La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/05/2021 | BELGIQUE | N°P.21.0616.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 12 mai 2021, P.21.0616.F


N° P.21.0616.F
S. K.,
requérant en récusation,
ayant pour conseils Maîtres Sven Mary, Laurent Kennes et Hamid El Abouti, avocats au barreau de Bruxelles,
en cause
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE BRUXELLES,
et
1. S. H.,
2. S. B.,
3. K. M.,
sans domicile ni résidence connue en Belgique,
ayant pour conseil Maître Anne-Marie De Clerck, avocat au barreau de Gand,
4. ALEXANDRIS Hélène, avocate, agissant en qualité de tuteur ad hoc de P. S.,
parties civiles,
contre
1. S. K., mieux qualifié ci-dessus,
2. K. P. S.,
accusé

s.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par une requête déposée au greffe du tribunal de première instance francoph...

N° P.21.0616.F
S. K.,
requérant en récusation,
ayant pour conseils Maîtres Sven Mary, Laurent Kennes et Hamid El Abouti, avocats au barreau de Bruxelles,
en cause
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE BRUXELLES,
et
1. S. H.,
2. S. B.,
3. K. M.,
sans domicile ni résidence connue en Belgique,
ayant pour conseil Maître Anne-Marie De Clerck, avocat au barreau de Gand,
4. ALEXANDRIS Hélène, avocate, agissant en qualité de tuteur ad hoc de P. S.,
parties civiles,
contre
1. S. K., mieux qualifié ci-dessus,
2. K. P. S.,
accusés.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Par une requête déposée au greffe du tribunal de première instance francophone de Bruxelles le 4 mai 2021, reçue au greffe de la Cour le 12 mai 2021 et annexée au présent arrêt, en copie certifiée conforme, le requérant sollicite la récusation du président de la cour d'assises de l'arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale, Michel De Grève, et de ses assesseurs, Yvette Paridaens et Christine Panier.
Le requérant a également déposé une requête au greffe de la cour d'appel de Bruxelles le 3 mai 2021, reçue au greffe de la Cour le 5 mai 2021.
Les magistrats dont la récusation est demandée ont fait, le 4 mai 2021, la déclaration prescrite à l'article 836, alinéa 2, du Code judiciaire, portant leur refus motivé de s'abstenir.
Le requérant a déposé des conclusions au greffe le 10 mai 2021.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR

