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15/06/2022 | BELGIQUE | N°P.22.0307.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 juin 2022, P.22.0307.F


N° P.22.0307.F
A. A.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Jean Paul Reynders, avocat au barreau de Liège-Huy.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 14 février 2022 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :


Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 380, §§ 1, 4°, et 7, et 382,...

N° P.22.0307.F
A. A.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Jean Paul Reynders, avocat au barreau de Liège-Huy.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 14 février 2022 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 380, §§ 1, 4°, et 7, et 382, §§ 1 et 4, du Code pénal.
En tant qu’il vise l’article 380, § 7, du Code pénal, alors que le demandeur a été reconnu coupable de l’exploitation d’une seule victime, et en tant qu’il vise l’article 382, §§ 1 et 4, du même code, alors que le demandeur n’a pas été condamné à l’interdiction comminée par cette disposition, le moyen manque en droit.
Quant à la première branche :
Le moyen reproche aux juges d’appel d’avoir déclaré le demandeur coupable d’exploitation de la prostitution de F. B. parce qu’il n’a pas rétrocédé à cette dernière l’entièreté de ses gains prostitutionnels, après les avoir reçus et déposés sur son compte bancaire, de sorte que, selon l’arrêt, le demandeur a retiré de ces faits un profit, fût-ce de l’accord de la victime.
Selon le demandeur, les juges d’appel l’ont ainsi sanctionné parce qu’il vivait en concubinage avec une prostituée, situation que le législateur a entendu exclure du champ de la répression de l’exploitation de la prostitution.
L’article 380, § 1er, 4°, du Code pénal punit quiconque aura, de quelque manière que ce soit, exploité la débauche ou la prostitution d'autrui.
L’exploitation de la débauche ou de la prostitution d’une personne avec qui l’auteur cohabite, suppose qu’il en retire un profit direct ou indirect excédant les seuls avantages inhérents à cette cohabitation. Par ailleurs, cette infraction est un délit instantané, qui existe indépendamment de l’éventuelle restitution à la victime des fonds perçus par l’auteur.
Le juge du fond apprécie en fait si le prévenu a retiré un tel bénéfice de la débauche ou de la prostitution de la victime, la Cour se bornant à vérifier si, de ses constatations, il a pu légalement déduire l’existence de cette exploitation.
Contrairement à ce que le moyen suggère, l’arrêt ne justifie pas la décision que le demandeur est coupable d’avoir exploité la prostitution de F. B. par la circonstance que l’un et l’autre ont cohabité, de sorte que le premier aurait ainsi bénéficié des revenus de la seconde.
Les juges d’appel ont relevé, ce qui est différent, que la plaignante a déclaré qu’elle remettait chaque jour ses gains prostitutionnels au demandeur, qui les versait sur son propre compte bancaire, les gérait en prenant ce dont il avait besoin pour ses projets et les investissait dans des maisons. L’arrêt ajoute que la plaignante a déclaré ne pas avoir demandé de comptes au demandeur, car il lui avait promis de l’épouser, et qu’elle avait payé l’ensemble des dépenses du ménage, ainsi qu’une dette du demandeur consécutive à une précédente condamnation. Les juges d’appel ont ensuite énoncé que les transactions financières réalisées par le demandeur avaient attiré l’attention de la Cellule de traitement des informations financières, qui relevait l’absence de justification de nombreux versements sur ses comptes et au profit d’un huissier de justice. Après avoir analysé les mouvements sur les comptes du demandeur, les juges d’appel en ont conclu que des dépôts en espèces pour près de nonante et un mille euros y avaient été observés durant la période délictueuse, alors que les transferts en faveur de la plaignante se limitaient à vingt-sept mille huit cent quatre-vingt-quatre euros et cinquante centimes. Après avoir écarté comme dépourvues de vraisemblance les explications du demandeur, les juges d’appel en ont déduit que la différence correspondait aux gains prostitutionnels de la plaignante qui avaient été conservés par le demandeur, les montants observés accréditant, selon l’appréciation des juges d’appel, les dires de F. B. quant à l’exploitation de sa prostitution, fût-ce de son accord.
Ainsi, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision que le demandeur était coupable d’avoir exploité la prostitution de F. B..
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen fait grief à l’arrêt d’être empreint de contradiction en ce qu’il considère, d’une part, que le demandeur a exploité la prostitution de F. B. mais, d’autre part, qu’il a tenté de soustraire celle-ci à l’emprise de cette activité.
Il n’est pas contradictoire de décider qu’un prévenu a retiré un profit direct ou indirect de la prostitution d’une victime qu’il a, par ailleurs, tenté de convaincre d’abandonner cette activité, de sorte que la circonstance aggravante que les faits ont été commis en ayant recours à une forme de contrainte n’est pas établie.
Le moyen manque en fait.
Sur le deuxième moyen :
Il n’est pas davantage contradictoire de décider qu’un souteneur et sa victime ont rompu leur relation sentimentale, mais que le premier a cependant continué à exploiter la prostitution de la seconde.
