N° C.21.0368.F
BROUWERIJ D. B., société anonyme,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
contre
1. J. U. G., et
2. L. S.,
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 12 mars 2021 par le tribunal de l’entreprise de Liège, statuant en degré d’appel et comme juridiction de renvoi ensuite des arrêts de la Cour des 18 septembre 2015 et
2 février 2018.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
En vertu de l’article 1110, alinéa 1er, du Code judiciaire, le juge qui connaît d’un litige en tant que juge de renvoi à la suite d’une cassation ne peut exercer sa juridiction que dans les limites du renvoi, qui sont, en règle, déterminées par l’étendue de la cassation.
Si, en règle, la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement, le juge de renvoi a le pouvoir de statuer sur une contestation, élevée devant lui, qui a été tranchée par un dispositif de la décision annulée autre que celui qu’attaquait le pourvoi mais auquel la cassation s’étend, soit parce qu’il constitue une suite du dispositif attaqué ou lui est uni par un lien nécessaire, soit parce qu’il n’est, du point de vue de l’étendue de la cassation, pas distinct de ce dispositif.
La cassation qui atteint un chef du dispositif n’en laisse rien subsister, quel que soit le motif qui ait déterminé cette annulation.
Si, en règle, la cassation d’une décision condamnant l’auteur d’une faute à indemniser partiellement le dommage de la victime ne s’étend pas à la décision rejetant pour partie sa demande en raison de la faute commise par cette victime, il en va différemment lorsqu’il existe un lien nécessaire entre les motifs fondant la décision relative aux fautes respectives.
Statuant sur le pourvoi de la demanderesse, après avoir considéré que le jugement rendu le 6 février 2014 par le tribunal de commerce de Tournai n’a pu légalement décider que « le bail a été valablement résilié à la date du 31 octobre 2002 » et que, « vu les circonstances déjà exposées, il n’est pas adéquat d’indiquer une rupture fautive du contrat, susceptible de générer le droit à réclamer une quelconque indemnité », ni, partant, déclarer non fondées les demandes de la demanderesse de résolution du bail aux torts des défendeurs et de condamnation des défendeurs à des dommages et intérêts pour rupture fautive du bail, l’arrêt de la Cour du 18 septembre 2015 énonce que la cassation de la décision du jugement attaqué que « le bail a été valablement résilié à la date du 31 octobre 2002 » entraîne celle de la décision de condamner la demanderesse à une indemnité pour perte de fonds de commerce et à la moitié du coût d’aménagement des étages de l’immeuble loué, en raison du lien nécessaire entre ces décisions, et il casse ce jugement en tant qu’il décide que le bail entre les parties a été valablement résilié à la date du 31 octobre 2002, qu’il déboute la demanderesse de sa demande de dommages et intérêts pour rupture fautive du bail, qu’il statue sur les demandes des défendeurs d’indemnisation pour la perte de leur fonds de commerce et du coût d’aménagement des étages de l’immeuble loué et qu’il statue sur les dépens.
Le jugement du 6 février 2014, sous le titre « Quant à la location du fonds de commerce », énonce que la demanderesse « a indubitablement induit les [défendeurs] en erreur en ne cessant de se prétendre propriétaire du fonds de commerce » exploité dans les lieux loués, qu’elle « a par ailleurs indubitablement laissé aux [défendeurs], par lettre du 29 janvier 2001, la faculté de quitter les lieux, de restituer les clés et donc implicitement de mettre fin au bail », que, « de ce fait, [les défendeurs] ont invité [la demanderesse] à résilier le bail à la date du 31 décembre 2002 et à faire acter cette résiliation par le magistrat cantonal », que, « vu le refus de [la demanderesse], ils ont notifié à titre conservatoire, par lettre recommandée du 17 mars 2003, congé pour le 30 septembre 2003, tout en considérant qu’ils s’estimaient autorisés à mettre fin au bail à tout moment », qu’« à cette époque, les [défendeurs] étaient en effet convaincus que [la demanderesse] était bel et bien propriétaire du fonds de commerce et que dès lors il leur était préférable d’exploiter un autre fonds », que « c’est ainsi qu’ils ont assigné les [vendeurs de ce fonds de commerce] en annulation de la cession et en restitution du prix de cette cession », que « c’est à la faveur de cette procédure qu’il a été jugé que [la demanderesse] n’était