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26/05/1988 | CANADA | N°[1988]_1_R.C.S._914

Canada | R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914 (26 mai 1988)


r. c. holmes, [1988] 1 R.C.S. 914

Murray Ross Holmes Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada, le procureur général du Québec et le procureur général de la Saskatchewan Intervenants

répertorié: r. c. holmes

No du greffe: 17643.

1987: 2 avril; 1988: 26 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Lamer, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1983), 41 O.R. (2d) 250, 145 D.L.R.

(3d) 689, 4 C.C.C. (3d) 440, 4 C.C.R. 222, 32 C.R. (3d) 322, qui a accueilli un appel contre un jugement du juge Clements de l...

r. c. holmes, [1988] 1 R.C.S. 914

Murray Ross Holmes Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada, le procureur général du Québec et le procureur général de la Saskatchewan Intervenants

répertorié: r. c. holmes

No du greffe: 17643.

1987: 2 avril; 1988: 26 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Lamer, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1983), 41 O.R. (2d) 250, 145 D.L.R. (3d) 689, 4 C.C.C. (3d) 440, 4 C.C.R. 222, 32 C.R. (3d) 322, qui a accueilli un appel contre un jugement du juge Clements de la Cour de comté (1982), 38 O.R. (2d) 290, 138 D.L.R. (3d) 657, 69 C.C.C. (2d) 122, 2 C.R.R. 275, qui avait annulé l'acte d'accusation inculpant l'accusé de possession d'instruments pouvant servir aux effractions de maison. Pourvoi rejeté.

1. C. Jane Arnup, pour l'appelant.

2. John Pearson, pour l'intimée.

3. G. H. McCracken, c.r., pour l'intervenant le procureur général du Canada.

4. Paul Monty et Gilles Laporte, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

5. Robert G. Richards, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Version française des motifs du juge en chef Dickson et du juge Lamer rendus par

6. Le Juge en chef—L'appelant, Murray Ross Holmes, a été accusé de possession illégale d'instruments pouvant servir aux effractions de maisons. Le paragraphe 309(1) du Code criminel prévoit que quiconque, sans excuse légitime, a en sa possession un instrument pouvant servir aux effractions de maisons, dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument a été utilisé, est destiné ou a été destiné à être utilisé dans un tel but, est coupable d'un acte criminel. Le présent pourvoi porte sur la constitutionnalité du par. 309(1). L'appelant, M. Holmes, soutient que le par. 309(1) porte atteinte à la présomption d'innocence enchâssée à l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le ministère public soutient que le par. 309(1) n'exige nullement que l'accusé démontre son innocence d'une manière qui enfreigne l'al. 11d) de la Charte.

I

Dispositions législatives et constitutionnelles

7. Avant d'examiner les faits et la procédure relatifs au présent pourvoi, il convient de citer les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes.

8. Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34 (modifié par S.C. 1972, chap. 13, art. 25):

309.(1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de quatorze ans, quiconque, sans excuse légitime dont la preuve lui incombe, a en sa possession un instrument pouvant servir aux effractions de maisons, de voûtes de sûreté ou de coffres‑forts dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument a été utilisé, est destiné ou a été destiné à être utilisé pour servir aux effractions de maisons, de voûtes de sûreté ou de coffres‑forts.

9. Charte canadienne des droits et libertés:

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

11. Tout inculpé a le droit:

...

d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

II

Les faits

10. Comme je l'ai mentionné, Murray Ross Holmes a été accusé d'avoir eu illégalement en sa possession des instruments pouvant servir aux effractions, c'est‑à‑dire, une pince‑étau et une pince, dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que ces instruments étaient destinés à être utilisés pour servir aux effractions de maisons, en contravention du par. 309(1) du Code criminel. Avant d'enregistrer un plaidoyer, l'avocat de Holmes a demandé l'annulation de l'acte d'accusation. Le juge Clements de la Cour de comté a fait droit à la requête: (1982), 38 O.R. (2d) 290.

11. En appel, la Cour d'appel de l'Ontario a infirmé l'ordonnance du juge Clements et a ordonné que la procédure sur acte d'accusation suive son cours ordinaire: (1983), 41 O.R. (2d) 250.

III

Jugements

12. Le juge Clements a annulé l'acte d'accusation pour le motif que le par. 309(1) du Code était incompatible avec la présomption d'innocence et avec l'al. 11d) de la Charte. À son avis, parce qu'il oblige seulement le ministère public à démontrer des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure qu'il y a «une» intention coupable, le par. 309(1) du Code impose à l'accusé le fardeau de démontrer d'autres circonstances également irrésistibles qui donnent raisonnablement lieu de conclure à un dessein innocent; cette démarche est contraire à la présomption d'innocence enchâssée à l'al. 11d) de la Charte.

13. Dans un arrêt unanime de la Cour d'appel de l'Ontario, le juge Lacourcière (au motif duquel les juges Weatherston et Cory ont souscrit) a conclu que le par. 309(1) n'effectue pas d'"inversion de la charge de la preuve" et par conséquent est compatible avec l'al. 11d) de la Charte. En interprétant le par. 309(1), il s'est fondé sur la déclaration suivante du juge Martin dans l'arrêt R. v. Kozak and Moore (1975), 20 C.C.C. (2d) 175 (C.A. Ont.), aux pp. 179 et 180:

[TRADUCTION] Comme il ressort de ce que j'ai déjà dit, il incombait au ministère public de démontrer: a) la possession par l'accusé des instruments précisés dans l'acte d'accusation; b) qu'ils pouvaient servir aux effractions de maisons, de voûtes de sûreté ou de coffres‑forts; c) que ces instruments ont été trouvés dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure qu'ils étaient destinés à être utilisés dans un tel but. Ce n'est qu'après que ces éléments ont été démontrés qu'il incombait à l'accusé de démontrer l'existence d'une excuse légitime pour la possession de ces instruments suivant la prépondérance des probabilités: voir Tupper v. The Queen, [1967] 1 C.C.C. 253, 63 D.L.R. (2d) 289, [1967] R.C.S. 589.

En ce qui a trait à la mention dans le par. 309(1) de l'expression "sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe", voici ce qu'a dit le juge Lacourcière (à la p. 258):

[TRADUCTION] Le fardeau de démontrer l'existence d'une excuse légitime n'est pas destiné à s'appliquer aux exigences internes si je peux élargir l'expression du juge en chef Laskin [dans l'arrêt Taraschuk c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 385, à la p. 388], c.‑à‑d. les trois éléments essentiels mentionnés précédemment, mais seulement à une excuse extrinsèque telle que "je n'étais pas sain d'esprit", "j'ai agi sous la menace", "j'étais en état d'ébriété", "j'ai agi par automatisme", etc. Ce sont clairement des excuses extrinsèques. Par ailleurs, si l'explication est la suivante: "je suis plombier" ou artisan et j'utilise des outils pouvant servir à pénétrer par effraction dans une maison, il est possible que l'excuse n'ait pas la même qualité extrinsèque. Il s'agit néanmoins d'une excuse au sens de l'article qui exige une preuve par prépondérance de preuve. Cette situation s'explique parce qu'elle est fondée sur la reconnaissance que, bien qu'il y ait des circonstances qui, même considérées de manière objective, donnaient lieu à la conclusion raisonnable requise, on ne devrait pas, en fait, tirer une telle conclusion dans les circonstances à cause de l'explication.

Le juge Lacourcière a conclu en disant (à la p. 256):

[TRADUCTION] Le paragraphe 309(1) ne soulève pas de présomption ni ne crée d'inversion de la charge de la preuve dans un sens véritable. Le ministère public doit démontrer hors de tout doute raisonnable les trois éléments essentiels mentionnés. C'est seulement à ce moment que la charge de la preuve peut être imposée à l'accusé qui doit fournir une excuse légitime suivant la prépondérance des probabilités. Le paragraphe n'exige pas que le ministère public démontre l'intention d'utiliser les instruments aux fins d'effractions de maisons. Toutefois, si on dit que la troisième exigence des circonstances, etc., crée une présomption à l'égard de l'intention de commettre une effraction, je serais prêt à dire qu'une telle intention est rationnellement liée aux faits qui doivent être démontrés et satisfait au critère énoncé dans l'arrêt R. v. Oakes [(1983), 145 D.L.R. (3d) 123 (C.A. Ont.)]

Considérant que l'annulation de l'acte d'accusation équivalait à un acquittement fondé sur une erreur de droit, le juge Lacourcière a accueilli l'appel, annulé l'ordonnance du juge Clements et ordonné la poursuite des procédures par acte d'accusation.

IV

Les questions en litige

14. Les questions constitutionnelles posées dans le présent pourvoi ont été énoncées de la manière suivante:

1. Le paragraphe 309(1) du Code criminel du Canada est‑il incompatible avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

2. Dans l'affirmative, le par. 309(1) du Code criminel du Canada est‑il justifié compte tenu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

15. Les procureurs généraux du Canada, du Québec et de la Saskatchewan sont intervenus dans le pourvoi à l'appui du ministère public intimé.

16. Pour répondre à ces questions, il faut les examiner sous trois angles. Premièrement, il faut définir le sens du par. 309(1) du Code criminel. Cette Cour doit donner un contenu précis à la disposition compte tenu de son histoire législative et jurisprudentielle. Les parties et les intervenants ont présenté tout un éventail d'interprétations contradictoires. Deuxièmement, il faut examiner les effets de l'al. 11d) de la Charte sur la disposition compte tenu de son interprétation véritable. Troisièmement, si l'on présume que la première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative, il faudra alors analyser l'effet de l'article premier de la Charte.

