N° P.21.0029.F
1. de H. F.
2. SUD PRESSE, société anonyme,
prévenues,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Werner Derijcke, avocat à la Cour de cassation,
contre
M. M.
partie civile,
défenderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Thierry Moreau, avocat au barreau du Brabant wallon.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 7 décembre 2020 par la cour d'appel de Liège, chambre correctionnelle.
Les demanderesses invoquent cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 31 mars 2021, l'avocat général Michel Nolet de Brauwere a déposé des conclusions au greffe.
Le 21 avril 2021, les demanderesses ont déposé une note en réponse auxdites conclusions.
A l'audience du même jour, le président chevalier Jean de Codt a fait rapport et l'avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions rendues sur l'action publique exercée à charge des demanderesses :
Sur le premier moyen :
Les demanderesses se sont vu poursuivre notamment du chef d'avoir divulgué sciemment à une autre personne le contenu d'une communication non accessible au public et recueillie illégalement. La première demanderesse, journaliste, aurait diffusé, aux lecteurs d'un quotidien édité par la seconde, le contenu d'une médiation confidentielle captée grâce à un contact téléphonique involontaire entre le poste fixe de la journaliste et le portable du médiateur.
Pris de la violation des articles 150 de la Constitution et 314bis, §§ 1 et 2, du Code pénal, le moyen soutient que la cour d'appel n'a pas écarté légalement la qualification de délit de presse susceptible d'être attribuée à ces faits, dès lors que l'arrêt refuse d'analyser le contenu de l'article litigieux pour en apprécier le caractère éventuellement délictueux.
Ainsi que le moyen le rappelle, le délit de presse implique l'expression d'une pensée ou d'une opinion délictueuse dans un écrit imprimé ou numérique qui a été diffusé dans le public.
Mais l'arrêt n'encourt pas le reproche qui lui est adressé. Il constate en effet que l'entretien confidentiel, publié à la faveur de sa captation illégale, est une médiation intervenue entre une personne condamnée et une de ses victimes, afin d'aider les parties, sous l'égide d'un tiers, à parvenir à un accord concernant les modalités et les conditions permettant l'apaisement et la réparation.
Jugeant que cet entretien s'est déroulé dans le cadre de l'article 3ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale, l'arrêt n'attribue aux propos écoutés, notés et publiés par les demanderesses qu'un contenu exclusif de tout caractère délictueux.
Les juges d'appel ont ainsi légalement décidé que la relation de cet entretien par extraits dans un article de presse ne constituait pas le délit que l'article 150 de la Constitution réserve au jury.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Il est reproché à l'arrêt de ne pas constater légalement la réunion des éléments constitutifs du délit réprimé par l'article 314bis, § 1er, 1°, du Code pénal (prévention A.1).
Cette disposition réprime l'acte qui consiste, à l'aide d'un appareil quelconque, de manière intentionnelle et sans le consentement des participants, à intercepter des communications privées auxquelles l'auteur ne prend pas part, à les enregistrer ou à en prendre connaissance.
Quant à la première branche :
Les demanderesses font valoir que l'arrêt n'a pu légalement qualifier d'intentionnelle l'interception de l'entretien litigieux, puisque les juges d'appel ont relevé, par ailleurs, le caractère involontaire ou accidentel de la liaison téléphonique activée inopinément.
Mais l'article 314bis, § 1er, 1°, précité, ne vise pas seulement l'interception. Il incrimine aussi la prise de connaissance. Celle-ci a été qualifiée d'intentionnelle sur le fondement des faits suivants, que l'arrêt constate : après avoir compris que la conversation écoutée n'était pas destinée au public, la première demanderesse, au lieu de raccrocher, a écouté pendant cinquante-trois minutes les propos échangés, tout en prenant des notes, le tout ayant servi à rédiger un article paru dans son journal le lendemain.
De ces circonstances, les juges d'appel ont pu déduire l'existence d'une volonté consciente de commettre un fait prohibé par la loi.
