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14/10/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0098.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 octobre 2020, P.20.0098.F


N° P.20.0098.F
I. D. F.,
ayant pour conseils Maîtres Ricardo Bruno, avocat au barreau de Charleroi, et Mélissa Vervaeke, avocat au barreau de Mons,
II. D. V.,
ayant pour conseils Maîtres Ricardo Bruno et Quentin Mayence, avocats au barreau de Charleroi,
III. B.M.,
ayant pour conseils Maîtres Nathan Mallants, avocat au barreau de Liège, et Anne-Julie Parquet, avocat au barreau de Mons,
accusés,
demandeurs en cassation,
contre
1. R. S., agissant en nom propre et en qualité d'administratrice des biens de sa fille mineure,
2. S. P.,
3. D. M.,
4. D

. C.,
5. K. P.,
6. C. M.,
7. R-C. D.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDU...

N° P.20.0098.F
I. D. F.,
ayant pour conseils Maîtres Ricardo Bruno, avocat au barreau de Charleroi, et Mélissa Vervaeke, avocat au barreau de Mons,
II. D. V.,
ayant pour conseils Maîtres Ricardo Bruno et Quentin Mayence, avocats au barreau de Charleroi,
III. B.M.,
ayant pour conseils Maîtres Nathan Mallants, avocat au barreau de Liège, et Anne-Julie Parquet, avocat au barreau de Mons,
accusés,
demandeurs en cassation,
contre
1. R. S., agissant en nom propre et en qualité d'administratrice des biens de sa fille mineure,
2. S. P.,
3. D. M.,
4. D. C.,
5. K. P.,
6. C. M.,
7. R-C. D.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 8 janvier 2020 par la cour d'assises de la province de Hainaut.
Chacun des demandeurs invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de F. D. :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l'action civile exercée par S. R. en nom personnel, contre la décision qui, rendue sur l'action civile exercée par cette partie agissant qualitate qua, statue sur le principe d'une responsabilité, et contre les décisions rendues sur les actions civiles exercées par les autres défendeurs :
Le demandeur fait valoir, en substance, que l'arrêt ne justifie pas légalement la décision de le condamner solidairement à indemniser le dommage causé par les deux assassinats dont d'autres accusés ont été jugés coupables, alors que lui-même n'y a pas prêté la main, ne s'étant vu condamner que pour avoir porté des coups aux victimes et pour avoir participé à leur séquestration. Il soutient que les deux préventions commises par lui dans l'ignorance des intentions animant les assassins, étaient inaptes à causer la mort, de sorte que leur faute et la sienne n'ont pu, en ce qui concerne l'obligation à la dette, être mises sur le même pied.
L'article 50 du Code pénal prévoit la solidarité de plein droit entre les débiteurs de dommages et intérêts lorsqu'ils ont été condamnés pour la même infraction.
Lorsque le dommage est le fruit d'infractions distinctes, un des effets de la solidarité peut jouer : s'il est établi, en fait, que chacun des prévenus a causé l'entièreté du préjudice, sans qu'il soit possible de mesurer l'ampleur de leurs responsabilités respectives, tous peuvent être condamnés in solidum, soit chacun pour le tout. Il est alors au pouvoir du juge de considérer le fait culpeux comme unique et de condamner tous ceux qui y ont participé à la réparation intégrale du préjudice causé, et ceci non plus en vertu de l'article 50 du Code pénal mais par application de l'article 1382 du Code civil.
Ce n'est pas au stade de l'obligation à la dette mais au stade de la contribution à celle-ci, que la détermination de la part de chacun des débiteurs s'évaluera en fonction de la gravité des fautes pénales respectives ou de l'importance de celles-ci dans la production du dommage.
L'arrêt définit le dommage moral subi par chacun des défendeurs comme étant le chagrin subi du fait de la perte de leurs proches dans un contexte de souffrance intense infligée à la faveur de leur séquestration.
La cour d'assises a pu, sans méconnaître la notion de présomption de l'homme, considérer que le dommage moral ainsi défini ne se serait pas produit de la même manière si le demandeur n'avait pas participé à cette séquestration et frappé les personnes séquestrées.
La cour d'assises définit le dommage matériel subi par la première défenderesse comme étant la perte de la capacité contributive du défunt, D. D., dans l'entretien de l'enfant commun.
Selon l'arrêt, le décès du père de l'enfant était inéluctable avant qu'il ne soit précipité, agonisant, dans le canal. La cour d'assises a pu considérer dès lors que, sans la détention arbitraire de la victime, à laquelle le demandeur a contribué, le processus létal n'aurait pas été engagé comme il l'a été au cours de cette détention.