V

Le paragraphe 309(1) du Code criminel

17. L'avocate de l'appelant soutient que le par. 309(1) entraîne une "inversion de la charge de la preuve" et enfreint l'al. 11d) de la Charte. Elle soutient que le par. 309(1) permet au ministère public de se fonder sur des éléments de preuve qui sont également compatibles avec une explication raisonnable et innocente, parce qu'il suffit, selon l'article, que le ministère public démontre qu'une conclusion est que l'accusé avait l'intention d'utiliser les instruments pour cambrioler. Cela paraît suivre le raisonnement du juge Clements et pourrait mener à la conclusion que l'article a pour effet de réduire la norme de preuve exigée du ministère public en deçà de celle du doute raisonnable parce que les éléments de preuve compatibles à la fois avec l'intention coupable et l'intention innocente ne constitueraient pas une preuve hors de tout doute raisonnable. Pour ce qui est de l'expression "sans excuse légitime", l'avocate de l'appelant soutient que celle‑ci raffermit la conclusion selon laquelle il incombe à l'accusé de démontrer une intention innocente suivant la prépondérance des probabilités.

18. Le principal argument du ministère public intimé porte que le par. 309(1) ne crée absolument pas d'inversion de la charge de la preuve. À son avis, une telle inversion existe lorsque l'accusé est tenu de réfuter suivant la prépondérance des probabilités l'existence d'un élément essentiel d'une infraction. Dans son mémoire supplémentaire, il soutient que le but ou l'intention de l'accusé en ce qui a trait à la possession des instruments en question ne constitue pas un élément essentiel de l'infraction. En faisant sien les arguments du procureur général du Québec à cet égard, le ministère public soutient que le par. 309(1) n'exige pas que l'accusé réfute suivant la prépondérance des probabilités l'un des trois éléments essentiels de l'infraction énumérés par le juge Martin dans l'arrêt R. v. Kozak and Moore, précité. Comme tel, le par. 309(1) n'effectue pas une inversion de la charge de la preuve. Subsidiairement, le ministère public soutient que si l'intention d'un accusé constitue un élément essentiel de l'infraction, le fardeau qui lui incomberait est simplement la charge de présentation. Ainsi, l'utilisation de l'expression "raisonnablement lieu de conclure" au par. 309(1) décrit simplement [TRADUCTION] "le processus général en vertu duquel il faut déduire l'intention"; la question est essentiellement la même que dans toutes les infractions criminelles: l'accusé avait‑il réellement l'intention de se servir des instruments à des fins d'effractions de maisons? Le fardeau de démontrer l'intention, selon cet argument subsidiaire, incombe au ministère public pendant tout le procès. Pour ce qui est de l'expression "sans excuse légitime", le ministère public soutient qu'il s'agit d'un anachronisme ayant pour origine une ancienne disposition législative anglaise. Il soutient que la disposition est peut‑être superflue car elle ne crée aucun moyen de défense qui n'existe pas déjà. Les intervenants, le procureur général du Canada, le procureur général du Québec et le procureur général de la Saskatchewan, ont présenté des arguments semblables.

19. Après un examen soigneux de la question, j'arrive à la conclusion que l'intention est un élément essentiel de l'infraction et que l'article n'exige pas qu'un accusé réfute l'intention coupable suivant la prépondérance des probabilités. Il incombe au ministère public de démontrer l'intention d'utiliser l'instrument à des fins d'effractions de maisons. La mention des "circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument [. . .] a été destiné à être utilisé, pour servir aux effractions de maisons" permet, mais sans l'exiger, au jury de déduire l'intention coupable de circonstances louches. Si le jury est convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé a réellement eu l'intention de perpétrer un acte illégal, il doit arriver à cette conclusion. Par ailleurs, je suis également d'avis que l'expression utilisée au par. 309(1), savoir "sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe", impose à l'accusé un fardeau de persuasion l'obligeant à démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, l'existence d'une excuse lorsqu'il cherche à justifier ses actes malgré son intention de se servir d'un instrument aux fins d'effractions de maisons. Ce serait le cas lorsqu'un accusé cherche à obtenir un acquittement en raison d'une contrainte ou d'une autorisation de la loi. J'arrive à cette conclusion compte tenu du raisonnement de la Cour dans l'arrêt Tupper v. The Queen, [1967] R.C.S. 589, et de l'histoire législative du par. 309(1).

20. Dans l'arrêt Tupper v. The Queen, cette Cour a eu l'occasion d'examiner le par. 295(1) du Code, le prédécesseur du par. 309(1) dont voici le texte:

295.(1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de quatorze ans, quiconque, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, a en sa possession un instrument pouvant servir aux effractions de maisons, de voûtes de sûreté ou de coffres‑forts.

21. Les faits dans l'arrêt Tupper étaient les suivants: tôt un matin, un policier a arrêté une voiture dans laquelle Tupper était un passager. Il s'y trouvait divers tournevis, une lampe de poche, un pied‑de‑biche, deux bas de nylon et de nombreux vêtements. Au pourvoi devant cette Cour, Tupper a soutenu que le ministère public devait d'abord démontrer un événement, une action déclarée ou une déclaration pour identifier les outils avec un but illégal précis avant qu'il n'incombe à l'accusé de fournir une explication. Tupper s'était fondé sur le courant jurisprudentiel suivant: R. v. Smith (1957), 27 C.R. 359 (C.A.T.‑N.), R. v. Haire (1958), 29 C.R. 233 (C.A. Alb.), et R. v. McRae (1967), 50 C.R. 325 (C.A. Sask.) Certains autres arrêts représentaient un courant jurisprudentiel contraire: R. v. Gilson, [1965] 2 O.R. 505 (C.A.); R. v. Kernychne, C.A. Ont., 17 mars 1965, inédit, R. v. Singleton (1956), 115 C.C.C. 391 (C.A. Ont.), R. v. Jones (1960), 128 C.C.C. 230 (C.A.C.‑B.)

22. Le juge Judson, au nom de la Cour à la majorité dans l'arrêt Tupper, a rejeté l'argument de l'appelant et, à la p. 593, a dit:

[TRADUCTION] Une fois démontrée la possession d'un instrument pouvant servir aux effractions, le fardeau de la preuve retombe sur le prévenu qui doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il avait une excuse légitime d'avoir l'instrument en sa possession au moment et à l'endroit en question.

Le juge Hall a rédigé des motifs distincts concordants quant au résultat, mais a exprimé des inquiétudes à l'égard de la portée de l'interdiction. À la page 594 il a dit:

[TRADUCTION] Que le législateur ait eu l'intention de le faire ou non, le texte du par. 295(1) ne permet pas d'autre interprétation. Il place la personne qui possède de nombreux outils de travail, des accessoires et des outils relatifs à l'automobile et des centaines d'instruments semblables utilisés et transportés chaque jour à des fins ordinaires qui seraient susceptibles d'être utilisés à des fins d'effractions de maisons, dans la situation où le simple fait d'en être en possession dans les circonstances les plus innocentes, peut faire en sorte que cette personne soit poursuivie. En outre elle peut être tenue de démontrer qu'elle a une excuse légitime pour avoir un tournevis, une lampe de poche ou tout autre outil ou instrument à usage domestique dans sa voiture, son bateau, sa trousse à outils ou sur elle‑même à un moment ou à un endroit donné, y compris sa maison. On peut soutenir et admettre facilement que cette situation ne se présentera pas fréquemment, mais elle peut se présenter si le législateur voulait vraiment ce que prévoit l'article lorsque, sans préciser le moment ou les circonstances, il impose la charge de la preuve à la personne qui est en possession des objets qui peuvent être trouvés.

À mon avis, il convient d'attirer l'attention du législateur sur l'interprétation qui découle du texte de l'article.

23. L'arrêt Tupper appuie donc l'argument selon lequel la disposition, dans sa formulation d'alors, n'exigeait pas que le ministère public démontre hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait réellement eu l'intention d'utiliser les instruments à des fins d'effraction de maisons. Tout ce qu'il devait démontrer, c'était la possession d'un instrument susceptible d'être utilisé à une telle fin; une fois que cette preuve était faite, il incombait à l'accusé de persuader le jury qu'il avait une excuse légitime pour avoir en sa possession l'instrument en question. Depuis lors, l'arrêt Tupper a été confirmé par cette Cour dans l'arrêt R. c. Appleby, [1972] R.C.S. 303, et la même conclusion a été retenue en Angleterre en ce qui a trait à une disposition législative semblable. Voir R. v. Patterson (1961), 46 Cr. App. R. 106.

