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30/03/2022 | BELGIQUE | N°P.21.1028.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 30 mars 2022, P.21.1028.F


N° P.21.1028.F
R. J.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Thierry Moreau, avocat au barreau du Brabant wallon, et Mona Giacometti, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
1. Maître Thomas VULHOPP, avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme Erji Garden,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
2. LA BALOISE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxel

les, boulevard de la Woluwe, 64,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE D...

N° P.21.1028.F
R. J.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Thierry Moreau, avocat au barreau du Brabant wallon, et Mona Giacometti, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
1. Maître Thomas VULHOPP, avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme Erji Garden,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
2. LA BALOISE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de la Woluwe, 64,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 16 juin 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l’audience du 16 mars 2022, le conseiller Tamara Konsek a fait rapport et l’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen est pris de la violation de l’article 149 de la Constitution. Il reproche à l’arrêt de se borner à renvoyer aux motifs du jugement entrepris pour décider que la thèse de l’incendie accidentel, soutenue par le demandeur, doit être écartée. Selon le moyen, dès lors que celui-ci a fait valoir dans ses conclusions d’appel de nouveaux éléments pour étayer ses allégations, les juges d’appel n’ont pas satisfait à l’obligation de répondre auxdites conclusions.
Le juge ne doit répondre qu’aux véritables moyens, c’est-à-dire à l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte d’où, par un raisonnement juridique, cette partie prétend déduire le bien-fondé d’une demande, d’une défense ou d’une exception. Il n’est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Devant le tribunal correctionnel, le demandeur a contesté la prévention d’incendie volontaire en affirmant avoir posé un spot halogène pour s’éclairer à l’étage et avoir basculé cette source d’éclairage contre des matières combustibles après avoir accidentellement accroché la cordelière électrique. Pour appuyer cette thèse, il a notamment allégué que les conclusions de l’expert judiciaire G., selon lesquelles l’incendie a débuté au rez-de-chaussée, sont contredites par la relation des faits telle que rapportée par les pompiers et, par ailleurs, ne coïncident pas avec les explications de l’expert H., alors que sa propre thèse est chronologiquement compatible avec les déclarations des pompiers. Il a indiqué que, selon l’officier arrivé le premier sur les lieux, des panneaux en béton cellulaire du pignon ouest étaient tombés au sol après environ deux heures et que l’effondrement des dalles est intervenu au moins une heure après celui du pignon alors que l’expert G. considère, au contraire, que l’effondrement du plancher en hourdis a dû se produire relativement tôt dans le déroulement de l’incendie. Selon les conclusions d’instance, les déclarations des pompiers doivent être privilégiées puisque ceux-ci étaient sur place au moment de l’incendie, contrairement à l’expert, et qu’il est peu probable que ceux-ci aient commis une telle erreur d’observation.
Dans ses conclusions d’appel, le demandeur a exposé, en outre, les éléments suivants :
- la zone du bureau, sur lequel, selon l’expert G., les dalles seraient rapidement tombées avant que ce lieu ne brûle, n’était séparée de la zone dans laquelle celui-ci a situé le début de l’incendie que par une cloison en plaques de bois facilement inflammable, ce qui aurait dû provoquer une combustion rapide et donc plus importante dudit bureau ;
- eu égard à la divergence entre les avis des experts H. et G. quant à la chute des dalles, il y a lieu de prendre en considération les déclarations des pompiers ;
- le pompier arrivé le premier sur place a exposé avoir trouvé le volet donnant accès à l’entrepôt complètement détruit et l’expert H. a précisé que la partie inférieure du volet a été relativement préservée de l’incendie, d’où il suit, selon le demandeur, que le feu a dû prendre à l’étage, se propageant du haut vers le bas ;
- la coupure simultanée de l’ordinateur se trouvant dans le bureau et de ceux se trouvant dans la salle d’exposition ne peut s’expliquer que par la coupure simultanée de leur alimentation électrique, laquelle peut avoir été causée par le spot halogène ;
- la thèse du conseil technique, selon laquelle le feu a pris à l’étage, est compatible avec les déclarations des pompiers et celles de témoins qui ont vu le feu sortir du toit au moment de l’appel aux pompiers, ainsi qu’avec les éléments qui précèdent.
Par cette argumentation, le demandeur a soutenu, tant devant le tribunal correctionnel que devant la cour d’appel, qu’il existait un doute quant à sa responsabilité dans les faits en raison de l’absence de valeur probante du rapport de l’expert judiciaire G., invoquant, notamment, une contradiction entre le rapport d’expertise et les déclarations des pompiers. En degré d’appel, il a fait valoir des éléments de fait complémentaires qui, selon lui, accréditent le récit des pompiers.
Par renvoi aux motifs du premier juge, la cour d’appel a, en substance, relevé que
- quatre experts se sont penchés sur l’incendie, à savoir l’expert H., désigné par le juge d’instruction, l’expert G., désigné par le tribunal correctionnel, l’expert C., requis par le ministère public et le contre-expert G., conseil technique du demandeur ;
- nonobstant certaines différences sensibles entre leurs explications, lesquelles n’invalident pas leurs raisonnements respectifs, les experts H. et G. concluent que l’incendie est manifestement d’origine volontaire ;
