N° P.22.0332.F
L. M.
prévenue,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Nicolas Devaux, avocat au barreau de Namur,
contre
LA REGION WALLONNE, représentée par le ministre de l’Environnement, de l’aménagement du territoire, de la mobilité et des transports, des aéroports et du bien-être animal, dont le cabinet est établi à Namur, rue d’Harscamp, 22,
partie civile,
défenderesse en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 16 février 2022 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
La demanderesse invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée à charge de la demanderesse :
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Selon la citation, les actes de blanchiment reprochés à la demanderesse relèvent de ceux visés tant à l’article 505, alinéa 1er, 3°, du Code pénal qu’à l’article 505, alinéa 1er, 4°, dudit code.
Ainsi qu’il ressort du jugement entrepris, dont l’arrêt adopte les motifs, le ministère public a estimé, en ses réquisitions prises à l’audience du tribunal correctionnel du 2 juin 2021, que les faits susdits devaient être déclarés culpeux sur la seule base de l’article 505, alinéa 1er, 4°.
Ayant suivi ces réquisitions, le tribunal puis la cour d’appel n’ont, en se fondant sur ladite disposition légale, rien fait d’autre que de donner à la prévention ce que les juges du fond ont décidé être sa juste qualification.
La cour d’appel n’avait pas à répondre à la défense déduite de l’élément moral requis par l’article 505, alinéa 1er, 3°, cette défense étant devenue sans pertinence puisqu’il y va d’une qualification que l’arrêt ne retient pas.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
Le moyen est pris de la violation de l’article 505, alinéa 1er, 4°, du Code pénal. Il est reproché à l’arrêt de ne pas énoncer les motifs pour lesquels le fait d’avoir disposé des fonds litigieux constitue la dissimulation de leur origine.
La disposition légale invoquée incrimine tout comportement qui a pour but ou pour effet de dissimuler ou de déguiser la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété de l’avantage patrimonial tiré de l’infraction primaire, de manière à tromper autrui quant à l’identité de son détenteur, de son possesseur, de son bénéficiaire économique ou de son légitime propriétaire.
L’arrêt considère que les actes de disposition réalisés par la demanderesse quant aux fonds versés par son mari, ont eu pour conséquence d’en dissimuler ou d’en déguiser l’origine, l’emplacement et le mouvement. Selon l’arrêt, les prélèvements effectués par la prévenue sur son propre compte et sur celui de sa mère, par lequel elle a accepté le passage des fonds détournés, ont servi, pour des montants très conséquents, à acheter des biens de luxe non durables ainsi qu’à financer des dépenses en restaurant ou en magasin, procédés dont la répétition a rompu la traçabilité desdits fonds.
L’arrêt contient dès lors les motifs que la demanderesse dit n’y pas trouver.
Le moyen manque en fait.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 195 du Code d’instruction criminelle et 3 de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation. Il est fait grief à l’arrêt de refuser à la demanderesse le bénéfice de la suspension du prononcé de la condamnation, en raison du fait qu’elle ne présente ni signe d’amendement ni conscience du caractère socialement inadmissible des faits. Le moyen en déduit qu’il ne peut être exclu que cette appréciation soit liée au fait que la demanderesse a toujours contesté les préventions mises à sa charge.
Mais le motif critiqué par le moyen ne sanctionne pas la manière dont la demanderesse s’est défendue. Ainsi que l’arrêt le précise, il sanctionne son comportement, qualifié de consumériste, futile, dénué de considération pour les personnes ou institutions préjudiciées.
Procédant d’une interprétation inexacte de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Sur le troisième moyen :
La demanderesse soutient que les juges d’appel n’ont pu refuser de conclure au dépassement du délai raisonnable alors que près de quatre ans se sont écoulés entre la première ordonnance de soit communiqué et le jugement du tribunal correctionnel statuant au fond. Selon le moyen, ni la pandémie ni les devoirs complémentaires requis par le ministère public ne peuvent légalement justifier pareil délai.
La période à prendre en considération pour apprécier la durée de la procédure au regard de l’exigence du délai raisonnable commence le jour où la personne se trouve accusée au sens de l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le caractère raisonnable de la durée de la procédure s’apprécie à la lumière des circonstances de la cause et eu égard à la complexité de l’affaire, au comportement des parties et à celui des autorités compétentes.
L’arrêt fixe au 18 février 2016, soit à l’issue de la période délictueuse, la date à laquelle, entendue pour la première fois par la police, la prévenue s’est vue exposée à la possibilité d’être poursuivie pénalement.
Le jugement d’instance est intervenu le 30 juin 2021.
Pour décider que le temps écoulé entre ces deux dates n’est pas déraisonnable, l’arrêt constate que les nombreux devoirs de recherche de l’argent détourné sont justifiés au regard de la complexité de la cause, que le travail judiciaire a été entravé par la pandémie, et que les fixations aux audiences de plaidoiries dans les deux instances furent rapides.