La cour d'assises a, ainsi, régulièrement motivé et légalement justifié sa décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l'action civile exercée par S. R. en qualité d'administratrice des biens de sa fille mineure E. D., statue sur l'étendue du dommage :
L'arrêt condamne le demandeur solidairement à payer une indemnité de cinquante mille euros pour l'indemnisation du dommage moral subi par l'enfant, et réserve à statuer sur le préjudice ex haerede.
Pareille décision n'est pas définitive au sens de l'article 420, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle, et est étrangère aux cas visés par le second alinéa de cet article.
Prématuré, le pourvoi est irrecevable.
B. Sur le pourvoi de V. D. :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l'action civile exercée par S. R. en nom personnel, contre la décision qui, rendue sur l'action civile exercée par cette partie agissant qualitate qua, statue sur le principe d'une responsabilité, et contre les décisions rendues sur les actions civiles exercées par les autres défendeurs :
Le demandeur fait valoir, en substance, que l'arrêt ne justifie pas légalement la décision de le condamner solidairement à indemniser le dommage causé par les deux assassinats dont d'autres accusés ont été jugés coupables, alors que lui-même n'y a pas prêté la main, ne s'étant vu condamner, comme auteur ou coauteur, que du chef d'arrestation et détention arbitraires, coups qualifiés, non- assistance à personnes en danger et torture, par abstention qualifiée. Il fait valoir que la faute imputée aux assassins et celle retenue à sa charge ne sauraient, en ce qui concerne l'obligation à la dette, être mises sur le même pied. Il reproche enfin à l'arrêt attaqué de violer la foi due à l'arrêt de culpabilité du 26 octobre 2017 en émettant une considération qui n'y figure pas.
L'arrêt énonce que le décès de chacune des deux victimes était inéluctable avant qu'elles ne soient précipitées, agonisantes, dans le canal. Pour formuler cette énonciation, l'arrêt se réfère aux dires des experts au cours des débats, et non à l'arrêt de culpabilité du 26 octobre 2017. La cour d'assises n'a pu, dès lors, violer la foi due à cette pièce.
A cet égard, le moyen manque en fait.
L'article 50 du Code pénal prévoit la solidarité de plein droit entre les débiteurs de dommages et intérêts lorsqu'ils ont été condamnés pour la même infraction.
Lorsque le dommage est le fruit d'infractions distinctes, un des effets de la solidarité peut jouer : s'il est établi, en fait, que chacun des prévenus a causé l'entièreté du préjudice, sans qu'il soit possible de mesurer l'ampleur de leurs responsabilités respectives, tous peuvent être condamnés in solidum, soit chacun pour le tout. Il est alors au pouvoir du juge de considérer le fait culpeux comme unique et de condamner tous ceux qui y ont participé à la réparation intégrale du préjudice causé, et ceci non plus en vertu de l'article 50 du Code pénal mais par application de l'article 1382 du Code civil.
Ce n'est pas au stade de l'obligation à la dette mais au stade de la contribution à celle-ci, que la détermination de la part de chacun des débiteurs s'évaluera en fonction de la gravité des fautes pénales respectives ou de l'importance de celles-ci dans la production du dommage.
L'arrêt définit le dommage moral subi par chacun des défendeurs comme étant le chagrin subi du fait de la perte de leurs proches dans un contexte de souffrance intense infligée à la faveur de leur séquestration.
La cour d'assises a pu, sans méconnaître la notion de présomption de l'homme, considérer que le dommage moral ainsi défini ne se serait pas produit de la même manière si le demandeur n'avait pas participé à cette séquestration et, fût-ce par inaction consciente et volontaire, aux violences dont les personnes séquestrées ont été l'objet sans qu'il ne leur porte secours.
La cour d'assises définit le dommage matériel subi par la première défenderesse comme étant la perte de la capacité contributive du défunt, D. D., dans l'entretien de l'enfant commun.
Selon l'arrêt, le décès du père de l'enfant était inéluctable avant qu'il ne soit précipité, agonisant, dans le canal. La cour d'assises a pu considérer dès lors que, sans la détention arbitraire de la victime, à laquelle le demandeur a contribué, et sans les violences qui lui ont été infligées avec sa participation, fût-elle par abstention, le processus létal n'aurait pas été engagé comme il l'a été.
La cour d'assises a, ainsi, régulièrement motivé et légalement justifié sa décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l'action civile exercée par S. R. en qualité d'administratrice des biens de sa fille mineure E. D., statue sur l'étendue du dommage :
