N° F.18.0046.N
VOS AANNEMINGEN, s.r.l.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 28 novembre 2017 par la cour d’appel de Gand.
Par un arrêt du 26 avril 2019, la Cour a posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
La Cour de justice de l’Union européenne y a répondu dans l’arrêt C-405/19 du 1er octobre 2020.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport.
L’avocat général Johan Van der Fraenen a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
[…]
Quant au second rameau :
2. Par les motifs que les frais visés concernent aussi bien le bâtiment que le terrain, que la demanderesse pourrait faire imputer une partie des frais au propriétaire foncier et que les frais exposés pour la vente du terrain sont normalement supportés par le propriétaire foncier, le juge d’appel a donné à connaître que l’avantage dont bénéficie le propriétaire foncier n’est pas accessoire par rapport aux besoins de l’entreprise de la demanderesse et a répondu en la rejetant à la défense visée au moyen, au second rameau de cette branche.
Dans la mesure où il invoque la méconnaissance de l’obligation de motivation, le moyen, en ce rameau de cette branche, manque en fait.
3. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 1er octobre 2020 en la présente cause, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que :
- dans l’hypothèse où les frais engagés pour les services fournis en amont sont imputables à des opérations en aval bien déterminées, l’assujetti n’est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces frais que dans la mesure où ces services sont utilisés pour les besoins de leurs propres opérations taxées (point 37) ;
- la part des dépenses qui est liée non pas aux opérations réalisées par l’assujetti mais à des opérations effectuées par un tiers, telles que, comme dans l’affaire en cause au principal, la vente de terrains, n’ouvre pas un tel droit (point 38) ;
- aux fins de déterminer l’étendue du droit à déduction de l’assujetti, il faut déterminer dans quelle mesure les services concernés ont effectivement été fournis afin de permettre à l’assujetti de réaliser ses opérations taxées ; ce n’est, en effet, que dans cette mesure que la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont sera considérée comme grevant les services rendus à l’assujetti, ainsi que l’exige l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive (point 40) ;
- à cette fin, il y a lieu de se fonder sur le contenu objectif des services acquis par l’assujetti et de prendre en considération l’ensemble des circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations concernées (point 41) ;
- dans des circonstances telles que celles du litige au principal, sont notamment pertinents les contrats de fourniture des services ainsi que la réalité économique et commerciale, dont la prise en compte constitue, en vertu d’une jurisprudence constante, un critère fondamental pour l’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (point 42) ;
- la circonstance que l’assujetti a la possibilité de répercuter, sur des tiers, une partie des dépenses qu’il a encourues au titre desdits services constitue, certes, un indice en faveur de la conclusion selon laquelle cette partie des dépenses se rapporte non pas à l’opération en aval effectuée par l’assujetti, mais à l’opération réalisée par le tiers (point 46) ;
- toutefois, cet élément n’est pas, à lui seul, suffisant aux fins de déterminer l’étendue du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dont dispose l’assujetti ; il y a lieu, dans le cadre de l’application du critère du lien direct, de prendre en considération l’ensemble des circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations concernées, appréciation qu’il appartient au juge d’effectuer (point 47) ;
- l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive doit donc être interprété en ce sens que, dans le cas où un tiers tire un avantage de dépenses engagées par l’assujetti, la circonstance que celui-ci a la possibilité de répercuter sur ce tiers une partie des dépenses ainsi engagées constitue l’un des éléments, avec l’ensemble des autres circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations concernées, qu’il appartient au juge de prendre en considération aux fins de déterminer l’étendue du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dont dispose l’assujetti (point 48).
4. Le juge d’appel a constaté et considéré que :
- il n’est pas contesté que les frais dont la déduction a été, pour une partie, rejetée par l’administration concernent tant la vente du terrain d’un tiers/propriétaire que la vente des bâtiments appartenant à la demanderesse ;
- la demanderesse ne peut être suivie dans la mesure où elle fait valoir que, pour la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, il suffit qu’il y ait un lien direct et immédiat avec les opérations taxées de la demanderesse, en se référant à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 8 février 2007 (C.J.U.E., arrêt Investrand BV, 8 février 2007, C-435/05) ;
- à cet égard, la demanderesse méconnaît le fait qu’il est juridiquement possible de vendre séparément le terrain d’un tiers et le bâtiment de la demanderesse, ce qui a d’ailleurs été le cas lors des opérations de vente concernées ;
- s’il existe bien en l’espèce un certain lien entre la vente des bâtiments et la vente du terrain, il ne s’agit pas du lien direct et immédiat visé ;
- il y a également lieu de considérer que, étant donné que les frais de publicité et les frais administratifs ainsi que les commissions pour la vente des immeubles à appartements concernent tant le bâtiment que le terrain, la demanderesse pourrait imputer ou faire imputer une partie de ces frais au propriétaire foncier dès lors qu’ils sont exposés en vue de la vente du terrain ;
- ce n’est pas tant que le propriétaire des terrains tire seulement un « avantage » de la prise en charge, par la demanderesse, des frais de publicité et des frais administratifs ainsi que des commissions pour la vente d’immeubles à appartements, mais que les frais engagés pour la vente des terrains devraient normalement être supportés par le tiers/propriétaire.
5. Le juge d’appel, qui, tenant compte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles les opérations concernées ont eu lieu, a considéré qu’une partie des services pour lesquels des dépenses ont été engagées ont été utilisés pour des opérations de tiers, à savoir pour la vente des terrains par les propriétaires fonciers, et qu’il n’existe pas, pour cette partie des dépenses, de lien direct et nécessaire avec la vente des bâtiments par la demanderesse, a légalement justifié sa décision.
Dans la mesure où il est pris de la violation des articles 45, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, 1er, § 2, de l’arrêté royal n° 3 du 10 décembre 1969 relatif aux déductions pour l’application de la taxe sur la valeur ajoutée et 17 de la sixième directive (77/388/CEE) du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
[…]
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Koen Mestdagh, président, les conseillers
Bart Wylleman, Koenraad Moens, François Stévenart Meeûs et
Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du vingt et un mai deux mille vingt et un par le président de section Koen Mestdagh, en présence de l’avocat général Johan Van der Fraenen, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Marie-Claire Ernotte et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.