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20/05/2022 | BELGIQUE | N°C.21.0417.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 20 mai 2022, C.21.0417.F


N° C.21.0417.F
SERVITEX, société anonyme, dont le siège est établi à Herve (Battice), rue de Chesseroux, 7, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0453.794.605,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
VIVALIA, société coopérative, dont le siège est établi à Bastogne, chaussée de Houffalize, 1, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0214.56

7.166,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la...

N° C.21.0417.F
SERVITEX, société anonyme, dont le siège est établi à Herve (Battice), rue de Chesseroux, 7, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0453.794.605,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
VIVALIA, société coopérative, dont le siège est établi à Bastogne, chaussée de Houffalize, 1, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0214.567.166,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 9 février 2021 par la cour d’appel de Liège.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la défenderesse et déduite de ce qu’il invite la Cour à effectuer une recherche en fait :
Le moyen, en cette branche, qui fait grief à l’arrêt attaqué de, en considérant, pour exclure tout lien de causalité entre l’illégalité imputée à la défenderesse et le dommage allégué par la demanderesse, que « l’illégalité repose donc sur un manquement quant au dossier déposé » et que « rien ne permet de supposer que si [la défenderesse] avait déposé un dossier administratif dûment documenté, la décision eût été la même », méconnaître la notion légale de lien de causalité en modifiant, dans le cadre de son analyse de l’existence d’un lien de causalité, tant la nature de l’illégalité commise par la défenderesse que son alternative légitime, fait valoir que l’illégalité retenue par l’arrêt du Conseil d’État du 3 mars 2016, dont l’arrêt attaqué reproduit les termes, ne consistait pas seulement en un manquement quant au dossier administratif déposé mais en une absence, considérée comme établie par application de l’article 21, alinéa 3, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, de vérification des prix à laquelle la défenderesse était tenue et il en déduit que l’alternative légitime qu’aurait dû utiliser l’arrêt attaqué pour apprécier le lien de causalité consistait en la vérification par la défenderesse des prix qui lui étaient soumis.
Les éléments de fait nécessaires à l’examen du moyen, en cette branche, ressortent des constations de l’arrêt attaqué.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen, en cette branche :
En vertu de l’article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fourniture et de services et aux concessions de services publics, applicable, à la demande de toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par la violation alléguée, l'instance de recours peut annuler les décisions prises par les autorités adjudicatrices, y compris celles portant des spécifications techniques, économiques et financières discriminatoires, au motif que ces décisions constituent un détournement de pouvoir ou violent les dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires ainsi que les principes généraux du droit applicables au marché concerné.
L'article 65/16 de cette loi, applicable, dispose que l’instance de recours accorde des dommages et intérêts aux personnes lésées par une des violations visées à l'article 65/14 commise par l'autorité adjudicatrice et précédant la conclusion du marché, à condition que ladite instance considère comme établis tant le dommage que le lien causal entre celui-ci et la violation alléguée.
L’existence d’un lien de causalité entre une des violations visées à l'article 65/14 précité et le dommage tel qu’il s’est réalisé suppose que, sans cette violation, le dommage n’eût pu se produire tel qu’il s’est produit.
Le juge, qui apprécie l’existence d’un tel lien, doit reconstruire le cours des événements en omettant ladite violation, mais sans modifier les autres conditions dans lesquelles le dommage est survenu.
L’arrêt attaqué constate que, par un arrêt du « 3 mars 2016, le Conseil d’État [a] annul[é] la décision de [la défenderesse] du 25 mars 2014 par laquelle elle attribue le nouveau marché à la société Clean Lease Fortex » et que cet arrêt « énonce que, ‘en l'espèce, la [demanderesse] reproche à la [défenderesse] de n'avoir pas procédé à la vérification des prix à laquelle elle était tenue en vertu de l'article 21, § 1er, [de l'arrêté royal du 15 juillet 2011 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques]. Elle soutient que cette exigence s'imposait d'autant plus que « le prix proposé par l'attributaire s'écartait, dans de fortes proportions, de celui proposé par les autres candidats ». Le seul dossier de pièces transmis par la [défenderesse] à l'appui de son dernier mémoire ne contient ni les offres déposées dans le cadre du marché litigieux, ni quelque document qui attesterait qu'il a bien été procédé à la vérification des prix. Dans ces circonstances, il s'impose de considérer que la [défenderesse] n'a pas transmis, dans le délai fixé, le dossier administratif au sens de l'article 21 des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973. À défaut pour la [défenderesse] d'avoir déposé les documents pertinents permettant de contredire les affirmations de la [demanderesse], les faits allégués par celle-ci avec vraisemblance doivent, en application de l'article 21, alinéa 3, des lois sur le Conseil d'État précitées, être considérés comme établis. Il s'ensuit que le moyen est fondé’ ».
L’arrêt attaqué considère que « le Conseil d’État estime donc que la décision est irrégulière car il ne ressort pas de celle-ci ou des pièces que le pouvoir adjudicateur aurait procédé à la vérification des prix remis ».