De ces constatations, les juges d’appel ont pu déduire que, prise dans son ensemble, la cause a été jugée dans un délai raisonnable.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 211bis du Code d’instruction criminelle.
Selon la demanderesse, dès lors que l’arrêt juge que le délai raisonnable n’est pas dépassé, alors que le tribunal avait dit le contraire, la cour d’appel a aggravé la situation du prévenu de sorte qu’elle aurait dû se prononcer à l’unanimité de ses membres.
Contrairement à ce que le moyen soutient, il ne ressort nullement de l’arrêt que, si les juges d’appel avaient retenu le dépassement du délai raisonnable, ils auraient diminué la peine, au lieu de confirmer celle infligée par le premier juge.
Reposant à cet égard sur une hypothèse, le moyen est irrecevable.
Le jugement du 30 juin 2021 du tribunal correctionnel condamne la demanderesse à une peine d’emprisonnement de cinq ans, avec un sursis probatoire total, ainsi qu’à des peines de confiscation.
L’arrêt confirme le jugement sous l’émendation que les montants confisqués sont réduits.
N’aggravant pas la situation du prévenu, pareille décision ne devait pas être prise à l’unanimité.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le cinquième moyen :
La demanderesse reproche à l’arrêt de confisquer, à titre d’objet des infractions de blanchiment, les biens meubles saisis ou le produit de leur aliénation. Le moyen fait valoir que le résultat de l’opération consistant à transformer en produits de luxe une somme d’argent d’origine délictueuse, constitue l’avantage patrimonial tiré du blanchiment et non l’objet de cette infraction.
Mais l’arrêt impute la confiscation des biens meubles saisis ou du produit de leur aliénation sur les confiscations prononcées, à concurrence des sommes de 138.028,50 et 476.280 euros, au titre d’objets du blanchiment et du recel visés aux préventions D.6, D.7 et E.9.
Compte tenu de cette imputation, la qualification critiquée par le moyen n’inflige aucun grief à la demanderesse.
Dénué d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action civile exercée par la Région wallonne :
Sur le sixième moyen :
Quant à la première branche :
La demanderesse a déposé des conclusions invoquant, dans le chef de la partie préjudiciée, une série de manquements ayant contribué, selon elle, à la réalisation du dommage.
L’arrêt répond, d’une part, qu’aucune part de responsabilité ne peut être imputée à la victime dont la confiance a été trompée par la fabrication de fausses écritures comptables et, d’autre part, qu’une fois les faux et les détournements accomplis par l’époux de la demanderesse, celle-ci en a blanchi et recelé le produit indépendamment des contrôles exercés ou non par la Région wallonne sur les prestations de son comptable.
Les juges d’appel ont, ainsi, répondu aux conclusions dont ils étaient saisis.
Le moyen manque en fait.
Quant à la seconde branche :
Le moyen est pris de la violation de l’article 1382 de l’ancien Code civil.
Dans ses conclusions d’appel, transmises le 10 janvier 2022, la demanderesse a sollicité un partage de responsabilité avec la Région wallonne, et ce sur la base d’une faute concurrente prêtée à la victime, consistant dans l’organisation défaillante de la comptabilité de l’Office wallon des déchets, organisation à la faveur de laquelle les détournements réalisés par l’époux de la demanderesse ont pu prospérer.
Il est reproché à l’arrêt de ne pas faire droit à cette demande de partage de la responsabilité, alors que la faute la plus légère de la victime, concurrente à celle de l’auteur, suffit pour justifier ce partage.
Mais l’arrêt oppose à cette prétention le principe général du droit Fraus omnia corrumpit, lequel exclut que l’auteur d’une infraction intentionnelle puisse obtenir une réduction des réparations dues à la victime de cette infraction en raison des négligences que celle-ci aurait commises.
Le principe général susdit tend à écarter tout effet juridique résultant d’un comportement culpeux, dans la mesure de ce qui est nécessaire pour éviter que l’objectif visé par la fraude soit atteint.
Il en résulte que l’auteur de l’infraction primaire mais aussi celui qui en recèle ou en blanchit le produit peuvent, l’un comme l’autre, se voir débouter de leur prétention à conserver, au prétexte d’une défaillance de la victime, une partie des gains réalisés à son détriment.
Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
La demanderesse fait également valoir qu’il n’y a pas de relation causale entre le recel et le dommage causé par l’infraction primaire, lorsque celle-ci est entièrement réalisée au moment où le recel subséquent est commis, sauf à déterminer un dommage distinct de celui provenant de cette infraction primaire.
Cette défense ne figure pas dans les conclusions d’appel de la demanderesse.
A cet égard, le moyen est nouveau et, partant, irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent quatre euros un centime dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.