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23/03/2022 | BELGIQUE | N°P.21.1500.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 mars 2022, P.21.1500.F


N° P.21.1500.F
1. H.D., J.-Y., P.,
2. L. M. D., J., A.,
3. G. G., E., L.,
4. R. E., J.-C., C.,
5. N. H. N.,
6. L. B. G., G.,
7. L. S.,
8. A. G., N., F.,
9. Q. B., J.-M.,
10. C. A., C., G.,
11. D. F., J.-M., C.,
12. G.B. S.-A.,
13. C.F.,
14. L. K., F., G.,
15. F. A.,
16. B. T., E., J.-M.,
17. C. A.M., E.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un a

rrêt rendu le 19 octobre 2021 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent quatre moy...

N° P.21.1500.F
1. H.D., J.-Y., P.,
2. L. M. D., J., A.,
3. G. G., E., L.,
4. R. E., J.-C., C.,
5. N. H. N.,
6. L. B. G., G.,
7. L. S.,
8. A. G., N., F.,
9. Q. B., J.-M.,
10. C. A., C., G.,
11. D. F., J.-M., C.,
12. G.B. S.-A.,
13. C.F.,
14. L. K., F., G.,
15. F. A.,
16. B. T., E., J.-M.,
17. C. A.M., E.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 19 octobre 2021 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 15 mars 2022, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
A l’audience du 23 mars 2022, le président chevalier Jean de Codt a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation de l’article 207 du Code d’instruction criminelle. Il reproche à l’arrêt attaqué de confirmer, même partiellement, le jugement entrepris, sans que le dossier mis à la disposition de la juridiction d’appel ne contienne une copie certifiée conforme de cette décision.
Mais en date du 25 janvier 2022, le procureur du Roi près le tribunal correctionnel de Liège a transmis une copie, certifiée conforme par le greffier, du jugement rendu le 23 novembre 2020, sous le numéro 2429 du répertoire, par la dix-septième chambre du tribunal de première instance de Liège, division Liège.
Le contenu de cette pièce est conforme, en tous points, à celui de la copie libre figurant sous la pièce 8 dans la sous-farde numéro 59 intitulée « Procédure devant le tribunal correctionnel ».
Dès lors qu’au stade de la procédure devant la Cour, il a été remédié à l’omission dénoncée par les demandeurs, que cette omission n’a pas eu d’incidence sur l’exercice des droits de la défense et que la Cour est en mesure d’exercer le contrôle de la légalité du jugement entrepris et partiellement confirmé par l’arrêt, le moyen est irrecevable à défaut d’intérêt.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 66, 67 et 406, alinéa 1er, du Code pénal.
Les demandeurs font valoir que l’entrave méchante à la circulation routière est une infraction instantanée, que la participation punissable suppose un acte positif préalable ou concomitant à l’infraction, et que l’arrêt constate que les prévenus sont arrivés sur les lieux après la mise en place des barrages obstruant l’autoroute. Ils en concluent que, l’infraction étant instantanée, ils n’ont pas pu y participer après qu’elle a été consommée.
Une infraction est instantanée lorsque le fait vient à cesser dès qu’il a été commis.
L’infraction continue met son auteur dans un état permanent de flagrance jusqu’à ce qu’un fait contraire ou toute autre circonstance atteste qu’elle a cessé de se commettre. Elle crée un état de fait qui trouble de façon permanente l’ordre public et qui, aussi longtemps que cet état persiste par la volonté de l’agent, met en péril l’intérêt général.
Si la loi interdit d’entraver méchamment la circulation, il est manifeste que l’infraction ne réside pas seulement dans l’édification du barrage ou de l’obstacle mais encore, et surtout, dans le blocage que ce dispositif permet d’assurer aussi longtemps qu’il n’aura pas été levé.
Et ce n’est pas parce que les automobilistes bloqués par un barrage ne sont plus, de ce fait, en mouvement, que leur immobilisation cesse d’être punissable, non seulement dans le chef de ceux qui ont édifié l’obstacle, mais aussi dans le chef de ceux qui contribuent à en maintenir tant l’existence que les effets.
Soutenant que l’entrave méchante est une infraction instantanée de sorte qu’il n’est pas possible d’y participer après la mise en place de l’obstacle qui la produit, le moyen manque en droit.
Sur le troisième moyen :
Les demandeurs font valoir que leur condamnation constitue, par rapport aux droits et libertés consacrés par les articles 10 et 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, une restriction non conforme au second paragraphe de chacun de ces articles.
Ils soutiennent que, n’ayant pas édifié eux-mêmes les barrages et ne s’étant vus reprocher que leur inaction, ils sont l’objet d’une répression qui n’est pas nécessaire pour la protection de la sécurité publique et qui est disproportionnée quant à la balance à effectuer entre l’intérêt général et celui des demandeurs à faire entendre leurs revendications au moyen de la manifestation de leur choix.
L’article 406 du Code pénal entend protéger la liberté d’aller et venir, et de circuler. L’objectif de cette disposition est de prévenir les répercussions que la paralysie du trafic normal des voyageurs et des marchandises peut entraîner pour la vie économique et sociale du pays.
L’arrêt constate que l’autoroute a été bloquée à hauteur du pont de Cheratte, par la mise en place d’une barricade et la présence d’environ deux cents manifestants, dont les dix-sept prévenus. Pour faire obstacle à toute circulation, y compris d’urgence, divers objets, notamment du matériel de signalisation, des pneus et des palettes de bois ont été disposés sur la chaussée. Le feu y a été bouté, provoquant une fumée qui gênait considérablement la visibilité. Le danger causé par ces actes résulte du risque de collision en chaîne des véhicules arrivant sur les lieux, des manœuvres de demi-tour des nombreux poids lourds, de l’agitation des automobilistes coincés dans l’embouteillage, de l’impossibilité pour les ambulances de se frayer un passage et du risque d’atteinte aux structures du pont qui, déjà fragilisées par des travaux en cours, auraient pu céder sous l’effet de la chaleur induite par les incendies.
Selon l’arrêt, ce blocage complet a entraîné un bouchon de l’ordre de quatre cents kilomètres, a persisté pendant cinq heures et n’a pu être levé qu’après le départ des manifestants.
D’après les juges du fond, les demandeurs ne se sont pas contentés de se rendre sur place comme de simples spectateurs ou seulement pour prendre la mesure de la situation. Ils s’y sont maintenus plusieurs heures, ont fait des allées et venues entre les différentes actions, ont grossi le rang des manifestants en empêchant le rétablissement de la circulation, ont rendu complexe l’intervention des forces de l’ordre, ont conforté les affiliés dans leur action, ont constitué par leur présence solidaire et en soutien un élément essentiel du piquet de masse, composante majeure du dispositif de blocage.
Les juges d’appel ont considéré que la prévention des accidents ou des dangers pour la circulation est un objectif nécessaire dans une société démocratique, et que la répression des actes qui y portent gravement atteinte n’est pas disproportionnée au regard du droit de grève et des libertés d’expression et d’association, dès lors que ce droit et ces libertés peuvent s’exercer sans prêter la main aux agissements décrits ci-dessus.
L’arrêt est ainsi légalement justifié.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 6.4, G et N de la Charte sociale européenne révisée signée à Strasbourg le 3 mai 1996, et 195, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle. Il reproche à l’arrêt de condamner plus sévèrement certains des demandeurs en raison de la fonction qu’ils exercent du fait de leur qualité de responsables syndicaux.
Les articles 6.4 et N de la Charte stipulent que les Etats parties reconnaissent le droit de grève et peuvent le réglementer. Dénuées du caractère suffisamment clair et précis qui permettrait de leur reconnaître un effet direct, ces dispositions n’attribuent pas aux demandeurs, prévenus, un droit subjectif qu’ils pourraient faire valoir à l’encontre des sanctions pénales requises à leur charge.
A cet égard, le moyen manque en droit.
Pour déterminer la nature et le taux de la peine à prononcer envers chacun des prévenus, l’arrêt prend en compte divers éléments parmi lesquels, en ce qui concerne les huitième, neuvième, treizième, quinzième et seizième demandeurs, les fonctions qui, exercées par eux au sein d’un syndicat, leur ont conféré un rôle prépondérant lors de la commission des faits.
Ce motif n’entend pas asseoir l’aggravation de la peine sur la fonction syndicale exercée mais sur le mésusage de l’autorité et de la capacité à se faire obéir que cette fonction procurait à chacun de ses titulaires sur les manifestants.
Reposant sur une interprétation inexacte de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de deux cent quarante-cinq euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-trois mars deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.1500.F
Date de la décision : 23/03/2022
Type d'affaire : Droit pénal - Droit du travail - Droit européen