24. Il convient de souligner que le par. 295(1) ne dégageait pas le ministère public de son obligation de démontrer hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de l'infraction telle qu'elle était alors définie: c'est‑à‑dire, la possession par l'accusé d'instruments précisés dans l'acte d'accusation et que ces instruments pouvaient servir aux effractions de maisons. Toutefois, lorsque ces éléments étaient démontrés hors de tout doute raisonnable, il incombait à l'accusé de démontrer qu'il avait une "excuse légitime" suivant la prépondérance des probabilités. Par conséquent, une "excuse légitime" ne vise pas et ne tend pas à réfuter un élément de l'infraction; il s'agit plutôt d'"un facteur qui se situe à l'extérieur des exigences à rencontrer" (Taraschuk c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 385, à la p. 388). Étant donné que l'intention d'utiliser les instruments à une fin illégale ne constituait pas un élément de l'infraction dans sa formulation d'alors, l'accusé était tenu de réfuter une telle intention suivant la prépondérance des probabilités. Toutefois, le par. 295(1) imposait un fardeau de persuasion semblable à l'accusé qui admettait avoir commis une infraction et avoir l'intention d'utiliser les instruments à des fins d'effractions de maisons, mais qui cherchait à se disculper, par exemple, en se fondant sur la contrainte ou sur une autorisation de la loi. De tels moyens de défense se situaient également "à l'extérieur des exigences à rencontrer". Comme tel, ils devaient être établis suivant la prépondérance des probabilités.

25. En 1972, sans doute en réaction aux motifs du juge Hall, le législateur a modifié l'art. 309 (S.C. 1972, chap. 13) que je répète pour plus de commodité:

309.(1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de quatorze ans, quiconque, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, a en sa possession un instrument pouvant servir aux effractions de maisons, de voûtes de sûreté ou de coffres‑forts dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument a été utilisé, est destiné ou a été destiné à être utilisé, pour servir aux effractions de maisons, de voûtes de sûreté ou de coffres‑forts. [Je souligne.]

26. Cette modification a eu pour effet de faire de l'intention d'utiliser les instruments un élément essentiel de l'infraction. Le ministère public doit non seulement démontrer la possession des instruments précisés dans l'acte d'accusation et la possibilité, hors de tout doute raisonnable, qu'ils puissent servir aux effractions de maisons, mais également les "circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument a été utilisé, est destiné ou a été destiné à être utilisé, pour servir aux effractions de maisons". Le jury doit se demander si, compte tenu des circonstances, il est raisonnable de conclure que l'accusé avait l'intention d'utiliser ou a effectivement utilisé les instruments à ces fins. Une telle conclusion, dans le contexte d'une accusation criminelle, peut seulement être raisonnable lorsque le jury est convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait réellement eu l'intention d'utiliser ou a effectivement utilisé les instruments à des fins d'effractions de maisons: R. c. Cooper, [1978] 1 R.C.S. 860.

27. La modification de 1972 a donc eu pour effet d'écarter l'arrêt Tupper dans la mesure où cet arrêt avait imposé à l'accusé le fardeau de persuasion pour démontrer qu'il n'avait pas l'intention d'utiliser les instruments à des fins d'effractions de maisons. Tout fardeau qui incombe à l'accusé vis‑à‑vis d'un tel moyen de défense est purement un fardeau de présentation: en l'absence de toute preuve contraire, la preuve à charge peut être suffisamment convaincante pour appuyer la conclusion que l'accusé avait l'intention requise hors de tout doute raisonnable. Lorsque le ministère public présente une telle preuve circonstancielle, l'accusé se trouve dans la position où il serait préférable pour lui de présenter des éléments de preuve qui auraient pour effet de soulever un doute raisonnable en ce qui a trait à son intention d'utiliser les instruments à des fins d'effractions de maisons. Il n'est désormais plus obligé de persuader le jury de l'absence d'une telle intention suivant la prépondérance des probabilités, comme c'était le cas avant 1972. Si le jury a un doute raisonnable quant à l'intention de l'accusé, il ne devrait pas déduire l'intention coupable des circonstances et devrait rendre un verdict de non‑culpabilité.

28. Toutefois, bien que les modifications aient eu pour effet d'écarter la règle énoncée dans l'arrêt Tupper en ce qui a trait aux moyens de défense ou aux excuses qui permettaient de contrer la conclusion que l'accusé avait l'intention d'utiliser l'instrument à des fins d'effractions de maisons, le par. 309(1) continue d'imposer à l'accusé un fardeau de persuasion lorsqu'il admet cette intention mais invoque une justification pour ses actes, telle la contrainte ou l'autorisation de la loi. En d'autres termes, dans les circonstances où un accusé tente de soulever un moyen de défense dégageant sa responsabilité malgré la preuve d'un actus reus et d'une mens rea hors de tout doute raisonnable, le par. 309(1), comme son prédécesseur, exige toujours que l'accusé établisse une telle défense suivant la prépondérance des probabilités. Dans ces circonstances, le fardeau de persuasion incombe toujours à l'accusé.

29. J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue le juge McIntyre. Avec égards, je ne saurais être d'accord avec sa conclusion que l'expression "sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe" se limite à l'excuse légitime d'intention innocente. Je ne puis non plus dire que la modification apportée en 1972 au par. 309(1) rend toute l'expression superflue.

30. Les mots "excuse légitime" constituent une expression de nature très générale. Celle‑ci comprend normalement tous les moyens de défenses qui, en common law, constituent une raison suffisante pour dégager une personne de sa responsabilité criminelle. Elle peut aussi inclure des excuses propres à des infractions particulières. Le mot "excuse" est utilisé dans ce sens large au par. 7(3) du Code criminel, selon lequel toutes les justifications ou excuses de la common law continuent d'exister en vertu du Code. Selon l'interprétation donnée à cette disposition, les défenses de la common law ne sont pas figées dans le temps. On peut les créer et les adapter aux changements du droit et aux nouvelles infractions.

31. Il ne fait aucun doute que le législateur peut redéfinir le sens du mot "excuse", par exemple en l'élargissant pour accorder de nouvelles excuses ou des excuses propres à une infraction particulière, ou en le restreignant pour n'y inclure que certaines excuses. Ce qui est important, c'est que le législateur devrait donner des indications expresses ou implicites du changement qu'il a apporté au sens du mot "excuse" quand il l'utilise dans une loi. Autrement, on interprétera le mot selon le sens d'"excuse" en common law et au par. 7(3), soit un terme large qui permet la création de moyens de défense en fonction des changements du droit et dans le contexte d'infractions particulières. Si le législateur n'a pas indiqué qu'il a donné un sens particulier au mot "excuse", on doit lui donner le même sens qu'en vertu de la common law et du par. 7(3).

32. Dans cette optique, je ne saurais convenir que l'inclusion au par. 309(1) des termes "excuse légitime", qui comprennent normalement une série de moyens de défense, les limite à un seul et unique sens, savoir une défense de but innocent. Rien dans le texte de l'article ne laisse entendre que le législateur a restreint le concept, l'a limité ou lui a donné un sens précis. Je conclus que l'expression comprend tous les moyens de défense qui sont habituellement considérés comme des excuses légitimes. Il est bien possible que la common law en matière d'excuses soit assez souple pour permettre la création de la défense spéciale de but innocent comme exonération à une accusation portée en vertu du par. 309(1), mais je ne suis pas d'avis qu'on peut interpréter le terme général comme limité à cette seule défense.

33. Un point semblable est soulevé dans l'arrêt Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926, qui examine le sens d'une "excuse raisonnable" de refuser de donner un échantillon d'haleine aux termes des articles relatifs à la conduite avec facultés affaiblies. Le juge Laskin, plus tard Juge en chef, qui écrivait également au nom du juge Hall, a jugé que ces mots ne comprennent pas des défenses qui existeraient par ailleurs et a conclu que la dénégation du droit de consulter un avocat aux termes de la Déclaration canadienne des droits n'est pas une excuse raisonnable pour refuser de donner un échantillon d'haleine. En toute déférence pour le juge Laskin, je préfère l'opinion du juge Ritchie, qui écrivait également aux noms du juge en chef Fauteux et des juges Martland et Spence; il a conclu qu'une excuse raisonnable comprend une dénégation du droit de consulter un avocat. Le juge Ritchie semble avoir considéré que les mots "excuse raisonnable" constituent une expression générale qui peut comprendre une série d'excuses, sans distinctions fondées sur le point de savoir si une excuse avait été généralement reconnue en droit à ce titre ou était propre à l'infraction en question. (Il n'y avait pas de majorité sur ce point puisque les juges Ritchie et Laskin en venaient au même résultat alors que les juges Abbott, Judson et Pigeon, dissidents, auraient jugé que l'accusé n'était pas sous garde et qu'il n'avait donc pas le droit de consulter un avocat.)

34. Puisque je ne saurais convenir que les mots "excuse légitime" sont limités à la défense de but innocent, je ne peux souscrire à la conclusion du juge McIntyre que la modification de 1972 a rendu l'expression superflue. Puisque l'expression inclut des excuses légitimes autres que le but innocent, elle continue d'avoir un sens. Ce n'est pas seulement du remplissage. L'expression "dont la preuve lui incombe" signifie qu'un accusé qui veut soulever la défense d'excuse légitime doit la prouver selon la prépondérance des probabilités, suivant le principe énoncé dans les arrêts Tupper, précité, R. c. Appleby, précité, et R. c. Proudlock, [1979] 1 R.C.S. 525.

35. Le paragraphe 309(1) exige que l'accusé prouve une excuse légitime selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, il faut déterminer si le par. 309(1) va à l'encontre du droit d'être présumé innocent tant qu'on n'est pas déclaré coupable qui est enchâssé à l'al. 11d) de la Charte.