A. Sur la requête déposée au greffe de la cour d'appel de Bruxelles :
N'ayant pas été déposée au greffe de la juridiction saisie, la requête est irrecevable.
B. Sur la requête déposée au greffe du tribunal de première instance francophone de Bruxelles :
Le requérant expose que ses conseils ont déposé à l'audience du 30 avril 2021 des conclusions sollicitant, à titre principal, que la cour d'assises déclare les poursuites irrecevables. Ces conclusions invoquaient la violation du droit à un procès équitable, en raison de l'impossibilité de faire interroger un témoin à charge, en l'occurrence le co-accusé absent au procès. A titre subsidiaire, le requérant demandait d'ordonner, pour les mêmes motifs, qu'aucune des déclarations de ce co-accusé ni celles des autres témoins absents ne soient retenues à sa charge.
Le requérant soutient qu'il peut légitimement suspecter les membres de la cour d'assises de ne pas être à même de le juger avec l'impartialité requise, parce que, dans les motifs de l'arrêt interlocutoire du 30 avril 2021, par lequel il a été statué sur les demandes formées dans les conclusions précitées, la cour a comparé le comportement de la partie civile et l'attitude de la défense, en relevant que la première apportait sa collaboration, tandis que l'autre ne le faisait pas. Selon le requérant, la cour d'assises a ainsi publiquement pris position en faveur de la partie civile et s'est immiscée dans l'organisation de sa défense.
Il ressort de l'arrêt interlocutoire que le motif invoqué est le suivant : « Enfin, au cours de [l'audience préliminaire du 29 septembre 2020], la partie civile a collaboré, ce qui a permis au président, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d'ordonner l'audition d'un témoin habitant en Inde. Tel n'est pas le cas de la défense qui, le sixième jour d'audience, s'est bornée à fournir le numéro de téléphone du frère de l'accusé présent K. S. sans même informer la cour de son adresse en Inde et qui n'a jamais fourni la moindre information permettant de connaître l'adresse d'un autre témoin, considéré par certains de ses proches comme étant son bras droit ».
En vertu de l'article 828, 1°, du Code judiciaire, tout juge peut être récusé s'il y a suspicion légitime.
La suspicion légitime suppose que les faits allégués puissent susciter l'impression, dans le chef des parties ou de tiers, que le juge dont la récusation est demandée n'est pas en mesure d'exercer ses fonctions avec l'indépendance et l'impartialité nécessaires et que, en outre, cette impression puisse passer pour objectivement justifiée.
Ainsi que les juges visés par la requête le font observer dans leur déclaration, le motif invoqué de l'arrêt du 30 avril 2021 constate l'existence d'une différence de comportement des parties civiles et de la défense de l'accusé, lors de l'audience préliminaire du 29 septembre 2020. De cette constatation, dont la seule portée est de justifier la décision de la cour d'assises de rejeter l'exception d'irrecevabilité des poursuites, il ne se déduit pas que cette juridiction ait paru prendre position contre le requérant et en faveur des parties civiles quant au bien-fondé de l'accusation ni qu'elle se soit ingérée dans l'organisation de la défense du requérant.
Le requérant fait valoir que la suspicion invoquée se déduit également des propos tenus à l'audience du 30 avril 2021 par le président de la cour d'assises qui, quelques instants avant de prendre les demandes précitées en délibéré, a selon lui déclaré ce qui suit, en s'adressant à un des avocats de la défense : « Pour que les choses soient bien claires pour le jury, ce que vous dites, c'est que tout le travail réalisé depuis jeudi passé, souvent très tard pour tout le monde en ce compris les membres du jury, tout cela, ça n'a servi à rien ? C'est pour que ce soit bien clair pour le jury ».
Il ressort de la requête et de la réponse des juges dont la récusation est demandée que les conclusions écrites du requérant tendant à entendre prononcer l'irrecevabilité des poursuites n'ont pas été déposées à l'audience préliminaire à laquelle le président de la cour d'assises examine notamment les éventuelles nullités et causes d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action publique, mais lors de l'audience au fond du 30 avril 2021, à laquelle des témoins ont été entendus ou des déclarations de témoin lues.
Dans leur déclaration au bas de la requête, les juges dont la récusation est sollicitée exposent être dans l'incapacité de dire si les propos attribués au président par le requérant sont la reproduction fidèle de ce qui a été dit à l'audience.
A supposer que le président de la cour d'assises ait tenu les propos énoncés ci-dessus, il en ressort qu'ils ne se limitent pas à informer les membres du jury quant aux conséquences concrètes d'une éventuelle décision déclarant les poursuites irrecevables à ce stade de la procédure, mais qu'ils expriment également l'étonnement du président à l'égard d'une démarche de la défense qui, ainsi que les juges dont la récusation est demandée l'indiquent dans leur réponse, intervient au cours de l'audience au fond et non à l'audience préliminaire.
La suspicion légitime ne se déduit pas du seul fait qu'un juge exprime son étonnement quant à la demande formée par une partie.
Compte tenu, d'une part, de leur portée explicative à l'attention des jurés quant à l'effet d'une décision d'irrecevabilité des poursuites et, d'autre part, du contexte temporel dans lequel ils ont été exprimés, les propos invoqués, à supposer qu'ils aient été tenus tels qu'ils sont relatés dans la requête, ne permettent pas de considérer comme objectivement justifiée l'impression ressentie par le requérant que le président et ses assesseurs ne sont pas en mesure d'exercer leurs fonctions avec l'indépendance et l'impartialité nécessaires.
Le requérant soutient que la suspicion invoquée résulte aussi d'un autre motif de l'arrêt interlocutoire précité, par lequel la cour d'assises a considéré que « les déclarations faites par le co-accusé [...] constituent, du moins en partie, un élément à charge de l'accusé K. S. parmi une série d'autres éléments objectifs, de sorte qu'il n'y a pas lieu de considérer qu'il s'agit d'un élément déterminant ».
Il ressort des pièces soumises à la Cour que la demande de déclarer les poursuites irrecevables était fondée sur la circonstance que, en raison de l'absence au procès d'un co-accusé, le requérant ne pouvait pas le faire interroger, alors que ce co-accusé était, selon le requérant, son « seul accusateur » et qu'aucun des critères permettant de constater le caractère équitable de la procédure lorsqu'un témoin à charge est absent n'était rempli.
En particulier, le requérant invitait la cour d'assises à appliquer aux déclarations du co-accusé les critères élaborés par la Cour européenne des droits de l'homme, dont l'importance de la déposition du témoin.
Contrairement à ce que le requérant allègue, il ne se déduit pas du motif invoqué que les juges visés par la demande de récusation aient donné l'impression de préjuger de la culpabilité de l'accusé, ou qu'ils aient méconnu leur devoir d'impartialité à son égard.
Il en ressort seulement que, saisie par le requérant d'une demande de déclarer les poursuites irrecevables en raison d'une impossibilité d'interroger une personne qui a fait des déclarations à charge, la cour d'assises a évalué l'importance relative de ces déclarations et que, au terme d'un examen prima facie et sans préjuger au fond, elle a considéré qu'il s'agissait d'un élément à charge parmi d'autres.
N'emportant aucune appréciation quant à la valeur probante ou à la crédibilité des différents éléments à charge susceptibles de figurer au dossier, cette considération n'est pas de nature à justifier légitimement chez le requérant la crainte de ne pas être jugé de manière indépendante et impartiale.
Le requérant ajoute qu'à la suite du prononcé de l'arrêt interlocutoire, la défense a rappelé au président de la cour d'assises qu'un juré souhaitait encore poser une question à l'accusé, mais que deux membres de la cour ont exprimé leur exaspération et que le président a fait connaître, avant de lever l'audience, que « la phase de l'instruction [était] close et [qu']on ne va pas recommencer l'interrogatoire de l'accusé ». Selon le requérant, un tel refus est révélateur de l'attitude du président et d'un préjugé de sa part, dès lors que l'accusé avait peut-être quelque chose d'intéressant à répondre à la question du juré.
Le président de la cour d'assises a la police de l'audience. Il est personnellement chargé de présider à toute l'instruction et de déterminer l'ordre dans lequel la parole est donnée à ceux qui la demandent.
Les juges dont la récusation est demandée font observer en substance que, au moment de cet incident, il était entendu qu'après le prononcé de l'arrêt interlocutoire l'audience serait levée, puisque les conseils du requérant avaient déposé leurs conclusions tendant à l'irrecevabilité des poursuites à l'issue de la phase d'instruction.
La requête en récusation n'est pas fondée.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Rejette les requêtes ;
Ordonne que le présent arrêt sera notifié aux parties par pli judiciaire dans les quarante-huit heures ;
Condamne le requérant aux frais.
Lesdits frais taxés jusqu'ores à zéro euro.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Benoît Dejemeppe, président de section, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du douze mai deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.0616.F
Date de la décision : 12/05/2021
Type d'affaire : Autres - Droit pénal

