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07/12/1989 | CANADA | N°[1989]_2_R.C.S._1120

Canada | R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 1120 (7 décembre 1989)


R. c. Smith (Michael Harold), [1989] 2 R.C.S. 1120

Michael Harold Smith Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. smith

No du greffe: 21058.

1989: 24, 25 mai; 1989: 7 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1988), 54 Man. R. (2d) 24, 42 C.C.C. (3d) 193, qui a accueilli l'appel d'une décision du juge Darichuk (1988),

53 Man. R. (2d) 92, qui avait accueilli une demande de suspension d'instance. Pourvoi accueilli.

John Menzies ...

R. c. Smith (Michael Harold), [1989] 2 R.C.S. 1120

Michael Harold Smith Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. smith

No du greffe: 21058.

1989: 24, 25 mai; 1989: 7 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1988), 54 Man. R. (2d) 24, 42 C.C.C. (3d) 193, qui a accueilli l'appel d'une décision du juge Darichuk (1988), 53 Man. R. (2d) 92, qui avait accueilli une demande de suspension d'instance. Pourvoi accueilli.

John Menzies et Alan J. Semchuk, pour l'appelant.

E. P. Phillip Schachter, pour l'intimée.

//Le juge Sopinka//

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE SOPINKA -- Le présent pourvoi est formé contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1988), 54 Man. R. (2d) 24, qui a accueilli l'appel d'une décision du juge Darichuk de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba (1988), 53 Man. R. (2d) 92. Le juge Darichuk a ordonné une suspension d'instance parce qu'il y avait eu délai déraisonnable pour procéder à l'enquête préliminaire relative à une accusation de vol d'une somme de plus de 1 000 $, contrairement à l'al. 294a) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34. La seule question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si le délai pour procéder à l'enquête préliminaire constitue une atteinte au droit de l'appelant d'être jugé dans un délai raisonnable contrairement à l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Les faits

L'appelant a travaillé comme conducteur‑vendeur chargé de la livraison de produits laitiers à des clients de Modern Dairies Ltd. à Dauphin (Manitoba), à partir du mois d'avril 1982 jusqu'au 13 décembre 1984. Par suite d'une plainte de Dauphin Consumer Co‑Op Limited, l'un des clients de Modern Dairies, une enquête policière a été ouverte et a abouti au congédiement de l'appelant et au dépôt d'une dénonciation sous serment le 7 janvier 1985, dans laquelle on alléguait que l'appelant avait volé à Dauphin Consumers Co‑Op Limited une somme de plus de 200 $, contrairement à l'art. 294 du Code criminel.

Quatre mois plus tard, le 15 mai 1985, un procès a eu lieu et le 25 juin 1985, l'appelant a été acquitté de l'accusation portée contre lui. L'appelant a alors présenté un grief contre son employeur relativement à son congédiement. En mars 1986, il y a eu une procédure d'arbitrage et le grief a été réglé par les parties. Avant l'audition de l'arbitrage, Modern Dairies avait retenu les services de vérificateurs pour examiner les comptes de l'appelant pour l'année 1984. Cette vérification a été terminée en février 1986. Compte tenu de ce rapport, on a communiqué avec la section des délits commerciaux de la G.R.C.

Après une enquête qui a duré environ onze mois, une nouvelle dénonciation, qui constitue le fondement du présent pourvoi, a été déposée le 22 janvier 1987. L'appelant a été accusé d'avoir volé à son employeur une somme de plus de 1 000 $ contrairement à l'al. 294a) du Code criminel. Le ministère public allègue que l'appelant a détourné des fonds des clients au comptant de Modern Dairies.

Sur dépôt de la dénonciation, l'agent Schnell de la G.R.C. a obtenu l'émission d'une assignation à comparaître à Dauphin le 17 février 1987. L'affaire a été reportée une première fois au 3 mars 1987, puis au 17 mars 1987 suite à une demande de détails. L'affaire a de nouveau été reportée au 14 avril 1987. Au cours du mois d'avril, Me J. A. Menzies et Me E. P. Schachter, les avocats de l'appelant et de l'intimée respectivement, ont tenté de confirmer une date pour la tenue de l'enquête préliminaire. Ils ont confirmé la date du 10 au 14 août 1987 auprès de Peter Chomiak, greffier adjoint de la Cour des juges provinciaux (Division criminelle) de Dauphin. Le 28 avril 1987, cette date d'audience a été fixée par le tribunal.

Le 25 juin 1987, le substitut du procureur général, Me Schachter, a été informé par la secrétaire du juge en chef Gyles de la Cour provinciale que les juges provinciaux ne tiendraient aucune séance spéciale pendant le mois de juillet ou le mois d'août. Le substitut du procureur général a été avisé que l'agent Schnell, chargé de l'enquête, ne pourrait assister à l'enquête que pendant la semaine du 16 au 23 décembre 1987 ou après avril 1988. L'agent Schnell devait entreprendre des études universitaires à temps complet pendant un an, ce qui limitait beaucoup sa disponibilité auprès du ministère public pendant une enquête préliminaire d'une semaine. Le 26 juin, Me Schachter et Me Menzies ont convenu de tenir l'enquête préliminaire du 16 au 23 décembre 1987. Cette date a de nouveau été confirmée auprès du greffier adjoint à Dauphin. Cependant, encore une fois, la secrétaire du juge en chef de la Cour provinciale a déclaré qu'aucun juge ne serait disponible à ce moment‑là. Le problème dans les deux cas était que l'audience devait avoir lieu en période de vacances.

