discrétionnaire de demander des renseignements visant à l'aider dans l'exercice d'une fonction législative ne signifie pas qu'il participe à la prise de décisions au sens du Décret sur les lignes directrices. Alors que le ministre des Transports a une responsabilité en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables à titre d'autorité réglementante, le ministre des Pêches et des Océans a, en vertu de l'art. 37 de la Loi sur les pêches, un pouvoir législatif spécial limité qui ne constitue pas une obligation positive de réglementation. Pour ce motif, je ne crois pas que la demande de bref de mandamus visant à forcer le ministre à agir soit bien fondé.

L'immunité de la Couronne

Selon l'Alberta, même si on pouvait dire que le Décret sur les lignes directrices s'applique de lui‑même au projet, la Couronne du chef de l'Alberta n'est pas liée par la Loi sur la protection des eaux navigables. Dès lors, la participation "à la prise de décisions", au sens du Décret sur les lignes directrices, par le gouvernement du Canada, ne saurait avoir une incidence sur la province. Les ministres appelants conviennent que la Loi ne lie pas la Couronne du chef d'une province, mais prétendent que l'Alberta a renoncé à cette immunité en présentant une demande d'approbation en vertu de la Loi.

Le point de départ de cet argument est l'art. 17 de la Loi d'interprétation qui codifie la présomption que la Couronne n'est pas liée par un texte législatif.

17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n'a effet sur ses droits et prérogatives.

Toutes les parties intéressées reconnaissent que la Loi sur la protection des eaux navigables ne prévoit pas expressément qu'elle lie la Couronne; il reste donc à déterminer si la Couronne est liée par déduction nécessaire.

Il est utile d'examiner tout d'abord la situation en common law. L'arrêt de principe en la matière est Province of Bombay c. Municipal Corporation of Bombay, [1947] A.C. 58, rendu par le Conseil privé. Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si la province de Bombay était exemptée de l'application de la City of Bombay Municipal Act, 1888, laquelle conférait à la ville le pouvoir d'installer des conduites d'eau [traduction] "sur, à travers ou sous tout bien‑fonds situé à l'intérieur des limites de la ville". La province était propriétaire d'un bien‑fonds sous lequel on se proposait d'installer une conduite d'eau et elle s'opposait aux plans de la ville, sauf si celle‑ci acceptait de se conformer à certaines conditions, jugées inacceptables par la ville. Même si le texte législatif ne renfermait pas de dispositions expresses liant la Couronne, la Haute Cour de Bombay a statué que la Couronne était liée par déduction nécessaire parce que la loi [traduction] "ne peut avoir une efficacité raisonnable si elle ne lie pas la Couronne".

Le Conseil privé a reconnu que la règle de l'immunité de la Couronne souffre au moins une exception, la déduction nécessaire. Lord du Parcq explique cette exception, à la p. 61:

[traduction] C'est‑à‑dire que, s'il ressort du texte même de la Loi que le législateur entendait lier la Couronne, le résultat est le même que si cette dernière était expressément mentionnée. Il faut donc en déduire que la Couronne, en promulguant la loi, a accepté d'être liée par ses dispositions.

Leurs Seigneuries ont ensuite analysé l'argument, fondé sur une jurisprudence antérieure, qu'une loi adoptée pour le bien public doit recevoir une interprétation qui lie la Couronne parce que cette loi vise manifestement à garantir le bien‑être public. Cette prétention a été rejetée pour le simple motif que toutes les lois sont présumées être adoptées pour le bien public. Toutefois, cela ne signifiait pas nécessairement que l'objet d'un texte législatif ne présente aucune pertinence (à la p. 63):

[traduction] Leurs Seigneuries préfèrent dire que l'objet apparent de la loi constitue un élément, et peut être un élément important, à examiner lorsque l'on prétend que l'intention était de lier la Couronne. Si l'on peut affirmer qu'au moment où la Loi a été adoptée et a reçu la sanction royale, il ressortait clairement de son texte qu'elle serait privée de toute efficacité si elle ne liait pas la Couronne, on peut déduire que la Couronne a accepté d'être liée.

Comme je l'ai mentionné dans l'arrêt Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015, à la p. 1022, certains doutes ont été exprimés dans l'arrêt R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551, et dans l'arrêt Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c. Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61 (cf. R. c. Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568), quant à savoir si l'exception de la déduction nécessaire survivait à la révision de ce qui est maintenant l'art. 17 de la Loi d'interprétation, effectuée en 1967. On aurait également pu se demander si le critère de l'absence de toute efficacité de la loi énoncé dans l'arrêt Bombay était déterminant dans la décision que la Couronne était liée par déduction nécessaire. Le professeur Hogg dans son ouvrage intitulé Liability of the Crown (2e éd. 1989) soutient que l'exception de la déduction nécessaire énoncée au début de l'arrêt Bombay renvoie à une analyse contextuelle de la loi au terme de laquelle on peut dégager une intention de lier la Couronne par déduction logique; il s'agit donc là d'une espèce différente de déduction nécessaire de celle qui existe lorsque l'objet de la loi serait privé de toute efficacité. Il affirme à la p. 210:

[traduction] Ce qui est envisagé dans ce passage est qu'une loi, en l'absence de termes qui lient expressément la Couronne, peut contenir des renvois à la Couronne ou à une activité gouvernementale, qui n'auraient aucun sens sauf si la Couronne était liée. Si ces indications dans le texte sont suffisamment claires, les tribunaux concluront que la présomption a été réfutée et que la Couronne est liée.

Toutefois, notre Cour a dissipé toute incertitude quant à la situation du droit dans l'arrêt récent Alberta Government Telephones, précité. Après une analyse de la jurisprudence, le juge en chef Dickson conclut à la p. 281:

À mon avis, compte tenu des affaires PWA et Eldorado, la portée des termes "mentionnée ou prévue" doit s'interpréter indépendamment de la règle de common law supplantée. Toutefois, les réserves exprimées dans l'arrêt Bombay, précité, sont fondées sur de bons principes d'interprétation que le temps n'a pas complètement effacés. Il me semble que les termes "mentionnée ou prévue" contenus à l'art. 16 [maintenant l'art. 17 de la Loi d'interprétation] peuvent comprendre: (1) des termes qui lient expressément la Couronne ("Sa Majesté est liée"); (2) une intention claire de lier qui, selon les termes de l'arrêt Bombay, "ressort du texte même de la loi", en d'autres termes, une intention qui ressorte lorsque les dispositions sont interprétées dans le contexte d'autres dispositions, comme dans l'arrêt Ouellette, précité; et (3) une intention de lier lorsque l'objet de la loi serait "privé [. . .] de toute efficacité" si l'État n'était pas lié ou, en d'autres termes, s'il donnait lieu à une absurdité (par opposition à un simple résultat non souhaité). Ces trois éléments devraient servir de guide lorsqu'un loi comporte clairement une intention de lier la Couronne.

À mon avis, ce passage fait clairement ressortir qu'une analyse du contexte d'une loi peut révéler une intention de lier la Couronne si cette conclusion s'impose immanquablement par déduction logique.

On ne doit cependant pas effectuer cette analyse dans l'abstrait. En conséquence, il ne faudrait pas interpréter le "contexte" pertinent de façon trop restreinte. Le contexte doit plutôt englober les circonstances qui ont donné lieu à l'adoption de la loi et la situation qu'elle voulait corriger. Ce point de vue est compatible avec le raisonnement énoncé dans l'arrêt Bombay comme l'indiquent les passages susmentionnés dans lesquels le critère de la déduction nécessaire est exprimé par rapport au moment de l'adoption de la loi. En fait, l'analyse adoptée par la Haute Cour de Bombay a été critiquée par le Conseil privé pour ce motif même, à la p. 62:

[traduction] Même si la Haute Cour a interprété correctement le principe, sa façon de l'appliquer permet de soulever l'objection qu'elle aurait dû tenir compte non pas des conditions qui ont existé pendant de nombreuses années après l'adoption de la Loi, mais de l'état de chose qui existait en 1888 ou que la législature aurait pu prévoir.

J'examinerai tout d'abord les circonstances qui existaient au moment de l'adoption de la loi, en tenant compte du fait que le sujet général de la loi porte sur la navigation.

Ce faisant, il est utile de passer en revue certains des principes fondamentaux du droit maritime dans ce domaine, notamment ceux qui se rapportent aux eaux navigables. Il importe de se rappeler que le droit de la navigation au Canada comporte deux dimensions fondamentales — l'ancien droit public de navigation de la common law et la compétence constitutionnelle sur la navigation — qui sont nécessairement interdépendantes en vertu du par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 qui confère au Parlement une compétence législative exclusive sur la navigation.

La common law d'Angleterre prévoit depuis longtemps que le public a un droit de navigation dans les eaux de marée; toutefois, bien que les eaux sans marée puissent être navigables, le public n'a pas le droit d'y naviguer, sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l'espèce. Au Canada, la distinction entre les eaux de marée et les eaux sans marée a été abandonnée il y a longtemps, sauf dans les provinces de l'Atlantique où des considérations différentes pourraient bien s'appliquer; voir l'arrêt In Re Provincial Fisheries (1896), 26 R.C.S. 444; pour un sommaire des arrêts applicables, voir mon ouvrage intitulé Water Law in Canada (1973), aux pp. 178 à 180. La règle est plutôt la suivante: si les eaux sont navigables, que ce soient des eaux de marée ou sans marée, il existe un droit public de navigation. C'est le cas en Alberta où la Division d'appel de la Cour suprême, dans l'application de l'Acte des territoires du Nord-Ouest, S.R.C. 1886, ch. 50, a à bon droit statué dans l'arrêt Flewelling c. Johnston (1921), 59 D.L.R. 419, que la règle anglaise ne pouvait être appliquée à la province. Les parties ne contestent pas que la rivière Oldman est en fait navigable.

La nature du droit public de navigation a donné lieu à beaucoup de jurisprudence au cours des années, mais certains principes sont toujours valables. Premièrement, le droit de navigation n'est pas un droit de propriété, mais simplement un droit public de passage; voir l'arrêt Orr Ewing c. Colquhoun (1877), 2 App. Cas. 839 (H.L.), à la p. 846. Ce n'est pas un droit absolu, mais il doit être exercé d'une façon raisonnable de manière à ne pas empiéter sur les droits équivalents des autres. Il est tout particulièrement important en l'espèce de préciser que le droit de navigation l'emporte sur les droits du propriétaire du lit, même si le propriétaire est la Couronne. Par exemple, dans l'arrêt Attorney‑General c. Johnson (1819), 2 Wils. Ch. 87, 37 E.R. 240, concernant l'action d'une partie civile visant à éliminer une nuisance publique causant une obstruction dans la Tamise et sur une voie publique le long de la rive, le lord chancelier dit à la p. 246:

[traduction] J'estime qu'il n'est aucunement pertinent que le titre de propriété du sol entre la laisse des hautes eaux et celle des basses eaux appartienne à la Couronne ou à la ville de Londres, ou que la ville de Londres possède le droit d'administration, permettant ainsi de surveiller toute utilisation incorrecte du sol lorsque la Couronne en détient le titre, ou que lord Grosvenor ou M. Johnson possède un titre dérivé obtenu par concession de quiconque a le pouvoir de le faire [. . .] À mon avis, la Couronne n'a pas le droit de créer une nuisance lorsqu'elle utilise son droit de propriété du terrain situé entre la laisse des basses eaux et celle des hautes eaux ou de placer sur ce terrain quelque chose qui constituera une nuisance pour les sujets de la Couronne. Si la Couronne ne possède pas ce droit, elle ne pouvait pas l'accorder à la ville de Londres, et la ville de Londres ne pouvait pas le transférer à qui que ce soit.

Notre Cour est arrivée à la même conclusion dans l'arrêt Wood c. Esson (1884), 9 R.C.S. 239. Dans cette affaire, les demandeurs avaient allongé leur quai et entravaient ainsi l'accès au quai du défendeur. Celui‑ci fit enlever la partie des travaux qui obstruait l'accès à son quai; les demandeurs ont ensuite intenté une poursuite pour violation de propriété au motif qu'ils jouissaient, en vertu d'une concession par la province de la Nouvelle‑Écosse, du titre de propriété du sol à l'endroit dans le port où le quai était construit. La Cour a statué que le défendeur avait le droit d'éliminer l'obstacle créé par l'obstruction à la navigation dans le port. Le juge Strong indique à la p. 243:

[traduction] Le titre de propriété du sol n'autorisait pas les demandeurs à allonger leur quai de façon à créer une nuisance publique qui, selon la preuve, constituait une obstruction à la navigation dans le port car la Couronne ne peut concéder le droit d'entraver ainsi les eaux navigables; seule une loi peut déterminer que quelque chose qui gêne la navigation n'est pas une nuisance. [Je souligne.]

Ce passage fait également ressortir un autre aspect de la suprématie du droit public de navigation: ce droit ne peut être modifié ou éteint que par une loi habilitante, et la concession d'un bien‑fonds par la Couronne ne peut conférer le droit de gêner la navigation; voir aussi les arrêts The Queen v. Fisher (1891), 2 Ex. C.R. 365; In Re Provincial Fisheries, précité, à la p. 549, le juge Girouard; et Reference re Waters and Water‑Powers, [1929] R.C.S. 200.