Analyses

En vertu de l'article 828, 1°, du Code judiciaire, tout juge peut être récusé s'il y a suspicion légitime; la suspicion légitime suppose que les faits allégués puissent susciter l'impression, dans le chef des parties ou de tiers, que le juge dont la récusation est demandée n'est pas en mesure d'exercer ses fonctions avec l'indépendance et l'impartialité nécessaires et que, en outre, cette impression puisse passer pour objectivement justifiée (1). (1) Cass. 15 janvier 2019, RG P.18.1214.F, Pas. 2019, n° 25.

RECUSATION [notice1]

La suspicion légitime ne se déduit pas du seul fait qu'un juge exprime son étonnement quant à la demande formée par une partie (1). (1) Cass. 14 juin 2016, RG P.16.0586.F, Pas. 2016, n° 402.

RECUSATION [notice2]

Le président de la cour d'assises a la police de l'audience; il est personnellement chargé de présider à toute l'instruction et de déterminer l'ordre dans lequel la parole est donnée à ceux qui la demandent (1). (1) M.-A. Beernaert, H.-D. Bosly et D. Vandermeersch, Droit de la procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 9ième éd., 2021, p. 1616.

COUR D'ASSISES - PROCEDURE A L'AUDIENCE. ARRETS INTERLOCUTOIRES. DECLARATION DU JURY [notice3]


Références :

[notice1]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 828, 1° - 01 / No pub 1967101052

[notice2]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 828, 1° - 01 / No pub 1967101052

[notice3]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 281, § 1er - 30 / No pub 1808111701


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : FENAUX TATIANA
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : DEJEMEPPE BENOIT, ROGGEN FRANCOISE, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-05-12;p.21.0616.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award