Le 29 juin 1987, Me Schachter et Me Menzies ont convenu de la nouvelle date du 9 au 13 mai 1988. Le 6 juillet, Me Menzies a écrit au substitut du procureur général, Me Schachter, pour lui confirmer ces arrangements tout en exprimant certaines réserves au sujet du [TRADUCTION] "délai excessif". Cette date a été confirmée par la Cour provinciale le 7 juillet 1987. À ce moment‑là, un mandataire de l'appelant a également déclaré qu'une lettre avait été adressée par Me Menzies à Me Schachter au sujet du délai et que la question serait vraisemblablement soulevée à une date ultérieure.

Les procédures antérieures

Le 21 décembre 1987, l'appelant a présenté un avis de requête en Cour du Banc de la Reine du Manitoba en vue d'obtenir une suspension d'instance fondée sur une violation de l'al. 11b) de la Charte. Le 19 janvier 1988, le juge Darichuk a procédé à l'audition de la requête de l'appelant et a ordonné la suspension de l'instance le 15 mars 1988.

Le juge Darichuk a cité assez longuement les arrêts de notre Cour Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, et R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, qui portent tous deux sur la question de savoir s'il est convenable de traiter une violation alléguée de la Charte par voie de requête préalable au procès. Appliquant les principes énoncés dans ces arrêts et se fondant sur les circonstances de l'espèce et sur le fait que le juge présidant l'enquête préliminaire n'aurait pas compétence pour entendre un argument fondé sur l'al. 11b), le juge Darichuk a conclu qu'il devait exercer son pouvoir inhérent d'examiner la question.

Le juge Darichuk a cité un certain nombre d'extraits des arrêts Mills et Rahey de notre Cour en ce qui a trait au critère applicable pour déterminer s'il y a violation de l'al. 11b). Se fondant sur une preuve par affidavit, le juge Darichuk a conclu que l'accusation criminelle portée contre l'appelant avait eu un effet néfaste sur sa sécurité. La perte d'emploi de l'appelant, le stress qu'il a subi et l'embarras qui lui a été causé ainsi qu'à sa famille, la perturbation dans son nouvel emploi et le temps et les dépenses liés aux procédures ont tous été énumérés comme des facteurs pertinents par le juge Darichuk. De plus, le juge Darichuk a fait remarquer que le délai avait nui à la capacité de l'appelant de préparer une défense pleine et entière.

De son évaluation tenant compte d'une part de cette atteinte aux droits de l'appelant et, d'autre part, de toute renonciation à invoquer certains retards, des délais inhérents à la nature de l'affaire et des disponibilités institutionnelles, le juge Darichuk a conclu que dans cette affaire l'atteinte réelle aux droits de l'appelant ne pouvait être justifiée. À l'exception du bref retard initial pour obtenir des détails, l'appelant n'a pas demandé ni causé de délai, pas plus qu'il n'y a contribué ni acquiescé. En fait, le juge Darichuk a conclu que la lettre du 6 juillet 1987 dans laquelle l'avocat de l'appelant, Me Menzies, exprime des inquiétudes au sujet de la fixation de la date d'audience en mai a écarté toute présomption de renonciation.

Le juge Darichuk a conclu que le délai était imputable en grande partie au système et non aux avocats et qu'une partie du délai découlait de l'insuffisance des ressources institutionnelles. Toutefois, il a jugé que le ministère public avait aggravé ce délai en cherchant à fixer une date d'enquête préliminaire convenant à l'agent enquêteur dont la disponibilité était extrêmement limitée. Comme cet agent n'aurait été disponible que pendant une partie de l'audition pour donner son propre témoignage et qu'un autre agent aurait pu assister à toute l'audition pour aider le ministère public, le juge Darichuk a conclu que la tentative de rendre service à cet agent ne pouvait justifier le délai qui a résulté.

Le juge Huband, s'exprimant au nom de la Cour d'appel à l'unanimité, a accueilli l'appel et a ordonné le renvoi de l'affaire devant la Cour provinciale. Le juge Huband a reconnu que le ministère public était responsable d'une grande partie du délai parce qu'il voulait tenir l'audience à un moment où l'agent Schnell serait en mesure de collaborer à l'enquête. La Cour d'appel a conclu qu'il relevait de sa discrétion judiciaire de conclure que les circonstances de l'espèce ne comportaient pas de délai déraisonnable dans la tenue de l'enquête préliminaire de l'appelant. Le juge Huband a conclu (à la p. 25):

[TRADUCTION] Je n'essaierai pas d'énumérer tous les éléments dont on pourrait tenir compte. Toutefois j'insisterais sur le fait que l'accusé n'est pas incarcéré en attendant son procès. Il occupe un emploi. Il dit qu'il sera gêné lorsqu'il sera obligé de demander un congé à son employeur pour assister à l'enquête préliminaire, mais il aurait eu à subir cette gêne même si l'audience avait été fixée à une date antérieure. On ne laisse nullement entendre que le délai lui a causé un préjudice, sauf le fait évident qu'il aura à appréhender une accusation criminelle pendant une période importante.

Le juge Huband a reconnu que le souci de rendre service à l'agent enquêteur aurait dû être secondaire à la tenue au moment opportun de l'enquête préliminaire, mais que le ministère public n'avait pas eu l'intention de causer un retard. De même, il incombait à l'appelant de protester plus énergiquement contre le délai et même de demander de meilleurs arrangements. La Cour d'appel a conclu que, bien qu'une cour d'appel ne doive pas normalement modifier la décision discrétionnaire du juge de première instance, en l'espèce la conclusion du juge des requêtes n'était pas fondée sur une appréciation de crédibilité et il convenait d'annuler l'ordonnance qu'il avait rendue.