Par ailleurs, les provinces ne sont pas habilitées, sur le plan constitutionnel, à adopter une loi autorisant l'établissement d'un obstacle à la navigation puisque le par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement une compétence législative exclusive sur la navigation. Notre Cour a clairement établi ce point dans l'arrêt Queddy River Driving Boom Co. c. Davidson (1883), 10 R.C.S. 222. Dans cette affaire, le demandeur cherchait à obtenir une injonction visant à empêcher la société défenderesse de construire des jetées et des estacades dans la rivière Queddy au Nouveau‑Brunswick. La défenderesse invoquait sa loi habilitante, adoptée par la législature provinciale, qui autorisait certaines entraves à la navigation. La seule question en litige devant la Cour était le pouvoir de la législature provinciale d'adopter la loi constitutive de la défenderesse. Le juge en chef Ritchie conclut, à la p. 232:

[traduction] . . . la question juridique dans cette affaire, savoir qui du Parlement du Dominion ou de l'Assemblée législative du Nouveau‑Brunswick possède le pouvoir législatif d'autoriser l'obstruction, au moyen de jetées et d'estacades, d'une rivière à marée publique et navigable portant ainsi gravement atteinte au droit public de navigation dans ces eaux. Il n'est pas contesté en l'espèce que la loi gênait la navigation dans la rivière . . .

Je crois qu'il ne fait aucun doute que c'est le Parlement du Dominion qui a la compétence législative exclusive sur les eaux navigables, comme celles visées en l'espèce. Tout ce qui touche la navigation et les expéditions par eau semble avoir été soigneusement conféré au Parlement du Dominion par l'A.A.N.B.

Ces arrêts ont donné lieu à l'adoption de textes législatifs qui ont finalement abouti à la Loi sur la protection des eaux navigables. Il est pertinent ici de mentionner l'un des textes législatifs -- l'Acte concernant les bômes et autres ouvrages établis en eaux navigables soit sous l'autorité d'actes provinciaux soit autrement, S.C. 1883, ch. 43 — qui a précédé la Loi codifiée qui devait régir tous les aspects de la protection des eaux navigables. L'article premier dispose que:

1. Aucun bôme, barrage ou aboiteau ne sera établi soit sous l'autorité d'un acte rendu par une législature provinciale du Canada, soit sous l'autorité d'une ordonnance des Territoires du Nord‑Ouest ou du District de Kéwatin, ou autrement, de manière à gêner la navigation, à moins que l'emplacement n'en ait été approuvé, — et que l'ouvrage n'ait été construit et ne soit maintenu en état conformément à des plans qui auront été approuvés — par le Gouverneur général en conseil.

La Loi prévoyait aussi que les ouvrages existants qui gênaient la navigation, créant ainsi une nuisance publique, pouvaient être légalisés s'ils étaient approuvés par le gouverneur général en conseil.

Cette loi n'est qu'un des textes où le Parlement a exercé sa compétence pour empêcher la construction ou la continuation d'obstacles à la navigation. Il avait déjà notamment légiféré à l'égard des ponts (Acte concernant les ponts établis en vertu d'actes provinciaux sur des eaux navigables, S.C. 1882, ch. 37), de l'enlèvement d'obstructions et d'épaves dans les rivières navigables (Acte pour pourvoir à l'enlèvement d'obstructions provenant de naufrages et autres causes semblables dans les rivières navigables du Canada, et pour d'autres objets relatifs aux naufrages, S.C. 1874, ch. 29) et des effluents des moulins à scie dans les eaux navigables (Acte à l'effet de mieux protéger les cours d'eau et rivières navigables, S.C. 1873, ch. 65).

La codification a commencé avec l'adoption d'un Acte concernant certaines constructions dans et sur les eaux navigables, S.C. 1886, ch. 35, ayant trait à la construction de tout "ouvrage" dans les eaux navigables et de la loi d'accompagnement intitulée Acte concernant la protection des eaux navigables, S.C. 1886, ch. 36, portant sur les obstructions provenant de naufrages dans les eaux navigables. L'article premier de l'Acte concernant certaines constructions dans et sur les eaux navigables définissait succinctement le terme "ouvrage":

1. Dans le présent acte, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente, l'expression "ouvrage" signifie et comprend tout pont, estacade, barrage, aboiteau, quai, dock, jetée, pilier ou autre construction, et leurs approches ou avenues et autres travaux nécessaires ou s'y rattachant; . . .

Cette définition était beaucoup plus large que celles qui l'ont précédée et cet aspect de la loi, conjugué à la nécessité de faire approuver tous les ouvrages par le gouverneur en conseil, a causé une grande consternation à l'époque concernant l'ampleur de son effet rétroactif possible à l'égard des structures existantes construites dans les eaux navigables.

Toutefois, la loi constituait simplement une déclaration de la situation en common law. Dans la mesure où une structure portait atteinte au droit public de navigation, elle constituait une nuisance publique et les provinces n'étaient pas habilitées sur le plan constitutionnel à autoriser l'établissement d'un obstacle de cette nature. Toutefois, en ce qui concerne les ouvrages construits sous l'autorité d'un acte de la législature d'une province, la loi avait un effet rétroactif qui ne remontait pas au delà de la date d'adhésion de la province à la Confédération.

7. Rien de contenu ci‑dessus, excepté les dispositions des articles un et cinq du présent acte, ne s'appliquera à aucun ouvrage construit sous l'autorité d'un acte du parlement du Canada, ou de la législature de la ci‑devant province du Canada, ou de la législature d'aucune des provinces formant actuellement partie du Canada, passé avant que cette province en soit devenue partie.

En conséquence, il n'était pas nécessaire de faire approuver un ouvrage autorisé par la législature d'une province avant que celle‑ci ne fasse partie du Canada puisque la province était alors habilitée sur le plan constitutionnel à autoriser la construction de l'ouvrage en question. La Loi n'était pas non plus applicable aux ouvrages construits en vertu d'une autre loi du Parlement; on savait donc clairement quel acte était applicable. Le Parlement avait déjà adopté un texte législatif autorisant certains ouvrages de cette nature; voir, par exemple, l'Acte à l'effet d'autoriser la corporation de la ville d'Emerson à construire un pont libre pour les voyageurs et le trafic sur la rivière Rouge, dans la province du Manitoba, S.C. 1880, ch. 44.

Les Actes de 1886 furent adoptés de nouveau dans les S.R.C. de 1886, ch. 91 et 92, et codifiés dans les S.R.C. de 1906, ch. 115, où ils reçurent le titre abrégé de Loi de la protection des eaux navigables. Cette loi est demeurée pratiquement inchangée depuis. Plus particulièrement, l'art. 7 du ch. 35 de la loi de 1886 est demeuré substantiellement le même et constitue maintenant l'art. 4 de la Loi actuelle. C'est cette disposition que la Cour d'appel a appliquée pour statuer que la Couronne du chef de l'Alberta était liée par déduction nécessaire. Je souscris à cette opinion. Puisque sont expressément exclus de l'application de la Loi les ouvrages autorisés par le Parlement depuis la Confédération et par les législatures provinciales auparavant, au moment où ces corps législatifs avait le pouvoir d'intervenir en matière de navigation, il faut comprendre, par déduction nécessaire, que la Loi s'applique aux ouvrages entrepris par les provinces après la Confédération. Il existe toutefois des considérations encore plus fondamentales qui nous amènent à soutenir que la conclusion de la Cour d'appel était correcte. J'en ferai maintenant l'analyse.

À mon avis, les circonstances qui ont entouré l'adoption de la loi, aussi révélatrices qu'elles soient du contexte de l'adoption de la loi, nous amènent à conclure en toute logique que la Couronne du chef d'une province est, par déduction nécessaire, liée par la Loi. Ni la Couronne ni un cessionnaire de la Couronne ne peuvent porter atteinte au droit public de navigation sans y être autorisés par une loi. Le droit de propriété que la Couronne du chef de l'Alberta peut détenir sur le lit de la rivière Oldman est assujetti au droit de navigation, sur lequel le Parlement exerce une compétence législative exclusive. L'exercice de la compétence du Parlement s'est principalement manifesté par l'adoption de la Loi sur la protection des eaux navigables qui a délégué au gouverneur général en conseil, et maintenant au ministre des Transports, le pouvoir d'autoriser la construction dans les eaux navigables de travaux qui constitueraient par ailleurs une nuisance publique. La Couronne du chef de l'Alberta doit obtenir l'autorisation législative du Parlement pour construire un ouvrage qui gênerait sérieusement la navigation dans la rivière Oldman; la Loi sur la protection des eaux navigables est le mécanisme qu'elle doit utiliser à cette fin. Il s'ensuit que la Couronne du chef de l'Alberta est liée par la Loi, car il s'agit là du seul moyen pratique d'obtenir l'approbation requise.

Mon collègue le juge Stevenson a cependant fait mention de la déclaration du juge en chef Fitzpatrick dans Champion c. City of Vancouver, [1918] 1 W.W.R. 216 (C.S.C.), selon laquelle la Loi ne faisait qu'accorder une permission et n'empêchait pas un tiers d'intenter une action pour atteinte au droit public de navigation malgré l'approbation de l'ouvrage par le Ministre. Toutefois, cette déclaration n'était qu'incidente. Il s'agissait de déterminer si la structure en cause portait atteinte au droit d'accès privé des demandeurs. Les deux autres juges de la majorité ont limité leurs remarques à cette question et les deux juges de la minorité n'ont pas, à plus forte raison, approuvé la déclaration. Pour ma part, je préfère l'opinion exprimée dans Isherwood c. Ontario and Minnesota Power Co. (1911), 180 O.W.R. 459 (C. div.), selon laquelle la Loi permet de porter atteinte au droit public de navigation mais non aux droits privés des particuliers. C'est la proposition pour laquelle l'arrêt Champion fait autorité.

Pour ces motifs, j'ai conclu que la Couronne du chef de l'Alberta est, par déduction nécessaire ou logique, liée par la Loi sur la protection des eaux navigables. Je suis également d'avis que, s'il n'en était pas ainsi, la Loi serait privée de toute efficacité. J'ai pris note des considérations soulevées par le juge Stone, savoir que les provinces font partie des organismes susceptibles de participer à des projets, par exemple, la construction de ponts, qui peuvent gêner la navigation, ce qui était le cas au Canada bien avant l'adoption de la Loi; toutefois, je m'intéresse également à des considérations encore plus fondamentales, savoir la nature de la navigation au Canada et la compétence législative du législateur fédéral sur ce domaine.

Certains cours d'eau navigables constituent une partie cruciale des réseaux de transport interprovincial, essentiels aux échanges internationaux et à l'activité commerciale au Canada. En ce qui concerne l'opinion contraire, il n'est pas très logique de prétendre qu'il serait possible d'atteindre en quoi que ce soit l'objectif du Parlement dans l'exercice de sa compétence sur l'administration des eaux navigables si la Couronne n'était pas liée par l'effet de la Loi. La réglementation des eaux navigables doit être analysée dans son ensemble et ce serait une situation absurde si la Couronne du chef d'une province pouvait impunément entraver la navigation à un endroit le long d'un cours d'eau navigable, alors que le Parlement travaille assidûment à en préserver la navigabilité à un autre.

La nécessité en pratique d'avoir un régime de réglementation uniforme pour les eaux navigables a déjà été reconnue par notre Cour dans l'arrêt Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; le raisonnement présenté dans cet arrêt en faveur d'un régime de règles de droit maritime uniformes relevant de la compétence fédérale est également applicable en l'espèce. Aux pages 1294 et 1295, on dit:

Mise à part la jurisprudence, la nature même des activités relatives à la navigation et aux expéditions par eau, du moins telles qu'elles sont exercées ici, fait que des règles de droit maritime uniformes s'appliquant aux voies navigables intérieures sont nécessaires en pratique. La plupart des activités relatives à la navigation et aux expéditions par eau ayant lieu sur les voies navigables intérieures du Canada sont étroitement liées avec celles qui sont exercées dans la sphère géographique traditionnelle du droit maritime. Cela est particulièrement évident lorsque l'on considère les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint‑Laurent, qui sont dans une très large mesure une extension, sinon le commencement, des voies de transport maritime grâce auxquelles le pays fait du commerce avec le monde. Mais cela est également manifeste lorsque l'on examine les nombreux fleuves, rivières et voies d'eau moins importants qui servent de port d'escale aux océaniques et de point de départ pour quelques‑unes des plus importantes exportations du Canada. C'est à n'en pas douter l'une des considérations qui ont amené les tribunaux de l'Amérique du Nord britannique à décider que le droit public de navigation, contrairement à ce que prétendaient les Anglais, s'étend à tous les fleuves et rivières navigables, peu importe qu'ils soient ou non à l'intérieur de l'aire de flux et de reflux; [. . .] Cela explique probablement aussi pourquoi les Pères de la Confédération ont estimé nécessaire d'attribuer le pouvoir général sur la navigation et les expéditions par eau au gouvernement central plutôt qu'à celui des provinces . . .

Si la Couronne du chef d'une province était habilitée à saper l'intégrité des réseaux essentiels de navigation dans les eaux canadiennes, à mon avis, l'objet de la Loi sur la protection des eaux navigables serait, en fait, annihilé. Vu ces conclusions, je n'ai pas à examiner la question de la renonciation soulevée par les ministres appelants.

La question constitutionnelle

La question constitutionnelle vise à savoir si le Décret sur les lignes directrices est général au point de contrevenir aux art. 92 et 92A de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, aucun moyen n'a été présenté relativement à l'art. 92A au motif apparent que le projet de construction d'un barrage sur la rivière Oldman n'est pas, selon les appelants, visé par cette disposition. Quoi qu'il en soit, la question n'a pas d'importance. Le processus de révision judiciaire d'un texte législatif contesté parce qu'il serait ultra vires du Parlement a récemment fait l'objet d'une analyse dans l'arrêt Whitbread c. Walley, précité, et je n'ai pas besoin de la reprendre ici, sauf pour dire que si l'on conclut que, de par son caractère véritable, le Décret sur les lignes directrices est un texte législatif lié à des matières relevant de la compétence exclusive du Parlement, la question est épuisée. Il serait alors indifférent qu'il touche également des matières liées à la propriété et aux droits civils (Whitbread, à la p. 1286). L'analyse consiste tout d'abord à déterminer si, de par son caractère véritable, le texte législatif est lié à une matière relevant d'un ou plusieurs domaines de compétence législative.