nullement propriétaire du fonds de commerce, celui-ci ayant été valablement cédé […] aux [défendeurs] », qu’« il résulte de cet exposé que, lorsqu’ils ont quitté les lieux sur l’invitation de [la demanderesse], les [défendeurs] ont agi en totale méconnaissance de leur droit, ce dont ils rendent [la demanderesse] responsable », qu’« une erreur a donc été commise, et ce dès la conclusion de la convention de location », que « la location porte en effet non seulement sur l’immeuble [mais] aussi et surtout sur le fonds de commerce, alors que [la demanderesse] n’était nullement habilitée à louer ce fonds qui ne lui appartenait pas », qu’« il semble par ailleurs que cette erreur des [défendeurs] a été provoquée par le comportement imprudent de [la demanderesse] qui n’a pas vérifié à suffisance sa qualité de propriétaire du fonds de commerce, ce qui est constitutif d’une culpa in contrahendo susceptible de donner lieu à des dommages et intérêts », qu’« en outre, l’imprudence de [la demanderesse], qui a persisté à soutenir mordicus être propriétaire du fonds de commerce, a renforcé la conviction des [défendeurs] de s’être fait berner par [les vendeurs] », qu’« enfin, il n’en reste pas moins que les [défendeurs] ont agi avec une certaine légèreté », qu’« avant de quitter les lieux loués et de renoncer à l’exploitation du fonds de commerce litigieux, il aurait été plus avisé de mieux s’informer, voire d’entamer préalablement la procédure qu’ils ont finalement diligentée contre les cédants et la [demanderesse] et d’en attendre l’aboutissement » et que « l’imprudence des parties est équivalente ».
Les décisions que le bail entre les parties a été valablement résilié à la date du 31 octobre 2002 et que n’est pas fondée la demande de la demanderesse de dommages et intérêts pour rupture fautive du bail sont fondées sur les motifs que la demanderesse « a indubitablement incité les [défendeurs], en sa lettre du
29 janvier 2001, à mettre fin au bail », que, « par le canal de leur conseil, les [défendeurs] ont proposé le 14 mai 2002 de libérer les lieux pour le 31 décembre suivant et de comparaître devant le magistrat cantonal pour faire acter cette résiliation anticipée », que, « en refusant cette proposition, [la demanderesse] a adopté une attitude incohérente qui ne peut être suivie », qu’« il échet en ce contexte de considérer que la résiliation est bel et bien intervenue à la date du
31 octobre 2002, date à laquelle les [défendeurs] ont effectivement quitté les lieux », et que, « vu les circonstances déjà exposées, il n’est pas adéquat d’indiquer une rupture fautive du contrat, susceptible de générer le droit à réclamer une quelconque indemnité ».
La décision relative à la demande des défendeurs d’indemnisation pour la perte de leur fonds de commerce est fondée sur les motifs que « l’erreur des [défendeurs], provoquée par l’imprudence de [la demanderesse], les a poussés à cesser l’exploitation du fonds de commerce », que, « toutefois, comme déjà énoncé, il convient aussi de tenir compte d’une certaine légèreté en leur chef » et que « cette perte est imputable pour moitié à [la demanderesse], laquelle sera condamnée au paiement de la [moitié de la] somme [à laquelle ce jugement estime la valeur du fonds de commerce perdu] ».
En raison du lien nécessaire entre les motifs qui soutenaient ces décisions relatives à la résiliation du bail et à la demande de la demanderesse de dommages et intérêts pour rupture fautive du bail, la cassation des décisions relatives à la résiliation du bail et à la demande de la demanderesse de dommages et intérêts pour rupture fautive du bail a entraîné celle de la décision relative à la demande des défendeurs d’indemnisation pour la perte de leur fonds de commerce en ce qu’elle leur impute une part de responsabilité dans la perte de leur fonds de commerce et déclare non fondée pour moitié leur demande d’indemnisation de cette perte.
En retenant la responsabilité exclusive de la demanderesse dans la perte du fonds de commerce des défendeurs et en la condamnant à la totalité de l'indemnité réparant ce dommage, le jugement attaqué ne viole aucune des dispositions légales visées au moyen.
Celui-ci ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de trois cent treize euros quatre-vingt-un centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du dix juin deux mille vingt-deux par le président de section Michel Lemal, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.