VI

La présomption d'innocence et l'al. 11d) de la Charte

36. Le principe fondamental de l'examen judiciaire aux termes de la Charte porte que la magistrature est chargée de veiller à ce que les législateurs ne portent pas atteinte d'une manière injustifiable à certains intérêts individuels et collectifs fondamentaux au nom d'un plus large intérêt commun. Considérée d'un certain point de vue, cette lourde responsabilité peut être interprétée comme contraire à la nature des institutions démocratiques canadiennes, dans la mesure où celles‑ci représentent la voix collective des groupes et des individus qui constituent la société canadienne. Toutefois, d'un autre point de vue, en interprétant et en définissant les garanties constitutionnelles et en déterminant ce qui constitue des limites raisonnables aux termes de l'article premier de la Charte, la Cour est guidée par le même principe pour les deux champs d'enquête: savoir, que la société canadienne doit être libre et démocratique. L'esprit des aspirations démocratiques individuelles et collectives qui entre dans le processus visant à définir le contour des garanties constitutionnelles et à déterminer si les restrictions que l'État leur impose sont raisonnables, fait donc en sorte que la Cour est et demeurera un allié de la démocratie canadienne, renforçant toute faiblesse de la démocratie en permettant à ceux qui sont exclus d'une participation démocratique égale et effective dans notre société de se faire entendre et en leur offrant une réparation.

37. Les buts sous‑jacents à la présomption d'innocence enchâssée dans l'al. 11d) de la Charte et son rapport avec une société libre et démocratique ont été examinés dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, aux pp. 119 et 120, de la manière suivante:

La présomption d'innocence est un principe consacré qui se trouve au coeur même du droit criminel. Bien qu'elle soit expressément garantie par l'al. 11d) de la Charte, la présomption d'innocence relève et fait partie intégrante de la garantie générale du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, contenue à l'art. 7 de la Charte (voir Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, le juge Lamer). La présomption d'innocence a pour effet de sauvegarder la liberté fondamentale et la dignité humaine de toute personne que l'État accuse d'une conduite criminelle. Un individu accusé d'avoir commis une infraction criminelle s'expose à de lourdes conséquences sociales et personnelles, y compris la possibilité de privation de sa liberté physique, l'opprobre et l'ostracisme de la collectivité, ainsi que d'autres préjudices sociaux, psychologiques et économiques. Vu la gravité de ces conséquences, la présomption d'innocence revêt une importance capitale. Elle garantit qu'un accusé est innocent tant que l'État n'a pas prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Voilà qui est essentiel dans une société qui prône l'équité et la justice sociale. La présomption d'innocence confirme notre foi en l'humanité; elle est l'expression de notre croyance que, jusqu'à preuve contraire, les gens sont honnêtes et respectueux des lois.

Ainsi, la présomption d'innocence est une valeur profondément enracinée dans la trame de l'histoire juridique canadienne. Il s'agit dès lors de la manifestation d'un engagement social envers la justice et de l'indication d'une sensibilité envers la tyrannie possible de l'État. Le droit d'être présumé innocent tant qu'on n'a pas été déclaré coupable de l'infraction criminelle dont on est accusé est conforme au respect et à l'égard dus à chacun en raison de son droit fondamental à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Comme tel, il s'agit en même temps de l'expression juridique d'un rapport entre l'individu et la société et d'une reconnaissance de la nécessité de la primauté du droit.

38. La jurisprudence et la doctrine canadiennes et internationales sur la présomption d'innocence et son rapport avec une disposition portant "inversion de la charge de la preuve" ont été examinées de manière approfondie dans l'arrêt Oakes et il suffit de rappeler que, quant à la présomption, le contenu minimal du droit d'être présumé innocent tant qu'on n'a pas été déclaré coupable comporte trois volets. Premièrement, la culpabilité doit être établie hors de tout doute raisonnable. Deuxièmement, c'est à l'État qu'incombe la charge de la preuve. Troisièmement, les poursuites criminelles doivent se dérouler de manière conforme aux procédures légales et à l'équité (R. c. Oakes, à la p. 121). Quant au rapport entre la présomption d'innocence et une disposition portant "inversion de la charge de la preuve", on lit aux pp. 132 et 133:

Je crois que, d'une manière générale, on doit conclure qu'une disposition qui oblige un accusé à démontrer selon la prépondérance des probabilités l'inexistence d'un fait présumé qui constitue un élément important de l'infraction en question, porte atteinte à la présomption d'innocence de l'al. 11d). S'il incombe à l'accusé de réfuter selon la prépondérance des probabilités un élément essentiel d'une infraction, une déclaration de culpabilité pourrait être prononcée en dépit de l'existence d'un doute raisonnable. Cela se présenterait si l'accusé produisait une preuve suffisante pour soulever un doute raisonnable quant à sa culpabilité, mais ne parvenait pas à convaincre le jury selon la prépondérance des probabilités que le fait présumé est inexact.

39. En même temps, il faut souligner que la présomption d'innocence n'est pas violée seulement lorsqu'un accusé est tenu de réfuter un élément essentiel de l'infraction. Le fait que l'inversion de la charge de la preuve qui entraîne ce résultat va à l'encontre de l'al. 11d) a été établi clairement dans l'arrêt Oakes. Toutefois, en limitant l'al. 11d) au fait de déterminer si un élément fait partie intégrante d'une infraction ou lui est extrinsèque, on perdrait de vue le fait que, étant donné les graves conséquences sociales et personnelles qui découlent d'une conclusion de responsabilité criminelle, le droit en exige une preuve hors de tout doute raisonnable. Tout fardeau incombant à un accusé dont l'effet est d'imposer une déclaration de culpabilité malgré la présence d'un doute raisonnable, que ce fardeau se rapporte à la preuve d'un élément essentiel de l'infraction ou à un élément extrinsèque à l'infraction mais néanmoins essentiel au verdict, enfreint l'al. 11d) de la Charte. L'accusé ne doit pas être placé dans une position où il est tenu de faire plus que soulever un doute raisonnable quant à sa culpabilité, peu importe que ce doute découle d'une incertitude relative à la suffisance de la preuve à charge à l'appui des éléments constitutifs de l'infraction ou d'une incertitude quant à la culpabilité criminelle en général.

40. Là encore, je dois dire avec égards que je ne suis pas d'accord avec le juge McIntyre qui fait valoir qu'il n'y a pas de violation de la présomption d'innocence même si l'accusé est tenu de prouver une excuse légitime. Il n'est pas possible de dire que la poursuite a présenté une preuve hors de tout doute raisonnable quand elle a produit toute sa preuve, pas plus qu'il est possible de dire qu'elle a surmonté la présomption d'innocence quand elle clôt sa preuve. La présomption d'innocence ne peut pas être réfutée au milieu du procès. Elle continue de s'appliquer tout le long, jusqu'au jugement définitif du juge des faits. Le juge des faits ne peut jamais décider que la culpabilité a été prouvée hors de tout doute raisonnable jusqu'à ce qu'il ait entendu toute la preuve. C'est seulement lorsque toute la preuve a été présentée que le juge des faits peut décider si la présomption d'innocence a été surmontée et la culpabilité prouvée hors de tout doute raisonnable.

41. L'argument que la poursuite peut réfuter la présomption d'innocence en présentant simplement sa preuve a une grave conséquence, soit que l'accusé pourrait être obligé en droit de présenter une preuve en défense ou de faire face à une condamnation. En common law, l'accusé n'est jamais obligé de présenter de preuve. Si la poursuite présente sa preuve et que la défense n'en présente pas, le juge des faits peut prononcer une déclaration de culpabilité, mais il n'est jamais obligé de le faire. Le fait que le juge des faits soit saisi de la preuve ne signifie pas que la culpabilité ait été prouvée; cela signifie seulement que la poursuite a présenté assez de preuves pour qu'on doive l'examiner. Un acquittement est toujours possible. Mais l'accusé ne pourrait pas obtenir un acquittement parce que le jury serait obligé de le déclarer coupable même s'il avait un doute raisonnable relativement à l'utilisation réelle ou possible de ces instruments par l'accusé.

42. Selon le principe fondamental de la common law, l'accusé n'est pas tenu de prouver une défense. Dès qu'un accusé soulève la possibilité de l'existence d'une défense, que ce soit en utilisant certains faits de la preuve à charge ou en présentant une preuve en défense, la poursuite est tenue de réfuter la défense hors de tout doute raisonnable. La common law ne fait pas de distinction dans ce domaine entre les défenses qui contestent l'existence d'un élément nécessaire de l'infraction et celles qui admettent la mens rea et l'actus reus, mais nient la responsabilité criminelle à cause de circonstances qui excusent ou justifient la conduite. Dans les deux cas, tout ce que l'accusé a besoin de faire, c'est d'indiquer certaines preuves qui appuient la défense. La poursuite doit alors réfuter la défense hors de tout doute raisonnable. On peut trouver des exemples de ce principe dans les arrêts Latour v. The King, [1951] R.C.S. 19, qui a décidé que la poursuite doit réfuter la provocation et la légitime défense une fois ces défenses soulevées par l'accusé; Linney c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 646, qui réitère que la poursuite a la charge de réfuter la provocation, et Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, qui a jugé que la poursuite doit réfuter la défense de nécessité hors de tout doute raisonnable. À la lumière de la façon dont la common law envisage la charge de la preuve pour ces défenses, je pense qu'imposer à l'accusé de prouver des défenses qui excusent sa conduite violerait la présomption d'innocence.