Bien que diverses expressions aient été utilisées pour décrire ce que l'on entend par le "caractère véritable" d'une disposition législative, j'ai exprimé dans l'arrêt Whitbread c. Walley une préférence pour la détermination de "la caractéristique principale ou la plus importante de la loi contestée". Il va sans dire que les parties ont fait valoir des aspects fort différents comme caractéristique la plus importante du Décret sur les lignes directrices. Pour l'Alberta, c'est la façon dont le Décret empiéterait sur les droits provinciaux; toutefois, elle n'a pas mentionné de matière spécifique autre que des renvois généraux à l'environnement. L'Alberta soutient, d'une part, que le Parlement n'a pas une compétence absolue sur l'environnement, s'agissant là d'une matière relevant de la compétence législative des deux paliers de gouvernement et, d'autre part, que le Décret sur les lignes directrices est exorbitant de la compétence du Parlement sur l'environnement. Les ministres appelants soutiennent que, de par son caractère véritable, le Décret sur les lignes directrices n'est qu'un moyen d'aider le gouvernement fédéral à prendre des décisions dans des domaines qui relèvent de la compétence du Parlement; l'intimée est en grande partie d'accord avec cette proposition.

L'essentiel de la thèse de l'Alberta est que le Décret sur les lignes directrices prétend conférer au gouvernement du Canada une compétence générale sur l'environnement d'une façon qui empiète sur la compétence législative exclusive de la province. L'Alberta soutient que le Décret sur les lignes directrices tente de réglementer les répercussions environnementales de matières qui relèvent en grande partie de la compétence de la province et qui, par conséquent, ne peuvent, en vertu de la Constitution, constituer une préoccupation du Parlement. Elle est d'avis tout particulièrement que le Parlement n'a pas de compétence à l'égard des répercussions environnementales d'ouvrages provinciaux comme le barrage sur la rivière Oldman.

Je suis d'accord que la Loi constitutionnelle de 1867 n'a pas conféré le domaine de l'"environnement" comme tel aux provinces ou au Parlement. L'environnement, dans son sens générique, englobe l'environnement physique, économique et social touchant plusieurs domaines de compétence attribués aux deux paliers de gouvernement. Le professeur Gibson a succinctement résumé ce point il y a plusieurs années dans son article intitulé: "Constitutionnal Jurisdiction over Environmental Management in Canada" (1973), 23 U.T.L.J. 54, à la p. 85:

[traduction] . . . la "gestion de l'environnement" ne constitue pas dans la situation actuelle une unité constitutionnelle homogène. Elle touche plutôt différents domaines de responsabilité constitutionnelle, certains relevant du fédéral, d'autres des provinces. Il est par ailleurs fort évident que la "gestion de l'environnement" ne pourrait jamais être considérée comme une unité constitutionnelle relevant d'un seul palier de gouvernement à l'intérieur d'une constitution de type fédéral parce qu'aucun système à l'intérieur duquel un seul gouvernement serait aussi puissant ne serait fédéral.

J'ai déjà mentionné que l'environnement est un sujet diffus, reprenant ainsi ce que j'ai dit dans l'arrêt R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., précité, que le contrôle de l'environnement, en tant que sujet, ne possède pas la particularité requise pour satisfaire au critère en vertu de la théorie de l'intérêt "national" formulée par le juge Beetz dans le Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, précité. Bien que j'aie exprimé l'opinion minoritaire dans l'arrêt Crown Zellerbach, elle n'a pas été contestée sur ce point par les juges de la majorité. La majorité a simplement décidé que la pollution des mers est une question d'intérêt national à cause de son caractère et de ses incidences surtout extra‑provinciales et internationales, et parce que ses caractéristiques sont suffisamment distinctes pour en faire un sujet relevant du pouvoir résiduel du Parlement.

Il faut reconnaître que l'environnement n'est pas un domaine distinct de compétence législative en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 et que c'est, au sens constitutionnel, une matière obscure qui ne peut être facilement classée dans le partage actuel des compétences, sans un grand chevauchement et une grande incertitude. On a élaboré diverses méthodes analytiques pour régler ce problème; toutefois, il n'en existe pas une seule qui conviendra dans tous les cas. Certains envisagent une analyse fonctionnelle en décrivant des préoccupations environnementales spécifiques et en attribuant ensuite la responsabilité en fonction des divers domaines de compétence; voir par exemple Gibson, loc. cit. D'autres abordent le problème du point de vue de l'étendue des pouvoirs fédéraux en distinguant ceux qui peuvent être considérés comme "conceptuels" ou "globaux" (par exemple, le droit criminel, la taxation, les échanges et le commerce, le pouvoir de dépenser et le pouvoir résiduel général) par opposition à ceux qui sont "fonctionnels" (la navigation et les pêcheries); voir P. Emond, "The Case for a Greater Federal Role in the Environmental Protection Field: An Examination of the Pollution Problem and the Constitution" (1972), 10 Osgoode Hall L.J. 647, et M. E. Hatherly, Constitutional Jurisdiction in Relation to Environmental Law, document d'étude rédigé dans le cadre du projet de la protection de la vie, Commission de réforme du droit du Canada (1984).

À mon avis, on peut plus facilement trouver la solution applicable à l'espèce en examinant tout d'abord l'énumération des pouvoirs dans la Loi constitutionnelle de 1867 et en analysant comment ils peuvent être utilisés pour répondre aux problèmes environnementaux ou pour les éviter. On pourra alors se rendre compte que, dans l'exercice de leurs pouvoirs respectifs, les deux paliers de gouvernement peuvent toucher l'environnement, tant par leur action que par leur inaction. Pour mieux comprendre, on doit examiner des pouvoirs spécifiques. Un exemple intéressant est la compétence législative exclusive du Parlement fédéral sur le transport ferroviaire interprovincial en vertu de l'al. 92(10)a) et du par. 91(29) de la Loi constitutionnelle de 1867. La réglementation du transport ferroviaire fédéral a été confiée à l'Office national des transports conformément à la Loi de 1987 sur les transports nationaux; le mandat de cet office est vaste, comme le résume la déclaration figurant à l'art. 3 qui prévoit notamment:

3. (1) Il est déclaré que, d'une part, la mise en place d'un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, utilisant au mieux et aux moindres frais globaux tous les modes de transport existants, est essentielle à la satisfaction des besoins des expéditeurs et des voyageurs en matière de transports comme à la prospérité et à la croissance économique du Canada et de ses régions, d'autre part, ces objectifs ont le plus de chances de se réaliser en situation de concurrence, dans et parmi les divers modes de transport, entre tous les transporteurs, à condition que, compte dûment tenu de la politique nationale et du contexte juridique et constitutionnel:

. . .

d) les transports soient reconnus comme un facteur primordial du développement économique régional et que soit maintenu un équilibre entre les objectifs de rentabilité des liaisons de transport et ceux de développement économique régional en vue de la réalisation du potentiel économique de chaque région; . . .

Cette déclaration nous éclaire sur l'étendue de la compétence législative du Parlement en matière de transport ferroviaire et sur la façon dont on lui impose de tenir compte des ramifications socio‑économiques à la fois nationales et locales de ses décisions. Par ailleurs, on ne peut sérieusement mettre en doute que le Parlement puisse s'occuper de questions biophysiques environnementales ayant une incidence sur l'exploitation des chemins de fer dans la mesure où il le fait dans le cadre d'une loi sur les chemins de fer. Il pourrait notamment s'agir de questions touchant les normes d'émission ou les mesures de réduction du bruit.

Pour poursuivre avec le même exemple, on peut proposer l'emplacement et la construction d'une nouvelle voie ferrée, qui devraient être approuvés en vertu des dispositions pertinentes de la Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R‑3. En effet, cette voie pourrait traverser des habitats fragiles du point de vue écologique comme des marécages et des forêts. En outre, le risque de déraillement peut présenter un grave danger pour la santé et la sécurité des collectivités avoisinantes dans le cas de transport de marchandises dangereuses. Par contre, cette voie peut entraîner d'importantes retombées économiques locales grâce à la création d'emplois et à l'effet de multiplication qui s'ensuivra. L'autorité réglementante peut exiger que la voie soit construite à l'extérieur des districts résidentiels eu égard à la suppression du bruit et par souci de sécurité. À mon avis, on peut validement tenir compte de toutes ces considérations dans la décision finale d'accorder ou non l'approbation nécessaire. Prétendre le contraire nous conduirait à des résultats étonnants et il ne serait pas logique d'affirmer que la Constitution ne permet pas au Parlement de tenir compte des vastes répercussions environnementales, y compris des préoccupations socio‑économiques, lorsqu'il légifère relativement à des décisions de cette nature.

Le même raisonnement peut être appliqué à plusieurs autres matières, y compris une de celles dont nous sommes saisis, savoir la navigation et les expéditions par eau. Certaines dispositions de la Loi sur la protection des eaux navigables visent directement les préoccupations environnementales biophysiques qui touchent la navigation. Les articles 21 et 22 disposent:

21. Il est interdit de jeter ou déposer, de faire jeter ou déposer ou de permettre ou tolérer que soient jetés ou déposés des sciures, rognures, dosses, écorces, ou des déchets semblables de quelque nature susceptibles de gêner la navigation dans des eaux dont une partie est navigable ou qui se déversent dans des eaux navigables.

22. Il est interdit de jeter ou déposer, de faire jeter ou déposer ou de permettre ou tolérer que soient jetés ou déposés de la pierre, du gravier, de la terre, des escarbilles, cendres ou autres matières ou déchets submersibles dans des eaux dont une partie est navigable ou qui se déversent dans des eaux navigables et où il n'y a pas continuellement au moins vingt brasses d'eau; le présent article n'a toutefois pas pour effet de permettre de jeter ou déposer une substance dans des eaux navigables là où une autre loi interdit de le faire.

Comme je l'ai mentionné, cette loi a une dimension environnementale de plus grande envergure, compte tenu du contexte de common law dans lequel elle a été adoptée. La common law interdit les obstacles qui portent atteinte au droit public suprême de navigation. Plusieurs des "ouvrages" mentionnés dans la Loi ne visent pas à améliorer la navigation. Les ponts ne favorisent pas la navigation ni d'ailleurs un grand nombre de barrages. Par conséquent, lorsqu'il s'agit de décider d'autoriser un ouvrage de cette nature, le ministre devrait presque certainement tenir compte des avantages et désavantages résultant de l'entrave à la navigation. Cela pourrait nécessiter un examen des préoccupations environnementales comme la destruction de la pêche; le Décret sur les lignes directrices ne vise donc qu'à étendre la portée de ses préoccupations.

On doit rappeler que l'exercice d'une compétence législative, dans la mesure où elle se rapporte à l'environnement, doit, comme toute autre préoccupation, se rattacher au domaine de compétence approprié; puisque la nature des divers domaines de compétence en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 diffère, l'importance qui pourra être accordée aux préoccupations environnementales dans l'exercice d'une compétence donnée pourra varier d'un domaine à l'autre. Par exemple, le Parlement peut jouer, en matière d'environnement, dans l'exercice de sa compétence sur les pêcheries, un rôle quelque peu différent de celui qu'il a en vertu de sa compétence sur les chemins de fer ou la navigation puisque dans le premier cas il gère une ressource, alors que dans les deux autres, il gère des activités. Ces observations peuvent être illustrées par deux arrêts sur les pêches. Dans Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213, la Cour a statué que le par. 33(3) de la Loi sur les pêches excédait les pouvoirs du Parlement parce que l'interdiction générale de déposer "des déchets de bois, souches ou autres débris" dans une eau fréquentée par le poisson n'était pas suffisamment liée aux dommages, réels ou probables, que les pêches pourraient subir. Toutefois, dans l'arrêt Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292, la Cour a statué que le par. 33(2), qui interdit à qui que ce soit de déposer une substance nocive en quelque lieu dans des conditions où cette substance nocive pourrait pénétrer dans des eaux poissonneuses, était de la compétence du Parlement du Canada en vertu du par. 91(12).

Les provinces peuvent de la même façon {oe}uvrer dans le domaine de l'environnement dans l'exercice de leur compétence législative en vertu de l'art. 92. Par exemple, les lois ayant trait aux ouvrages et entreprises de nature locale tiendront souvent compte de préoccupations environnementales. Toutefois, dans la détermination de la compétence constitutionnelle de chacun des paliers de gouvernement sur un projet comme le barrage de la rivière Oldman, il n'est pas particulièrement utile de qualifier cet ouvrage de [traduction] "projet provincial" ou d'entreprise [traduction] "principalement assujettie à la réglementation provinciale" comme a tenté de le faire l'Alberta. C'est présumer de la réponse et poser un principe erroné qui semble accepter l'existence d'une théorie générale de l'exclusivité des compétences visant à exempter les ouvrages ou entreprises de nature provinciale de l'application de lois fédérales par ailleurs valides. Comme le fait remarquer le juge en chef Dickson dans l'arrêt Alberta Government Telephones, précité, à la p. 275:

Il faut se rappeler que l'un des aspects de la théorie du caractère véritable est qu'une loi relative à un chef de compétence d'un palier de gouvernement peut validement toucher un chef de compétence de l'autre palier. Le fédéralisme canadien a évolué de façon à tolérer à plusieurs égards le chevauchement des lois fédérales et provinciales et, à mon avis, une théorie de l'immunité constitutionnelle n'est ni souhaitable ni nécessaire à la réalisation d'objectifs provinciaux réguliers.

Il importe de déterminer quel palier de gouvernement peut légiférer. Un palier peut légiférer à l'égard des aspects provinciaux et l'autre, à l'égard des aspects fédéraux. Bien que les projets de nature locale relèvent généralement de la compétence provinciale, ils peuvent exiger la participation du fédéral dans le cas où le projet empiète sur un domaine de compétence fédérale comme en l'espèce.

