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19/12/2019 | BELGIQUE | N°C.19.0127.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 décembre 2019, C.19.0127.N


N° C.19.0127.N
INSPECTEUR URBANISTE RÉGIONAL DE LA DIVISION DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, DU LOGEMENT, DES MONUMENTS ET DES SITES, compétent pour le territoire de la province du Brabant flamand,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
B.V.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 25 octobre 2019, l'avocat général André Van Ingelgem a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport et l'avocat général Henri

Vanderlinden a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requê...

N° C.19.0127.N
INSPECTEUR URBANISTE RÉGIONAL DE LA DIVISION DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, DU LOGEMENT, DES MONUMENTS ET DES SITES, compétent pour le territoire de la province du Brabant flamand,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
B.V.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 25 octobre 2019, l'avocat général André Van Ingelgem a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport et l'avocat général Henri Vanderlinden a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
1. Le régime de l'astreinte est fondé sur une stricte répartition de compétences entre le juge qui prononce l'astreinte, le juge de l'astreinte, et le juge qui décide si l'astreinte est encourue, soit le juge des saisies.
Dès lors qu'il est compétent pour connaître de toutes les difficultés d'exécution, le juge des saisies est également compétent pour apprécier si le recouvrement de l'astreinte donne lieu, dans le cas d'espèce, à un abus de droit.
2. Le moyen qui, en cette branche, repose tout entier sur le soutènement que, dans le cas du recouvrement d'astreintes, le juge des saisies ne peut pas vérifier l'existence d'un abus de droit mais doit se contenter d'examiner si le titre est encore actuel, efficace et exécutoire, s'il a été raisonnablement satisfait à la condamnation principale ou si les astreintes encourues sont prescrites, manque en droit.
Quant à la deuxième branche :
3. L'abus de droit consiste à exercer un droit d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice de ce droit par une personne diligente et prudente. Tel est le cas spécialement lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l'avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit. Dans l'appréciation des intérêts en présence, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause.
Lorsque le juge considère en fait, sur la base des circonstances de la cause, qu'il y a abus de droit, la Cour examine si l'existence d'un tel abus peut se déduire des constatations.
4. Le juge d'appel a constaté que :
- par un arrêt du 20 novembre 2007, la défenderesse a été condamnée à démolir une villa chalet ayant entraîné des modifications du relief, avec retrait des matériaux de construction et des revêtements, dans un délai de six mois, qui n'est pas un délai dans lequel l'astreinte est encourue au sens de l'article 1385bis du Code judiciaire, sous peine d'une astreinte de 125 euros par jour de retard ;
- la demande formée par le demandeur devant la juridiction d'appel tendait à entendre condamner la défenderesse à payer un montant de 56.520 euros d'astreintes encourues dans la période comprise entre le 20 décembre 2014 et le 18 mai 2015.
Il a ensuite considéré que :
- la défenderesse estime que le demandeur est manifestement de mauvaise foi, car il affiche un double comportement : d'une part, il déclare que la défenderesse doit réparer les infractions mais, d'autre part, l'Agence de la Nature et des Forêts est occupée à acheter toutes les parcelles du domaine dans lequel la parcelle litigieuse est située ou cherche à en obtenir la cession à titre gracieux ;
- la défenderesse produit un courrier du 2 décembre 2015 de l'Agence de la Nature et des Forêts, adressé au propriétaire d'une autre parcelle sise dans le domaine en question, dans lequel cette agence indique qu'elle fera démolir toutes les constructions érigées illégalement sur le terrain afin de le rendre conforme aux dispositions du plan d'exécution spatial (zone naturelle), en échange de la cession à titre gracieux des parcelles ;
- la défenderesse produit également un courrier du 4 avril 2014 de la commune de Oud-Heverlee, dans lequel la commune demandait aux propriétaires des parcelles situées dans le domaine concerné de faire donation de leur parcelle à la commune ;
- le demandeur ne conteste pas que les propriétaires des parcelles du parc résidentiel de week-end, dans lequel est située la parcelle litigieuse, ont reçu des courriers comportant le contenu précité, qui révèlent les intentions de la commune et de l'Agence de la Nature et des Forêts ;
- dans ces circonstances, il est manifestement déraisonnable de réclamer une astreinte de 56.520 euros à la défenderesse, précédente propriétaire de la parcelle, pour la période comprise entre le 20 décembre 2014 et le 18 mai 2015, durant laquelle la commune de Oud-Heverlee ou l'Agence de la Nature et des Forêts a cherché à obtenir la donation ou la cession à titre gracieux des parcelles ;
- le demandeur est, en outre, demeuré inactif plus de trois ans avant de faire signifier un nouveau commandement de payer.
5. Par ces motifs, le juge d'appel a considéré, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, qu'en exerçant son droit de recouvrement des astreintes pour inexécution par la défenderesse des travaux de démolition, le demandeur poursuit un avantage hors de proportion avec le préjudice ainsi causé à la défenderesse, dès lors que la commune ou l'Agence de la Nature et des Forêts souhaitait exécuter les travaux de démolition en échange de la cession à titre gracieux des parcelles.
Il a donc motivé et légalement justifié sa décision qu'en réclamant le paiement des astreintes, le demandeur a commis un abus de droit.
6. À défaut de conclusions sur ce point, le juge d'appel n'était pas tenu de motiver d'une autre façon son examen de la réunion des critères particuliers de l'abus de droit.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
7. Dans la mesure où le moyen, en cette branche, soutient que :
- les courriers des 2 décembre 2015 et 4 avril 2014 n'émanaient pas du demandeur, mais de l'Agence de la Nature et des Forêts et de la commune de Oud-Heverlee ;
- ces courriers n'étaient pas adressés à la défenderesse ;
- il n'est pas constaté que la défenderesse connaissait le contenu de ces courriers adressés à des tiers ;
- l'abus de droit ne peut davantage être déduit du simple fait que le demandeur a attendu trois ans avant de signifier un nouveau commandement de payer,
il requiert une appréciation des faits pour laquelle la Cour est sans pouvoir.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
8. Le moyen, en cette branche, allègue une contradiction entre, d'une part, la décision que le titre dont le demandeur poursuit l'exécution est encore actuel, efficace et exécutoire et, d'autre part, la décision que l'exécution de ce titre par le demandeur constitue un abus de droit.
9. Une telle contradiction, qui est de nature juridique et ne peut s'apprécier que sur la base d'une interprétation des dispositions légales, est étrangère à l'obligation de motivation visée à l'article 149 de la Constitution.
Dans la mesure où il invoque la seule violation de l'article 149 de la Constitution, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Quant à la troisième branche :
10. La sanction de l'abus de droit n'est pas la déchéance de ce droit mais la réduction de celui-ci à son exercice normal ou la réparation du dommage que l'abus a causé. La réduction du droit à son exercice normal peut aller jusqu'à priver son titulaire de la possibilité de s'en prévaloir dans le cas d'espèce.
11. Par les motifs reproduits dans la branche du moyen, le juge d'appel a considéré que la réduction du droit de recouvrement à son exercice normal requiert que le recouvrement de la somme de 56.520 euros d'astreintes pour la période comprise entre le 20 décembre 2014 et le 18 mai 2015 soit rejeté en totalité, dès lors que la commune ou l'Agence de la Nature et des Forêts visait, durant cette période, à obtenir la cession à titre gracieux des parcelles et que le demandeur a attendu plus de trois ans pour signifier le commandement de payer afférent à cette période. Il a ainsi légalement justifié sa décision.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, les présidents de section Alain Smetryns et Koen Mestdagh, et les conseillers Geert Jocqué et Bart Wylleman, et prononcé en audience publique du dix-neuf décembre deux mille dix-neuf par le président de section Eric Dirix, en présence de l'avocat général Henri Vanderlinden, avec l'assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Marie-Claire Ernotte et transcrite avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : C.19.0127.N
Date de la décision : 19/12/2019
Type d'affaire : Autres - Droit civil

