N° P.21.1532.F
I. M.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Philippe Charpentier, avocat au barreau de Huy,
contre
SOCIETE BASE DE VILLERS LE BOUILLET, société anonyme, dont le siège est établi à Villers-le-Bouillet, rue de l’Avenir, 1,
partie civile,
défenderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Philippe Culot, avocat au barreau de Liège.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 28 octobre 2021 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée à charge du demandeur :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 461, 463 et 464 du Code pénal. Il est fait grief à l’arrêt attaqué de ne pas préciser les éléments permettant de conclure au caractère frauduleux des soustractions imputées au prévenu.
L’intention frauduleuse requise par l’article 461 du Code pénal existe dès que celui qui soustrait une chose contre le gré de son propriétaire, agit avec l’intention de se l’approprier.
Il ressort des constatations de l’arrêt que les dirigeants de la société Intermarché se sont aperçus d’une différence entre les stocks informatiques et les stocks physiques des palettes servant au transport des marchandises.
Selon l’arrêt, les investigations réalisées pour expliquer cette différence ont fait apparaître que des bons de restitution des palettes avaient été dérobés afin d’en permettre la récupération et la revente, au préjudice de l’entreprise.
D’après les juges d’appel, les bons n’étaient pas censés sortir de l’entrepôt. Ils devaient assurer la rotation des palettes entre les transporteurs et les fournisseurs.
La cour d’appel a constaté cependant que le demandeur apparaissait sur les images de vidéosurveillance comme ayant, à plusieurs reprises, fouillé une boîte aux lettres, afin d’y subtiliser les bons en les cachant dans ses vêtements ou en les emportant sans les remettre dans la boîte.
L’arrêt ajoute que le demandeur n’est pas crédible lorsqu’il affirme que les bons ne sont pas sortis de l’entrepôt ou que ce ne sont pas des bons qu’il a pris dans la boîte aux lettres.
Les juges d’appel ont précisé ainsi les circonstances dont ils ont déduit le caractère frauduleux des prélèvements observés dans le chef du demandeur.
Reposant sur une lecture incomplète de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l’action civile exercée par la défenderesse, statue sur
1. le principe de la responsabilité :
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 1382 de l’ancien Code civil, et 9 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel.
Le demandeur reproche à l’arrêt d’accueillir, en son principe, la prétention de la partie civile au remboursement des compléments d’allocations de chômage qu’elle a dû décaisser en faveur du prévenu, licencié pour motif grave, conformément à l’article 9 de la loi précitée.
Dans un écrit de conclusions daté du 9 août 2021, le demandeur a fait valoir qu’il n’y a pas de lien causal entre l’infraction et le payement de ces compléments, dès lors que leur décaissement résulte de la loi et non des vols que le prévenu aurait commis au préjudice de son employeur.
Mais l’arrêt considère que l’employeur, qui est privé des prestations de son employé parce que celui-ci a commis à son détriment un délit rendant impossible la poursuite de la relation de travail, et qui est tenu de verser à cet employé, travailleur protégé, les indemnités prescrites par la loi, peut subir, de ce fait, un dommage consistant dans le fait de devoir consentir à des décaissements sans contrepartie.
Sur ce fondement, les juges d’appel ont légalement conclu à l’existence du lien causal dénié par le demandeur.
Contrairement à ce que celui-ci soutient, le dommage consistant dans le fait de devoir verser, sans contrepartie, jusqu’à l’issue de la procédure de licenciement pour motif grave, des indemnités au travailleur protégé soupçonné de vol, est un dommage dont la réparation n’est pas subordonnée à une permission expresse que la loi du 19 mars 1991 devrait contenir en son article 9. Le droit de l’employeur à obtenir la réparation dudit dommage trouve son fondement dans l’article 1382 de l’ancien Code civil, pour autant qu’il soit constaté que le préjudice ne se serait pas produit en l’absence du délit ayant entraîné la suspension de l’exécution du contrat de travail.
Ne porte pas atteinte au droit à la réparation dudit dommage le quatrième alinéa de l’article 9 précité, aux termes duquel l’indemnité complémentaire versée par l’employeur reste acquise au délégué du personnel, quelle que soit la décision de la juridiction du travail sur les motifs invoqués à l’appui du licenciement.
Pour le surplus, le demandeur n’a pas invoqué l’existence d’une disposition stipulant que le payement des indemnités complémentaires imposé à l’employeur devait rester à sa charge. Les juges d’appel n’avaient dès lors pas à exclure l’existence d’une telle disposition.
Le moyen ne peut être accueilli.
2. l’étendue des dommages :
L’arrêt alloue des indemnités provisionnelles à la défenderesse et réserve à statuer quant au surplus de sa réclamation.
Pareille décision n’est pas définitive au sens de l’article 420, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, et est étrangère aux cas visés par le second alinéa de cet article.
Prématuré, le pourvoi est irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent dix-sept euros vingt et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du seize mars deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.