Les questions en litige

Deux questions doivent être tranchées:

a)Compétence: le juge des requêtes a‑t‑il exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire de ne pas refuser d'exercer sa compétence pour entendre la demande de rejet; et

b)Délai déraisonnable: le juge des requêtes a‑t‑il eu raison de conclure qu'il y avait eu violation du droit d'être jugé dans un délai raisonnable que l'al. 11b) garantit à l'appelant?

a) Compétence

Deux questions de compétence sont soulevées d'après les faits de l'espèce, toutes les deux portant sur l'exercice par le juge des requêtes de son pouvoir discrétionnaire de statuer sur la requête de l'appelant fondée sur l'al. 11b). D'abord, l'appelant a engagé ces procédures au moyen d'un avis de requête plusieurs mois avant la date prévue pour l'ouverture de l'enquête préliminaire. La requête de l'appelant fondée sur l'al. 11b) est donc anticipée si on considère le délai écoulé entre la date de sa requête et celle prévue pour l'ouverture de l'enquête préliminaire. Cependant, compte tenu des circonstances de l'espèce, étant donné que la date de l'enquête préliminaire était fixe et ne pouvait (à la demande de l'accusé) être rapprochée, le juge des requêtes a eu raison d'examiner la requête de l'appelant fondée sur l'al. 11b) en considérant que le délai entier était déjà écoulé.

La deuxième question de compétence a trait à la décision du juge des requêtes de ne pas refuser d'exercer sa compétence pour le motif que le juge qui présiderait l'enquête préliminaire prévue n'aurait pas compétence pour trancher la question de l'al. 11b). Dans les arrêts Mills et Rahey, notre Cour a examiné la question de savoir quelle juridiction pourrait constituer un tribunal compétent au sens de l'art. 24 de la Charte, qui aurait pleins pouvoirs pour accorder réparation à l'égard des violations de la Charte. Dans l'arrêt Mills, la Cour a convenu à l'unanimité que le juge qui préside une enquête préliminaire ne constitue pas un tribunal compétent pour entendre une demande de réparation fondée sur le par. 24(1) de la Charte. Dans l'arrêt Mills, le juge Lamer aux pp. 891 à 896 (dissident sur d'autres moyens) a conclu qu'en règle générale on devait préférer la juridiction de jugement comme source de compétence initiale et de surveillance pour traiter des allégations de violation de la Charte. Le juge La Forest a adopté une position semblable dans l'arrêt Mills, aux pp. 976 et 977. Cette préférence pour les tribunaux de première instance est fondée en grande partie sur le fait que ceux‑ci sont les plus aptes à entendre les témoignages oraux et ne sont pas limités à la preuve par affidavit. Toutefois, le juge Lamer (à l'avis duquel a souscrit le juge en chef Dickson) a fait remarquer qu'une cour supérieure pourrait dans des circonstances appropriées exercer sa compétence dans la mesure où le requérant peut se décharger du fardeau de démontrer que la juridiction de jugement ne constitue pas une tribune plus convenable.

Dans l'arrêt Rahey, le juge Lamer a de nouveau fait remarquer que les cours supérieures devraient généralement refuser d'exercer leur compétence pour examiner les allégations de violation de la Charte, bien qu'elles possèdent une compétence de surveillance générale pour statuer sur ces demandes. Le juge Lamer (à l'avis duquel a souscrit le juge en chef Dickson) a conclu aux pp. 603 et 604:

Dans l'arrêt Mills, on a aussi décidé que la cour supérieure devrait avoir une "compétence concurrente, permanente et complète" à l'égard des demandes fondées sur le par. 24(1). Mais on a souligné dans cet arrêt que la cour supérieure devrait refuser d'exercer cette compétence discrétionnaire, à moins que, compte tenu de la nature de la violation ou de toute autre circonstance, elle ne s'estime plus apte que la juridiction de jugement pour déterminer et accorder la réparation juste et convenable. Les exemples les plus clairs, mais non nécessairement les seuls, de cas où il faut exercer cette compétence se présentent lorsque l'affaire n'est pas encore parvenue devant la juridiction de jugement et qu'on a démontré l'opportunité de la réparation ou la nécessité d'empêcher que se poursuive une violation de droits, ou encore lorsqu'on allègue que ce sont les procédures elles‑mêmes devant le tribunal d'instance inférieure qui portent atteinte aux garanties de la Charte.

Le juge La Forest est allé plus loin et a conclu que seul le juge de procès a compétence à moins qu'il n'y en ait aucun ou qu'il soit déclaré incompétent pour une raison quelconque comme le fait d'avoir contribué au délai.

Les juges Wilson et Estey, dans l'arrêt Rahey, paraissent tous deux souscrire à la position adoptée par le juge Lamer sur ce point.

Je suis d'avis que, dans la mesure du possible, les tribunaux de première instance devraient entendre les allégations de violation de l'al. 11b). De toute évidence, il est préférable qu'un tribunal puisse se fonder sur des témoignages oraux de manière à explorer et à examiner d'une manière plus approfondie les faits sous‑tendant une allégation de délai déraisonnable. Un tribunal qui examine l'étendue du préjudice subi par suite d'un délai ou les motifs d'un délai, ne peut que profiter de l'exposé plus détaillé des faits qui résulte d'un procès complet portant sur la question. Dans le présent pourvoi, le juge des requêtes connaissait cette préférence générale pour le renvoi au juge du procès. Toutefois, le juge Darichuk a conclu que la présente affaire en était une où il devait exercer sa compétence inhérente.