Analyses

Le régime de l'astreinte est fondé sur une stricte répartition de compétences entre le juge qui prononce l'astreinte, le juge de l'astreinte, et le juge qui décide si l'astreinte est encourue, soit le juge des saisies; dès lors qu'il est compétent pour connaître de toutes les difficultés d'exécution, le juge des saisies est également compétent pour apprécier si le recouvrement de l'astreinte donne lieu, dans le cas d'espèce, à un abus de droit (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

COMPETENCE ET RESSORT - GENERALITES - Astreinte - Astreinte prononcée et encourue - Répartition de compétences entre le juge des saisies et le juge de l'astreinte - ABUS DE DROIT [notice1]

L'abus de droit consiste à exercer un droit d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice de ce droit par une personne diligente et prudente; tel est le cas spécialement lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l'avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit; dans l'appréciation des intérêts en présence, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

ABUS DE DROIT - Notion - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - Abus de droit - Notion - Intérêts en présence - Appréciation - Juge du fond - Modalités - Abus de droit - Intérêts en présence - Appréciation - Juge du fond - Modalités [notice3]

Lorsque le juge considère en fait, sur la base des circonstances de la cause, qu'il y a abus de droit, la Cour examine si l'existence d'un tel abus peut se déduire des constatations (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

ABUS DE DROIT - Appréciation souveraine par le juge du fond - Compétence de la Cour - APPRECIATION SOUVERAINE PAR LE JUGE DU FOND - Abus de droit - Compétence de la Cour - MOYEN DE CASSATION - MATIERE CIVILE - Appréciation souveraine par le juge du fond - Compétence de la Cour [notice7]

La sanction de l'abus de droit n'est pas la déchéance de ce droit mais la réduction de celui-ci à son exercice normal ou la réparation du dommage que l'abus a causé; la réduction du droit à son exercice normal peut aller jusqu'à priver son titulaire de la possibilité de s'en prévaloir dans le cas d'espèce (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

ABUS DE DROIT - Sanction - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - Interdiction de l'abus de droit - Sanction [notice10]


Références :

[notice1]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 1385bis, al. 1er, 1385quater, 1385quiquies, 1395, al. 1er, 1396 et 1498 - 01 / No pub 1967101052

[notice3]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1134, al. 3 - 30 / No pub 1804032150 ;

Principe général du droit qui prohibe l'abus de droit

[notice7]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1134, al. 3 - 30 / No pub 1804032150 ;

Principe général du droit qui prohibe l'abus de droit

[notice10]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1134, al. 3 - 30 / No pub 1804032150 ;

Principe général du droit qui prohibe l'abus de droit


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : VANDERLINDEN HENRI
Assesseurs : SMETRYNS ALAIN, MESTDAGH KOEN, WYLLEMAN BART, JOCQUE GEERT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-12-19;c.19.0127.n ?

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