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03/11/2021 | BELGIQUE | N°P.20.1347.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 03 novembre 2021, P.20.1347.F


N° P.20.1347.F
B. A.,
prévenu,
demandeur en cassation.
ayant pour conseils Maîtres Audrey Marc, avocat au barreau du Brabant wallon, et Ricardo Bruno, avocat au barreau de Charleroi,
contre
1. ATIC SERVICES LOGISTICS, société de droit français dont le siège est établi à Fos-sur-Mer (France), quai aux Aciers, bâtiment DB21,
2. TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETER, société anonyme dont le siège est établi à Ghlin, rue de Douvrain, 23/Z,
3. PORT AUTONOME DU CENTRE ET DE L’OUEST, société à responsabilité limitée dont le siège est établi à La

Louvière, rue Mercure, 1,
parties civiles,
défenderesses en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVAN...

N° P.20.1347.F
B. A.,
prévenu,
demandeur en cassation.
ayant pour conseils Maîtres Audrey Marc, avocat au barreau du Brabant wallon, et Ricardo Bruno, avocat au barreau de Charleroi,
contre
1. ATIC SERVICES LOGISTICS, société de droit français dont le siège est établi à Fos-sur-Mer (France), quai aux Aciers, bâtiment DB21,
2. TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETER, société anonyme dont le siège est établi à Ghlin, rue de Douvrain, 23/Z,
3. PORT AUTONOME DU CENTRE ET DE L’OUEST, société à responsabilité limitée dont le siège est établi à La Louvière, rue Mercure, 1,
parties civiles,
défenderesses en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 7 décembre 2020 par la cour d’appel de Mons, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
L’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe le 26 octobre 2021.
A l’audience du 3 novembre 2021, le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique :
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 21 du titre préliminaire du Code de procédure pénale et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit relatif à la notion de présomption de l’homme. Le moyen reproche aux juges d’appel d’avoir décidé que la prescription de l’action publique n’était pas acquise, après avoir étendu la période délictueuse au-delà de la date de cession de la deuxième défenderesse, soit l’entreprise dans le cadre des activités de laquelle les faits auraient été commis. Selon le moyen, l’arrêt ne précise pas comment le demandeur, qui n’avait plus accès aux lieux où les déchets avaient été abandonnés et qui n’était plus administrateur-délégué de la deuxième défenderesse, aurait pu mettre un terme aux infractions après son départ, le 30 avril 2010.
Les infractions consistant à modifier sensiblement le relief du sol, à abandonner ou manipuler des déchets et à exploiter sans permis d’environnement un établissement de classe I visent non seulement l’acte matérialisant ces comportements, mais aussi le maintien de la situation illégalement créée. Nonobstant l’absence de toute autorité sur les lieux de l’infraction, celle-ci reste imputable au prévenu aussi longtemps qu’il n’a pas fait ce qu’il lui était possible pour satisfaire à son obligation positive de mettre un terme à la situation illégale qu’il a contribué à créer ou lorsqu’il a pu prévoir que cette situation illégalement créée serait maintenue, même s’il n’a pu en prévoir la durée.
Dans la mesure où il revient à considérer que la cessation de la fonction d’administrateur-délégué de l’entreprise dans le cadre des activités de laquelle ces infractions ont été commises met nécessairement un terme à la période délictueuse en cause de ce dirigeant, le moyen manque en droit.
Le juge n’est tenu de répondre qu’aux moyens, c’est à dire à l’énonciation par une partie d’un fait, d’un acte ou d’un texte d’où, par un raisonnement juridique, cette partie prétend déduire le bien-fondé d’une demande, d’une défense ou d’une exception. Le juge n’est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Aux conclusions du demandeur qui se bornaient à énoncer qu’à l’instar du premier juge et du ministère public, il y avait lieu de considérer que les infractions qu’il aurait commises ne pouvaient avoir duré au-delà du 30 avril 2010, soit après la fin de son mandat, de sorte que la prescription de l’action publique à son égard était acquise, les juges d’appel ont opposé une appréciation différente : après avoir estimé que les faits, tous unis par la même intention délictueuse, avaient revêtu un caractère continu, sauf un, jusqu’au moment où, pour les derniers, il avait été mis fin à la situation illégale, les juges d’appel ont énoncé que le transfert antérieur, par le demandeur, de la direction et du contrôle de la deuxième défenderesse avait été sans effet à cet égard. Ils ont justifié cette décision par la considération que le dossier répressif permettait d’établir que le demandeur « n’avait, alors, pas fait tout son possible pour satisfaire à son obligation positive d’éliminer les dépôts constitutifs de déchets ».