Bien que le juge des requêtes n'ait pas précisé les facteurs qui l'ont amené à cette conclusion, je suis d'avis qu'il a exercé à bon escient son pouvoir discrétionnaire en acceptant d'instruire la requête. Il devait s'écouler environ quatre mois avant la date prévue pour l'ouverture de l'enquête préliminaire et, de toute façon, le juge qui aurait présidé n'aurait pas eu compétence pour examiner une allégation de violation de l'al. 11b). Si l'enquête préliminaire prévue avait entraîné un renvoi à procès, alors une autre date aurait dû être fixée pour le procès, ce qui aurait eu pour effet de repousser davantage l'occasion pour l'appelant de faire valoir son droit d'être jugé dans un délai raisonnable. Pendant cette période, il y aurait eu une aggravation de 'atteinte aux intérêts de l'appelant. Par conséquent, je suis d'avis que le juge des requêtes a eu raison d'aborder la question du délai déraisonnable.

b) Délai déraisonnable

Notre Cour s'est efforcée dans trois arrêts d'établir un critère pour déterminer s'il y a eu violation de l'al. 11b). Ce sont les arrêts Mills, précité, Rahey, précité, et R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659. En outre, la question de la pertinence du délai préalable au dépôt des accusations a été abordée dans l'arrêt R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594. Bien qu'il y ait des points de désaccord, la Cour s'est généralement entendue sur les éléments fondamentaux du critère.

Le texte de l'article est simple:

11. Tout inculpé a le droit:

. . .

b) d'être jugé dans un délai raisonnable;

Il est évident qu'un certain délai est inévitable. La question est de savoir à quel point le délai devient déraisonnable. S'il s'agissait simplement d'une question de temps, la question pourrait être facilement tranchée. En fait, on pourrait mettre au point une mesure de temps relative à certaines infractions qui pourrait être ajustée en fonction des circonstances spéciales de l'affaire. Toutefois, il s'agit non pas d'une simple question de temps, mais d'une question de temps et de plusieurs autres facteurs. Il n'y a pas de désaccord au sujet de la nature de ces facteurs fondamentaux. La Cour paraît convenir d'une manière générale qu'elle doit évaluer ou soupeser les facteurs suivants pour arriver à une conclusion:

1)la durée du délai,

2)la raison du délai, notamment les limites des ressources institutionnelles et les délais inhérents à la nature de l'affaire,

3)la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul, et

4) le préjudice causé à l'accusé.

Il existe un désaccord relativement au mécanisme d'équilibration de ces facteurs et quant aux composantes du quatrième facteur, le préjudice. Différentes opinions sont exprimées quant à savoir si le préjudice pertinent aux fins de l'al. 11b) ne découle que de l'atteinte aux intérêts de l'accusé en matière de liberté et de sécurité ou s'il peut également s'agir du préjudice causé aux intérêts de l'accusé en matière de procès équitable. De plus, en ce qui a trait aux intérêts en matière de sécurité, le juge Lamer, aux motifs duquel souscrit le Juge en chef dans l'arrêt Rahey, exprime l'avis qu'il existe une présomption irréfragable que le délai cause un préjudice à l'accusé (à la p. 609) tandis que le juge Wilson préfère le point de vue selon lequel la cour doit déduire l'existence du préjudice (à la p. 623).

En ce qui a trait au mécanisme, on ne s'entend pas sur la procédure applicable pour soupeser ces facteurs. Dans l'arrêt Conway, précité, j'ai adopté le point de vue proposé par le juge Le Dain dans l'arrêt Rahey (à la p. 616) et j'ai dit que l'accusé était tenu de démontrer l'existence à première vue d'un délai déraisonnable avant qu'on puisse demander une explication à la poursuite. Cette position n'a pas reçu l'appui de la majorité.

Je fais miens les propos suivants du juge L'Heureux‑Dubé dans l'arrêt Conway, aux pp. 1675 et 1676:

Toutefois, comme c'est le cas pour d'autres droits énoncés dans la Charte, quiconque prétend avoir été victime d'une violation de ses droits a le fardeau de persuader la cour que les circonstances relèvent du champ de protection envisagé par la disposition pertinente de la Charte. Suivant l'al. 11b) de la Charte, ce champ de protection est défini par le caractère raisonnable du délai global. Il se peut que, dans l'esprit des juges qui procèdent à l'appréciation générale du caractère raisonnable, il y ait en fait un déplacement de la charge de la preuve.

. . .

Étant donné l'importance des faits dans chaque cas où l'on invoque le caractère excessif des délais, j'estime qu'il y a lieu d'adopter une approche plus souple ou plus fonctionnelle.

Je conviens que le fardeau ultime de la preuve incombe à l'accusé. Une affaire ne sera tranchée en fonction du fardeau de la preuve que si la cour ne peut parvenir à une décision à partir des faits qui lui sont présentés. Bien que le fardeau ultime de la preuve puisse incomber à l'accusé, il peut y avoir déplacement du fardeau secondaire de présentation d'éléments de preuve ou d'arguments selon les circonstances de chaque cas. Par exemple, un long délai qui résulte d'une demande d'ajournement du ministère public exigerait normalement une explication de sa part quant à la nécessité de l'ajournement. En l'absence d'une telle explication, la cour pourrait déduire que le délai est injustifié. Il conviendrait de dire qu'un fardeau secondaire de présentation incombe au ministère public dans ces circonstances. Dans tous les cas, la cour devrait se rappeler qu'il est rarement nécessaire ou souhaitable de trancher la question en fonction du fardeau de la preuve et qu'il est préférable d'apprécier le caractère raisonnable du délai global écoulé en tenant compte des facteurs susmentionnés. Je crois que c'est ce genre de souplesse que mentionne ma collègue dans ses motifs que je viens de citer.

