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22/06/2022 | BELGIQUE | N°P.22.0094.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 juin 2022, P.22.0094.F


N° P.22.0094.F
I. R. J.-P.,
père de J.-M. R., J.-A. R., A.R. et L. R.,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Pierre Chomé, avocat au barreau de Bruxelles,
II. 1. R.J.-M.,
2. R. J.-A.,
3. R. A.,
4. R.L.,
parties intervenues volontairement,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Nicolas Divry, avocat au barreau de Tournai,
contre
R.J.-P., mieux identifié ci-dessus,
civilement responsable,
défendeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Pierre Chomé, avocat au barreau de Bruxelles.
I.

LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 23 décembre 2021 par la co...

N° P.22.0094.F
I. R. J.-P.,
père de J.-M. R., J.-A. R., A.R. et L. R.,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Pierre Chomé, avocat au barreau de Bruxelles,
II. 1. R.J.-M.,
2. R. J.-A.,
3. R. A.,
4. R.L.,
parties intervenues volontairement,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Nicolas Divry, avocat au barreau de Tournai,
contre
R.J.-P., mieux identifié ci-dessus,
civilement responsable,
défendeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Pierre Chomé, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 23 décembre 2021 par la cour d’appel de Mons, chambre de la jeunesse.
Le demandeur sub I invoque un moyen et les demandeurs sub II en invoquent deux dans deux mémoires annexés au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 3 juin 2022, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
A l’audience du 8 juin 2022, le conseiller Tamara Konsek a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
Les demandeurs sub II ont déposé le 20 juin 2022 une note en réponse en application de l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de J.-P. R. :
Sur le moyen :
Quant à la seconde branche :
Le moyen allègue que le ministère public a fait entendre les seuls enfants du demandeur qui ont déclaré vouloir intervenir volontairement dans la procédure en déchéance de l’autorité parentale.
Le demandeur reproche au juge d’appel de ne pas avoir répondu à sa demande de faire entendre ses autres enfants, en qualité de témoins à décharge, en méconnaissance de l’article 6.3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Selon le moyen, l’équité procédurale est également méconnue en raison de la circonstance que le juge d’appel a fondé sa décision sur les déclarations critiquées alors qu’il a, par ailleurs, décidé de ne pas avoir égard aux écrits de la procédure et aux moyens développés par ses quatre enfants en raison de l’irrecevabilité de leur intervention volontaire.
En vertu de l’article 6.3.d, de la Convention, toute personne accusée d’une infraction a le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.
Les droits de la défense consacrés par la disposition précitée doivent être reconnus au parent à l’égard duquel la déchéance est requise par le ministère public.
Ces droits ne sont pas absolus, le juge pouvant accepter ou refuser une telle demande selon qu’elle apparaisse ou non utile à la manifestation de la vérité et dans le respect de l’équité du procès.
Lorsqu’une audition d’un témoin est demandée par voie de conclusions, le juge, s’il n’y fait pas droit, doit y répondre et motiver son refus.
Dans une note d’audience, reçue au greffe de la cour d’appel le 29 mars 2021, le demandeur a sollicité l’écartement des déclarations faites par les quatre enfants à la police, et, à titre subsidiaire, l’audition de trois de ses autres enfants dans les mêmes conditions.
L’arrêt, qui fonde sa décision sur les déclarations des quatre enfants, ne motive par aucune considération le rejet de la demande subsidiaire.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
Il n’y a pas lieu d’examiner la première branche du moyen qui ne saurait entraîner une cassation sans renvoi.
B. Sur les pourvois de J.-M., J.-A., A.et L. R.:
La note en réponse visée à l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire ne peut contenir aucun moyen autre que ceux qui ont été invoqués dans un mémoire régulièrement déposé.
La Cour n’a pas égard à la demande de renvoi préjudiciel formulée pour la première fois dans la note en réponse.
Sur le premier moyen :
Pris de la violation des articles 204 et 210 du Code d’instruction criminelle, le moyen reproche à la cour d’appel d’avoir déclaré les interventions volontaires des demandeurs irrecevables alors que le jugement entrepris, qui les avait reçues, n’a pas été frappé d’appel sur ce point et que la contestation de la recevabilité de l’intervention volontaire d’une partie n’est pas un moyen que le juge d’appel peut soulever d’office.