L'arrêt condamne le demandeur solidairement à payer une indemnité de cinquante mille euros pour l'indemnisation du dommage moral subi par l'enfant, et réserve à statuer sur le préjudice ex haerede.
Pareille décision n'est pas définitive au sens de l'article 420, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle, et est étrangère aux cas visés par le second alinéa de cet article.
Prématuré, le pourvoi est irrecevable.
C. Sur le pourvoi de M. B. :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l'action civile exercée par S. R. en nom personnel :
Le moyen est pris de la méconnaissance de la notion de présomption de l'homme et de la violation des articles 1382 du Code civil et 572bis, du Code judiciaire.
L'arrêt identifie le préjudice matériel, passé et futur, de la première défenderesse à la perte de la capacité contributive du défunt dans l'entretien de l'enfant commun. La cour d'assises a évalué cette perte, de manière forfaitaire, à la somme mensuelle de deux cents euros, soit le double de la part contributive qui avait été fixée par un jugement du tribunal de la jeunesse. La demanderesse soutient qu'ainsi, la cour d'assises s'est appropriée une compétence exclusive de ce tribunal.
Le moyen reproche également à l'arrêt d'indemniser un dommage incertain, en se fondant sur l'hypothèse que l'enfant restera à charge de sa mère jusqu'à l'âge de 23 ans. Selon la demanderesse, la cour d'assises n'aurait pas dû allouer d'autre indemnité que celle réparant la perte d'une chance d'obtenir un montant.
Le caractère certain du préjudice est une notion de fait laissée à l'appréciation du juge du fond.
Il ne peut être fait grief à l'arrêt, ni de constater que ce qui était payé ou exigible pour l'enfant ne l'a plus été depuis la mort du débiteur, ni de calculer le dommage futur en tenant compte de la durée probable de la scolarité de l'enfant. Le juge a le pouvoir de statuer en tenant compte, à titre de présomption, du cours normal des choses. L'arrêt ne se fonde pas sur un pur aléa en alignant cette durée sur celle d'un cycle de l'enseignement supérieur de cinq ans.
La preuve de l'existence du préjudice peut se faire par toute voie de droit.
En modifiant, pour évaluer la perte subie par la défenderesse, le montant retenu par un jugement du 23 décembre 2009 du tribunal de la jeunesse, la cour d'assises ne s'est pas appropriée la compétence exclusive d'une autre juridiction mais s'est bornée à faire le choix d'une base objective pour l'évaluation de la totalité du dommage à réparer.
En doublant la somme qui avait été retenue par ledit jugement, l'arrêt ne répare pas un préjudice hypothétique ou éventuel mais tient compte du fait que cette somme, définie pour un enfant de six ans, doit être ajustée aux besoins d'un enfant qui en a dix de plus.
L'arrêt est ainsi légalement justifié.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Et en tant qu'il soutient que la cour d'assises ne pouvait indemniser que la perte d'une chance, le grief, soulevé pour la première fois devant la Cour, est irrecevable.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l'action civile exercée par S. R. qualitate qua, statue sur le principe d'une responsabilité :
La demanderesse n'invoque aucun moyen.
3. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l'action civile exercée par S. R. qualitate qua, statue sur l'étendue du dommage :
L'arrêt condamne la demanderesse solidairement à payer une indemnité de cinquante mille euros pour l'indemnisation du dommage moral subi par l'enfant, et réserve à statuer sur le préjudice ex haerede.
Pareille décision n'est pas définitive au sens de l'article 420, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle, et est étrangère aux cas visés par le second alinéa de cet article.
Prématuré, le pourvoi est irrecevable.
4. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions rendues sur les actions civiles exercées par les autres défendeurs :
Il n'apparaît pas des pièces de la procédure que la demanderesse ait signifié son pourvoi aux parties contre lesquelles il est dirigé.
Le pourvoi est dès lors irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de cent quinze euros cinquante centimes dont I) sur le pourvoi de F. D. : trente-huit euros cinquante centimes dus ; II) sur le pourvoi de V. D. : trente-huit euros cinquante centimes dus et III) sur le pourvoi de M. B. : trente-huit euros cinquante centimes en débet.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir et Tamara Konsek, conseillers, et prononcé en audience publique du quatorze octobre deux mille vingt par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.20.0098.F
Date de la décision : 14/10/2020
Type d'affaire : Droit civil