Analyses

Une infraction est instantanée lorsque le fait vient à cesser dès qu’il a été commis; l’infraction continue met son auteur dans un état permanent de flagrance jusqu’à ce qu’un fait contraire ou toute autre circonstance atteste qu’elle a cessé de se commettre et crée un état de fait qui trouble de façon permanente l’ordre public et qui, aussi longtemps que cet état persiste par la volonté de l’agent, met en péril l’intérêt général (1). (1) Voir les concl. du MP.

INFRACTION - ESPECES - Infraction instantanée. Infraction continuée. Infraction continue

Si la loi interdit d’entraver méchamment la circulation, il est manifeste que l’infraction ne réside pas seulement dans l’édification du barrage ou de l’obstacle mais encore, et surtout, dans le blocage que ce dispositif permet d’assurer aussi longtemps qu’il n’aura pas été levé; ce n’est pas parce que les automobilistes bloqués par un barrage ne sont plus, de ce fait, en mouvement, que leur immobilisation cesse d’être punissable, non seulement dans le chef de ceux qui ont édifié l’obstacle, mais aussi dans le chef de ceux qui contribuent à en maintenir tant l’existence que les effets (1). (1) Voir les concl. du MP.

ENTRAVE A LA CIRCULATION [notice2]

L’article 406 du Code pénal entend protéger la liberté d’aller et venir, et de circuler; l’objectif de cette disposition est de prévenir les répercussions que la paralysie du trafic normal des voyageurs et des marchandises peut entraîner pour la vie économique et sociale du pays (1). (1) Voir les concl. du MP.

ENTRAVE A LA CIRCULATION [notice3]

Les articles 6.4 et N de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 stipulent que les Etats parties reconnaissent le droit de grève et peuvent le réglementer; dénuées du caractère suffisamment clair et précis qui permettrait de leur reconnaître un effet direct dans le cadre de poursuites pénales, ces dispositions n’attribuent pas à un prévenu un droit subjectif qu’il pourrait faire valoir à l’encontre des sanctions pénales requises à sa charge.

ENTRAVE A LA CIRCULATION - GREVE ET LOCK-OUT - UNION EUROPEENNE - DROIT MATERIEL - Principes [notice4]


Références :

[notice2]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 406 - 01 / No pub 1867060850

[notice3]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 406 - 01 / No pub 1867060850

[notice4]

Charte sociale européenne (révisée) - 03-05-1996 - Art. 6.4 et N - 52 / Lien DB Justel 19960503-52


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : ROGGEN FRANCOISE, KONSEK TAMARA, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-03-23;p.21.1500.f ?

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