Toutefois, le raisonnement de l'Alberta recèle un sophisme encore plus fondamental, qui touche la façon d'exercer les pouvoirs constitutionnels. Lorsqu'il légifère sur une matière, l'organe législatif doit s'en tenir à cette matière. L'objet pratique à la base de la loi et les répercussions dont l'organe doit tenir compte dans sa prise de décision sont une toute autre chose. En l'absence d'un objet déguisé ou d'un manque de bonne foi, ces considérations ne porteront pas atteinte à la nature fondamentale de la loi. On peut exiger qu'une voie ferrée soit construite à un endroit où la fumée ou le bruit ne constituera pas une nuisance pour la municipalité, mais il s'agit néanmoins d'un règlement sur les chemins de fer.

Un arrêt australien, Murphyores Incorporated Pty Ltd. v. Commonwealth of Australia (1976), 136 C.L.R. 1 (H.C.), illustre bien le point dans un contexte semblable à celui de l'espèce. Dans cette affaire, les demandeurs exploitaient une carrière qui servait à la production de concentrés de zircon et de rutile. L'exportation de ces substances était régie par le Customs (Prohibited Exports) Regulations (adopté en vertu de la compétence du Commonwealth (c'est-à-dire le pouvoir fédéral) en matière d'échanges et de commerce) et devait être approuvée par le ministre des mines et de l'énergie. Le litige a pris naissance dans le cadre d'une enquête devant être réalisée en vertu de l'Environment Protection (Impact of Proposals) Act 1974‑1975 (Cth) sur l'incidence environnementale de l'extraction minière à l'endroit où les demandeurs détenaient leurs baux miniers. Le ministre responsable informa alors les demandeurs qu'il devrait faire analyser le rapport d'enquête avant d'autoriser toute autre exportation de concentrés.

Les demandeurs prétendaient que le ministre pouvait seulement tenir compte des questions se rapportant à la [traduction] "politique relative aux échanges" adoptée en vertu de la compétence des pays du Commonwealth en matière d'échanges et de commerce, plutôt que des préoccupations environnementales se rattachant à l'exploitation minière antérieure, qui relevait principalement de la compétence de l'État. Cette prétention a été unanimement rejetée; le juge Stephen indique à la p. 12:

[traduction] La décision administrative d'assouplir ou non l'interdiction d'exporter des marchandises tiendra nécessairement compte des considérations qui intéressent l'administrateur; toutefois, quelle que soit la nature de ces considérations, la conséquence sera nécessairement exprimée en fonction des échanges et du commerce, soit l'approbation ou le rejet d'une demande visant à assouplir l'interdiction des exportations. Ce sera alors une décision prise dans le cadre d'un pouvoir constitutionnel. Les considérations à la base de la prise de décisions peuvent ne pas avoir trait aux questions d'échanges et de commerce, mais la décision ne sera pas inconstitutionnelle pour autant puisqu'elle porte directement sur le sujet de l'exportation et les considérations qui la sous-tendent ne portent pas atteinte au caractère que le sujet de compétence lui confère.

Je m'empresse d'ajouter que je ne veux pas établir de comparaison entre la compétence des pays du Commonwealth en matière d'échanges et de commerce prévue par la Constitution australienne et celle qui existe dans la Constitution canadienne. Certes, il y a des différences importantes entre les deux documents, mais l'idée générale qui ressort de l'arrêt Murphyores est néanmoins valide en l'espèce. Cet arrêt souligne le risque de croire à tort que l'environnement est une question accessoire lorsqu'il s'agit de faire des choix législatifs ou de prendre des décisions administratives. De toute évidence, cela ne peut être le cas. Tout simplement, l'environnement comprend tout ce qui nous entoure et, comme tel, doit être à la base d'un grand nombre de décisions courantes.

L'évaluation des incidences environnementales est, sous sa forme la plus simple, un outil de planification que l'on considère généralement comme faisant partie intégrante d'un processus éclairé de prise de décisions. R. Cotton et D. P. Emond, dans un ouvrage intitulé "Environmental Impact Assessment", dans J. Swaigen, dir., Environmental Rights in Canada (1981), 245, à la p. 247, résument l'objet fondamental de cette évaluation:

[traduction] Les concepts fondamentaux à la base de l'évaluation environnementale peuvent être énoncés en termes simples: (1) déterminer et évaluer avant coup toutes les conséquences environnementales possibles d'une entreprise proposée; (2) permettre une prise de décisions qui à la fois garantira l'à‑propos du processus et conciliera le plus possible les désirs d'aménagement du promoteur et la protection et la préservation de l'environnement.

En tant qu'outil de planification, le processus d'évaluation renferme un mécanisme de collecte de renseignements et de prise de décisions, qui fournit au décideur une base objective sur laquelle il pourra s'appuyer pour autoriser ou refuser un projet d'aménagement; voir M. I. Jeffery, Environmental Approvals in Canada (1989), à la p. 1.2, {SS} 1.4; D. P. Emond, Environmental Assessment Law in Canada (1978), à la p. 5. Bref, l'évaluation des incidences environnementales constitue simplement une description du processus de prise de décisions.

Le Décret sur les lignes directrices vient simplement s'ajouter aux questions dont les décideurs fédéraux doivent tenir compte. Si le ministre des Transports devait spécifiquement tenir compte des préoccupations en matière de pêche dans l'examen des demandes de construction d'ouvrages dans les eaux navigables, pourrait‑on soulever que cette attribution de compétence est ultra vires? Tout ce que cela signifierait est que le décideur doit aussi prendre en considération d'autres questions qui relèvent de la compétence fédérale. Je ne suis pas indifférent aux propos du substitut du procureur général de la Saskatchewan qui a cherché à qualifier le Décret sur les lignes directrices de cheval de Troie constitutionnel permettant au gouvernement fédéral, sous prétexte de l'existence de quelque champ restreint de compétence fédérale, de procéder à un examen approfondi de questions qui relèvent exclusivement de la compétence des provinces. Toutefois, suivant mon interprétation du Décret sur les lignes directrices, le "ministère responsable" qui procède à l'évaluation initiale et, au besoin, la Commission d'évaluation environnementale n'ont que le mandat d'examiner les questions se rapportant directement aux domaines de compétence fédérale concernés. En conséquence, le ministère responsable ou la commission ne peuvent se servir du Décret sur les lignes directrices comme moyen déguisé d'envahir des champs de compétence provinciale qui ne se rapportent pas aux domaines de compétence fédérale concernés.

À cause de son caractère accessoire, l'évaluation des incidences environnementales doit "véritablement viser une institution ou une activité qui relève de la compétence législative [fédérale]"; voir l'arrêt Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, à la p. 808. Compte tenu de l'élément nécessaire de proximité qui doit exister entre le processus d'évaluation environnementale et le domaine de compétence fédérale concerné, ce texte législatif peut, à mon avis, s'appuyer sur le domaine particulier de compétence fédérale invoqué dans chaque cas. Plus particulièrement, le Décret sur les lignes directrices exige un rapport étroit entre les répercussions sociales susceptibles d'être examinées et les répercussions environnementales en général. Aux termes de l'art. 4, les répercussions sociales examinées, au cours de l'étape initiale d'évaluation, doivent être "directement liées" aux effets possibles de la proposition sur l'environnement, à l'instar de l'art. 25 portant sur le mandat en vertu duquel une commission d'évaluation environnementale peut agir. Par ailleurs, dans le cas où le Décret sur les lignes directrices s'applique à une proposition parce qu'elle a des répercussions sur un domaine de compétence fédérale, par opposition aux trois autres cas d'application prévus à l'art. 6, les répercussions environnementales à examiner sont seulement celles qui peuvent avoir une incidence sur les domaines de compétence fédérale touchés.

Toutefois, je dois préciser que l'étendue de l'évaluation n'est pas limitée au domaine particulier de compétence à l'égard duquel le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions au sens du terme "proposition". Cette participation, comme je l'ai déjà mentionné, est une condition nécessaire à l'application du processus; toutefois, lorsque le ministère responsable a reçu le pouvoir de procéder à l'évaluation, cet examen doit tenir compte des répercussions environnementales dans tous les domaines de compétence fédérale. Aucun obstacle constitutionnel n'empêche le Parlement d'adopter un texte législatif en vertu de plusieurs domaines de compétence en même temps; voir les arrêts Jones c. Procureur général du Nouveau‑Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182, et Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338, à la p. 350. Dans le cas du Décret sur les lignes directrices, le Parlement a conféré à une institution (le "ministère responsable") la responsabilité, dans l'exercice de son pouvoir de décision, d'évaluer les répercussions environnementales sur tous les domaines de compétence fédérale susceptibles d'être touchés. En l'espèce, le ministre des Transports, à titre de décideur en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, doit examiner les incidences environnementales du barrage sur les domaines de compétence fédérale, comme les eaux navigables, les pêcheries, les Indiens et les terres indiennes, pour ne nommer que ceux qui sont le plus pertinents dans les circonstances.

Essentiellement, le Décret sur les lignes directrices comporte deux aspects fondamentaux. Il y a tout d'abord l'aspect de fond qui porte sur l'évaluation des incidences environnementales, dont l'objet est de faciliter la prise de décisions dans le domaine de compétence fédérale qui régit une proposition. Comme je l'ai mentionné, cet aspect du Décret sur les lignes directrices peut être maintenu au motif qu'il s'agit d'un texte législatif se rapportant aux matières pertinentes énumérées à l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le deuxième aspect est l'élément procédural ou organisationnel coordonnant le processus d'évaluation, qui peut dans un cas donné toucher plusieurs domaines de compétence fédérale, relevant d'un décideur désigné ou, pour employer le jargon du Décret sur les lignes directrices, le "ministère responsable". Cette facette vise à réglementer la façon dont les institutions et organismes du gouvernement du Canada exercent leurs fonctions et responsabilités administratives. Cela, à mon avis, est indiscutablement intra vires du Parlement. Cet aspect peut être considéré comme un pouvoir accessoire de la compétence législative en cause, ou de toute façon, être justifié en vertu du pouvoir résiduel prévu à l'art. 91.

Dans une situation connexe, la Cour a adopté une analyse similaire dans l'arrêt Jones c. Procureur général du Nouveau‑Brunswick, précité. Dans cette affaire, la Cour devait trancher la question de la constitutionnalité, en fonction du partage des compétences, de certaines dispositions de la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, ch. O‑2, de l'Evidence Act du Nouveau‑Brunswick, R.S.N.B. 1952, ch. 74, et de la Loi sur les langues officielles du Nouveau‑Brunswick, S.N.B. 1969, ch. 14. La loi fédérale faisait du français et de l'anglais les langues officielles du Canada; les dispositions attaquées reconnaissaient l'utilisation des deux langues officielles devant les tribunaux fédéraux et dans les procédures criminelles. Le juge en chef Laskin affirme à la p. 189:

. . . je ne doute aucunement qu'il était loisible au Parlement du Canada d'édicter la Loi sur les langues officielles (restreinte qu'elle est à ce qui relève du Parlement et du gouvernement du Canada, et aux institutions de ces Parlement et gouvernement) à titre de loi "pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à [une matière] ne tombant pas dans les catégories de sujets . . . exclusivement assignés aux législatures des provinces". Les termes en question sont extraits de l'alinéa liminaire de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique; et, en me basant sur eux comme fondement constitutionnel de la Loi sur les langues officielles, je ne tiens compte que du caractère purement résiduaire du pouvoir législatif qu'ils confèrent. Point n'est besoin de citer de précédent à l'appui du pouvoir exclusif du Parlement du Canada de légiférer relativement au fonctionnement et à l'administration des institutions et organismes du Parlement et du gouvernement du Canada. Ces institutions et organismes sont de toute évidence hors de la portée des provinces. [Je souligne.]

La Cour a également confirmé la loi fédérale en vertu de la compétence du Parlement en matière de droit criminel (par. 91(27)) et d'établissement de tribunaux fédéraux (art. 101). Le juge en chef Laskin indique aussi que rien dans la Constitution n'empêche le Parlement d'étendre le champ de l'emploi privilégié ou obligatoire du français et de l'anglais dans les institutions ou les activités qui relèvent du contrôle fédéral. Pour des motifs semblables, la loi provinciale prévoyant l'utilisation des deux langues officielles devant les tribunaux du Nouveau‑Brunswick a été jugée valide en raison de la compétence des provinces en matière d'administration de la justice (par. 92(14)).

En fin de compte, je suis convaincu que, de par son caractère véritable, le Décret sur les lignes directrices n'est rien de plus qu'un instrument qui régit la façon dont les institutions fédérales doivent gérer leurs diverses fonctions. En conséquence, il n'est rien de plus qu'un ajout à l'exercice des compétences législatives fédérales concernées. Quoi qu'il en soit, ce texte peut être adopté en vertu du pouvoir purement résiduel à titre de loi "pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada" en vertu de l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Toute ingérence dans la sphère de compétence provinciale est simplement accessoire au caractère véritable du texte législatif. On doit aussi rappeler, d'une part, que le processus d'évaluation est essentiellement un processus de collecte de renseignements destiné à faciliter la prise de décisions relevant du fédéral et, d'autre part, que les recommandations présentées à la fin de l'étape de collecte de renseignements ne lient pas le décideur. Ni le ministère responsable ni la commission ne peuvent assigner des témoins à comparaître, comme c'était le cas dans l'arrêt Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868, dans lequel, la Cour a statué que certaines dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.Q. 1979, ch. 63, qui permettaient notamment à la province d'enquêter sur les accidents et d'émettre des avis de correction, étaient inapplicables à une entreprise ferroviaire interprovinciale. Je tiens à préciser que l'Alberta a, à tort, accordé une trop grande importance à cet arrêt. Celui‑ci se distingue de la présente affaire pour plusieurs motifs, le plus important étant que le texte législatif provincial attaqué dans cet arrêt était impératif à l'égard d'une entreprise fédérale et a été interprété par la Cour comme réglementant l'entreprise.