Analyses

Lorsque le dommage est le fruit d'infractions distinctes, un des effets de la solidarité peut jouer: s'il est établi, en fait, que chacun des prévenus a causé l'entièreté du préjudice, sans qu'il soit possible de mesurer l'ampleur de leurs responsabilités respectives, tous peuvent être condamnés in solidum, soit chacun pour le tout; il est alors au pouvoir du juge de considérer le fait culpeux comme unique et de condamner tous ceux qui y ont participé à la réparation intégrale du préjudice causé, et ceci non plus en vertu de l'article 50 du Code pénal mais par application de l'article 1382 du Code civil (1). (1) J. de Codt, « L'appréciation de la causalité dans le jugement des actions publique et civile », in P. Mandoux et O. Klees (s.l.d.), Actualités de droit pénal et de procédure pénale, éd. du jeune barreau de Bruxelles, 2001, p. 66.

RESPONSABILITE HORS CONTRAT - OBLIGATION DE REPARER - Pluralité d'auteurs. Solidarité - Dommage causé par des infractions distinctes - Chacun des prévenus ayant causé l'entièreté du préjudice - Conséquence - Fait culpeux unique - Condamnation in solidum [notice1]

Lorsque le dommage est le fruit d'infractions distinctes et que chacun des prévenus a causé l'entièreté du préjudice, ce n'est pas au stade de l'obligation à la dette mais au stade de la contribution à celle-ci, que la détermination de la part de chacun des débiteurs s'évaluera en fonction de la gravité des fautes pénales respectives ou de l'importance de celles-ci dans la production du dommage.

RESPONSABILITE HORS CONTRAT - OBLIGATION DE REPARER - Pluralité d'auteurs. Solidarité - Dommage causé par des infractions distinctes - Chacun des prévenus ayant causé l'entièreté du préjudice - Détermination de la part de chacun des débiteurs - Appréciation au stade de la contribution à la dette [notice2]


Références :

[notice1]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1382 - 30 / No pub 1804032150

[notice2]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1382 - 30 / No pub 1804032150


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : FENAUX TATIANA
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : DEJEMEPPE BENOIT, ROGGEN FRANCOISE, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, KONSEK TAMARA

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-10-14;p.20.0098.f ?

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