43. À mon avis, le par. 309(1) est contraire à la présomption d'innocence. Si un accusé a une excuse légitime, l'article, selon son propre texte, lui impose le fardeau de la prouver. Strictement parlant, le par. 309(1) ne constitue pas une disposition portant "inversion de la charge de la preuve" car il ne présume pas un élément essentiel de l'infraction, mais comme il exige que l'accusé prouve certaines défenses suivant la prépondérance des probabilités, "une déclaration de culpabilité pourrait être prononcée en dépit de l'existence d'un doute raisonnable" (R. c. Oakes, à la p. 132). Bien que l'al. 11d) de la Charte n'impose pas au ministère public le fardeau de démontrer au départ l'absence de toute défense concevable, il exige néanmoins que, lorsque les faits présentés par le ministère public ou par l'accusé soulèvent d'une manière suffisante la possibilité d'une défense réussie, l'accusé n'ait plus qu'à soulever un doute raisonnable. Le paragraphe 309(1) exige que l'accusé présente une preuve suivant la prépondérance des probabilités. Il en découle que le par. 309(1) constitue une violation de l'al. 11d) de la Charte.

VII

L'article premier de la Charte

44. Le ministère public intimé adopte par ailleurs les arguments du procureur général du Canada et du procureur général du Québec en ce qui a trait à l'article premier de la Charte. Le procureur général du Canada soutient que le par. 309(1) du Code, en supposant qu'il enfreigne l'al. 11d) de la Charte, est justifié aux termes de l'article premier, car il vise à accomplir un objectif fédéral valide, il ne porte atteinte au droit que dans la mesure où cela est jugé nécessaire pour la protection de la société et il n'est pas arbitraire ou injuste dans son application. Bref, il soutient que la disposition, interprétée dans le contexte de la nécessité de protéger la société, représente une réponse proportionnée à l'incidence des infractions contre les biens comportant des effractions. Le procureur général du Québec et le procureur de la Saskatchewan ont présenté des arguments semblables. L'appelant conteste ces arguments et soutient premièrement, que bien que l'objectif du par. 309(1), l'élimination des vols avec effraction dans les maisons et les coffres‑forts, ne représente pas un objectif insignifiant, il n'est pas d'une importance si considérable qu'il justifie la violation d'un droit aussi fondamental que la présomption d'innocence. Il soutient donc que l'objectif social que l'on cherche à atteindre ne justifie pas la violation de l'al. 11d). Deuxièmement, l'appelant soutient que l'imposition d'un fardeau de présentation atteindrait le même but du point de vue social et, de manière concomitante, éviterait la condamnation d'un accusé qui a soulevé un doute quant à sa culpabilité mais qui n'a pas pu satisfaire à une norme de preuve suivant la prépondérance des probabilités.

45. Dans l'arrêt Oakes, cette Cour a énoncé les principes d'interprétation applicables pour déterminer quand la violation d'une liberté ou d'un droit constitutionnels est justifiée aux termes de l'article premier de la Charte en tant que limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique (aux pp. 138 et 139):

Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux critères fondamentaux. En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, doit être "suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution": R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. La norme doit être sévère afin que les objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocratique ne bénéficient pas de la protection de l'article premier. Il faut à tout le moins qu'un objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important.

En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'application d'"une sorte de critère de proportionnalité": R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme "suffisamment important".

46. Comme je l'ai souligné, l'intimée et les intervenants ont tous soutenu que la prévention des effractions constituait un objectif suffisamment important et urgent pour justifier la violation du droit accordé par l'al. 11d) d'être présumé innocent tant qu'on n'est pas déclaré coupable de l'infraction dont on est accusé. De manière plus précise, le procureur général du Canada a soutenu que la fréquence des effractions est très élevée au Canada et que l'arrestation du cambrioleur en possession des outils associés avec son activité illégale représente un objectif social important et significatif. On a souligné les statistiques démontrant que l'introduction par effraction figure au deuxième rang, après le vol de biens valant moins de 200 $ parmi les infractions les plus courantes contre les biens (Statistiques Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique de la criminalité du Canada, 1985 (Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1986), tableau 2). Ces statistiques font également ressortir un faible taux de résolution des infractions contre les biens en général et des introductions par effraction en particulier. En 1985, l'infraction d'introduction par effraction a obtenu l'un des plus faibles taux de résolution de toutes les infractions contre les biens, soit de 78,2 p. 100. (Statistique de la criminalité du Canada, 1985, à la p. 46). Il s'est également fondé sur le document de travail no 48 de la Commission de réforme du droit du Canada, L'intrusion criminelle (1986), qui, à la p. 1, résume l'intérêt que la société porte à la répression des infractions contre les biens:

Ce n'est pas sans raison que l'on associe généralement le "cambrioleur" au type même du criminel. L'introduction par effraction fait partie de ces infractions qui semblent toucher chacun d'entre nous. En effet, il est rare de nos jours de trouver quelqu'un qui n'a pas lui‑même été victime d'un cambriolage, ou qui ne connaît pas quelqu'un d'autre qui l'a été. De fait, dans les statistiques policières, l'introduction par effraction figure de façon continue au deuxième rang, après le vol de biens valant moins de 200 $, parmi les infractions contre les biens les plus courantes. Or, cet état de choses ne saurait être pris à la légère si l'on tient compte du fait que de toutes les infractions prévues au Code criminel qui sont dénoncées, les deux‑tiers sont des infractions contre les biens.

Cela dit, l'aspect le plus grave de l'introduction par effraction est sans doute son caractère inquiétant pour la victime, surtout si l'infraction est commise au domicile de celle‑ci. En effet, lorsqu'un intrus s'introduit dans la demeure, dans l'espace privé d'une personne, celle‑ci peut se sentir effrayée, outragée, insultée et indignée. L'intrusion apparaît en quelque sorte comme une agression. Et des études ont confirmé que [TRADUCTION] "c'est la violation de son espace personnel, bien plus que la perte financière pourtant évidente, qui est perçue comme une menace personnelle par la victime". La perte financière peut toujours être réparée par le produit d'une assurance, mais rien, en revanche, ne peut compenser le sentiment de peur, d'affront, de colère et d'insécurité qu'une personne peut éprouver à la suite de l'atteinte ainsi portée à sa vie privée.

47. Bien que je ne désire pas diminuer l'urgence et l'importance de réprimer ce genre d'activité illégale et présumant qu'il est suffisamment important pour justifier la restriction de libertés fondamentales protégées constitutionnellement par la Charte, je suis d'avis que le par. 309(1) ne peut, en aucun cas, être justifié aux termes de l'article premier étant donné que la disposition ne satisfait pas au critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt R. c. Oakes tel qu'il s'applique aux violations du droit garanti par l'al. 11d) d'être présumé innocent tant qu'on n'est pas déclaré coupable.

48. Il y a deux raisons à cela. Premièrement, même si on présume qu'il y a un fondement rationnel pour établir une distinction entre les moyens de défense, le par. 309(1) ne porte pas "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté en question (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 352). Le législateur aurait pu adopter un article qui n'aurait pas eu pour effet d'entraîner la déclaration de culpabilité d'une personne qui soulève à son procès un doute raisonnable quant à sa culpabilité mais qui est incapable de démontrer son innocence suivant la prépondérance des probabilités. En d'autres termes, compte tenu des circonstances entourant ce genre d'infraction et de l'objectif de la répression des crimes contre les biens, le législateur aurait pu imposer simplement à l'accusé le fardeau de présentation d'éléments de preuve soulevant un doute raisonnable quant à sa culpabilité, comme il l'a fait en 1972 en ce qui a trait aux moyens de défense qui empêchent de conclure que l'accusé avait l'intention d'utiliser les instruments à des fins d'effractions de maisons.

49. Deuxièmement, je suis d'avis que le par. 309(1) ne satisfait pas au critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt R. c. Oakes en raison des effets néfastes qui résultent de l'imposition à l'accusé du fardeau de persuasion relativement à une infraction criminelle rendant illégale la possession de l'outil le plus inoffensif. Le principe selon lequel les personnes innocentes ne doivent pas être punies est le fondement normatif de l'exigence de la preuve hors de tout doute raisonnable. Il est vrai que les modifications de 1972 ont réduit les risques que des personnes innocentes soient déclarées coupables, mais, à mon avis, les inquiétudes du juge Hall dans l'arrêt Tupper v. The Queen demeurent valables. Le paragraphe 309(1) inclut et rend possible l'emprisonnement de personnes innocentes. Compte tenu de la gamme de mécanismes législatifs auxquels le législateur peut recourir, cet effet est trop néfaste pour être justifié comme limite raisonnable aux termes de l'article premier de la Charte. En somme, la disposition exige que l'on paie un prix trop élevé pour qu'elle soit justifiée dans une société libre et démocratique. Comme le juge Lamer l'a dit dans l'arrêt Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, à la p. 513:

Depuis des temps immémoriaux, il est de principe dans notre système juridique qu'un innocent ne doit pas être puni. Ce principe est depuis longtemps reconnu comme un élément essentiel d'un système d'administration de la justice fondé sur la foi en la dignité et la valeur de la personne humaine et en la primauté du droit.

Pour les motifs que j'ai donnés précédemment, je suis d'avis que le par. 309(1) du Code criminel accorde une protection insuffisante à un accusé qui doit faire face à la possibilité d'être exclu de la société et privé de sa liberté par suite d'une déclaration de culpabilité. Il en découle que le par. 309(1) du Code n'est pas justifié aux termes de l'article premier de la Charte.

