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19/01/2022 | BELGIQUE | N°P.20.1182.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 janvier 2022, P.20.1182.F


N° P.20.1182.F
H. C., F., G.,
prévenue,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Cécile Dascotte, avocat au barreau de Mons, et Mathieu Simonis, avocat au barreau de Liège,
contre
1. S. E.,
2. IMOGES, société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Ecaussinnes, avenue de la Déportation, 41,
parties civiles,
défendeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître David Gelay, avocat au barreau de Charleroi.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 30 octobre 2020 par la

cour d’appel de Mons, chambre correctionnelle.
La demanderesse invoque quatre moyens dans un mémoire ...

N° P.20.1182.F
H. C., F., G.,
prévenue,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Cécile Dascotte, avocat au barreau de Mons, et Mathieu Simonis, avocat au barreau de Liège,
contre
1. S. E.,
2. IMOGES, société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Ecaussinnes, avenue de la Déportation, 41,
parties civiles,
défendeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître David Gelay, avocat au barreau de Charleroi.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 30 octobre 2020 par la cour d’appel de Mons, chambre correctionnelle.
La demanderesse invoque quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions d'acquittement partiel :
Dénué d'intérêt, le pourvoi est irrecevable.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision de condamnation rendue sur l'action publique :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 et 150 de la Constitution. Il reproche à l’arrêt attaqué de motiver la condamnation de la demanderesse du chef de calomnie (prévention B) par la considération selon laquelle « les déclarations [du témoin R.] sont corroborées par […] la teneur du blog de la [demanderesse] relativement à cette construction », alors que, d’une part, la calomnie commise au moyen d’un écrit numérique diffusé dans le public est un délit de presse relevant de la compétence de la cour d’assises et que, d’autre part, l’arrêt admet par ailleurs que la chambre du conseil, dans sa décision de renvoi correctionnel, a expressément exclu ces faits.
La cour d’appel n’a pas dit la demanderesse coupable de calomnie au motif qu’elle a commis ce délit en tenant des propos calomnieux dans sa chronique personnelle publiée sur internet (blog), mais en raison d’un autre fait, c’est-à-dire celui d’avoir verbalement allégué, au cours de la réunion du 4 février 2016 entre l’administration communale d’E. et les nouveaux résidents d’un immeuble dont le défendeur était le promoteur, que celui-ci et sa société réalisaient des constructions au mépris des règles en vigueur et commercialisaient des logements invendables, incessibles et risquant d’être détruits à tout moment.
Fondé sur l’affirmation du contraire, le moyen, dans cette mesure, manque en fait.
Le moyen reproche également à l’arrêt de motiver la déclaration de culpabilité du chef de l’infraction de harcèlement (prévention A), en prenant en considération, parmi les comportements qui ont gravement affecté la tranquillité du défendeur, la distribution de tracts contre ses projets, alors que le harcèlement commis au moyen d’un tel écrit imprimé et diffusé dans le public constitue un délit de presse relevant de la seule compétence du jury.
Le délit de presse visé à l’article 150 de la Constitution est l’atteinte aux droits soit de la société, soit d’un citoyen, par l’expression d’une pensée ou d’une opinion délictueuse dans un écrit imprimé ou numérique, qui a été diffusé dans le public.
La cour d’appel a d’abord constaté que les comportements reprochés à la demanderesse visaient systématiquement les projets du défendeur et ont consisté dans la distribution de tracts à l’encontre de ses projets, le démarchage afin de mobiliser les riverains, la rédaction d’articles sur le blog de la demanderesse, les pressions exercées auprès des services de l’urbanisme, les dénonciations aux autorités judiciaires et de tutelle et l’interpellation des clients.
Elle a ensuite considéré qu’« il est certain que ces attaques incessantes contre la probité et les projets professionnels [du défendeur] ont affecté gravement sa tranquillité, en instillant un doute quant à son honnêteté auprès de la population, des services avec lesquels il devait travailler, des autorités et de ses clients, et en perturbant le déroulement normal des procédures d’octroi et de recours des permis de bâtir sollicités ». S’agissant de l’élément moral de l’infraction de harcèlement, l’arrêt énonce qu’« au vu de la longueur de la période infractionnelle, de la multitude des comportements adoptés, de leur caractère systématique et des différents publics visés, il est inconcevable que la prévenue n’ait pas pris conscience des conséquences de ses actes pour la victime ».
L’arrêt précise, au sujet de la rédaction d’articles sur le blog de la demanderesse, que « même si ces comportements ne devaient pas être jugés par eux-mêmes illicites, relevant d’opinions émises par voie de presse par la prévenue, le délit de harcèlement ne nécessite pas que les actes posés soient illégaux » et que « les articles publiés, de par leur répétition et leur inscription dans le contexte général du dossier, sont dès lors de nature à fonder la prévention ».
Il ressort de ces motifs que la cour d’appel n’a pas déclaré établie la prévention de harcèlement parce que les pensées ou les opinions exprimées dans les tracts ou le blog de la demanderesse seraient délictueuses, mais en raison des effets que les attaques menées par elle au moyen de tracts, démarchages, articles sur son blog, pressions sur les services d’urbanisme, dénonciations aux autorités et interpellations de clients ont eu sur la tranquillité du défendeur, compte tenu de leur caractère incessant, multiple, répétitif et systématique, ainsi que de la longueur de la période au cours de laquelle elles ont été commises et le contexte dans lequel elles se sont insérées.