Pour ces motifs, je conclus que le Décret sur les lignes directrices est intra vires du Parlement et je répondrais par la négative à la question constitutionnelle.

Le pouvoir discrétionnaire

La dernière question de fond soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si la Cour d'appel fédérale a commis une erreur en modifiant la décision du juge des requêtes, prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas accorder la réparation sollicitée, en l'occurrence un bref de la nature d'un certiorari et un bref de la nature d'un mandamus, en raison du retard déraisonnable et de la futilité de la procédure. Le juge Stone a statué que le juge des requêtes avait commis un type d'erreur justifiant la Cour d'appel de modifier l'exercice de son pouvoir discrétionnaire sur les deux motifs.

Les principes qui régissent l'examen en appel de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un tribunal d'instance inférieure n'ont pas été examinés en profondeur, seule leur application aux faits de l'espèce l'a été. Le juge Stone a cité l'arrêt Polylok Corp. c. Montreal Fast Print (1975) Ltd., [1984] 1 C.F. 713 (C.A.), qui approuve l'énoncé suivant du vicomte Simon, lord Chancelier, dans Charles Osenton & Co. c. Johnston, [1942] A.C. 130, à la p. 138:

[traduction] La règle relative à l'annulation par une cour d'appel d'une ordonnance rendue par un juge d'une instance inférieure dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire est bien établie, et tous les problèmes qui se présentent résultent seulement de l'application de principes déterminés à un cas particulier. Le tribunal d'appel n'a pas la liberté de simplement substituer l'exercice de son propre pouvoir discrétionnaire à celui déjà exercé par le juge. En d'autres termes, les juridictions d'appel ne devraient pas annuler une ordonnance pour la simple raison qu'elles auraient exercé le pouvoir discrétionnaire original, s'il leur avait appartenu, d'une manière différente. Toutefois, si le tribunal d'appel conclut que le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon erronée, parce qu'on n'a pas accordé suffisamment d'importance, ou qu'on en n'a pas accordé du tout, à des considérations pertinentes comme celles que l'appelante a fait valoir devant nous, il est alors possible de justifier l'annulation de l'ordonnance.

C'était essentiellement le critère adopté par notre Cour dans l'arrêt Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, dans lequel, le juge Beetz affirme à la p. 588:

Deuxièmement, en refusant d'évaluer, malgré la difficulté, si le défaut de respecter la justice naturelle pouvait être corrigé en appel, le savant juge de première instance a refusé de tenir compte d'un élément prépondérant en l'espèce; de ce fait, il n'exerçait pas son pouvoir discrétionnaire pour des motifs pertinents et ne laissait à la Cour d'appel d'autre choix que d'intervenir. [Je souligne.]

Quelles sont alors les considérations pertinentes dont le juge des requêtes aurait dû tenir compte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire? La question du retard est le premier motif invoqué par le juge des requêtes lorsqu'il a, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, refusé d'accorder le bref de prérogative. Il n'y a pas de doute qu'un retard déraisonnable peut empêcher un requérant d'obtenir un redressement assujetti à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, notamment dans le cas où ce retard risquerait d'être préjudiciable à d'autres parties qui se seraient fiées, à leur détriment, à la décision contestée; la question du caractère déraisonnable dépendra des faits de chaque affaire; voir S. A. de Smith, Judicial Review of Administrative Action (4e éd. 1980), à la p. 423, et D. P. Jones et A. S. de Villars, Principles of Administrative Law (1985), aux pp. 373 et 374. Le juge des requêtes a, d'une part, tenu compte du délai qui s'est écoulé entre l'approbation accordée par le ministre des Transports le 18 septembre 1987 et le dépôt de l'avis de requête dans la présente action le 21 avril 1989 et, d'autre part, du fait que le projet était déjà complété à environ 40 pour 100 à cette date. Toutefois, en toute déférence, il n'a pas tenu compte d'un grand nombre de mesures que la Société intimée a prises avant d'entamer la présente contestation, dont certaines ont été mentionnées par le juge Stone. Je tiens à faire remarquer que le juge Stone s'est trompé lorsqu'il a affirmé que les procédures avaient été intentées deux mois seulement après que la Société eut été mise au courant de la décision d'accorder l'approbation. Au cours du contre‑interrogatoire relatif à son affidavit à l'appui de la demande, Mme Kostuch, vice‑présidente, a reconnu que la Société avait été mise au courant de l'approbation le 16 février 1988, soit quelque quatorze mois avant le début de la présente action.

Toutefois, la présente action n'est pas la seule engagée par la Société relativement à la construction du barrage. La Société a tout d'abord intenté une action en octobre 1987, sollicitant la délivrance d'un bref de certiorari assorti d'un bref de prohibition visant à annuler un permis provisoire délivré par le ministre de l'Environnement de l'Alberta conformément à la Water Resources Act. Le 8 décembre 1987, le juge en chef de la Cour du Banc de la Reine a annulé tous les permis qui avaient été délivrés par le ministre parce que le ministère n'avait pas déposé les approbations nécessaires avec sa demande, qu'il n'avait pas soumis la question à l'examen de l'Energy Resources Conservation Board conformément à l'art. 17 de la Loi et que le délégué du ministre avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire en renonçant aux exigences prévues dans la Loi relativement aux avis publics: Friends of the Oldman River Society v. Alberta (Minister of the Environment) (1987), 85 A.R. 321. Un autre permis provisoire a été délivré le 5 février 1988; l'intimée a de nouveau présenté une demande d'annulation de ce permis, principalement au motif que l'on avait à tort renoncé aux avis publics. La demande a été rejetée par le juge Picard, qui a statué que les documents appropriés avaient été déposés en même temps que la demande de permis et que le délégué du ministre avait le pouvoir de renoncer à l'avis public: Friends of Oldman River Society v. Alberta (Minister of the Environment) (1988), 89 A.R. 339 (B.R.).

Entretemps, la Société intimée avait demandé à l'Energy Resources Conservation Board de l'Alberta de tenir une audience publique aux fins de l'examen des aspects hydro‑électriques du barrage conformément à l'Hydro and Electric Energy Act. Dans sa réponse du 18 décembre 1987, le Board a refusé d'acquiescer à la demande de la Société au motif que le barrage ne constituait pas un [traduction] "développement hydro‑électrique" au sens de la Loi. Une demande d'autorisation d'appel a été présentée à la Cour d'appel de l'Alberta, qui a rejeté la demande, souscrivant à l'opinion du Board qu'il ne s'agissait pas d'un projet hydro‑électrique, même s'il devait permettre l'installation future d'une centrale électrique: Friends of the Old Man River Society v. Energy Resources Conservation Board (Alta.) (1988), 89 A.R. 280. Enfin, Mme Kostuch a déposé une dénonciation devant un juge de paix dans laquelle elle allègue qu'une infraction a été commise en contravention de l'art. 35 de la Loi sur les pêches. Après les assignations, le procureur général de l'Alberta est intervenu et a ordonné un arrêt des procédures le 19 août 1988. J'ai déjà examiné les lettres adressées au ministre fédéral de l'Environnement et au ministre des Pêches et des Océans en 1987 et 1988, dans lesquelles des membres de la Société ont cherché en vain à faire appliquer le Décret sur les lignes directrices. La présente action a été intentée peu de temps après que la Section de première instance de la Cour fédérale eut décidé dans l'affaire Fédération canadienne de la faune que le ministre de l'Environnement était lié par le Décret sur les lignes directrices.

À mon avis, cette chronologie indique que la Société s'est efforcée d'une façon soutenue et concertée de contester d'une part, la légalité des mesures prises par l'Alberta relativement à la construction du barrage et d'autre part, l'acquiescement des ministres appelants. Pendant tout ce temps, la construction du barrage s'est poursuivie, en dépit des contestations judiciaires en cours; à la date de l'audience devant notre Cour, l'avocat de l'Alberta nous a informés que la construction du barrage était en grande partie achevée. Je ne crois pas qu'il existe une preuve que l'Alberta a subi un préjudice quelconque en raison d'un retard à intenter la présente action; rien n'indique que la province était disposée à consentir à une évaluation des incidences environnementales en vertu du Décret sur les lignes directrices avant l'épuisement de tous les recours légaux, y compris le pourvoi devant notre Cour. Le juge des requêtes n'a pas suffisamment accordé d'importance à ces considérations ou les a ignorées. En conséquence, la Cour d'appel était justifiée de modifier l'exercice de son pouvoir discrétionnaire sur ce point.

L'autre motif du refus de délivrer un bref de prérogative se fondait sur la futilité de la procédure, savoir que l'évaluation des incidences environnementales en vertu du Décret sur les lignes directrices serait inutilement répétitive en raison des études réalisées dans le passé. À mon avis, ce motif ne pouvait justifier un refus dans les circonstances. La délivrance d'un bref de prérogative devrait être refusée pour motif de futilité seulement dans les rares cas où sa délivrance serait vraiment inefficace. Par exemple, le cas où l'ordonnance ne pourrait pas être exécutée, savoir une ordonnance de prohibition à l'encontre d'un tribunal s'il ne lui reste rien à faire qui puisse être interdit; voir de Smith, op. cit., aux pp. 427 et 428. Ce n'est pas du tout la même situation lorsque l'on ne peut déterminer à priori qu'une ordonnance de la nature d'un bref de prérogative n'aura aucune incidence sur le plan pratique. En l'espèce, mis à part ce que le juge Stone a déjà dit relativement aux différences du point de vue qualitatif entre l'évaluation prévue par le Décret sur les lignes directrices et les études antérieures, il n'est pas du tout évident que l'application du Décret sur les lignes directrices, même à cette étape tardive, n'aura pas un certain effet sur les mesures susceptibles d'être prises pour atténuer toute incidence environnementale néfaste que pourrait avoir le barrage sur un domaine de compétence fédérale. En conséquence, je conclus que la Cour d'appel n'a pas commis d'erreur en modifiant la décision du juge des requêtes de refuser, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le redressement sollicité.

En ce qui concerne les dépens, à mon avis, il s'agit d'un cas où il est approprié d'accorder les dépens comme entre procureur et client à la Société intimée, compte tenu de la situation de cette dernière et du fait que les ministères fédéraux ont été joints comme appelants même s'ils n'avaient pas auparavant présenté une demande d'autorisation de pourvoi à notre Cour.

Dispositif

Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi, sauf qu'il ne sera pas délivré de bref de la nature d'un mandamus ordonnant au ministre des Pêches et des Océans de se conformer au Décret sur les lignes directrices, avec dépens comme entre procureur et client en faveur de l'intimée dans toutes les cours. Je suis d'avis de répondre par la négative à la question constitutionnelle.

//Le juge Stevenson//

Version française des motifs rendus par

Le juge Stevenson (dissident) — J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue le juge La Forest et, avec égards, je ne suis pas d'accord avec lui sur trois points. À mon avis:

1. La Couronne n'est pas liée par la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N‑22 ("L.P.E.N.").

2. La Cour d'appel fédérale, [1990] 2 C.F. 18, a commis une erreur en modifiant la décision du juge des requêtes, prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas accorder le bref de prérogative.

3. Les appelants ne devraient pas être contraints de payer les dépens comme entre procureur et client.

Je suis d'accord avec son analyse des questions constitutionnelles et avec son interprétation des dispositions de mise en {oe}uvre du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467.

1. L'immunité de la Couronne

En l'espèce, la question est simple: la Couronne est‑elle liée par la L.P.E.N.? Pour les fins de la présente analyse, je n'établis pas de distinction entre les Couronnes fédérale et provinciales. La Couronne est indivisible à cette fin: Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 225, aux pp. 272 et 273.

Conformément à la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21 (auparavant S.R.C. 1970, ch. I‑23), nul texte législatif ne lie la Couronne, sauf dans la mesure qui y est mentionnée ou prévue. La portée de ces termes a été interprétée dans l'arrêt Alberta Government Telephones, à la p. 281:

Il me semble que les termes "mentionnée ou prévue" contenus à l'art. 16 [maintenant l'art. 17] peuvent comprendre: (1) des termes qui lient expressément la Couronne ("Sa Majesté est liée"); (2) une intention claire de lier qui, selon les termes de l'arrêt Bombay, "ressort du texte même de la loi", en d'autres termes, une intention qui ressorte lorsque les dispositions sont interprétées dans le contexte d'autres dispositions, comme dans l'arrêt Ouellette, précité; et (3) une intention de lier lorsque l'objet de la loi serait "privé [. . .] de toute efficacité" si l'État n'était pas lié ou, en d'autres termes, s'il donnait lieu à une absurdité (par opposition à un simple résultat non souhaité). Ces trois éléments devraient servir de guide lorsqu'une loi comporte clairement une intention de lier la Couronne.

Toutes les parties sont d'avis que la L.P.E.N. ne renferme pas de termes qui "lient expressément" la Couronne. À mon avis, on ne peut soutenir qu'il existe une intention claire de lier la Couronne, qui "ressort du texte même de la loi". En prenant cette décision, on doit se limiter à ce que dit le texte législatif. Nous ne devons pas oublier que l'arrêt Province of Bombay v. Municipal Corporation of Bombay, [1947] A.C. 58 (C.P.) n'est plus applicable compte tenu des dispositions expresses de la Loi d'interprétation, sauf dans la mesure où il est adopté comme dans l'arrêt Alberta Government Telephones, qui, à mon avis, est l'arrêt de principe.

