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10/03/2021 | BELGIQUE | N°P.20.1295.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 mars 2021, P.20.1295.F


N° P.20.1295.F
LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D’APPEL DE BRUXELLES,
demandeur en cassation,
contre
1. F.H.,
représenté par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation,
2. de T. de W. Ph.,
ayant pour conseil Maître Aurélie Verheylesonne, avocat au barreau de Bruxelles,
3. B. L.,
4. H. D.,
ayant pour conseil Maître Alain Vergauwen, avocat au barreau de Bruxelles,
5. C. M.,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,
6. de B. de F. J-Ch.,
7. H. M.,
représenté par Maître Pa

ul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
prévenus,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
L...

N° P.20.1295.F
LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D’APPEL DE BRUXELLES,
demandeur en cassation,
contre
1. F.H.,
représenté par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation,
2. de T. de W. Ph.,
ayant pour conseil Maître Aurélie Verheylesonne, avocat au barreau de Bruxelles,
3. B. L.,
4. H. D.,
ayant pour conseil Maître Alain Vergauwen, avocat au barreau de Bruxelles,
5. C. M.,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,
6. de B. de F. J-Ch.,
7. H. M.,
représenté par Maître Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
prévenus,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 25 novembre 2020 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par le septième défendeur :
Le défendeur M. H. fait valoir que le pourvoi est dénué d’intérêt, en ce qui le concerne, parce que dans ses réquisitions orales à l’audience du 29 septembre 2020, le ministère public a acquiescé au jugement entrepris en tant qu’il avait déclaré prescrite l’action publique exercée à charge de ce prévenu.
D’une part, le procès-verbal de l’audience du 29 septembre 2020 ne mentionne pas la teneur des réquisitions du ministère public de sorte que l’acquiescement invoqué ne ressort pas d’une pièce à laquelle la Cour puisse avoir égard.
D’autre part, l’action publique n’est pas une action dont le ministère public dispose à son gré, puisqu’elle ne lui appartient pas. Son acquiescement à un jugement qu’il a pourtant frappé d’appel n’enlève à son recours ni intérêt ni objet.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée du chef de corruption passive et active :
Sur le premier moyen :
1. L’arrêt déclare les poursuites irrecevables parce que le ministère public n’établit pas que la corruption soit punie par la législation du pays où elle a été commise.
2. Prévues par l’article 10quater, § 2, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, la règle de la double incrimination ainsi que les conditions liées à la nationalité ou à la résidence principale de l’auteur, supposent que la corruption du fonctionnaire étranger ait été commise en dehors du territoire du Royaume.
3. Pour exclure l’application du principe de territorialité de la loi pénale, le juge doit donc constater que le délit ne se rattache par aucun de ses éléments constitutifs au territoire national.
4. La cour d’appel ne s’est pas prononcée quant au lieu où les auteurs auraient, directement ou par interposition de personnes, sollicité, proposé ou accepté le versement des montants que la partie poursuivante soutient avoir été alloués au fonctionnaire étranger.
La motivation de l’arrêt ne permet dès lors pas à la Cour de vérifier la légalité de la décision.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
C. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée du chef de faux et usage de faux, détournement et escroqueries :
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
5. L’arrêt déclare les poursuites irrecevables au motif que les faits ne ressortissent ni à la compétence territoriale ni à la juridiction internationale de l’Etat.
6. Selon les juges d’appel, la circonstance que les documents argués de faux ont été découverts lors d’une perquisition effectuée à Bruxelles, dans les locaux d’une société holding et de ses filiales au sein desquelles les prévenus exerçaient leurs activités professionnelles, n’établit pas que les faux aient été confectionnés à cet endroit, ni que la décision de les établir ait été arrêtée en Belgique.
7. D’après la qualification que la partie poursuivante leur attribue, les faux en écritures décrits par la poursuite sont, d’une part, trois factures relatant des ventes fictives, ayant pour objectif de régulariser les discordances comptables associées à la corruption d’un fonctionnaire étranger et, d’autre part, des accords commerciaux, un contrat d’agence, des bordereaux d’achats et de ventes ainsi que des décomptes finaux, dont la fausseté réside, notamment, dans la désignation, en qualité de commettant, d’une société sans réalité économique, n’ayant d’autre fonction que d’assurer le transfert d’un pourcentage du chiffre d’affaires du producteur sur les comptes du fonctionnaire corrompu.
Plusieurs défendeurs se sont vu poursuivre non seulement pour avoir, comme auteurs ou coauteurs, établi ou fait établir ces faux, mais également pour en avoir fait usage.
8. L’infraction complexe, qui suppose l’accomplissement de plusieurs actes matériels de nature différente, est censée être commise en Belgique dès lors que l’un de ses éléments y a été réalisé.
9. La juridiction belge peut connaître d’un faux en écritures commis à l’étranger alors que le faussaire a fait usage en Belgique de la pièce fausse. L’indivisibilité créée par l’unité de but entraîne la compétence des juridictions de l’Etat sur le territoire duquel une partie du tout a été commise.
10. Il en résulte que, pour décliner la compétence territoriale de la juridiction belge saisie d’une poursuite du chef de faux et usage de faux comme auteur ou coauteur, le juge doit constater non seulement que le faux n’a pas été établi en Belgique mais également qu’il n’en a pas été fait usage sur le territoire du Royaume.
11. Il ressort des constatations de l’arrêt que des sorties de caisse sont apparues dans la comptabilité du groupe Socfin, société de droit luxembourgeois dont le siège bruxellois a été perquisitionné, et que ces retraits ont paru suspects aux enquêteurs en tant qu’ils paraissaient devoir être mis en relation avec un fonctionnaire de la République de Guinée-Conakry, soupçonné de corruption.
Ni par ces constatations ni par aucune autre, l’arrêt n’exclut qu’en leur qualité de dirigeants ou responsables du groupe perquisitionné à Bruxelles, les prévenus y aient assuré la continuation des faux par leur usage, leur réception administrative et comptable et la réalisation des effets qui en étaient escomptés.
12. Une escroquerie ou un détournement sont réputés commis sur le territoire du Royaume si des actes préparatoires constituant l’une des composantes nécessaires de la manœuvre frauduleuse ou de l’interversion du titre de la possession, ont été perpétrés sur le territoire national.
La cour d’appel s’est déclarée sans compétence territoriale pour connaître des préventions d’escroqueries et de détournement mises à charge des défendeurs sub 1 à 3 et 5 à 7. L’arrêt s’en explique en considérant que, ces infractions étant connexes à une corruption internationale, accepter d’en connaître contreviendrait à la volonté du législateur de réserver le jugement des agents étrangers corrompus au pays dont ils sont les ressortissants.
Ni par ce motif ni par aucun autre, l’arrêt n’exclut la réalisation, sur le territoire du Royaume, d’un acte matériel préparant ou réalisant un des éléments constitutifs des préventions.
13. Les juges d’appel n’ont, dès lors, pas légalement justifié leur décision.
Le moyen est fondé.
Il n’y a pas lieu d’examiner les deuxième et troisième branches du moyen, lesquelles ne pourraient entraîner une cassation plus étendue.
D. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée du chef de blanchiment :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué, en tant qu’il statue sur l’action publique exercée du chef des préventions de faux et usage de faux en écritures, abus de confiance, escroqueries, corruption passive et active ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Laisse un sixième des frais du pourvoi à charge de l’Etat et réserve le surplus pour qu’il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Mons.
Lesdits frais taxés à la somme de deux cent vingt-cinq euros quatre-vingt-neuf centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Benoît Dejemeppe, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du dix mars deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.20.1295.F
Date de la décision : 10/03/2021
Type d'affaire : Droit pénal