50. Ceci n'amène cependant pas à la conclusion que tout le par. 309(1) est nul. Supprimer les termes "dont la preuve lui incombe" de la disposition éliminerait la possibilité de condamner un accusé qui a une excuse légitime pour ses actes, mais ne peut la prouver suivant la prépondérance des probabilités. Comme je l'ai dit plus tôt, bien que l'al. 11d) de la Charte n'impose pas au ministère public le fardeau de démontrer au départ l'absence de toute défense concevable, il exige néanmoins que lorsque les faits soulèvent de manière suffisante la possibilité d'une défense réussie, l'accusé n'ait plus qu'à soulever un doute raisonnable quant à sa culpabilité. J'ordonnerais donc que les termes en question soient retranchés de sorte qu'un accusé ne supporte que le fardeau de présentation à cet égard. Comme l'appelant n'a pas encore été poursuivi en vertu du par. 309(1), je suis d'avis de rejeter le pourvoi et d'ordonner que la procédure par acte d'accusation suive son cours conformément au par. 309(1) sans que l'accusé ait à supporter le fardeau de persuasion pour prouver une excuse légitime.

VIII

Conclusion

51. Le juge Clements a conclu à bon droit que le par. 309(1) du Code criminel du Canada viole l'al. 11d) de la Charte. En outre, le par. 309(1) ne peut être justifié aux termes de l'article premier. Par conséquent, les questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes:

1.Le paragraphe 309(1) du Code criminel du Canada est‑il incompatible avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse:Oui, dans la mesure où les mots "dont la preuve lui incombe" imposent à l'accusé le fardeau de persuasion pour établir une "excuse légitime" selon la prépondérance des probabilités.

2.Dans l'affirmative, le par. 309(1) du Code criminel du Canada est‑il justifié compte tenu de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Réponse:Non, dans la mesure où les mots "dont la preuve lui incombe" imposent à l'accusé le fardeau de persuasion pour établir une "excuse légitime" selon la prépondérance des probabilités.

52. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs des juges McIntyre et Le Dain rendus par

53. Le juge McIntyre—J'ai lu les motifs de jugement de mon collègue, le Juge en chef. Il y expose les faits et les questions en litige, ainsi que les positions qu'ont adoptées les parties devant cette Cour. Je ne puis cependant souscrire entièrement à ses motifs ni à ses réponses aux questions constitutionnelles posées en l'espèce. Selon moi, et en cela je partage globalement l'opinion de la Cour d'appel, il est impossible de conclure à l'incompatibilité de l'art. 309 du Code criminel avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Par conséquent, je suis d'avis de répondre à la première question par la négative. Il n'est donc pas nécessaire de répondre à la seconde et je rejetterais le pourvoi.

54. Le paragraphe 309(1) du Code criminel dispose:

309. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, quiconque, sans excuse légitime dont la preuve lui incombe, a en sa possession un instrument pouvant servir à pénétrer par effraction dans un endroit, un véhicule à moteur, une chambre‑forte ou un coffre‑fort dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument a été utilisé, est destiné ou a été destiné à être utilisé dans un tel but.

L'autre disposition pertinente, l'al. 11d) de la Charte, porte:

11. Tout inculpé a le droit:

...

d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

L'infraction prévue par l'art. 309 remonte à une loi anglaise du milieu du dix‑neuvième siècle. Cette infraction a été reprise dans le Code criminel du Canada de 1892 et, ayant été modifiée, était ainsi formulée à l'art. 295 du Code de 1953‑54:

295. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de quatorze ans, quiconque, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, a en sa possession un instrument pouvant servir aux effractions de maisons, de voûtes de sûreté ou de coffres‑forts.

Des modifications de 1972 et 1985 ont donné à l'article, qui porte maintenant le numéro 309, sa forme actuelle par l'ajout des mots suivants:

...dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument a été utilisé, est destiné ou a été destiné à être utilisé dans un tel but.

La modification de 1972 ajoutait un élément de plus que le ministère public doit prouver. Répondant à l'observation du juge du procès selon lequel les mots en question étaient ambigus et, partant, contraires à la Charte, le juge Lacourcière, parlant au nom de la Cour d'appel unanime (1983), 41 O.R. (2d) 250 (les juges Lacourcière, Weatherston et Cory), affirme, à la p. 255:

[TRADUCTION] Par l'ajout des mots contestés le législateur se trouvait en réalité à préciser les critères législatifs de l'acte criminel lorsque les circonstances de la possession d'instruments pouvant servir aux effractions de maisons, qui sont également susceptibles d'une utilisation innocente, donnent lieu à la conclusion incriminante. Le ministère public s'est vu imposer l'obligation supplémentaire de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait les instruments en sa possession dans des circonstances qui donnaient raisonnablement lieu de conclure que ces instruments étaient destinés à être utilisés dans un tel but. Je ne puis retenir le point de vue du juge du procès, selon lequel les circonstances incriminantes devant être prouvées par le ministère public sont exprimées en termes ambigus.

Je souscris entièrement à l'opinion exprimée dans ce passage.

55. Les modifications apportées en 1972 et en 1985 au par. 309(1) du Code criminel revêtent une importance fondamentale en l'espèce et, à mon avis, enlèvent quasiment toute importance à une bonne partie de ce qui a été dit dans la jurisprudence sur les dispositions antérieures. Le paragraphe 309(1) crée une infraction complète, savoir celle d'avoir en sa possession un instrument pouvant servir à pénétrer par effraction dans un endroit, un véhicule à moteur, une chambre forte ou un coffre‑fort dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument a été utilisé, est destiné ou a été destiné à être utilisé dans un tel but. Le ministère public, s'il veut obtenir une déclaration de culpabilité en vertu de cet article, doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l'infraction. La charge de la preuve incombant au ministère public a été énoncée avec justesse par le juge Martin dans l'arrêt R. v. Kozak and Moore (1975), 20 C.C.C. (2d) 175 (C.A. Ont.), qui parlait au nom de la Cour d'appel composée également des juges Kelly et Lacourcière, aux pp. 179 et 180:

[TRADUCTION] Comme il ressort de ce que j'ai déjà dit, il incombait au ministère public de démontrer: a) la possession par l'accusé des instruments précisés dans l'acte d'accusation; b) qu'ils pouvaient servir aux effractions de maisons, de voûtes de sûreté ou de coffres‑forts; c) que ces instruments ont été trouvés dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure qu'ils étaient destinés à être utilisés dans un tel but.

Pour se décharger du fardeau lui incombant, le ministère public doit présenter à la cour une preuve prima facie, c'est‑à‑dire une preuve qui se rapporte à chaque élément de l'infraction d'une nature telle que, si le juge des faits y ajoute foi et qu'elle ne soit pas réfutée, justifie une déclaration de culpabilité. L'appelant a fait valoir que l'article en question, du fait qu'il dispose qu'on doit avoir un instrument en sa possession dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure à la culpabilité, permet de fonder un verdict de culpabilité sur une preuve moindre que la preuve hors de tout doute raisonnable. Je rejette cet argument. Le seul sens possible de l'expression "donnent raisonnablement lieu de conclure" (à la culpabilité), lorsqu'elle est employée dans une disposition criminelle, est une conclusion qui, selon la norme criminelle de la preuve hors de tout doute raisonnable, justifierait un verdict de culpabilité en l'absence d'une preuve contraire ou d'une explication. Dans le contexte criminel, une conclusion de culpabilité n'est pas raisonnable tant qu'il subsiste un doute raisonnable. La preuve requise par l'article en cause doit se faire sans le bénéfice d'une présomption à l'encontre de l'accusé. Celui‑ci n'est rien tenu de prouver, quoique, suivant la force de la preuve du ministère public, il puisse courir un grand danger de se voir reconnu coupable s'il ne produit aucune preuve pour sa défense ou s'il ne répond pas à la preuve du ministère public. À cet égard, la situation de l'accusé aux fins de l'art. 309 du Code criminel ne diffère aucunement de celle d'une personne inculpée d'une autre infraction.

56. On a soutenu en outre que l'expression "sans excuse légitime dont la preuve lui incombe" au par. 309(1) du Code criminel constituait une clause portant inversion de la charge de la preuve qui obligeait l'accusé, contrairement à l'al. 11d) de la Charte, à prouver son innocence. En d'autres termes, elle le privait du bénéfice de la présomption d'innocence. À mon avis, l'expression en question n'opère aucune inversion de la charge de la preuve. Certes, elle peut avoir cet effet dans certaines circonstances, mais on ne saurait prétendre qu'il en est ainsi dans le contexte du par. 309(1) du Code criminel, où le ministère public doit produire devant la cour des preuves complètes justifiant une déclaration de culpabilité, sans quoi cette expression ne joue pas. Elle peut donc être considérée comme rien d'autre qu'une reconnaissance du droit de présenter une pleine réponse et défense que le par. 577(3) du Code criminel confère à l'accusé. Il ne s'agit pas d'une disposition semblable à l'al. 241(1)a) du Code criminel qui porte qu'un accusé qu'on trouve occupant la place ordinairement occupée par le chauffeur est réputé avoir la garde ou le contrôle du véhicule en question. Il ne s'agit pas non plus d'un cas comme celui visé par l'art. 8 de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1 (disposition jugée invalide par cette Cour dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103) qui permettait, sur déclaration de culpabilité d'une infraction (possession d'un stupéfiant), de rendre un verdict de culpabilité d'une infraction tout à fait différente (possession d'un stupéfiant pour en faire le trafic), à moins que l'accusé ne prouve qu'il n'avait pas l'intention d'en faire le trafic. On peut donc se demander pourquoi l'expression en cause a été incluse dans la Loi et à quoi elle sert.