À mon avis, le présent pourvoi peut être réglé en se fondant sur les principes qui ont été acceptés dans les trois arrêts mentionnés. Le juge des requêtes était en mesure d'arriver à une conclusion précise sans avoir recours au fardeau de la preuve et il n'est pas nécessaire de tenter d'examiner cette question en l'espèce.

Bien que l'ordre dans lequel les divers facteurs sont traités ne revête pas nécessairement une grande importance, je vais les examiner dans l'ordre où ils sont mentionnés plus haut.

(1) La durée du délai

L'intimée a admis qu'un délai de six mois entre le dépôt de l'accusation et la tenue de l'enquête préliminaire était "à peu près normal" pour ce genre d'accusation. La période qui s'est écoulée entre la date du dépôt de l'accusation (22 janvier 1987) et les dates prévues pour la tenue de l'enquête préliminaire (10 au 14 août 1987) était plus longue d'environ un mois que la normale. L'intimée n'a pas cherché à justifier le délai ultérieur d'environ neuf mois en invoquant le temps nécessaire pour se préparer.

(2) La raison du délai

J'ai déjà dit que l'intimée n'avait pas cherché à justifier le retard en invoquant les délais inhérents à la nature de l'affaire. On a plutôt présenté les deux explications suivantes qu'on pourrait généralement qualifier comme relevant de "délais institutionnels". Les deux premières dates qui ont été proposées se situaient pendant des périodes de congé au cours desquelles aucun juge n'était disponible. Pour des motifs qui n'ont pas été exposés à notre Cour, un juge de la Cour provinciale de Winnipeg devait être saisi de l'affaire plutôt qu'un juge local de la Cour provinciale. Certes, il faut tenir compte dans une certaine mesure du fait que les exigences du système de l'administration judiciaire peuvent à l'occasion entraîner un retard dans les procédures. Toutefois, en l'absence d'une explication sur la nécessité que ce soit un juge de Winnipeg et non un juge local qui instruise l'affaire, ce motif ne peut justifier le délai.

De toute façon, le délai était surtout dû non pas à cette limitation institutionnelle, mais plutôt au désir du ministère public de fixer la date d'audience à un moment où l'agent enquêteur Schnell pourrait l'aider pendant l'audience. Une lettre de la direction des délits commerciaux de la G.R.C., en date du 6 juillet 1987, laisse entendre que la date du mois de mai a été fixée pour rendre service à l'agent Schnell. Voici le texte de cette lettre de l'inspecteur Moorlag adressée au ministère du Procureur général du Manitoba:

[TRADUCTION] Comme vous devez vous en rappeler, Me SCHACHTER est chargé des poursuites dans l'affaire mentionnée précédemment qui a fait l'objet d'une enquête menée par l'agent SCHNELL.

L'enquête préliminaire de cette affaire devait initialement avoir lieu pendant la semaine du 10 au 14 août à Dauphin. Je retiens qu'il était nécessaire d'annuler cette audience et une nouvelle date doit être fixée. Compte tenu de ce changement, je tiens à vous faire savoir que l'agent SCHNELL est temporairement affecté à des études universitaires pour l'année scolaire 1987‑1988. Me SCHACHTER a été informé de cette situation et il a indiqué qu'il en tiendrait compte en tentant de faire reporter l'affaire à une date postérieure au 30 avril 1988. Au cas où cela ne serait pas possible, je tiens à vous aviser que l'agent SCHNELL ne pourrait pas apporter son aide dans ces poursuites en raison des exigences inhérentes des études universitaires à temps plein.

Évidemment, il pourra venir témoigner. Pendant l'absence de l'agent SCHNELL, un autre agent sera chargé du présent dossier. Cet agent ne connaîtra pas à fond le dossier, mais il pourra fournir de l'aide.

Le ministère public tenait naturellement à ce que l'agent enquêteur soit présent et apporte son aide. Toutefois, il ne faut pas permettre qu'un tel désir du ministère public l'emporte sur les droits que l'al. 11b) de la Charte garantit à un particulier. Bien que je sois d'accord avec la Cour d'appel pour dire qu'aucun motif répréhensible ne peut être imputé au ministère public, cela n'est pas nécessaire pour qu'une requête fondée sur l'al. 11b) soit accueillie. La lettre mentionnée précédemment indique que l'agent Schnell aurait été disponible pour témoigner mais qu'il n'aurait tout simplement pas pu être disponible pendant toute la durée de l'audience si elle avait été fixée pendant l'année scolaire. En outre, la même lettre indique qu'un autre membre de la direction des délits commerciaux de la G.R.C. serait chargé de l'affaire. Cela laisse entendre que le ministère public ne saurait justifier ce délai par le motif que la présence de l'agent Schnell était nécessaire. Bien qu'il ne soit pas nécessaire de trancher cette question, on peut ajouter que le ministère public était peut‑être justifié de tenter de rendre service à l'agent enquêteur lorsque la date a d'abord été reportée au mois de décembre. Toutefois, étant donné qu'aucun juge n'était disponible à ce moment‑là, il incombait au ministère public de choisir une date d'audience correspondant mieux au droit de l'appelant d'être jugé dans un délai raisonnable. Le souci de rendre service à l'agent enquêteur aurait dû être secondaire à la tenue expéditive de l'enquête préliminaire.