Analyses

L'action publique n'est pas une action dont le ministère public dispose à son gré, puisqu'elle ne lui appartient pas; son acquiescement à un jugement qu'il a pourtant frappé d'appel n'enlève à son recours ni intérêt ni objet (1). (1) M.-A. Beernaert, H.-D. Bosly et D. Vandermeersch, Droit de la procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 9ième éd., 2021, p.160.

ACTION PUBLIQUE - APPEL - MATIERE REPRESSIVE (Y COMPRIS DOUANES ET ACCISES) - Effets. Compétence du juge [notice1]

Prévues par l'article 10quater, § 2, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, la règle de la double incrimination ainsi que les conditions liées à la nationalité ou à la résidence principale de l'auteur, supposent que la corruption d‘un fonctionnaire étranger ait été commise en dehors du territoire du Royaume.

COMPETENCE ET RESSORT - MATIERE REPRESSIVE - Compétence - CORRUPTION [notice3]

Pour exclure l'application du principe de territorialité de la loi pénale, le juge doit constater que le délit ne se rattache par aucun de ses éléments constitutifs au territoire national (1). (1) Cass. 4 octobre 2017, RG P.17.0138.F, Pas. 2017, n° 525.

COMPETENCE ET RESSORT - MATIERE REPRESSIVE - Compétence [notice5]

L'infraction complexe, qui suppose l'accomplissement de plusieurs actes matériels de nature différente, est censée être commise en Belgique dès lors que l'un de ses éléments y a été réalisé.

COMPETENCE ET RESSORT - MATIERE REPRESSIVE - Compétence [notice6]

La juridiction belge peut connaître d'un faux en écritures commis à l'étranger alors que le faussaire a fait usage en Belgique de la pièce fausse: l'indivisibilité créée par l'unité de but entraîne la compétence des juridictions de l'Etat sur le territoire duquel une partie du tout a été commise (1). (1) Cass. 25 mai 2016, RG P.16.0194.F, Pas. 2016, n° 348.

COMPETENCE ET RESSORT - MATIERE REPRESSIVE - Compétence - FAUX ET USAGE DE FAUX [notice7]

Une escroquerie ou un détournement sont réputés commis sur le territoire du Royaume si des actes préparatoires constituant l'une des composantes nécessaires de la manœuvre frauduleuse ou de l'interversion du titre de la possession, ont été perpétrés sur le territoire national.

COMPETENCE ET RESSORT - MATIERE REPRESSIVE - Compétence - ABUS DE CONFIANCE - ESCROQUERIE [notice9]


Références :

[notice1]

L. du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale - 17-04-1878 - Art. 1er - 01 / No pub 1878041750 ;

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 202 - 30 / No pub 1808111701

[notice3]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 3, 4 et 246 - 01 / No pub 1867060850 ;

L. du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale - 17-04-1878 - Art. 10quater - 01 / No pub 1878041750

[notice5]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 3 - 01 / No pub 1867060850

[notice6]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 3 - 01 / No pub 1867060850

[notice7]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 3, 196 et 197 - 01 / No pub 1867060850

[notice9]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 3, 491 et 496 - 01 / No pub 1867060850


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : ROGGEN FRANCOISE, KONSEK TAMARA, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-03-10;p.20.1295.f ?

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