N° C.21.0377.F
D. EN CO, société à responsabilité limitée,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
contre
KBC BANK, société anonyme, dont le siège est établi à Molenbeek-Saint-Jean, avenue du Port, 2, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0462.920.226,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,
en présence de
X. L., avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme G.,
partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 1er février 2021 par la cour d’appel de Mons.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
L’article 37, alinéa 1er, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, applicable, dispose que, dans la mesure où les créances se rapportent à des prestations effectuées à l'égard du débiteur pendant la procédure de réorganisation judiciaire, qu'elles soient issues d'engagements nouveaux du débiteur ou de contrats en cours au moment de l'ouverture de la procédure, elles sont considérées comme des dettes de masse dans une faillite ou liquidation subséquente survenue au cours de la période de réorganisation ou à l'expiration de celle-ci, dans la mesure où il y a un lien étroit entre la fin de la procédure de réorganisation et cette procédure collective.
Cette disposition vise à encourager le maintien des relations contractuelles existantes et la conclusion de nouvelles relations contractuelles et à renforcer le crédit du débiteur afin d’assurer la continuité de l’entreprise.
L’article 37, alinéa 1er, précité, en tant qu’il se réfère à la créance se rapportant à des prestations effectuées à l'égard du débiteur pendant la procédure de réorganisation judiciaire, est conçu en termes généraux et vise tant le prix de ces prestations que les accessoires de ce prix.
L’arrêt, qui, après avoir admis que la créance en principal de la demanderesse relative aux livraisons effectuées pendant la procédure de réorganisation judiciaire constitue une dette de la masse, considère que tel n’est pas le cas des intérêts et de la clause pénale dus suite au retard de paiement de la dette échue, viole l’article 37, alinéa 1er, précité.
Le moyen est fondé.
Sur le second moyen :
Quant à la deuxième et à la troisième branche :
L’arrêt relève que la demanderesse « soutient qu’elle était le fournisseur de l’élément le plus indispensable pour les activités de l’abattoir exploité par la [société faillie], étant les porcs », qu’« elle fait valoir qu’elle a contribué au maintien du fonds de commerce : sans livraison de porcs, pas d’activité et donc pas de maintien du fonds de commerce », que « le curateur répond que de nombreux autres fournisseurs ont contribué à livrer pendant la procédure de réorganisation judiciaire et que la créance de la [demanderesse] est minime par rapport aux millions d’euros qui restent dus aux autres fournisseurs », qu’« il ajoute qu’en cas d’arrêt des livraisons de la [demanderesse], une marchandise identique aurait pu être trouvée très rapidement chez un autre fournisseur », qu’« il fait également état, en vantant des rapports établis pendant la procédure de réorganisation judiciaire, de ce que la situation de la [société faillie] n’a fait que se dégrader, les pertes s’accumulant », et que la défenderesse « insiste également sur l’importance des pertes subies par la [société faillie] pendant les derniers mois et considère qu’il ne peut être soutenu que les fournisseurs ont contribué au maintien de la garantie de la banque ».
Il considère que « les éléments versés aux débats ne permettent pas de retenir, avec le degré de certitude requis, que les livraisons effectuées par la [demanderesse] pendant la période de réorganisation judiciaire ont contribué au maintien de la valeur du fonds de commerce », qu’« il n’apparaît pas que cette valeur aurait été moindre au moment de la faillite si ces livraisons n’avaient pas eu lieu », qu’« en effet, il y a tout lieu de croire que, comme le soutiennent le curateur et [la défenderesse], en pareil cas, l’activité de l’abattoir se serait poursuivie avec d’autres fournisseurs sans que cela n’ait d’incidence sur la valeur du fonds de commerce » et que, « même si l’on devait admettre que, comme le soutient la [demanderesse], l’activité aurait été affectée, la faillite serait intervenue plus tôt, ce qui aurait évité de nouvelles pertes », et qu’« il n’en découlerait nullement que la valeur du fonds de commerce aurait été réduite par rapport à celle subsistant lorsque la faillite a été déclarée ».
Il ressort de ces énonciations que l’arrêt n’exige ni que le créancier soit le seul suffisamment compétent pour fournir les prestations effectuées à l'égard du débiteur pendant la procédure de réorganisation judiciaire ni que la valeur du fonds de commerce ait été réduite par rapport à celle subsistant lorsque, après la fourniture de ces prestations, la faillite a été déclarée, mais que de ce que la poursuite de ses activités commerciales par la société faillie fut déficitaire et de ce que la valeur du fonds de commerce de la société faillie n’aurait pas été moindre au moment de la faillite si les livraisons de la demanderesse n’avaient pas eu lieu, il déduit que ces livraisons n’ont pas eu pour conséquence de conserver la valeur économique de ce fonds de commerce.
Le moyen, qui, en ces branches, repose sur une interprétation inexacte de l’arrêt, manque en fait.
Quant à la première branche :
En vertu de l’article 37, alinéa 3, de la loi du 31 janvier 2009, le paiement aux créanciers considérés comme créanciers de la masse par l’alinéa 1er n’est prélevé par priorité sur le produit de la réalisation de biens sur lesquels un droit réel est établi que dans la mesure où leurs prestations ont contribué au maintien de la sûreté ou de la propriété.
Cette disposition vise à protéger l’octroi de crédits de manière à ce que les créanciers de la masse visés ne portent pas atteinte aux droits des créanciers titulaires d’une sûreté sur leur gage respectif, à moins qu’il soit démontré que les prestations ont contribué à son maintien.
Il faut mais il suffit que ces créances aient contribué au maintien de cette sûreté ou de la propriété.
Si la sûreté concerne tout ou partie des actifs d’une entreprise, comme un gage sur fonds de commerce, les services fournis pendant la période de sursis contribuent à la possibilité de poursuivre les activités commerciales avec tous les risques qui y sont inhérents, sans avoir pour conséquence de conserver la valeur économique de ces actifs dans le patrimoine de l’entreprise.
Ce ne sera le cas que si le cocontractant démontre in concreto que les prestations fournies ont conservé la valeur économique de l’objet de la sûreté.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur la considération qu’il suffit que les prestations fournies contribuent à la possibilité de poursuivre les activités commerciales, manque en droit.
Et il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à la partie appelée à la cause devant la Cour à cette fin.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la créance de la demanderesse relative aux intérêts et à la clause pénale ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Déclare le présent arrêt commun à X. L. ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne la demanderesse à la moitié des dépens, réserve l’autre moitié pour qu’il soit statué sur celle-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Liège.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent septante-six euros cinquante-sept centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du dix juin deux mille vingt-deux par le président de section Michel Lemal, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.