(3) La renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul

L'intimée soutient qu'en raison de son acceptation de la date de mai 1988 pour l'enquête préliminaire, l'appelant ne peut reprocher au ministère public d'avoir causé un délai avant le dépôt de l'avis de requête le 21 décembre 1987. Cet argument est fondé sur l'hypothèse que l'appelant a renoncé à son droit d'invoquer le délai antérieur au 21 décembre comme partie intégrante du délai global.

Le juge Huband de la Cour d'appel paraît avoir accepté cet argument. Il décide (à la p. 26):

[TRADUCTION] À mon avis, l'omission de l'accusé de protester rapidement et de façon plus énergique contre l'ajournement de l'enquête préliminaire, en mai 1988, constitue un facteur important du problème. L'alinéa 11b) de la Charte ne doit pas être utilisé pour tendre un piège à la poursuite. Quand une date trop éloignée est fixée, l'accusé a une certaine obligation de demander à la cour de prendre de meilleurs arrangements et d'avertir que si ces arrangements ne sont pas pris, il fera valoir qu'il s'agit d'un délai déraisonnable.

Si on veut dire par là que l'inaction ou l'acquiescement de la part de l'accusé, ne comportant pas une renonciation, peut entraîner la déchéance des droits garantis à l'accusé par l'al. 11b), alors je ne saurais y souscrire. Certes, il faut tenir compte de la conduite d'un accusé pour évaluer l'explication donnée par la poursuite pour justifier le délai. Toutefois, il n'y a de la part de l'accusé aucune obligation d'insister pour procéder qui dégagerait le ministère public de ses obligations selon l'al. 11b).

Je ne puis non plus admettre l'argument de l'intimée selon lequel l'appelant a renoncé aux droits que lui garantit l'al. 11b). De toute évidence, Me Menzies, agissant pour le compte de l'appelant, a accepté les dates du 9 au 13 mai 1988 pour la tenue de l'enquête préliminaire après que Me Schachter l'eut informé qu'aucun juge n'était disponible pour les dates de décembre. L'acceptation d'une date par un accusé permet dans la plupart des circonstances de déduire que l'accusé renonce à son droit d'alléguer par la suite qu'il y a eu délai déraisonnable. Bien que le fait de demeurer silencieux ne constitue pas une renonciation, l'acceptation d'une date pour la tenue d'un procès ou d'une enquête préliminaire aurait généralement plus de signification que le silence. Par conséquent, en l'absence d'autres facteurs, on pourrait en déduire que l'appelant a renoncé aux droits que lui garantit l'al. 11b).

À mon avis, mis à part le fait d'avoir accepté une date, les autres actions de Me Menzies pour le compte de l'appelant écartent toute possibilité de déduire qu'il a renoncé aux droits que lui garantissait l'al. 11b) relativement à la période antérieure au 21 décembre 1987. Plutôt que d'indiquer qu'il renonçait à ses droits, l'appelant a montré qu'il désirait que les procédures se déroulent avec célérité. Le 6 juillet 1987, Me Menzies a consenti à une demande de Me Schachter d'être exempté de l'obligation de faire comparaître l'enquêteur chargé initialement de l'affaire à l'audience prévue pour le mois d'août étant donné que cet enquêteur serait en vacances à ce moment‑là. Plus importante encore est la lettre que Me Menzies a adressée à Me Schachter le 6 juillet 1987, laquelle faisait directement suite à leur entente sur le report de l'audience jusqu'en mai 1988. En voici le texte:

[TRADUCTION] Je vous remercie de votre lettre du 30 juin 1987 [qui confirme la date de l'audience en mai 1988]. Je ferai en sorte que M. Smith soit présent le 7 juillet 1987 pour fixer la nouvelle date concernant cette affaire.

Je désire exprimer mon inquiétude ainsi que la surprise et le vif regret de mon client que l'enquête préliminaire ne puisse avoir lieu avant le lundi 9 mai et la semaine suivante. Il me semble qu'il s'agit d'un délai excessif et je tiens à faire noter mon opposition à ce moment‑ci.

L'appelant pouvait difficilement informer plus clairement le ministère public qu'il ne renonçait pas aux droits que lui garantit l'al. 11b). Le ministère public n'a rien fait pour donner suite à l'opposition au délai exprimée par l'appelant. De plus, le 7 juillet 1987, les mandataires de l'appelant et de l'intimée ont comparu en Cour provinciale pour fixer la date de l'audience. Voici le texte des notes sténographiques:

[TRADUCTION] Me PETERSON [représentant de l'intimée]: Votre Honneur, en ce qui concerne M. Smith, la date avait été fixée. La section des délits commerciaux à l'extérieur de Winnipeg s'occupe de cette question à partir de notre ministère. Au départ, l'enquête préliminaire avait été fixée au mois d'août mais, apparemment, aucun juge n'était disponible pendant toute cette semaine à l'extérieur de Winnipeg. Alors, croyez‑le ou non, les nouvelles dates dont ils ont convenu sont du 9 au 13 mai 1988. Apparemment, ils fourniront un juge pendant une semaine à l'extérieur de Winnipeg et ce sont les dates les plus rapprochées pendant lesquelles un juge peut être disponible pendant une semaine.

. . .

Me SEMCHUK [représentant de l'appelant]: Votre Honneur, je puis vous dire que Me Menzies a écrit à Me Schachter au sujet du délai indu dans cette affaire, mais il faudra sans doute revenir plus tard sur cette question.

La COUR: Je suis bien de cet avis.

L'appelant a démontré qu'il n'avait pas causé l'ajournement de l'audience au mois de mai 1988 et qu'il n'y avait pas acquiescé non plus. Bien que Me Menzies ait accepté les dates, l'appelant a écarté toute présomption de renonciation qui découlerait généralement de l'acceptation d'un ajournement. Par conséquent, je ne puis faire mienne la conclusion du juge Huband selon laquelle l'appelant ne s'est pas acquitté des responsabilités qui lui incombaient en l'espèce.