- l’expert H., qui s’est rendu sur les lieux du sinistre peu après l’incendie, rejette l’origine « électrique » après avoir constaté que l’installation électrique était de conception récente et présentait un niveau de protection élevé ; il considère qu’une source d’énergie a été apportée de manière non-accidentelle, situe l’origine de l’incendie au rez-de-chaussée du bâtiment et constate la présence, non expliquée par les éléments du dossier répressif, de produits accélérants en quantité et composition variables et visant une destruction majeure de la construction et de son contenu ;
- l’expert G. conclut, au terme d’une expertise contradictoire, à la présence d’un foyer initial situé au rez-de-chaussée de l’entrepôt en zone 1c et 1d où il y a eu une présence anormale d’accélérants en de nombreux endroits ; il conclut à un développement large et rapide du foyer d’incendie, à l’absence d’indice d’une source d’énergie normalement présente et susceptible de causer la naissance accidentelle du foyer initial ; il entérine toutes les exclusions exposées par l’expert H. ; il mentionne l’apport d’une source d’énergie extérieure comme seule explication possible pour le sinistre ;
- pour exclure l’hypothèse de la thèse accidentelle soutenue par le conseil technique du demandeur, l’expert G. a relevé que la poutre métallique entre les zones 7b et 7c a été attaquée au départ de sa face nord, soit à l’opposé de l’endroit où reposait le spot halogène qui serait à l’origine du sinistre, que les photos de la couverture de toiture montrent un cheminement de l’incendie contraire à celui exposé par le conseil technique, que l’examen des poutrelles PM1, PM2 et PM3 montre une progression de l’incendie dont l’origine est située au rez-de-chaussée et que le développement décrit par le conseil technique ne permet pas d’expliquer les importantes dégradations rencontrées au rez-de-chaussée ;
- le spot halogène et la cordelière qui pendait depuis l’étage jusqu’à la prise n’ont pas été trouvés par l’expert H. lors de sa visite des lieux, le demandeur n’a évoqué leur existence qu’en 2010, les faits étant survenus en août 2008, et le spot saisi par l’huissier de justice le 5 octobre 2011 présentait une ampoule intacte alors qu’il serait à l’origine d’un incendie ayant engendré des températures telles que les structures de béton et d’acier ont subi des déformations importantes ;
- l’incompatibilité entre le rapport de l’expert G. et la relation des faits telle que rapportée par les pompiers est relative à l’effondrement ponctuel de trois dalles de plancher du premier étage qui résulte, selon l’expert G., de la déformation de la structure métallique les supportant en raison de la chaleur intense, ce qui est confirmé par l’expert H. qui a soulevé à cet égard que la mise hors service des trois ordinateurs à 23h34 indique que l’incendie était déjà dans une phase de développement très avancée, proche de l’embrasement général, de telle sorte qu’il est parfaitement concevable qu’une dalle ait pu s’effondrer avant l’arrivée des pompiers qui ne l’ont pas remarqué.
L’arrêt déduit de ces éléments que les conclusions des experts H. et G., malgré les quelques divergences entre les rapports, permettent de conclure, au-delà de tout doute raisonnable, au caractère intentionnel de l’incendie.
Il ajoute, par motifs propres, que les arguments développés par le demandeur devant les juges d’appel ne permettent pas d’énerver les conclusions du premier juge et que la thèse de la chute accidentelle d’un spot, sur laquelle le conseil technique fonde ses conclusions, repose sur les seules affirmations ou supputations du demandeur.
Par ces énonciations, l’arrêt répond, par une appréciation contraire en fait, aux conclusions du demandeur qui faisaient valoir un doute quant au caractère volontaire de l’incendie, déduit de l’absence de force probante de l’expertise judiciaire.
Les juges d’appel ont ainsi régulièrement motivé leur décision. Ils n’étaient pas tenus de s’expliquer en outre et séparément sur chacun des éléments de fait allégués par le demandeur, et qui ne constituent pas des moyens distincts.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Selon le moyen, l’arrêt viole la foi due aux conclusions d’appel du demandeur en énonçant que celui-ci n’apporte aucun élément nouveau à l’appui de sa thèse mais qu’il se contente de répéter les arguments déjà rencontrés par le premier juge.
Ainsi qu’il est indiqué en réponse à la première branche du moyen, le demandeur a allégué, tant devant le tribunal correctionnel que devant la cour d’appel, avoir provoqué accidentellement l’incendie et il a soutenu que les conclusions de l’expert judiciaire G., qui contredisent cette thèse, ne sont pas probantes, eu égard aux éléments de fait qu’il a exposés devant l’une ou l’autre de ces juridictions.
En énonçant que la thèse développée par le demandeur dans ses dernières conclusions d’appel est en réalité identique à celle déjà soutenue par lui devant le premier juge, l’arrêt ne donne pas, de ces conclusions, une interprétation inconciliable avec leurs termes. Il se borne, ce qui est différent, à juger que les éléments invoqués ne présentent pas le caractère de nouveauté qui permettrait d’étayer sa thèse.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Pris de la méconnaissance du principe dispositif, le moyen reproche à l’arrêt d’allouer au défendeur une indemnité de procédure pour les deux instances alors qu’une telle demande n’avait pas été formulée par lui devant la cour d’appel.
En vertu de l’article 1018, 6°, du Code judiciaire, les dépens comprennent l’indemnité de procédure visée à l’article 1022 du même code.
Dans ses « conclusions additionnelles et de synthèse en degré d’appel », le défendeur a sollicité la condamnation du demandeur « aux entiers frais et dépens des deux instances ».
Le moyen manque en fait.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent trente-trois euros septante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du trente mars deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.1028.F
Date de la décision : 30/03/2022
Type d'affaire : Autres - Droit pénal