La Société intimée doit en conséquence démontrer que la L.P.E.N. serait privée de toute efficacité ou donnerait lieu à une absurdité si la Couronne n'était pas liée. Je dois garder à l'esprit l'arrêt Bombay, dans lequel le Conseil privé a dit que si l'intention du législateur est de lier la Couronne, [traduction] "rien de plus facile que de le dire en toutes lettres" (p. 63).

Si la Couronne n'est pas liée, cette situation donne‑t‑elle lieu à une absurdité? L'existence d'un vide ne suffit pas: Alberta Government Telephones, à la p. 283. L.P.E.N. s'applique aux entreprises privées et municipales; réflexion faite, on se rend compte qu'il existe de nombreux organismes non gouvernementaux dont les activités sont régies par la L.P.E.N. L'objet de la L.P.E.N. n'est donc pas annihilé.

Par ailleurs, les tribunaux ne concluront pas à la mauvaise foi de la Couronne lorsqu'elle exerce des activités qui pourraient à d'autres égards être réglementées.

Si la Couronne porte atteinte aux droits publics de navigation, il est possible de la poursuivre en justice. Bref, on ne peut soutenir que la L.P.E.N. sera privée d'efficacité en raison des actes de l'État. La réglementation des activités non gouvernementales est vaste et on ne peut soutenir que l'objet de la L.P.E.N. est privé d'efficacité.

Il me faut mentionner brièvement l'argument que l'appelante l'Alberta, en invoquant l'application de la L.P.E.N., aurait accepté d'être assujettie à la réglementation en matière environnementale. Il n'y a pas d'avantage important lié à l'approbation en vertu de la L.P.E.N. Il peut y avoir ouverture à responsabilité civile. La L.P.E.N. ne confère pas expressément d'avantages. Par ailleurs, il n'est pas évident que l'approbation accordée en vertu de l'art. 5 de la L.P.E.N. écarterait la possibilité de responsabilité civile. Dans l'arrêt Champion v. City of Vancouver, [1918] 1 W.W.R. 216 (C.S.C.), le juge en chef Fitzpatrick de notre Cour a statué, aux pp. 218 et 219, que:

[traduction] Dans l'examen de l'interprétation à donner à cette loi [la L.P.E.N., S.R.C. 1906, ch. 115], on doit se rappeler que tout ouvrage construit dans les eaux navigables ne gêne pas nécessairement la navigation de façon à constituer une obstruction illégale. Cependant, dans l'affirmative, l'ouvrage pourrait être enlevé par l'autorité compétente. En conséquence, il est à l'avantage des personnes qui se proposent de construire des ouvrages, pour lesquels il n'existe pas de sanction, de pouvoir obtenir, préalablement au début des travaux, l'approbation du gouverneur en conseil en vertu de l'art. 7; cette disposition ne fait toutefois qu'accorder une permission et ne prévoit pas de conséquences une fois l'approbation obtenue; elle ne rendrait certainement pas légal un ouvrage qui serait illégal. Toute atteinte à un droit public de navigation est une nuisance à laquelle les tribunaux peuvent mettre fin, nonobstant l'approbation qu'aurait pu donner le gouverneur en conseil en vertu de l'art. 7. [Je souligne.]

2. Le pouvoir discrétionnaire

Les redressements sollicités par la Société intimée sont discrétionnaires: Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, à la p. 574: "On ne peut contester le principe que le certiorari et le mandamus sont par nature des recours discrétionnaires", et D. P. Jones et A. S. de Villars. Principles of Administrative Law (1985), aux pp. 372 et 373.

Une cour d'appel est justifiée d'intervenir seulement lorsque le tribunal d'instance inférieure a "commis une erreur de principe" ou "n'a pas accordé d'importance (ou qu'il n'a pas accordé suffisamment d'importance) aux considérations dont il aurait dû tenir compte.": Polylok Corp. c. Montreal Fast Print (1975) Ltd., [1984] 1 C.F. 713 (C.A.), aux pp. 724 et 725.

La Cour d'appel fédérale a clairement commis une erreur en rejetant la conclusion du juge des requêtes relativement à la question du retard, conclusion dont elle "doute" qu'elle soit bien fondée dans son principe. La Cour d'appel affirme que la Société intimée n'a eu connaissance de la décision d'accorder l'approbation en vertu de la L.P.E.N. qu'environ deux mois avant que les procédures ne soient entamées. En fait, l'intimée avait été mise au courant de l'approbation quelque 14 mois auparavant et les principaux promoteurs de la Société le savaient même avant.

La common law a toujours exigé du requérant qu'il agisse avec diligence lorsqu'il sollicite des recours extraordinaires:

En raison de leur caractère discrétionnaire, les recours en révision judiciaire, extraordinaires ou ordinaires, doivent être exercés avec diligence. Comme le rappelait dans un langage imagé le juge Donaldson, de la Cour d'appel de l'Angleterre, dans R. v. Aston University Senate [[1969] 2 Q.B. 538, à la p. 555]: [traduction] "Les réparations par voie de brefs de prérogative sont de nature exceptionnelle et ils ne devraient pas être mis à la disposition de ceux qui tardent à exercer leurs droits".

(R. Dussault et L. Borgeat, Traité de droit administratif (2e éd. 1989), t. III, à la p. 660.)

Le juge en chef Laskin de notre Cour a reconnu cette obligation dans l'arrêt P.P.G. Industries Canada Ltd. c. Procureur général du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739, aux pp. 749 et 750:

À mon avis, les requêtes en annulation déposées par le procureur général sont sujettes au pouvoir discrétionnaire des tribunaux tout autant que le sont sans conteste ses requêtes pour l'obtention d'un bref de prohibition ou ses demandes de jugement déclaratoire. La présente cause est éminemment propice à l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui permet de refuser le redressement demandé par le procureur général. Au premier rang des facteurs qui m'inclinent en ce sens il y a le retard inexpliqué de deux ans qui a précédé la contestation de la décision du Tribunal antidumping. [Je souligne.]

L'importance d'agir avec diligence dans les demandes de bref de prérogative a également été reconnue dans la plupart des textes législatifs qui régissent maintenant la révision judiciaire. Par exemple, la Loi sur la procédure de révision judiciaire de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. J.1, permet à un tribunal de proroger le délai fixé pour présenter une requête en révision judiciaire, mais seulement s'il est convaincu qu'il existe à première vue un motif pour accorder le redressement et qu'aucune personne touchée par la prorogation ne subira de préjudice grave (art. 5). En vertu de la Judicial Review Procedure Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1979, ch. 209, une demande de révision judiciaire peut être prescrite par l'écoulement du temps dans le cas où un tribunal estime que le retard causerait un préjudice important (art. 11). Le paragraphe 28(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, dispose que toute demande de révision judiciaire devant la Cour d'appel fédérale doit être présentée dans les dix jours qui suivent la première communication de la décision ou de l'ordonnance attaquée. Ce délai ne peut être prorogé qu'avec l'autorisation de la cour. En Alberta, le par. 753.11(1) des Alberta Rules of Court (Alta. Reg. 390/68) dispose que si le redressement sollicité est l'annulation d'une décision ou d'un acte, la demande de révision judiciaire doit être déposée et signifiée dans les six mois qui suivent la décision ou l'acte en question. Enfin, l'art. 835.1 du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., ch. C‑25, qui s'applique à tous les recours extraordinaires, dispose que la requête doit être signifiée "dans un délai raisonnable". La Cour d'appel du Québec a statué dans l'arrêt Syndicat des employés du commerce de Rivière‑du‑Loup (section Émilio Boucher, C.S.N.) c. Turcotte, [1984] C.A. 316, à la p. 318: "Cet article [835.1] n'a fait que codifier la règle de la common law que ce recours doit être exercé dans un délai raisonnable."

Au moment où le présent recours a été exercé, le barrage était complété à 40 pour 100. Un bon montant de deniers publics avait déjà été dépensé. Il est établi que les membres de la Société intimée étaient au courant de l'approbation accordée sous le régime de la L.P.E.N. avant le mois de février 1988. Même s'ils ne l'étaient pas, la Société intimée aurait pu intenter son action au début de 1988. À cette époque, les travaux importants de construction n'avaient pas encore commencé. Si la Société intimée avait alors intenté ses poursuites au lieu de le faire en avril 1989, l'appelante l'Alberta aurait été en bien meilleure position pour évaluer objectivement tout risque juridique lié à la poursuite des travaux. Face à l'éventuelle invalidité de l'approbation du fédéral, elle aurait bien pu décider alors de ne pas investir les deniers publics comme elle l'a fait.

Après avoir consacré de nombreuses années à une planification intense, tenu d'innombrables audiences publiques, réalisé un grand nombre d'études et de rapports en matière d'environnement et établi divers conseils et comités chargés de l'examen des propositions présentées, l'appelante l'Alberta s'est lancée dans une entreprise d'envergure pour répondre aux besoins de ses électeurs. Elle l'a fait aux frais du public, mais après avoir été avisée par le gouvernement fédéral qu'elle pouvait légitimement le faire. Le barrage de la rivière Oldman nécessite certes une administration globale. Sa construction comporte également un nombre important de contrats avec des tiers. Compte tenu de l'envergure du projet et des intérêts en jeu, il n'était pas raisonnable que la Société intimée attende 14 mois avant de contester la décision du ministre des Transports. Dans le présent contexte, la Société intimée devait absolument respecter l'obligation de diligence de la common law.

Si la Société intimée avait agi d'une façon plus diligente, l'appelante l'Alberta aurait pu évaluer sa position sans tenir compte de l'engagement économique et administratif qui était mis en {oe}uvre au moment où les présentes procédures ont été intentées. Il est impossible de conclure que l'appelante l'Alberta n'a pas subi de préjudice en raison du retard. Par ailleurs, le juge des requêtes a évalué le préjudice et a statué que rien ne justifiait d'attendre pour entamer la présente contestation que le barrage soit complété pour près de 40 pour 100.

On exige que les auteurs d'une demande de bref de prérogative agissent avec diligence pour permettre aux intimés de donner suite au pouvoir qui leur est conféré. Le requérant ne peut justifier son retard en soutenant que l'intimé a fait ce qu'il avait légalement le droit de faire. Ce point de vue favoriserait les retards et induirait en erreur les personnes qui ont l'intention de présenter une demande de bref de prérogative.

Mon collègue le juge La Forest accorderait également une certaine importance au fait que l'appelante l'Alberta était au courant de l'opposition de la Société intimée et des autres parties en raison des autres contestations infructueuses intentées par celles‑ci. À mon avis, ces contestations ne sont aucunement pertinentes en l'espèce. Elles étaient toutes mal fondées et l'appelante l'Alberta n'avait pas à s'attendre que ces poursuites connexes et incidentes laissaient présager une contestation fondamentale du permis initial. Le fait que des détracteurs manifestent du mécontentement au sujet d'un train en marche ne nous met pas en garde contre la possibilité qu'ils en contestent l'autorisation de mise en route. À mon avis, le juge des requêtes n'avait pas à tenir compte de ces activités. Aucune des activités de la Société ou de ses membres n'empêchait la Société intimée d'entamer la présente contestation.

Les activités mentionnées par mon collègue étaient qualitativement différentes de celles visées par la présente action et n'ont aucune pertinence en l'espèce. Les demandes de bref de certiorari présentées par la Société intimée en octobre 1987 et au début de 1988 visaient des permis provisoires délivrés par le ministre de l'Environnement de l'Alberta, sous le régime de la Water Resources Act, R.S.A. 1980, ch. W‑5, de cette province. La demande auprès de l'Energy Resources Conservation Board de l'Alberta portait sur les aspects hydroélectriques du barrage. La dénonciation faite sous serment devant un juge de paix mentionnait une infraction de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14.

Le présent pourvoi porte sur la constitutionnalité et l'applicabilité du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement. Il soulève des questions nouvelles et différentes. Les efforts déployés auparavant par la Société intimée n'étaient pas des préliminaires nécessaires; il s'agissait là de recours distincts et différents du redressement sollicité en l'espèce. À mon avis, pour déterminer s'il devait exercer son pouvoir discrétionnaire contre la Société intimée, le juge en chef adjoint Jerome devait examiner seulement les facteurs qui, selon lui, se rattachaient directement à la demande dont il était saisi. Il était clairement le mieux placé pour évaluer la pertinence de ce que les parties lui ont présenté. On n'est justifié d'intervenir à l'égard de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, que si l'on peut affirmer avec certitude qu'il a eu tort de procéder ainsi. Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de conclure que l'on n'a pas satisfait à ce critère en l'espèce.

3. Les dépens

À mon avis, il n'est pas justifié d'adjuger les dépens comme entre procureur et client en faveur de la Société intimée. En règle générale devant notre Cour, la partie qui a gain de cause a droit aux dépens sur la base des frais entre parties. C'est la règle que les tribunaux d'instance inférieure ont appliquée. Mon collègue propose une adjudication des dépens comme entre procureur et client dans toutes les cours. Rien n'indique que les tribunaux d'instance inférieure ont commis une erreur et je ne vois pas pourquoi il faudrait déroger à notre règle générale. Les groupes d'intérêt public doivent être disposés à se plier aux mêmes principes que les autres plaideurs. Si l'on établissait des règles spéciales pour ces groupes, on mettrait en danger l'application d'un important principe: ceux qui intentent des poursuites doivent être disposés à accepter une certaine responsabilité quant aux dépens. En l'espèce, je ne vois rien qui justifie d'imposer aux contribuables qu'ils assument les dépens comme entre procureur et client pour le compte de cette partie.

4. Conclusion

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté, sauf qu'il ne sera pas délivré de bref de la nature d'un mandamus ordonnant au ministre des Pêches et des Océans de se conformer au Décret sur les lignes directrices. Le juge Stevenson est dissident.