(4) Le préjudice

Après avoir constaté que le délai est beaucoup plus long que ce qui peut être justifié de quelque façon acceptable, il serait vraiment difficile de conclure qu'il n'y a pas eu violation des droits que l'al. 11b) garantit à l'appelant parce que celui‑ci n'a subi aucun préjudice. Dans ce contexte particulier, la présomption de préjudice est si forte qu'il serait difficile de ne pas partager l'opinion, exprimée par le juge Lamer dans les arrêts Mills et Rahey, selon laquelle elle est pratiquement irréfragable. La question est plus difficile à trancher dans les cas où l'on recourt davantage à ce facteur parce que, autrement, il s'agit d'un cas limite. Dans de telles circonstances, l'accusé peut vouloir appuyer la présomption qu'il y a préjudice en présentant des éléments de preuve selon lesquels un préjudice inhabituel a été causé en raison de circonstances spéciales. Par ailleurs, le ministère public peut vouloir soutenir qu'il ne faudrait pas lui reprocher un délai qui n'est pas excessivement anormal parce qu'il n'y a eu qu'un préjudice minimal. Dans de telles circonstances devrait‑on empêcher l'accusé ou le ministère public de présenter des arguments ou des éléments de preuve pour démontrer l'importance réelle du préjudice? Il s'agit d'une question qui devra être tranchée, mais il n'est pas nécessaire de le faire en l'espèce pour parvenir à une décision. Dans la mesure où il est nécessaire de conclure qu'il y a eu préjudice, le juge des requêtes a conclu d'après les éléments de preuve qu'il y a eu préjudice réel. Même si le juge des requêtes a pris en considération certains facteurs non pertinents (par exemple, le stress et l'embarras causés aux membres de la famille de l'appelant), il y avait suffisamment d'éléments de preuve pertinents pour justifier sa conclusion. Je préfère sa conclusion à celle de la Cour d'appel. De toute façon, la déclaration du juge Huband citée précédemment reconnaît qu'il y a un préjudice en ce sens que [TRADUCTION] "il aura à appréhender une accusation criminelle pendant une période importante". Voilà l'essence même du préjudice causé aux droits de l'inculpé à la sécurité de sa personne. Dans l'arrêt Mills, à la p. 919, le juge Lamer dit:

En outre, en vertu de l'al. 11b), la sécurité de la personne doit être assurée aussi jalousement que la liberté de l'individu. Dans ce contexte, la notion de sécurité de la personne ne se limite pas à l'intégrité physique; elle englobe aussi celle de protection contre [TRADUCTION] "un assujettissement trop long aux vexations et aux vicissitudes d'une accusation criminelle pendante".

Par conséquent, peu importe que le préjudice soit présumé de façon concluante ou qu'on puisse en déduire l'existence, l'appelant a satisfait à toute exigence à ce chapitre.

Dispositif

Compte tenu de ce qui précède et après avoir soupesé les facteurs que j'ai mentionnés, je dois conclure qu'il y a eu atteinte au droit de l'appelant d'être jugé dans un délai raisonnable. Par conséquent, il y a eu violation de l'al. 11b). Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance de la Cour d'appel et de rétablir l'ordonnance du juge Darichuk.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l'appelant: Johnston & Company, Dauphin.

Procureur de l'intimée: Le procureur général du Manitoba, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 2 R.C.S. 1120 ?
Date de la décision : 07/12/1989
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Tribunal compétent - Cour supérieure - Délai de quinze mois entre le dépôt de l'accusation et la date fixée pour l'ouverture de l'enquête préliminaire - Allégation de la part de l'accusé qu'il y a eu violation du droit que lui garantit la Charte d'être jugé dans un délai raisonnable - Requête visant à obtenir une suspension d'instance présentée devant un juge d'une cour supérieure avant l'enquête préliminaire - La cour supérieure aurait‑elle dû refuser d'exercer sa compétence pour statuer sur la requête? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 24.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Procès dans un délai raisonnable - Délai de quinze mois entre le dépôt de l'accusation et la date fixée pour l'ouverture de l'enquête préliminaire - Y a‑t‑il eu violation du droit de l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 11b).

L'accusé a été inculpé de vol le 22 janvier 1987 et la tenue de son enquête préliminaire a, par la suite, été fixée au mois d'août. Toutefois, le ministère public a été informé en juin que les juges provinciaux ne tiendraient aucune séance spéciale pendant le mois de juillet ou le mois d'août et que l'agent enquêteur ne pourrait assister à l'enquête qu'en décembre ou après avril 1988. Le ministère public et l'avocat de la défense ont convenu de tenir l'enquête préliminaire en décembre. Mais encore une fois, ils ont été informés qu'aucun juge ne serait disponible à ce moment‑là. Ils ont alors convenu de fixer au mois de mai 1988 la nouvelle date de l'enquête préliminaire. Le 6 juillet 1987, l'avocat de la défense a écrit au ministère public pour confirmer ces arrangements et pour exprimer son inquiétude au sujet du [TRADUCTION] "délai excessif". Le 21 décembre 1987, il a présenté un avis de requête devant la cour supérieure de la province en vue d'obtenir une suspension d'instance pour le motif que le délai pour procéder à l'enquête préliminaire constituait une atteinte au droit d'être jugé dans un délai raisonnable que l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés garantissait à l'accusé. La requête a été accueillie mais cette décision a été infirmée par la Cour d'appel. Le présent pourvoi a pour but de déterminer (1) si le juge de la cour supérieure a exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire de ne pas refuser d'exercer sa compétence pour entendre la requête de l'accusé, et (2) s'il y a eu violation du droit que l'al. 11b) garantit à l'accusé.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