Analyses

En vertu de l’article 1018, 6°, du Code judiciaire, les dépens comprennent l’indemnité de procédure visée à l’article 1022 du même code; lorsque, dans ses conclusions d’appel, la partie civile a sollicité la condamnation du prévenu « aux entiers frais et dépens des deux instances », le moyen de cassation qui, pris de la méconnaissance du principe dispositif, reproche à l’arrêt attaqué d’allouer à la partie civile une indemnité de procédure pour les deux instances alors qu’une telle demande n’a pas été formulée par lui devant la cour d’appel, manque en fait (1). (1) Le demandeur reprochait à l’arrêt de statuer ainsi ultra petita. Or, « l'article 1017 [al. 1er] du Code judiciaire disposant que tout jugement prononce, même d'office, la condamnation aux dépens, en règle, contre la partie qui a succombé (…), le juge qui condamne l'une des parties aux dépens ne saurait avoir ainsi violé l'article 1138, 2°, du même code pour s'être prononcé sur choses non demandées ou avoir adjugé plus qu'il n'a été demandé » (Cass. 9 novembre 1979, Pas. 1980, 324 ; voir Cass. 16 décembre 2004, RG C.02.0212.N-C.02.0251.N, Pas. 2004, n° 614, dont il ressort que « le juge qui liquide les dépens ne statue pas sur une action en justice » ; Cass. 16 mai 1974, Pas. 1974, 965). Et « en vertu de l'article 162bis, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle et de l'article 1022 du Code judiciaire, le juge pénal peut condamner d'office le prévenu, la partie responsable civilement ou la partie intervenue pour le prévenu qui succombent, à une indemnité de procédure au profit de la partie civile qui obtient gain de cause » (Cass. 7 mai 2013, RG P.12.0753.N, Pas. 2013, n° 284 ; Cass. 20 janvier 2010, RG P.09.1146.F, Pas. 2010, n° 47, avec concl. de M. LECLERCQ, procureur général). Le ministère public en a déduit que, procédant d’autres principes juridiques, le moyen manque en droit. (M.N.B.).

INDEMNITE DE PROCEDURE - FRAIS ET DEPENS - MATIERE REPRESSIVE - Procédure devant le juge du fond - ACTION CIVILE - TRIBUNAUX - MATIERE REPRESSIVE - Action civile - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - DEMANDE EN JUSTICE [notice1]


Références :

[notice1]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 1018, 6°, 1022 et 1138, 2° - 01 / No pub 1967101052 ;

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 162bis - 30 / No pub 1808111701


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : FENAUX TATIANA
Ministère public : NOLET DE BRAUWERE MICHEL
Assesseurs : DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, KONSEK TAMARA, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-03-30;p.21.1028.f ?

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