Procureurs de l'appelante Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta: Milner & Steer, Edmonton.

Procureur des appelants le ministre des Transports et le ministre des Pêches et des Océans: John C. Tait, Ottawa.

Procureurs de l'intimée: Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa.

Procureurs de l'intervenant le procureur général du Québec: Jean‑K. Samson, Alain Gingras et Denis Lemieux, Ste‑Foy.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick: Le procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Le procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Brian Barrington‑Foote, Regina.

Procureur de l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve: Paul D. Dicks, St. John's.

Procureur de l'intervenant le ministre de la Justice des Territoires du Nord‑Ouest: Le ministère de la Justice, Yellowknife.

Procureurs de l'intervenante la Fraternité des Indiens du Canada/Assemblée des Premières Nations: Hutchins, Soroka & Dionne, Montréal.

Procureurs de l'intervenante la Nation denée et l'Association des Métis des Territoires du Nord‑Ouest: McCuaig Desrochers, Edmonton.

Procureurs de l'intervenant le Conseil national des autochtones du Canada (Alberta): McCuaig Desrochers, Edmonton.

Procureurs des intervenants le Sierra Legal Defence Fund, l'Association canadienne du droit de l'environnement, le Sierra Club of Western Canada, Survie culturelle (Canada), et les Amis de la Terre: Gregory J. McDade, Vancouver; Judith B. Hanebury, Calgary.

Procureur de l'intervenante l'Alberta Wilderness Association: Martin W. Mason, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1992] 1 R.C.S. 3 ?
Date de la décision : 23/01/1992
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté, sauf qu'il ne sera pas délivré de bref de la nature d'un mandamus ordonnant au ministre des Pêches et des Océans de se conformer au Décret sur les lignes directrices

Analyses

Droit constitutionnel - Répartition des pouvoirs législatifs - Environnement - Évaluation environnementale - Les lignes directrices fédérales en matière d'environnement sont‑elles intra vires du Parlement? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 92 - Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467.

Droit de l'environnement - Évaluation environnementale - Validité législative du décret fédéral sur les lignes directrices en matière d'environnement - Le décret sur les lignes directrices est‑il autorisé par l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement? - Le décret sur les lignes directrices est‑il incompatible avec la Loi sur la protection des eaux navigables? - Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985), ch. E‑10, art. 6 - Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N‑22, art. 5, 6 - Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467.

Droit de l'environnement - Évaluation environnementale - Applicabilité du décret fédéral sur les lignes directrices en matière d'environnement - Construction d'un barrage par l'Alberta sur la rivière Oldman - Barrage touchant des domaines de compétence fédérale comme les eaux navigables et les pêches - Le décret sur les lignes directrices s'applique‑t‑il seulement aux nouveaux projets fédéraux? - Le ministre des Transports et le ministre des Pêches et des Océans sont‑ils tenus de se conformer au décret sur les lignes directrices? - Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985), ch. E‑10, art. 4(1)a), 5a)(ii), 6 - Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467, art. 2 "proposition", "ministère responsable", 6 - Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N‑22, art. 5 - Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14, art. 35, 37.

Couronne - Immunité - Provinces - La Couronne du chef de la province est‑elle liée par les dispositions de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N‑22? - Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 17.

Droit administratif - Contrôle judiciaire - Redressements - Pouvoir discrétionnaire - Construction d'un barrage par l'Alberta sur la rivière Oldman - Barrage touchant des domaines de compétence fédérale comme les eaux navigables et les pêches - Groupe environnemental, par demande de bref de certiorari et de bref de mandamus à la Cour fédérale, cherche à forcer le ministre des Transports et le ministre des Pêches et des Océans à se conformer au décret fédéral sur les lignes directrices en matière d'environnement - Demandes rejetées en raison du retard déraisonnable et de la futilité de la procédure - La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en modifiant la décision du juge des requêtes, prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas accorder la réparation demandée?.

L'intimée, la Friends of the Oldman River Society (la "Société"), un groupe environnemental de l'Alberta, par demande de bref de certiorari et de bref de mandamus présentée à la Cour fédérale, cherche à forcer deux ministères fédéraux, le ministère des Transports et le ministère des Pêches et des Océans, à procéder à une évaluation environnementale conformément au Décret fédéral sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, relativement à un barrage construit sur la rivière Oldman par le gouvernement de l'Alberta — projet qui touche plusieurs sphères de compétence fédérale, notamment les eaux navigables, les pêcheries, les Indiens et les terres indiennes. Le Décret sur les lignes directrices a été pris en vertu de l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement et exige de tous les ministères et organismes fédéraux qui exercent un pouvoir de décision à l'égard d'une proposition (c'est‑à‑dire une entreprise ou activité) susceptible d'entraîner des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale, qu'ils procèdent à un examen initial de cette proposition afin de déterminer si elle peut éventuellement comporter des effets défavorables sur l'environnement. La province a elle‑même procédé au cours des années à d'importantes études environnementales qui ont donné lieu à des consultations publiques, notamment auprès des bandes indiennes et des groupes environnementaux, et, en septembre 1987, avait obtenu du ministre des Transports une approbation de l'ouvrage en vertu de l'art. 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables. Cette disposition prévoit qu'il est interdit de construire un ouvrage dans les eaux navigables à moins qu'il n'ait préalablement été approuvé par le ministre. Dans l'évaluation de la demande de l'Alberta, le ministre n'a examiné que l'incidence du projet sur la navigation et aucune évaluation n'a été faite en vertu du Décret sur les lignes directrices. Les tentatives de l'intimée devant les tribunaux de l'Alberta pour faire arrêter le projet ont échoué et les ministres fédéraux de l'Environnement et des Pêches et des Océans ont refusé d'assujettir le projet à l'évaluation en vertu du Décret sur les lignes directrices. Le contrat de construction du barrage a été octroyé en 1988 et les travaux étaient achevés à 40 pour 100 lorsque la présente action a été intentée devant la Cour fédérale en avril 1989. La Section de première instance a rejeté les demandes. La Cour d'appel a infirmé le jugement, annulé l'approbation accordée en vertu de l'art. 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables et ordonné aux ministres des Transports et des Pêches et des Océans de se conformer au Décret sur les lignes directrices. Le présent pourvoi soulève la validité constitutionnelle et législative du Décret sur les lignes directrices et porte sur la nature et l'applicabilité de celui‑ci. Il soulève aussi la question de savoir si le juge des requêtes a bien exercé son pouvoir discrétionnaire dans sa décision de ne pas accorder le redressement demandé en raison du retard déraisonnable et de la futilité de la procédure.

Arrêt (le juge Stevenson est dissident): Le pourvoi est rejeté, sauf qu'il ne sera pas délivré de bref de la nature d'un mandamus ordonnant au ministre des Pêches et des Océans de se conformer au Décret sur les lignes directrices.

La validité législative du Décret sur les lignes directrices

Le Décret sur les lignes directrices a été validement adopté conformément à l'art. 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement et il est de nature impérative. Lorsqu'on examine l'art. 6 dans son ensemble, plutôt que seulement le terme "directives" en vase clos, on se rend compte que le législateur fédéral a opté pour l'adoption d'un mécanisme de réglementation auquel on est soumis "légalement" et dont on peut obtenir l'exécution par bref de prérogative. Les "directives" ne sont pas simplement autorisées par une loi, mais elles doivent être officiellement adoptées par "arrêté", sur approbation du gouverneur en conseil. Ce processus contraste vivement avec le processus habituel d'établissement de directives de politique interne ministérielle destinées à exercer un contrôle sur les fonctionnaires relevant de l'autorité du ministre.

Le Décret sur les lignes directrices, qui exige du décideur qu'il tienne compte de facteurs socio‑économiques dans l'évaluation des répercussions environnementales, ne va pas au‑delà de ce qui est autorisé par la Loi sur le ministère de l'Environnement. Le concept de la "qualité de l'environnement" prévu à l'art. 6 de la Loi ne se limite pas à l'environnement biophysique seulement. L'environnement est un sujet diffus et, sous réserve des impératifs constitutionnels, les conséquences éventuelles d'un changement environnemental sur le gagne‑pain, la santé et les autres préoccupations sociales d'une collectivité font partie intégrante de la prise de décisions concernant des questions ayant une incidence sur la qualité de l'environnement.

Le Décret sur les lignes directrices est compatible avec la Loi sur la protection des eaux navigables. La Loi n'a pas pour effet d'empêcher explicitement ou implicitement le ministre des Transports de tenir compte de facteurs autres que ceux touchant la navigation dans l'exercice de son pouvoir d'approbation en vertu de l'art. 5 de la Loi. La fonction confiée au ministre en vertu du Décret vient s'ajouter à la responsabilité qu'il a en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, et il ne peut invoquer une interprétation trop étroite des pouvoirs qui lui sont conférés par des lois pour éviter de se conformer au Décret. Il n'existe pas non plus de conflit entre, d'une part, le fait d'exiger, à l'art. 3 du Décret sur les lignes directrices, qu'un examen soit effectué "le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables" et, d'autre part, le pouvoir de redressement, prévu au par. 6(4) de la Loi, permettant au ministre d'accorder une approbation après le début des travaux. Ce pouvoir constitue une exception à la règle générale énoncée à l'art. 5 de la Loi selon laquelle il faut obtenir une approbation avant le début de la construction et, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'accorder une approbation après le début des travaux, rien n'empêche le ministre d'appliquer le Décret.

L'applicabilité du Décret sur les lignes directrices

L'application du Décret n'est pas restreinte aux "nouveaux projets, programmes et activités fédéraux"; le Décret ne reçoit pas application chaque fois qu'un projet peut comporter des répercussions environnementales sur un domaine de compétence fédérale. Il doit toutefois s'agir tout d'abord d'une "proposition" qui vise une "entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions". L'interprétation qu'il faut donner à l'expression "participe à la prise de décisions" est que le gouvernement fédéral, se trouvant dans un domaine relevant de sa compétence en vertu de l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, doit avoir une obligation positive de réglementation en vertu d'une loi fédérale relativement à l'entreprise ou à l'activité proposée. L'expression "participe à la prise de décisions" dans la définition du terme "proposition" signifie une obligation légale et ne devrait pas être interprétée comme ayant trait à des questions relevant généralement de la compétence fédérale. Si cette obligation existe, il s'agit alors de déterminer qui est le "ministère responsable" en la matière, puisque c'est ce ministère qui exerce le "pouvoir de décision" à l'égard de la proposition et qui doit donc entamer le processus d'évaluation visé par le Décret sur les lignes directrices.

Le projet de barrage sur la rivière Oldman est visé par le Décret sur les lignes directrices. Il peut être qualifié de proposition dont le ministre des Transports seul est le "ministère responsable" en vertu de l'art. 2 du Décret. La Loi sur la protection des eaux navigables, notamment son art. 5, impose une obligation positive de réglementation au ministre des Transports. Cette loi a mis en place un mécanisme de réglementation qui prévoit qu'il est nécessaire d'obtenir l'approbation du ministre avant qu'un ouvrage qui gêne sérieusement la navigation puisse être placé dans des eaux navigables ou sur, sous, au‑dessus ou à travers de telles eaux.

Cependant, le Décret sur les lignes directrices ne s'applique pas au ministre des Pêches et des Océans, puisque la Loi sur les pêches ne renferme pas de disposition de réglementation équivalente qui serait applicable au projet. Le fait que le ministre possède le pouvoir discrétionnaire de demander des renseignements visant à l'aider dans l'exercice d'une fonction législative ne signifie pas qu'il "participe à la prise de décisions" au sens du Décret. Le ministre des Pêches et des Océans a, en vertu de l'art. 37 de la Loi sur les pêches, un pouvoir législatif spécial limité qui ne constitue pas une obligation positive de réglementation.

L'étendue de l'évaluation en vertu du Décret sur les lignes directrices n'est pas limitée au domaine particulier de compétence à l'égard duquel le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions au sens du terme "proposition". En vertu du Décret, le ministère responsable qui a reçu le pouvoir de procéder à l'évaluation doit tenir compte des répercussions environnementales dans tous les domaines de compétence fédérale. Le ministre des Transports, à titre de décideur en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, doit examiner les incidences environnementales du barrage sur les domaines de compétence fédérale, comme les eaux navigables, les pêcheries, les Indiens et les terres indiennes.

L'immunité de la Couronne

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci: La Couronne du chef de l'Alberta est par déduction nécessaire liée par la Loi sur la protection des eaux navigables. Le droit de propriété que la province peut détenir sur le lit de la rivière Oldman est assujetti au droit public de navigation, sur lequel le Parlement exerce une compétence législative exclusive. L'Alberta doit obtenir l'autorisation législative du Parlement pour construire un ouvrage qui entraverait sérieusement la navigation dans la rivière Oldman; la Loi sur la protection des eaux navigables est le mécanisme qu'elle doit utiliser à cette fin. La Couronne du chef de l'Alberta est liée par la Loi, car il s'agit là du seul moyen pratique d'obtenir l'approbation requise. Par ailleurs, si la province n'était pas liée par la Loi, celle-ci serait privée de toute efficacité. Les provinces font partie des organismes susceptibles de participer à des projets qui peuvent obstruer la navigation. Si la Couronne du chef d'une province était habilitée à saper l'intégrité des réseaux essentiels de navigation dans les eaux canadiennes, l'objet de la Loi sur la protection des eaux navigables serait, en fait, annihilé.