Le moyen manque en fait.
Sur le troisième et le quatrième moyens réunis :
Les moyens reprochent aux juges d’appel de ne pas avoir légalement constaté, respectivement, l’élément moral et le risque de préjudice associés au premier faux imputé au demandeur, ainsi que l’altération de la vérité dans le second écrit qu’il lui est reproché d’avoir établi, soit des éléments constitutifs de ces infractions, dont il avait contesté l’existence par voie de conclusions. Selon le demandeur, en outre, la décision relative au second faux serait empreinte de contradiction.
Les peines d’emprisonnement et d’amende infligées au demandeur restent légalement justifiées par sa condamnation du chef de la prévention d’exploitation de la prostitution. Elles ne sont spécialement motivées, ni quant à leur nature ni quant à leur degré, par des considérations touchant à l’existence des faux.
Dépourvus d’intérêt, les moyens sont irrecevables.
Sur le cinquième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Quant à la première branche :
Le demandeur reproche à l’arrêt d’être contradictoire ou ambigu dès lors qu’après avoir admis un certain dépassement du délai raisonnable pour le juger, la cour d’appel a cependant aggravé la peine prononcée par le premier juge. Selon le moyen, il n’est pas possible de vérifier si les juges d’appel ont respecté l’obligation, prévue par l’article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale, d’atténuer la sanction prononcée.
Ni l’article 195 du Code d’instruction criminelle ni aucune autre disposition n’impose au juge qui constate que le délai raisonnable pour juger le prévenu est dépassé, de viser, dans sa décision, l’article 21ter précité.
Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen manque en droit.
Le moyen n’indique pas quels termes ou décisions de l’arrêt seraient contradictoires.
Dès lors, à cet égard, obscur, le moyen est irrecevable.
Enfin, est ambigu, le motif susceptible de deux interprétations : dans l’une, la décision attaquée est légale, dans l’autre, elle ne l’est pas.
Les juges d’appel ont indiqué à la page 40 de l’arrêt qu’un délai anormal s’était écoulé entre l’ordonnance de soit communiqué du juge d’instruction et le réquisitoire du ministère public. Après avoir énoncé que le dépassement du délai raisonnable pour juger le prévenu pouvait être sanctionné par le prononcé d’une peine qui, « tout en restant dans la fourchette légale […], était notablement réduite par rapport à la peine qui aurait normalement été appliquée en l’absence de dépassement [de ce délai] », les juges d’appel ont précisé qu’en l’espèce, le retard subi par la procédure n’avait pas affecté l’administration de la preuve ni les droits de la défense, de sorte qu’il justifierait seulement l’application d’une peine réduite. Après avoir ajouté, à la page 41 de l’arrêt, que le dépassement du délai raisonnable ne justifiait pas le prononcé d’une peine de travail, ils ont décidé d’infliger au demandeur une peine d’emprisonnement de quatre ans et une amende de mille euros du chef de plusieurs infractions, et une amende de cent euros en raison d’une infraction distincte.
Ainsi, sans verser dans l’ambiguïté dont le moyen l’accuse, l’arrêt donne à connaître au demandeur que les juges d’appel ont pris en considération le dépassement du délai raisonnable pour le juger et qu’à défaut de pareil retard, la sanction infligée eût été plus sévère.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen reproche à l’arrêt de ne pas motiver régulièrement la décision des juges d’appel d’aggraver la peine appliquée au demandeur. Selon ce dernier, les juges d’appel n’ont pas précisé les raisons de cette majoration, ni la mesure dans laquelle la réformation de son acquittement du chef de la prévention d’exploitation de la prostitution avait influencé cette décision.
L’article 195, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle, rendu applicable aux juridictions d’appel en vertu de l’article 211 du même code, prévoit que la décision indique, d'une manière qui peut être succincte mais doit être précise, les raisons du choix que le juge fait de telle peine ou mesure parmi celles que la loi lui permet de prononcer ; le juge est en outre tenu de justifier le degré de chacune des peines ou mesures prononcées.
Mais aucune disposition, notamment celles visées au moyen, n’oblige la juridiction d’appel qui aggrave la peine prononcée par le premier juge à préciser les raisons pour lesquelles elle s’écarte à cet égard du taux des peines appliquées par le jugement entrepris.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Par ailleurs, à la page 39 de l’arrêt, les juges d’appel ont précisé les raisons, qui s’ajoutent aux critères retenus par le premier juge, qu’ils ont prises en considération pour déterminer la hauteur des peines infligées.
Ainsi, ils ont régulièrement motivé et légalement justifié leur décision d’appliquer ces peines.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision ne comporte aucune illégalité qui puisse infliger grief au demandeur.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de deux cent six euros trente et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et Ignacio De La Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.22.0307.F
Date de la décision : 15/06/2022
Type d'affaire : Droit pénal - Autres