N’ayant pas fondé leur décision sur une appréciation du caractère délictueux des pensées ou opinions que la demanderesse a diffusées au moyen d’écrits imprimés ou numériques, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition constitutionnelle précitée.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 4 et 12 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse. Il soutient que les juges d’appel n’ont pas pu légalement décider que les faits de calomnie reprochés à la demanderesse se prescrivent par cinq ans et non par trois mois. En substance, la demanderesse reproche à l’arrêt de retenir la prescription quinquennale au motif que les imputations calomnieuses ne se rapportent pas à la fonction publique de conseiller communal du défendeur mais relèvent de sa vie privée, alors que, par ailleurs, l’arrêt constate que la demanderesse a reproché au défendeur « un conflit d’intérêt et un détournement de pouvoir […] relativement à la rénovation de la rue C. », a affirmé que « l’immobilier serait un enjeu majeur et une source de conflits, de manipulations et d’hypocrisie puisque la majorité avait décidé de s’allier à un promoteur vorace », et a fait le lien, relativement aux débats urbanistiques dans la commune, entre les fonctions professionnelles du défendeur et son mandat politique.
Ainsi qu’il a été indiqué dans la réponse au premier moyen, la prévention de calomnie déclarée établie vise uniquement les propos que la demanderesse a tenus au cours de la réunion du 4 février 2016 organisée entre l’administration communale et les nouveaux résidents, imputant au défendeur de ne pas respecter les règles applicables en matière de construction d’immeubles et l’accusant de commercialiser des logements invendables, incessibles et risquant d’être détruits à tout moment.
En ayant considéré que l’infraction de calomnie portant sur cette imputation est soumise à la prescription quinquennale au motif qu’elle ne se rapporte pas à la fonction publique du défendeur mais concerne sa « vie privée », les juges d’appel ont légalement justifié leur décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
L’arrêt énonce, au sujet de la distribution des tracts à l’encontre des projets du défendeur, que « le témoin V. déclare “je me souviens également d’un toutes-boîtes distribué par [la demanderesse] préalablement à des élections où elle parlait d’un promoteur qui faisait fi des règles et de possibles collusions entre ce promoteur et la commune” (pièce 14) » et que « [la demanderesse] reconnaît par ailleurs être à l’origine d’un “toutes-boîtes” suite au projet immobilier de la rue P. dont elle remet une copie aux enquêteurs (pièce 22) ».
Le moyen soutient qu’en retenant cet aveu pour décider que la demanderesse serait l’auteur du tract mentionné par le témoin, l’arrêt viole la foi due aux auditions de ces personnes, puisqu’il apparaît de l’arrêt attaqué et des pièces sur lesquelles il se fonde que ce tract ne concerne pas le projet de la rue P. mais celui de la rue C. dont la demanderesse n’a pas parlé.
Contrairement à ce que le moyen soutient, l’arrêt n’affirme pas, par les motifs cités ci-dessus, que le tract ou le toutes-boîtes dont la demanderesse a reconnu être l’auteur s’identifie à celui dont le témoin V. se souvient dans sa déclaration, ni que les tracts dont l’une et l’autre font état concernent tous deux le projet immobilier de la rue P..
La demanderesse reproche également aux juges d’appel d’affirmer, sur la base de ses déclarations et de celles des témoins D., C., V. et H., que le démarchage des riverains concerne plusieurs projets immobiliers du défendeur, alors qu’il ressort de ces déclarations que ce porte-à-porte ne visait que le seul projet immobilier de la rue C..
Outre les témoignages que le moyen invoque, l’arrêt se fonde également, pour énoncer le motif critiqué, sur la déclaration d’un témoin supplémentaire qui, selon l’arrêt, a dit avoir appris par des employés communaux que la demanderesse « faisait des démarches auprès des riverains à l’encontre des projets immobiliers [du défendeur] ».
Procédant d’une lecture erronée et incomplète de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 195 du Code d’instruction criminelle et 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Après avoir apprécié la question de la culpabilité du prévenu, le juge peut tenir compte, pour se prononcer sur le choix et le degré de la peine à infliger, de tous les éléments propres à la personnalité du prévenu, pourvu qu’il ne sanctionne pas la manière dont il s’est défendu de l’accusation portée contre lui.
L’arrêt considère qu’« au vu de l’absence de remise en question de la prévenue quant à son comportement, la mesure de la suspension du prononcé de la condamnation dont elle a bénéficié en première instance est inopportune au risque de banaliser les actes commis et de créer un certain sentiment d’impunité dans son chef ».
Par ce motif, les juges d’appel n’ont pas sanctionné la manière dont la demanderesse s’est défendue, mais ont pris en considération un élément de sa personnalité, à savoir l’absence de remise en question face à des actes qui, selon eux, ne peuvent être banalisés.
Contrairement à ce que le moyen soutient, la cour d’appel n’a pas violé les dispositions invoquées ni les droits de la défense de la demanderesse, en ayant indiqué, par cette considération, les raisons du choix et du degré de la peine d’emprisonnement prononcée à sa charge.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
C. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions rendues sur les actions civiles :
La demanderesse n’invoque aucun moyen spécifique.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de trois cent vingt-trois euros trois centimes dont cent trente euros quarante et un centimes dus et cent nonante-deux euros soixante-deux centimes payés par cette demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, Sidney Berneman, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-deux par Françoise Roggen, conseiller faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.20.1182.F
Date de la décision : 19/01/2022
Type d'affaire : Droit pénal - Droit constitutionnel - Autres