En cette branche, le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
Contrairement à ce que la première demanderesse soutient, le fait de noter manuellement les propos d'une conversation écoutée illégalement, afin de pouvoir en publier des extraits présentés comme la retranscription exacte, fût-elle partielle, de ce qui a été entendu, peut constituer l'enregistrement prohibé par la loi. En effet, cet enregistrement est réalisé à l'aide de l'appareil quelconque visé par l'article 314bis lorsque, comme en l'espèce, l'auteur se sert, pour la notation, d'un appel téléphonique réceptionné par son poste fixe et qui ne lui est parvenu qu'à l'insu de l'émetteur et sans son consentement.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
De la circonstance que le téléphone d'un tiers constitue l'appareil qui lui a permis de prendre connaissance d'un entretien confidentiel et d'en noter des extraits pour les publier, il ne se déduit pas qu'en décrochant son téléphone, ce tiers ait acquis la qualité de participant à la conversation qu'il a surprise.
L'arrêt n'est dès lors entaché ni de la contradiction ni de l'illégalité invoquées.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Il est reproché à l'arrêt de ne pas justifier légalement la condamnation des demanderesses du chef d'infraction à l'article 314bis, § 2, du Code pénal (prévention A.2).
Le moyen repose entièrement sur l'affirmation que la prise de connaissance des propos confidentiels surpris par la première demanderesse n'était pas illégale.
Mais il résulte de la réponse donnée au deuxième moyen que cette prise de connaissance, dans les circonstances que l'arrêt décrit, constitue le délit prévu à l'article 314bis, § 1er, 1°, dudit code.
Partant, la divulgation de l'entretien privé écouté illégalement constitue l'infraction visée au deuxième paragraphe de cet article.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 19 et 25 de la Constitution, 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est reproché à l'arrêt de violer la liberté de la presse et la liberté d'expression, en déniant à la presse le droit de publier toute information, même confidentielle, susceptible de contribuer à un débat d'intérêt général.
Mais l'arrêt considère, par une appréciation souveraine, que malgré le retentissement des procédures criminelles dont la médiation litigieuse a constitué un épilogue, les propos échangés dans le cadre de celle-ci ne relèvent pas d'un débat d'intérêt général mais uniquement de la vie privée.
L'arrêt considère également que l'intrusion dans la vie privée de la défenderesse et de son interlocuteur n'était ni justifiée ni nécessaire pour garantir un des buts légitimes visés à l'article 10.2 de la Convention, et que cette ingérence n'était pas non plus de celles qu'une loi autorise puisqu'au contraire, l'article 314bis du Code pénal en fait un délit.
Les libertés garanties par les dispositions visées au moyen n'étant pas absolues, les considérations de l'arrêt ne les méconnaissent pas.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le cinquième moyen :
Il est reproché à l'arrêt de motiver le taux de l'amende infligée à la deuxième demanderesse, en tenant compte du but de lucre poursuivi par celle-ci, alors qu'un tel but participe de la nature même d'une entreprise commerciale et que les juges d'appel étaient dès lors mal venus d'en faire un motif d'aggravation de la sanction pécuniaire.
Il ressort des motifs de l'arrêt que la peine d'amende infligée à la deuxième demanderesse se veut à la hauteur du mépris dont les faits témoignent envers un aspect douloureux de la vie des plaignants, que ceux-ci voulaient, de manière légitime, garder secret. L'arrêt analyse la publication litigieuse comme étant constitutive d'un vol inadmissible, celui d'une partie de l'intimité des personnes dont la rencontre a été épiée.
L'arrêt précise que l'amende tient compte également du but de lucre poursuivi par l'éditeur. Cette énonciation ne se réfère pas aux bénéfices qu'il est normal pour un commerçant de chercher à réaliser. Elle vise le profit dont un organe de presse s'est montré avide au point d'accepter son obtention par un acte illicite.
Cette motivation ne viole ni les articles 195 et 211 du Code d'instruction criminelle ni aucune des autres dispositions visées par le moyen.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
B. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision rendue sur l'action civile exercée par la défenderesse :
Les demanderesses ne font valoir aucun moyen spécifique.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacune des demanderesses aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de cinq cent quatre-vingt-quatre euros nonante cinq centimes dont cent soixante euros onze centimes dus et quatre cent vingt-quatre euros quatre-vingt-quatre centimes payés par ces demanderesses.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-huit avril deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.