Analyses

L'article 380, § 1er, 4°, ancien, du Code pénal (1) punissait quiconque aura, de quelque manière que ce soit, exploité la débauche ou la prostitution d'autrui ; l'exploitation de la débauche ou de la prostitution d'une personne avec qui l'auteur cohabite suppose qu'il en retire un profit direct ou indirect excédant les seuls avantages inhérents à cette cohabitation ; par ailleurs, cette infraction est un délit instantané, qui existe indépendamment de l'éventuelle restitution à la victime des fonds perçus par l'auteur ; le juge du fond apprécie en fait si le prévenu a retiré un tel bénéfice de la débauche ou de la prostitution de la victime, la Cour se bornant à vérifier si, de ses constatations, il a pu légalement déduire l'existence de cette exploitation (2). (1) Abrogé par l'article 117 de la loi du 21 mars 2022 modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel (M.B., 30 mars), entrée en vigueur le 1er juin 2022 en application de son article 118. (2) Voir les concl. « dit en substance » du MP.

DEBAUCHE ET PROSTITUTION - MOYEN DE CASSATION - MATIERE REPRESSIVE - Appréciation souveraine par le juge du fond - APPRECIATION SOUVERAINE PAR LE JUGE DU FOND [notice1]

Ni l'article 195 du Code d'instruction criminelle ni aucune autre disposition n'impose au juge qui constate que le délai raisonnable pour juger le prévenu est dépassé de viser, dans sa décision, l'article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale (1). (1) Il ne faut donc pas interpréter a contrario Cass. 2 mars 2016, RG P.15.1449.F, Pas. 2016, n° 153, qui énonce : « la cour d'appel a considéré que le délai raisonnable n'était pas dépassé. Le fondement légal de la condamnation du demandeur ne se trouvant pas dans l'article 21ter du titre préliminaire, l'arrêt ne devait pas mentionner cette disposition ».

JUGEMENTS ET ARRETS - MATIERE REPRESSIVE - Action publique [notice4]


Références :

[notice1]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 380 ancien, § 1er, 4° - 01 / No pub 1867060850

[notice4]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 195 - 30 / No pub 1808111701 ;

L. du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale - 17-04-1878 - Art. 21ter - 01 / No pub 1878041750


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : NOLET DE BRAUWERE MICHEL
Assesseurs : DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, KONSEK TAMARA, LUGENTZ FREDERIC, DE LA SERNA IGNACIO

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-06-15;p.22.0307.f ?

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