Le juge Stevenson (dissident): La province d'Alberta n'est pas liée par la Loi sur la protection des eaux navigables. Nul texte législatif ne lie la Couronne, sauf dans la mesure qui y est mentionnée ou prévue. En l'espèce, la Loi ne renferme pas de termes qui "lient expressément" la Couronne et il n'existe pas d'intention claire de la lier qui "ressort du texte même de la loi". En outre, le fait que la Couronne ne soit pas liée ne priverait pas la Loi de toute efficacité ni ne donnerait lieu à une absurdité. Il existe de nombreux organismes non gouvernementaux dont les activités sont régies par la Loi et l'objet de la Loi n'est donc pas annihilé. Si la Couronne porte atteinte à un droit public de navigation, il est possible de la poursuivre en justice. Il n'y a pas d'avantage important lié à l'approbation en vertu de la Loi. Il peut toujours y avoir ouverture à responsabilité civile.

La validité constitutionnelle du Décret sur les lignes directrices

L'environnement n'est pas un domaine distinct de compétence législative en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans son sens générique, il englobe l'environnement physique, économique et social touchant plusieurs domaines de compétence attribués aux deux paliers de gouvernement. Bien que les deux paliers puissent {oe}uvrer dans le domaine de l'environnement, l'exercice d'une compétence législative, dans la mesure où elle se rapporte à l'environnement, doit se rattacher au domaine de compétence approprié. Les projets de nature locale relèvent généralement de la compétence provinciale, mais ils peuvent exiger la participation du fédéral dans le cas où ils empiètent sur un domaine de compétence fédérale comme en l'espèce.

Le Décret sur les lignes directrices est intra vires du Parlement. Il ne tente pas de réglementer les répercussions environnementales de matières qui relèvent de la compétence de la province, mais fait simplement de l'évaluation des incidences environnementales un élément essentiel de la prise de décisions fédérales. De par son caractère véritable, le Décret n'est rien de plus qu'un instrument qui régit la façon dont les institutions fédérales doivent gérer leurs diverses fonctions. Essentiellement, le Décret comporte deux aspects fondamentaux. Il y a tout d'abord l'aspect de fond qui porte sur l'évaluation des incidences environnementales, dont l'objet est de faciliter la prise de décisions dans le domaine de compétence fédérale qui régit une proposition. Cet aspect du Décret peut être maintenu au motif qu'il s'agit d'un texte législatif se rapportant aux matières pertinentes énumérées à l'art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le deuxième aspect est l'élément procédural ou organisationnel coordonnant le processus d'évaluation, qui peut dans un cas donné toucher plusieurs domaines de compétence fédérale, relevant d'un décideur désigné (le "ministère responsable"). Cette facette vise à réglementer la façon dont les institutions et organismes du gouvernement du Canada exercent leurs fonctions et responsabilités administratives. Cela est indiscutablement intra vires du Parlement. Cet aspect peut être considéré comme un pouvoir accessoire de la compétence législative en cause, ou de toute façon, être justifié en vertu du pouvoir résiduel prévu à l'art. 91.

Le Décret sur les lignes directrices ne peut être utilisé comme moyen déguisé d'envahir des champs de compétence provinciale qui ne se rapportent pas aux domaines de compétence fédérale concernés. Le "ministère responsable" n'a que le mandat d'examiner les questions se rapportant directement aux domaines de compétence fédérale concernés. Toute ingérence dans la sphère de compétence provinciale est simplement accessoire au caractère véritable du texte législatif.

Le pouvoir discrétionnaire

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci: La Cour d'appel fédérale n'a pas commis d'erreur en modifiant la décision du juge des requêtes, prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas accorder la réparation sollicitée en raison du retard déraisonnable et de la futilité de la procédure. L'intimée s'est efforcée d'une façon soutenue de contester, dans le cadre des poursuites judiciaires devant les tribunaux de l'Alberta et dans les lettres envoyées aux ministères fédéraux, d'une part, la légalité des mesures prises par l'Alberta relativement à la construction du barrage, et d'autre part, l'acquiescement des ministres appelants; il n'existe pas de preuve que l'Alberta a subi un préjudice quelconque en raison d'un retard à intenter la présente action. Malgré les contestations judiciaires en cours, la construction du barrage s'est poursuivie. La province n'était pas disposée à consentir à une évaluation des incidences environnementales en vertu du Décret avant l'épuisement de tous les recours légaux. Le juge des requêtes n'a pas suffisamment accordé d'importance à ces considérations, ne laissant à la Cour d'appel d'autre choix que d'intervenir. Le motif de la futilité de la procédure ne pouvait justifier un refus dans les circonstances. On ne devrait refuser la délivrance d'un bref de prérogative pour ce motif que dans les rares cas où sa délivrance serait vraiment inefficace. En l'espèce, il n'est pas évident que l'application du Décret, même à cette étape tardive, n'aura pas un certain effet sur les mesures susceptibles d'être prises pour atténuer toute incidence environnementale néfaste que pourrait avoir le barrage sur un domaine de compétence fédérale.

Le juge Stevenson (dissident): La Cour d'appel fédérale a commis une erreur en modifiant la décision du juge des requêtes, prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas accorder une réparation par voie de bref de prérogative. La cour a clairement commis une erreur en rejetant sa conclusion relativement à la question du retard. La common law a toujours exigé du requérant qu'il agisse avec diligence lorsqu'il sollicite un bref de prérogative. Compte tenu de l'envergure du projet et des intérêts en jeu, il n'était pas raisonnable que la Société intimée attende 14 mois avant de contester l'approbation du ministre des Transports. Il est impossible de conclure que l'Alberta n'a pas subi un préjudice en raison du retard. Le juge des requêtes n'avait pas à tenir compte des procédures judiciaires que l'intimée et d'autres parties avaient entamées devant les tribunaux de l'Alberta. Ces procédures constituaient des recours distincts et différents du redressement sollicité en l'espèce et n'étaient pas pertinentes quant aux questions en litige. La présente action porte sur la constitutionnalité et l'applicabilité du Décret sur les lignes directrices. Il soulève des questions nouvelles et différentes. Pour déterminer s'il devait exercer son pouvoir discrétionnaire contre l'intimée, le juge des requêtes devait examiner seulement les facteurs qui, selon lui, se rattachaient directement à la demande dont il était saisi. On n'est pas justifié de modifier la décision qu'il a prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, sauf si l'on peut affirmer avec certitude qu'il a eu tort de procéder ainsi. L'on n'a pas répondu au critère en l'espèce.

Les dépens

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci: Il s'agit d'un cas où il est approprié d'accorder les dépens comme entre procureur et client à la Société intimée, compte tenu de la situation de cette dernière et du fait que les ministères fédéraux ont été joints comme appelants même s'ils n'avaient pas auparavant présenté une demande d'autorisation de pourvoi à notre Cour.

Le juge Stevenson (dissident): Les appelants ne devraient pas être contraints de payer les dépens comme entre procureur et client. Il n'y a pas de raison de déroger à notre règle générale que la partie qui a gain de cause a droit aux dépens sur la base des frais entre parties. Les groupes d'intérêt public doivent être disposés à se plier aux mêmes principes que les autres plaideurs et accepter une certaine responsabilité quant aux dépens.


Parties
Demandeurs : Friends of the Oldman River Society
Défendeurs : Canada (Ministre des Transports)

Références :

Jurisprudence
Cité par le juge La Forest
Arrêts mentionnés: Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1989] 3 C.F. 309 (1re inst.), conf. (1989), 99 N.R. 72
Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225
Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373
Martineau c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118
Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2
R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401
Belanger c. The King (1916), 54 R.C.S. 265
R. & W. Paul, Ltd. c. Wheat Commission, [1937] A.C. 139
Re George Edwin Gray (1918), 57 R.C.S. 150
Daniels c. White, [1968] R.C.S. 517
Smith v. The Queen, [1960] R.C.S. 776
Environmental Defense Fund, Inc. c. Mathews, 410 F.Supp. 336 (1976)
Angus c. Canada, [1990] 3 C.F. 410
Province of Bombay c. Municipal Corporation of Bombay, [1947] A.C. 58
Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015
R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551
Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c. Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61
R. c. Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568
In Re Provincial Fisheries (1896), 26 R.C.S. 444
Flewelling c. Johnston (1921), 59 D.L.R. 419
Orr Ewing v. Colquhoun (1877), 2 App. Cas. 839
Attorney‑General c. Johnson (1819), 2 Wils. Ch. 87, 37 E.R. 240
Wood c. Esson (1884), 9 R.C.S. 239
Reference re Waters and Water‑Powers, [1929] R.C.S. 200
The Queen c. Fisher (1891), 2 Ex. C.R. 365
Queddy River Driving Boom Co. c. Davidson (1883), 10 R.C.S. 222
Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273
Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213
Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292
Murphyores Incorporated Pty. Ltd. c. Commonwealth of Australia (1976), 136 C.L.R. 1
Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790
Jones c. Procureur général du Nouveau‑Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182
Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868
Polylok Corp. c. Montreal Fast Print (1975) Ltd., [1984] 1 C.F. 713
Charles Osenton & Co. c. Johnston, [1942] A.C. 130
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561
Friends of the Oldman River Society c. Alberta (Minister of the Environment) (1987), 85 A.R. 321
Friends of Oldman River Society c. Alberta (Minister of the Environment) (1988), 89 A.R. 339
Friends of the Old Man River Society c. Energy Resources Conservation Board (Alta.) (1988), 89 A.R. 280
Champion v. City of Vancouver, [1918] 1 W.W.R. 216
Isherwood c. Ontario and Minnesota Power Co. (1911), 180 O.W.R. 459.
Citée par le juge Stevenson (dissident)
Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225
Province of Bombay v. Municipal Corporation of Bombay, [1947] A.C. 58
Champion c. City of Vancouver, [1918] 1 W.W.R. 216
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561
Polylok Corp. c. Montreal Fast Print (1975) Ltd., [1984] 1 C.F. 713
P.P.G. Industries Canada Ltd. c. Procureur général du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739
Syndicat des employés du commerce de Rivière‑du‑Loup (section Émilio Boucher, C.S.N.) c. Turcotte, [1984] C.A. 316.
Lois et règlements cités
Acte à l'effet d'autoriser la corporation de la ville d'Emerson à construire un pont libre pour les voyageurs et le trafic sur la rivière Rouge, dans la province du Manitoba, S.C. 1880, ch. 44.
Acte à l'effet de mieux protéger les cours d'eau et rivières navigables, S.C. 1873, ch. 65.
Acte concernant certaines constructions dans et sur les eaux navigables, S.C. 1886, ch. 35, art. 1, 7.
Acte concernant certaines constructions dans et sur les eaux navigables, S.R.C. 1886, ch. 92.
Acte concernant la protection des eaux navigables, S.C. 1886, ch. 36.
Acte concernant la protection des eaux navigables, S.R.C. 1886, ch. 91.
Acte concernant les bômes et autres ouvrages établis en eaux navigables soit sous l'autorité d'actes provinciaux soit autrement, S.C. 1883, ch. 43, art. 1.
Acte concernant les ponts établis en vertu d'actes provinciaux sur des eaux navigables, S.C. 1882, ch. 37.
Acte pour pourvoir à l'enlèvement d'obstructions provenant de naufrages et autres causes semblables dans les rivières navigables du Canada, et pour d'autres objets relatifs aux naufrages, S.C. 1874, ch. 29.
Alberta Rules of Court, Alta. Reg. 390/68, art. 753.11(1) [ad. Alta. Reg. 457/87, art. 3.]
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 835.1.
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467, art. 2 "ministère responsable", "promoteur", "proposition", 3, 4, 6, 8, 10, 12, 14, 25.
Judicial Review Procedure Act, R.S.B.C. 1979, ch. 209, art. 11.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91 "préambule", 91(10), (29), 92(10)a), 92A.
Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985), ch. 28 (3e suppl.), art. 3.
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 2(1), 17.
Loi sur la Cour féderale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 28(2).
Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, ch. J.1, art. 5.
Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N‑22, art. 4, 5, 6, 21, 22.
Loi de la protection des eaux navigables, S.R.C. 1906, ch. 115.
Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985), ch. E‑10, art. 4, 5, 6.
Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C. (1985), ch. F‑15.
Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R‑3.
Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux, L.R.C. (1985), ch. I‑20.
Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14, art. 35, 37, 40.
Doctrine citée
Canada. Commission de réforme du droit. Constitutional Jurisdiction in Relation to Environmental Law. Document non publié rédigé par Marie E. Hatherly, 1986.
Canada. Conseil canadien des ministres des Ressources et de l'Environnement. Rapport du Groupe de Travail national sur l'environnement et l'économie, 24 septembre 1987.
Cotton, Roger et D. Paul Emond. "Environmental Impact Assessment". In John Swaigen, ed., Environmental Rights in Canada. Toronto: Butterworths, 1981, 245.
De Smith, S. A. Judicial Review of Administrative Action, 4th ed. By J. M. Evans. London: Stevens & Sons Ltd., 1980.
Dussault, René et Louis Borgeat. Traité de droit administratif, 2e éd., t. I et III. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1984.
Emond, D. P. Environmental Assessment Law in Canada. Toronto: Emond‑Montgomery Ltd., 1978.
Emond, Paul. "The Case for a Greater Federal Role in the Environmental Protection Field: An Examination of the Pollution Problem and the Constitution" (1972), 10 Osgoode Hall L.J. 647.
Gibson, Dale. "Constitutional Jurisdiction over Environmental Management in Canada" (1973), 23 U.T.L.J. 54.
Gillespie, Colin J. "Enforceable Rights from Administrative Guidelines?" (1989‑1990), 3 C.J.A.L.P. 204.
Hogg, Peter W. Liability of the Crown, 2nd ed. Toronto: Carswell, 1989.
Jeffery, Michael I. Environmental Approvals in Canada. Toronto: Butterworths, 1989.
Jones, David Phillip et Anne S. de Villars. Principles of Administrative Law. Toronto: Carswell, 1985.
La Forest, Gérard V. Water Law in Canada. Ottawa: Information Canada, 1973.

Proposition de citation de la décision: Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3 (23 janvier 1992)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-01-23;.1992..1.r.c.s..3 ?
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