L’arrêt attaqué, qui exclut tout lien de causalité entre l’illégalité imputée à la défenderesse et le dommage invoqué par la demanderesse aux motifs que « l’illégalité repose […] sur un manquement quant au dossier administratif » et que « rien ne permet de supposer que si [la défenderesse] avait déposé un dossier administratif dûment documenté, la décision eût été la même », viole l’article 65/16 précité.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant à la troisième branche :
Sur la première fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la défenderesse et déduite de ce qu’il invite la Cour à effectuer une recherche en fait :
Le moyen, en cette branche, qui fait grief à l’arrêt attaqué de, après avoir constaté que l’illégalité dénoncée a trait à la prise en compte d’une offre irrégulière en ce qu’elle méconnaissait le cahier spécial des charges, comparer, pour exclure l’existence d’un lien causal entre cette illégalité et le dommage allégué par la demanderesse, la situation concrète dont il est saisi à une situation alternative intégrant, dans l’historique de la cause, la modification de plusieurs circonstances qui sont autres que la simple suppression de l’illégalité commise par la défenderesse, fait valoir que l’arrêt attaqué retient le fait que la défenderesse aurait, en toute hypothèse, retiré sa décision et aurait, de manière certaine, décidé de relancer un nouveau marché, au lieu de se limiter, comme il aurait dû le faire, à exclure la prise en compte d’une offre irrégulière.
Les éléments de fait nécessaires à l’examen du moyen, en cette branche, ressortent des constations de l’arrêt attaqué.
Sur la seconde fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la défenderesse et déduite du défaut d’intérêt :
Les motifs de l’arrêt attaqué sur lesquels s’appuie la défenderesse pour qualifier de surabondants les motifs critiqués par le moyen, en cette branche, ne constituent pas un fondement distinct et suffisant de sa décision relative à l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité imputée à la défenderesse et le dommage allégué par la demanderesse.
Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.
Sur le fondement du moyen, en cette branche :
L’arrêt attaqué relève que, « s’agissant de la décision querellée du 26 mars 2013, le grief retenu par le Conseil d’État consiste en ce que ‘les clauses administratives du cahier spécial des charges imposent à chaque soumissionnaire de remettre un prix unitaire relatif à la reprise du linge. En déclarant régulière l’offre de Vanguard Sterima qui propose un prix de reprise au kilo de linge, alors que le cahier spécial des charges exigeait un prix unitaire, [la défenderesse] n’a notamment pas respecté son cahier spécial des charges et n'a pas pu, d’une part, considérer que l'offre de la société Sterima-Vanguard Textile Villers-le-Bouillet était régulière et, d’autre part, en comparer les mérites à ceux des autres offres’ » et considère que « l’irrégularité de l’acte tient au fait que l’offre de Sterima a été prise en compte alors qu’elle était irrégulière ».
Il considère que « cette décision a été retirée », que, « par ce retrait, les parties sont replacées à la veille du jour de l’adoption de la décision du 26 mars 2013 », que la défenderesse « se trouvait alors devant un triple choix : soit lancer une nouvelle procédure d’adjudication, soit prendre une nouvelle décision d’attribution, soit encore abandonner le marché », qu’« en vertu de l’article 18 de la loi du 24 décembre 1993 », la défenderesse « avait le droit de décider de renoncer au marché voire de lancer un nouveau marché », qu’« il n’a pas été jugé par le Conseil d’État que le renoncement au marché et le lancement d’un nouveau était en soi illégal mais bien que cette décision, prise par la [défenderesse], n’était pas suffisamment motivée », qu’« en l’espèce, la volonté de la [défenderesse] de relancer un nouveau marché est certaine » et qu’« il ne peut donc être soutenu par la [demanderesse] qu’elle aurait dû nécessairement obtenir le marché sur base du premier appel d’offres ».
L’arrêt attaqué, qui ne se borne pas à reconstruire le cours des événements en omettant l’illégalité qu’il tient pour établie mais modifie les autres conditions dans lesquelles le dommage est survenu, ne justifie pas légalement sa décision qu’« il ne peut être considéré qu’il y a un lien causal entre le dommage vanté et la faute retenue ».
Le moyen, en cette branche, est fondé.
La cassation de la décision d’exclure tout lien de causalité entre l’illégalité entachant la décision du 26 mars 2013 et le dommage allégué par la demanderesse s’étend à celle d’exclure tout lien de causalité entre l’illégalité entachant la décision du 25 juin 2013 et ledit dommage, en raison du lien fait par l’arrêt attaqué entre ces décisions.
Et il n’y a pas lieu d’examiner les autres branches du moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il reçoit l’appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt mai deux mille vingt-deux par le président de section Michel Lemal, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.21.0417.F
Date de la décision : 20/05/2022
Type d'affaire : Droit administratif

Analyses

L'existence d'un lien de causalité entre une des violations visées à l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fourniture et de services et aux concessions de services publics et le dommage tel qu'il s'est réalisé suppose que, sans cette violation, le dommage n'eût pu se produire tel qu'il s'est produit.

MARCHES PUBLICS (TRAVAUX. FOURNITURES. SERVICES) [notice1]


Références :

[notice1]

L. du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fourniture et de services - 24-12-1993 - Art. 65/14 - 37 / No pub 1994021012


Composition du Tribunal
Président : LEMAL MICHEL
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : DE KOSTER PHILIPPE
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-05-20;c.21.0417.f ?

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