Analyses

Le délit de presse visé à l’article 150 de la Constitution est l’atteinte aux droits soit de la société, soit d’un citoyen, par l’expression d’une pensée ou d’une opinion délictueuse dans un écrit imprimé ou numérique, qui a été diffusé dans le public (1); lorsqu’il ressort des motifs de l’arrêt que la cour d’appel n’a pas déclaré établie la prévention de harcèlement parce que les pensées ou les opinions exprimées dans les tracts ou le blog de la prévenue seraient délictueuses, mais en raison des effets que les attaques menées par elle au moyen de tracts, démarchages, articles sur son blog, pressions sur les services d’urbanisme, dénonciations aux autorités et interpellations de clients ont eu sur la tranquillité de la partie civile, compte tenu de leur caractère incessant, multiple, répétitif et systématique, ainsi que de la longueur de la période au cours de laquelle elles ont été commises et le contexte dans lequel elles se sont insérées, les juges d’appel n’ont pas fondé leur décision sur une appréciation du caractère délictueux des pensées ou opinions que la prévenue a diffusées au moyen d’écrits imprimés ou numériques et, partant, n’ont pas violé la disposition constitutionnelle précitée. (1) Cass. 28 avril 2021, RG P.21.0029.F, Pas. 2021, n° 312.

PRESSE - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 100 A FIN) - Article 150 - HARCELEMENT [notice1]

Après avoir apprécié la question de la culpabilité du prévenu, le juge peut tenir compte, pour se prononcer sur le choix et le degré de la peine à infliger, de tous les éléments propres à la personnalité du prévenu, pourvu qu’il ne sanctionne pas la manière dont il s’est défendu de l’accusation portée contre lui (1); en considérant qu’« au vu de l’absence de remise en question de la prévenue quant à son comportement, la mesure de la suspension du prononcé de la condamnation dont elle a bénéficié en première instance est inopportune au risque de banaliser les actes commis et de créer un certain sentiment d’impunité dans son chef », les juges d’appel n’ont pas sanctionné la manière dont la prévenue s’est défendue, mais ont pris en considération un élément de sa personnalité, à savoir l’absence de remise en question face à des actes qui, selon eux, ne peuvent être banalisés. (1) M.-A. Beernaert, H.-D. Bosly et D. Vandermeersch, Droit de la procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 9ième éd., 2021, pp. 1557-1558.

PEINE - GENERALITES. PEINES ET MESURES. LEGALITE - DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE REPRESSIVE - MOTIFS DES JUGEMENTS ET ARRETS - PAS DE CONCLUSIONS - Matière répressive (y compris les boissons spiritueuses et les douanes et accises) - CONDAMNATION AVEC SURSIS ET SUSPENSION DU PRONONCE DE LA CONDAMNATION - SUSPENSION SIMPLE [notice4]


Références :

[notice1]

La Constitution coordonnée 1994 - 17-02-1994 - Art. 150 - 30 / No pub 1994021048 ;

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 442bis - 01 / No pub 1867060850

[notice4]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 195, al. 2 - 30 / No pub 1808111701 ;

L. du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation - 29-06-1964 - Art. 3, al. 4 - 30 / No pub 1964062906


Composition du Tribunal
Président : ROGGEN FRANCOISE
Greffier : FENAUX TATIANA
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : BERNEMAN SIDNEY, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-01-19;p.20.1182.f ?

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