Il ressort de la procédure que le défendeur a formé appel contre quatre jugements du tribunal de la jeunesse du Hainaut qui l’ont déchu de l’autorité parentale à l’égard de chacun des demandeurs, et qu’il a indiqué, dans les formulaires de griefs sous le point 1.8, « non fondement » de la déchéance de l’autorité parentale.
Ce grief ne vise pas la décision entreprise en ce qu’elle déclare l’intervention volontaire des demandeurs recevable.
Toutefois, en vertu de l’article 210, § 2, du Code d’instruction criminelle, le juge d’appel peut soulever d’office, notamment, un moyen relatif à sa compétence.
Ainsi qu’il ressort de l’arrêt et des conclusions de deux d’entre eux, les demandeurs ont sollicité que le défendeur soit déchu de l’autorité parentale à leur égard ou, à titre subsidiaire, qu’il soit déchu du droit de réclamer des aliments ainsi que de recueillir leur succession.
Partant, les demandeurs, qui n’ont pas qualité pour exercer l’action publique, ont soumis au juge d’appel une demande de nature civile découlant de la déchéance de l’autorité parentale, objet de sa saisine par le ministère public.
Par la considération que leur intervention volontaire est dépourvue de toute base légale, l’arrêt décide que la cour d’appel n’est pas compétente pour statuer sur l’action civile des demandeurs.
Il y va d’une exception d’ordre public, qui peut être soulevée d’office en application de l’article 210, § 2, précité.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Pris de la violation des articles 22bis de la Constitution, 1004/1 du Code judiciaire et 32, 33, 56 et 62 de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait, le moyen reproche à l’arrêt de dire l’intervention volontaire des demandeurs irrecevable.
Les demandeurs allèguent qu’en vertu de l’article 1004/1 du Code judiciaire, tout mineur a le droit d’être entendu par le juge dans les matières qui le concernent relatives, notamment, à l’exercice de l’autorité parentale.
Ils soutiennent qu’il n’est pas justifié que ce même droit soit refusé à un enfant majeur dans le cadre de la procédure en déchéance de l’autorité parentale dès lors que la décision a des effets directs sur les intérêts de celui-ci. A cet égard, le moyen relève que, si l’article 56 de la loi du 8 avril 1965 stipule que les mineurs intéressés par la procédure en déchéance de l’autorité parentale ne sont pas parties aux débats, cette disposition n’exclut pas que l’enfant majeur puisse l’être, que l’article 62 de la même loi autorise des exceptions à l’application des dispositions légales concernant les poursuites en matière correctionnelle, qu’il résulte de la combinaison des dispositions précitées que l’enfant majeur peut être entendu par le juge dans le cadre d’une demande de déchéance de l’autorité parentale et que cette interprétation est conforme à l’article 22bis de la Constitution qui ne distingue pas entre les enfants mineurs et les enfants majeurs.
En vertu de l’article 1004/1, § 1er, du Code judiciaire, tout mineur a le droit d’être entendu par le juge dans les matières qui le concernent relatives à l’exercice de l’autorité parentale, à l’hébergement ainsi qu’au droit aux relations personnelles. Conformément au paragraphe 6 de cette disposition, l’entretien avec le mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la cause.
Dans la mesure où il soutient que l’audition du mineur implique la qualité de partie à la cause, le moyen manque en droit.
Par ailleurs, l’article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, selon lequel chaque enfant a le droit de s’exprimer sur toute question qui le concerne, vise le mineur d’âge.
A cet égard, le moyen manque également en droit.
Pour le surplus, l’intervention volontaire ou forcée en matière répressive n’est recevable qu’à la condition qu’une loi particulière la prévoie expressément ou qu’en vertu de la loi, le juge pénal soit autorisé exceptionnellement à prononcer une condamnation, une sanction ou une autre mesure à charge d’un tiers.
L’arrêt constate que les demandeurs ont été réentendus au cours de l’instance d’appel et énonce qu’aucune dérogation, susceptible de trouver application en l’espèce, n’autorise les enfants concernés à devenir parties dans la procédure de déchéance de l’autorité parentale visant un père ou une mère.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la demande de déchéance de l’autorité parentale ;
Rejette les pourvois formés par les demandeurs sub II ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne chacun des demandeurs sub II aux frais de son pourvoi ;
Réserve les frais relatifs au pourvoi sub I pour qu’il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Mons, chambre de la jeunesse, autrement composée.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Tamara Konsek, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-deux juin deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.22.0094.F
Date de la décision : 22/06/2022
Type d'affaire : Droit international public - Autres - Droit civil - Droit pénal - Droit constitutionnel