(1) Compétence

Dans la mesure du possible, les tribunaux de première instance devraient entendre les allégations de violation de l'al. 11b). Cette préférence pour les tribunaux de première instance est fondée en grande partie sur le fait que ceux‑ci ne sont pas limités à la preuve par affidavit et peuvent se fonder sur des témoignages oraux de manière à explorer et à examiner d'une manière plus approfondie les faits sous‑tendant une allégation de délai déraisonnable. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, le juge de la cour supérieure a bien exercé son pouvoir discrétionnaire en acceptant d'instruire la requête de l'accusé. L'enquête préliminaire ne devait débuter qu'en mai 1988 et, de toute façon, le juge qui l'aurait présidée n'aurait pas eu compétence pour examiner une allégation de violation de l'al. 11b). Si l'enquête préliminaire avait entraîné un renvoi à procès, une autre date aurait dû être fixée pour le procès, ce qui aurait eu pour effet de repousser davantage l'occasion pour l'accusé de faire valoir le droit que lui garantit l'al. 11b). Pendant cette période, il y aurait eu une aggravation de l'atteinte aux intérêts de l'accusé.

Bien que la requête de l'accusé fondée sur l'al. 11b) ait été anticipée si on considère le délai écoulé entre la date de sa requête et celle prévue pour l'ouverture de l'enquête préliminaire, le juge de la cour supérieure a eu raison d'examiner cette requête en considérant que le délai entier était déjà écoulé. La date de l'enquête préliminaire était fixe et ne pouvait pas être rapprochée à la demande de l'accusé.

(2) Procès dans un délai raisonnable

Pour déterminer s'il y a eu atteinte au droit que l'al. 11b) de la Charte garantit à un accusé, un tribunal doit soupeser les facteurs suivants pour arriver à une conclusion: (1) la durée du délai, (2) la raison du délai, notamment les limites des ressources institutionnelles et les délais inhérents à la nature de l'affaire, (3) la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul, et (4) le préjudice causé à l'accusé. Comme c'est le cas pour d'autres droits énoncés dans la Charte, quiconque prétend avoir été victime d'une violation de ses droits a le fardeau de persuader la cour que les circonstances relèvent du champ de protection envisagé par la disposition pertinente de la Charte. Suivant l'al. 11b) de la Charte, ce champ de protection est défini par le caractère raisonnable du délai global.

En l'espèce, la Cour doit conclure qu'il y a eu atteinte au droit de l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable. Le délai de quinze mois écoulé entre le dépôt de l'accusation et la date fixée pour l'ouverture de l'enquête préliminaire était beaucoup plus long que ce qui peut être justifié de quelque façon acceptable. Le délai était surtout dû non pas à une limitation institutionnelle mais plutôt au désir du ministère public de fixer la date d'audience à un moment où l'agent enquêteur pourrait l'aider pendant l'audience. Bien qu'un tel désir soit compréhensible, il ne faut pas permettre qu'il l'emporte sur les droits que l'al. 11b) garantit à un particulier. Étant donné qu'aucun juge n'était disponible en décembre, il incombait au ministère public de choisir une date d'audience correspondant mieux au droit que l'al. 11b) garantit à l'accusé. Le souci de rendre service à l'agent enquêteur aurait dû être secondaire à la tenue expéditive de l'enquête préliminaire.

L'entente intervenue entre les avocats en ce qui a trait à la date de mai 1988 pour la tenue de l'enquête préliminaire ne constituait pas une renonciation au délai antérieur au 21 décembre 1987. L'inaction ou l'acquiescement tacite de la part de l'accusé, ne comportant pas une renonciation, ne peut entraîner la déchéance du droit garanti à l'accusé par l'al. 11b). Bien qu'il faille tenir compte de sa conduite pour évaluer l'explication donnée par la poursuite pour justifier le délai, l'accusé n'est aucunement tenu d'insister pour procéder et ainsi dégager le ministère public de ses obligations selon l'al. 11b). De plus, les actions de l'avocat de la défense, mis à part le fait d'avoir accepté une date, écartent toute possibilité de déduire qu'il y a eu renonciation. Il a montré qu'il désirait que les procédures se déroulent avec célérité et a clairement exprimé son opposition au délai excessif dans sa lettre du 6 juillet 1987. Le ministère public n'a rien fait pour donner suite à l'opposition exprimée par l'avocat de la défense. Ce dernier a également démontré qu'il n'avait pas causé l'ajournement de l'audience au mois de mai 1988 et qu'il n'y avait pas acquiescé tacitement non plus. L'avocat de la défense a ainsi écarté toute présomption de renonciation qui découlerait généralement de l'acceptation d'un ajournement.

Finalement, dans la mesure où il est nécessaire de conclure qu'il y a eu préjudice en l'espèce, le juge de la cour supérieure a conclu qu'il y avait eu préjudice réel. Même s'il a pris en considération certains facteurs non pertinents, il y avait suffisamment d'éléments de preuve pertinents pour justifier sa conclusion.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Smith

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863
R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588
arrêts mentionnés: R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659
R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 11b), 24.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 294a) [abr. & rempl. 1972, chap. 13, art. 23
abr. & rempl. 1974‑75‑76, chap. 93, art. 25].

Proposition de citation de la décision: R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 1120 (7 décembre 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-12-07;.1989..2.r.c.s..1120 ?
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