57. À mon avis, avant la modification de 1972 entraînée par l'arrêt Tupper, on aurait répondu que l'expression "sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe" a été incluse dans l'article afin qu'on puisse se prévaloir du moyen de défense du but innocent qui, à défaut de cette clause, ne pourrait pas être invoqué par un accusé parce que, selon le texte de l'ancien article, l'infraction était complète indépendamment du but visé. À cet égard, je me réfère aux propos qu'a tenus le juge Laskin (plus tard Juge en chef) dans l'arrêt Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926, à la p. 950, où, dans des motifs concordants sur ce point, il dit concernant l'interprétation à donner à l'expression "sans excuse raisonnable" figurant dans ce qui est maintenant le par. 238(5) du Code criminel:

...le juge de première instance a décidé qu'en droit, le fait de ne pas accéder à la demande de l'accusé de consulter un avocat avant qu'il accepte de donner un échantillon d'haleine ne lui fournit pas une excuse raisonnable pour refuser de donner cet échantillon.

Je souscris à cette décision du juge de première instance parce que j'interprète l'expression "sans excuse raisonnable" comme ajoutant, à titre de motif du rejet d'une poursuite, un moyen de défense ou d'irrecevabilité qui ne serait pas disponible en son absence, et parce que je n'interprète pas cette expression comme visant des moyens de défense ou d'irrecevabilité qui existent même en l'absence de cette expression. Par exemple, le droit à l'immunité diplomatique vis‑à‑vis du droit criminel interne existe même en l'absence de l'expression "sans excuse raisonnable"; de même, à mon avis, si l'art. 2(c)(ii) de la Déclaration canadienne des droits établit un moyen d'irrecevabilité, celui‑ci ne dépend pas de l'existence de l'expression en question. En fait, il serait étrange que l'effet de l'immunité ci‑dessus mentionnée ou de la Déclaration canadienne des droits soit vicié par l'abrogation de l'expression "sans excuse raisonnable". [Je souligne.]

La Cour d'appel de l'Ontario s'est appuyée sur les mots soulignés dans le passage reproduit ci‑dessus en interprétant l'expression "sans justification ou excuse légitime" employée à l'art. 408 du Code criminel dans l'arrêt R. v. Santeramo (1976), 32 C.C.C. (2d) 35, à la p. 44, motifs du juge Brooke (l'autorisation de pourvoi devant cette Cour a été accordée, mais il y a eu désistement avant l'audience). Toutefois quand l'article a été modifié en 1972 de manière à faire de l'intention de se servir de l'instrument pour s'introduire par effraction dans une maison un élément essentiel de l'infraction, l'expression "sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe" est devenue superflue. D'un moyen de défense que l'accusé devait prouver pour démontrer son innocence, l'usage qu'il entendait faire des instruments a été transformé en élément essentiel de l'infraction, que le ministère public est tenu de prouver hors de tout doute raisonnable afin d'établir la culpabilité de l'accusé. Par conséquent, l'expression a été vidée de son sens primitif et, si elle a été conservée dans l'article, c'est probablement par précaution.

58. Le Juge en chef pour sa part a adopté le point de vue selon lequel l'expression en question n'a pas perdu son sens, mais qu'elle englobe les excuses générales de common law, telles que la contrainte et l'autorisation de la loi, qui, à son avis, doivent toujours être établies par l'accusé selon la prépondérance des probabilités. Je ne puis en toute déférence souscrire à son avis. Je fais mien ce qu'a dit le juge Laskin dans l'arrêt Brownridge, précité. L'expression "sans excuse légitime" ne comprend pas les excuses ou les justifications qui existeraient si cette expression était omise de l'article et ne nécessite donc pas que l'accusé en fasse la preuve. De toute évidence, si cette expression était omise dans le Code, l'accusé pourrait continuer à se prévaloir des excuses générales de common law comme la contrainte ou l'autorisation de la loi. De la conclusion que ces excuses générales de common law échappent à la portée de l'expression "sans excuse légitime" découle une autre conclusion, savoir que ces excuses n'ont pas à être prouvées selon la prépondérance des probabilités, car elles ne sont pas visées par l'expression "dont la preuve lui incombe". Il s'ensuit que ces excuses peuvent, et ont toujours pu, être alléguées par un accusé relativement à l'infraction en cause exactement de la même manière qu'elles peuvent être invoquées dans le cas de n'importe quelle autre infraction criminelle: si l'accusé parvient à faire naître un doute raisonnable, il a le droit d'être acquitté.

59. En tout état de cause, même en retenant la proposition avancée par le Juge en chef suivant laquelle, "dans les circonstances où un accusé tente de soulever un moyen de défense dégageant sa responsabilité malgré la preuve d'un actus reus et d'une mens rea hors de tout doute raisonnable [par exemple, la contrainte ou l'autorisation de la loi], le par. 309(1), comme son prédécesseur, exige toujours que l'accusé établisse une telle défense suivant la prépondérance des probabilités", cette exigence ne constituerait nullement une violation de l'al. 11d) de la Charte, qui garantit le droit d'être présumé innocent tant qu'on n'est pas déclaré coupable conformément à la loi. Les défenses ou les excuses de ce genre ne peuvent être invoquées que dans une situation où l'infraction a été prouvée: voir Bergstrom c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 539, à la p. 544, et voir en outre Mewett et Manning, Criminal Law (2nd ed. 1985), à la p. 194. De fait, comme je l'ai déjà dit, le Juge en chef s'est seulement occupé de ces cas.

60. Donc, lorsque, comme en l'espèce, la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable sans le bénéfice d'une présomption avant de soulever un moyen de défense, il n'y a pas de violation de l'al. 11d) de la Charte. On n'est pas privé du bénéfice de la présomption d'innocence. Elle a simplement été renversée par une preuve conforme à la loi ou par des aveux de l'accusé, et c'est de ce fait que dépend le moyen de défense ou l'excuse dont on cherche à se prévaloir. Si, après avoir invoqué une telle défense, l'accusé est déclaré coupable, ce n'est pas parce qu'on l'a présumé coupable ou que la perpétration de l'infraction n'a pas été établie, mais parce que son excuse a été rejetée après qu'on ait prouvé la perpétration de l'infraction. L'accusé qui soulève une telle défense ou excuse ne demande pas d'être dégagé de sa responsabilité parce qu'il n'est pas coupable. Il le demande bien qu'il ait commis l'infraction. Il convient peut‑être de faire remarquer que l'art. 17 du Code criminel, en définissant le moyen de défense de contrainte, prévoit que l'accusé est "excusé [. . .] d'avoir commis l'infraction" (je souligne). Lorsque l'infraction a été prouvée hors de tout doute raisonnable conformément à la loi et sans l'aide d'aucune présomption, je ne puis conclure qu'on a refusé à l'accusé le bénéfice d'une présomption d'innocence du simple fait que son excuse pour avoir commis l'infraction n'a pas été acceptée. Je suis en conséquence d'avis de rejeter le pourvoi, de donner à la première question constitutionnelle une réponse négative et de ne pas répondre à la seconde.

Version française des motifs rendus par

61. Le juge La Forest—J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement du Juge en chef et du juge McIntyre. Je souscris à l'interprétation que le juge McIntyre donne au par. 309(1) du Code criminel. Vu cette interprétation, l'article n'entre pas en conflit avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi, de répondre à la première question constitutionnelle par la négative et de ne pas répondre à la seconde question.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelant: C. Jane Arnup, Toronto.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Frank Iacobucci, Ottawa.

Procureurs de l'intervenant le procureur général du Québec: Paul Monty et Gilles Laporte, Ste‑Foy.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Le ministère de la Justice, Regina.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Présomption d'innocence - Possession d'instruments pouvant servir aux effractions de maisons - L'accusé a‑t‑il le fardeau de persuasion pour démontrer l'existence d'une excuse légitime justifiant ses actes lorsque l'intention d'utiliser les instruments à des fins d'effractions de maisons est admise? - L'article 309(1) du Code criminel viole‑t‑il l'art. 11d) de la Charte? - Dans l'affirmative, cette violation est‑elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte?.

Droit criminel - Possession d'instruments pouvant servir aux effractions de maisons - Charge de la preuve - Présomption d'innocence - L'accusé a‑t‑il le fardeau de persuasion pour démontrer l'existence d'une excuse légitime justifiant ses actes lorsque l'intention d'utiliser les instruments à des fins d'effractions de maisons est admise? - L'article 309(1) du Code criminel viole‑t‑il l'art. 11d) de la Charte? - Dans l'affirmative, cette violation est‑elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte?.

Droit criminel - Éléments de l'infraction - Charge de la preuve - Possession d'instruments pouvant servir aux effractions de maisons - L'intention de l'accusé d'utiliser les instruments à des fins d'effractions de maisons constitue‑t‑elle un élément essentiel de l'infraction? - L'accusé est‑il tenu de démontrer une intention innocente suivant la prépondérance des probabilités? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 309(1).