Analyses

En vertu de l'article 6.3.d, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne accusée d'une infraction a le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge; les droits de la défense consacrés par cette disposition doivent être reconnus au parent à l'égard duquel la déchéance de l'autorité parentale est requise par le ministère public (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 3 - DROITS DE LA DEFENSE - GENERALITES - PROTECTION DE LA JEUNESSE [notice1]

La note en réponse visée à l'article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire ne peut contenir aucun moyen autre que ceux qui ont été invoqués dans un mémoire régulièrement déposé (1). (1) Cass. 13 février 2018, RG P.17.0445.N, Pas. 2018, n° 94.

POURVOI EN CASSATION - MATIERE REPRESSIVE - Formes - Forme et délai prévus pour le dépôt des mémoires et des pièces [notice4]

En vertu de l'article 210, § 2, du Code d'instruction criminelle, le juge d'appel peut soulever d'office, notamment, un moyen relatif à sa compétence; lorsqu'il considère que l'intervention volontaire d'une partie est dépourvue de toute base légale et que la cour d'appel n'est pas compétente pour statuer sur l'action civile de cette partie, le juge d'appel peut soulever d'office cette exception d'ordre public en application de l'article 210, § 2, précité (1). (1) Voir les concl. du MP.

APPEL - MATIERE REPRESSIVE (Y COMPRIS DOUANES ET ACCISES) - Effets. Compétence du juge [notice5]

L'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, selon lequel chaque enfant a le droit de s'exprimer sur toute question qui le concerne, vise le mineur d'âge (1). (1) Voir les concl. du MP.

CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 1 A 99) - Article 22 [notice6]

L'intervention volontaire ou forcée en matière répressive n'est recevable qu'à la condition qu'une loi particulière la prévoie expressément ou qu'en vertu de la loi, le juge pénal soit autorisé exceptionnellement à prononcer une condamnation, une sanction ou une autre mesure à charge d'un tiers; aucune dérogation n'autorise les enfants concernés à devenir parties dans la procédure de déchéance de l'autorité parentale visant un père ou une mère (1). (1) Voir les concl. du MP.

INTERVENTION - PROTECTION DE LA JEUNESSE [notice7]


Références :

[notice1]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 3, d - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

L. du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse - 08-04-1965 - Art. 32 et 62 - 03 / No pub 1965040806

[notice4]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 1107, al. 3 - 01 / No pub 1967101052

[notice5]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 210, § 2 - 30 / No pub 1808111701

[notice6]

La Constitution coordonnée 1994 - 17-02-1994 - Art. 22bis, al. 2 - 30 / No pub 1994021048

[notice7]

L. du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse - 08-04-1965 - Art. 32 et 62 - 03 / No pub 1965040806


Composition du Tribunal
Président : DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC
Greffier : FENAUX TATIANA
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : KONSEK TAMARA, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS, DE LA SERNA IGNACIO

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-06-22;p.22.0094.f ?

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