Ainsi, les juges d’appel ont régulièrement motivé et légalement justifié leur décision que les faits reprochés au demandeur étaient établis, y compris après la fin de ses fonctions au sein de la deuxième défenderesse, sans qu’ils soient tenus, en outre, d’indiquer quels actes le premier aurait pu accomplir, nonobstant la renonciation à ses prérogatives, pour mettre fin à la situation illégale engendrée par les activités de la seconde.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
En tant qu’il reproche aux juges d’appel d’avoir omis de préciser les motifs qui leur ont permis d’arrêter les dates auxquelles les infractions respectivement déclarées établies dans le chef du demandeur ont pris fin, alors que ces décisions reposent sur la considération, rappelée en réponse à la première branche, qu’après avoir créé une situation illégale, il n’a rien fait pour y remédier avant de céder son entreprise et de mettre fin à ses fonctions de direction et de contrôle de celle-ci, le moyen manque en fait.
Enfin, en tant qu’il fait valoir que l’accès aux lieux où les faits ont été commis était interdit au demandeur en raison des procédures judiciaires diligentées contre lui par les défenderesses, le moyen requiert une appréciation en fait, laquelle échappe au pouvoir de la Cour.
À cet égard, il est irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation de la foi due au jugement entrepris et de la méconnaissance du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Le demandeur reproche à l’arrêt de décider que les deux infractions ayant consisté à exploiter, sans permis d’environnement, un établissement de classe I auraient perduré jusqu’au 28 mars 2017, en considérant que le premier juge avait lui-même retenu cette date. Selon le demandeur, cette énonciation viole la foi due au jugement entrepris, dès lors que celui-ci ne reconnaît le demandeur coupable d’aucune infraction au-delà du 30 avril 2010. Le moyen fait également grief aux juges d’appel de ne pas avoir invité le demandeur à se défendre quant à l’allongement de ladite période délictueuse.
Selon les juges d’appel, l’ensemble des infractions, lesquelles ne sont pas séparées entre elles par un délai plus long que celui de la prescription, procède d’une intention unique et constitue dès lors un délit collectif, la prescription ayant pris cours pour le tout le 30 août 2018.
Partant, le moyen, qui ne saurait entraîner la cassation, est irrecevable à défaut d’intérêt.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le demandeur reproche à la cour d’appel d’avoir, pour rejeter sa demande formulée de manière subsidiaire de bénéficier de la suspension du prononcé de la condamnation, estimé que le délai raisonnable pour le juger n’était pas dépassé. Selon le moyen, cette appréciation s’appuie sur des motifs illégaux, soit parce qu’ils sont stéréotypés, soit parce qu’ils se réfèrent à la difficulté des juges d’appel à appréhender la matière, qu’ils ont qualifiée de technique et évolutive sur le plan législatif.
Contrairement à ce qu’allègue le moyen, les conclusions de synthèse d’appel du demandeur ne postulaient pas l’application, à son bénéfice, fût-ce à titre subsidiaire, de la suspension du prononcé de la condamnation et il n’apparaît pas qu’il ait invoqué devant la cour d’appel la circonstance que le délai raisonnable pour le juger avait été dépassé.
À cet égard, le moyen manque en fait.
Ni les dispositions visées au moyen ni aucune autre n’interdisent au juge du fond d’apprécier le caractère raisonnable de la durée de la procédure en ayant égard à la globalité de la cause ou à des initiatives procédurales prises par des coprévenus, soit des circonstances qui ont pu influencer la complexité de l’affaire et en retarder le jugement, d’une manière qui n’est pas imputable aux autorités.
Par ailleurs, le juge du fond n’est pas tenu d’identifier les actes dont il considère que le retard dans l’exécution serait sans effet au regard de l’article 21ter précité.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Contrairement à ce qu’énonce le moyen, par aucune considération, les juges d’appel n’ont justifié le temps consacré au jugement du demandeur par leur difficulté à appréhender la cause en raison de la technicité de la matière.
Ils ont considéré, ce qui est différent, que la matière qui a donné lieu à l’instruction de la cause était complexe en raison de son caractère technique et de la circonstance qu’elle est régie par une législation évolutive.
En tant qu’il procède d’une lecture erronée de l’arrêt, le moyen manque en fait.
Par ailleurs, aucune disposition, notamment celles reprises au moyen, n’interdit au juge chargé d’apprécier le caractère raisonnable de la durée de la procédure, d’avoir égard à la complexité extrinsèque de l’affaire.
Dans cette mesure, le moyen manque en droit.
Pour le surplus, revenant à critiquer l’appréciation en fait des juges d’appel, le moyen, à cet égard, est irrecevable.

Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions rendues sur les actions civiles exercées par les deuxième et troisième défenderesses :
L’arrêt attaqué déclare l’action civile de la deuxième défenderesse irrecevable et dit la cour d’appel sans compétence pour statuer sur la demande de la troisième défenderesse.
Pareilles décisions n’infligent aucun grief au demandeur.
Le pourvoi est irrecevable.
C. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l’action civile exercée contre le demandeur par la première défenderesse, statue sur
1. le principe de la responsabilité :
Le demandeur ne fait valoir aucun moyen spécifique.
2. l’étendue du dommage :
L’arrêt attaqué alloue définitivement à la défenderesse un euro en réparation de son préjudice moral, lui accorde une indemnité provisionnelle en réparation du dommage matériel qu’elle a subi, et renvoie les suites de la cause au premier juge.
Pareille décision n’est pas définitive au sens de l’article 420, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, et est étrangère aux cas visés par le second alinéa de cet article.
Le pourvoi est irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de cent quatre-vingt-trois euros vingt et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du trois novembre deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.20.1347.F
Date de la décision : 03/11/2021
Type d'affaire : Droit administratif - Droit pénal - Droit international public

Analyses

Les infractions consistant à modifier sensiblement le relief du sol, à abandonner ou manipuler des déchets et à exploiter sans permis d’environnement un établissement de classe I visent non seulement l’acte matérialisant ces comportements, mais aussi le maintien de la situation illégalement créée; nonobstant l’absence de toute autorité sur les lieux de l’infraction, celle-ci reste imputable au prévenu aussi longtemps qu’il n’a pas fait ce qu’il lui était possible pour satisfaire à son obligation positive de mettre un terme à la situation illégale qu’il a contribué à créer ou lorsqu’il a pu prévoir que cette situation illégalement créée serait maintenue, même s’il n’a pu en prévoir la durée (1). (1) Voir les concl. du MP.

ENVIRONNEMENT (DROIT DE L')

Ni les articles 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni aucune autre disposition n’interdisent au juge du fond d’apprécier le caractère raisonnable de la durée de la procédure en ayant égard à la globalité de la cause ou à des initiatives procédurales prises par des coprévenus, soit des circonstances qui ont pu influencer la complexité de l’affaire et en retarder le jugement, d’une manière qui n’est pas imputable aux autorités; par ailleurs, le juge chargé d’apprécier le caractère raisonnable de la durée de la procédure n’est pas tenu d’identifier les actes dont il considère que le retard dans l’exécution serait sans effet au regard de l’article 21ter précité et aucune disposition ne lui interdit d’avoir égard à la complexité extrinsèque de l’affaire (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er [notice4]


Références :

[notice4]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

L. du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale - 17-04-1878 - Art. 21ter - 01 / No pub 1878041750


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : ROGGEN FRANCOISE, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-11-03;p.20.1347.f ?

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