L'appelant a été accusé de possession illégale d'instruments pouvant servir aux effractions de maisons en contravention du par. 309(1) du Code criminel. Ce paragraphe prévoit: "Est coupable d'un acte criminel [. . .] quiconque, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, a en sa possession un instrument pouvant servir aux effractions de maisons [. . .] dans des circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument a été utilisé, est destiné ou a été destiné à être utilisé, pour servir aux effractions de maisons . . .» Avant d'enregistrer un plaidoyer, l'appelant a demandé l'annulation de l'acte d'accusation. Le juge du procès a fait droit à la requête pour le motif que le par. 309(1) est incompatible avec la présomption d'innocence et avec l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d'appel a infirmé l'ordonnance qui a annulé l'acte d'accusation et a ordonné que la procédure par acte d'accusation suive son cours. Elle a conclu que le par. 309(1) ne constitue pas une disposition portant "inversion de la charge de la preuve" et par conséquent qu'elle est compatible avec l'al. 11d) de la Charte. Le présent pourvoi vise à déterminer si le par. 309(1) du Code viole l'al. 11d) de la Charte et, dans l'affirmative, si une telle violation est justifiée aux termes de l'article premier de la Charte.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les juges McIntyre et Le Dain: Le paragraphe 309(1) du Code criminel n'est pas incompatible avec l'al. 11d) de la Charte, qui garantit le droit d'être présumé innocent tant qu'on n'est pas déclaré coupable conformément à la loi. La preuve requise aux fins du par. 309(1) doit se faire sans le bénéfice d'une présomption à l'encontre de l'accusé.

L'expression "donnent raisonnablement lieu de conclure" (à la culpabilité) au par. 309(1) ne permet pas de fonder une déclaration de culpabilité sur une preuve moindre que la preuve hors de tout doute raisonnable. Employée dans une disposition criminelle, le seul sens possible de cette expression est une conclusion qui, selon la norme criminelle de la preuve hors de tout doute raisonnable, justifierait un verdict de culpabilité en l'absence d'une preuve contraire ou d'une explication. Dans le contexte criminel, une conclusion de culpabilité n'est pas raisonnable tant qu'il subsiste un doute raisonnable.

L'expression "sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe" ne constitue pas dans le contexte du par. 309(1) une clause qui porte inversion de la charge de la preuve et qui oblige l'accusé à prouver son innocence. Il s'agit d'une expression qui a été incluse dans l'article afin qu'on puisse se prévaloir du moyen de défense du but innocent qui, à défaut de cette clause, ne pourrait pas être invoqué par un accusé parce que, selon le texte de l'article en vigueur antérieurement à 1972, l'infraction était complète indépendamment du but visé. Quand l'article a été modifié en 1972 de manière à faire de l'intention de se servir de l'instrument pour s'introduire par effraction dans une maison un élément essentiel de l'infraction, l'expression en question est devenue superflue. D'un moyen de défense que l'accusé devait prouver pour démontrer son innocence, l'usage qu'il entendait faire des instruments a été transformé en élément essentiel de l'infraction, élément que le ministère public est tenu de prouver hors de tout doute raisonnable afin d'établir la culpabilité de l'accusé. L'expression a donc été vidée de son sens primitif et, si elle a été conservée dans l'article, c'est probablement par précaution.

Les excuses générales de common law, telles que la contrainte ou l'autorisation de la loi, échappent à la portée de l'expression "sans excuse légitime" et n'ont pas à être prouvées selon la prépondérance des probabilités. Cette expression ne comprend pas les excuses ou les justifications qui existeraient si elle était omise du Code. En tout état de cause, même si le par. 309(1) exigeait que l'accusé établisse un tel moyen de défense selon la prépondérance des probabilités, cela n'irait pas à l'encontre de l'al. 11d) de la Charte. Ce type de moyens de défense ou d'excuses ne peuvent être invoqués que dans une situation où l'infraction a été prouvée. Lorsque, comme en l'espèce, la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable sans le bénéfice d'une présomption avant de soulever un moyen de défense, il n'y a pas de violation de l'al. 11d) de la Charte.

Le juge La Forest: Je suis d'accord avec l'interprétation que le juge McIntyre a donné au par. 309(1) du Code. Vu cette interprétation, l'article n'entre pas en conflit avec l'al. 11d) de la Charte.

Le juge en chef Dickson et le juge Lamer: L'intention d'utiliser les instruments à des fins d'effractions de maisons constitue un élément essentiel de l'infraction aux termes du par. 309(1) du Code. Le ministère public doit non seulement démontrer la possession des instruments précisés dans l'acte d'accusation et la possibilité, hors de tout doute raisonnable, qu'ils puissent servir aux effractions de maisons, mais également les "circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure que l'instrument a été utilisé, est destiné ou a été destiné à être utilisé, pour servir aux effractions de maisons". Une telle conclusion, dans le contexte d'une accusation criminelle, peut seulement être raisonnable lorsque le jury est convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé a réellement eu l'intention d'utiliser ou a effectivement utilisé les instruments à des fins d'effractions de maisons. Par conséquent, le paragraphe n'impose pas à l'accusé un fardeau de persuasion pour établir qu'il n'avait pas l'intention d'utiliser les instruments à ces fins. Tout fardeau qui incombe à l'accusé vis‑à‑vis d'un tel moyen de défense est purement un fardeau de présentation. Toutefois, l'expression utilisée au par. 309(1), savoir "sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe", impose à l'accusé un fardeau de persuasion l'obligeant à démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, l'existence d'une excuse lorsqu'il admet l'intention d'utiliser les instruments à des fins d'effractions de maisons, mais invoque une justification pour ses actes, telle la contrainte ou l'autorisation de la loi.

Le paragraphe 309(1) du Code viole l'al. 11d) de la Charte. Toutefois, strictement parlant, ce paragraphe ne constitue pas une "inversion de la charge de la preuve" car il ne présume pas un élément essentiel de l'infraction; toutefois, comme il exige que l'accusé prouve certaines défenses suivant la prépondérance des probabilités, une déclaration de culpabilité pourrait être prononcée en dépit de l'existence d'un doute raisonnable. Tout fardeau incombant à un accusé qui a pour effet d'imposer une déclaration de culpabilité malgré la présence d'un doute raisonnable enfreint l'al. 11d).

Le paragraphe 309(1) du Code ne peut être justifié aux termes de l'article premier de la Charte. Le paragraphe ne satisfait pas au critère de proportionnalité énoncé dans l'arrêt Oakes. Premièrement, le par. 309(1) ne porte pas atteinte "le moins possible" au droit ou à la liberté que garantit l'al. 11d) de la Charte. Compte tenu des circonstances entourant ce genre d'infraction et de l'objectif de la répression des crimes contre les biens, le législateur aurait pu imposer simplement à l'accusé un fardeau de présentation d'éléments de preuve soulevant un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Deuxièmement, les effets qui résultent de l'imposition à l'accusé du fardeau de persuasion relativement à une infraction criminelle rendant illégale la possession de l'outil le plus inoffensif est trop néfaste. Le paragraphe 309(1) rend possible l'emprisonnement de personnes innocentes.

Finalement, le fait que le par. 309(1) du Code ne peut être justifié aux termes de l'article premier de la Charte n'entraîne pas nécessairement la nullité de l'ensemble de ce paragraphe. La suppression des termes "dont la preuve lui incombe" de la disposition éliminerait la possibilité de condamner un accusé qui a une excuse légitime pour ses actes, mais qui ne peut la prouver suivant la prépondérance des probabilités.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Holmes

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McIntyre
Arrêts mentionnés: R. v. Kozak and Moore (1975), 20 C.C.C. (2d) 175
Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926
R. v. Santeramo (1976), 32 C.C.C. (2d) 35
Bergstrom c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 539
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.
Citée par le juge en chef Dickson
Arrêt examiné: Tupper v. The Queen, [1967] R.C.S. 589
arrêts mentionnés: R. c. Appleby, [1972] R.C.S. 303
Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926
R. c. Proudlock, [1979] 1 R.C.S. 525
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
R. v. Kozak and Moore (1975), 20 C.C.C. (2d) 175
R. v. Smith (1957), 27 C.R. 359
R. v. Haire (1958), 29 C.R. 233
R. v. McRae (1967), 50 C.R. 325
R. v. Gilson, [1965] 2 O.R. 505
R. v. Kernychne, C.A. Ont., 17 mars 1965, inédit
R. v. Singleton (1956), 115 C.C.C. 391
R. v. Jones (1960), 128 C.C.C. 230
R. v. Patterson (1961), 46 Cr. App. R. 106
Taraschuk c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 385
R. c. Cooper, [1978] 1 R.C.S. 860
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
Latour v. The King, [1951] R.C.S. 19
Linney c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 646
Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 11(d).
Code criminel, S.C. 1953‑1954, chap. 51, art. 295.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 7(3), 17 [mod. 1974‑75‑76, chap. 105, art. 29], 241(1), 309(1) [abr. & rempl. 1972, chap. 13, art. 25], 577(3).
Loi de 1985 modifiant le droit pénal, S.C. 1985, chap. 19, art. 49.
Doctrine citée
Canada. Commission de réforme du droit. L'intrusion criminelle (Document de travail no 48). Ottawa: 1986.
Canada. Statistiques Canada, Centre canadien de la statistique juridique. Statistique de la criminalité du Canada, 1985. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1986.
Mewett, Alan W., and Morris Manning. Criminal Law, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1985.

Proposition de citation de la décision: R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914 (26 mai 1988)


Origine de la décision
Date de la décision : 26/05/1988
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1988] 1 R.C.S. 914 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-05-26;.1988..1.r.c.s..914 ?
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